Commission des affaires économiques

Réunion du lundi 16 avril 2018 à 21h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • industrielle
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La réunion

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La commission a procédé, en application de l'article 13 de la Constitution, à l'audition de M. François Jacq, dont la nomination est proposée par M. le Président de la République à la fonction d'administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), puis a voté sur cette nomination.

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La commission des affaires économiques doit rendre un avis préalable à une nomination envisagée par le Président de la République. Par un courrier en date du 6 avril 2018, le Premier ministre a en effet informé le Président de l'Assemblée nationale qu'il était envisagé de nommer M. François Jacq administrateur général du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Cette procédure répond à une exigence de l'article 13 de la Constitution qui prévoit que, pour certains emplois ou fonctions, le pouvoir de nomination du Président de la République s'exerce après avis public de la commission permanente compétente de chaque assemblée. Le Président de la République ne peut procéder à une nomination lorsque l'addition des votes négatifs dans chaque commission représente au moins trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein des deux commissions.

Sur les cinquante et une personnalités concernées par cette procédure, treize doivent faire l'objet d'un avis de la commission des affaires économiques, ce qui place cette dernière au deuxième rang des commissions les plus sollicitées sur le fondement de l'article 13 de la Constitution.

Je vous précise le déroulement de la procédure. L'audition est publique. Le scrutin est secret et doit avoir lieu hors de la présence de la personne auditionnée. Il ne peut donner lieu à délégation de vote. Il sera effectué par appel public. Des bulletins vous seront distribués à cet effet. Le dépouillement du scrutin sera effectué par les deux plus jeunes députés présents appartenant respectivement au groupe La République en marche et au groupe Les Républicains.

La commission des affaires économiques du Sénat entendra M. François Jacq demain, mardi 17 avril, à quinze heures.

Il m'appartiendra de communiquer le résultat du vote à la présidence de l'Assemblée nationale, puis de vous en informer ultérieurement. Nous ne pourrons vous donner cette information avant le vote de la commission des affaires économiques du Sénat.

Nous auditionnons donc M. François Jacq, personnalité pressentie pour occuper les fonctions d'administrateur général du CEA, en remplacement de M. Daniel Verwaerde qui avait été nommé pour trois ans en 2015. Le décret n° 2016-311 du 17 mars 2016 relatif à l'organisation et au fonctionnement du CEA a porté la durée du mandat du futur administrateur général de trois à quatre ans.

Un questionnaire supervisé par M. Anthony Cellier a été remis à M. François Jacq. Les réponses de ce dernier et son curriculum vitae (CV) vous ont été transmis jeudi dernier. Vous avez ainsi pu disposer d'informations détaillées pour préparer cette réunion.

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François Jacq

Je commencerai par formuler deux remarques.

Tout d'abord, je voudrais dire à quel point je suis ému et honoré. Être pressenti pour devenir administrateur général du CEA, c'est s'inscrire dans une lignée qui a commencé avec Raoul Dautry et qui s'est poursuivie avec Pierre Guillaumat, André Giraud et Yannick d'Escatha.

Ensuite, avant de vous exposer mon projet pour le CEA, je tiens à dire tout de suite que mon approche est forcément extérieure. Si j'ai évidemment une certaine compréhension du contexte énergétique, écologique et environnemental, ce que je m'apprête à vous dire s'inspire de mes lectures et des discussions que j'ai pu avoir mais devra être confronté à un travail en interne avec les équipes du CEA, si vous m'en donnez la possibilité. Il faudrait d'ailleurs probablement que je m'exprime au conditionnel mais vous me pardonnerez si, de temps en temps, j'emploie le présent ou le futur. Ce n'est en aucune manière une façon de préjuger de votre opinion.

Si le CEA est, dans le paysage de la recherche, de l'industrie et de la défense français, un très bel organisme à l'origine de multiples avancées, il est un peu à la croisée des chemins et a besoin de se repenser. Il faut en faire un acteur majeur de toutes les transitions qui sont devant nous : la transition énergétique, la transition écologique mais aussi les transitions numérique et stratégique.

