Mission d'information sur la gestion des évènements climatiques majeurs dans les zones littorales de l'hexagone et des outre-mer

Réunion du mardi 20 mars 2018 à 16h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à seize heures quinze.

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Mme la présidente Maina Sage, retenue en séance publique, va nous rejoindre dans quelques instants. Elle m'a demandé d'ouvrir nos travaux. Je vous remercie de votre présence et de la contribution que vous allez nous apporter sur une série de questions que je reprends.

Comment est organisée, dans les hôpitaux, la réponse aux alertes résultant d'événements climatiques majeurs ? Des plans d'urgence sont-ils formalisés ?

Existe-t-il des plans spécifiques dans les zones littorales et dans les territoires ultra-marins ?

Quelles sont les opérations-type planifiées en cas de survenue d'un événement climatique majeur ? Quelle est l'articulation entre les différents acteurs – ministère de l'Intérieur, préfectures, services de secours, hôpitaux, collectivités locales ?

Quelle est l'articulation entre les hôpitaux et l'agence Santé publique France ?

Les plans de crise des événements climatiques majeurs ont-ils été modifiés à la suite des tempêtes ou ouragans comme Xynthia et Irma ?

Pouvez-vous analyser la gestion de la crise lors des ouragans de cet automne ? Quels enseignements en tirez-vous et que pourrait-on encore améliorer ?

Quelles sont vos recommandations pour améliorer la gestion des événements climatiques majeurs dans les zones littorales ?

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Catherine Latger, membre du bureau de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier

Je vous remercie. Je suis directrice du centre hospitalier Rives de Seine, qui regroupe les trois établissements de Neuilly, Courbevoie et Puteaux. En qualité de directrice de la qualité et de la gestion des risques dans d'autres établissements, notamment dans le sud de la France, j'ai eu à traiter des questions que vous soulevez.

Alexandre Mokédé, responsable du pôle « organisation sanitaire » de la Fédération des hôpitaux de France (FHF), et moi-même, vous remercions d'avoir associé la communauté hospitalière à vos réflexions. Nous allons essayer d'y contribuer, sans être exhaustifs bien sûr, et nous restons à votre disposition pour apporter des compléments.

Vous nous interrogez en premier lieu sur la réponse de nos établissements en cas de risque climatique majeur. Ils sont mobilisés depuis toujours pour faire face aux risques majeurs sur un enjeu essentiel, la continuité de fonctionnement des installations hospitalières au service de la population. Faire face à des événements ou des risques climatiques majeurs qui pourraient interrompre cette continuité est donc une préoccupation à laquelle, depuis longtemps, nos établissements ont essayé de trouver les réponses les plus adaptées.

Ces vingt dernières années, certains événements ont conduit à des changements. En 1999, une tempête a frappé l'ensemble du territoire et, on s'en souvient moins, un épisode cévenol violent a fait une trentaine de morts dans l'Aude et les Pyrénées-Orientales. L'arc méditerranéen est, malheureusement, souvent frappé par de tels événements climatiques majeurs : on y en a dénombré une quinzaine en quinze ans et ils ont fait plus de 200 morts depuis 1988. Les communautés hospitalières sont donc tout à fait sensibles à cette éventualité. Ainsi, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nîmes, pourtant situé à une cinquantaine de kilomètres à l'intérieur des terres, a été touché en 1988 ; la reconstruction s'est alors faite sur un site en hauteur, mieux protégé. Depuis 1999, donc, sur l'ensemble du territoire national, la sensibilité aux événements climatiques s'est accrue et les hôpitaux ont intégré progressivement le risque climatique dans leurs plans de gestion des risques et dans leurs plans blancs – les plans de mobilisation de la communauté hospitalière en cas d'événement majeur.

Ensuite, la dramatique canicule de 2003 a engendré, localement et de la part de l'État, un effort considérable pour mobiliser les ressources et les établissements et inscrire dans les plans blancs des mesures spécifiques, à savoir une anticipation de l'alerte, l'identification du type d'alerte, puis la mobilisation adaptée.

