Commission des affaires sociales

Réunion du mardi 27 mars 2018 à 8h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • déficit
  • numérique
  • prévision
  • structurel

La réunion

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Mardi 27 mars 2018

La séance est ouverte à huit heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente de la Commission et de M. Éric Woerth, président de la commission des finances)

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La commission entend, conjointement avec la commission des finances, Mme Maya Bacache-Beauvallet, préalablement à sa nomination au Haut Conseil des finances publiques Mardi 27 mars 2018

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Le mandat de M. François Bourguignon au sein du Haut Conseil des finances publiques est arrivé à son terme. Nommé en mai 2013 par M. Claude Bartolone, alors président de l'Assemblée nationale, il avait remplacé M. Jean Pisani-Ferry, qui avait démissionné deux mois après sa nomination à la suite de sa désignation aux fonctions de commissaire général de France Stratégie.

Le Président de l'Assemblée nationale nous a fait savoir qu'il allait nommer Mme Maya Bacache-Beauvallet au Haut Conseil des finances publiques.

Je rappelle que l'article 11 de la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques dispose que les membres du Haut Conseil « sont nommés après audition publique conjointe de la commission des finances et de la commission des affaires sociales de l'assemblée concernée ».

Nous sommes donc réunis ce matin avec nos collègues de la commission des affaires sociales afin de procéder à cette audition, qui permettra notamment à Mme Bacache-Beauvallet de nous présenter son parcours.

Le Haut Conseil des finances publiques est une institution importante, issue du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Il constitue un instrument supplémentaire de contrôle des finances publiques et ses avis fournissent tout au long de l'année des bases objectives pour aborder les débats budgétaires. Composé de personnalités qualifiées, il s'intéresse principalement aux données macroéconomiques comme la croissance ou les soldes budgétaires. Il indique si la politique budgétaire du Gouvernement est réaliste. Il vérifie, avant l'examen du projet de loi de règlement, si les chiffres sont conformes aux trajectoires fixées et propose des mesures correctrices s'il constate des écarts. Précisons, pour finir, que nous auditionnons régulièrement son président, M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes.

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Monsieur le président, je vous laisserai officier durant cette réunion.

Avant que Mme Bacache-Beauvallet ne prenne la parole, je tiens à préciser que je n'ai aucun lien de parenté avec M. François Bourguignon...

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Maya Bacache-Beauvallet

C'est un honneur pour moi d'être parmi vous ; un honneur teinté d'émotion car je suis appelée à remplacer François Bourguignon, éminent économiste qui a été l'un de mes professeurs. J'espère être à la hauteur de ce passage de témoin, de génération et de genre.

Professeur en sciences économiques à l'école d'ingénieurs Telecom-Paristech, je me définirai comme une macroéconomiste spécialiste d'économie publique, de l'État, au sens large.

Mes travaux de recherche sur les pouvoirs publics comprennent trois volets susceptibles d'intéresser le Haut Conseil : les finances publiques – dépenses et fiscalité publiques – ; les politiques publiques et leur efficience ; les hommes et les femmes qui font l'État, autrement dit les agents publics et les fonctionnaires, donc l'emploi public et la masse salariale de l'État. À cela s'ajoute un quatrième volet, le numérique, qui a priori n'a rien à avoir avec le champ couvert par le Haut Conseil. Je dis a priori car en réalité, le numérique a un impact très important sur l'action publique, sur la modernisation de l'administration et sur les données nécessaires à l'évaluation et à la prévision macroéconomique.

Je me suis consacrée aux finances publiques dès la rédaction de ma thèse, dont le premier chapitre portait sur les ajustements budgétaires, qu'il s'agisse de leur nécessité et de leur impact macroéconomique ou de leur économie politique. Comment arriver à un consensus politique ? Comment les luttes de pouvoir s'installent ? Sur quel équilibre politique repose la décision de diminuer les dépenses publiques ou d'augmenter les impôts ?

Il se trouve que les finances publiques sont aussi l'objet de mon plus récent travail de recherche. Pour le Conseil d'analyse économique (CAE), dont je suis membre, j'ai rédigé une note avec d'éminents économistes sur les conditions de réduction des dépenses publiques en France.

Le numérique a également sa place dans l'étude des finances publiques. Vous le savez, la fiscalité numérique est un enjeu très important en ce moment. Avec des chercheurs de la Paris School of Economics (PSE) et de la Toulouse School of Economics (TSE), nous avons mené un travail sur les conséquences d'une imposition des GAFA – Google, Apple, Facebook, Amazon.