Je vais à présent esquisser le projet que j'ai pour le CEA, autour de trois piliers : faire du CEA un accélérateur de la transition énergétique et climatique, un acteur de l'industrie et de la médecine de demain au carrefour de la transition numérique et de l'innovation, ainsi qu'un soutien permanent à la dissuasion. Pour atteindre ces trois objectifs, trois conditions doivent être remplies : tout d'abord, s'inscrire dans une logique d'excellence et d'ouverture en nouant des partenariats renforcés ; ensuite, faire preuve de rigueur – nos finances publiques sont en effet dans un tel état qu'il nous faut être exemplaires tant dans la tenue du calendrier des projets qu'en repensant les domaines d'action et l'emploi des moyens du CEA afin de faire des choix plutôt que d'être dans une logique de rabot budgétaire – ; enfin, respecter l'héritage de l'organisme mais aussi le transformer. Pour ce faire, il faut élaborer un projet de conduite du changement associant l'ensemble des acteurs concernés : hiérarchie, organisations représentatives du personnel et partenaires extérieurs. Je terminerai mon intervention en évoquant mon propre parcours et ce qui me permet, me semble-t-il, de relever ces défis.

Je le disais, le CEA doit être – premier pilier – un accélérateur de la transition énergétique. On a à prendre acte de deux ruptures : la nécessité de décarboner notre économie et la possibilité de stocker l'électricité qui est désormais à portée de main, à des conditions économiques et techniques raisonnables.

Il s'agira, dans un premier volet, de construire et déployer les filières énergétiques de demain – pas toutes les filières mais on peut raisonnablement envisager une rupture industrielle dans le domaine du stockage autour des batteries du futur. On peut aussi imaginer un projet national intégrateur dans le domaine de l'hydrogène afin de réunir toutes les briques technologiques de base nécessaires pour évaluer la viabilité de cette option. On peut également, dans le domaine de la gestion des réseaux électriques, développer des expérimentations locales pour tester ces briques. C'est là que les spécificités du Commissariat sont importantes car nous disposons non seulement des technologies énergétiques mais aussi des compétences dans les domaines du numérique, des algorithmes et de la modélisation.

Vient le second volet de la transition énergétique : le CEA doit être le garant d'un nucléaire civil français exportable, sûr et rationalisé. Dans le cadre qui a été fixé, il est important de s'assurer que le nucléaire reste exportable puisqu'il demeurera une part du mix énergétique, tant français qu'étranger. Cela suppose que le CEA apporte un appui plus fort que par le passé, en lien avec les autres acteurs de la filière, à la sûreté et à l'exploitation du parc nucléaire actuel. Cela suppose aussi le succès économique et technique de la troisième génération, succès qui n'est pas encore complètement acquis. Certes, cela relève de la responsabilité des industriels comme Framatome ou Électricité de France (EDF), mais le CEA peut y contribuer en mettant à disposition ses moyens et en favorisant le travail en commun. Le milieu a en effet souvent été caractérisé par des guerres de chapelle stériles, luxe que nous ne pouvons plus nous offrir.

Un sujet qui me tient particulièrement à coeur dans le domaine nucléaire est celui du démantèlement et de l'assainissement. Ce volet est souvent vu comme une charge – et c'en est une. Ayant été autrefois responsable de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA), j'ai une idée de la difficulté que représente la gestion des déchets. Cependant, dans un environnement mondial où le nombre d'installations nucléaires à démanteler est considérable, on a là non seulement une charge, peut-être, mais surtout l'occasion de monter une filière industrielle qui soit en mesure d'apporter les meilleurs résultats non seulement en France mais aussi à l'export. Le Commissariat pourrait être le noyau autour duquel faire germer une telle filière.

J'en viens au deuxième pilier, le CEA doit être un acteur de l'industrie et de la médecine de demain, au carrefour du numérique et de l'innovation. Il bénéficie de l'excellence de ses équipes et couvre un champ très large, parfois trop large. Le modèle économique de la recherche technologique du commissariat mériterait d'être conforté. Avec les noyaux d'excellence qu'il y a en France, on peut bâtir des filières dans trois domaines.

