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Ugo Bernalicis
Question N° 7802 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 24 avril 2018

M. Ugo Bernalicis appelle l'attention de M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur la nécessaire régulation des activités privées de sécurité. Il déplore mais prend acte de la volonté du Gouvernement d'opérer un transfert progressif des missions de sécurité au profit du secteur privé. Co-production de service, continuum de sécurité, les expressions employées sont multiples mais la réalité est simple : un désengagement de l'État au profit des sociétés privées de sécurité est à l'œuvre. Le Gouvernement avance progressivement sur ce sujet d'une part par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, avec la création de périmètres de protection, et d'autre part avec l'extension de la possibilité, pour certains agents de sécurité privée, de porter une arme par le décret n° 2017-1844 du 29 décembre 2017 relatif à l'exercice de certaines activités privées de sécurité avec le port d'une arme. Les agents de sécurité privée sont progressivement dotés de prérogatives de plus en plus importantes ; un marché se constitue, estimé à 6,6 milliards d'euros en 2016. Le libéralisme à outrance qui guide le Gouvernement le conduit à privatiser l'exercice même de la violence physique légitime, qui, comme l'analysait Max Weber, est l'élément constitutif de l'État. Monsieur le député ne partage pas la volonté du Gouvernement et il s'inquiète au contraire d'une implication croissante des entreprises privées de sécurité au regard du manque de régulation de ce secteur, actuellement confié au Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS). La Cour des comptes dans son rapport public annuel, a critiqué les nombreuses insuffisances de la régulation du secteur privé de la sécurité. Les conditions d'accès à la profession sont définies par le CNAPS, établissement public administratif, dont l'un des critères prévoit une moralité qui n'apparaît pas incompatible avec l'exercice d'une telle activité. Monsieur le député regrette qu'une définition aussi floue détermine l'accès à la profession et juge ces conditions d'accès incompatibles avec une nouvelle délégation de missions au profit du secteur privé. En outre, il tient à faire remarquer qu'une liste de délits a été établie comme compatibles avec l'exigence de moralité, parmi laquelle figure : les violences conjugales, l'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, l'abus de confiance, les délits routiers. Confier une fonction de sécurité à une personne condamnée par de tels faits lui apparaît tout simplement irresponsable dans la République. Les modalités d'accès à ce type d'activité doivent être redéfinies, précisées et une doctrine claire doit être élaborée. Monsieur le député s'étonne également que la décision autorisant l'exercice d'une activité privée de sécurité ne donne pas lieu à la délivrance d'une carte professionnelle matérielle mais à l'envoi d'une simple correspondance administrative. Alors que le Gouvernement affiche sa volonté de faire entrer les forces de sécurité dans l'ère du numérique, il conviendrait de s'assurer qu'une carte professionnelle sécurisée soit éditée pour éviter une fraude importante en la matière. De plus, il regrette l'absence de contrôle a posteriori et s'alarme de la circulation de près de 350 000 cartes professionnelles en cours de validité, alors que le secteur des activités privées de sécurité emploie un peu moins de 168 000 personnes. Avec pour souci le droit à la sûreté des concitoyens et non la sécurité comme première des libertés, il l'interroge sur les mesures envisagées pour restreindre les conditions d'accès à l'exercice d'une activité privée de sécurité et de manière générale la nécessaire régulation de ce secteur d'activité.