La loi organique relative aux lois de finances (LOLF) a été votée en 2001 au moment où je finissais ma thèse et j'ai très vite été amenée à travailler sur l'évaluation des politiques publiques. Mes analyses ont porté sur un champ a priori très éloigné de l'évaluation : la justice. Il me semblait important d'étudier des secteurs régaliens, plutôt symboliques, pour déterminer s'il était possible de quantifier et d'évaluer la performance du système judiciaire et faire en sorte de conserver la qualité du service tout en optimisant les dépenses.

Très vite, il m'est apparu que travailler sur les politiques publiques et la réforme de l'État ne pouvait pas se faire sans comprendre le fonctionnement de l'emploi public : la motivation des agents, leurs carrières, les éléments permettant de les rendre plus efficaces, plus ouverts, plus coopératifs. Je me suis donc attachée au management public. Ce qui m'a beaucoup amusée, c'est de cerner la manière dont les politiques publiques font l'objet d'anticipations rationnelles de la part des agents et d'analyser comment les pouvoirs publics sont conduits à les contourner.

Le dernier volet de mes recherches est le numérique, qui transforme en profondeur l'action publique. L'administration numérique est un moyen de réduire les dépenses ou de les optimiser mais, plus largement, elle modifie le rapport aux citoyens. Certains vont jusqu'à parler d'« État-plateforme », notion qui permet d'intégrer le fait que l'usager coproduit le service public avec l'agent. Le numérique intervient aussi dans l'ouverture des données et leur transparence.

Voici, rapidement présentées, les quatre dimensions de mes recherches, qui seront, je le crois, utiles dans le cadre de mes fonctions au Haut Conseil.

J'aimerais maintenant vous indiquer quels sont, pour moi, les trois défis attachés à ma future nomination.

Lorsque j'ai commencé mes recherches, l'économie ne m'a intéressée que parce que c'est une science qui veut expliquer le monde contemporain, une science qui nous met en prise avec la réalité. La tâche de l'économiste n'a d'intérêt, selon moi, que si elle aide à la décision, que si elle oriente et guide l'action publique. Cette préoccupation explique mes passages au Trésor, à l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et mon travail au sein du CAE. L'entrée au Haut Conseil constitue à mes yeux une forme de participation à l'action publique.

Le Haut Conseil est aujourd'hui une institution installée : elle est écoutée, elle est crédible, elle est légitime. Ses avis sont lus et reconnus, notamment par le monde académique. L'un des enjeux qui m'intéressent particulièrement est le débat lancé dans les années 2000 par Jean-Jacques Laffont sur la réforme de l'État : l'action de l'État n'est plus crédible, un doute pèse sur les motivations des hommes politiques et des fonctionnaires eux-mêmes et, dans ce contexte, il est nécessaire de se tourner vers des institutions de régulation et de contrôle qui redonnent de la légitimité aux instances politiques traditionnelles. En participant au Haut Conseil, j'aimerais contribuer à mener cette réflexion à son terme.

Le troisième défi est pour moi essentiel, c'est la question de la prévision. Galbraith disait que le seul avantage de la prévision économique était de rendre l'astrologie un peu plus rationnelle. Est-ce à dire que les économistes sont incapables de prévoir ? Je me souviens de mon premier cours d'économie avec Daniel Cohen à l'École normale : la seule différence avec la science dure, nous a-t-il expliqué, c'est que la science économique ne peut pas prévoir. Si un ingénieur dit qu'un pont va s'écrouler quand un train passera dessus avec telle charge, tel jour à telle heure, le pont s'écroulera dans les conditions qu'il a décrites ; si un économiste dit que demain, il y aura une crise, la crise n'aura pas lieu demain mais le jour même car en économie, toute annonce modifie le comportement des agents et la rend caduque. Cette difficulté est inhérente à la prévision économique. Ce n'est pas la compétence de l'économiste qui est en cause mais le fait que l'homme est un agent rationnel qui modifie ses comportements. Entre économistes, nous nous référons à la critique de Lucas, qui a maintenant une quarantaine d'années. Toute politique économique se heurte à l'écueil suivant : elle anticipe ses effets à action donnée des agents alors que ceux-ci anticipent les effets de cette politique et modifient leurs actions en conséquence. Nous sommes sans cesse renvoyés à la difficulté de la prévision et c'est ce qui en fait un défi intéressant. Comment intégrer la liberté des agents et leur propension à modifier leurs comportements ?

