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Luc Carvounas
Question N° 21341 au Ministère des armées


Question soumise le 9 juillet 2019

M. Luc Carvounas interroge Mme la ministre des armées sur la situation dramatique de la guerre au Yémen. Voilà quatre ans que ce pays s'enlise dans une guerre civile et régionale, que l'ONU qualifie comme « la pire crise humanitaire du monde ». Combat, bombardement aérien, risque de famine : une économie de guerre s'est implantée. Sur une population de 27 millions d'habitants, 22,2 millions dépendent de l'aide humanitaire. En août 2016, l'ONU recensait plus de 10 000 morts civils et 8 millions de personnes sont menacées par la famine. Alors que des crimes de guerre sont dénoncés par la communauté internationale, que l'Allemagne en octobre 2018 et le Royaume-Uni en juin 2019 ont décidé de geler les exportations d'armes vers l'Arabie saoudite, considérant que ces transactions avec Riyad étaient entachées d'une « erreur de droit » dans le contexte de guerre qui dure depuis près de cinq ans au Yémen, la France continue d'autoriser l'exportation d'armes susceptibles de commettre des crimes de guerre, à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, les deux principaux acteurs de la coalition. Le Sénat américain est allé jusqu'à défier son propre gouvernement, en votant le texte bloquant la vente d'armes à l'Arabie saoudite, conscient des risques encourus pour la population et la potentielle complicité des États exportateurs d'armes. Or si l'on en croit un rapport de 15 pages classé « confidentiel défense » de la Direction du renseignement militaire (DRM), daté du 25 septembre 2018, révélé par Disclose, les armes françaises sont bien présentes dans le conflit yéménite « sur terre, sur mer et dans les airs ». Depuis le début de la guerre, une batterie de canons français Caesar est déployée le long de la frontière saoudo-yéménite. Le canon Caesar, monté sur un châssis de camion, peut tirer six obus par minute, dans un rayon de 42 kilomètres. Le 4 juillet, Mme la ministre assurait que ces canons n'occupaient que des positions défensives. Or la Direction du renseignement militaire y précise que ces canons Caesar déployés le long de la frontière avec le Yémen sont au nombre de « 48 », ajoutant qu'ils « appuient les troupes loyalistes, épaulées par les forces armées saoudienne, dans leur progression en territoire yéménite ». Autrement dit, les tirs de canons français ouvrent la voie pour les blindés et les chars déployés au Yémen, donc pas uniquement dans le cadre d'une action défensive. S'appuyant sur une carte baptisée « Population sous la menace des bombes », le renseignement militaire français estime par ailleurs que « 436 370 personnes » sont « potentiellement concernées par de possibles frappes d'artillerie », y compris donc par les tirs de canons français. En croisant les zones de tirs des canons Caesar indiquées sur la carte de la DRM, avec les informations fournies par la base de données de l'ONG Acled (Armed Conflict Location and Event Data Project) qui recense tous les bombardements au Yémen, il est constaté qu'entre mars 2016 et décembre 2018, 35 civils sont morts au cours de 52 bombardements localisés dans le champ d'action des canons français. Ces exportations s'effectuent donc en violation de la position commune de l'Union européenne interdisant le transfert de matériel militaires et de l'article 6 du Traité sur le commerce des armes (TCA) qui interdit toute vente dès lors que les matériels concernés pourraient servir à conduire des « attaques dirigées contre des civils ». Au-delà de la question cruciale de la légalité des agissements de la France, la vie de la population civile yéménite est en jeu. L'opacité des autorisations d'exportations et des systèmes d'octroi des licences rend difficilement possible le contrôle de la légalité des exportations d'armement au regard du droit international. Il lui demande donc quelles mesures elle compte mettre en œuvre pour mettre fin à la vente d'armes aux pays engagés au sein de la coalition contre le Yémen, afin de respecter les engagements internationaux de la France.