Le premier est celui des technologies du numérique : le CEA pourrait ainsi contribuer à la constitution d'une filière nationale centrée sur la cybersécurité, la maîtrise et la protection des données, l'électronique avancée et les ruptures dans le domaine du calcul de haute performance.

Le deuxième domaine est celui de l'usine du futur, avec le développement des technologies numériques, de l'intelligence artificielle, des robots, de la virtualisation et de la réalité augmentée. Il ne s'agit pas que le CEA devienne spécialiste de tous les domaines possibles et imaginables, ni qu'il fasse le travail pour tout le monde mais il pourrait trouver un réseau de partenaires lui servant de relais et lui permettant d'injecter ces technologies dans le tissu industriel français et de les y diffuser.

Enfin, il est un domaine qui, parfois, étonne quand on parle du CEA : celui de la médecine, dans lequel le Commissariat se singularise par sa connaissance des techniques de visualisation, de l'atome et des effets des radiations mais aussi par ses compétences dans la maîtrise des données et le séquençage. Il y a réellement là un domaine d'excellence qui doit être développé.

En ce qui concerne la défense, troisième pilier d'intervention du CEA, la direction des applications militaires a réussi de très belles choses dans le domaine de la simulation avec la fin des essais nucléaires, le Laser Mégajoule (LMJ) et le calcul de haute performance mais cet outil doit faire l'objet d'une vigilance permanente pour s'assurer, le jour où la génération qui a fait des essais nucléaires passera la main, du déploiement parfait des moyens nécessaires à la dissuasion.

J'en viens à ce qui me semble être les trois conditions de la réussite de ce triple projet.

La première est de placer l'organisme dans une dynamique d'ouverture. Pour s'ouvrir, il faut être fort parce que convaincu de sa légitimité et de la pertinence de son projet. Si le CEA arrive à concevoir un projet et à y faire adhérer ses équipes, il sera d'autant plus à même de se placer dans une dynamique d'ouverture qui me semble indispensable. Non pas que le CEA ne soit pas ouvert aujourd'hui mais il peut faire plus et mieux pour s'insérer dans le tissu de la recherche, s'y ancrer et s'y développer. S'agissant de l'insertion dans les politiques de site, je pense à Paris-Saclay mais aussi à Grenoble. Je pense aussi à la collaboration du CEA avec les autres organismes de recherche : quand Antoine Petit a été nommé président du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), il a annoncé parmi ses projets une réflexion sur les très grandes infrastructures de recherche – sujet sur lequel il y a un travail en commun à faire. Je parlais tout à l'heure de médecine et de la transition numérique : il serait pertinent d'assurer un continuum allant des technologies que le Commissariat peut développer jusqu'aux pratiques thérapeutiques de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). De même, les partenariats avec l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) sont centraux.

La deuxième condition de la réussite est la rigueur. Il va falloir rationaliser, organiser et trier. Le Commissariat a rencontré des difficultés dans certains de ses projets. Qu'on songe simplement au réacteur Jules Horowitz qui, toutes proportions gardées, a connu, en termes de coûts et de calendrier, des difficultés assez comparables à celles de l'EPR (pour european pressurized reactor, soit réacteur européen pressurisé). Un organisme comme le CEA se doit d'être absolument exemplaire dans la maîtrise de ses projets, ce qui demande beaucoup de minutie, de temps et d'énergie. Il est probable aussi que le contexte dans lequel ce projet a été lancé était compliqué.

Au-delà de la nécessité de maîtriser les grands projets de la maison, il y a un effort de rationalisation à faire. Je viens moi-même d'organismes comme Météo France ou l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (IFREMER) à qui on a demandé de tels efforts. Aucun organisme ne peut s'en exonérer. Il faut que l'argent du contribuable soit employé avec la plus grande efficacité et qu'on dégage des marges de manoeuvre pour les réaffecter à la recherche lorsque cela est possible. Ce tri peut entraîner des renoncements dès lors qu'on décide de se concentrer sur certaines priorités, l'idée étant bien que tout ce qui relève du rabot est toujours douloureux et mal vécu par les équipes, à bon droit. Mieux vaut donc procéder à des choix : c'est ce travail que j'aimerais mener avec les équipes du CEA.

