Commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires

Réunion du jeudi 8 mars 2018 à 14h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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La commission d'enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires a procédé à l'audition de MM. Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie, Philippe Van Troeye, directeur général d'Engie Benelux, directeur général d'Electrabel et Thierry Saegeman, directeur des affaires nucléaires d'Engie Benelux.

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Nous accueillons M. Pierre Mongin, directeur général adjoint et secrétaire général du groupe Engie. Le développement de la filière électronucléaire belge est étroitement lié aux programmes français ; c'est ainsi que la Belgique, via ses opérateurs, a participé à hauteur de 50 % à la construction de la centrale de Chooz, sur le territoire français, entre 1962 et 1965.

En 1966, lorsque la décision a été prise de lancer la construction des centrales de Tihange et de Doel, en Flandre orientale, c'est la technologie française qui a été choisie, EDF ayant participé au programme. À la fin des années 1980, le groupe Suez est entré progressivement au capital des exploitants belges. En 2005, Suez a pris le contrôle d'Electrabel, qui distribue 94 % de l'électricité en Belgique. En 2008, Suez a fusionné avec GDF, donnant naissance à Engie, qui contrôle aujourd'hui 100 % d'Electrabel.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d'enquête, je vous demande de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Pierre Mongin, Philippe Van Troeye et Thierry Saegeman prêtent serment.)

Monsieur Mongin, je vous donne la parole pour un exposé liminaire d'une dizaine de minutes. Mme la rapporteure, puis nos collègues vous poseront ensuite leurs questions.

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

Monsieur le président, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, je suis accompagné de M. Philippe Van Troeye, le patron des opérations du groupe Engie au Benelux, de M. Thierry Saegeman, directeur des activités nucléaires en Belgique et de Mme Valérie Alain, directrice des relations institutionnelles du groupe Engie. Nous vous remercions de l'attention que vous portez aux activités de cette grande entreprise française, qui se trouve avoir des responsabilités d'opérateur nucléaire en Belgique.

Electrabel gère en effet un parc de sept réacteurs nucléaires, tous en activité, quatre sur le site de Doel, à la frontière néerlandaise, dans l'estuaire de l'Escaut, et trois à Tihange, en Wallonie, sur la Meuse. Ces deux sites réunissent à eux seuls l'équivalent de 6 gigawatts de capacité de production électrique et couvrent plus de 50 % de la production d'électricité consommée en Belgique.

Les premières décisions de construction remontent à 1968 ; Doel 1 et Doel 2 ont été mises en service en 1975, juste avant Thiange 1. Pour ces trois unités de plus de 40 ans, le groupe Engie a signé un accord il y a deux ans avec le Premier ministre, permettant de prolonger leur exploitation de dix ans en contrepartie de la réalisation de travaux très importants, à hauteur de 1,3 milliard d'euros.

Les puissances additionnées de Doel 1 et de Doel 2 atteignent 500 mégawatts - ce que l'on appelle communément une tranche nucléaire. Les autres réacteurs ont été mis en service entre 1982 et 1985, pour Doel 4 et Tihange 3. Ils appartiennent à la deuxième génération.

Jusqu'à présent, ces installations ont donné entière satisfaction. Elles n'ont connu aucun incident sérieux. Elles ont fonctionné continûment, avec un taux de disponibilité très élevé – parmi les meilleurs en Europe. Enfin, elles ont répondu à leur mission, fournir de l'électricité à des conditions de prix très favorables.

Il n'existe, en Belgique, aucune régulation de l'électricité. Nous évoluons dans un univers totalement libéral ; les tarifs réglementés ont disparu, tout comme le monopole historique d'Electrabel, qui avait pour mission de produire et de vendre l'électricité aux industriels et aux particuliers.

Le groupe affronte cependant un contexte général difficile, celui de la baisse des prix. Nous sommes au coeur de la « plaque de cuivre » européenne de l'électricité et devons faire face à la concurrence de la production électrique issue des énergies fossiles, massive dans une partie de l'Europe, notamment en Allemagne. En outre, le niveau élevé de subventionnement des énergies renouvelables – qui se développent bien en Belgique, quoique trop lentement au goût d'Engie, champion dans ce domaine – contribue à l'affaissement des prix.

Le lien entre le prix de marché et l'avenir de la production électrique nucléaire est une question délicate. En tout état de cause, nous ne pouvons nous engager dans des investissements de longue durée qu'en contrepartie d'un environnement régulatoire plus stable.

Il faut rappeler qu'Electrabel n'assure plus les missions de transport et de distribution de l'électricité. Après avoir cédé ces activités, Electrabel est devenue Pure player en production électrique.

La sûreté de nos installations, au coeur de vos interrogations, est contrôlée par une autorité de régulation et de surveillance, l'Agence fédérale de la sécurité nucléaire – AFCN. Elle a été créée en 1994, trois ans après la loi Bataille en France et la naissance de la Direction de la sûreté des installations nucléaires, qui deviendra en 2006 l'Autorité de sûreté nucléaire – ASN. Il se trouve qu'occupant alors quelque responsabilité à Matignon, j'ai suivi la modernisation de cette autorité.

En Belgique, l'AFCN a des compétences beaucoup plus larges que l'ASN ; il est raisonnable de concentrer ainsi les moyens dans un pays qui ne compte que sept réacteurs, sachant que la compétence nucléaire est rare, et qu'elle se cultive au fil de l'expérience.

J'ai coutume de dire à mes équipes que l'AFCN a pouvoir de vie et de mort sur nos activités. C'est une bonne chose, et la garantie que nous sommes protégés au mieux. Exigeante, l'agence a suivi pas à pas les évolutions qui ont permis le prolongement de dix ans des centrales, imposant, après la survenue de l'accident de Fukushima, des conditions du meilleur niveau aux standards internationaux.

Electrabel emploie 2 000 personnes sur les sites et on dénombre environ 4 000 emplois indirects. À l'échelle de la Belgique, il s'agit d'une activité industrielle très importante, où les employés occupent des postes hautement qualifiés et jouent un rôle important dans l'environnement économique.

