La réunion

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L'audition débute à seize heures trente.

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Mesdames, messieurs, l'Assemblée nationale a décidé de constituer une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et de s'assurer de la justesse et de l'effectivité des décisions publiques.

Il ne s'agit pas pour nous de faire le procès de qui que ce soit, de juger ni de punir, mais de comprendre et d'essayer de faire en sorte que de tels problèmes ne se reproduisent pas.

Le rapporteur et moi-même avons pensé qu'il était important d'auditionner d'abord les victimes ; c'est ce que nous avons fait la semaine dernière. Après cette première audition, nous entendrons en particulier l'ensemble des organismes de contrôle de l'État, les associations de consommateurs, la grande distribution, le e-commerce, les pharmaciens, les hôpitaux, les crèches, le président de Lactalis et enfin les ministres concernés.

Nous recevons aujourd'hui l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), et plus particulièrement M. Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence, Mme Charlotte Grastilleur, directrice adjointe à la direction de l'évaluation des risques en santé-alimentation, et Mme Alima Marie, directrice de cabinet.

Établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle des ministères chargés de la santé, de l'agriculture, de l'environnement, du travail et de la consommation, l'ANSES assure des missions de veille, d'expertise, de recherche et de référence sur un large champ couvrant la santé humaine, le bien-être animal ainsi que la santé végétale. Elle offre une lecture transversale des questions sanitaires en évaluant les risques et les bénéfices sanitaires. Ses missions de veille, de vigilance et de surveillance lui permettent d'évaluer l'ensemble des risques auxquels un individu peut être exposé volontairement ou non, à tous les âges de sa vie, qu'il s'agisse d'expositions sur son lieu de travail, pendant ses transports, ses loisirs, ou via son alimentation – ce qui est précisément le cas dans cette affaire. Mesdames, monsieur, nous sommes donc heureux de vous entendre et nous attendons vos réponses.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative aux commissions d'enquête, je vais au préalable vous demander de prêter le serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.

M. Gilles Salvat, Mme Charlotte Grastilleur et Mme Alima Marie prêtent successivement serment.

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Avant de vous donner la parole, je souhaite vous poser quelques questions assez précises. Ce ne sont peut-être pas les meilleures, mais ce sont celles que nous avons imaginées avec le rapporteur et l'ensemble des collaborateurs de la commission.

Je souhaiterais que vous nous expliquiez tout d'abord ce qu'est une salmonelle. Toutes les souches de salmonelles présentent-elles un risque pour la santé ? La salmonelle en cause dans cette affaire, en l'occurrence le sérotype Agona, est-elle dangereuse, fréquente ?

Les contaminations à la salmonelle sont-elles fréquentes dans l'industrie alimentaire ? Quelle peut en être l'origine ? Les contaminations peuvent-elles être évitées si les procédures d'hygiène et de contrôle sont parfaitement respectées ?

Qu'est-ce qu'une salmonellose ? Quels sont les tests qui permettent de diagnostiquer la maladie ? Sont-ils coûteux, faciles à réaliser ?

Dans l'affaire Lactalis, pensez-vous que les tests ont été prescrits aussi souvent que nécessaire ? Selon vous, les professionnels de santé sont-ils assez sensibilisés aux problèmes de salmonelle ?

Quels sont les risques de la salmonellose pour les bébés ? Y a-t-il des conséquences à long terme sur leur santé ? L'ensemble des individus qui ont été contaminés dans le cadre de ce dossier ont-ils fait l'objet d'un suivi ?

S'agissant des aspects sanitaires, quel est le rôle exact de l'ANSES dans la surveillance et l'évaluation des risques liés aux salmonelles ? Comment intervenez-vous dans l'identification des épidémies et la gestion des crises par rapport notamment à la Direction générale de la santé (DGS) - que nous auditionnerons tout à l'heure -, à Santé publique France et au Centre national de référence (CNR) de l'Institut Pasteur ? Cela fait beaucoup de personnes concernées et nous nous demandons comment cela fonctionne.

Quelle est votre appréciation des outils dont vous disposez pour éviter ou surveiller un tel problème ?

Comment expliquez-vous la présence de la salmonelle dans l'usine de Craon en 2017 ? Cette salmonelle est-elle restée présente de 2005 à 2017, ou bien s'agit-il d'une nouvelle contamination ? Dans le cas d'une nouvelle contamination, quelle est, d'après vous, son origine ?

Il apparaît que d'autres types de salmonelles ont été repérés chez Lactalis. Quels sont-ils ? Ces salmonelles sont-elles susceptibles d'entraîner à l'avenir d'autres contaminations fâcheuses ?

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Mesdames, monsieur, nous devons faire effectivement toute la lumière, de la production à la consommation, sur cette affaire Lactalis. Notre rapport a pour but de faire en sorte qu'un tel problème ne se reproduise pas et surtout de protéger les consommateurs français et étrangers.

Je vous demanderai d'être concis et directs dans vos réponses, parce que nous vous avons posé beaucoup de questions et que le temps nous est compté.

Intervenez-vous dans les procédures de contrôle des sites industriels mises en place par les services de l'État ?

La législation actuelle prévoit que seuls les résultats des autocontrôles positifs sur les produits doivent être communiqués aux services de l'État. Il n'existe aucune obligation de transmission de résultats lorsque les autocontrôles ont lieu dans l'environnement de cette production. Pensez-vous que cette législation doive évoluer ?

Pouvez-vous nous indiquer quel est le degré de fiabilité des tests d'autocontrôle ? Un même échantillon peut-il être testé plusieurs fois sans nuire à la fiabilité des résultats ?

Selon vous, les contrôles renforcés instaurés par l'État après la contamination de 2005 ont-ils été suffisants ?

Enfin, quelles mesures préconisez-vous afin que ce type de contamination ne se reproduise plus ?

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Monsieur le président, Monsieur le rapporteur, je vais essayer de répondre à toutes vos questions de manière concise et précise. N'hésitez pas à m'interrompre si mon vocabulaire n'est pas adapté.

