Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 11h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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L'audition débute à onze heures vingt-cinq.

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Mes chers collègues, je suis heureuse d'accueillir pour cette audition M. Jean-Yves Le Gall, président du Centre national d'études spatiales et M. Pierre Trefouret, directeur de cabinet.

Messieurs, notre mission d'information vise à mesurer l'impact des mouvements climatiques exceptionnels sur les littoraux français. Ainsi, la maîtrise du foncier, les règles d'urbanisme ou de construction, la montée du niveau des eaux, l'organisation des secours, l'information des populations, la reconstruction après la survenue de cyclones sont autant de sujets qui entrent dans le cadre de notre étude.

Cette mission s'intéresse également à l'analyse spatiale des phénomènes climatiques majeurs en zone littorale et à l'observation des phénomènes cycloniques par la voie satellitaire. Cette analyse est particulièrement cruciale aujourd'hui. C'est pourquoi la mission a jugé particulièrement utile à ses travaux de pouvoir vous entendre en audition et vous remercie d'être présents.

Sans plus tarder, je passe la parole à M. Yannick Haury, notre rapporteur, qui précisera les objectifs de cette audition.

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Permettez-moi donc quelques questions.

Quels sont les principaux apports de l'analyse spatiale à l'étude des phénomènes climatiques majeurs en zone littorale ?

En quoi les satellites ont-ils notamment révolutionné l'océanographie, tout particulièrement les connaissances sur la circulation océanique, les courants, les vents de surface et les vagues, la fonte des glaces du Groenland et l'élévation du niveau des mers résultant du réchauffement climatique, avec les satellites altimétriques ?

Quelles sont les limites à l'observation des phénomènes cycloniques par la voie satellitaire ? Pourriez-vous nous préciser les difficultés à analyser certains vents, par exemple ?

Pouvez-vous présenter l'apport de l'expertise spatiale pour construire de nouveaux outils d'adaptation au changement climatique ? Il existe en effet des outils de contrôle et de suivi des mesures d'adaptation, pour les mangroves par exemple.

Face à la crise, pouvez-vous préciser l'apport des données satellitaires : il existe notamment la charte internationale « Espace et catastrophes majeures » pour mettre à disposition des secours locaux des images satellites optiques et radar, suivre en temps réel la situation et évaluer les dégâts dans les zones sinistrées.

Comment vos travaux de géolocalisation sont-ils également utilisés pour guider au mieux l'intervention des secours ?

Avez-vous tiré des conclusions spécifiques des ouragans de cet automne ?

Pouvez-vous nous indiquer quels sont vos projets de recherche s'agissant des événements climatiques majeurs en zone littorale, le cas échéant en lien avec des laboratoires de recherche français ou étrangers ?

Comment organisez-vous notamment vos travaux avec Météo-France ?

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

Mesdames, Messieurs, je tiens tout d'abord à vous remercier de donner au CNES l'opportunité de s'exprimer sur ces questions relatives aux événements climatiques majeurs. Nous vivons, en effet, une période tout à fait remarquable. Le changement climatique est une réalité, même si certains en doutent outre-Atlantique. Il reste qu'il fait aujourd'hui 24° Celsius à New York, ce qui est tout à fait inhabituel. En outre, des phénomènes étranges du point de vue climatique apparaissent chaque jour davantage. À l'initiative de la France, très largement, la lutte contre le changement climatique est devenue depuis quelques années une très grande priorité. Le CNES s'y investit beaucoup.

Pourquoi les satellites et l'espace sont-ils aussi importants pour lutter contre le changement climatique ? Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) a défini 50 variables climatiques essentielles (essential climate variables) pour mesurer le changement climatique, dont 26, soit plus de la moitié, ne peuvent être observés que depuis l'espace. En particulier, les satellites ont permis de mettre en évidence trois éléments essentiels pour mesurer le changement climatique.

Premièrement, à la fin des années 1970, les tout premiers satellites de météorologie ont permis de constater une augmentation de la température moyenne de la planète. Les satellites de météorologie mesurent la température du globe : les cartes que vous voyez le soir à la télévision, présentant les zones nuageuses et celles dépourvues de nuages, sont déduites des données envoyées par leurs radiomètres.

Dans un premier temps, on a cru à un biais instrumental, en faisant l'hypothèse que les instruments eux-mêmes étaient affectés par une dérive, qui pouvait expliquer l'augmentation. Mais après corrélation, on a effectivement constaté que la température moyenne de la planète augmentait légèrement. Seuls des satellites permettent de mesurer, de manière globale et extrêmement précise, des augmentations infimes d'un centième ou d'un dixième de degré de la température moyenne de la planète. Il serait illusoire d'imaginer qu'on pourrait parvenir au même résultat avec un thermomètre suspendu à la fenêtre.

