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Cécile Untermaier
Question N° 40303 au Ministère de la culture


Question soumise le 27 juillet 2021

Mme Cécile Untermaier attire l'attention de M. le Premier ministre sur l'accès aux archives publiques françaises. L'article L. 213-1 du code du patrimoine modifié par la loi n° 2008-696 du 15 juillet 2008 relative aux archives dispose que les archives publiques sont communicables de plein droit. L'article L. 213-2 dudit code dispose que, par dérogation, les archives publiques sont communicables de plein droit après un délai de 50 ans pour « les documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale, aux intérêts fondamentaux de l'État dans la conduite de la politique extérieure, à la sûreté de l'État, à la sécurité publique, à la sécurité des personnes ou à la protection de la vie privée ». Seule l'ouverture des documents relatifs aux armes nucléaires, biologiques et chimiques a été exclue par la loi de 2008. Toutefois, l'article 63 de l'arrêté du 30 novembre 2011 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale a instauré l'obligation d'une procédure préalable de déclassification pour chaque archive : « Quelle que soit la durée d'incommunicabilité affectée au document classifié, sa communication n'est possible qu'après déclassification du document ». De 2011 à 2020, de nombreux services d'archives n'appliquèrent pas cette disposition, se bornant, à raison, à mettre en œuvre les dispositions du code du patrimoine. Au début de l'année 2020, il leur fut néanmoins enjoint de s'exécuter et l'arrêté du 13 novembre 2020 portant approbation de l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale, a confirmé celui de 2011. Cependant, par un arrêt en date du 2 juillet 2021, le Conseil d'État a annulé l'arrêté du 13 novembre 2020. Les archivistes, juristes et de nombreux historiens, dénoncent également cette restriction dans l'accès aux archives contemporaines de la Nation. En effet, le travail mémoriel ne peut s'accommoder de cet obstacle, qui conduit à bloquer l'accès aux documents, entravant ainsi des travaux qui portent sur certains des épisodes les plus controversés du passé récent de la France. L'article 19 du projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement n'arrange en rien ces préoccupations. Sous l'apparence d'une ouverture systématique des archives après 50 ans, il élargit drastiquement le champ des exceptions en établissant quatre catégories de documents qui devront faire l'objet d'une procédure de déclassification. Nombreux seront les documents à rester encore longtemps secrets. Le travail des historiens est en péril : comme l'affirme la lettre ouverte aux parlementaires du 7 juillet 2021, des personnalités de renom, telles Robert Paxton, pionnier des travaux sur le régime de Vichy, « les archives n'appartiennent pas aux seules administrations qui les produisent. Elles sont le bien commun de la Nation. Leur accès ne peut être gouverné par la défiance ou la peur ». Seul l'accès facilité et encadré par le législateur, aux archives, peut garantir un examen transparent et libre de notre histoire récente. Aussi, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer si le Gouvernement envisage de revenir sur le dispositif régressif venant d'être adopté, concernant les documents classifiés de plus de cinquante ans.