Le jeu entre la politique publique et la modification par l'agent de son propre comportement, nous l'appelons l'incohérence intertemporelle. Dans le cas du Haut Conseil, cela a une incidence précise. Le Gouvernement anticipant les avis de l'organisme régulateur va ex ante faire une annonce crédible. Et que le Haut Conseil puisse constater que les prévisions du Gouvernement sont correctes est le meilleur signe de son succès : cela signifie qu'il a eu une influence sur les actions du Gouvernement avant même qu'il les évalue.

Sachez, mesdames, messieurs les députés, que je prendrai ma mission à coeur et que j'ai hâte de la mener à bien, tant elle me paraît passionnante.

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Je tiens à vous rassurer sur un point : le décideur public qui prendrait la décision de faire circuler le train malgré les prévisions de l'ingénieur serait dangereusement irresponsable. La rétroaction joue aussi dans les sciences dures.

Votre audition se déroule tout en douceur puisque nous n'avons la possibilité ni de faire barrage à votre nomination ni de l'encourager. Les deux qualités que nous sommes en droit d'attendre de vous dans vos futures fonctions sont l'intégrité morale et la compétence technique, et nous n'avons aucune raison de mettre en doute l'une ou l'autre.

Les membres du Haut Conseil sont en quelque sorte les enfants du TSCG. Ce traité a introduit de la relativité par rapport aux normes fixées dans le traité de Maastricht puis dans le pacte de stabilité et de croissance en matière de déficit et d'endettement publics. Le pacte budgétaire européen, dont le keynésianisme n'a pas été suffisamment souligné par ses adversaires, a introduit des notions telles que le « déficit structurel » ou la « croissance potentielle », qui ont constitué un grand progrès par rapport au seuil bête et méchant des 3 % – le fameux drei Komma null – qui prévalait jusqu'alors.

J'aimerais avoir votre point de vue sur ces notions, notamment sur le déficit structurel, qui est particulièrement difficile à évaluer et sur lequel le consensus économique ne se fait pas aisément, notamment entre la Commission européenne et les instances indépendantes nationales comme le Haut Conseil dont vous allez devenir membre par la volonté de M. de Rugy.

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Les concepts de croissance potentielle, d'écarts de production, de déficit structurel sont régulièrement remis en cause au sein de nos commissions.

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Hier, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) a annoncé que le déficit public pour 2017 s'élevait à 2,6 % du produit intérieur brut, soit une baisse de 0,8 point par rapport à 2016 et un pourcentage moins élevé que celui prévu par la loi de finances initiale votée sous la précédente législature. Cela en fait le meilleur résultat en comptabilité nationale depuis 2007.

Pourtant, dans son avis sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2017, publié à l'automne 2016, le Haut Conseil des finances publiques avait estimé « incertain » le retour du déficit sous la barre des 3 % de produit intérieur brut (PIB) et « improbable » l'atteinte de l'objectif de déficit fixé à 2,7 %. Et c'est sur la base de cet avis manifestement pessimiste qu'a débuté le débat budgétaire de l'automne 2016.

Que pensez-vous des termes employés par le Haut Conseil dans cet avis ? Que suggéreriez-vous pour garantir dans le temps la crédibilité de ses avis, qui constituent une aide à la prise de décision ? De manière générale, pensez-vous que le Haut Conseil est en mesure de porter une appréciation sur les prévisions de déficit public ? Ne devrait-il pas se limiter au rôle prévu par la loi organique du 17 décembre 2012, dans ses articles 12 à 17, à savoir exprimer un avis sur la crédibilité du scénario macroéconomique sous-tendant un projet de loi de finances, sur l'estimation du PIB potentiel et sur la cohérence du calcul du solde structurel ?

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En tant que rapporteur spécial des crédits de la mission Conseil et contrôle de l'État, qui inclut le programme 340 Haut Conseil des finances publiques, je souhaiterais avoir votre avis sur les réflexions contenues dans mon rapport, déjà portées par mon collègue Philippe Vigier quand il était rapporteur spécial.

Le Haut Conseil des finances publiques trouve son origine dans le TSCG, signé le 2 mars 2012, qui confie la surveillance du respect du principe de l'équilibre budgétaire à des organismes nationaux indépendants. Alors que certains pays ont attribué cette mission à leur Cour des comptes – considérée par la Commission européenne comme un organisme indépendant –, la France a choisi de créer une nouvelle instance : le Haut Conseil des finances publiques.