Deuxièmement, les satellites ont permis d'établir une augmentation du niveau moyen des océans. Au CNES, nous sommes très fiers d'avoir contribué de manière décisive à mettre en évidence le phénomène. Le 10 août 1992, nous avons lancé le satellite d'altimétrie TOPEXPoseidon, qui a eu un destin inattendu. On en faisait grand cas à l'époque, parce que c'était la première fois que la fusée Ariane lançait un satellite de la NASA, personne n'ajoutant qu'il s'agissait d'un satellite d'océanographie. Si le satellite est finalement resté dans l'histoire, c'est pourtant non comme le premier satellite de la NASA lancé par Ariane, mais comme le satellite ayant permis de mettre en évidence l'augmentation du niveau moyen des océans.

À sa suite, la série des satellites Jason a mis en évidence que le niveau des océans augmentait de 3,2 millimètres par an – nous avons lancé le dernier, Jason III, le 10 janvier 2017. Car seuls des satellites peuvent effectuer cette mesure. À la conférence de Paris sur le climat, certains dirigeants paraissaient croire qu'elles étaient le fait de flotteurs, de bouées ou de je ne sais quels zouaves du pont de l'Alma répartis sur les océans. Il n'en est rien. Seuls des satellites peuvent mettre en évidence des augmentations extrêmement faibles, grâce à des techniques d'interférométrie. L'augmentation annuelle peut sembler négligeable, mais elle représente 32 centimètres sur un siècle. C'est énorme. En face d'une augmentation d'une telle ampleur, la moitié des îles Maldives disparaissent. Du fait de cette prise de conscience, de plus en plus de satellites effectuent de l'altimétrie.

Troisièmement, les satellites ont permis d'établir et de mesurer la cause racine de l'élévation de la température de la planète. Ils ont révélé que cette hausse est due à l'augmentation des concentrations des gaz à effet de serre d'origine anthropique dans l'atmosphère. La planète voit sa température augmenter parce que l'humanité fabrique du gaz à effet de serre, essentiellement du gaz carbonique et du méthane. Ainsi, le bilan radiatif de notre planète évolue, car ces gaz, diffusés dans l'atmosphère, y piègent les radiations qui viennent du soleil, ce qui conduit à une augmentation de la température du globe.

À l'occasion de la COP21, nous avons décidé que notre pays serait à la pointe en matière de mesure de ces augmentations de gaz à effet de serre, grâce à deux satellites Microcarb et Merlin, encore en développement. Utilisant les techniques les plus pointues de la spectrométrie, le satellite Microcarb sera développé en coopération avec le Royaume-Uni, pour un lancement prévu en 2020 ; il permettra de mesurer la concentration en gaz carbonique, en établissant des cartes d'émission de ce gaz. Le satellite Merlin sera développé en coopération avec l'Allemagne ; il permettra de mesurer la concentration en méthane, gaz à effet de serre beaucoup plus puissant encore que le gaz carbonique. Il utilisera quant à lui non un spectromètre, mais un lidar, instrument de télédétection par laser. Il sera développé d'ici trois ou quatre ans.

Nous pourrons ainsi obtenir des images des nuages de gaz à effet de serre – soit de méthane et de gaz carbonique – semblables aux images de vapeurs d'eau diffusées à la télévision, dont je vous parlais tout à l'heure. Disposer de ces outils présente un double avantage. Grâce à eux, nous pourrons regarder l'évolution des émissions à l'intérieur d'un pays : là où un industriel se serait engagé à réduire ses propres émissions, le satellite permettra de savoir s'il tient ses engagements. De même, au niveau mondial, nous pourrons vérifier si les pays qui ont pris des engagements en matière de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre les respectent eux aussi.

Le rôle des satellites est donc fondamental pour la gestion des événements climatiques, à travers la mesure de ces trois points clés : température, niveau des océans et gestion des émissions de gaz à effet de serre. Grâce à eux, nous savons que le changement climatique trouve son origine dans l'augmentation des gaz à effet de serre d'origine anthropique, qui ont provoqué une hausse de la température du globe, entraînant la fonte des glaciers et une augmentation consécutive du niveau des océans. J'insiste sur la fonte des glaciers : ce n'est pas la fonte de la banquise qui fait augmenter le niveau des océans ; elle peut s'analyser comme la fonte d'un glaçon dans un verre d'eau, ne provoquant pas une élévation du niveau de l'eau dans ce même verre. Seule la fonte des glaciers, en apportant aux océans de l'eau extérieure, a fait monter leur niveau.