Réponse émise le 17 décembre 2019

Les forces de sécurité de l'Etat (police et gendarmerie nationales) comptent près de 250 000 personnes mobilisées afin d'assurer la sécurité des citoyens sur l'ensemble du territoire national. Ces effectifs se sont accrus de 6 551 équivalents temps plein (ETP) dans la période 2013-2017 et cette hausse sera encore accentuée par le plan prévisionnel de recrutement au sein des forces de sécurité intérieure sur le quinquennat 2017-2022, qui prévoit 10 000 recrutements dans la police et la gendarmerie (dont + 1 834 ETP en 2018 et + 2 378 ETP en loi de finances 2019). Cette dynamique dément toute idée de désengagement de l'Etat en matière de sécurité publique. En revanche, afin de permettre aux policiers et aux gendarmes de se recentrer sur leurs missions essentielles, il est possible, au-delà de la surveillance des biens privés, de recourir au secteur de la sécurité privée dans certains cas comme pour la sécurisation d'évènements ou la surveillance de certains bâtiments administratifs. Ainsi, dans son rapport publié le 7 février 2018, la Cour des comptes a estimé qu'entre 2007 et 2017, l'externalisation de certaines missions de gardes statiques avait permis de restituer près de 600 ETP à la police et à la gendarmerie nationales. Cette possibilité d'externalisation reste toutefois strictement encadrée par le cadre constitutionnel, à travers l'article 12 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 selon lequel « La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Il en résulte l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits. Ce principe est illustré par la jurisprudence, tant constitutionnelle (décision n° 2017-695 du 29 mars 2018) qu'administrative (Conseil d'Etat, Assemblée, 17 juin 1932, Ville de Castelnaudary). A titre d'exemple, le cadre légal tient compte de ces impératifs en encadrant et limitant fortement l'intervention des agents privés de sécurité dans des missions sur la voie publique (article L. 613-1 du code de la sécurité intérieure). De même, l'usage de la force par des agents exerçant des missions de sécurité privée est prohibé et tout abus peut donner lieu à des sanctions disciplinaires et/ou pénales. L'article R. 631-10 du code de la sécurité intérieure, portant code de déontologie, dispose en effet que : « Sauf dans le cas de légitime défense prévu aux articles 122-5 et 122-6 du code pénal, les acteurs de la sécurité privée ne doivent jamais user de violences, même légères. Lorsqu'un acteur de la sécurité privée, dans l'exercice de ses fonctions, ne peut résoudre un différend de manière amiable avec un tiers qui ne veut pas se soumettre aux vérifications et contrôles légalement effectués, il doit faire appel aux forces de police ou de gendarmerie territorialement compétentes ». S'agissant des conditions d'accès à la profession d'agent privé de sécurité, celles-ci sont définies par le législateur, aux articles L. 612-20 et L. 622-19 du code de la sécurité intérieure, lesquels prévoient notamment que nul ne peut exercer ces fonctions « s'il a fait l'objet d'une condamnation (…) pour des motifs incompatibles » ou « s'il résulte de l'enquête administrative (…) que son comportement ou ses agissements (…) sont incompatibles avec [leur] exercice ». Sur ce fondement, le Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS) assure sa mission de police administrative en évaluant quels condamnations et agissements sont incompatibles avec ces fonctions. S'il s'appuie pour cela notamment sur la jurisprudence des juridictions administratives (validation ou invalidation des décisions passées du CNAPS), il n'existe en revanche pas de « liste de délits compatibles avec l'exigence de moralité ». S'agissant du contrôle a posteriori de la moralité, celui-ci est effectué par le CNAPS, en application du II de l'article L. 114-1 du code de la sécurité intérieure qui prévoit qu'il peut être procédé à une enquête administrative « en vue de s'assurer que le comportement des personnes physiques ou morales concernées n'est pas devenu incompatible avec les fonctions ou missions exercées ». Enfin, il convient de rappeler que si l'écart entre le nombre de cartes professionnelles en cours de validité et le nombre d'agents privés de sécurité en exercice est réel, rien n'oblige le détenteur d'une carte à exercer effectivement l'activité au titre de laquelle elle a été accordée. Il ne s'agit pas, en soi, d'un motif de retrait de la carte professionnelle. En tout état de cause, afin de renforcer les garanties de professionnalismes des agents, le code de la sécurité intérieure (articles L. 612-20-1 et L. 622-19-1) prévoit que le renouvellement de toute carte professionnelle soit subordonné au suivi d'une formation continue, sous la forme d'un stage de maintien et d'actualisation des compétences.

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