Avec 250 000 cas par an environ, les salmonelles sont la deuxième cause de toxi-infections alimentaires collectives en France après les Campylobacter, un peu moins connus, mais qui représentent environ 500 000 cas par an selon les dernières estimations de Santé publique France. Il ne s'agit là que d'estimations, les déclarations effectives étant beaucoup plus faibles en raison d'un sous-diagnostic : une personne qui a une diarrhée ne consulte pas forcément le médecin, et le médecin ne prescrit pas nécessairement un examen de laboratoire, ce qui fait que le diagnostic n'est pas toujours précis. Ces estimations sont basées sur les hospitalisations et sur des indicateurs très bien maîtrisés par Santé publique France.

En fait, il y a une grande espèce de salmonelle, divisée en 2 500 sérotypes – cas un peu particulier en bactériologie. Un de ces sérotypes est très connu, mais contre lequel on ne vaccine plus puisqu'il est quasiment en voie de disparition et pratiquement absent en France : Salmonella Typhi et Paratyphi, responsable du typhus. On note encore quelques cas d'importation, à la suite de voyages dans les pays infestés, notamment en Afrique et dans certains pays d'Asie. Ce qui nous préoccupe ici, ce sont les salmonelles dites ubiquitaires, celles que l'on retrouve un peu partout dans toutes les filières animales et qui intéressent les autres 2 500 sérotypes, parmi lesquels on trouve Salmonella Agona.

Les principaux sérotypes en France sont d'abord Salmonella Typhimurium et un variant dit monophasique que l'on constate depuis maintenant une dizaine d'années. Auparavant, c'était surtout Salmonella Enteritidis qui nous préoccupait ; on la trouvait essentiellement dans les oeufs de consommation, les poules contaminant les jaunes d'oeuf. Dans un premier temps, l'Union européenne a mis en place des directives, et à partir de 2004 un règlement qui impose, chez les poules pondeuses et les poulets de chair, une prophylaxie de ces salmonelles, en particulier de S. Typhimurium et S. Enteritidis. Cette prophylaxie, dont la France a anticipé la mise en oeuvre dès 1992, puisque la directive date de 1993 et le règlement de 2004, a permis de diminuer considérablement la contamination dans la filière avicole et le nombre de toxi-infections liées à ces salmonelles.

Quant à S. Agona, ce n'est pas un sérovar majeur. On peut la trouver notamment dans chez les volailles, et très rarement chez les bovins. Elle ne fait pas partie des cinq sérovars majeurs que l'on trouve dans les toxi-infections humaines, ce qui a permis de détecter assez vite une augmentation du nombre de cas sur une population particulière, les nourrissons, et de remonter rapidement à la source de cette salmonelle, d'autant mieux que nous disposons désormais de techniques d'identification par séquençage complet de la salmonelle qui déterminent l'ensemble de son génome. Santé publique France et le Centre national de référence (CNR) qui s'occupe des souches d'origine humaine – pour notre part, nous nous occupons des souches alimentaires – ont pu ainsi démontrer qu'il avait un lien entre les souches trouvées dans cette usine en 2005 et les trente-huit cas relevés fin 2017.

Que peut-on faire pour éviter les salmonelloses ? D'abord mieux maîtriser la présence de salmonelles dans les filières animales. La réglementation européenne a mis en place une approche « de la fourche à la fourchette », en particulier pour les volailles, qu'il est prévu de décliner sur les porcs et les bovins, sachant que c'est souvent un animal vivant contaminé quelque part dans une filière de production qui est à l'origine de ces salmonelles. Le meilleur moyen d'éviter une contamination des produits consiste à couper la contamination à la source et d'avoir des animaux dont on peut être sûrs qu'ils ne sont pas porteurs de salmonelles. Il faut bien reconnaître que ce n'est pas très simple parce que ces salmonelles survivent dans l'environnement pendant quelques semaines, voire quelques mois, que nos animaux vivent dans un environnement relativement ouvert, qu'ils peuvent être contaminés par contacts avec la faune sauvage ou par l'alimentation du bétail. On connaît par exemple des cas très fréquents, dans les filières volaille et porcine, de contamination par des lots de soja, eux-mêmes contaminés en général dans les bateaux de transport ou dans les pays où ce soja est produit.

Votre question suivante portait sur l'échantillonnage et les contrôles réalisés. Les salmonelles font partie des espèces bactériennes cibles de la plupart des autocontrôles et des plans de surveillance et de contrôle mandatés par l'État, puisque l'absence de salmonelles est requise pour tout produit destiné à la consommation humaine, en particulier pour les produits qui ne sont pas repasteurisés par le consommateur. Quand on achète une viande crue qui contient des salmonelles, celles-ci ne résistent pas si la viande est cuite à une température supérieure à 64,4 degrés pendant deux minutes trente, autrement dit un temps de pasteurisation très court. Cela explique d'ailleurs qu'un oeuf puisse être une source de contamination, d'abord parce que les oeufs peuvent s'utiliser crus, ensuite parce que le jaune d'un oeuf sur le plat est cuit à 57 degrés environ, soit en dessous de la température de pasteurisation. De même, il faut être très vigilant sur la cuisson des steaks hachés.

Ce sont surtout les produits qui ne sont pas recuits par le consommateur qui risquent d'être contaminés, ce qui est le cas des laits en poudre ou d'une manière générale des poudres destinées en particulier à l'alimentation infantile – toutes ne contiennent pas toutes du lait, Pour ne pas brûler le bébé, on réchauffe l'eau généralement à 37 ou 38 degrés puis on verse la poudre dans le biberon ; autrement dit, la température n'est pas suffisante pour éliminer les salmonelles qui seraient présentes. D'où l'extrême vigilance dont il faut faire preuve sur ces produits.

Tous les médecins connaissent les salmonelles qui provoquent des diarrhées, des fièvres, parfois assez élevées puisqu'elles peuvent atteindre plus de 40 degrés, ou encore des diarrhées sanglantes. Le risque principal n'est pas tant lié à l'infection et aux toxines produites par la bactérie qu'à la déshydratation, en particulier chez les bébés et chez les personnes âgées. La déshydratation liée à la diarrhée est l'un des facteurs d'aggravation des symptômes, qui conduit généralement à l'hospitalisation, en particulier des très jeunes enfants et des personnes âgées.

