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Michel Larive
Question N° 22254 au Ministère de la justice


Question soumise le 6 août 2019

M. Michel Larive attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur l'augmentation constatée des cas de manquements au devoir de probité de certains élus. Le manquement au devoir de probité concerne des faits tels que la concussion, la corruption passive, le trafic d'influence, la prise illégale d'intérêts, les atteintes à la liberté d'accès, et à l'égalité des candidats, dans les marchés publics et les délégations de service public, ainsi que la soustraction et le détournement de biens. Malheureusement, comme le déplorent ses collègues MM. les députés Ugo Bernalicis et Jacques Maire dans leur récent rapport, les statistiques des services de police et de gendarmerie sur les escroqueries et infractions économiques et financière (EIEF) ne recensent pas les atteintes à la probité. En revanche le rapport annuel 2018 de l'Observatoire de la Société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL) lui, relève que sur la période de 2001 à 2014, le nombre d'élus poursuivis dans des affaires de manquement au devoir de probité est passé de 315 sur la mandature 2001-2008, à 597 sur la mandature 2008-2014, soit une progression de 89,5 %. Il s'agit de la première cause des poursuites engagées contre les élus locaux. Elle est invoquée dans 32 % des affaires. Le nombre d'élus condamnés était de 164 sur la période 2001-2008, et de 250 sur la période 2008-2014, soit une progression de 52,4 %. Les projections sur la mandature en cours ne prévoient pas de baisse significative du nombre de cas recensés. Or ce type de délits, au-delà de leur caractère incontestablement immoral, nuit considérablement au lien de confiance entre la population et ses élus, et fait partie des causes importantes de la crise démocratique actuelle. Les affaires récentes impliquant des personnalités politiques connues ont eu un effet particulièrement dévastateur sur l'opinion publique. Malgré cela, les moyens mis en œuvre par les gouvernements successifs, pour juguler ce phénomène, paraissent bien insuffisants. Cette absence de mesures déterminantes pour faire reculer le phénomène conforte un certain nombre de citoyens dans leur sentiment que les élus feraient preuve d'une forme de complaisance inacceptable vis-à-vis de ces délits. Il est regrettable par exemple, que le bilan de la mission interministérielle d'enquête sur les marchés (MIEM) créée en janvier 1991, pour succéder à la brigade interministérielle d'enquêteurs, soit si médiocre. En effet selon le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale du 5 octobre 2011, la MIEM « n'a pas conduit plus d'une dizaine d'enquêtes par an » entre 1992 et 2001. Lors de sa suppression en 2012, la MIEM n'exerçait déjà plus aucune activité depuis plusieurs années. Autre exemple, celui de l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) créé en 2013, au sein de la direction centrale de la police judiciaire. Selon le référé n° S2018-3520 de la Cour des comptes datant de décembre 2018, l'OCLCIFF « peut être considéré comme étant saturé ». Le document indique que les différents services peinent à recruter du personnel spécialisé dans les domaines de la délinquance économique et financière. Il pointe du doigt « une organisation fragmentée, et un effort important consacré à un nombre restreint d'affaires, au détriment de la délinquance de moyenne importance, qui fait l'objet d'une attention insuffisante au regard de son impact sur le tissu économique et social ». Quant à l'Agence française anticorruption (AFA), créée en décembre 2016 par la loi Sapin II, rien ne semble indiquer qu'elle va révolutionner le domaine de la lutte contre ce type de délits. Les dispositifs de prévention des atteintes à la probité prévus dans la loi Sapin II ne sont encore que très peu appliqués. Environ 20 % seulement des communes et des EPCI concernés ont un référent déontologue, selon le directeur adjoint de l'AFA. En 2018, l'agence n'aurait effectué que 43 contrôles, dont 15 sur des acteurs publics, qui n'ont donné lieu à aucune saisine de la Commission des sanctions. Avec un plafond de recrutement de 70 agents seulement, il paraît raisonnable de penser que l'AFA ne peut pas faire beaucoup mieux. Pour finir, l'introduction par la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique d'une peine d'inéligibilité pour les élus condamnés pour manquement au devoir de probité n'aura de sens que si l'autorité publique se donne vraiment les moyens de déceler ces délits et d'en condamner les auteurs. Dans l'état actuel de délabrement des capacités de détection des manquements au devoir de probité, cette disposition législative restera sans effet. Il lui demande de confirmer ou non ce constat de l'augmentation des cas de manquement au devoir de probité des élus, et souhaite connaître les mesures qu'elle compte prendre pour enrayer ce phénomène, qui contribue à générer de la défiance vis-à-vis du monde politique et porte parfois lourdement atteinte au budget des collectivités territoriales.