J'en termine ainsi sur le rôle fondamental des satellites, qui n'ira qu'en augmentant.

J'en viens maintenant à deux points particuliers, relatifs au traitement des phénomènes climatiques grâce aux satellites. D'abord, les satellites permettent d'en mesurer l'ampleur. Ensuite, quand il y a des catastrophes, ils peuvent contribuer à la reconstruction.

Premièrement, en 2000, le CNES et l'Agence spatiale européenne ont créé la charte internationale « Espace et catastrophes majeures », rassemblant aujourd'hui dix-sept agences spatiales du monde entier. Aux termes de celle-ci, lorsqu'un événement climatique très violent a lieu et entraîne d'importants dégâts, toutes les agences signataires disposant de satellites dans la zone concernée doivent braquer leurs instruments vers le lieu de la catastrophe pour en mesurer l'ampleur et pour orienter l'organisation des secours.

Ce dispositif a connu – malheureusement – une exposition médiatique assez forte à l'automne dernier, au moment où des ouragans ont frappé les Antilles. L'arc antillais et la mer des Caraïbes ont en effet fait l'objet d'une concentration tout à fait inhabituelle de phénomènes climatiques extrêmes. La raison en est très simple. La température habituelle de l'océan dans cette région s'établit entre 26° et 27°. À ce niveau, le vent qui souffle sur la surface des eaux ne crée qu'une légère nébulosité. Or la température de l'océan a atteint 31° en 2017 ; à ce niveau, le passage du vent provoque immédiatement l'évaporation de l'eau, entraînant des ouragans. Les ouragans qui ont frappé dramatiquement l'arc antillais sont donc dus à cette différence de température de l'océan de 4 à 5 degrés par rapport à la moyenne.

Dès que les dommages ont été constatés, nous avons déclenché la mise en oeuvre de la charte pour produire rapidement les premières images des zones sinistrées, à commencer par Saint-Barthélemy et Saint-Martin. Nos satellites radars nous ont permis de faire de même pour les inondations du Texas.

Depuis 2000, le mécanisme prévu par la charte a été déclenché 560 fois. Près de cent vingt pays en ont bénéficié. Nous comptons environ 40 déclenchements par an, mais ce chiffre tend malheureusement à augmenter, car nous observons de plus en plus de catastrophes naturelles liées à l'emballement de la machine climatique. La charte internationale « Espace et catastrophes majeures » permet donc de faire face à ces événements lorsqu'ils surviennent.

Deuxièmement, les satellites peuvent aussi servir à la reconstruction, en fournissant des données utiles au suivi des adaptations locales rendues nécessaires par les catastrophes – c'est le cas en ce moment à Saint-Martin. Établi dans le cadre du Comité sur les satellites d'observation de la Terre (CEOS), le recovery observatory a ainsi pour objectif d'accompagner le relèvement des zones dévastées par une catastrophe naturelle majeure, en mettant à disposition des décideurs locaux des produits satellitaires pertinents.

Même si on admire leur précision, leur dégradé de couleurs et la précision du découpé des côtes, les images satellitaires ne représentent en fait qu'une partie émergée de l'iceberg. Elles recèlent en effet de nombreuses informations. Avec les moyens de traitement appropriés, elles fournissent des renseignements extrêmement importants pour la reconstruction : façon dont les zones ont été touchées, taux d'humidité, pente des sols, zones à retenir pour l'implantation d'antennes de téléphone sans fil… Nous avons donc développé un véritable outil d'aide à la reconstruction, que nous mettons en oeuvre à Saint-Barthélemy et Saint-Martin.

Le 12 mars, un comité interministériel consacré à leur reconstruction se tiendra. Y seront présentés des produits cartographiques spécifiques, réalisés en ce moment à partir du couple de satellites Pléiades. Vous le voyez, les satellites sont de plus en plus utilisés dans des circonstances certes malheureusement dramatiques. Mais ils facilitent considérablement les travaux de reconstruction.