Les prix de marché de l'électricité, un peu bas par rapport aux investissements, sont très compétitifs pour l'industrie belge. La centrale de Doel se trouve au milieu de la zone industrielle portuaire d'Anvers, avec ses énormes complexes pétrochimiques et chimiques et différentes industries manufacturières. Disposer d'une source d'électricité régulière, sûre, et stable à un prix extrêmement compétitif est très important pour la Belgique.

Enfin, élément très mal valorisé en Europe aujourd'hui, l'électricité produite par ces centrales permet d'économiser les émissions de CO2. Engie se positionne pour obtenir une meilleure valorisation des coûts évités ou générés en matière de carbone, alors que le marché du carbone demeure très déprimé, compte tenu des allocations trop larges décidées par l'Europe. Ce n'est pas un élément assez discriminant dans la préséance économique, le merit order, l'ordre dans lequel on appelle les différents moyens de production, au fur et à mesure, en fonction de leurs coûts marginaux croissants. Il est certain que la non-émission de carbone, un élément très important lorsqu'il s'agit, par exemple, de comparer l'industrie avec celle du charbon allemand, n'est pas du tout – ou si peu – valorisée dans les choix collectifs. Nous le déplorons et espérons que les choses s'inverseront d'ici à quelques années.

Tel est le tableau de cette activité, très significative en Belgique. Le groupe Engie est fier d'être responsable, avec nos collègues belges, de la gestion de ces unités.

Présidence de M. Hervé Saulignac, vice-président de la commission.

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Merci, monsieur le directeur, pour cette présentation qui a l'avantage d'aborder les sujets qui fâchent. Engie-Electrabel connaît-elle les mêmes difficultés financières que celles auxquelles est confrontée EDF ? À combien s'élève son chiffre d'affaires et quel est le niveau de son endettement ?

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

L'organisation du groupe fait qu'il est difficile de répondre à une telle question. Il se trouve qu'Engie a publié ses résultats annuels ce matin même, qui sont excellents. Le groupe a retrouvé une croissance organique de 5 % sur ses marges, malgré des désinvestissements massifs et une transformation complète du groupe – nous avons abandonné des productions très rentables à court terme, notamment charbonnières, pour nous projeter dans le monde de demain en matière d'énergie et devenir les champions de la transition énergétique.

Pour ce qui est du Benelux, la situation est plus compliquée. Notre holding historique à Bruxelles, Electrabel, englobe des activités qui se trouvent en dehors du Benelux. Ses comptes sont publiés une fois par an, après approbation par le gouvernement belge. En effet, notre capacité de paiement des futures dépenses de démantèlement est supervisée. La santé financière de l'entreprise est placée sous étroite surveillance des autorités gouvernementales, notamment de la commission des provisions nucléaires. Ainsi que le prévoit la loi, Electrabel est suivie en permanence par des agences de notation. Le niveau de financement en cash des opérations nucléaires est déterminé en fonction de la note. Si celle-ci devait être dégradée, Electrabel aurait à relever son niveau de réserves.

Les chiffres d'Electrabel pour 2017 ne seront publiés qu'au mois de juin. Ce que je peux vous dire, c'est que le chiffre d'affaires est de 30 milliards d'euros, sa dette globale de 10 milliards et qu'elle est classée BBB+. L'entreprise est parfaitement solide et sa surface suffisamment large pour assumer pleinement, sans risque ni inquiétudes, la totalité de ses obligations actuelles et futures. C'est ce que nous devons, en tant que groupe, au royaume de Belgique.

Si vous me demandez quelle est la situation économique, opérationnelle de l'électricité produite par nos centrales en Belgique, ma réponse sera quelque peu différente ! Le prix de l'électricité est trop bas. Après trois années consécutives de baisse, nous avons atteint un niveau limite en termes de rentabilité. Comme nous évitons toute forme de spéculation sur l'électricité et que nous couvrons la totalité de nos ventes futures deux ans à l'avance, nous sommes encore dans la tendance des trois années de prix les plus bas de l'histoire.

Cela explique que les résultats sur le Benelux soient moins bons que ceux des autres activités d'Engie, toutes en progrès cette année. Avec 220 millions d'euros de moins que l'année dernière, c'est l'un des rares secteurs en décroissance. La qualité des équipes belges et la dynamique sur les services compensent, en partie seulement, la situation difficile de la production nucléaire.

Nous sommes confiants dans le fait que le prix de l'électricité, pour des raisons d'offre et de demande, remontera. Ce qui est certain, c'est que le prix doit être suffisamment élevé pour couvrir les investissements. Pour obtenir que les réacteurs représentant 2 gigawatts soient prolongés de dix ans, nous avons dû sortir de notre poche 1,3 milliard d'euros, sur lesquels nous avons pris un risque de 100 %.

La question est la suivante : qu'est-ce qui peut déclencher la confiance chez les investisseurs pour qu'ils s'engagent dans l'activité nucléaire ? Aujourd'hui, le cadre régulatoire belge ne permet pas de sécuriser de manière suffisante des investissements sur une longue durée – même si l'on parle de dix ou vingt ans maximum. L'investisseur ne s'engagera pas sans être sûr que les prix de vente seront suffisamment élevés pour couvrir les marges qui permettent juste de rembourser le capital.

Pour les investissements massifs nécessaires aux prolongations de vie, il faudrait un cadre régulatoire semblable à celui qui existe en Grande Bretagne, le contrat de différence. Celui-ci ne permet pas de faire de grands profits quand les prix montent, car la différence est empochée par l'État, mais d'éviter de gros déficits lorsque les prix baissent, puisqu'ils sont compensés. C'est le système le plus sécurisant : avec ce « tunnel de prix », le marché se trouve un peu encadré par la puissance publique. L'Union européenne a considéré qu'il était parfaitement compatible avec les règles de concurrence.

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Pour prolonger les installations au-delà de 40 ans, il vous en a coûté 1,3 milliard d'euros, avez-vous dit. La question se pose aussi en France, d'autant que l'ASN a précisé que des investissements seraient nécessaires.

