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Éric Straumann
Question N° 15033 au Ministère de la justice


Question soumise le 11 décembre 2018

M. Éric Straumann attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur le courrier adressé par le président de la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer sur la réforme de la carte judiciaire qui est en train de se mettre en place dans le cadre des discussions du « projet de loi justice » à l'Assemblée nationale. Il s'agit d'une véritable refonte de la carte judiciaire particulièrement insidieuse, qui ne dit pas son nom. Les députés, et particulièrement la majorité parlementaire, sont en train de donner un total blanc-seing au pouvoir réglementaire pour lui offrir, par le biais de spécialisation des juridictions de première instance et d'appel, la possibilité, de facto, d'asphyxier les juridictions et, à terme, les fermer. Il en est ainsi des tribunaux de grande instance qui sont voués à disparaître par l'adoption, soutenue par la ministre, de la suppression de la notion même de « tribunal de grande instance » au profit de celle de « tribunal judiciaire » avec possibilité au sein d'un même département, mais aussi sur des départements proches, d'affecter à tel ou tel tribunal une matière plutôt qu'un autre. La France est attachée à une justice accessible et égale pour tous sur l'ensemble des territoires ; elle est attachée au principe de plénitude de juridictions et des juridictions des tribunaux de grande instance et des cours d'appel. En ce qui concerne les cours d'appel, il avait été acté, dans le cadre du projet de loi initial, qu'une expérimentation de spécialisation pouvait se faire dans des cours d'appel, sur une durée de trois ans, mais uniquement dans deux régions administratives. Le Gouvernement ne s'est pas opposé à un amendement déposé par la rapporteure portant à quatre, voire cinq régions administratives la possibilité de spécialiser les cours d'appel. Tous les équilibres régionaux peuvent donc potentiellement être remis en cause sans étude d'impact, sans réflexion sur la nécessité de lisibilité pour le justiciable de la juridiction qui traite de son contentieux, sans considération des problématiques de transport et d'une manière générale d'aménagement du territoire. Le texte déposé par le Gouvernement avait été largement et utilement amendé par le Sénat, et il est profondément regrettable que la majorité parlementaire à l'Assemblée nationale détricote ce qui a été fait et accentue, pour des raisons purement comptables, la fracture qui existe déjà entre les citoyens et leur justice. Il lui demande quelle est sa position sur ces questions.