Enfin, la troisième condition est celle de la conduite du changement, dans le respect de l'héritage de l'institution. On ne fera rien sans donner espoir et confiance au personnel et à l'ensemble des partenaires de l'institution. Le projet dont je viens d'esquisser les grandes lignes devra évidemment être débattu et soutenu par toute la chaîne managériale. Il ne doit y avoir qu'un seul CEA. Il faut donc forger une conviction commune et partagée pour qu'elle soit soutenue et mise en oeuvre par tous de manière solidaire. Cela suppose, là encore, que l'ensemble de l'encadrement et du collectif s'ouvre au monde extérieur.

De ce projet, on peut attendre des bénéfices en termes d'appui aux politiques gouvernementales – dans les domaines du climat, de la souveraineté, de l'innovation et du développement économique –, de soutien aux filières industrielles, d'un positionnement qui doit être revu vis-à-vis du nucléaire et d'efficacité plus globale du système de recherche.

Plusieurs éléments m'incitent à penser que je suis en mesure de relever ces défis.

J'ai de longue date un attachement au monde de la recherche, ayant été chargé de trois établissements du secteur : l'ANDRA, Météo France et l'IFREMER, dans des genres complètement différents. Le CEA me ramène à mes jeunes années puisque j'ai exercé une tutelle sur l'organisme lorsque j'étais au ministère de la recherche à la fin des années 1990. Entre-temps, j'ai été chargé d'établissements de tailles variées – 400 personnes à l'ANDRA, 3 700 à Météo France – traitant d'enjeux importants, parfois lourds – puisque nous avons été chargés d'opérations douloureuses de rationalisation du réseau territorial de Météo France ainsi que du transfert du siège de l'IFREMER. J'ai ainsi acquis une certaine expérience de la conduite du changement.

Les autres facettes de mon activité m'ont conduit à exercer une tutelle sur certains organismes lorsque j'étais directeur d'administration centrale ou au ministère de la recherche. J'ai également été président de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), ce qui m'a conduit à réfléchir à la manière de faire travailler ensemble des organismes souhaitant tous légitimement rester autonomes.

Je serais donc heureux de relever tous ces défis et de gérer un organisme auquel je suis très attaché.

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Vous souhaitez faire du CEA un pivot et un interlocuteur privilégié de la filière du démantèlement et de la déconstruction. EDF ayant lancé un appel à projet à l'international en ce domaine, comment envisagez-vous le positionnement du CEA sur cette thématique, vis-à-vis non pas des majors, mais de l'écosystème des entreprises locales qui, demain, aura droit de cité sur la scène internationale ?

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Vous nous avez fait un exposé de grande qualité et il suffit de regarder votre parcours pour comprendre qu'on a affaire à un spécialiste du domaine. Vous avez évoqué trois grandes priorités pour le CEA. Tout d'abord, en faire un accélérateur de la transition énergétique et climatique, ce qui suppose qu'il soit un catalyseur de la construction et du déploiement des filières énergétiques de demain et le garant d'un nucléaire civil exportable, sûr, repensé et rationalisé. Ensuite, faire du CEA un acteur de l'industrie et de la médecine de demain, au carrefour de la transition numérique et de l'innovation. Enfin, en faire le soutien constant d'une dissuasion exemplaire. C'est un beau programme. Combien de temps vous faudra-t-il pour mettre en application votre projet ?