Le lien entre les investissements et la production nucléaire est en effet crucial. Selon vous, dans quelle fourchette se situe le prix qui ferait qu'investir aurait du sens et serait rentable ? Le système français vous paraît-il préférable au système belge ?

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

Je suis embarrassé pour vous répondre, madame la rapporteure, dans la mesure où nous n'avons pas du tout le même métier en France. Il est certain que le système français, très protecteur, est de moins en moins compatible avec les règles du marché commun. Nous allons d'un quasi-monopole de production à un quasi-monopole de la distribution, avec un tarif réglementé fixé par l'État. Ce système vertical d'intégration supprime, certes, les risques du marché, mais il est de plus en plus contesté sur le plan juridique.

Le Conseil d'État a jugé que les tarifs réglementés du gaz étaient contraires au droit de l'Union ; nous pensons qu'il en ira de même pour les tarifs de l'électricité. Le législateur devra alors se poser la question de la transition. Une partie des protections du système français devra disparaître et il faudra trouver d'autres moyens de sécuriser l'investissement.

Les modèles ne se ressemblent pas, le modèle français demeurant assez largement intégré et monopolistique. Certains économistes diront qu'il s'agit d'un monopole « naturel », mais il n'en demeure pas moins incompatible avec les règles de concurrence. Un jour viendra où il faudra adapter ce modèle.

Nous voyons bien que nous sommes arrivés au bout du système avec la séparation complète des activités et la suppression du tarif public du gaz. Nous sommes très reconnaissants à votre majorité d'avoir voté une loi sur la régulation du stockage de gaz, qui n'existait pas jusqu'alors, et qui a permis que les Français ne manquent pas de gaz cet hiver. Cela montre qu'il existe d'autres instruments de régulation que le monopole. En Belgique, nous évoluons dans un monde de marché libre, mais incompatible avec des investissements de long terme.

Le prix idéal de l'électricité, celui qui assure la couverture des coûts – break even – se situe dans une fourchette allant de 42 à 45 euros du mégawatt. C'est finalement le prix auquel la France est parvenue lorsqu'il s'est agi de fixer dans la loi un prix pour le marché de gros, monopolistique et complètement normé, l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique – ARENH. Or, en Belgique, il y a eu des périodes où ce prix était tombé à 27 ou 30 euros.

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Considérez-vous que, dans un contexte de baisse des prix et de concurrence entre les différents fournisseurs, le fait de prolonger les réacteurs au-delà de 40 ans soit rentable ?

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

Sans contexte régulatoire, cela sera très difficile, quand bien même la demande sociale, démocratique exprimée par les autorités du pays, est de poursuivre, dans l'intérêt national, l'activité afin d'assurer la sécurité de l'approvisionnement – je rappelle que nos installations assurent plus de 50 % de la production d'électricité belge.

Imaginer que l'on pourrait se passer de la production nucléaire du jour au lendemain est une vue de l'esprit. Et pourtant, la loi prévoit que tous les réacteurs seront éteints en 2025 ! Pour sortir de cette impasse, il faut que le parlement du royaume de Belgique change la loi. Il existe un grand débat, à l'initiative de Charles Michel, Premier ministre, et animé par Marie-Christine Marghem, ministre de l'énergie, qui, pour la première fois dans l'histoire de la Belgique, est en train de définir une planification nationale sur la couverture des besoins énergétiques.

Il s'agit d'un débat nouveau dans ce pays de libre entreprise, beaucoup moins planificateur que la France. Nous attendons qu'il en sorte une vision nationale, un peu comme la loi de transition énergétique en France, qui définisse, conformément aux engagements européens, le chemin à prendre. Viendra ensuite le moment de discuter des solutions raisonnables et pragmatiques, mais nous n'y sommes pas encore !

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Vous avez évoqué la commission des provisions nucléaires, qui vous oblige à provisionner les coûts de démantèlement. Avez-vous réalisé une estimation pour vos deux centrales ?

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Philippe Van Troeye, directeur général d'Engie Benelux, directeur général d'Electrabel

Une loi nous oblige depuis très longtemps à faire une évaluation régulière des coûts de démantèlement, mais aussi du stockage des déchets, bien que l'organisation du stockage ne relève pas de la responsabilité d'Electrabel – une agence spécifique en est chargée, comme en France. Les scénarios sont révisés tous les trois ans, ce qui conduit à une réévaluation du montant des provisions. Celui-ci fait l'objet d'un examen approfondi par la commission des provisions nucléaires, au sein de laquelle siègent des représentants de l'État, issus de différentes administrations. Dans nos comptes, 25 % des provisions sont assises sur du cash¸ et 75 % sur des prêts à Electrabel.

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Philippe Van Troeye, directeur général d'Engie Benelux, directeur général d'Electrabel

Elle est aujourd'hui de 4,2 milliards d'euros pour le démantèlement, et de 10,6 milliards au total, étant entendu que le stockage est loin de nous dans le temps. Tout dépend des hypothèses d'actualisation, qui font aussi l'objet d'une révision triennale. Il y a ainsi eu une baisse lors de la précédente révision, conduite il y a deux ans.

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Nous en venons à la question de la sûreté nucléaire. Dans ce domaine, pouvez-vous nous décrire la situation des installations que vous exploitez ? Quels sont les points les plus sensibles au regard des enjeux actuels, c'est-à-dire après Fukushima ?

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

La sûreté nucléaire repose sur tout un corpus de règles qui sont maintenant complètement internationales. Nous avons régulièrement des inspections de nos pairs, qui viennent passer deux mois chez nous pour mener une expertise détaillée et pour faire des recommandations. Il y a désormais des standards mondiaux et une communauté des régulateurs qui échangent constamment entre eux.

