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Jean-Carles Grelier
Question N° 29639 au Ministère de la justice


Question soumise le 19 mai 2020

M. Jean-Carles Grelier attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les crises qui, depuis le début de l'épidémie, frappent de plein fouet l'univers judiciaire et carcéral. Depuis le 16 mars 2020, les tribunaux français tournent au ralenti. Ces derniers sont contraints de se pencher uniquement sur les affaires prioritaires (urgences pénales et civiles). Leurs missions régaliennes avaient déjà été ébranlées, faut-il le rappeler, par les mouvements sociaux et les longues grèves d'avocats qu'ils portaient en leur sein. Par la force des choses, les dossiers s'empilent massivement et prennent un retard considérable. En forme de démonstration, rien que dans les juridictions relevant de la cour d'appel de Paris, ont déjà été repoussées l'équivalent de 64 semaines d'assises. Bien que pressés par les péripéties s'accumulant, les choix de l'administration officiant sous l'autorité de Mme la ministre n'en restent pas moins contestables. Rien qu'en ce qui concerne la capitale, M. le procureur de la République prévoit tout bonnement de classer sans suite plus de 1 300 dossiers correctionnels. Une réorientation opérée sous l'égide de la Chancellerie, dont une missive incite l'ensemble des juridictions pénales à déclarer sans suite toute affaire pendante considérée comme secondaire. Des prescriptions éminemment critiquables, auxquelles il faut ajouter les choix du Gouvernement concernant les détentions provisoires. L'article 16 de l'ordonnance du 23 mars 2020 (loi n° 2020-290) proroge, en effet et de plein droit, les délais maximums des assignations à résidence ainsi que des détentions provisoires. Au terme de la loi, lorsque la peine d'emprisonnement encourue est inférieure ou égale à cinq ans, ces délais sont prolongés de deux mois. Dans les autres cas, si la peine d'emprisonnement encourue est supérieure à cinq ans, les délais sont prolongés de trois mois. Concernant le traitement des affaires relevant de la cour d'appel, en matière correctionnelle et criminelle, la prolongation sera de six mois. Cette différence manifeste de traitement interroge, car même devant les juridictions du second degré, le droit au respect de la présomption d'innocence des prévenus et accusés subsiste : l'existence d'une condamnation en première instance ne peut justifier l'amenuisement de ce droit fondamental du justiciable. Une circulaire datant du 26 mars 2020 précise par ailleurs que l'ensemble de ces prolongations pourront être ordonnées en dehors de tout contrôle d'un juge. Quand bien même cet article 16 de l'ordonnance du 23 mars 2020 a été déclaré valide par le Conseil d'État (ordonnance du 3 avril 2020), les différentes pratiques qu'il rend possibles soulèvent de légitimes inquiétudes. Dans le vaste champ des libertés individuelles, sont ici menacés : le droit à un procès équitable (article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme), le droit à la sûreté (article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) et enfin, comme évoqué précédemment, le droit à la présomption d'innocence (article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen). Les pouvoirs publics, en principe et sous l'arbitrage du Président de la République, se doivent de fonctionner de manière régulière (article 5 de la Constitution). Pour bien des raisons le fonctionnement de cette autorité judiciaire, pourtant gardienne des libertés individuelles (article 66 de la Constitution), apparaît aujourd'hui comme enrayé. Il lui demande donc comment, compte tenu des évènements, la régularité imbue à l'institution publique judiciaire ainsi que les droits fondamentaux des citoyens français pourront être garantis.

Réponse émise le 1er septembre 2020

La situation sanitaire a fortement impacté l'activité au sein des tribunaux judiciaires. Pour faire face à cette situation inédite, l'ensemble des juridictions, services et établissements du ministère de la justice ont dû mettre en œuvre des plans de continuation d'activité (PCA). La circulaire du 14 mars 2020 relative à l'adaptation de l'activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19, la circulaire du 26 mars 2020 de présentation des dispositions de l'ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 et la circulaire DACG/DACS/DSJ du 5 mai 2020 relative aux conditions et modalités de la reprise progressive d'activité au sein des juridictions judiciaires à compter du 11 mai 2020, ont permis de répondre à la problématique du nécessaire maintien de la continuité de l'activité pénale durant la crise sanitaire. Au regard de la capacité matérielle et humaine limitée des juridictions, mais aussi de la forte baisse de la délinquance pendant la période de confinement, il était nécessaire de recentrer l'action publique sur les procédures présentant un fort enjeu en termes d'ordre public et nécessitant une réponse judiciaire rapide. Dans ce cadre, ont été privilégiées les procédures de flagrance graves ou les enquêtes préliminaires à enjeux majeurs en termes de direction d'enquête, ainsi que certains contentieux tels que les violences intrafamiliales. Les parquets ont par ailleurs limité les défèrements aux faits pour lesquels une mesure de sûreté, détention provisoire ou contrôle judiciaire, apparaissait indispensable. Pendant toute cette période, l'objectif a été de repenser l'orientation des poursuites et de faciliter au maximum la reprise d'activité normale à l'issue de la pandémie pour ne pas obérer à long terme la capacité de jugement des juridictions. La loi° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, est par ailleurs venue apporter aux règles du code de procédure pénale des adaptations rendues nécessaires par les conséquences de l'épidémie de Covid 19, en ce qui concerne, d'une part, le fonctionnement des cours d'assises, très fortement impacté par cette crise, et, d'autre part, l'audiencement des procédures correctionnelles et contraventionnelles concernant des majeurs ou des mineurs, également gravement perturbé par cette crise, et pour lequel il est apparu nécessaire de procéder à des réorientations. La préoccupation constante du ministère de la justice, comme du gouvernement dans son ensemble, a été de concilier au maximum la nécessité d'adapter les règles de fond de la procédure pénale dans une période exceptionnelle et inédite de crise sanitaire nationale avec la nécessaire garantie des libertés individuelles. A ce titre si l'article 16 de l'ordonnance du 25 mars 2020 avait permis, à compter du 26 mars, des prolongations de plein droit des détentions provisoires afin de limiter la réunion des juridictions répressives au strict nécessaire, la loi du 11 mai 2020 a restreint dans son article 16-1 ces prolongations de plein droit aux titres de détention dont l'échéance intervenait durant la période de confinement et imposé que les détentions criminelles au cours de l'instruction qui avaient fait l'objet d'une telle prolongation durant cette période fassent l'objet d'une nouvelle décision de la juridiction compétente prise après un débat contradictoire. Dans la mesure où il n'était pas possible de rattraper les retards résultant des annulations et renvois d'audiences intervenus pendant la période de confinement, qui ont nécessairement eu des effets « en cascade », l'article 16-1 a maintenu toutefois après le 11 mai, pour les délais de détention en matière d'audiencement, l'application du régime dérogatoire de l'article 16, sous réserve de l'exigence d'une décision expresse de prolongation par la juridiction compétente. Conformément à l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars, ce régime cessera toutefois après la cessation de l'état d'urgence sanitaire désormais fixé au 10 juillet 2020. Toutefois, il est important de préciser que dans deux arrêts rendus le 26 mai 2020, la chambre criminelle de la Cour de cassation a considéré ces dispositions comme contraires à l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme et exigé un examen du juge plus rapproché en matière correctionnelle que celui prévu par l'article 16-1. Dorénavant, la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention doit rendre, dans un délai rapproché courant à compter de la date d'expiration du titre ayant été prolongé de plein droit,  une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention.

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