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Avant de vous interroger sur les partenariats et les brevets, je me félicite que le site du CEA à Saclay ait été choisi récemment par la RATP pour tester deux navettes autonomes de la société française EasyMile. Ayant eu l'occasion de visiter le siège de cette start-up lors d'un déplacement de la ministre Élisabeth Borne à Toulouse il y a quelques mois, je me réjouis que les milliers de salariés du site du CEA puissent désormais emprunter ces navettes 100 % électriques. J'espère réellement que vous aurez l'occasion de les tester et de prolonger cette expérimentation. Cela démontre en tout cas que le CEA est à même d'innover et d'établir des partenariats non seulement avec des institutions mais également avec des start-up. C'est un aspect important pour soutenir l'expansion et le développement des jeunes pousses françaises et j'espère que vous continuerez à agir en ce sens.

Mes questions portent justement sur les nombreux partenariats, internationaux notamment, qui sont conclus par le CEA dans des domaines très variés. Je citerai ici deux exemples récents car la liste pourrait être longue. Je pense tout d'abord au partenariat avec Blue Solutions, filiale de Bolloré, pour tester une station de recharge pour véhicules électriques alimentée par de l'énergie solaire en Inde. Je pense ensuite au partenariat noué avec Vikram Solar, également en Inde, pour dynamiser la recherche et le développement sur les cellules, modules et systèmes au silicium cristallin à haut rendement ainsi que sur une série de technologies de production et de stockage à haut rendement pour les marchés français et indien. Ces partenariats internationaux sont évidemment indispensables pour faire avancer la recherche et développer des solutions innovantes pour répondre aux multiples enjeux de la transition énergétique et numérique. Toutefois, comment comptez-vous vous assurer que le CEA garde la main sur les technologies qu'il développe en France afin de ne pas subir de pertes en matière de propriété intellectuelle au seul profit d'entreprises privées ou d'États étrangers ?

Quelle sera votre politique concernant le dépôt de brevets auprès de l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) ?

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Nous passons de Toulouse à Saclay, c'est-à-dire de l'endroit où l'on fabrique les navettes à celui où l'on va les utiliser.

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En tant que rapporteure spéciale du budget de la recherche pour la commission des finances, je voulais rappeler à mes collègues que le budget du CEA s'élève à environ 1,9 milliard d'euros, réparti entre les programmes 172, 190 et 191, et que ses effectifs représentent 16 000 postes en équivalent temps plein annuel travaillé (ETPT). Il y aura donc de vrais choix à faire concernant les moyens humains et financiers. Quels moyens consacrerez-vous à quels projets ? J'aimerais que vous nous disiez plus explicitement comment vous comptez redonner de l'agilité budgétaire à ce grand organisme.

Étant une élue du plateau de Saclay et ayant visité certains sites comme le List du CEA Tech, qui est un endroit de transfert de technologie, j'aimerais aussi connaître votre stratégie concernant les plateformes régionales de transfert de technologie (PRTT). Il en existe cinq au CEA. Comment voyez-vous leur rôle ? Comment voyez-vous les liens, que vous voudriez créer, avec l'industrie ?

Vous parlez d'une politique de sites, de collaborations. Comment envisagez-vous, au-delà des grandes très grandes infrastructures de recherche, vos liens avec le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) ? Avec mes collègues Patrick Hetzel et Danièle Hérin, je mène, au sein de la commission des finances, une mission d'évaluation sur le financement de la recherche au sein des universités, sur le fonctionnement des unités mixtes de recherche (UMR), et sur la manière de mettre en commun les moyens des divers organismes. Comment le CEA peut-il se positionner sur ces thèmes, afin que l'argent public soit dépensé au mieux dans l'objectif de long terme qu'est la compétitivité de notre pays ?

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Vous avez pour projet prioritaire de faire du CEA un acteur phare et innovant des transitions historiques que nous vivons. Vous voulez notamment qu'il soit le catalyseur de la construction et du déploiement des filières énergétiques, avec un projet intégrateur dans le domaine de l'hydrogène.

Nous devons parvenir rapidement à la création d'un portefeuille de technologies nécessaires à l'élaboration de plusieurs solutions économiquement viables et personnalisables dans nos territoires.

