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Danièle Obono
Question N° 38323 au Ministère de l’agriculture


Question soumise le 20 avril 2021

Mme Danièle Obono alerte M. le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur l'action de l'État concernant la contamination au chlordécone des populations et territoires d'outre-mer. Le choix d'une agriculture extensive et productiviste s'est traduit par l'usage de toutes sortes de produits phytosanitaires dont l'un est désormais tristement célèbre : le chlordécone. Les pesticides créés à partir de cette molécule, organochlorés ultra toxiques et ultra-persistants dans l'environnement, ont été massivement utilisés, officiellement durant plus de vingt ans, entre 1972 et 1993, sous les noms commerciaux de Képone, de Curlone et de Musalone, afin de lutter contre le charançon du bananier. Dès 1975, la toxicité du chlordécone était pourtant connue. En effet, un accident industriel, survenu à l'usine de Hopewell, en Virginie, a entraîné l'arrêt définitif de son utilisation aux États-Unis d'Amérique. En 1979 le chlordécone est classé comme cancérogène possible par l'Organisation mondiale de la santé. Pourtant, la France a attendu 1990 pour décider de son interdiction, soit 20 ans après la découverte de la toxicité de la molécule. Aujourd'hui, la contamination des sols est évaluée jusqu'à 7 siècles, selon le profil des sols, par la communauté scientifique. En outre, d'après une étude publiée par Santé publique France en octobre 2018, plus de 95 % des Guadeloupéens et Guadeloupéennes, et 92 % des Martiniquais et Martiniquaises sont contaminés par le chlordécone. L'exposition au produit, également reconnu comme étant un perturbateur endocrinien, augmente les risques de prématurité, de troubles du développement cognitif et moteur des nourrissons ou encore de cancers de la prostate. En septembre 2018, le président Macron a reconnu, symboliquement, la responsabilité de l'État dans l'un des plus gros scandales environnementaux, sanitaires et sociaux français. Mais depuis cette déclaration il n'a entraîné aucune mesure concrète. Ainsi, alors que le chef de l'État avait annoncé la possible reconnaissance comme maladie professionnelle des pathologies résultant de l'exposition au chlordécone dont sont affectés les ouvriers et ouvrières agricoles, ouvrant la voie à une indemnisation des victimes, à ce jour aucun ni aucune ne bénéficie de ce régime d'indemnisation. Mme la députée souhaiterait donc connaître les intentions du ministre de l'agriculture et de l'alimentation quant à l'interdiction totale de l'utilisation, dans l'agriculture, de pesticides et de tous les autres produits toxiques. Elle sollicite également une prise de position concernant la reconnaissance comme maladie professionnelle de pathologies issues de ladite contamination pour que les ouvriers et ouvrières agricoles puissent bénéficier de l'indemnisation. Enfin, elle appelle à la mise en œuvre d'un plan autrement plus ambitieux que ceux qui ont jusque-là été annoncés, notamment en matière financière, pour assurer le suivi sanitaire et les soins liés à cette contamination pour l'ensemble des populations martiniquaises et guadeloupéennes, ainsi que la dépollution des sols et la réfection des réseaux de distribution d'eau dont le mauvais état contribue à maintenir l'empoisonnement au travers de la consommation de celle-ci. À cet égard, elle lui demande si la mise à disposition des terres contrôlées par l'État (ONF, etc.) pour les agriculteurs, agricultrices et jardins domestiques, est envisagée.

