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Romain Grau
Question N° 34460 au Ministère auprès du ministre de l’économie


Question soumise le 1er décembre 2020

M. Romain Grau attire l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, sur le contentieux du précompte mobilier. Les contentieux fiscaux initiés contre l'État coûtent très cher au budget de l'État. Le projet de loi de finances pour 2021 en prend acte, prévoyant un budget à la hausse. Un des contentieux qui a le plus marqué les vingt dernières années est le contentieux dit du « précompte mobilier ». Les premières décisions en la matière datent du début des années 2000. Dès cette époque, un ministre en charge du budget avait reconnu devant l'Assemblée nationale que ce dispositif contrevenait au droit communautaire. Le coût du contentieux « précompte mobilier » semblait se stabiliser suite à une décision du 4 octobre 2018 de la Cour de justice de l'Union européenne qui met un terme à une série de jurisprudences sur le dispositif. Ici, le « précompte mobilier » désigne l'ancien régime fiscal de distributions créé en 1965 et supprimé au 1er janvier 2005. Ce dispositif conduisait à verser un précompte à l'État sur les produits distribués sur des sommes non soumises à l'impôt sur les sociétés et permettait aux entreprises bénéficiaires de ces remontées de dividendes de réduire en conséquence leur assiette d'imposition. Ce dispositif ne s'appliquant qu'aux remontés de filiales françaises, il est entré en contradiction avec le droit européen. Comme le souligne la Cour des comptes, « la suppression de l'avoir fiscal et du précompte pour les entreprises aura permis de circonscrire l'ampleur de ce contentieux en arrêtant la perception de l'impôt et en limitant, de fait, les délais de réclamation au 31 décembre 2006. » Après un arrêt du Conseil d'État du 10 décembre 2012 rétablissant une part substantielle des impositions au profit du Trésor, la CJUE, dans un arrêt retentissant, a conclu le litige en donnant raison aux entreprises sur les points les plus importants, et en relevant le manquement du Conseil d'État à son obligation de transmettre une question préjudicielle à la CJUE. Des cours administratives d'appel ont rendu des décisions allant dans le sens du remboursement depuis la décision de 2018 en cause. Aujourd'hui, où en est-on de ce contentieux, sachant que le temps qui passe est, en la matière aussi, un temps qui coûte ne serait-ce qu'en intérêts moratoires ? La durée de ce contentieux s'explique notamment par de nombreux recours de l'État, qui se soldent par des décisions allant pour la plupart dans le même sens. Outre le coût en matière de remboursement, n'y a-t-il pas un risque de voir la responsabilité de l'État engagée, eu égard à ses recours nombreux et qui pourraient apparaître à certains comme étant des mesures dilatoires ? Il lui demande sa position sur ce sujet.