J'en viens à présent au rôle particulier de la France. Depuis trois ans, elle a pris en effet un rôle de premier plan dans la lutte contre le changement climatique. Le CNES a accompagné ce mouvement. En 2015, de nombreux moyens de la nation ont été mobilisés pour préparer la COP21. Nous avons quant à nous sensibilisé le monde politique au rôle des satellites en ce domaine, notamment dans le suivi de 26 des 50 variables climatiques essentiels dont je parlais tout à l'heure. Notre approche est également partagée dans la mesure où, en septembre 2015, toutes les agences spatiales du monde, que nous avions réunies, ont adopté la déclaration de Mexico dans laquelle elles appellent l'attention des chefs d'État et de Gouvernement sur le rôle que jouent les satellites pour mesurer le changement climatique.

Après la COP 21 et l'accord de Paris qui en est découlé, nous avons tenu une nouvelle réunion en 2016, où nous avons mis l'accent sur l'enjeu important que représentent la mesure des gaz à effet de serre et la lutte contre leurs émissions, nos satellites Microcarb et Merlin étant appelés à jouer un rôle en ce domaine. Les déclarations adoptées ont été reprises et complétées dans le cadre des travaux de la COP 22 qui s'est tenu à Marrakech et qui a mis l'accent sur le rôle de l'eau. La conférence se tenait en effet en Afrique, où la question des besoins hydriques se pose avec acuité.

Le 12 décembre 2017, le One Planet Summit s'est tenu à Paris, à l'initiative du Président de la République. Il nous a demandés de poursuivre nos travaux sur la question ; nous avons donc proposé la création d'un Observatoire spatial du climat : cela a fait partie des douze objectifs qui ont été finalement proclamés par les participants au sommet. Nous sommes en train de mettre en place cet observatoire, avec le soutien de la quasi-totalité des États ; seuls les États-Unis, eu égard à la position du président Trump, n'en font pas encore partie. Les travaux se poursuivent néanmoins avec les collègues américains et je me rendrai à Washington le mois prochain, pour chercher à les convaincre du bien-fondé de la création de cet observatoire.

L'un de ses objectifs est de standardiser les données livrées par les satellites. Aujourd'hui, nous nous heurtons à la difficulté que les satellites chinois qui observent les concentrations de gaz carbonique livrent des données qui sont différentes des données européennes et américaines. Nous voulons au contraire que tous les satellites de la planète effectuent les mêmes mesures. Nous travaillons, en particulier avec les Chinois, sur cette question de la définition des standards. Lors de sa dernière visite en Chine, le Président de la République a abordé le sujet avec son homologue chinois. Un autre de nos objectifs est de garantir à la communauté scientifique le libre accès aux données collectées. L'Observatoire spatial serait ainsi une sorte de hub où les agences spatiales apporteraient leurs données, pour que les scientifiques puissent venir y puiser. Ceux-ci pourront ainsi nous aider à mieux comprendre le changement climatique, comme ils nous aideront à le corriger.

Cet Observatoire spatial du climat a reçu le soutien de la totalité des agences spatiales européennes, et gagné déjà celui des agences spatiales chinoise, russe, indienne, mexicaine, marocaine, ainsi que le soutien de l'agence des Émirats arabes unis. Le Président de la République se rendra en Inde dans deux semaines et la question est à l'ordre du jour de déplacement. Un mouvement mondial est ainsi amorcé. La création de l'observatoire est prévue pour cette année.

La France joue donc un rôle fondamental sur le sujet. La COP 21 et la déclaration de Paris ont en effet créé un esprit favorable. Loin d'être considérée comme une fin en soi, cette dernière a plutôt été envisagée comme un point de départ. Ses résultats ont été amplifiés et magnifiés par le One Planet Summit.

En conclusion, trois points sont à retenir. D'abord, sans les satellites, il n'est pas d'observation du climat ou de lutte contre le changement climatique qui tienne ; ils jouent dans ces deux domaines un rôle fondamental. Ensuite, les satellites sont précieux pour mesurer les phénomènes climatiques extrêmes, guider les secours et commencer les travaux de reconstruction – nos moyens ont été lourdement utilisés en ce sens en 2017. Enfin, la France joue un rôle particulier, comme elle l'a montré en organisant la COP 21. Nous pouvons en être fiers et nous allons continuer dans cette voie.

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Votre présentation me semble encourageante, puisque nous venons d'entendre qu'il y a un élan mondial pour appréhender le changement climatique.

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Vous avez parlé d'un programme spatial conduit avec le Royaume-Uni. Vu leur possible future sortie de l'Union européenne, cette coopération pourrait-elle être remise en cause ?

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

Non. Il s'agit d'une coopération bilatérale. La position européenne du Royaume-Uni impacte les activités menées dans le cadre de l'Union européenne. Mais la coopération s'effectue à trois niveaux.