Réponse émise le 11 janvier 2022

Les produits à base de chlordécone ont été utilisés pour lutter contre le charançon du bananier dans les Antilles entre 1972 et 1993. Près de 30 ans après la fin de leur utilisation, la chlordécone se retrouve toujours dans les sols et les eaux, du fait de la forte stabilité de cette molécule. Face à ce constat, et en réponse aux très fortes préoccupations exprimées par la population concernant les effets de la pollution par la chlordécone qui constitue un enjeu sanitaire, environnemental, agricole, économique et social majeur en Martinique et en Guadeloupe, l'État a mis en place des plans d'actions successifs : le premier de 2008 à 2010, le second de 2011 à 2013, le troisième de 2014 à 2020. Fort des enseignements tirés de ces trois premiers plans, le quatrième plan chlordécone est en cours à compter de 2021, et jusqu'en 2027. Il a été élaboré dans une volonté de co-construction sur la base de propositions formulées par les services de l'État, les collectivités, la société civile et les organisations professionnelles, ainsi que des propositions de la commission d'enquête parlementaire menée en 2018 sur l'évaluation de la chlordécone et du paraquat. Ce plan vise à poursuivre et à renforcer les mesures déjà engagées pour réduire l'exposition des populations à la chlordécone en Guadeloupe et en Martinique, ainsi qu'à déployer des mesures d'accompagnement adaptées, tout en veillant à répondre aux besoins de la population. À ces fins, le plan d'actions chlordécone IV a été doté d'un budget prévisionnel inédit de 92 millions d'euros, soit un montant équivalent à la totalité du budget mobilisé pour les trois plans précédents. S'agissant de la reconnaissance comme maladie professionnelle des pathologies issues de la contamination, plusieurs actions sont déjà engagées pour améliorer la prévention et la prise en charge des maladies professionnelles en lien avec l'exposition à la chlordécone et autres pesticides. Le fonds d'indemnisation est, à ce titre, ouvert depuis fin 2020 pour les salariés, exploitants agricoles actifs, retraités et enfants exposés de façon prénatale. Les ouvriers et exploitants agricoles atteints de la maladie de Parkinson et du lymphome non hodgkinien peuvent d'ores et déjà bénéficier de la présomption d'origine au titre des deux tableaux existant dans le régime agricole. En ce qui concerne la problématique du cancer de la prostate, la Commission supérieure des maladies professionnelle en agriculture (COSMAP), réunissant les partenaires sociaux agricoles et des experts, chargés de proposer ou de donner un avis sur la création ou la révision des tableaux de maladie professionnelle du cancer de la prostate provoqué par les pesticides. Cette proposition, votée unanimement par les partenaires sociaux, prend notamment en compte l'exposition à la chlordécone aux Antilles. Il revenait au Gouvernement de prendre en compte, par décret, cette proposition de la COSMAP. Ce tableau, particulièrement attendu aux Antilles, constitue un engagement du Président de la République et a été créé par un décret signé du 20 décembre 2021, comme le ministre de l'agriculture et de l'alimentation l'a annoncé au sénat le 21 octobre dernier. En ce qui concerne la qualité sanitaire des terres agricoles et des jardins domestiques, le quatrième plan chlordécone intègre des mesures fortes visant à assurer un contrôle de la teneur en chlordécone des sols et des productions agricoles, tant domestiques que professionnelles. Des analyses sont ainsi effectuées dans les jardins familiaux utilisés en vue d'une production alimentaire. Un service d'analyses gratuites de sols, d'eau et de fourrages à destination des professionnels de l'agriculture et de l'élevage est également proposé. Ces mesures ont pour objectif de permettre aux particuliers et agriculteurs de gérer le risque lié à la chlordécone et d'adapter leurs pratiques pour garantir la qualité sanitaire de leurs productions, par exemple en privilégiant des cultures peu propices à la concentration de chlordécone. Ces mesures ont également pour but d'améliorer la connaissance de la contamination des sols en intégrant l'ensemble des données d'analyses de sols dans un outil de cartographie qui contribuera ainsi à adapter au mieux les mesures de protection en fonction des niveaux d'exposition des populations. Enfin, s'agissant de l'usage de pesticides en agriculture, les territoires ultramarins comme métropolitains sont pleinement impliqués dans la transition agroécologique, au travers notamment du plan Écophyto II+, qui vise à réduire les usages en matière de produits phytopharmaceutiques ; une évolution qui reposera sur des mutations profondes des systèmes de production et des filières que l'État accompagne notamment au travers du plan France relance, du programme des investissements d'avenir (PIA4) et du plan d'investissement France 2030. Il s'agit de promouvoir auprès des agriculteurs ultramarins de nouvelles pratiques agricoles pour garantir aux populations l'accès à une alimentation locale, saine et durable.

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