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Michel Larive
Question N° 21166 au Ministère de la culture


Question soumise le 9 juillet 2019

M. Michel Larive interroge M. le ministre de la culture sur le traitement judiciaire réservé aux auteurs et créateurs qui saisissent les tribunaux en cas de reproduction illicite de leur œuvre. En effet, depuis quelques années, les auteurs et créateurs ne sont plus jugés sur la base de la loi mais sur la base d'une « création purement jurisprudentielle » (expression tirée de la lettre de mission du CSPLA du 23 juillet 2018) catastrophique pour leurs droits. Les juges français ajoutent une condition à la loi : la preuve de l'originalité de l'œuvre. Outre que cette condition ajoutée à la loi porte atteinte à l'article V de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen qui prévoit que « Nul ne peut être contraint à faire ce que la loi n'ordonne pas », cette preuve est impossible à faire puisque les juges peuvent, selon cette jurisprudence, écarter l'antériorité, le style propre à l'auteur, l'angle de traitement personnel des idées. Dès lors, l'appréciation de l'originalité de l'œuvre ne dépend plus de critères objectifs mais de l'avis subjectif du juge, ce qui ne protège pas les auteurs de l'arbitraire et ce qui ne garantit pas l'impartialité des tribunaux. La conséquence en est que des auteurs se retrouvent arbitrairement dépossédés de leurs droits sur leur œuvre. C'est évidemment une grave rupture de l'égalité en droits mais aussi une grave atteinte à la culture et à la liberté de création et d'expression. Comme la France s'est engagée à respecter et à faire respecter le droit d'auteur et comme la France est tenue de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, il lui demande quelles mesures il compte prendre à l'égard des auteurs qui ont eu à subir cette jurisprudence. Il lui demande également quelles mesures le Gouvernement compte prendre pour garantir aux auteurs et créateurs l'application de la loi, l'impartialité des tribunaux et le respect de leurs droits fondamentaux.

Réponse émise le 8 décembre 2020

L'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) prévoit que « l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous ». Le critère de l'originalité, même s'il n'est expressément consacré par la loi française que pour les titres des œuvres (article L. 122-4 du CPI), est la condition fondamentale sans laquelle le droit d'auteur ne peut trouver à s'appliquer. La notion d'originalité est née en jurisprudence avant de connaître diverses consécrations législatives, notamment au niveau de l'Union européenne. À ce titre, trois directives européennes consacrent clairement l'originalité comme condition sine qua non de la protection d'une œuvre par le droit d'auteur. Ainsi, l'article premier de la directive 91/250 du 14 mai 1991 concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur dispose qu'un « programme d'ordinateur est protégé s'il est original, en ce sens qu'il est la création intellectuelle propre à son auteur ». De même, le considérant 39 de la directive 96/9 du 11 mars 1996 concernant la protection juridique des bases de données évoque leur possible accession au statut d'œuvre « en vertu de l'originalité du choix ou de la disposition du contenu de la base de données ». Enfin, la directive 93/98 du 29 octobre 1993, relative à l'harmonisation de la durée de protection du droit d'auteur et de certains droits voisins précise, quant à elle, que « les photographies qui sont originales en ce sens qu'elles sont une création intellectuelle propre à leur auteur sont protégées conformément à l'article 1er ». Ces trois textes indiquent expressément qu'aucun autre critère que l'originalité, au sens de la création intellectuelle de l'auteur, ne peut être appliqué pour déterminer si un programme d'ordinateur, une base de données ou une photographie est protégeable par le droit d'auteur ou non. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne s'est par la suite emparée de la notion d'originalité, allant jusqu'à l'ériger en notion autonome du droit de l'Union européenne, applicable comme telle dans l'ensemble des États membres, dans l'arrêt Infopaq du 16 juillet 2009. La Cour a ultérieurement précisé que l'œuvre originale est celle qui reflète la personnalité de son auteur (arrêt Eva-Maria Painer du 1er décembre 2011). Les juges français n'ajoutent donc pas une condition de protection non prévue par la loi lorsqu'ils apprécient l'originalité d'une œuvre. La question de la preuve de l'originalité soulève en revanche un certain nombre d'interrogations légitimes. Pendant de nombreuses années, la question de la preuve de l'originalité n'a pas soulevé de difficulté. Tout en ayant à l'esprit le principe selon lequel il appartient à l'auteur de caractériser l'originalité de son œuvre, les tribunaux faisaient preuve de souplesse. Ainsi existait de fait une sorte de présomption d'originalité pour les œuvres dont la protection était sollicitée en justice. Le débat sur l'originalité ne trouvait lieu à s'appliquer que pour les créations se situant à la marge de la protection du droit d'auteur, soit en raison de leur vocation principalement utilitaire (œuvres des arts appliqués), soit parce qu'elles empruntent au réel l'essentiel de leur substance (certaines catégories de photographies). Par ailleurs, dans le cadre de litiges portant sur des séries d'œuvres comportant des caractéristiques communes, les juges s'autorisaient à apprécier l'originalité « en bloc » et non œuvre par œuvre. La situation a cependant changé depuis une dizaine d'années, à la faveur d'un durcissement jurisprudentiel sur la question de la charge de la preuve de l'originalité. Les juridictions françaises exigent en effet désormais que le demandeur, dès le stade de l'assignation, démontre l'originalité de chacune des œuvres pour lesquelles la protection est revendiquée, originalité qu'il incombe ensuite au juge d'apprécier de manière motivée œuvre par œuvre, sans généralisation possible. Or, dans le cadre de contentieux « de masse » portant sur plusieurs centaines, plusieurs milliers, voire plusieurs dizaines de milliers d'œuvres contrefaites, la preuve de l'originalité de chacune des œuvres devient, pour le demandeur, un obstacle insurmontable, tant matériellement qu'en termes de coût, et, pour le défendeur, un argument opportuniste pour obtenir, de ce seul fait, le rejet des demandes adverses. Paradoxalement, plus la contrefaçon est massive, moins sa sanction peut être recherchée. Il peut en résulter un affaiblissement de la protection accordée par le droit d'auteur et c'est la raison pour laquelle le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique s'est emparé du sujet en lançant en 2018 une mission chargée de retracer l'évolution de la preuve de l'originalité devant les tribunaux et d'envisager des correctifs possibles afin de faciliter l'apport de cette preuve. L'ampleur de la tâche et les circonstances liées à la crise sanitaire ont nécessité une prolongation de cette mission qui rendra ses conclusions à la fin de l'année 2020.

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