La coopération au niveau de l'Union européenne englobe le programme Copernicus d'observation de la Terre et le programme Galileo de géolocalisation. La coopération intergouvernementale s'effectue au niveau de l'Agence spatiale européenne où le Royaume-Uni a, paradoxalement, augmenté sa contribution depuis le référendum sur la sortie de l'Union européenne ; désormais, la France en est le premier contributeur, l'Allemagne le deuxième et le Royaume-Uni le troisième. Microcarb s'inscrit dans le cadre de la coopération bilatérale. Nous avons d'ailleurs signé un accord pour préciser la façon dont ces données seront utilisées lors du sommet franco-britannique qui s'est tenu à Sandhurst, voilà quelques semaines.

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Le Centre national d'études spatiales a été à l'initiative de la création de l'Observatoire spatial du climat lors du One Planet Summit. Il a pour objectif de mutualiser les données climatiques acquises depuis l'espace et de faciliter leur utilisation par la communauté scientifique internationale. Comment expliquez-vous que la France soit à nouveau en pointe dans ce domaine ? Le CNES est-il en avance sur ses partenaires, notamment européens, sur la question du climat ? Quel intérêt, autre que scientifique, la France peut-elle espérer tirer de cette initiative ?

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

Je tiens tout d'abord à vous remercier pour vos propos élogieux à l'égard du CNES.

Nous sommes en avance pour deux raisons. D'abord, du fait d'une véritable excellence sur les questions climatiques au sein de la communauté scientifique française. On pourrait citer les noms de ceux qui ont révolutionné notre connaissance du climat, des prix Nobel qui ont été décernés sur le sujet. Ensuite, du fait d'une forte volonté politique. Nous sommes probablement le seul pays qui a exprimé, en 2015, cette volonté d'agir au plus haut niveau de l'État : le Président Hollande, le ministre des affaires étrangères de l'époque, Laurent Fabius, et, bien sûr, Mme Royal qui poursuit d'ailleurs cette action. Cette volonté politique, qui avait conduit alors à l'accord de Paris, a été amplifiée et magnifiée par l'action de l'actuel Président de la République lors du One Planet Summit le 12 décembre dernier. Ce moment d'exception dont on se rend compte qu'il n'existe pas si fréquemment a rassemblé, à la Seine musicale, à l'initiative d'Emmanuel Macron, la plupart des chefs d'État ou de gouvernement. C'est à partir de cette journée au cours de laquelle des études, des réflexions ont été menées sur le thème du climat, qu'est née l'idée de créer un Observatoire du climat – et je peux attester que ce dossier est suivi directement par le Président de la République. Comme je l'ai dit, il a abordé ce sujet avec le président chinois Xi Jinping lors de sa visite en Chine, et il est à l'ordre du jour de la prochaine visite qu'il effectuera en Inde et dans d'autres pays.

Au-delà de son intérêt scientifique, cet Observatoire vise à lutter contre ce que j'appellerai le dérèglement, plutôt que le changement, climatique, parce que s'il est vrai que l'on constate une élévation du niveau des océans, une hausse de la température et une augmentation des émissions de gaz à effet de serre, les conséquences les plus visibles sont des phénomènes extrêmes, comme les cyclones qui ont frappé l'arc antillais et une température de l'eau de 31 degrés au lieu de 26 ou 27 degrés en moyenne, ce qui est du jamais vu. Récemment, tout le monde s'est extasié qu'un avion ait relié New York à Londres en quatre heures en raison d'un vent qui soufflait à 350 kilomètres heure. Mais une telle vitesse n'existait pas auparavant. De même, depuis les premiers relevés météo qui datent de 1915, nous n'avions jamais enregistré une température de 24,5 degrés sur les bords de l'Hudson. Il est évidemment très important de lutter contre ces phénomènes extrêmes qui vont continuer à s'amplifier.

Si l'on veut être totalement pragmatique, il faut aussi noter que le fait de développer en France un écosystème autour du climat permet de tirer notre industrie et les services vers le haut et donc in fine d'augmenter notre activité économique, qu'il s'agisse de la fabrication des satellites ou de l'utilisation des données. Nous nous y retrouvons. Mais l'objectif ultime consiste bien à lutter contre le changement climatique car le péril est là. J'ai parlé d'une augmentation de 32 centimètres du niveau des océans sur un siècle, si le rythme reste celui que l'on a observé au cours des dix dernières années, mais ce phénomène risque de s'accélérer et d'entraîner plus rapidement encore la disparition de nombreuses régions.

