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Bastien Lachaud
Question N° 30630 au Ministère de la justice


Question soumise le 23 juin 2020

M. Bastien Lachaud interroge Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les circonstances de l'interpellation et de la remise en liberté sans suites judiciaires des militants du mouvement d'extrême-droite « Génération Identitaire », appréhendés Place de la République à Paris, ce samedi 13 juin 2020. Le groupe « Génération identitaire » est depuis longtemps connu des chercheurs et des autorités pour ses positions qui l'apparentent à la frange la plus radicale de l'extrême-droite, professant une idéologie ouvertement xénophobe, raciste et LGBTQIphobe. Les actions du groupe représentent une menace pour l'ordre public d'une gravité suffisante pour que le Gouvernement ait annoncé, en avril 2019, son intention d'étudier les moyens de prononcer sa dissolution, finalement abandonnée. Il s'est fait connaître du grand public pour ses actions coup de poing souvent violentes et fortement médiatisées, à l'image de l'occupation du toit du bâtiment de la caisse d'allocations familiales (CAF) de la Seine-Saint-Denis en avril 2019, du blocage du col de l'échelle (Alpes) en avril 2018, qui a valu à trois responsables du groupe une condamnation à six mois de prison ferme, ou de l'invasion des locaux de l'association SOS méditerranée en octobre 2018, qui s'est soldée par la mise en examen de 22 personnes pour violences en réunion, séquestration, participation à un groupement en vue de commettre des violences et enregistrement et diffusion d'images de violence. Le samedi 13 juin 2020 dans l'après-midi, une douzaine de membres de « Génération Identitaire » a saisi l'occasion de la manifestation antiraciste qui s'est déroulée Place de la République à Paris pour déployer sur le toit d'un immeuble surplombant la place une banderole où figurait l'inscription : «Justice pour les victimes du racisme anti-blanc. White lives matter ». Après être restés sur le toit en question pendant plusieurs dizaines de minutes, les personnes impliquées, neuf membres du groupe au moins, à en juger des photographies que ces individus ont eux-mêmes publiées sur les réseaux sociaux , douze selon la préfecture de police de Paris, ont été appréhendées par les forces de police. Des questions entourent cependant les circonstances de cette interpellation et de son absence de suites. Le caractère tardif de l'intervention des forces de police interroge : les individus en question ont pu pénétrer sur la Place de la République, s'introduire dans un immeuble et déployer une banderole sans être identifiés ou empêchés par les forces de police, qui ne sont intervenues que tardivement, après que des personnes privées aient elles-mêmes démantelé la banderole. Surtout, les suites de l'interpellation ou plutôt son absence de suites suscitent des interrogations légitimes : en effet, le parquet de Paris a indiqué que les membres de « Génération identitaire » n'avaient pas été placés en garde à vue et qu'aucune suite judiciaire n'avait été donnée. Ces faits posent la question du dispositif de sécurité et de la capacité ou de la volonté des forces de police à intervenir. Ils posent surtout la question de la réponse judiciaire à une action illicite menée par un groupuscule d'extrême-droite connu pour son implication dans la propagation de la parole raciste. Les actes commis par les membres de « Génération Identitaire » semblent relever de plusieurs qualifications pour des poursuites : « trouble à l'ordre public », « incitation à la haine raciale », voire « apologie de crime contre l'humanité » si l'on en juge des images montrant au moins l'une des personnes impliquées qui effectuerait un salut nazi. L'on ne peut que s'étonner que ces faits aussi graves, commis par un groupe d'extrême-droite dont le Gouvernement lui-même envisageait il y a un an la dissolution, ne donnent lieu à aucune poursuite. L'absence de garde à vue et de suites judiciaires contre les membres du groupe d'extrême-droite interroge d'autant plus au regard de la fermeté dont les autorités ont fait la preuve à l'égard de manifestation d'une autre nature : un bilan provisoire établi en novembre 2019 établissait que plus de 10 000 gardes à vue avaient été prononcées contre des personnes impliquées dans les manifestations liées au mouvement dit des « Gilets jaunes », plus de 5 000 ayant donné lieu à des poursuites judiciaires. Des personnes chez qui des fouilles préalables avaient attesté la présence d'un simple gilet jaune ou de lunettes de plongée visant à la protection du visage et des yeux ont parfois été placées en garde à vue à titre préventif et poursuivies au motif de la participation à un groupement, en vue de la préparation de violences volontaires, sans qu'aucun fait avéré n'ait corroboré l'intention supposée. Une telle différence de traitement ne peut que susciter des interrogations légitimes, et risque d'éveiller chez les Français l'impression fâcheuse d'un double standard, tendant à discréditer les forces de police et l'institution judiciaire. C'est pourquoi il souhaite apprendre de Mme la ministre les circonstances exactes qui ont entouré l'interpellation des membres de « Génération Identitaire » et les motifs qui ont conduit à leur remise en liberté sans garde à vue ni suite judiciaire.

Réponse émise le 1er septembre 2020

Dans une actualité marquée par les débordements en marge des manifestations, le phénomène des groupuscules violents, d'extrême droite comme de toute obédience, constitue un sujet majeur pour le Gouvernement et pour le ministère de la justice en particulier. La lutte contre les violences et la propagation de discours haineux lors de mouvements collectifs fait l'objet d'une vigilance particulière et des instructions de fermeté sont ainsi régulièrement adressées aux procureurs généraux et procureurs de la République dans le cadre de circulaires rappelant les qualifications pénales susceptibles d'être retenues, et les orientations de politique pénale à privilégier. En effet, l'ensemble des violences et dégradations que ces groupuscules peuvent commettre, ainsi que la haine qu'ils peuvent diffuser dans l'espace public et en ligne sur internet sont susceptibles d'être appréhendées par notre droit pénal général ou dans le cadre du droit de la presse, lequel fixe les limites à la liberté d'expression en en réprimant les abus (propos racistes, antisémites, homophobes ou discriminatoires). Enfin, les incriminations spécifiques telles que notamment les délits d'attroupement, de participation à une manifestation en étant porteur d'une arme, de participation à une manifestation interdite ou de dissimulation volontaire du visage sont également susceptibles d'être poursuivies. Les dissolutions administratives et judiciaires des groupuscules d'extrême droite peuvent également être le cas échéant envisagées, celles-ci étant toutefois enserrées dans des conditions très strictes, qui garantissent de la liberté d'association. S'agissant des suites judiciaires réservées aux faits commis lors de la manifestation du 13 juin 2020, il doit être rappelé qu'en application de l'article 1er de la loi du 25 juillet 2013, il n'appartient pas au ministre de la Justice, de donner quelque instruction que ce soit aux parquets dans le cadre de dossiers individuels, ni d'interférer dans les procédures judiciaires, en raison des principes constitutionnels de séparation des pouvoirs et d'indépendance de l'autorité judiciaire. Néanmoins, il peut être indiqué que selon les informations transmises par le parquet général de Paris aucune mesure de garde à vue concernant des militants du groupuscule « génération identitaire » n'est intervenue faute d'infraction relevée à leur encontre. A ce titre, il est souligné que si le déploiement de la banderole portant l'inscription : « Justice pour les victimes du racisme anti blanc » était de nature à créer un trouble à l'ordre public, il ne semblait pas pour autant, selon l'analyse du parquet de Paris, constituer une infraction pénale. En revanche, les débordements constatés lors de cette manifestation ont conduit aux placements en garde à vue de 23 personnes pour des faits d'outrages, dégradations et violences aggravées sur dépositaires de l'autorité publique.

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