Réponse émise le 16 mars 2021

La persistance du contentieux à l'encontre du précompte mobilier, en dépit des décisions du Conseil d'État des 3 juillet 2009 et 10 décembre 2012 et de deux arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) des 15 septembre 2011 et 4 octobre 2018, n'est pas imputable aux recours de l'État. Sur la vingtaine d'affaires encore pendantes devant le juge de l'impôt français, seules sept affaires relèvent de l'initiative de l'administration et elles tendent légitimement à préserver les finances publiques sur la base d'un argumentaire juridique étayé. Sur le fond, la durée exceptionnelle de ce litige reflète le désaccord des sociétés requérantes sur les modalités de règlement de ce contentieux définies à ce jour par le Conseil d'État et la CJUE. En effet, ces dernières emportent pour elles des dégrèvements inférieurs à leurs attentes. Si les sociétés concernées ont, depuis l'origine du litige, demandé la restitution du précompte payé à l'occasion de la redistribution des dividendes préalablement reçus de leurs filiales européennes, point sur lequel la jurisprudence a fait droit à leur demande, dans de nombreux dossiers, le précompte en litige a été en partie payé lors de la mise en paiement d'autres sommes telles des plus-values ou il l'a été à raison de bénéfices qui n'ont pas été imposés au sein de l'Union européenne ou l'ont été faiblement de sorte que la restitution complète du précompte n'est pas motivée. S'agissant des jalons importants de ce contentieux, outre les décisions précitées du Conseil d'État en 2009 et 2012, il est rappelé qu'en 2013, sept sociétés ont porté plainte devant les services de la Commission européenne contre les arrêts Accor et Rhodia de décembre 2012 du Conseil d'État. Cette procédure a abouti à l'arrêt de la CJUE du 4 octobre 2018, qui a largement confirmé les principes posés par la Haute Assemblée française. Ensuite, les décisions de la Cour administrative d'appel de Versailles intervenues fin 2019 et au cours de l'année 2020 en faveur des sociétés invoquant l'incompatibilité, selon leur analyse, du précompte avec la directive mère-fille, ont abouti à des décaissements de l'ordre de 1,45 Md €, intérêts moratoires compris, en faveur de ces sociétés, soit la restitution de l'intégralité du précompte payé à raison de la redistribution de dividendes de source européenne. Pour autant, les sociétés concernées poursuivent le litige en vue d'obtenir non seulement la confirmation de ces décisions mais des restitutions plus importantes. A cette fin, six d'entre elles ont formé des recours pour excès de pouvoir et une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil d'État en juillet 2020. Elles soutiennent désormais que l'invalidation du précompte au regard du droit européen, qui ne bénéficie qu'aux distributions de source européenne, doit emporter aussi celle du précompte payé à raison de toute autre distribution, en application du principe d'égalité. Par une décision n° 442 224 du 23 octobre 2020, le Conseil d'État a sursis à statuer sur ces recours et saisi la CJUE d'une nouvelle question préjudicielle afin que la CJUE juge si les dispositions de l'article 4 de la directive mère-filles faisaient obstacle à l'application du précompte. Pour le Gouvernement français, la thèse de la non-compatibilité du précompte avec la directive doit être écartée dès lors que ce prélèvement entre dans les prévisions de l'article 7 de cette même directive, qui autorise ce type de dispositif éliminant la double imposition économique des bénéfices. Cette saisine de la CJUE à titre préjudiciel, conséquence de ce nouveau contentieux sur le fond porté par les sociétés requérantes, reporte de nouveau l'issue des contentieux en cours de deux années au moins, étant précisé que, si un éventuel arrêt défavorable de la CJUE n'entraînerait aucun dégrèvement supplémentaire à ceux prononcés en exécution des arrêts que la Cour administrative d'appel de Versailles a rendus en 2019 et 2020, il permettrait aux sociétés concernées de saisir de nouveau la Haute Assemblée d'une question prioritaire de constitutionnalité en vue d'obtenir la restitution de l'intégralité des sommes restant en litige, soit 1,19 Md € au 31 décembre 2020, intérêts moratoires compris. S'agissant par ailleurs du contentieux en responsabilité de l'État du fait de l'activité de la juridiction administrative, il est porté par cinq sociétés qui ont déjà fait l'objet de décisions juridictionnelles devenues définitives et qui demandent réparation du préjudice financier qu'elles estiment avoir subi du fait de ces décisions, sur le fondement de l'arrêt de la CJUE du 4 octobre 2018, sous forme d'une indemnisation équivalant à la restitution de l'intégralité du précompte mobilier dont elles ou les sociétés dont elles ont acquis les créances fiscales litigieuses de précompte se sont acquittées. L'unique manquement du juge de l'impôt retenu par la CJUE dans son arrêt du 4 octobre 2018 est de ne pas avoir saisi la CJUE d'une question préjudicielle relative à la prise en compte de l'imposition subie par les sous-filiales européennes pour apprécier si les requérantes avait payé trop de précompte au regard des principes de liberté d'établissement et de libre circulation des capitaux. Pourtant les sociétés invoquent également, dans le cadre de ce contentieux indemnitaire, la non-conformité du précompte avec la directive mère-filles, pour obtenir la restitution intégrale des sommes en litige. A cet égard le montant de la provision pour ce litige indemnitaire s'élève à 1,221 Md € au 31 décembre 2020.

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