On ne sait pas exactement quelle est la dose infectante de salmonelles ubiquitaires pour un bébé par rapport à un adulte. Pour une personne bien portante, en dehors de Salmonella Typhi – une seule S. Typhi peut vous rendre malade et être mortelle –, la dose réponse est plutôt de l'ordre de quelques dizaines de milliers à quelques centaines de milliers de salmonelles ; autrement dit, si vous en ingérez quelques milliers, il est fort probable que vous ne serez pas malade. Par contre, chez les bébés, la dose infectante est très vraisemblablement beaucoup plus faible.

Sur les trente-huit cas qui ont été contaminés, à ma connaissance, vingt-huit cas étaient liés à la consommation d'un produit qui s'appelle Picot Junior. C'est un hydrolysat de protéines de sucre, un substitut de lait que l'on donne aux bébés qui sont soit intolérants au lait de vache, soit qui ont des difficultés à digérer le lait quand ils souffrent de diarrhées. Il est évident que si l'on donne un produit qui contient des salmonelles à un bébé qui a déjà une diarrhée, par exemple à rotavirus ou norovirus, bref, une diarrhée saisonnière comme celles que l'on observe fréquemment en fin d'année, on aggrave les symptômes. La dose infectante chez ces bébés particulièrement fragiles est vraisemblablement beaucoup plus faible, peut-être de l'ordre de quelques salmonelles.

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Oui.

D'autres facteurs peuvent intervenir. Par exemple, les salmonelles peuvent se multiplier si on laisse le lait trop longtemps à température ambiante lors de la préparation du biberon.

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Le modeste médecin généralise que je suis peut vous dire que le Picot Junior est le produit ce que l'on prescrit lorsque le bébé a une diarrhée.

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Il y a deux marques de ce type de produit sans lait.

Les bébés ont, bien évidemment, été suivis pendant leur hospitalisation. Ce n'est pas une maladie extrêmement grave, mais comme elle touche des bébés déjà malades et qui ont pour la plupart moins de six mois, il convient de bien les surveiller quand ils ont une diarrhée pour éviter un risque de déshydratation. Comme les salmonelles peuvent persister quelques semaines après l'infection, il faut faire attention à ce qu'il ne se produise pas de récidive, notamment lors des épidémies de gastro-entérites hivernales.

Lorsque la voie d'entrée d'une épidémie comme celle que l'on a connue est le cas humain, l'ANSES intervient en second rideau : nous surveillons les salmonelles issues de l'aliment, tandis que Santé publique France et le Centre national de référence, en l'occurrence l'Institut Pasteur, surveillent l'ensemble des salmonelles isolées chez l'homme. La voie d'entrée de la déclaration de cette épidémie a résulté de l'accumulation de cas. Santé publique France ou le CNR vous expliqueront mieux que moi que les salmonelloses font l'objet d'un système d'alerte en fonction des souches, des sérotypes. Lorsqu'on constate une augmentation anormale plusieurs semaines consécutives, ce sont des fenêtres glissantes de quatre semaines qui sont analysées. En cas d'augmentation anormale d'un sérotype particulier ou, au sein du même sérotype, d'une souche particulière, une alerte est lancée par le CNR, qui reçoit les souches des laboratoires d'analyse, vers Santé publique France qui peut mener une enquête auprès des patients, en l'occurrence ici auprès des parents des patients, généralement par téléphone pour voir quels types de produits ont été consommés, etc. C'est ce qui a permis de détecter très rapidement les marques de produits contaminés et l'usine d'origine de ces produits.

Un autre facteur a permis de détecter très rapidement les produits contaminés : depuis début 2017, le CNR procède systématiquement, lors de cas groupés, à un séquençage complet des souches de salmonelles. Les techniques de séquençage complet d'un génome bactérien existent depuis une dizaine d'années et sont aujourd'hui économiquement acceptables puisque le séquençage d'une souche coûte environ 60 euros. Ce séquençage, qui peut se faire automatiquement, donne des renseignements particuliers sur le lien entre les souches de différents cas. S'agissant de l'affaire qui nous occupe, en reséquençant les souches qui ont été isolées au cours des douze dernières années et dans une précédente épidémie de S. Agona qui étaient liés à cette usine, mais dont le propriétaire n'était pas le même qu'en 2005, le CNR a pu établir que la souche était identique. En fait, en regardant un peu plus de 9 000 mutations possibles, ce qu'on appelle des single nucleotide polymorphism, c'est-à-dire des mutations ponctuelles sur l'ADN qui concernent un acide nucléique, on s'est aperçu que les souches étaient différentes de vingt-huit mutations au maximum : ce qui revient à dire que la souche de 2017 était identique à celle de 2005. Comme cette souche n'est pas fréquente en élevage bovin, on a assez vite écarté l'hypothèse qu'un même élevage ait pu, au cours des douze dernières années, fournir régulièrement cette usine avec une salmonelle qui est bien identifiée.

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Vous pensez donc que l'origine, la genèse de Salmonella Agona, c'est l'usine.

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

La première fois que l'on a isolé cette souche, c'était en 2003, donc avant l'épidémie de 2005 : les souches les plus anciennes dont on dispose proviennent de cette usine. La souche est probablement rentrée dans cette usine par l'intermédiaire d'un environnement de produits animaux, peut-être par un camion de transport ou un élevage de bovins qui était contaminé. Mais même si le lait utilisé pour fabriquer la poudre de lait avait été contaminé, comme il est pasteurisé, et souvent plusieurs fois, et au minimum à 72 degrés – je vous rappelle que la température de sensibilité de la salmonelle est 64,4 degrés –, le problème ne vient pas de la pasteurisation. Par contre, l'extérieur de l'usine a pu être contaminé par les camions de livraison du lait collecté dans des élevages bovins où l'on peut trouver également des volailles ou des porcs. Pour entrer dans ce type d'usine, en général on change complètement de tenue : on enfile une cotte intégrale, une charlotte, une paire de chaussures spécifique, et on se lave les mains. Mais il suffit de ne pas bien appliquer une seule fois ces mesures de sécurité pour faire entrer le loup dans la bergerie, si je puis dire, et la salmonelle se retrouve alors dans l'environnement de l'usine.

