Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Séverine Gipson
Question N° 3087 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 21 novembre 2017

Mme Séverine Gipson attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la prise en charge par l'État des dégâts occasionnés sur le domaine public par des manifestations sur les territoires communaux. En effet, l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales dispose que : « L'État est civilement responsable des dégâts et dommages résultat des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée. ». L'application de ces dispositions est donc subordonnée à la condition que les dommages, dont il est demandé l'indemnisation, résultent de manière directe et certaine de crimes ou de délits commis par des rassemblements ou des attroupements précisément identifiés. L'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales ne définit pas les rassemblements ou les attroupements mais la jurisprudence considère cependant qu'il y a attroupement quand, de façon préméditée ou occasionnelle, dans un lieu public ou privé, se trouvent des personnes animées d'un même esprit, groupées ou en nombre tel qu'il est de nature à faire disparaître la personnalité de chacun des individus faisant partie du groupe derrière la personnalité propre de celui-ci. Ainsi, de nombreuses communes ont pu connaître des dégâts liés à des manifestations, notamment agricoles, et ont réclamé sur le fondement de cet article une indemnisation à l'État, indemnisation qu'elles n'ont jamais pu percevoir du fait d'une jurisprudence lui permettant de se soustraire à ses obligations. Nombre de communes doivent alors supporter la lourde charge financière correspondant à la remise en état de leur domaine public. Interpellée par de nombreux élus locaux, elle souhaite savoir quelle est sa position concernant cette problématique coûteuse pour les communes et quelles sont les mesures exactes prévues par la loi.

Réponse émise le 21 mai 2019

Le régime de responsabilité à raison des dommages résultant d'attroupements et rassemblements est celui de la responsabilité sans faute de l'Etat, désormais codifié à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, tel que modifié par la loi n° 2019-290 du 10 avril 2019 visant à renforcer et garantir le maintien de l'ordre public lors des manifestations qui dispose que : « L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. L'Etat peut également exercer une action récursoire contre les auteurs du fait dommageable, dans les conditions prévues au chapitre Ier du sous-titre II du titre III du livre III du code civil. Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée ». La mise en œuvre de ce régime spécial est toutefois très encadrée et subordonnée à la réunion de quatre conditions cumulatives : l'existence d'un attroupement ou d'un rassemblement, c'est-à-dire un groupe agissant de manière collective et spontanée, la commission d'un crime ou d'un délit au sens pénal ; l'usage de la violence ou de la force ouverte ; un préjudice direct et certain. Parmi ces conditions, la plus délicate est celle de l'origine des dommages, qui ne doivent pas résulter d'une action préméditée mais spontanée, dans le feu de l'action. Ainsi, dès lors que ces dommages sont le fait de casseurs agissant en marge de la manifestation, ou résultent d'actions délibérées et organisées des manifestants, ils ne peuvent entrer dans le champ de ce régime de responsabilité. De manière constante, dans la jurisprudence, un acte perpétré « dans le cadre d'une action concertée et avec le concours de plusieurs personnes », ne peut être considéré comme découlant d'un attroupement (Tribunal des conflits, 15 janvier 1990, Chamboulive et autres c/Commune de Vallecalle, n° 02607) et n'ouvre pas droit à application de ce régime, réservé à des agissements plus ou moins spontanés et inorganisés issus de mouvements de foule. Le Conseil d'Etat (CE) a toutefois récemment infléchi sa jurisprudence, en appliquant ce régime de responsabilité à des dégradations dont les auteurs, manifestants, avaient utilisé des engins incendiaires et des battes de base-ball et avaient formé des groupes mobiles, conférant ainsi à leur action un caractère organisé, « dès lors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis que cet incendie avait été provoqué par des personnes qui étaient au nombre de celles qui s'étaient spontanément rassemblées, peu de temps auparavant, pour manifester leur émotion après le décès des deux adolescents (…) » (CE, 30 décembre 2016, Société Covea risks, n° 386536) ou à des dégradations sur la voie publique présentant un caractère organisé et prémédité mais dont il ne résulterait pas qu'elles ont été commises « par un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits » (CE, 3 octobre 2018, Cne de Saint-Lô, n° 416352). Ainsi, le caractère prémédité et organisé des dégradations ne suffit donc plus à écarter à lui seul l'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Dans le cas d'une manifestation qui s'accompagne de violences ou de dégradations, c'est le lien avec la manifestation qui est déterminant – ce lien n'étant rompu que lorsque leurs auteurs ne se sont organisés qu'à seule fin de commettre un délit. Compte tenu de cette évolution, étendre le régime de responsabilité sans faute à tous les dommages survenant lors d'un attroupement, y compris ceux ayant pour origine des groupes d'individus n'ayant aucune volonté de manifester mais ayant pour seul objectif de casser ou de piller en marge de manifestations, remettrait en cause les fondements mêmes de ce régime de responsabilité visant la prise en charge par l'Etat d'un risque social bien identifié, en contrepartie de l'exercice d'une liberté. L'absence de responsabilité de l'Etat n'interdit d'ailleurs pas les victimes des dégradations de poursuivre leurs auteurs devant les juridictions civiles ou pénales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette question.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.