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Aujourd'hui, pour mettre les satellites dans l'espace, il faut des lanceurs d'engins. Qu'en est-il de la capacité européenne face au nouveau lanceur d'Elon Musk qui fait grand bruit ces dernières années ?

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

Aujourd'hui, l'Europe dispose de lanceurs. Tout le monde connaît Ariane 5, qui est l'un des lanceurs les plus fiables au monde. D'autres lanceurs complètent la gamme ; nous les lançons depuis le centre spatial guyanais, qui est, avec les deux centres de Paris et le centre de Toulouse, l'un des quatre centres d'excellence du CNES.

Sans attendre le succès de M. Musk, nous avons d'ores et déjà commencé à préparer l'avenir : nous développons la gamme de lanceurs Ariane 6 et Vega-C et travaillons sur les lanceurs réutilisables dont on voit bien que c'est une tendance prometteuse.

C'est vrai, Elon Musk fait actuellement beaucoup de bruit avec ses lancements. Il se positionne essentiellement contre les acteurs historiques des lanceurs aux États-Unis, Boeing et Lockheed Martin. Avec nos projets pour l'avenir, Ariane 6 et Vega-C, et un peu plus tard les lanceurs réutilisables autour du duo Prometheus pour le moteur, Callisto pour le véhicule spatial, nous sommes à même de lui tenir tête. Cela dit, il ne faut pas se voiler la face : c'est un concurrent très sérieux parce qu'il applique de nouvelles méthodes, tant au niveau technique – il a ouvert la voie sur les lanceurs réutilisables – que de l'organisation. En effet, SpaceX est une gigantesque start-up très largement financée par le budget américain, mais c'est un mode de fonctionnement différent. Sans être suiviste, il faut analyser ce qu'il fait, et nous nous y employons. C'est d'ailleurs pour cela qu'il y a quelques années, le CNES, alors que des doutes s'exprimaient ici ou là sur la nécessité de passer à un lanceur de nouvelle génération, a poussé pour Ariane 6, et qu'il a pris la décision de se lancer dans les études sur les lanceurs réutilisables. Nous sommes confrontés à une nouvelle compétition, mais nous réagissons et je pense que nous pouvons dire que nous résistons bien.

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Monsieur Le Gall, merci pour votre présentation éclairante et pour les précisions que vous nous donnez sur le rôle important du CNES dans la gestion des catastrophes climatiques majeures. J'en profite pour saluer Pierre Trefouret que je suis très heureux de rencontrer dans cette enceinte.

Vous nous avez expliqué comment les images satellites étaient indispensables lors d'un incident climatique majeur, à la fois dans le temps de l'urgence et dans celui de la reconstruction. Il me semble que le CNES a lancé une plateforme au mois de mai 2017 sur la diffusion d'images satellitaires pour aider à la reconstruction d'Haïti après le cyclone Matthew en 2016. Il s'agit d'assurer le suivi, loin de l'immédiateté du feu médiatique des premiers jours.

Avez-vous aujourd'hui un retour d'expérience sur ce qui se passe ? Comment faites-vous concrètement lorsque nous nous éloignons de l'urgence ? Haïti est-il pour vous un pays pilote de l'observation et de la reconstruction ? Comment peut-on considérer que la technologie spatiale va aider sur le long terme ? Pendant combien de temps les images sont-elles diffusées ? Comment voyez-vous cette coopération internationale ? Le cas d'Haïti peut-il être dupliqué ailleurs ?

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

Nous aurions préféré ne pas avoir à intervenir à Haïti. Le passage de l'ouragan Matthew a donné lieu à l'utilisation d'images satellitaires parce que ce pays, qui est l'un des plus pauvres de la planète, ne dispose pas des moyens d'observation des dommages « classiques » que l'on peut utiliser dans des pays plus développés – aéronefs et hélicoptères notamment. Les satellites ont donc joué un rôle fondamental à la fois pour évaluer les dégâts et pour aider à la reconstruction.

La plateforme à laquelle vous faites allusion est toujours active. Les services qui reconstruisent Haïti ont accès à ces images quasiment en temps réel, ce qui leur permet de mesurer l'étendue des dégâts et d'évaluer l'évolution des dégâts dans le temps. En effet, un paysage qui a été totalement ravagé par un ouragan est dynamique : les cours d'eau ont pu bouger, la végétation reprend son développement, surtout dans ces régions tropicales où la croissance des végétaux est extrêmement rapide. La plateforme permet de suivre en permanence la situation. C'est un outil que nous sommes en train de dupliquer. Ainsi, ce Recovery Observatory sera utilisé à Saint-Martin. De façon plus générale, il est utilisé par la plupart des pays du monde.