Dans les usines de lait en poudre, l'ennemi principal c'est l'humidité. Ce qui est peu vraisemblable, c'est que la salmonelle ait vécu cachée dans un milieu très sec pendant douze ans : ce ne sont pas des bactéries sporulées, elles ne résistent pas beaucoup plus de quelques semaines ou quelques mois dans un environnement sec et elles ont besoin de se remultiplier de temps en temps pour survivre dans ce type d'environnement. Un des facteurs qui peut conduire à une remultiplication possible de ce type de souche dans un environnement d'usine de lait en poudre, c'est paradoxalement le nettoyage et la désinfection de l'usine. On sait que ce sont des phases critiques dans la fabrication de produits secs en ce qu'elles permettent de réhumidifier le milieu et de remultiplier éventuellement des salmonelles présentes dans l'environnement. Certes, on désinfecte après, mais pour peu qu'on n'ait pas désinfecté partout, ou que la désinfection n'ait pas été bien faite, les salmonelles vont pouvoir se multiplier : la poudre de lait mélangée à l'eau devient un milieu très favorable à la multiplication des salmonelles. Tant qu'il n'y a pas d'eau, elles ne se multiplient pas, mais le risque réapparaît sitôt qu'on met de l'eau. Ce nettoyage et cette désinfection sont effectués environ toutes les cinq à sept semaines dans ce type d'usine. Entre-temps, bien évidemment on nettoie, mais on nettoie à sec, on balaie, on aspire pour enlever les poussières, mais on ne nettoie pas et on ne désinfecte pas tous les jours parce qu'on sait que cela présente un risque particulier.

Dans ce cas, pourquoi nettoyer et désinfecter ? D'abord pour éviter une accumulation d'autres bactéries – il n'y a pas que Salmonella. Ensuite parce que, pour fabriquer un produit sans lait comme Picot Junior qui ne soit pas allergène pour les enfants intolérants au lait, il faut nettoyer la tour de déshydratation et l'environnement de la tour pour être sûr qu'il ne reste pas de traces de lait. Ce produit est systématiquement fabriqué après nettoyage et désinfection parce qu'il faut enlever les allergènes de la chaîne de production. C'est ce qui nous amène à penser que l'hypothèse d'une remultiplication des salmonelles à la faveur d'un nettoyage et d'une désinfection est plausible. Mais ce n'est actuellement qu'une hypothèse, on n'a pas de preuve formelle. Par contre, après enquête et quand les services vétérinaires ont eu accès à l'ensemble des contrôles qui ont été effectués depuis 2005 dans cette usine, des prélèvements d'environnement positifs ont été identifiés qui laissent penser que S. Agona a survécu dans l'environnement et qu'elle a pu se remultiplier régulièrement.

Le CNR a montré qu'on avait relevé vingt-cinq cas de bébés contaminés par Salmonella Agona entre 2005 et 2017, mais un cas de temps en temps entre 2010 et 2016. Cela veut dire qu'il s'est produit d'autres cas, mais ils sont passés inaperçus parce qu'il y avait un cas, puis plus rien pendant deux, trois mois, puis deux cas, puis plus rien pendant quelques mois encore, et certaines années il n'y a rien eu du tout. On peut penser que, vraisemblablement, quelques lots faiblement contaminés sont sortis de l'usine sans que les procédures d'autocontrôle des produits et d'échantillonnage sur ces produits aient permis de les détecter.

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Aujourd'hui, existe-t-il une obligation de contrôle ou d'autocontrôle après chaque nettoyage et désinfection du site ?

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Les procédures d'autocontrôle de l'environnement après nettoyage et désinfection ne sont pas obligatoires, elles sont inscrites dans le plan HACCP (Hazard analysis criticla control point) de l'usine. C'est le plan de maîtrise de l'hygiène que l'industriel présente aux services vétérinaires et qui constitue un des éléments de l'agrément de l'usine. Je n'ai pas l'information précise pour cette usine, mais très vraisemblablement, une telle procédure de contrôle après nettoyage et désinfection a dû être mise en place. En revanche, en cas de résultats positifs dans l'environnement de l'usine, il n'est pas obligatoire de les transmettre aux services de l'État.

Puisque vous nous avez demandé notre avis, je dirai que l'ensemble des résultats, négatifs ou positifs, sur le produit ou sur l'environnement, sont des informations sanitaires importantes pour gérer le risque – qu'il soit lié aux salmonelles ou à d'autres contaminations potentielles. Il me semble bon qu'il existe une transparence de ces autocontrôles vis-à-vis des services de l'État, ne serait-ce que pour discuter avec eux des mesures à prendre : ce n'est pas gravé dans le marbre, il n'est pas évident de savoir que faire lorsque l'on trouve une salmonelle dans l'environnement d'une usine comme celle-ci. Faut-il arrêter la production, faut-il rappeler l'ensemble des lots fabriqués depuis le dernier contrôle négatif pour refaire un échantillonnage ? Autant de questions auxquelles je n'ai pas forcément les réponses ; elles vont dépendre de l'endroit, dans l'environnement de l'usine, où les salmonelles ont été trouvées.

Mais il est sûr que dans une usine comme celle-ci, si les prélèvements contaminés, comme ceux qui ont été trouvés par les services vétérinaires lors de leurs contrôles début décembre, sont trouvés à un endroit où la poudre de lait est en contact avec l'atmosphère extérieure de la pièce, le risque qu'une salmonelle qui se trouve sur le sol ou sur les murs se retrouve ensuite dans la poudre de lait n'est pas négligeable. On ne peut pas faire comme si on n'avait pas trouvé de salmonelle, et il y aura donc certainement des mesures à prendre de la part de l'industriel pour s'assurer que les lots qui ont été produits depuis le dernier contrôle ne sont pas positifs.

Mais à votre question précise : existe-t-il une obligation de transmission de résultat quand l'environnement est contaminé, la réponse est non, il n'y a pas d'obligation réglementaire. Je sais que les services du ministère de l'agriculture réfléchissent à un changement éventuel.