En ce qui concerne les réponses à une alerte, les établissements hospitaliers ont à faire face à un triple enjeu. Le premier est, je le répète, d'assurer la continuité de fonctionnement et, le cas échéant, accueillir des victimes ainsi que des sinistrés. Ainsi en 2005, suite à des inondations dans le Sud-Est, le CHU de Nîmes a eu à accueillir, en trois jours, 900 « naufragés de la route » que la société d'autoroute dirigeait vers nous. Il fallait ensuite, beaucoup de membres du personnel ne pouvant rentrer chez eux, organiser leur activité sur place et la relève. Il fallait enfin maintenir les moyens nécessaires pour traiter les blessés et victimes potentielles de l'événement climatique. Une telle mobilisation repose d'abord sur les propres forces de la communauté hospitalière : ainsi, les plans blancs contiennent des volets propres à des risques spécifiques, par exemple en zone littorale. Mais elle se fait aussi, et c'est très important, en coordination avec les services locaux, communaux, et ceux de l'État. En tant qu'opérateurs, un autre enjeu pour nous est de recevoir l'information aussi tôt que possible, d'être mobilisés au bon niveau et aussi de ne pas être « oubliés » dans la chaîne de mobilisation globale. Cela tient en partie à notre autonomie : nous sommes des établissements publics et non des services de l'État. Cette autonomie, nous la vivons comme une force. Mais il peut aussi arriver que cela pose un problème de coordination avec d'autres opérateurs, par exemple les pharmacies de ville. Pendant l'ouragan Irma, la pharmacie de Basse-Terre à la Guadeloupe a fermé sans en avertir l'hôpital. Les patients qui avaient besoin de médicaments se sont alors adressés au centre hospitalier de Basse-Terre. Ces petits retards ou défauts momentanés de communication sont en général réglés correctement, car les hospitaliers ont le réflexe de rendre compte et d'aller au-devant de l'information. Néanmoins, il convient d'assurer tous ensemble une coordination efficace.

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Alexandre Mokédé, responsable du pôle « organisation sanitaire » de la Fédération hospitalière de France

Comme Catherine Latger, j'insiste sur l'enjeu majeur pour les établissements hospitaliers : garantir la continuité du service public. Cela nécessite, d'une part, de faire preuve de résilience, c'est-à-dire de la capacité à assurer un fonctionnement « normal » malgré l'événement climatique, en ce qui concerne les capacités d'hospitalisation, de mobilisation des personnels et des ressources en matériel, et les nécessités de base – accès à l'électricité et à l'eau. Cela nécessite d'autre part de faire face à un afflux massif de victimes directes et indirectes, sans trop perturber le fonctionnement des services.

J'en prendrai deux exemples. S'agissant de résilience, à Saint-Martin une grande partie des capacités hospitalières a été détruite, ce qui ne permettait plus de prendre en charge, outre les blessés, l'activité normale. Il a donc fallu mettre en place toute une organisation pour évacuer les blessés et les malades. En revanche, à la Martinique, le cyclone n'a pas endommagé les capacités hospitalières, mais en raison des conséquences du cyclone Irma à Saint-Martin et à la Guadeloupe, ainsi que de victimes possibles à la Martinique, se préparer à un afflux plus important de patients nécessitait de mobiliser toutes les ressources. On a dû s'interroger sur un transfert de personnels vers la Guadeloupe et Saint-Martin, pour des spécialités « rares » comme les anesthésistes, les urgentistes, les infirmiers, tout en maintenant la capacité de traiter les urgences « normales » à la Martinique. C'est là qu'intervient la mobilisation de l'agence Santé publique France, comme vous l'avez mentionné dans l'une de vos questions.