La question de la sûreté recouvre plusieurs aspects. Tout d'abord, la conception des installations physiques doit elle-même permettre d'apporter des réponses en cas d'incident : en Belgique, il est prévu un système de triple redondance, systématique, pour tous les équipements afin d'éviter des blocages susceptibles d'aggraver un incident. Les installations ont ainsi une conception robuste du point de vue de la sûreté. Nous avons des réacteurs classiques, à eau pressurisée, comme il en existe beaucoup dans le monde : ils ont donc été bien analysés. Les bâtiments des réacteurs ont une double enceinte, ce qui protège contre des risques internes, mais aussi externes, à savoir la chute d'aéronefs. Nous disposons aussi de ressources additionnelles en électricité grâce à des générateurs, de systèmes de pompes multiples et de circuits d'eau redondants.

Les règles en vigueur ont été renforcées après Fukushima, à l'occasion du retour sur expérience. En Belgique, les digues ont été significativement rehaussées le long de la Meuse à Tihange, pour faire face à un aléa, sans précédent, qui verrait une montée des eaux : à Fukushima, l'essentiel du problème est dû à la submersion d'un petit mur légèrement trop bas. Des mesures ont également été prises en matière de confinement, notamment grâce à des systèmes d'évent filtré. Ce sont des systèmes permettant la décompression à l'intérieur de l'enceinte confinée en cas d'accident nucléaire majeur – à Fukushima, les toits ont explosé, ce qui a conduit à un nuage radioactif au-dessus de Tokyo. Un tel scénario est devenu impossible depuis que ces investissements ont été réalisés : chaque structure est dotée d'une sorte de soupape permettant d'éviter que la compression ne finisse par produire une explosion massive, tandis qu'un système de filtrage chimique limite les éventuels rejets de matières radioactives à l'extérieur. Ces travaux ont été réalisés sur nos installations, je l'ai dit. De même, la question de la sismicité a été prise en compte, même si le risque de tremblement de terre est très peu critique : nos installations ne se trouvent pas à Nice, à côté de l'aéroport… Néanmoins, toutes les obligations liées au risque sismique ont été progressivement alignées sur des normes de criticité très élevées, issues du modèle japonais. On pourrait multiplier les exemples de renforcement des installations physiques.

La question de la culture de sûreté, chez tous les agents, est également essentielle – je le dis sous le contrôle du patron de l'exploitation.

Nous avons 2 000 salariés permanents dans nos sites, et environ 2 000 sous-traitants de passage. Tous doivent faire l'objet d'une sécurisation sur le plan individuel, cela va de soi, sous la forme d'habilitations délivrées par la police, mais il faut aussi qu'ils aient les bons gestes, les bons réflexes et la bonne culture. J'ai eu une expérience très comparable en matière de sûreté quand je dirigeais la RATP. C'est le seul sujet pour lequel il n'y a strictement aucune discussion possible entre la hiérarchie et les agents : on doit avoir une tolérance zéro pour les écarts de conduite, car des gestes extrêmement banals et non réfléchis peuvent avoir des implications sécuritaires. Il faut qu'il y ait un même niveau de concentration et d'engagement du sommet jusqu'à la base, y compris quand on est chargé de réaliser des tâches modestes à l'intérieur d'une centrale, avec un même souci de suivre strictement les procédures.

Cela peut être un peu difficile, parfois, car la marge de manoeuvre est nulle, mais on attend le même comportement d'un pilote d'avion : il n'a pas de marge d'originalité ou de créativité quand il doit appuyer sur un bouton. À tous les niveaux, les systèmes managériaux doivent continuellement vérifier l'implication, la motivation, l'engagement, et j'allais dire le courage de tous les salariés. C'est pour moi la question la plus importante en matière de sûreté.

Nous avons sollicité des conseils extérieurs sur ce sujet depuis quelque temps, notamment de la part d'EDF, avec qui nous avons beaucoup échangé. On doit sortir de son bocal et il doit y avoir un dialogue au sein de la communauté des exploitants pour échanger sur les bonnes pratiques, trouver les bons profils techniques et assurer le recrutement de gens compétents. On doit avoir la modestie de se doter de conseils extérieurs quand on en a besoin, ce que les Belges ont fait avec beaucoup de sagesse. Il faut ensuite appliquer la même exigence chaque jour.

Voilà notre philosophie dans ce domaine, qui est encore plus important pour nous que la conception des installations : celle-ci est normée au niveau mondial, alors que chaque site est différent sous l'angle de la culture de sûreté. Si vous le permettez, Thierry Saegeman pourrait vous dire également un mot de la manière dont on fait avancer cette question avec l'appui et sous le contrôle de l'agence en charge de la sûreté en Belgique, qui est très impliquée dans la définition des critères et le contrôle sur place.

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J'en profite pour poser une question subsidiaire : on voit bien que la culture de la sûreté rejoint celle de la sécurité. Chez les sous-traitants, mais aussi au sein de votre propre personnel, il peut y avoir un besoin de suivi, notamment psychologique, pour des personnes qui peuvent éprouver des difficultés et entraîner des problèmes de sécurité. Vous avez d'ailleurs subi un acte de sabotage grave sur la turbine du réacteur 4 de la centrale de Doel. Selon nos informations, le ou les auteurs n'ont pas été identifiés, mais l'activité a repris sur le site. Quelles dispositions avez-vous adoptées pour éviter qu'un tel acte se reproduise ? Je mélange sûreté et sécurité, mais les deux aspects sont liés.

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Thierry Saegeman, directeur des affaires nucléaires d'Engie Benelux

Vous avez raison.

J'ai aussi été très marqué par la culture de sûreté dans mon poste précédent – j'étais directeur général de la Compagnie nationale du Rhône : la France a connu des drames très graves, en particulier celui du Drac, qui ont conduit à l'instauration d'une culture de sûreté hydraulique très forte, et vous savez que le Rhône est le fleuve le plus puissant de France, avec de nombreuses crues. On retrouve les mêmes bases dans la culture de sûreté nucléaire, les conséquences d'une dérive étant peut-être encore plus importantes dans ce domaine, bien qu'une comparaison soit difficile à établir.