Pour faire le point sur les procédures d'échantillonnage sur ce type de produits, on prélève généralement une trentaine d'échantillons par lot en cours de fabrication, avec des systèmes de prélèvement automatique qui permettent de prélever 25 grammes de poudre et de les analyser. Ces systèmes d'échantillonnage sont ceux qui ont été recommandés par la Commission européenne ; nous y avions travaillé dans un rapport sur les procédures d'échantillonnage pour les poudres de lait infantile, édité en 2008 suite à la crise de 2005. Un avis nous avait alors été demandé, et nous avions beaucoup travaillé sur ces procédures d'échantillonnage. Celles qui ont été adoptées dans cette usine sont conformes à l'état de l'art.

Les analyses ont soit été réalisées selon la norme ISO 6579, qui est la norme internationale pour la recherche de salmonelles, soit par des méthodes rapides reconnues comme équivalentes à cette norme ; l'équivalence de ces méthodes d'analyse avant la commercialisation est attestée. Autrement dit, les méthodes d'analyse utilisées sont conformes à l'état de l'art et aux bonnes pratiques pour la recherche de salmonelles : elles permettent normalement de détecter une salmonelle dans la prise d'essai.

Le problème est justement la prise d'essai. Pour des produits en poudre, les lots qui sont ensuite transférés dans différentes boîtes correspondent à un container de 850 kg de lait en poudre. S'il y a quelques salmonelles dans un container de 850 kg, le facteur limitant pour les détecter n'est pas la technique d'analyse, mais la technique d'échantillonnage. Quand un produit liquide est contaminé par une salmonelle, la contamination va être très homogène, et un échantillon de 25 grammes permettra de la détecter. Mais dans un produit sec, recontaminé après le séchage par quelques salmonelles, c'est le nombre de prises d'essai qui sera déterminant.

On peut augmenter les plans d'échantillonnage pour améliorer la sécurité ; une saisine nous est d'ailleurs arrivée du ministère de l'agriculture pour savoir comment renforcer le plan d'échantillonnage dans cette usine pour reprendre l'activité dans de bonnes conditions de sécurité. Mais de toutes les façons, l'échantillonnage du produit ne garantit jamais à 100 % que le produit ne va pas être contaminé. La contamination est hétérogène, et l'échantillon que l'on analyse n'est jamais celui que l'on consomme, puisque la première opération consiste à le détruire en le faisant fermenter pendant vingt-quatre heures dans un milieu de culture qui permet de revivifier les salmonelles, qui sont un peu stressées dans les milieux secs. On ne consomme donc pas l'échantillon analysé, mais un échantillon du même lot. Il y a donc un risque statistique chaque fois que l'on fait un échantillon, qui a été calculé : si l'on prend trente échantillons sur un lot de fabrication et qu'on n'y trouve pas de salmonelle, on peut passer à côté de 1,4 salmonelle par boîte de 900 grammes, boîtage traditionnel pour ce type de produit. Autrement dit, on ne garantira pas la sécurité du consommateur en augmentant le nombre d'échantillons. Évidemment, cela augmente le niveau de sécurité statistique, mais cela ne permet pas de le garantir. Une garantie supplémentaire est apportée par la mesure de la contamination de l'environnement, puisque l'on pense que c'est une des sources principales : le lait utilisé étant pasteurisé, nous pensons que c'est de ce côté-là que se situe le risque de recontaminations après pasteurisation.

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Si je vous comprends bien, l'analyse sur le produit fini n'apporte pas une garantie à 100 %. Une sécurité supplémentaire peut-être est apportée par un contrôle en amont du producteur, mais elle ne saurait non plus apporter une garantie absolue.

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Vous m'aviez interrogé sur les autres salmonelles que nous avons trouvées. Salmonella Agona n'est pas une souche très fréquente en filière bovine, nous avons terminé une enquête fine 2016 sur la contamination de cette filière, et dans les dix sérovars particulièrement prévalents dans la filière bovine, nous n'avons pas trouvé de S. Agona. En premier, nous avons trouvé S. Mbandaka, et en deuxième S. Montevideo, qui sont des salmonelles assez typiques de troupeaux bovins. Nous les avons aussi retrouvées dans les environs de cette usine, il n'y a donc pas que S. Agona, mais on n'a pas observé de cas de contamination humaine à ce sérotype lors de cet épisode. Cela signifie qu'il existe des salmonelles typiquement bovines dans l'environnement de cette usine, et les échantillonnages qui ont été faits, notamment sur des roues de camion ou des garde-boue de transports de lait cru, ont permis d'identifier ces salmonelles : on les retrouve fréquemment dans l'environnement des troupeaux laitiers.

L'important est d'éviter que les salmonelles n'entrent à l'intérieur même de l'usine. La pasteurisation se déroule dans une autre partie de l'usine ; dans la partie où l'on prépare le lait en poudre, on fait entrer du lait pasteurisé et d'autres ingrédients qui y sont rajoutés. Il faut être très vigilant sur la qualité et la sécurité microbiologique de ces composants, mais aussi sur tout ce qui peut entrer par les chaussures, le personnel, sur tous ces aspects qui relèvent de ce que l'on appelle communément la biosécurité. Le plan de maîtrise sanitaire de l'établissement est constitué de toutes ces mesures ; il ne se résume pas à l'analyse. L'analyse sanctionne le fait que tout a été respecté et que le produit, à la fin, est sain, loyal et marchand et ne contient pas de salmonelles. Quand elle est positive, c'est évidemment un signal fort ; mais quand elle est négative, cela signifie seulement qu'au risque statistique près, aucune salmonelle n'a été trouvée, ce qui ne veut pas dire qu'il n'en existe pas. Il est donc important que toutes les autres procédures soient respectées pour éviter d'avoir des salmonelles, et que s'il y en a, il y en ait le moins possible.

S'agissant de l'ANSES, elle joue deux rôles dans ce type de crise. Nous avons fait un tri parmi toutes les souches de Salmonella Agona qui nous ont été adressées par les laboratoires d'analyse, puis nous les avons adressées à l'Institut Pasteur pour les faire séquencer. Et en ce moment, nous sommes en train de recevoir toutes les souches qui ont été isolées par les deux laboratoires qui travaillent pour la société Lactalis, et nous les transmettons au Centre national de référence (CNR). Nous ne faisons pas nous-même le séquençage dans ce cas précis, car le séquençage fait appel à beaucoup de bio-informatique. Nous avons la machine pour le faire, mais le CNR a déjà commencé à mettre au point un pipeline d'analyse et d'assemblage de séquences pour cette salmonelle. Donc, pour des raisons de bonne coordination entre les services de l'État et d'efficacité du travail, nous lui transférons les souches. Nous en avons reçu un peu plus de 200 et nous allons en transférer une partie pour séquençage, afin de poursuivre cette enquête. C'est l'un de nos rôles dans ce type de crise.