C'est sur ces enjeux essentiels que les acteurs de terrain nous ont alertés : d'abord sur la nécessité de la résilience, c'est-à-dire de la capacité de l'établissement à assurer la continuité de sa mission malgré l'événement climatique ; puis sur la capacité d'anticipation, ce qui n'est pas aisé. Ainsi, on pouvait anticiper l'arrivée du cyclone Irma, mettre en place des plans, mais on ne pouvait pas anticiper son ampleur et la situation qu'il allait créer. Ils ont insisté ensuite la nécessité d'une bonne coordination avec les acteurs locaux. Elle est assurée, actuellement, par le centre opérationnel départemental (COD), ainsi que par les agences régionales de santé (ARS) et les préfectures de zone ; elle concerne l'ensemble des services de l'État et, en quelque sorte, l'hôpital se situe en bout de chaîne, comme un prestataire devant assurer la continuité des services sanitaires de même que la direction de l'équipement assure celle des services routiers, essentiels pour que les victimes ne restent pas isolées. Enfin, ils ont mis l'accent sur la réactivité, ce qui suppose en premier lieu de prendre les décisions à l'échelle la plus pertinente. La population de Saint-Martin a pu avoir l'impression que certains acteurs avaient constamment vingt-quatre heures de retard, ce qui peut tenir au fait que la chaîne de commandement est un peu lente à mobiliser. À l'échelle nationale, quand il faut référer au ministère pour chaque décision, l'obtenir en vingt-quatre heures, c'est peu. Mais sur le terrain, où la prise en charge des malades et des victimes exige de réagir minute par minute, heure par heure, vingt-quatre heures c'est beaucoup trop. La coordination doit pouvoir être faite au niveau local et les acteurs au plus près du terrain doivent pouvoir prendre des microdécisions. C'est encore plus vrai dans des zones éloignées d'outre-mer, où il faut que les acteurs sur place puissent être des décisionnaires.

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Je vous prie d'abord d'excuser mon retard, et je vous remercie pour ces premiers éléments de réponse.

Vous avez mentionné l'expérience vécue avec le cyclone Irma. Diriez-vous qu'il y aura un « avant » et un « après » Irma ? Avez-vous modifié certaines procédures internes ? J'ai bien entendu que, par une sorte de principe de subsidiarité, la prise de décision devait se faire plus localement pour une meilleure réactivité. Pouvez-vous, également, indiquer les pistes d'amélioration que vous envisagez en prévision de la prochaine saison cyclonique, qui approche ?

Je retiens aussi la nécessaire coordination entre acteurs locaux. Lors de notre mission aux Antilles, nous avons rencontré les responsables de l'ARS pour la Guadeloupe et la Martinique et constaté qu'il pouvait y avoir des différences d'organisation. Il est vrai qu'à la Martinique joue également le niveau régional. Quelles améliorations pensez-vous apporter dans ce domaine en vue d'événements futurs ?

Enfin, j'aimerais que vous fassiez le point sur la situation à la Guadeloupe. Pendant le cyclone, l'île a accueilli les évacués de Saint-Martin. Puis l'hôpital a été la proie d'un incendie. Dans quel délai va-t-on pouvoir remettre l'établissement à neuf, quels moyens y sont affectés, quelles solutions intermédiaires ont été mises en oeuvre ? Il faut gérer le quotidien, mais aussi se préparer à la saison cyclonique dans quelques mois.

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Catherine Latger, membre du bureau de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier

Sur ce dernier point, nous ne pourrons vous répondre complètement aujourd'hui. Sans doute votre mission pourra-t-elle auditionner utilement, même à distance, M. Pierre Thépot, le directeur général du CHU de Pointe-à-Pitre, et Mme Marie-Lilian Malaviolle, la directrice du centre hospitalier de la Basse-Terre. Ils se mobilisent depuis l'incendie pour renforcer une complémentarité naturelle qui a déjà fonctionné lors du cyclone Irma : à ce moment-là, les dégâts ont été un peu plus importants à la Basse-Terre qu'au CHU. Mais celui-ci fut ensuite victime de l'incendie, qui a entraîné le report d'un nombre important de patients. D'après les échanges que j'ai eus, notamment avec Mme Malaviolle, il s'agit d'une complémentarité au long cours. Sans entrer dans les détails techniques, la situation des locaux touchés par l'incendie fait l'objet d'une concertation entre le ministère des Outre-mer, celui de la Santé et les établissements de Guadeloupe. Elle nécessite qu'on prenne des décisions lourdes : déménagement complet ou partiel, mesures de protection de la santé des personnels dans une zone incendiée, etc. À titre personnel et de représentante de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier (CNDCH), je ne peux entrer dans les détails. Nous pourrons demander aux deux directeurs de vous adresser une contribution écrite. En tout cas, la complémentarité est très forte entre les établissements de Guadeloupe. Ils ont une grande habitude d'anticiper les événements, que ce soit des phénomènes climatiques ou les mouvements sociaux qui paralysent parfois une partie de leur activité. Dans le cadre des deux groupements hospitaliers de territoire auxquels ils appartiennent, ils mènent aussi des actions concrètes au bénéfice des patients à risque et notamment des malades chroniques, du fait de l'impossibilité d'utiliser une partie des locaux du CHU.

Peut-on parler d'un « avant » et d'un « après » Irma ? Sur un plan très pratique, les établissements ont dû prendre des mesures techniques pour mieux protéger certains éléments, notamment à Basse-Terre où il a fallu renforcer une partie des portiques des urgences qui avaient été arrachés. La question se pose d'ailleurs, plus globalement, pour tous les établissements confrontés à la possibilité de risques climatiques. Si l'on veut se prémunir de façon plus importante contre ces derniers, il faut, au niveau de chaque ARS, se poser la question des moyens d'investissement supplémentaires. Un cyclone d'amplitude majeure comme Irma pose de nouvelles questions techniques aux ingénieurs et spécialistes. Mais l'établissement, qui gère son budget de manière autonome, peut se trouver dans l'impossibilité de faire plus d'investissements dans ce domaine. Il faut donc faire le point dans chaque zone à risque, qu'il s'agisse de l'outre-mer, des littoraux ou d'autres : la récente crue de la Seine a obligé à évacuer en partie le centre hospitalier intercommunal de Meulan-Les Mureaux. Or, c'était la deuxième en trois ans. La multiplication de ces événements climatiques majeurs doit conduire à s'interroger sur les investissements à entreprendre dans les établissements de santé concernés pour qu'ils puissent assurer leur mission.

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Alexandre Mokédé, responsable du pôle « organisation sanitaire » de la Fédération hospitalière de France

Y aura-t-il un « après » Irma ? Nous le verrons, si je puis dire, lors du prochain cyclone ! Encore une fois, on ne peut anticiper l'ampleur de celui-ci. Une fois qu'il aura eu lieu, on pourra vraiment dire si l'on avait tiré toutes les leçons de l'épisode Irma. Pour le moment, les établissements travaillent à actualiser leur plan cyclone et à renforcer les liens avec leurs partenaires sanitaires. Par exemple, le directeur du centre hospitalier de Saint-Martin a insisté sur la nécessité d'avoir un lien plus fort avec l'ensemble des acteurs sanitaires du territoire – Catherine Latger a mentionné le cas des pharmacies d'officine. Chacun doit pouvoir dire ce qu'il fait à quel moment et les informations doivent être transmises aux autres, ce qui demande un travail en amont. Il faut que les acteurs qui seront amenés à travailler ensemble en période de crise se connaissent déjà très bien avant la crise. Ces rapports sont en train de se construire et de se renouveler. Il est certain que l'absence de stabilité dans les équipes administratives et hospitalières est cause de difficulté. Quand arrive la crise, une personne avec laquelle vous aviez tissé des liens pendant plusieurs années peut ne plus être en place. Pour le dire très clairement, quand on ne connaît plus le sous-préfet ou le commissaire, il est parfois plus difficile de prendre en charge, ensemble, l'événement. Il faut donc construire une vraie communauté de travail des acteurs des services publics et des services sanitaires sur le territoire pour savoir qui fait quoi à quel moment et le faire savoir à tous.