Je rejoins totalement ce que M. Mongin vient de dire. La culture de sûreté nucléaire représente un travail quotidien, mené par tous, du plus haut au plus bas de l'organisation, et c'est notre meilleure protection contre d'éventuelles dérives dans l'exploitation. Nos conceptions sont très robustes, ce qui a été prouvé : après Fukushima, des audits externes ont montré que les installations nucléaires belges font partie des plus robustes en Europe. Au-delà de cette question, il y a des processus, qui sont suivis, et des êtres humains qui sont tous les jours concentrés sur leur travail et qui prennent pleinement conscience de l'importance des règles et de la gestion de cette source d'énergie très puissante qu'est le nucléaire.

Tous les dispositifs sont en place, à commencer par une formation très poussée, puisqu'elle représente plus de 7 % du temps de travail. Elle a lieu sur des simulateurs qui sont des copies conformes de nos installations, par tranches : tous les cadres, les ingénieurs et les opérateurs sont formés à des situations particulières sur ces simulateurs. Par ailleurs, il y a ce que j'appellerais un code de la route à respecter dans les centrales nucléaires, c'est-à-dire les spécifications techniques. Nous travaillons chaque jour à les faire respecter, et nous pouvons démontrer que nous avons récemment amélioré nos performances dans ce domaine.

Comme l'a souligné M. Mongin, nous nous faisons aider. Un comité de sûreté nucléaire a été mis en place au sein d'Engie Electrabel, sous la présidence de M. Mongin : nous sommes assistés par deux experts français qui nous ont rejoints en tant que conseils externes : M. André-Claude Lacoste, ancien patron de l'Autorité de sûreté nucléaire française, et M. Yannick d'Escatha, ancien directeur général adjoint d'EDF, ancien administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique, et membre du conseil administration d'EDF en tant que représentant de l'État. Le comité de sûreté nucléaire nous aide, avec l'appui de ces deux experts, à nous améliorer sans cesse et à continuer à clarifier les règles qui doivent être respectées. Nous nous faisons aussi aider sur un plan très pratique, par exemple avec l'arrivée d'un nouveau directeur pour le site de Tihange, Jean-Philippe Bainier, qui a précédemment dirigé des sites d'EDF, notamment celui de Dampierre, où il y a historiquement eu quelques soucis ou interrogations en ce qui concerne la culture de sûreté. Il nous aide à améliorer nos performances à Tihange.

Comme l'a indiqué M. Mongin, l'autorité de sûreté nous suit au quotidien. Elle dispose de spécialistes de la culture de sûreté, qui analysent et évaluent nos actions, ainsi que les améliorations apportées.

Vous avez évoqué la question du sabotage : nous avons effectivement connu un acte grave de malveillance dans l'unité 4 du site de Doel, en 2014. Cet incident était économiquement grave, mais je tiens à souligner qu'il n'a pas eu lieu dans la partie dite nucléaire de notre installation – c'est la partie dite thermique qui était concernée. La turbine à vapeur s'est trouvée sans huile de dégraissage, ce qui a causé de graves dommages matériels. L'enquête est toujours en cours, et je ne suis donc pas autorisé à faire des commentaires.

Nous avons pris la mesure de la situation en instaurant un certain nombre de mesures de sécurité supplémentaires. À titre d'exemple, nous avons considérablement augmenté le nombre de caméras dans les installations, les équipements sont davantage verrouillés, nous avons zoné nos installations – dans certaines zones, les employés ne sont plus autorisés à entrer seuls, suivant le principe dit des « quatre yeux » –, les modalités d'accès et de contrôle ont été renforcées, et tous nos employés ont été formés et sensibilisés à la culture de sécurité – et pas seulement celle de sûreté. Ce ne sont que quelques exemples.

La question de la sécurité a fait l'objet d'une évolution relativement récente, je pense qu'on peut l'avouer : elle était moins présente dans les décennies antérieures, mais ce sujet nous est malheureusement tombé dessus, comme dans le reste de la société en général. C'est devenu un vrai enjeu et une vraie priorité pour les opérateurs de centrales nucléaires responsables.

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

Lorsque je suis arrivé aux côtés d'Isabelle Kocher, les autorités belges ont créé une force de police spéciale pour sécuriser les sites des centrales, à notre demande. Lors de mes premières visites, j'avais été très frappé de constater que cela n'existait pas – j'ai fait rédiger le premier plan de crise de la centrale du Bugey en France, alors que j'occupais mon premier poste de sous-préfet, dans des temps immémoriaux, et l'on avait aussitôt créé des pelotons spécialisés de protection de la gendarmerie nationale, basés sur place, dont la seule mission consistait à protéger physiquement les installations nucléaires. À la suite de nos démarches auprès du ministre de l'intérieur belge, M. Jambon, et du Premier ministre, des forces de l'ordre spéciales ont été créées pour la surveillance de nos deux sites.

Comme ces forces de police n'étaient pas encore formées, des militaires ont exercé cette mission de surveillance physique dans un premier temps, après une formation délivrée par nos soins. La relève des militaires par la police doit maintenant intervenir, puisque les policiers ont été formés. C'est un exemple du durcissement de notre système de protection, qui est d'ailleurs antérieur aux attentats tragiques que la Belgique a connus : nous avons spontanément réclamé une évolution que le Gouvernement belge a bien voulu accepter. Il faut dire que nous payons tout, ce qui ne pose donc pas de problème budgétaire à l'État. Les charges de sécurité publique lui sont entièrement remboursées.

Quant au comportement que pourraient adopter certains individus, pour des raisons liées à des maladies mentales, à des motifs terroristes ou à d'autres formes de criminalité, c'est la responsabilité des forces de l'ordre et du management de faire preuve de vigilance. Il est très compliqué d'entrer dans les enceintes nucléaires en Belgique, même pour la hiérarchie du groupe Engie. J'en déduis que la surveillance doit être forte… Je ne le dis pas seulement pour plaisanter : c'est fait avec beaucoup de sérieux. Cela étant, on doit s'attendre à ce que des ennemis déterminés soient capables de dissimulation, et il faut donc faire preuve d'une surveillance redoublée. Nous avons des systèmes de précaution que l'on ne peut pas révéler ici, notamment pour la réaction du système en cas de comportement totalement irrationnel d'un agent. Cela fait partie des plans de crise. Je souligne qu'en Belgique, c'est le ministère de l'intérieur qui est chargé de la sécurité, comme en France, mais aussi de la sûreté nucléaire.