Réponse émise le 18 décembre 2018

Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a suscité beaucoup d'interrogations, s'agissant notamment du chantier relatif à l'adaptation du réseau des juridictions. Le rapport consacré à ce sujet, rendu à l'issue des « Chantiers de la Justice », préconisait un certain nombre de mesures. La Garde des Sceaux, ministre de la justice, a pris la décision de ne pas suivre un certain nombre d'entre elles. Ainsi, contrairement aux choix opérés par de précédents gouvernements, il a notamment été décidé de ne fermer aucune juridiction, de ne pas desserrer le maillage judiciaire existant et de n'affaiblir aucun site judiciaire. Le statu quo n'apparaissait pas acceptable pour autant. Il a donc été décidé de proposer au Parlement une évolution centrée non pas sur des directives venues de Paris mais fondée sur des propositions émanant du terrain. Cette évolution est aujourd'hui articulée autour de grands principes : - rendre plus lisible l'organisation des juridictions en proposant une fusion administrative des tribunaux d'instance (TI) et de grande instance (TGI), qui deviendrait un tribunal judiciaire ; - rendre une justice plus efficace en offrant aux juridictions la possibilité de spécialiser des contentieux techniques et de faible volume ; - rendre possible des évolutions pour les cours d'appel dans deux régions expérimentales. La fusion des TGI et TI répond à un souci de simplification des procédures. La répartition des contentieux entre le tribunal d'instance et le tribunal de grande instance est aujourd'hui complexe et peu lisible pour le justiciable. Ce dernier ne devrait pas avoir à se demander s'il doit saisir le TI ou le TGI suivant la nature de son litige. Cette interrogation aura d'autant moins de pertinence que le projet de loi prévoit que le justiciable saisira désormais le tribunal par un formulaire unique de requête introductive d'instance. Cette fusion simplifiera la gestion des contentieux pour le justiciable et aura des conséquences positives pour les chefs de juridiction qui disposeront de plus de souplesse pour gérer leurs ressources humaines. Cependant, aucun lieu de justice ne sera fermé. Ainsi, dans les villes où il existe actuellement un tribunal d'instance isolé, celui-ci sera maintenu et ses compétences actuelles seront préservées par décret. Organiquement rattaché à un tribunal judiciaire, il continuera à juger les contentieux du quotidien identiques à ceux d'aujourd'hui. Il n'y aura donc aucun recul de la justice de proximité. L'article 53 du projet de loi prévoit même que les chefs de cour pourront attribuer au tribunal d'instance des compétences supplémentaires, après avis du président du tribunal de grande instance et du procureur de la République, si cela correspond à un réel besoin des justiciables. En ce sens le maillage juridictionnel national sera maintenu et les contentieux continueront à être jugés dans des conditions que nous rendrons encore plus favorables qu'actuellement. Les tribunaux judiciaires ne seront aucunement affectés, conservant leurs présidents et leurs procureurs de la République. Si des projets de spécialisation et de répartition des contentieux très techniques et de faible volume entre ces tribunaux nous sont proposés par les chefs de cours, nous les étudierons dans la perspective d'une meilleure efficacité de la justice. Le projet qui sera présenté au Parlement ne vise donc aucunement à mettre en cause la justice de proximité puisqu'aucun site juridictionnel ne sera affaibli. Bien au contraire, l'objectif visé est que, à partir des outils qui seront mis à leur disposition, les territoires puissent, s'ils l'estiment nécessaire, proposer une organisation plus efficace du traitement des contentieux. Par ailleurs, le rapport précité préconisait d'instituer des cours d'appel de région et des cours d'appel territoriales. Cette proposition n'a cependant pas été retenue par le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice au regard de ses incidences considérables. L'option maintient toutes les cours d'appel existantes dans la plénitude de leurs compétences. Il prévoit cependant d'expérimenter sur un ressort pouvant s'étendre à plusieurs cours d'appel au sein d'une même région administrative une nouvelle forme d'organisation. Il s'agirait ainsi de confier des pouvoirs d'animation et de coordination aux chefs de cour du ressort élargi, désignés par décret, et de permettre la spécialisation de certaines de ces cours dans un ou plusieurs contentieux civils en vue d'harmoniser la réponse judiciaire. Cette expérimentation, sera menée dans deux régions pour une durée de trois ans à compter de la publication de la loi. Si un amendement proposait d'augmenter le nombre de régions à cinq, à l'issue d'un vote en commission des lois à l'Assemblée nationale, le débat de séance publique a supprimé cette disposition revenant à la proposition initiale du gouvernement à 2. Il n'y aura donc aucun affaiblissement des équilibres territoriaux. Cette expérimentation vise à limiter le nombre d'interlocuteurs judiciaires dans la conduite des politiques publiques impliquant l'intervention de l'institution judiciaire. Le ministère de la justice souhaite pouvoir mesurer si ce dispositif répond aux besoins exprimés par les services et administrations de l'État qui ont adapté leur organisation à la réforme territoriale des régions administratives. Les territoires, à partir des outils qui seront mis à leur disposition, pourront proposer une organisation plus efficace s'ils l'estiment nécessaire. Ainsi, en spécialisant les cours d'appel sur certains contentieux, seront assurées une meilleure harmonisation des jurisprudences et une plus grande rapidité du traitement des contentieux au bénéfice des justiciables. Aucune décision n'a été arrêtée à ce jour quant au choix des cours d'appel qui seraient retenues pour mettre en œuvre cette expérimentation.

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