Réponse émise le 14 septembre 2021

À la demande du Président de la République, le Gouvernement a engagé en mars dernier un travail législatif visant à répondre aux inquiétudes de la communauté des historiens et à articuler de manière équilibrée la liberté d'accès aux archives et la juste protection des intérêts supérieurs de la Nation par le secret de la défense nationale. Ce travail, auquel le ministère de la culture a été pleinement associé, a permis l'insertion, dans la loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, d'un article qui prévoit désormais que toute mesure de classification mentionnée à l'article 413-9 du code pénal prend automatiquement fin à la date à laquelle le document qui en a fait l'objet devient communicable de plein droit. Par exception, la loi prévoit même l'extinction de facto, à l'issue d'un délai de cinquante ans, des mesures de classification dont peuvent faire l'objet les documents relevant du délai de communicabilité de soixante-quinze ans prévu au 4° du I de l'article L. 213-2 du code du patrimoine. L'objectif de cette mesure est de faciliter encore davantage l'accès aux documents relatifs aux enquêtes réalisées par les services de la police judiciaire et aux affaires portées devant les juridictions qui ne nécessiteront plus d'être déclassifiés en cas de demande individuelle de consultation anticipée ou lors de la mise en œuvre d'une ouverture anticipée de fonds ou de parties de fonds d'archives par arrêté de dérogation générale. Ainsi, dans une écrasante majorité des cas, les documents ayant fait l'objet d'une mesure de classification seront déclassifiés automatiquement, c'est-à-dire sans qu'une décision formelle de déclassification ni qu'un démarquage des documents ne soient nécessaires, à l'issue d'un délai de cinquante ans, et ce au plus grand bénéfice de la recherche historique. La loi du 30 juillet 2021 a, dans le même temps, choisi de renforcer la protection de certaines catégories de documents d'archives, qu'ils soient classifiés ou non, relevant du champ de la souveraineté, de la défense ou de la sécurité nationale, dont la sensibilité subsiste malgré l'écoulement du temps : il s'agit des documents qui sont relatifs à certaines infrastructures sensibles (installations militaires, ouvrages nucléaires, etc.), à la conception technique et aux procédures d'emploi des matériels de guerre et matériels assimilés, à l'organisation, à la mise en œuvre et à la protection des moyens de la dissuasion nucléaire et de ceux qui révèlent des procédures opérationnelles et des capacités techniques de certains services de renseignement. Le législateur a souhaité que le délai de communicabilité de ces documents puisse, le cas échéant, être prolongé à l'issue d'un délai de cinquante ans jusqu'à des termes auxquels ils auront objectivement perdu toute sensibilité (selon les cas, fin d'affectation, fin d'emploi, perte de valeur opérationnelle). Ces dispositions, justifiées par des exigences constitutionnelles de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, ont été adoptées par le Parlement au terme d'un travail de concertation mené par le ministère des armées et le ministère de la culture avec des historiens, des juristes, ainsi que l'association des archivistes français. Le caractère extrêmement ciblé et résiduel des catégories de documents ainsi introduites garantit que l'éventuelle prolongation de leur délai de communicabilité demeure exceptionnelle. Outre la précision avec laquelle ces nouvelles catégories sont définies, la loi entoure l'accès aux documents qui en relèvent – comme d'ailleurs l'accès à tout autre document d'archives non librement communicable – d'importantes garanties. Ainsi, toute personne dispose du droit d'en solliciter un accès anticipé, dans les conditions prévues au I de l'article L 213-3 du code du patrimoine ; le refus d'accès opposé à une demande sur ce fondement est soumis au contrôle entier du juge administratif, lequel a accès au document sollicité pour statuer sur la requête et peut, si le document est classifié, ordonner la saisine de la Commission du secret de la défense nationale. L'administration des archives peut également, après accord de l'autorité dont émanent les documents, décider l'ouverture anticipée de fonds ou de parties de fonds d'archives publiques, comme le prévoit le II de l'article L. 213-3 du même code. Par ailleurs, la loi prévoit désormais explicitement que les usagers sont informés par tout moyen, par les services publics d'archives, des délais de communicabilité des documents qu'ils conservent et de la faculté d'en demander un accès anticipé dans les conditions prévues à l'article L. 213-3. L'autre garantie apportée à l'accès aux archives est l'instruction générale interministérielle n° 1300 sur la protection du secret de la défense nationale publiée par arrêté du 9 août dernier, qui confie aux administrations des archives le soin d'établir, devant le Comité interministériel aux Archives de France réuni en formation spécialisée, un bilan, d'une part, de la mise en œuvre des dispositions introduites dans le code du patrimoine par la loi du 30 juillet 2021 pour la protection de nouvelles catégories de documents, d'autre part, du traitement des demandes de consultation anticipée des documents entrant dans leur champ. Le Gouvernement entend ainsi favoriser une harmonisation à l'échelle interministérielle dans leur mise en œuvre et identifier toute difficulté qui pourrait, notamment, entraver la recherche historique. Rappelons en dernier lieu que les règles de communicabilité modifiées par la loi du 30 juillet 2021 ne sont pas applicables « aux documents n'ayant pas fait l'objet d'une mesure de classification ou ayant fait l'objet d'une mesure formelle de déclassification et pour lesquels le délai de cinquante ans prévu au 3° du I de l'article L. 213-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, a expiré avant l'entrée en vigueur du présent article » et « aux fonds ou parties de fonds d'archives publiques ayant fait l'objet, avant l'entrée en vigueur du présent article, d'une ouverture anticipée conformément au II de l'article L. 213-3 du code du patrimoine ». Ces dispositions transitoires témoignent elles aussi de ce que la logique d'un contingentement au plus juste des intérêts à protéger a primé dans l'écriture de la loi. Pour ces raisons, le Gouvernement n'entend pas revenir sur le dispositif législatif d'équilibre mis en place par la loi du 30 juillet 2021.

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