Les crédits du Haut Conseil sont plutôt en baisse depuis 2014, même si l'on observe une légère augmentation en 2017. Cela n'alimente-t-il pas les interrogations déjà exprimées par Philippe Vigier quant à la pertinence du maintien d'un programme budgétaire ad hoc ?

À mon sens, cette question revêt moins d'importance que celle de son rôle auprès des pouvoirs publics. Certes, le rapporteur général vient de le rappeler, le Haut Conseil est chargé d'exprimer un avis sur la crédibilité du scénario macroéconomique sous-tendant le projet de loi de finances, sur l'estimation du PIB potentiel et sur la cohérence du calcul du solde structurel. Mais l'avant-dernier rapport du Haut Conseil comprenait des considérations sur les dépenses budgétaires : son avis débordait donc de son champ de compétence. Le Haut Conseil doit-il se limiter à ses missions actuelles ou serait-il opportun d'élargir ses compétences ?

Vous le savez, l'Assemblée nationale veut permettre aux parlementaires d'exercer leurs compétences de contrôle et d'évaluation des politiques publiques dans de meilleures conditions. Aux côtés de la Cour des comptes qui participe à cette réflexion, quelle est votre conception de l'accompagnement de ce processus ? Sur quels nouveaux outils d'expertise les parlementaires pourraient-ils s'appuyer pour mieux évaluer les politiques publiques ?

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Quel est votre point de vue sur l'objectif de réduction de la dette publique locale – à 5,2 % du PIB en 2022, contre 8,6 % en 2017 ? Comment jugez-vous l'effort très important de désendettement demandé aux collectivités territoriales, alors qu'elles soutiennent fortement les investissements publics ?

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Je suis très heureux d'entendre la passion qui vous anime. J'aurais pu signer les propos de mon successeur ! Néanmoins, la Cour des comptes et le Haut Conseil ont montré l'exemple ces dernières années, sans que l'excellence de leurs conseils et la qualité de leurs rapports n'en pâtissent : regardez le périmètre des dépenses publiques et les budgets qui leur ont été alloués ! Nous avons besoin d'un Haut Conseil fort.

Nous avons également parlé du contrôle parlementaire. Dans le cadre de la réforme constitutionnelle, je fais partie de ceux qui proposeront peut-être une saisine de la Cour des comptes par les parlementaires – elle n'est pas possible à l'heure actuelle. Qu'en pensez-vous ?

Joël Giraud s'est ému de l'emploi du mot « improbable » par le Haut Conseil. En toute objectivité, il aurait pu rappeler que jamais le niveau des dépenses publiques et les prélèvements obligatoires n'ont été aussi élevés... Certes, un déficit public à 2,6 % est un très bon résultat, mais notre rapporteur général aurait pu expliquer plus clairement dans quelles conditions il a été atteint : il les connaît parfaitement, notamment celles qui sont liées au prélèvement sur recettes pour l'Union européenne.

Enfin, vous avez beaucoup parlé de numérique, sujet qui me passionne ! Si nous voulons réaliser des économies d'échelle, nous devons redéfinir la sphère publique, le rôle de chacun – collectivités territoriales et État – et y faire pleinement entrer le numérique Vos travaux vous ont-ils conduit à explorer certaines pistes en la matière ? C'est le seul moyen de moderniser nos services publics et de mieux répondre aux exigences de nos concitoyens : nous devons engager cette transformation, et non de superficielles modifications.

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Vous avez publié en 2009 un excellent ouvrage, Les stratégies absurdes – Comment faire pire en croyant faire mieux. Vous y démontrez comment l'enfer est pavé de bonnes intentions.

Quelles actions pensez-vous mettre en oeuvre pour conforter la dimension éthique dans le domaine des finances ?

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Maya Bacache-Beauvallet

Vos questions sont à la fois complexes et passionnantes !

La question la plus technique concerne le déficit structurel. Pour les économistes, le passage sous la barre des 3 % est un énorme progrès. Le déficit annuel ne fait pas débat. Il est facile de le calculer – c'est une expression comptable – et de savoir si un pays respecte ce critère, ou pas.