Tout ce qui est en mesure de générer et de consommer de l'hydrogène vert doit être évalué, maximisé et déployé si le processus énergétique est l'avenir. D'ailleurs, je propose à la Nouvelle Aquitaine, ma région, d'implanter à titre expérimental les trains à hydrogène déjà commandés en Allemagne et en Italie, et dont les moteurs sont montés par Alstom à Tarbes.

J'ai rencontré beaucoup de start-up, des patrons de petites et grosses entreprises, des chercheurs en biohydrogène de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et autres. Je citerais deux universitaires qui ont les mains dans le futur : François-Alexandre Miannay, maître de conférences à Lille, qui lance un programme d'expériences pour développer des cellules solaires ultra-performantes, et Charles Gauquelin, du laboratoire d'ingénierie des systèmes biologiques de Toulouse, qui développe des algues de type hydrogénase.

Contrairement à la méthodologie employée aux États-Unis, toutes ces personnes travaillent encore trop souvent en silo, c'est-à-dire sans partage systémique de leurs travaux. Pourtant la synergie qui s'opère dans des clusters ouverts permet de passer plus rapidement à la phase industrielle et d'être plus concurrentiel par l'innovation.

Peut-on envisager, au sein du CEA, de décloisonner les environnements techniques, économiques, sociaux et juridiques pour que s'opère une transversalité pragmatique des domaines de compétences ?

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François Jacq

Je commencerai par la question de M. Cellier sur la filière de démantèlement et d'assainissement. Mon idée est qu'il faut probablement passer à une autre échelle. Il existe des acteurs, petits ou gros, qui peuvent contribuer à ces opérations. Leur santé économique peut être un peu vacillante parce que ces chantiers se révèlent compliqués. Il me semble qu'il faudrait faire émerger une entreprise commune qui aurait la responsabilité de mettre les principaux acteurs autour de la table et qui s'assurerait de la présence d'un tissu de petites et moyennes entreprises (PME) autour du CEA. Pour ce faire, il faudrait prendre une ou deux installations pilotes pour tester le système.

Un peu à l'instar de ce qui est demandé aux États-Unis et après les diligences faites sur l'installation, il faudrait vérifier la capacité de l'entreprise commune à prendre certains engagements en vue d'une gestion globale du contrat d'assainissement. En effet, l'une des difficultés actuelle est la complexité liée à la gestion des interfaces entre les différents fournisseurs. Il faut donc réfléchir à une offre intégrée impliquant des acteurs de la filière nucléaire et d'autres, comme Veolia, qui ont l'expérience d'installations différentes, par exemple dans le secteur de la chimie. Il s'agit aussi d'emmener un tissu de PME dans la filière. Une telle démarche, qui serait novatrice en matière d'assainissement, suppose de faire la tournée de toutes les parties prenantes. Ce sera l'une des premières choses auxquelles je m'attellerai. Enfin, peut-être… Pardonnez-moi de retomber sur mon conditionnel, mon futur et mon présent.

Monsieur Cinieri, vous m'avez posé une question un peu redoutable : combien de temps faut-il pour faire tout cela ? Le mandat de l'administrateur général est de quatre ans après avoir été allongé d'un an. C'est court. Je ne vous en demande pas déjà plus mais, étant donné le contexte, il faut agir relativement vite. Certaines évolutions se faire relativement vite. Cela étant, mon expérience à Météo France et à l'Ifremer m'a rendu modeste : souvent, ce sont vos successeurs qui moissonnent ce que vous avez semé. Il faut poser les bases et construire le socle ; les résultats se verront dans cinq ou dix ans, c'est-à-dire dans un temps qui excède la durée du mandat de l'administrateur général.

Monsieur Laglaize, vous m'avez interrogé sur le dépôt de brevet, un sujet sur lequel j'aurais besoin de me confronter avec les équipes pour vraiment vous répondre. Avec un nombre de brevets déposés qui doit avoisiner les 680, le CEA est le quatrième déposant français. La Cour des comptes s'est livrée à une petite analyse sur le coût de l'entretien du portefeuille de brevets comparé aux redevances associées, qui montre que l'on se trouve à peu près à l'équilibre, peut-être un peu en dessous.

