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Luc Carvounas
Question N° 16351 au Ministère des armées


Question soumise le 29 janvier 2019

M. Luc Carvounas interroge Mme la ministre des armées sur le devenir de la dissuasion nucléaire française dans le cadre du rapprochement militaire franco-allemand suite au traité d'Aix-La-Chapelle. En effet, le nouveau traité d'Aix-La-Chapelle conclu entre la France et l'Allemagne poursuit l'objectif de resserrer les liens entre les deux armées. De manière plus concrète, il pose la volonté d'instaurer une culture commune et d'opérer des déploiements conjoints. De plus, la Chancelière allemande évoquait récemment au Parlement européen de Strasbourg son soutien à la proposition du Président français « d'élaborer une vision nous permettant de parvenir à une véritable armée européenne ». La Chancelière a alors appelé les européens à développer des systèmes d'armement communs et une politique d'exportation d'armements commune. Dans cette optique, il a été dévoilé en juin 2018 un projet de construction d'un nouvel avion de combat franco-allemand. Si la France n'a pas accepté de partager son siège au Conseil de sécurité à l'ONU avec l'Allemagne lors de la conclusion du traité d'Aix-La-Chapelle, on peut craindre en revanche que la construction de cet avion de combat commun ne débouche, à terme, sur un partage de la dissuasion nucléaire aéroportée. Il lui demande de lui confirmer la doctrine de souveraineté pleine et entière de la France relative à la dissuasion nucléaire ou bien si la France envisage, à plus ou moins long terme, de partager avec ses partenaires allemands la dissuasion nucléaire.

Réponse émise le 24 septembre 2019

Il n'est pas question, dans le traité d'Aix-la-Chapelle, de perte de souveraineté en matière de défense mais d'un approfondissement de la coopération entre la France et l'Allemagne concourant à une capacité d'action autonome de l'Europe. Cette démarche reprend l'esprit du traité de l'Élysée, signé en 1963, mais l'actualise au vu des développements de la construction européenne. Le traité d'Aix-la-Chapelle s'inscrit dans le cadre des engagements qui lient la France et l'Allemagne en vertu de l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord et de l'article 42-7 du traité sur l'Union européenne, en rappelant ainsi que nos deux pays se doivent de se prêter « aide et assistance par tous les moyens dont ils disposent, y compris la force armée, en cas d'agression armée contre leurs territoires ». Le traité d'Aix-la-Chapelle prévoit également la mise en place de consultations « afin de définir des positions communes sur toute décision importante touchant les intérêts communs de la France et de l'Allemagne et d'agir conjointement dans tous les cas où ce sera possible ». Toutefois, le rappel de cet engagement et cette volonté de concertation et de solidarité ne remettent nullement en cause l'indépendance de décision de la France, et ne modifient en rien sa doctrine de dissuasion nucléaire. Pour mémoire, et comme le rappelle la Revue Stratégique de 2017, la dissuasion nucléaire française « contribue, par son existence, à la sécurité de l'Alliance atlantique et à celle de l'Europe ». Notre doctrine de dissuasion repose en effet sur la capacité à infliger des dommages inacceptables à un adversaire potentiel qui menacerait de s'en prendre à nos intérêts vitaux. La Revue Stratégique précise que « ces intérêts vitaux ne sont jamais définis avec précision, car il est de la responsabilité ultime et unique du chef de l'État d'apprécier en toute circonstance leur éventuelle mise en cause et de décider, au cas par cas, de la nature de la réponse qu'il convient d'y apporter ». Si l'intégrité de notre territoire et la sauvegarde de notre population en constituent le cœur, « la définition de nos intérêts vitaux ne saurait être limitée à la seule échelle nationale, parce que la France ne conçoit pas sa stratégie de défense de manière isolée, même dans le domaine nucléaire ». L'Allemagne n'est donc pas spécifiquement prise en compte, mais bénéficie de la contribution de la dissuasion nucléaire française à la sécurité de nos partenaires européens, comme l'a rappelé le Président de la République François Hollande lors de son discours sur la dissuasion nucléaire prononcé à Istres le 19 février 2015 : « Nous participons au projet européen, nous avons construit avec nos partenaires une communauté de destin, l'existence d'une dissuasion nucléaire française apporte une contribution forte et essentielle à l'Europe. La France a en plus, avec ses partenaires européens, une solidarité de fait et de cœur. Qui pourrait donc croire qu'une agression, qui mettrait en cause la survie de l'Europe, n'aurait aucune conséquence ? C'est pourquoi notre dissuasion va de pair avec le renforcement constant de l'Europe de la Défense ». Il ne s'agit donc pas d'un partage de la dissuasion mais de la liberté d'action que celle-ci procure en toutes circonstances au Président, y compris pour garantir que la France sera en mesure d'honorer les engagements qu'elle a pris au sein de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord et de l'Union européenne. Dans le domaine de la coopération technique et industrielle de défense entre la France et l'Allemagne, le traité d'Aix-la-Chapelle se place également dans la continuité du traité de l'Élysée, qui engageait « un travail en commun dès le stade de l'élaboration des projets d'armement appropriés et de la préparation des plans de financement ». Le traité de 2019 propose ainsi d'intensifier « l'élaboration de programmes de défense communs et leur élargissement à des partenaires ». L'architecture de coopération construite entre la France et l'Allemagne depuis 1963 a permis de lancer des programmes d'armements communs tout en préservant des capacités nationales propres, notamment celles essentielles à la production des moyens intéressant la dissuasion nucléaire. Le ministère des armées veillera à garantir le maintien de cette spécificité dans la conduite des futurs programmes franco-allemands, notamment le nouvel avion de combat développé dans le cadre du programme commun du système de combat aérien du futur (SCAF), et dont la version française armera à terme la composante nucléaire aéroportée de notre pays. Quel que soit le degré d'intégration industrielle à venir entre la France et l'Allemagne, ce programme devra également inclure des dispositions permettant de garantir la pleine indépendance sur les segments critiques de production et de maintien en condition opérationnelle de l'appareil, afin que soit assurée notre pleine souveraineté, de la décision d'emploi jusqu'aux conditions de mise en œuvre au sein des forces françaises.

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