Deux autres éléments peuvent paraître plus surprenants, car on n'y pense pas spontanément. D'abord, il y a le problème de la sécurité dont les acteurs, en Martinique et à Saint-Martin, auraient souhaité qu'il soit pris en charge avec plus de fermeté, de volontarisme de la part de l'État. Selon certains même, l'armée aurait pu intervenir plus fermement. Il était en effet fondamental de rassurer les populations, et aussi les personnels soignants : le directeur du centre hospitalier de Saint-Martin m'a ainsi raconté que certains membres du personnel ne voulaient plus venir au travail parce qu'ils gardaient leurs maisons – à l'inverse, certains avaient peur d'être agressés s'ils rentraient chez eux. De façon plus surprenante, le problème s'est posé dans les mêmes termes en Martinique. Le chef de service des urgences chargé de la gestion de crise du CHU de Martinique, que vous pourrez consulter, pense également qu'il aurait fallu avoir une approche plus ferme de la question sécuritaire.

Se pose ensuite la question du traitement international de la crise. Dans le cadre du principe de subsidiarité, selon les acteurs de la Caraïbe – je n'ai pas encore de retour de La Réunion ou de Polynésie – des crises comme celle qu'a provoquée Irma peuvent difficilement être traitées à l'échelle française. Il faudrait avoir une collaboration plus étroite avec Sint-Maarten – la partie néerlandaise de Saint-Martin – et l'ensemble des pays de la Caraïbe. Paradoxalement, du fait de leur rattachement à la métropole, les îles françaises sont isolées au sein de la Caraïbe et travaillent relativement peu avec leurs voisins immédiats. À la limite, je dirai que la liaison est plus facile avec Bordeaux qu'avec Sint-Maarten, la Dominique ou Sainte-Lucie. Pour les professionnels, il faudrait rompre cet isolement. Il existe deux possibilités : soit intégrer dans la cellule de gestion de crise un représentant du ministère des affaires étrangères qui pourra décider en matière de coopération transfrontalière, soit, en se référant au principe de subsidiarité, donner plus d'autonomie aux acteurs locaux pour nouer ces collaborations.

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Lors de son audition, le directeur de l'hôpital de Saint-Martin a aussi mentionné ce problème de sécurité, et la difficulté qu'il a eue à obtenir les militaires qu'il souhaitait y voir affecter. L'hôpital n'était pas associé au COD. Son directeur pense que, si son représentant avait participé chaque matin à la réunion commune, il aurait pu apporter sa contribution. Par ailleurs, la consigne est d'évacuer de façon systématique les patients, sauf ceux que leur état de santé ne permet pas de transférer. Ne faudrait-il pas plutôt laisser un pouvoir d'appréciation aux instances de l'hôpital ? À Saint-Martin, après l'ouragan, on s'est trouvé avec des capacités d'accueil non utilisées. Il faut dire aussi que d'emblée, la population a considéré que l'hôpital était un lieu de refuge.

Enfin, à la Guadeloupe – mais pas à Saint-Martin –, on a fait valoir qu'une disposition réglementaire interdisait à l'hôpital de délivrer des médicaments à des patients extérieurs. On a suggéré de revoir la réglementation pour qu'en cas d'événement majeur, la pharmacie d'hôpital puisse suppléer les pharmacies d'officine fermées.

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Catherine Latger, membre du bureau de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier

Vous abordez la question du fonctionnement de l'hôpital, la vision que les services de l'État ont de leur rôle et de la façon dont les décisions peuvent être prises.

