Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Delphine Bagarry
Question N° 18390 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 2 avril 2019

Mme Delphine Bagarry interroge M. le ministre de l'intérieur sur les travaux menés par son cabinet concernant les relations entre forces de l'ordre et manifestants. Ces dernières années, et ce phénomène s'est accru récemment, les tensions lors des manifestations sont de plus en plus émaillées par des mouvements de violence organisée, qui mettent en danger les manifestants qui se retrouvent souvent pris au piège entre, d'une part, ces mouvements et d'autre part, la réponse des forces de maintien de l'ordre. Ce constat partagé amène le Gouvernement à repenser la doctrine de maintien de l'ordre qui est la sienne jusqu'alors. Si la doctrine française a longtemps fait école en Europe, il semble en effet nécessaire de l'adapter aux nouvelles formes de manifestation et aussi, aux nouveaux manifestants ne disposant pas des codes véhiculés par les forces de l'ordre lors des manifestations. Plusieurs autres pays de l'Union européenne, pour y répondre, ont développé de nouvelles stratégies de communication avec les manifestants. Cette méthodologie s'est suivie également d'une désescalade qui a produit des effets positifs sur la baisse des violences constatées en Allemagne et en Espagne. Aussi, elle l'interroge sur les travaux menés par son cabinet sur la future doctrine de gestion des manifestations et les éléments de désescalade qui pourraient y être introduits.