En fonction de nos compétences et de celles des personnes qui travaillent dans nos laboratoires, le ministère de l'agriculture peut également faire appel à nous pour appuyer ses services dans l'émission d'hypothèses. En l'occurrence, le directeur général de l'alimentation m'a demandé d'accompagner une visite de ses services dans l'usine, le 23 janvier, pour essayer de voir d'où pouvait venir cette contamination. C'est aussi pour cette raison que j'ai quelques éléments et quelques hypothèses sur le sujet.

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L'ANSES assure des missions d'expertise et de recherche, mais aussi de veille et de vigilance. Il ressort des auditions précédentes que l'entreprise Lactalis faisait effectuer des autocontrôles par des laboratoires privés, qui ont détecté des salmonelles. Ces laboratoires ont-ils l'obligation de fournir à l'ANSES ces résultats ? Qui en est informé ? Vous venez de dire que les laboratoires d'analyse vous ont fait remonter ces résultats, était-ce à votre demande ? Comment se fait le lien entre l'ANSES et les laboratoires qui travaillent pour une entreprise ?

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Les laboratoires ont l'obligation de faire remonter le résultat à leur client, qui a l'obligation de les faire remonter aux services vétérinaires, exception faite des prélèvements d'environnement, pour lesquels il n'existe pas pour le moment d'obligation de remonter les cas positifs aux services vétérinaires.

Mais un certain nombre de laboratoires adhèrent à notre réseau « Salmonella » sur une base volontaire et nous font remonter toutes les souches qu'ils trouvent dans l'année. En l'occurrence, les souches nous ont été envoyées par ces deux laboratoires qui travaillent pour Lactalis suite à une demande de la direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations de Mayenne (DDCSPP), qui a demandé à ces laboratoires de faire remonter vers l'ANSES l'ensemble des souches qu'ils avaient isolées dans cette usine au cours des dernières années, en post-crise, après le mois de décembre.

Pour être agréés pour la recherche de salmonelles, y compris pour les autocontrôles, ces laboratoires ont l'obligation de suivre des essais interlaboratoires d'aptitude que nous organisons, en tant que laboratoire de référence, en particulier pour les prélèvements des filières agricoles, autrement dit plutôt issus des élevages. Nous faisons appel pour ce faire à un prestataire, mais nous sommes destinataires des résultats de ces essais interlaboratoires d'aptitude pour les prélèvements d'aliments. Cela signifie que pour obtenir leur agrément, mais également être accrédités par le Comité français d'accréditation (COFRAC) sur la norme ISO 17025, ces laboratoires ont l'obligation de se soumettre aux essais.

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Il nous a effectivement été expliqué que tous les laboratoires n'étaient pas agréés.

Vous nous avez donc dit que le laboratoire avait obligation d'informer son client, et que celui-ci était tenu de faire remonter cette information aux services vétérinaires. Quel est le fondement juridique de cette obligation ?

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Il me semble que c'est un article du code rural qui oblige la communication des résultats positifs sur les produits.

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Si vous souhaitez préciser ultérieurement un certain nombre de points, vous pourrez nous le faire par écrit.

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Charlotte Grastilleur, directrice adjointe à la Direction de l'évaluation des risques en santé-alimentation

Nous n'avons pas la réponse instantanément, car il faut distinguer le rôle des contrôleurs des ministères et les DDCSPP – qui pourront vous apporter des éléments sur ce point – de celui de l'ANSES, qui est l'évaluation des risques, et des laboratoires de référence et de la recherche en matière de sécurité sanitaire des aliments.

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Votre rôle d'expertise est essentiel pour nous, car dans l'affaire qui nous occupe, l'information est venue tardivement. Il y avait pourtant obligation de faire remonter les anomalies, et les premières ont été détectées en 2005.

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

En fait, l'information est remontée à partir du moment où des cas ont été détectés. Je voudrais saluer le travail de mes collègues de Santé Publique France et du CNR, car dans cette épidémie, il y a eu un ou deux cas au mois d'août, puis une série de cas – deux ou trois par semaine – entre début novembre et mi-décembre, qui ont permis de générer cette alerte. Je rappelle qu'il s'agit de trente-huit cas, c'est beaucoup trop, mais il faut mettre ce chiffre en relation avec les 250 000 cas annuels de salmonellose chez l'homme en France. C'est une toute petite partie de l'iceberg que nous avons pu détecter parce qu'elle touchait une population particulière et que c'était une souche particulière.

Cette souche de Salmonella Agona a des caractéristiques biochimiques particulières : elle ne ressemble pas aux autres sur une boîte de Pétri, car elle ne produit pas d'hydrogène sulfuré et de gaz. Ces caractéristiques particulières, doublées à l'efficacité des systèmes de surveillance des salmonelloses humaines, ont fait que nous l'avons détecté assez vite. Nous sommes intervenus en post-crise car notre rôle n'est pas un rôle d'inspection, mais plutôt un rôle d'expertise. Nous allons intervenir maintenant pour définir des programmes de recherche permettant de comprendre ce qu'est cette salmonelle et si elle a des caractéristiques particulières qui lui permettent, par exemple, de former des biofilms ou de mieux survivre dans un environnement sec, et de donc coloniser plus facilement une usine. Nous allons voir ce que nous révèle cette salmonelle pour mieux comprendre la genèse de cette crise, et en tirer des enseignements.

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Quelle est votre analyse du rôle du procédé industriel ? Normalement, pour ce type de produit, le procédé industriel inclut une série de phases de pasteurisation et de déshydratation qui devrait limiter le risque de contamination. J'ai bien compris vos explications sur l'environnement de l'usine et la perméabilité à l'extérieur ; mais peut-on penser que cette contamination est liée à une erreur de process, sachant que des alertes précédentes ont peut-être été négligées ? Ou est-ce le process lui-même, et donc ce type de produit, qui doit être remis en cause compte tenu du fait que la préparation par le consommateur final n'exige pas des températures suffisamment élevées pour évacuer le risque ? À moyen et long terme, faut-il préconiser l'abandon de ces produits, compte tenu du risque qu'ils présentent, ou faut-il améliorer le procédé de fabrication ?