La condition sine qua non, c'est le libre accès aux données. Là encore, voilà trois ou quatre ans, le CNES a pris des positions peut-être un peu inattendues. Certaines personnes craignaient en effet que des start-up aux États-Unis ou en Asie du Sud-Est puissent éventuellement gagner de l'argent en se servant de ces données mises en accès libre alors les satellites étaient développés et financés par le contribuable européen ou français. Je suis convaincu quant à moi que le succès de nos programmes se mesure à l'aune non pas d'hypothétiques royalties dont le montant serait ridiculement faible par rapport aux investissements consentis, mais du nombre d'utilisateurs de ces données. C'est pour cela que, s'agissant de Copernicus par exemple, nous avons été pionniers en mettant en place la plateforme d'exploitation des produits Sentinel (PEPS), Sentinel étant le nom des satellites Copernicus, qui a permis un libre accès aux données. Aujourd'hui, et cela me réjouit, eu égard au succès rencontré en la matière, certains de nos partenaires européens, qui avaient les plus grands doutes sur PEPS, sont en train, deux ans plus tard, de mettre en place une plateforme européenne appelée DIAS.

Le libre accès aux données est à mon avis la clé du succès. La méthode rappelle un peu celle de l'Observatoire spatial du climat, c'est-à-dire des données standardisées et une sorte de hub qui permet à tout le monde de s'en servir. Grâce à la transformation numérique de la société, des étudiants, des jeunes ingénieurs peuvent, dans des pays comme Haïti, inventer avec un simple ordinateur des applications, traiter les données et en tirer la quintessence s'ils y ont libre accès.

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Madame la présidente, je vous remercie de me donner la parole alors que je ne suis pas membre de cette mission, ce que je regrette.

L'observation satellite permet-elle d'anticiper le recul de notre trait de côte ? Celui-ci provient-il de la montée des eaux, des tempêtes ? Je rappelle que cet hiver, nous avons connu de grosses tempêtes en Bretagne. J'ai le bonheur d'être élu d'Erdeven et de Houat, dans le sud du Morbihan. Le maire d'Erdeven s'inquiétait de voir son trait de côte attaqué, et la maire de Houat m'a montré qu'une demi-dune avait totalement disparu.

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

L'observation satellite apporte un début de réponse, mais ne permet pas de faire de la prévision, car l'évolution du trait de côte est la conséquence de plusieurs facteurs : l'élévation du niveau de la mer, sur le long terme –, développement de la végétation et migration des courants, sur le moyen terme, et phénomènes sur le court terme extrêmement brutaux. Ainsi, une tempête très violente avec des vagues de dix mètres de haut peut évidemment faire bouger le trait de côte.

Globalement, les satellites sont indispensables. Ils permettent un suivi très précis, et sur les phénomènes de long et moyen terme de faire, par extrapolation, des prévisions. Les mangroves ont également une forte incidence sur le trait de côte. Le centre spatial guyanais, c'est trente kilomètres de côte et une surperficie à peu près équivalente à celle de la Martinique. Nous suivons l'évolution du trait de côte par satellite qui bouge très rapidement en raison des phénomènes liés aux mangroves. Suivre ces évolutions, c'est très bien, mais cette observation n'a pas beaucoup de sens si elle est limitée à quelques scientifiques happy few. C'est pour cela que les données doivent être en libre accès. De plus en plus d'applications existent sur les ordinateurs, les tablettes et sur les smartphones, ce qui permet au plus grand nombre de se servir en permanence de ces données satellitaires.

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Je vous remercie, monsieur Le Gall, pour les éléments que vous portez à notre connaissance, et pour nous avoir expliqué quel rôle fondamental jouent les satellites dans l'observation des phénomènes climatiques.

Je suis élue d'un territoire qui a été fortement touché par les récents cyclones, et j'avoue que lorsque vous parlez de l'élévation de la température de l'eau de 26 à 31 degrés, j'ai non pas froid dans le dos, mais chaud dans le dos…

Y a-t-il un risque de surélévation de la température dans cette zone des Antilles ? Quels sont les risques encourus par nos populations compte tenu de ce que nous avons vécu récemment ?

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

J'espère qu'il n'y a pas un risque de surélévation de la température. Avec 31 degrés, on est à la limite de ce qui existe. C'est vraiment de l'eau très chaude, et il y a peu d'océans qui ont des températures supérieures. Malheureusement on ne peut pas exclure que le phénomène se reproduise. L'été 2017 a été particulièrement chaud et, du fait de l'absence de vent, l'eau s'est peu évaporée et la température a donc peu diminué.