À l'inverse, le déficit structurel est une notion théoriquement claire, mais empiriquement extrêmement compliquée à calculer et appliquer. Aucun calcul n'est complètement consensuel et un pays peut toujours en revoir les modalités. Son application est donc plus complexe, mais également plus juste. Pourquoi ? Sans entrer dans des explications sans fin, les dépenses publiques doivent être contracycliques : en période de crise économique, elles viennent amortir les chocs. En période de croissance, les dépenses publiques diminuant, le budget est également contracyclique. Une contrainte purement nominale et annuelle sur un déficit sera donc assez inefficace. En conséquence, la notion de déficit structurel est une amélioration par rapport à la situation antérieure, mais il reste extrêmement complexe de calculer ce déficit et le PIB potentiel ; vous avez raison et votre constat fait consensus, ce qui explique les débats récurrents à ce sujet.

On aurait certainement pu faire mieux. Certains avaient défendu l'idée de mesurer plus précisément l'effort structurel, en ne se focalisant pas sur la croissance potentielle, mais en évaluant la démarche et la politique structurelle d'un gouvernement pour réduire ses dépenses publiques.

Concernant le niveau du déficit à 2,6 %, là encore, si le débat est vif depuis vingt-quatre heures, j'espère que mes propos précédents sur les prévisions vous auront permis de comprendre qu'il est également logique. Je ne veux pas me prononcer à la place du Haut Conseil ou de la Cour des comptes. Je dirai simplement que ce taux de 2,6 % est le niveau nominal de notre déficit conjoncturel – la part du structurel y est faible... Vous l'avez rappelé, le niveau de dépenses, comme celui des prélèvements obligatoires, a augmenté depuis l'an dernier. L'ajustement n'est donc pas structurel : l'évolution du PIB a simplement été légèrement meilleure que prévue.

Bien sûr, les prévisionnistes peuvent se tromper, mais il me semble que ce n'est pas le sujet. L'objectif du TSCG n'était pas que les organismes indépendants ainsi créés ne se trompent pas dans leurs prévisions, mais que les gouvernements de la zone euro produisent des budgets et des projets de loi de finances plus sincères.

Vous m'interrogez sur l'extension des missions – aujourd'hui très restreintes – du Haut Conseil. Au moment de sa création, il est vrai que nous étions plusieurs à estimer délicat de le cantonner à la vérification de la sincérité de la prévision du PIB potentiel car il est complexe de séparer la prévision de la prescription – ce qui explique peut-être parfois ses difficultés à rester dans ce cadre.

Vous l'avez rappelé, d'autres pays ont fait des choix très différents. Dans certains – Royaume-Uni, Pays-Bas, Belgique –, les équivalents du Haut Conseil gèrent également les prévisions. En France, le Haut Conseil ne produit même pas les prévisions ; il vérifie simplement que la prévision du Gouvernement est cohérente avec l'ensemble des prévisions d'autres organismes – OCDE, Commission européenne, Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), banques, etc.

On pourrait imaginer un rôle prescriptif plus fort du Haut Conseil. Ce n'est pas le choix qu'a fait la France. Qu'est-ce que j'en pense ? Je suis attachée à l'équilibre des pouvoirs et à la séparation institutionnelle. La démocratie gagne à clarifier les missions de chacun et à bien séparer les fonctions : la Cour des comptes a son rôle, le Parlement définit les politiques, le Haut Conseil s'assure de la crédibilité budgétaire. Le maintien de cet équilibre est important.

Monsieur Gaillard, le chantier de la dette locale reste à mener... Lorsqu'on analyse les dépenses publiques de moyen terme, celles de l'État central ont été rationalisées à plusieurs reprises – avec la LOLF ou la révision générale des politiques publiques (RGPP). En raison de choix politiques et historiques de socialisation des dépenses sociales, le budget de la sécurité sociale est plus important en France que dans d'autres pays européens. Les collectivités locales, quant à elles, n'ont pas mené ce travail de rationalisation.

La question de l'accompagnement des parlementaires est extrêmement intéressante. Je n'aurai pas de réponse évidente à ce stade, j'insisterai simplement sur l'importance de la séparation du parlementaire et de l'expert. De mon point de vue de non-parlementaire, le parlementaire ne doit pas uniquement être un expert. En revanche, l'audition d'experts est très utile. Je prêcherai là pour ma chapelle : les chercheurs ont un rôle à jouer ! J'ai toujours été frappée par la faible place des professeurs et chercheurs en économie dans l'accompagnement des parlementaires, en comparaison de celle des métiers de conseil ou des institutions. Beaucoup de chercheurs ont envie d'accompagner les parlementaires, comme ceux de l'Institut des politiques publiques (IPP) rattaché à l'École d'économie de Paris, ou ceux du Centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP). Ils mènent un travail de vulgarisation et d'accompagnement dont tout le monde profiterait.