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Abandonner ce type de produit, sûrement pas, car nous en avons besoin pour nourrir nos bébés. L'allaitement maternel n'est pas l'alpha et l'oméga, et on a encore besoin de lait après la fin de l'allaitement maternel. Nous avons donc besoin de ces produits. Mais il faut aussi que le niveau de sécurité de ces produits soit encore supérieur à celui de laits en poudre ordinaires, destinés à une population ordinaire d'enfants plus âgés et d'adultes.

Très vraisemblablement, il va falloir renforcer un certain nombre de mesures d'hygiène dans l'environnement de ces usines. Si nous admettons qu'il s'agit d'une recontamination à la fin du procédé de fabrication, le procédé de sortie de la tour de séchage et de conditionnement doit être particulièrement sécurisé, dans des salles dont l'atmosphère est spécialement contrôlée, où le personnel porte des tenues spécifiques, comme cela se fait dans l'industrie pharmaceutique et dans certaines industries agroalimentaires qui fonctionnent avec des « salles blanches » et des sas d'entrée.

Si l'on peut améliorer ce procédé, c'est probablement en créant des sas d'entrée de manière à bien séparer toutes les opérations antérieures de séchage et de pasteurisation, que l'on peut considérer comme un secteur non propre, du secteur ultrapropre dans lequel on va manipuler la poudre qui ne subira pas d'autres transformations par la suite. Il faut être particulièrement vigilant pour ces salles. Il y a aussi des salles dans lesquelles on pèse les ingrédients qui sont ajoutés après le séchage : un certain nombre de compléments, notamment les vitamines, sont ajoutés postérieurement. Ce qui suppose des procédures très strictes lors des phases d'analyse préalable, de pesée puis de mélange de ces composants dans des conditions, sinon de « salle blanche », en tout cas de très haut niveau d'hygiène, avec un personnel qui porte des tenues spécifiques, très propres.

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Je reformule ce que j'ai compris de votre intervention, vous me reprendrez si je m'exprime mal : en fait, il y a en permanence un « bruit de fond » de contamination, une présence d'agents bactériologiques dans ce type de production agroalimentaire, qui ne sont pas spécialement dangereux et ne posent pas de problèmes de santé publique, et dont vous avez écho par la transmission des deux organismes avec lesquels vous travaillez, qui vous font remonter les cas avérés. De manière régulière, et pendant plusieurs années, des cas vous ont été remontés, mais qui n'étaient pas problématiques.

Votre dispositif de veille prévoit-il la prise en compte de signaux faibles, c'est-à-dire des cas de contamination qui ne posent pas de problèmes parce qu'ils ne se réalisent pas, ou très rarement, dont l'analyse permettrait de repérer un site de production potentiellement plus problématique que d'autres ?

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Je précise que ce qui nous remonte, ce sont des cas de produits contaminés, non de patients : les cas de patients remontent au Centre national de référence, à l'Institut Pasteur, et à Santé Publique France. Nous n'en avons donc pas forcément connaissance dans un premier temps, mais c'est normal, ce n'est pas notre rôle, c'est celui de Santé Publique France. C'est pour cela qu'il y a deux agences, l'une s'occupe des cas humains, l'autre de l'alimentation. Nous avons une remontée des souches qui viennent de l'alimentation.

Effectivement, par le réseau « Salmonella » qui nous fait remonter ces souches de façon volontaire, nous pouvons avoir des signaux qui nous font savoir qu'un sérotype affecte un type de produits précis, et qui appelle une vigilance particulière. Nous pouvons alors alerter les services de l'État, évidemment invités aux réunions de restitution annuelles de notre réseau. Ils ont donc connaissance de ces signaux éventuels.

Mais nous n'avons pas forcément l'identification de l'usine ; nous avons celle du produit, ce qui nous permet de travailler par grande famille de produits. Nous avons pu ainsi détecter une recrudescence de contamination par salmonelles à partir de produits de la filière « porc », notamment des petits saucissons pour l'apéritif qui ne sont souvent pas très secs, et fabriqués avec des viandes susceptibles être contaminées. Nous avons signalé ce type de risques aux services de l'État ; des plans de contrôle particuliers ont été mis en place, et les industriels ont introduit des mesures spécifiques.

Quant aux signaux faibles, c'est dans les usines qu'ils doivent être enregistrés. Pour moi, un des signaux faibles dans les usines de lait en poudre est constitué par la présence de salmonelles dans l'environnement. Ce n'est pas parce qu'il y a des salmonelles dans l'environnement qu'il y en a dans le produit, mais c'est un signal qui doit nous inciter à une vigilance particulière, à renforcer le plan d'échantillonnage sur les produits, en raison de la détection d'une salmonelle dans l'environnement. Sachant que ce sont des produits secs dont les dates limites d'utilisation optimale sont de deux ou trois ans, l'échantillotèque permet de remonter aux lots potentiellement contaminés, et donc de refaire des analyses renforcées sur ces lots, et éventuellement de rappeler des lots s'ils sont déjà commercialisés.

Pour ma part, je considère que la contamination de l'environnement, par salmonelles ou d'autres micro-organismes – des entérobactéries, qui sont de bons indicateurs généraux de l'hygiène du produit et de l'environnement – doit nous mettre la puce à l'oreille sur le fait qu'une procédure d'hygiène s'est peut-être relâchée, et qu'il va falloir la renforcer et prévoir une vigilance particulière sur les produits commercialisés.

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Nous disposons de prélèvements réalisés dans l'environnement, et à la fin, d'échantillons sur le produit fini. Mais jamais de prélèvements effectués à différents stades de la phase de production – ajout de vitamines, mise en boîte, etc. – qui permettraient de savoir à quel moment s'est produite la contamination.