Les 1 200 établissements sur le territoire sont désormais bien mieux reliés entre eux qu'ils ne l'étaient il y a dix ans. En outre-mer et dans les zones littorales, des dizaines d'entre eux sont susceptibles d'avoir à faire face à des risques majeurs, et dans leur cas la rapidité de décision est essentielle, car comme le disait Alexandre Mokédé, quelques minutes de retard peuvent être critiques et aggraver les choses. Ici se pose une difficulté. L'autonomie des établissements, qui fait leur force, permet certes aux professionnels de décider entre eux de la meilleure réponse à apporter pour assurer la continuité du service à la population. Mais cela suppose qu'il y ait eu, auparavant, quand ils ont élaboré leur plan de crise, suffisamment d'occasions d'échanger avec les autres opérateurs.

Vous citiez le cas de la permanence des soins ambulatoires par les pharmacies d'officine, mais il en serait de même – je ne sais si cela a été le cas – avec les médecins de ville et les soins infirmiers. Il faut donc voir comment inclure ces professionnels, en particulier en période de crise, dans la construction des actions de prévention et de traitement. Sans doute dans de nombreux plans y a-t-on pensé, mais ce n'est pas systématique. Cela repose, comme souvent, sur le bon sens des acteurs, qui est un élément de base de la gestion de crise : nous faisons confiance aux communautés pour définir ensemble les mesures nécessaires. Mais pour reprendre l'exemple de Basse-Terre, les urgences se sont trouvées en difficulté quand l'officine a fermé, comme il est normal et prévu qu'elle le fasse en cas d'alerte rouge, mais sans que l'information soit diffusée, ce qui a causé un moment de flottement. Il vaut certainement la peine de faire de cette coordination des acteurs une priorité dans l'élaboration en commun des plans de gestion des risques.

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Alexandre Mokédé, responsable du pôle « organisation sanitaire » de la Fédération hospitalière de France

Sur le plan réglementaire en effet, les pharmacies d'hôpital sont des établissements à usage intérieur, c'est-à-dire qu'elles ne délivrent de médicaments que pour les personnes hospitalisées. Il existe certes un certain nombre de dérogations, mais je ne peux affirmer que cela couvre les cas de crises sanitaires majeures, pendant lesquelles il leur serait permis de délivrer des médicaments à des patients extérieurs. Il faudra vérifier précisément. C'est peut-être bien là la difficulté dont vous ont fait part les acteurs sur place.

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À votre avis, faut-il mieux organiser le suivi sanitaire des réfugiés climatiques comme ceux qui ont afflué de la Dominique en Guadeloupe ?

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Catherine Latger, membre du bureau de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier

En effet, outre la gestion pratique des crises au sens strict, d'autres préoccupations se font jour, et la gestion des réfugiés climatiques en est une. On touche ici à la conception des missions de l'hôpital en temps normal ou en temps de crise. Il faut en traiter à un niveau réglementaire adéquat pour que cette gestion soit identifiée comme une des missions de l'hôpital, que des moyens soient disponibles et qu'on puisse y avoir recours le moment venu.

Sans être nous-mêmes médecins, nous pouvons relayer la préoccupation des professionnels, qui veulent pouvoir faire face à l'émergence éventuelle de maladies en raison de l'altération des conditions de vie et d'habitat habituelles et de la destruction des réseaux d'électricité et d'eau potable. Il en est traité dans les plans d'urgence, mais sans doute faut-il actualiser la réglementation afin d'organiser la mobilisation de tous les acteurs à ce sujet.

La gestion des réfugiés climatiques exige aussi une coordination. Pendant la phase aiguë de la crise, l'hôpital joue tout son rôle pour traiter les blessés, prévenir les infections, permettre l'accès à l'eau ; mais ensuite, il n'est pas armé pour les prendre en charge. Or les professionnels en ressentent la nécessité, d'autant que, si l'on en croit les prévisions du GIEC et de tous les climatologues, de tels phénomènes vont s'amplifier, en intensité et en durée. Les dévastations à Saint-Martin ont atteint un niveau inégalé jusque-là. Mais il faut pouvoir transformer les rouages des opérateurs de santé et du ministère de l'Intérieur, pour passer à un cran supérieur et construire ensemble un autre cadre. Il faut mieux structurer et assurer la cohérence de la loi s'il le faut et de la réglementation à disposition des communes et des préfectures, pour entraîner l'hôpital dans une chaîne de l'action, car il ne peut assumer cette action seul.