Monsieur Vigier, s'agissant du numérique, la transparence des données est un sujet-clef. Qu'est ce qui empêche nombre d'organismes ou de chercheurs de faire des prévisions ? Pourquoi le PLF n'est-il pas évalué par des chercheurs ? Tout simplement parce que nous ne disposons pas des données... Le ministère des finances et les administrations ont accès à ces données, auxquelles les chercheurs n'ont, eux, pas accès. Le débat a déjà eu lieu dans le cadre de la discussion sur le projet de loi pour une République numérique et cela n'est toujours pas complètement réglé. Pourtant, la transparence des données contribuerait à l'amélioration du débat démocratique. Aux États-Unis, le Billion Prices Project développé par le Massachusetts Institute of Technology (MIT) permet désormais aux chercheurs de contourner les statistiques publiques, afin de calculer des indicateurs de prix ou de PIB potentiel en analysant les données de Big Data – par exemple celles liées aux achats du e-commerce. Cela pose d'ailleurs de nombreux problèmes de déontologie et d'éthique. En tout état de cause, les enjeux sont absolument colossaux.

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Le Haut Conseil est notamment chargé d'examiner la cohérence de la trajectoire des finances publiques avec notre programmation pluriannuelle et nos engagements européens. Pour ce qui concerne la sécurité sociale, les difficultés actuelles des hôpitaux semblent révéler l'incapacité des gouvernements précédents à prévoir et maîtriser des engagements financiers pertinents, mais aussi à reconstruire une méthode de gouvernance budgétaire appropriée.

En votre double qualité de chercheuse – notamment dans les domaines de l'évaluation et du management – et de membre du CAE, quelles seraient votre analyse rapide et vos premières recommandations afin d'améliorer la situation des hôpitaux publics, tout en respectant notre trajectoire budgétaire ?

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Aujourd'hui, le Haut Conseil est saisi environ une semaine avant le Conseil d'État des projets de loi de finances. Dans ce cadre, une autosaisine du Haut Conseil serait-elle pertinente ?

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Maya Bacache-Beauvallet

Effectivement, dans ses avis, le Haut Conseil a souligné qu'il disposait d'environ sept jours pour rendre son avis, ce qui est objectivement insuffisant. Mais je ne crois pas que l'autosaisine soit une solution.

La question est plutôt celle de la capacité du Haut Conseil à harmoniser cette pluralité des prévisions économiques : comment faire émerger une prévision crédible et consensuelle à partir de vingt et une prévisions de PIB potentiel ?

Monsieur Belhaddad, le Haut Conseil n'a pas un rôle de prescripteur et d'analyste des dépenses publiques. Vous me voyez donc contrainte de ne pas vous répondre, même si l'économiste que je suis en aurait envie... J'ai récemment dirigé une thèse sur la situation des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) avec une étudiante qui a travaillé quatre ans au sein de ces institutions : la situation est assez douloureuse...

La séance est levée à neuf heures quinze.

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Présences en réunion

Réunion du mardi 27 mars 2018 à 8 heures 30

Présents. – M. Belkhir Belhaddad, M. Bruno Bilde, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Josiane Corneloup, M. Marc Delatte, M. Pierre Dharréville, Mme Jeanine Dubié, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Mustapha Laabid, Mme Michèle de Vaucouleurs

Excusés. - Mme Ericka Bareigts, Mme Justine Benin, Mme Claire Guion-Firmin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Adrien Quatennens, Mme Nadia Ramassamy, Mme Mireille Robert, Mme Nicole Sanquer, M. Adrien Taquet, Mme Hélène Vainqueur-Christophe

Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Présents. - M. Jean-Louis Bourlanges, Mme Émilie Cariou, Mme Sarah El Haïry, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, M. Daniel Labaronne, M. Michel Lauzzana, M. Fabrice Le Vigoureux, Mme Cendra Motin, Mme Bénédicte Peyrol, Mme Christine Pires Beaune, Mme Marie-Christine Verdier-Jouclas, M. Jean-Pierre Vigier, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. – Mme Émilie Bonnivard, Mme Sophie Errante, M. François Jolivet, M. Marc Le Fur, M. Xavier Roseren, M. Olivier Serva