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Quels sont les effectifs des forces de sécurité prévues pour les sites ? Quelles sont les prérogatives de l'Agence fédérale de contrôle nucléaire (AFCN), qui a compétence aussi bien pour la sûreté que pour la sécurité, et quelles obligations peut-elle faire peser sur l'exploitant ?

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

Les pouvoirs de l'AFCN sont complets : elle a des pouvoirs d'investigation, d'injonction – elle peut adresser des mises en demeure très détaillées – et de sanction – allant du retrait de l'habilitation d'un salarié à des poursuites devant la justice. En matière de sûreté et de sécurité, les pouvoirs de l'autorité compétente en Belgique sont illimités et discrétionnaires. On peut toujours saisir le juge en cas de contestation, mais c'est un schéma dans lequel l'agence a les pleins pouvoirs.

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Ils vont bien au-delà de ceux de l'ASN en France ?

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

Tout à fait. Par ailleurs, l'AFCN dispose sur le terrain d'une ancienne entreprise d'ingénierie spécialisée, Bel V, qui a vu le jour au moment de la création des centrales afin d'encadrer leur construction et les procédures en matière de sûreté. Ce bureau d'études, dont les effectifs sont importants, est implanté dans les sites. Bel V, qui a été nationalisé, est placé sous l'autorité hiérarchique de l'AFCN : celle-ci dispose d'un bras armé permanent sur le terrain, avec des ingénieurs supervisant en permanence les opérations.

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Est-ce l'équivalent de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) en France ?

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

Exactement. Par ailleurs, nous n'avons que deux sites, ce qui permet d'avoir plus facilement une connaissance exhaustive des détails que dans le parc nucléaire français, dont l'ampleur est infiniment plus grande.

Pour répondre complètement à votre question, l'agence fédérale dispose de prérogatives considérables et ne distingue pas la question de la sûreté de celle de la sécurité.

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Thierry Saegeman, directeur des affaires nucléaires d'Engie Benelux

L'AFCN dispose de 160 collaborateurs en charge des installations nucléaires, tandis que son support technique Bel V, qui est l'équivalent de l'IRSN, compte 90 experts. Il y a en particulier des inspecteurs dits résidents : au nombre de quatre par site, au minimum, ils sont chargés de suivre les activités d'exploitation au quotidien, et ils ont accès à toutes les installations et à tous les documents.

S'agissant des moyens humains de protection et sécurité, il faut rappeler que toute personne travaillant sur les sites nucléaires doit être habilitée par la sûreté de l'État. Tout personnel, sans distinction de fonction, interne ou externe, sous-traitants compris, est donc l'objet d'un screening très approfondi. De nombreuses mesures sont également prises en termes de protection physique.

Sans compter les militaires, plus de cent personnes appartenant à une société de gardiennage agréée sont présentes sur chaque site au quotidien. Les centrales nucléaires sont divisées en zones ayant chacune leurs propres prescriptions de sécurité et leurs conditions d'accès en vertu du principe de « défense en profondeur ». Le passage d'une zone à l'autre demande de franchir systématiquement plusieurs barrières et plusieurs contrôles – qui comportent, par exemple, des détecteurs de métaux, des scans biométriques, des sas d'accès avec code personnel, des contrôles par caméras, des contrôles de véhicule… La multiplicité des contrôles lors du franchissement de chaque zone explique que nous employions plus de cent agents de gardiennage agréés par site.

Par ailleurs, une équipe d'intervention armée est présente sur les sites sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Aujourd'hui, elle est militaire ; demain, elle sera remplacée par une force permanente de la police fédérale. Pour des raisons de sécurité, vous me permettrez de ne pas entrer dans le détail concernant ses effectifs, car il s'agit d'éléments relativement sensibles. Nous effectuons plusieurs dizaines d'exercices tous les ans avec ces équipes, et nous sommes très confiants dans leur capacité à intercepter un danger qui se présenterait sur un site.

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Élu des Ardennes, du côté de la pointe de Givet, qui constitue une sorte d'incursion française dans le territoire belge, où se trouve la centrale nucléaire de Chooz, je suis aussi président de sa commission locale d'information (CLI).

Les critères qui permettent d'évaluer la durée de vie des centrales sont-ils les mêmes en Belgique et en France ?

Quel rapprochement entre nos deux pays peut-on faire concernant les techniques de démantèlement ? En ce moment, Chooz, voisine de la Belgique, offre un exemple extraordinaire en la matière ?

Si les centrales nucléaires belges devaient fermer en 2025, c'est-à-dire demain, comment serait assurée la production d'électricité ? J'imagine que vous devrez faire appel à des importations, car le soleil, l'eau et le vent ne remplaceront pas, à eux seuls, 50 % de la production belge.

À ma connaissance, l'équivalent des CLI n'existe pas vraiment en Belgique. Elles permettent pourtant de fournir une information précise sur ce qui se passe au quotidien dans les centrales, y compris concernant des incidents classiques qui surviennent dans toutes les entreprises de France – il faudrait que nos concitoyens en aient davantage conscience. Qu'en pensez-vous ?

En France, la sécurité des centrales est assurée par un peloton particulier de gendarmerie qui comporte des effectifs assez élevés pour garantir une protection à plusieurs niveaux. Que vous inspire ce modèle ?

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La notion de « défense en profondeur » que vous mettez en oeuvre comprend-elle un système de vidéoprotection aux abords extérieurs de la centrale ? Un système périmétrique large vous permet-il de la protéger, et de voir arriver les personnes qui pourraient s'en approcher, y compris lorsqu'elles sont en groupe ?