On ne peut pas lutter contre ces phénomènes – si ce n'est globalement en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, et c'est tout le sens de l'accord de Paris – mais on peut au moins les prévenir. À cet égard, dans les années qui viennent, la température locale de l'océan sera en quelque sorte un marqueur du risque cyclonique. En d'autres termes, il y aura beaucoup plus de risques qu'un cyclone survienne si la température de l'eau est très élevée. Dès lors, on pourra s'organiser. Grâce aux satellites, on arrive déjà à prédire ce qui va se passer à court terme. Ainsi, même si les cyclones tuent encore, ils tuent de moins en moins : on est passé de milliers de morts il y a trente ans, à quelques cas aujourd'hui. C'est spectaculaire ! On peut s'organiser, évacuer les populations… La connaissance de plus en plus précise en amont de l'état de la planète permet de quantifier le risque cyclonique et, à partir de là, de prévenir, ce qui est la meilleure façon d'éviter des désastres.

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Il se trouve que je préside le Comité national de suivi pour la gestion intégrée du trait de côte. Dans le cadre de la préparation d'un projet de loi sur le trait de côte, j'aimerais connaître votre analyse. Le phénomène est-il ou non prévisible ? Cela aura des conséquences en termes d'indemnisations, d'assurance, de nécessités de relocalisation… Dans quelle mesure les satellites et l'Observatoire peuvent-ils nous permettre d'avoir une meilleure connaissance et donc une meilleure définition de ce phénomène naturel ?

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

Comme je vous l'ai dit, les mouvements du trait de côte trouvent leur origine dans un continuum de phénomènes, qui vont du court terme au long terme. Le court terme, ce sont des événements totalement imprévisibles. En cas de tempête extrêmement violente par exemple, on se réveille le lendemain avec un trait de côte qui a considérablement bougé. En revanche, l'évolution des courants, de la végétation sont prévisibles sur le long terme. Les satellites peuvent apporter une connaissance, une évaluation prévisible sur le long terme de l'évolution du trait de côte ; ils donnent des informations très riches qui, là encore, sont en libre-service.

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Je vous remercie pour toutes ces réponses. Nous avons beaucoup apprécié votre pédagogie pour rendre ces informations les plus claires possible.

Je vous remercie également pour vos documents complémentaires. N'hésitez pas à nous envoyer des présentations vidéo, car ces images permettent de rendre plus tangible la question du changement climatique, l'augmentation des pollutions dans l'atmosphère. J'ai souvent constaté que les images satellitaires avaient beaucoup d'impact sur les publics qui les regardent. Nous pourrons les intégrer dans notre rapport qui sera mis en ligne.

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Je vous remercie pour la clarté de votre présentation. Votre propos était vraiment extrêmement intéressant et enrichissant.

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Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales (CNES)

Merci pour l'intérêt que vous nous portez, et les questions extrêmement précises que vous nous avez posées.

Le changement climatique est une réalité qui doit être appréciée, je crois, à l'aune de deux approches. D'une part, une approche sur le long terme, parce que la température du globe augmente, et que le niveau de l'océan va monter. Il faut corriger ce phénomène même si d'aucuns – et ce n'est pas très courageux – ont envie de le passer sous silence parce qu'il concernera essentiellement les générations futures. D'autre part, il y a l'approche sur le court terme avec des phénomènes extrêmement violents, qui peuvent être très meurtriers et qui eux nous touchent directement. Ainsi, l'augmentation de la température de la mer dans l'arc antillais est une conséquence du changement climatique sur le long terme. De même, l'augmentation de la vitesse des vents autour de la planète montre que le fonctionnement de notre planète évolue. Ces événements prouvent qu'il faut lutter contre le changement climatique et donc réduire les émissions de gaz à effet de serre. Il convient de tout faire pour que l'accord de Paris soit appliqué.

L'audition s'achève à douze heures vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 22 février 2018 à 11 h 15

Présents. - M. Bertrand Bouyx, M. Stéphane Buchou, M. Stéphane Claireaux, M. Yannick Haury, Mme Sandrine Josso, M. Emmanuel Maquet, M. Hugues Renson, Mme Maina Sage

Excusés. - M. Christophe Bouillon, Mme Sophie Panonacle

Assistaient également à la réunion. - Mme Josette Manin, M. Jimmy Pahun