Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Luc Carvounas
Question N° 21756 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 23 juillet 2019

M. Luc Carvounas attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur la réponse du Gouvernement à l'augmentation croissante des féminicides. La ministre de la justice a annoncé tout récemment souhaiter instaurer la généralisation du port du bracelet électronique. Cette annonce doit être saluée, dans la mesure où cela fait de nombreuses années que son efficacité est démontrée en Espagne où le nombre de féminicides a considérablement diminué. Toutefois, il est à redouter que cette annonce soit faite pour calmer une opinion publique choquée face à l'inaction de l'État, particulièrement après la médiatisation récente du 74e féminicide de l'année, sans qu'une réelle réflexion soit menée afin d'aboutir à l'éradication des violences de masse contre les femmes. Une loi prise dans la précipitation ne saurait être à la hauteur de l'enjeu face auquel nous sommes. En effet, aujourd'hui une femme décède tous les trois jours sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon, pour une moyenne d'environ 140 meurtres chaque année. Si la généralisation du port du bracelet électronique semble être une mesure adaptée et nécessaire, elle ne constitue qu'une réponse partielle au problème, d'une part, cette mesure serait généralisée sans avoir été soumise à une expérimentation au préalable - expérimentation pourtant prévue depuis 2010 et d'autre part, une telle mesure de sûreté intervenant avant toute information judiciaire et jugement pourrait porter atteinte à certains principes constitutionnels, notamment la présomption d'innocence. Plus encore, la lutte contre les féminicides doit passer avant tout par la formation des agents de police judiciaire et gendarmes pour une prise en charge des femmes en danger. Avant de mettre en place des mesures répressives à l'encontre des agresseurs, ce sont surtout des mesures de protection pour les femmes en danger qui devraient être instaurées. Leila, assassinée la semaine dernière par son mari, avait porté plainte la veille de sa mort pour violences conjugales. Cela fait des années que des études et rapports ont montré que la grande majorité des femmes sont découragées de déposer une plainte car elles doivent faire face à des remarques sexistes, voient les faits être minimisés ou encore s'entendent dire qu'elles ont peut-être provoqué le comportement de leur agresseur. Si un rapport a été demandé pour déceler les points faibles de la procédure, la priorité est de changer radicalement l'accueil des femmes dans les commissariats et gendarmeries. Le port du bracelet électronique mérite d'être généralisé, du moins expérimenté, mais cette mesure ne peut être mise en place et ne saurait être efficace si le simple dépôt de plainte ou de main courante ne peut se faire de manière normale. En outre, les bonnes intentions ne suffisent pas et c'est avant tout un véritable budget qui pourra faire avancer ce combat. À titre d'exemple, les deux bracelets électroniques qui ont été utilisés depuis 2010 n'ont pas empêché la mort des femmes qu'ils devaient protéger. L'une n'a pas eu le temps d'actionner son alarme et l'autre a été assassinée avant que les forces de police n'arrivent sur place. Il faut que les policiers et gendarmes aient suffisamment de moyens et une formation spécifique pour pouvoir répondre à ce fléau. Il lui demande donc quelles mesures seront prises pour que les femmes en danger soient prises en charge plus rapidement et plus efficacement dans les commissariats et gendarmeries.

Réponse émise le 10 mars 2020

La lutte contre les féminicides est une priorité absolue. Le Gouvernement et les services de l'État agissent déjà sur plusieurs volets contre ce phénomène grave et inacceptable. En matière de connaissance et de conceptualisation du phénomène, la délégation aux victimes du ministère de l'intérieur, entité mixte direction générale de la police nationale et de la direction générale de la gendarmerie nationale élabore une étude annuelle précise et exhaustive relative aux morts violentes survenues au sein du couple. Ses conclusions permettent de dégager des profils de victimes ou d'auteurs à risque et de mieux connaître les circonstances de ces meurtres. Des recherches scientifiques axées sur la prévention sont parallèlement menées aux côtés du centre national de la recherche scientifique, dans le cadre d'un projet européen de recherche sur les violences intrafamiliales baptisé IMPRODOVA (Improving Frontline Responses to High Impact Domestic Violence). Par ailleurs, depuis novembre 2018, le portail de signalement des violences sexuelles et sexistes assure également à ces victimes un accueil numérique et personnalisé. En outre, il permet de faciliter le dépôt de plainte ou une prise en charge sociale, juridique et psychologique des femmes victimes de violences conjugales. Il est apparu toutefois impératif de donner une nouvelle dynamique à la lutte contre ce fléau. Pour y parvenir, le Gouvernement a initié, entre le 3 septembre et le 25 novembre 2019, un « Grenelle » consacré à la lutte contre les violences conjugales. Cette synergie s'est également traduite au niveau local par l'organisation de nombreux évènements, réunions de travail et échanges, impulsés par les préfets dans tous les départements. Cette mobilisation exceptionnelle des acteurs, institutionnels comme membres de la société civile, a permis de faire émerger plus de 60 propositions issues des 11 groupes de travail thématiques. Ainsi, en cas de sollicitation des forces de l'ordre au domicile comme au sein des brigades et commissariats, une évaluation du danger est systématiquement effectuée afin de pouvoir apporter à la victime les solutions adaptées et mobiliser les services partenaires (services sociaux, associations, etc.). La prise de plainte des victimes de violences conjugales est également facilitée au sein des établissements hospitaliers. Les policiers et gendarmes vont être également mieux formés à la prise en charge de ces victimes. Des formations interprofessionnelles sont déployées en lien avec l'école nationale de la magistrature depuis la fin de l'année 2019. Localement, des formations régulières regroupant magistrats, gendarmes et policiers sont également développées afin d'échanger sur les volets juridiques et procéduraux, les attentes et difficultés rencontrées par chacun de ces acteurs. Les victimes seront également mieux accompagnées. 80 postes supplémentaires d'intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie seront ainsi créés dans les prochains mois, sous le pilotage du secrétariat général du comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Ces intervenants sociaux, véritables urgentistes de l'action sociale, interviennent en complément de l'action des forces de l'ordre. Leurs fonctions d'appui dans l'accompagnement social des victimes de violences conjugales et de relais entre les forces de l'ordre et les autres partenaires des secteurs sociaux, juridiques, judiciaires, médicaux et médico-psychologiques ont été tout particulièrement soulignées à l'occasion des travaux menés dans le cadre du Grenelle. Enfin, afin de faciliter la mise à l'abri, dans l'urgence, des femmes victimes de violences conjugales, une convention de partenariat interministérielle signée en décembre 2019 prévoit l'ouverture aux forces de l'ordre d'une plateforme de géolocalisation des places d'hébergement d'urgence et d'insertion. D'autres travaux sont en cours afin de veiller à la mise en application des mesures issues de ce Grenelle, à l'instar du dispositif électronique anti-rapprochement, adopté par la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille. La mobilisation des services de l'État concernés se poursuit donc au-delà du Grenelle et sur l'ensemble des territoires.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.