Réponse émise le 10 décembre 2019

La prévention, la détection et la répression des atteintes à la probité est une priorité du ministère de la justice illustrée par les nombreuses réformes législatives et actions mises en œuvre ces dernières années. L'objectif prioritaire de sanctionner les manquements à la probité a encore été réaffirmé par la circulaire de politique pénale du 21 mars 2018. Ainsi, dans la continuité de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique qui a notamment instauré la HATVP, précisé les conditions de la déclaration de patrimoine, défini la notion de conflit d'intérêt et prévu la déclaration d'intérêts des membres du Gouvernement, la loi du 6 décembre 2013 a créé un Parquet national financier, spécialisé dans un nombre limité d'infractions, dont les atteintes à la probité. En 5 années d'existence, le PNF a su s'imposer dans le paysage institutionnel judiciaire français ainsi qu'à l'international comme partenaire des autorités répressives étrangères. Au 15 décembre 2018, le PNF avait 513 procédures en cours et 47 % d'entre elles portaient sur des atteintes à la probité. Puis, la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique a institué l'Agence française anticorruption (AFA), service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice et du ministre chargé du budget, ayant pour mission d'une part d'aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits d'atteintes à la probité, d'autre part de contrôler l'effectivité du dispositif de prévention de ces atteintes, rendu obligatoire pour les sociétés de plus de 500 salariés et les établissements publics industriels et commerciaux. Elle a par ailleurs instauré un statut général de protection du lanceur d'alerte visant là encore à améliorer la détection des atteintes à la probité. Enfin, la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a étendu la peine complémentaire obligatoire d'inéligibilité, renforcé le contrôle de l'activité des représentants d'intérêts, introduit une obligation pour les candidats à l'élection présidentielle de déclarer leurs intérêts et leur activité. Elle a également introduit une procédure de contrôle préalable à la nomination des ministres, afin que le Président de la République et le Premier Ministre puissent solliciter la HATVP et l'administration fiscale sur la base des éléments dont elles disposent pour s'assurer que les personnes envisagées ne sont pas dans une potentielle situation de conflit d'intérêts et ont bien satisfait aux obligations de déclaration et de paiement de l'impôt. Elle a enfin renforcé la prévention des conflits d'intérêts des parlementaires, en complétant l'article LO 146 du code électoral listant les fonctions incompatibles avec le mandat de parlementaire. Pour accompagner ces réformes, le ministère de la Justice a diffusé plusieurs circulaires d'application. La détection des faits d'atteintes à la probité a, par ailleurs, été améliorée par l'introduction à l'article R 561-18 du code monétaire et financier de l'obligation, pour les acteurs financiers et non financiers assujettis à la lutte anti-blanchiment, d'exercer des mesures de vigilance spécifiques à l'égard de leurs clients exposées à des risques particulièrement élevés de blanchiment de capitaux, notamment de corruption, en raison des fonctions politiques, juridictionnelles ou administratives qu'elles exercent ou ont exercé. Ces dispositions sont entrées en vigueur au 1er octobre 2018 et ont été accompagnées, à l'attention du secteur financier, par l'édiction de lignes directrices par l'Autorité prudentielle de contrôle et de régulation précisant leurs modalités d'application. Le ministère de la Justice demeure attentif au suivi et à l'évaluation de ces nouveaux dispositifs, et mobilisé tant sur le volet détection et prévention que sur le volet répression des atteintes à la probité.

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