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Vous avez abordé une réflexion plus globale, à propos par exemple des investissements à prévoir pour mieux préparer le monde hospitalier à ce type d'événements. S'agissant des moyens humains, la formation initiale intègre-t-elle actuellement cette dimension ? Lors de notre visite aux Antilles, on nous a indiqué qu'autrefois il était obligatoire de passer un diplôme universitaire de gestion des risques naturels, et que ce n'est plus le cas. Il existait aussi une capacité en droit dans ce domaine. Certains ont souhaité que cela fasse partie de la formation des personnels de santé avant qu'ils soient nommés ou mutés dans ces zones très exposées non seulement aux cyclones, mais à l'éruption volcanique, au risque sismique, au tsunami. Aborde-t-on déjà ces sujets dans la formation initiale et continue ?

Enfin, je sais qu'on a mené très activement une lutte antivectorielle, qui a permis d'éviter les épidémies après Irma. Reste que dans de nombreux sites que nous avons visités, des habitations détruites et restées en l'état, des piscines aussi, sont autant de gîtes à moustiques. Il est vrai que la responsabilité des propriétaires est aussi en jeu. Mais pensez-vous qu'on puisse envisager une action de niveau national pour leur rappeler leur responsabilité et peut-être engager des moyens hors du commun pour assainir ces endroits qui peuvent favoriser le risque épidémiologique lors de la prochaine saison cyclonique, c'est-à-dire dans six mois ?

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Catherine Latger, membre du bureau de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier

Il n'est guère surprenant, en effet, de constater une certaine latence dans la période qui suit l'événement. Pensons au temps qu'il a fallu, en métropole, pour que les zones touchées par la tempête de 1999 se rétablissent et pour reconstituer les forêts. Il en est allé de même après la tempête Xynthia. En tant que représentants de la communauté hospitalière, nous ne sommes pas vraiment en état de dire pourquoi il en est ainsi. En revanche, nous adhérons volontiers à votre suggestion qu'il y ait une mobilisation des responsabilités individuelles au niveau local, mais aussi donner priorité à des actions « coup de poing ». C'est vrai en particulier pour la lutte contre la prolifération des moustiques qui, depuis plusieurs années, ont été responsables aux Antilles de crises importantes, avec le chikungunya, la dengue, le virus zika. Le monde hospitalier, qui intervient au niveau de la réparation en quelque sorte, ne peut qu'encourager vivement de telles actions. Les spécialistes des maladies tropicales dans nos établissements ressentent un certain désarroi en constatant le temps qu'il faut pour traiter des problèmes. On le sait, les questions d'assurance jouent leur rôle. Et même dans un schéma global, quand les dévastations sont si importantes, on se demande par où commencer.

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Alexandre Mokédé, responsable du pôle « organisation sanitaire » de la Fédération hospitalière de France

S'agissant de la lutte antivectorielle, il faut effectivement agir à l'échelon local. À La Réunion, à la Martinique et en Guadeloupe, les ARS ont mené des campagnes dans des media locaux sur la nécessité d'éliminer les eaux stagnantes. Ce travail de prévention et de santé publique leur revient, mais les établissements s'y associeront car ils ont également pour mission de préserver la santé publique sur leur territoire. Nous en sommes d'accord, des actions marquées sont une bonne chose – sur le plan de la communication s'entend, car pour ce qui est de la coercition, j'ai quelque doute sur notre possibilité de contraindre les propriétaires à vider les piscines et autres lieux.

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Alexandre Mokédé, responsable du pôle « organisation sanitaire » de la Fédération hospitalière de France

Il faudrait alors disposer des véhicules législatifs qui le permettent.