Réponse émise le 18 février 2020

Le principe de prohibition régit la politique menée par la France en matière d'exportation d'armement pour l'exportation de matériels de guerre et assimilés vers les territoires non-membres de l'Union européenne, ainsi que les territoires exclus du territoire douanier de l'Union européenne sans autorisation préalable (article L. 2335-2 du code de la défense). Le Premier ministre est l'autorité qui délivre les autorisations préalables d'exportation, après avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG). Par leur objet même, qui est de fournir des États en équipements militaires, ces autorisations relèvent indissociablement de la politique étrangère de la France. La délivrance de ces autorisations repose sur un ensemble de considérations liées, au premier chef, au respect de nos engagements internationaux, ainsi qu'aux enjeux de stabilité et de sécurité régionales ou internationales, à la lutte contre la prolifération, à la protection de nos forces et de celles de nos alliés. Elle prend en compte par ailleurs, les enjeux économiques, industriels et de renforcement de notre base industrielle et technologique de défense, qui sont l'une des conditions de notre autonomie stratégique et de notre souveraineté. Le respect de la position commune de l'Union européenne 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologies et d'équipements militaires, et du Traité sur le commerce des armes (TCA) entré en vigueur le 24 décembre 2014 est systématiquement observé dans la mise en œuvre de la réglementation relative aux exportations d'armement. A ce titre, le TCA rappelle dans son préambule, le principe du « respect de l'intérêt légitime reconnu à tout État d'acquérir des armes classiques pour exercer son droit de légitime défense [1] et contribuer à des opérations de maintien de la paix, et de produire, exporter, importer et transférer des armes classiques ». La France, à partir d'une évaluation in concreto, apprécie donc, avant toute autorisation, s'il existe un risque manifeste ou prépondérant que les matériels de guerre soient utilisés pour commettre, notamment, des violations graves des droits de l'Homme ou du droit international humanitaire. Or, cette appréciation in concreto est menée dans le cadre de la conduite par le Gouvernement des relations internationales de la France. Elle implique en effet, d'une part, une connaissance précise, acquise par un dialogue avec l'État importateur et grâce à des capacités de renseignement nationales ou d'États partenaires, de l'utilisation que pourraient faire les forces de l'État importateur des matériels livrés et de la façon dont les forces, si elles sont effectivement engagées dans un conflit armé, appliquent les principes de distinction, de proportionnalité, de nécessité et de précaution qui sont au fondement du droit international humanitaire sur les théâtres concernés. Elle inclut, d'autre part, le choix de mettre en place d'éventuelles mesures de remédiation du risque de violation des droits de l'Homme ou du droit international humanitaire (formation, accompagnement à l'appropriation des méthodes et doctrines d'emploi du matériel, restrictions d'usage, démarches diplomatiques etc…), conformément au TCA. Ainsi cette appréciation, qui est propre à chaque État, peut différer en fonction de sa connaissance de la situation comme des liens qu'il entretient avec l'Etat client (exemple, accord de défense entre l'Etat exportateur et l'Etat client constituant un engagement international). En outre, concernant les licences antérieurement délivrées, le TCA invite simplement les Etats parties à revoir ces licences en cas d'informations nouvelles dont ils auraient connaissance. De même, l'article L. 2335-4 donne uniquement les moyens à l'autorité administrative de suspendre les autorisations accordées dans certains cas sans pour autant en faire une obligation. S'agissant de la guerre au Yémen, comme pour chaque crise régionale, une attention particulière est portée pour discerner, lors de l'instruction de toute demande d'autorisation, l'ensemble des risques et leurs conséquences potentiellement négatives, en conformité avec les engagements internationaux de la France. Le processus de la CIEEMG reposant sur une analyse au cas par cas systématique des demandes de licence, il permet, dans ce contexte, de cibler spécifiquement les matériels susceptibles d'appuyer l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis dans leur combat contre le terrorisme et pour la sécurité de leur pays. En l'occurrence, il apparaît tout à fait légitime d'autoriser certaines exportations et de considérer, le cas échéant, des mesures de remédiation des risques d'utilisation inappropriée, conformément aux règles et principes fixés par le droit international applicable. La France est particulièrement vigilante sur les risques de détournement vers des tiers des armes exportées, d'emploi d'armements à l'encontre des populations civiles ou dans des conditions contraires au droit international humanitaire. La France soutient pleinement les efforts et l'action diplomatique déployés par l'Envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen lors du processus de Stockholm et pour l'adoption des résolutions 2451 et 2452. Elle salue la mise en place d'une trêve et encourage l'établissement d'un cadre de négociation en vue d'un règlement global pour ce pays. En appui des négociations menées sous l'égide des Nations Unies, la France, en coordination avec ses alliés européens et américains, poursuit un dialogue déterminé avec les autorités des pays engagés dans le conflit, ainsi qu'avec la partie houthie, afin qu'une solution politique mettant fin aux hostilités soit trouvée au plus vite. [1] L'article 51 de la Charte des Nations Unies établit un « droit naturel de légitime défense » des Etats.

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