En France, lors d'un incident récent, une vingtaine de personnes ont pu entrer sur un site nucléaire. Je trouve étonnant qu'en zone rurale, on puisse ainsi approcher d'une centrale.

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Les vingt-deux militants qui sont entrés à Cruas voulaient s'approcher des piscines de stockage du combustible usagé. Comment ces piscines sont-elles protégées en Belgique ?

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Pierre Mongin, directeur général adjoint du groupe Engie

Monsieur le député, les autorités de sûreté se parlent d'autant plus que les technologies de leur pays sont proches, ce qui est le cas entre la Belgique et la France. Il n'y a pas de raison que les critères qui présideront à la décision de prolonger ou non la vie d'une centrale diffèrent.

De mon point de vue, cette décision est purement liée à la question de la sûreté. Certes, des considérations économiques ou politiques interviennent – il est, par exemple, parfaitement légitime qu'un pays décide de changer ses modes de production électrique –, mais les critères qui devront déterminer en dernier lieu s'il est possible de prolonger une centrale sont des critères de sûreté ; il n'y en a pas d'autres.

La sûreté est au fondement de toute décision, et, à mon avis, les autorités de sûreté belge et française ont le même niveau d'exigence. Il se trouve que j'ai l'occasion de rencontrer de temps en temps le responsable de l'autorité française, qui a autrefois travaillé avec moi : il a la même rigueur et les mêmes exigences que son homologue belge. Finalement, si les conditions politiques et économiques sont réunies, seul le critère de sûreté permettra de dire si l'on peut prolonger la vie d'une centrale nucléaire, et pour combien de temps.

Nous devons nous préparer aux démantèlements qui auront lieu un jour. Il nous faut acquérir une bonne connaissance des premiers démantèlements qui se déroulent en France. Nous savons qu'il faudra démanteler en Europe – l'Allemagne a déjà fait des choix en la matière. Il faut donc essayer de faire des économies d'échelle afin de réduire le coût de ces opérations, et parvenir à les traiter en série, de façon industrialisée. Le groupe Engie, avec ses filiales, se positionne sur cette activité. Aujourd'hui, ces technologies sont bien maîtrisées, même si les opérations en question sont coûteuses et longues.

L'issue du débat sur le pacte national belge sur l'énergie déterminera le sort des centrales nucléaires à partir de 2025. Leur prolongation est l'option la plus probable, mais ce n'est pas encore décidé.

J'ai été préfet coordonnateur de Tricastin, et je trouve votre remarque sur les CLI très juste : elles jouent un rôle extrêmement utile pour dédramatiser les situations. Le fait est que l'on n'entre pas facilement dans une centrale, et que l'on n'y amène pas facilement les enfants des écoles. Ce n'est pas qu'il y ait le moindre danger, mais les exigences de sécurité publique ne le permettent pas. C'est un peu dommage, car cela donne le sentiment que cet objet qui prend beaucoup de place dans le paysage est un peu mystérieux. Il est donc nécessaire de faire un gros effort d'information en direction des populations environnantes : il faut expliquer ce qu'est la centrale, mais aussi comment on y vit, comment on y travaille, quelles sont les pratiques de sécurité au travail… Lorsqu'il y a le moindre incident, il faut être totalement transparent.

Electrabel a commencé des démarches en ce sens puisque nous avons constitué une sorte de CLI informelle avec les maires des communes proches. Elle mène des actions sur le modèle des commissions françaises. Il serait très utile que nos équipes et notamment M. Philippe Van Troeye, qui dirige les opérations en Belgique, aillent voir une CLI et le détail de son organisation. Nous avons beaucoup à apprendre de cette méthode pour la bonne compréhension de la centrale par son environnement.

Quelles alternatives énergétiques ? Il y a évidemment le renouvelable. Notre entreprise est tournée vers le renouvelable, et nous sommes déterminés à en faire plus. L'offshore constitue une solution massive de fabrication d'électricité, même si elle est encore compliquée et un peu chère – les prix baissent actuellement. En capacité, l'offshore représente l'équivalent des centrales nucléaires.

Il y a aussi l'éolien, plus interstitiel, le solaire, notamment sur les bâtiments, et, surtout, l'efficacité énergétique. Elle constitue la première des réponses : commençons par faire des économies ! Enfin, nous savons qu'en Belgique, il faudra produire de l'électricité à partir du gaz : il faudra reconstruire des centrales à cycle combiné gaz turbine (CCGT). Elles seront indispensables à l'équilibre du système, parce qu'il n'y a pas du soleil et du vent en permanence. Nous pensons que huit turbines à gaz supplémentaires seront nécessaires au fur et à mesure du remplacement des centrales. Ce ne sera pas tant pour la production de base, pour laquelle on pourra compter à très haut niveau sur le renouvelable, mais pour l'ajustement de la pointe. Le gaz reste de très loin la meilleure solution : il est non polluant et il émet deux fois moins de CO2 que le charbon. Le gaz est toujours une énergie fossile, mais, en termes climatiques, il est extrêmement performant par rapport au charbon.

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Thierry Saegeman, directeur des affaires nucléaires d'Engie Benelux

Madame la députée, nous organisons une « défense en profondeur ». Comme pour le 110 mètres haies, vous trouvez un obstacle tous les dix mètres : si vous touchez le premier, vous êtes ralenti, et ainsi de suite.

Des caméras assurent une surveillance sur tout le périmètre extérieur de la centrale, qui permet de détecter une intrusion potentielle. La première mesure consiste alors à fermer immédiatement et hermétiquement toutes les installations critiques. Nos personnels alertent systématiquement les services d'urgence présents en permanence sur place, qui interviennent pour intercepter le danger potentiel – en usant de prérogatives qui leur sont propres.

En Belgique, la très grande majorité des bâtiments sensibles sont bunkerisés. Pour ceux qui ne le sont pas, toutes les mesures supplémentaires nécessaires ont été prises pour qu'en toutes circonstances, nous soyons à même de refroidir les installations, en particulier si elles contiennent du combustible usé. Nous sommes toujours en mesure de contrôler l'effet potentiel d'un incident.