Vous sembliez supposer que le lavage et la décontamination pourraient être des facteurs favorisants en recréant une humidité permettant aux bactéries de se multiplier et de passer dans les boîtes. Avons-nous des éléments plus précis, ou est-ce seulement une hypothèse ?

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Ce n'est qu'une hypothèse. Un des facteurs qui l'étaie est que le produit qui a été à l'origine de la plupart des cas est justement fabriqué après ces phases de nettoyage et de décontamination, généralement le lendemain. Je ne veux pas dire que le nettoyage et la décontamination soient un problème : normalement, quand ces opérations sont bien conduites, elles sont mises en oeuvre pour résoudre un problème.

Dans l'industrie laitière, tant que du lait liquide circule dans des tuyaux, on procède par ce qu'on appelle des nettoyages en place en utilisant de la soude, puis un acide qui la neutralise. Ils sont très efficaces, car cela fonctionne en circuit fermé : les tuyaux sont littéralement décapés, ce qui explique que les cas de contamination sur le lait liquide dans ces usines sont extrêmement rares. Mais dès qu'il s'agit de poudre, il faut bien la sortir à un moment de la tour et la mettre dans des containers, puis dans des boîtes : c'est à ce moment-là que peut se produire la contamination.

L'échantillonnage d'un lot peut être effectué sur le produit qui n'est pas forcément fini, au sortir de la tour « spray » (la tour de séchage par atomisation), ou bien après ajout des différentes vitamines. Cette analyse doit être bien faite, elle se fait en cours de production, sur le produit presque fini, ou fini. Ensuite, de vrais prélèvements de produit fini sont réalisés en ouvrant des boîtes qui ont été conditionnées, prises à la sortie de la chaîne de conditionnement. Je laisserai l'industriel préciser la fréquence de ces prélèvements, je n'ai pas toutes les informations, mais les règles prévoient que les produits soient échantillonnés à différentes étapes de la production, pour finir avec un échantillonnage du produit fini.

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Vous nous avez parlé des 250 000 cas de contamination par la salmonellose par an en France, et de 170 cas depuis 2005 de contamination d'enfants – chiffre à confirmer.

Dans le cadre de votre mission d'évaluation des risques, et de la préparation de notre rapport, selon vous, devons-nous concentrer nos efforts sur le rappel des lots et la gestion du risque dans l'industrie du lait en poudre, ou devons-nous élargir le champ de nos travaux à l'industrie agroalimentaire pour les enfants, voire l'industrie agroalimentaire de manière générale ?

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Gilles Salvat, directeur général délégué au pôle recherche et référence de l'ANSES

Les nourrissons qui ont pour alimentation presque exclusive ces produits lactés ont une fleur digestive est très spécifique, ce n'est pas encore celle d'un adulte, elle n'évolue pas avant la diversification alimentaire. C'est donc une population très fragile et les aliments qui lui sont destinés doivent faire l'objet d'une extrême attention. Le problème n'est plus de même nature au moment de la diversification alimentaire : la plupart des produits utilisés sont des conserves et les petits pots posent assez peu de problèmes car ils sont stérilisés à au moins 121 degrés pendant plusieurs minutes, ce qui détruit toute contamination biologique existante. Mais les produits lactés exigent une vigilance particulière.

Vous avez rappelé qu'il y a 250 000 cas, et que l'affaire dont nous parlons n'en concerne que trente-huit – peut-être plus car certains cas ont pu ne pas être déclarés – mais certainement pas des centaines, car c'est plutôt sur les bébés que l'on fait des recherches sur l'étiologie de la maladie, que l'on fera des analyses et évidemment décider une hospitalisation. Mais il faut traiter les 250 000 autres cas, et cela passe par une amélioration globale des procédures d'hygiène dans l'ensemble de l'industrie agroalimentaire ; c'est un processus continu qui s'améliore d'année en année.

Je vous ai parlé des réglementations sur les salmonelles en filière avicole. Selon les estimations de Santé Publique France, elles ont permis d'éviter plusieurs dizaines de milliers de cas par an en France entre la mise en place obligatoire de la réglementation en 1998 et les premiers effets constatés en 2005 : le nombre de toxi-infections par Salmonella Enteritidis, qui était celle qui nous préoccupait le plus en filière avicole, a été divisé par cinq. C'est dire à quel point les politiques publiques ont un effet direct sur la gestion du risque et la diminution du risque pour le consommateur.

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Charlotte Grastilleur, directrice adjointe à la Direction de l'évaluation des risques en santé-alimentation

On a beaucoup parlé des suites défavorables de la salmonellose sur les bébés. Il est vrai que c'est une affection plutôt bénigne pour les adultes bien portants, mais cela n'empêche pas des cas d'hospitalisation de se produire régulièrement, et même des décès. Votre question était centrée sur le cas des bébés, population hautement sensible, j'appelle l'attention sur le fait qu'il peut se produire des détriments allant jusqu'au décès chez d'autres populations sensibles, notamment les personnes âgées.

Sans présager des mesures ultérieures, la vigilance ne doit pas se limiter à la filière enfant. Sur certains points, notamment les questions environnementales, elle nécessite peut-être des ajustements, mais vous parliez de retraits et des rappels : dès qu'une salmonelle est présente dans un aliment mis sur le marché, le niveau de sécurité escompté n'est plus atteint et le produit est frappé de non-conformité, qu'il soit destiné à un bébé ou à un adulte. Je tenais à faire ce rappel.

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Mesdames, monsieur, merci pour votre expertise. Sachez que la commission d'enquête est particulièrement sensible au fait que ce sont des aliments donnés à des bébés. Vous avez exposé les spécificités scientifiques de cette affaire, mais également les aspects humains qui nécessitent également une attention particulière. Merci pour la qualité de vos propos, qui vont éclairer cette commission.

L'audition s'achève à dix-sept heures quarante.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 10 avril 2018 à 16 h 30

Présents. - M. François André, M. Grégory Besson-Moreau, M. Frédéric Descrozaille, M. Christian Hutin, Mme Caroline Janvier, Mme Frédérique Lardet, M. Michel Lauzzana, M. Jean-Claude Leclabart, M. Didier Le Gac, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, Mme Graziella Melchior, M. Bruno Questel, M. Arnaud Viala

Excusé. - Mme Séverine Gipson