S'agissant de la formation, c'est toute la question de la culture du risque que vous soulevez. Pour la formation initiale, les maquettes sont nationales. Or il n'existe pas encore de culture du risque climatique, au niveau national. Je dois avouer que je ne crois pas trop à la possibilité d'une sensibilisation au risque cyclonique ou au risque sismique à cet échelon. De plus, les responsables de cette formation, doyens de faculté ou responsables des instituts de formation en soins infirmiers – les IFSI – considèrent déjà que les cursus sont très chargés et qu'il est difficile d'y ajouter d'autres modules.

En revanche, une idée très intéressante à explorer est d'offrir, là où il y a des risques particuliers, dans les DOM ou sur certains littoraux, une formation spécifique sur les risques qu'on peut avoir à prendre en charge dans les établissements. De là à former tous les personnels, surtout à un diplôme universitaire de gestion des risques climatiques, j'ai également des doutes. Dans les gros établissements comme le CHU de Martinique ou celui de La Réunion, ce ne serait pas soutenable pour l'organisation ni d'ailleurs, pour les professionnels. On peut peut-être envisager des modules particuliers ; dans ce cas il serait très important que ce soit en lien avec d'autres acteurs, car l'hôpital n'est pas le seul concerné. Une piste intéressante à explorer serait l'organisation de formations en commun avec les services préfectoraux, le service départemental d'incendie et de secours et la gendarmerie.

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Catherine Latger, membre du bureau de la Conférence nationale des directeurs de centre hospitalier

Je partage cette idée qu'il faut plutôt organiser cela dans le cadre de la formation continue. Cela étant, on peut penser également à mieux sensibiliser aux risques urgents dans les établissements. Par exemple, un externe qui arrive dans un établissement à risque n'a pas forcément conscience du fait que l'hôpital est organisé pour faire face à des risques spécifiques. Mais parmi les obligations des établissements figure l'organisation d'exercices. Certes, la tension sur les effectifs rend de plus en plus difficile d'organiser cette mobilisation à grande échelle. Nous nous y astreignons cependant, car cela fait partie de notre mission. Ces exercices, sur les risques climatiques, mais aussi bien d'autres concernent au premier chef les équipes d'urgence qui peuvent y être confrontées – risques nucléaire, chimique, bactériologique. Mais la mission des établissements est aussi d'y sensibiliser au quotidien, même si ce n'est pas facile.

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Je vous remercie tous deux pour cet échange très riche. Nous ne manquerons pas de vous informer des conclusions de notre mission afin de nourrir des pistes utiles en interne dans vos organisations, et peut-être aussi nous retrouver sur des propositions. Nous rendrons le rapport de nos travaux vers le mois de septembre très probablement. N'hésitez pas à nous faire parvenir des documents complémentaires. De notre côté, nous nous permettrons de vous interroger sur d'autres sujets au fur et à mesure de nos auditions.

Je laisse le mot de la fin à M. le rapporteur.

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En fait, je voudrais seulement évoquer un sujet dont nous n'avons pas parlé, mais sur lequel on a appelé notre attention sur place, celui des algues sargasses. Mme la présidente et moi-même sommes allés visiter certains secteurs où des capteurs sont installés. Les représentants de l'ARS nous ont fourni leurs relevés : l'odeur qui se dégage est au-delà de ce qu'on peut imaginer et les populations s'inquiètent parfois de la présence d'hydrogène sulfuré. Le phénomène est très lié aux vents, qui peuvent aussi s'inverser. Mais une fois les algues accumulées dans une baie, elles n'en sortent pas. Ce type de problème n'est pas de même nature que les événements climatiques majeurs, mais il a aussi des conséquences et pour la population et pour le tourisme.

L'audition s'achève à dix-sept heures.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 20 mars 2018 à 15 h 30

Présents. - M. Yannick Haury, Mme Maina Sage

Excusés. - M. Christophe Bouillon, M. Bertrand Bouyx, M. Philippe Michel-Kleisbauer