Les dispositions prises à la suite de l'accident de Fukushima ont amené à mettre en place une série d'équipements mobiles qui permettent de limiter le risque de feu de kérosène – il est impératif de parfaitement maîtriser le risque incendie sur un site nucléaire.

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Plus précisément, qu'en est-il de la protection des piscines en cas d'attaque par un aéronef ? Nous nous sommes rendu compte qu'il s'agissait de l'un des points vulnérables des centrales françaises. En Belgique, la centrale de Tihange est située dans l'axe de la piste de l'aéroport de Liège. Quelles mesures avez-vous prises en conséquence ?

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Thierry Saegeman, directeur des affaires nucléaires d'Engie Benelux

La plupart des bâtiments étant bunkerisés, ils résistent à l'impact d'une chute d'avion…

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Thierry Saegeman, directeur des affaires nucléaires d'Engie Benelux

Je ne peux pas vous donner d'informations précises. Les études menées sur le sujet sont couvertes par le secret. Ces bâtiments résistent à tout type d'impact extérieur et, au cas où il y aurait des doutes sur ce point, nous avons mis en place les mesures nécessaires de dédoublements des systèmes de refroidissement.

Si un bâtiment de stockage est touché, nous ne sommes pas tout à fait dans la même situation que si les bâtiments du réacteur étaient concernés. Dans le réacteur, le combustible est, presque littéralement, flambant neuf, avec une concentration d'énergie importante. Dans les piscines, nous avons affaire à des combustibles usés, donc nous sommes à un niveau inférieur.

Le plus important, en cas d'incident, reste de pouvoir continuellement refroidir ce combustible afin d'éviter qu'il se réchauffe – et toutes les mesures ont été prises en ce sens. Nous répondons sur ce plan à toutes les normes nationales et internationales. Une étude récente de Greenpeace France a d'ailleurs indiqué que les centrales nucléaires belges n'étaient pas dans la même situation que certains sites nucléaires français, et que les bâtiments y étaient mieux protégés.

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Avez-vous pris connaissance du rapport de Greenpeace sur la sécurité des réacteurs nucléaires et des piscines d'entreposage en France et en Belgique. Il comporte et analyse divers scénarios. Le cas échéant, quels enseignements en tirez-vous ?

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Thierry Saegeman, directeur des affaires nucléaires d'Engie Benelux

Nous n'avons pas accès à ce document qui a été classé « secret » en Belgique. Il est connu de l'AFCN qui présente des éléments à ce sujet sur son site internet. L'agence a rencontré Greenpeace et analysé ce rapport avant que nous nous entretenions avec elle afin de savoir quelles améliorations nous pourrions apporter. À ce stade, nous n'avons aucune mesure complémentaire à prendre.

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Il a été établi que la cellule terroriste de Molenbeek surveillait un haut responsable du Centre d'étude de l'énergie nucléaire de Mol. Comment protégez-vous vos personnels qui peuvent constituer des cibles potentielles ?

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Thierry Saegeman, directeur des affaires nucléaires d'Engie Benelux

Nous avons reçu des informations de la part des autorités de contrôle nucléaire qui nous ont permis de prendre les mesures adéquates pour protéger nos collaborateurs. Pour des raisons que vous comprenez, je ne suis pas en mesure de dévoiler la nature de ces mesures.

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Quel circuit suivent les déchets produits par vos différents réacteurs ? Rencontrez-vous des problèmes en la matière ? Quelle est votre position sur le stockage ? Ce sujet nous agite beaucoup en France, en particulier le stockage en profondeur ou en subsurface. Quelle est la position des autorités belges sur le stockage à long terme des déchets nucléaires ?

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Philippe Van Troeye, directeur général d'Engie Benelux, directeur général d'Electrabel

Jusqu'à présent, il y a beaucoup de similitudes entre l'approche française et celle des autorités belges. Nous parlons également en Belgique d'une filière de stockage géologique pour les déchets à haute teneur ionisante potentielle, mais la discussion n'est pas aussi avancée que chez vous.

Pendant vingt ans, des recherches ont été menées pour un stockage en couche géologique profonde d'argile. Des tests ont été réalisés : on a creusé des tunnels et effectué le suivi d'un stockage. Ce programme a été partiellement financé par les producteurs de déchets.

La question de la confirmation de ce choix reste aujourd'hui ouverte, et il faut encore fixer un lieu. Deux possibilités restent à examiner en Belgique, qui n'ont pas fait l'objet d'un débat parlementaire. Ces étapes doivent être franchies avant que nous puissions avancer.

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En attendant une solution, où vos déchets sont-ils stockés ?

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Philippe Van Troeye, directeur général d'Engie Benelux, directeur général d'Electrabel

Pendant une période, nous faisions du retraitement. Le combustible était retraité à La Hague, et les déchets qui nous revenaient étaient stockés à Mol dans un site de stockage provisoire en surface. Un moratoire a cependant été décidé il y a plusieurs années : le combustible n'est plus retraité. Pour l'instant, il reste entreposé sur nos deux sites nucléaires, soit dans une piscine, soit dans un stockage sec. L'un des enjeux, dans le cadre du démantèlement, sera de trouver une solution pour l'ensemble du combustible usé – un jour, les centrales actuelles ne seront plus des sites industriels. Il s'agit d'un problème de décision démocratique et de responsabilité des autorités.

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Messieurs, nous vous remercions pour ces échanges. Nous serions heureux que vous puissiez répondre par écrit aux questions que nous vous avions fait parvenir et que nous n'avons pas eu le temps d'aborder cet après-midi.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 8 février 2018 à 14 h 30 :

Présents. - Mme Émilie Cariou, M. Pierre Cordier, M. Paul Christophe, Mme Sonia Krimi, M. Adrien Morenas, M. Patrice Perrot, Mme Barbara Pompili, M. Hervé Saulignac, M. Jean-Marc Zulesi.

Excusés. - M. Xavier Batut, Mme Perrine Goulet, M. Jimmy Pahun.