Réponse émise le 21 mai 2019

Corollaire de la liberté d'expression et de communication, le droit de manifester - droit à l'expression collective des idées et des opinions - est une liberté garantie par la Constitution (Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les forces de l'ordre concourent à l'exercice de ce droit. Les services d'ordre mis en place par les forces de sécurité intérieure de l'Etat ont en effet pour but d'assurer la sécurité des biens et des personnes et donc le libre exercice de ce droit. En revanche, dans un Etat de droit où les opinions peuvent librement s'exprimer, les violences et exactions de toutes sortes qui peuvent se produire au sein ou en marge de manifestations sont inacceptables. En la matière, il n'y a pas de place pour le laxisme ou la complaisance : l'Etat doit être intransigeant pour faire respecter l'ordre public. Policiers et gendarmes sont chargés de protéger les libertés publiques autant que de faire respecter l'ordre public. En cas de débordements de toute nature (violences, dégradations, pillages, etc.), les opérations de maintien et de rétablissement de l'ordre public impliquent la mise en œuvre de modes d'action spécifiques et l'emploi de matériels et moyens destinés à préserver ou rétablir l'ordre public. Parallèlement, des investigations judiciaires approfondies peuvent être menées pour identifier et interpeller les auteurs d'infractions. Cette action est menée dans un cadre légal strict et précis (code de procédure pénale, code de la sécurité intérieure, doctrines d'emploi, etc.). Dans un Etat de droit, il est impératif en effet que le recours à la contrainte, parfois nécessaire et au besoin au moyen des armes, soit gradué et proportionné et s'exerce dans le respect du droit. Les forces de l'ordre disposent ainsi d'un arsenal juridique et d'une gamme de techniques et de moyens pour rétablir l'ordre public, pour protéger la sécurité des personnes et des biens ou pour faire face aux menaces auxquelles elles sont exposées. Face aux évolutions, observées depuis plusieurs années, des mouvements de mobilisation et de contestation (radicalisation, utilisation massive des réseaux sociaux et des messageries cryptées, mobilisation de groupuscules extrémistes, etc.), la stratégie de gestion de l'ordre public, basée notamment sur les principes d'évitement et de maintien à distance, doit cependant évoluer. Cette nécessité, indispensable aussi pour anticiper les défis futurs, est une nouvelle fois apparue dans le cadre des actions menées depuis mi-novembre par le mouvements dit des « gilets jaunes », marqué par son absence d'organisation, son refus de déclarer ou respecter le parcours des manifestations et par des débordements d'une extrême violence, avec la volonté d'attaquer les forces de l'ordre et les institutions et de causer désordres et dégradations. Face aux nouvelles formes de contestation, face aux fauteurs de trouble, aux ultras et aux « casseurs », il est indispensable de gagner en efficacité, de repenser, moderniser et renforcer la doctrine de maintien de l'ordre. Celle-ci doit gagner en souplesse et flexibilité, s'adapter et s'intensifier tant en matière d'anticipation et de renseignement (veille sur les réseaux sociaux, etc.) que de réaction opérationnelle sur le terrain ou de moyens (effectifs, techniques, matériels, etc.). D'importantes mesures en ce sens ont déjà été adoptées ou sont en cours. Dès le mois de décembre, le ministre de l'intérieur a fait évoluer la doctrine de maintien de l'ordre, en dotant les forces de police et de gendarmerie d'une plus large autonomie de décision et de capacités accrues de réactivité, de mobilité et d'interpellation. Cette doctrine va encore être approfondie. Le ministre de l'intérieur a demandé que soit élaboré un nouveau schéma national de maintien de l'ordre, qui devra notamment proposer une définition actualisée des finalités de l'ordre public, en tirer les conséquences en matière de cadre juridique, mais aussi sur le plan des moyens de défense et armes employés. Une attention particulière sera également portée à la communication avec le public, tant en amont que pendant les manifestations. Les travaux, qui sont en cours au sein du ministère de l'intérieur, feront l'objet d'une concertation avec le ministère de la justice et seront également discutés avec un comité d'experts constitué par l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice. Ils devraient aboutir d'ici l'été. Ces travaux tiendront compte des mesures très fortes décidées par le Premier ministre, à la demande du Président de la République, à la suite des événements d'une violence intolérable qui se sont de nouveau produits à Paris le 16 mars. Dès le 18 mars, le Premier ministre a en effet décidé la mise en œuvre d'un nouvel arsenal pour renforcer la fermeté de la doctrine de maintien de l'ordre, notamment dans la lutte contre les militants des mouvances ultras : aggravation de la contravention encourue en cas de participation à une manifestation interdite sur la voie publique (décret du 20 mars 2019), interdiction de manifestation dans certains quartiers, autonomie accrue accordée aux forces de l'ordre sur le terrain, recours à de nouveaux moyens matériels, intensification de la réponse judiciaire, actions devant les juridictions judiciaires pour rechercher la responsabilité des manifestants violents, mise en place d'« unités anticasseurs », etc. Par ailleurs, la loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations a introduit dans l'ordonnancement juridique de nouvelles dispositions dotant l'Etat de moyens supplémentaires pour mieux détecter, interpeller et sanctionner les auteurs de troubles commis à l'occasion des manifestations. Le texte permet ainsi d'adapter le cadre légal aux nouveaux enjeux d'ordre public, avec pour objectif de mieux garantir le droit de manifester et la sécurité des manifestants. Avec le souci de faciliter le libre exercice de ce droit fondamental tout en assurant au mieux la liberté de manifester, la loi du 10 avril 2019 simplifie également la démarche de déclaration préalable de manifestation, prévue par l'article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure. La loi réduit de 3 à 1 le nombre d'organisateurs devant signer la déclaration tout en supprimant l'obligation d'élection de domicile dans le département. Cet allégement et cette simplification des formalités de déclaration devraient faciliter l'exercice du droit de manifester et notamment encourager les organisateurs à procéder à la déclaration prévue par la loi. Ce régime juridique de la déclaration préalable - qui n'est donc pas un régime d'autorisation - est un facteur important pour le bon déroulement des manifestations. Compte tenu des délais prévus (la déclaration doit avoir lieu trois jours francs au moins et quinze jours francs au plus avant la date de la manifestation), il permet en effet un dialogue, en amont, entre l'organisateur et l'autorité administrative, qui facilite la mise en place de dispositifs adaptés pour assurer la sécurité des manifestants.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.