Ces dépôts de brevets permettent de constituer des grappes et d'avoir une cartographie de certains domaines techniques. Il faut donc continuer à déposer des brevets, sans aucun doute. La question est de savoir où se situe l'optimum en considérant la nature et le volume des brevets. Déposer le plus possible de brevets n'est pas forcément un objectif mais j'ouvre un droit de réserve tant que je n'en ai pas discuté avec les équipes. Le taux de dépôts comparé au nombre de salariés de l'institut allemand Fraunhofer est plus faible sans forcément que les résultats soient moins bons. Il faut probablement travailler le modèle.

J'en viens à votre question sur l'international et sur la stratégie à adopter en matière de propriété industrielle. L'aspect international est absolument majeur. Le Président de la République a une stratégie dans le domaine du climat qui s'inscrit dans la ligne de l'accord de Paris. Dans le difficile contexte actuel, vu l'attitude de certains pays, si l'on veut que cette stratégie prospère, il va aussi falloir développer des technologies et essayer d'accompagner certains pays. Le développement technologique doit servir à l'échelle nationale et comporter des spécialisations plus adaptées sous d'autres latitudes, dans d'autres types de contexte climatique ou autres. Le CEA, en partenariat avec l'industrie et avec des filières industrielles françaises, peut relever ce défi.

Le commissariat a toujours voulu rester maître de sa propriété industrielle dans le souci de la protéger mais aussi parce que c'est autour d'elle que se construisent les coopérations futures. Je suis convaincu de la pertinence de ce modèle. Il faut trouver l'équilibre qui permette un retour industriel de cette propriété industrielle sous forme de redevances et de capacité à monter de nouvelles entreprises, ce qui est aussi une manière de se protéger. Cela n'empêche pas de rester en première ligne dans la lutte contre la contrefaçon, dans la continuité de ce que fait France Brevets. Il est extrêmement important de ne pas abandonner les portefeuilles de brevets.

J'en arrive aux questions budgétaires de Mme de Montchalin. Le CEA est confronté à des difficultés budgétaires sérieuses : avec les 740 millions d'euros dédiés tous les ans à l'assainissement et au démantèlement, il n'arrive pas à couvrir le programme tel qu'il devrait théoriquement se dérouler pour faire droit à la planification souhaitée par l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Ce montant n'est qu'une composante des 4,5 milliards provenant des diverses sources de recettes publiques et industrielles.

Le CEA a du mal à boucler son budget d'investissements et à lancer des projets significatifs tels que le réacteur Jules Horowitz, le programme ASTRID (Accompagnement spécifique des travaux de recherches et d'innovation défense) ou le renouvellement d'installations du cycle du combustible nucléaire ou périphériques au réacteur Jules Horowitz.

Au cours de l'année à venir, il nous faut bâtir avec la puissance publique une trajectoire consensuelle et soutenable. Tout d'abord, il faut vraiment se mettre d'accord sur ce qui est essentiel, sur ce que l'on tient absolument à préserver et, éventuellement, sur ce à quoi l'on renonce. Ensuite, il faut s'assurer de s'y tenir pendant les dix années suivantes, grâce à une gestion rigoureuses des projets et des budgets, et au respect des délais. Le CEA n'a plus vraiment de plan à moyen terme sur dix ans, alors que ce serait la manière de procéder.

À l'échelle de Météo France et de l'Ifremer, j'ai pu constater un autre point important : il faut veiller au coût de possession inhérent à chaque projet d'investissement. À l'époque où j'étais patron de Météo France, l'éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull avait mis par terre tout le trafic aérien international. À cette occasion, il avait été jugé formidable d'installer des lidars (light detection and ranging) qui permettaient de suivre le nuage de poussière et de faire des mesures. J'avais obtenu des crédits d'investissement pour une dizaine de lidars. J'ai alors demandé à mes services combien allait me coûter l'entretien annuel du lidar installé dans les aéroports. Quand j'ai réalisé ce que ça allait consommer du budget de fonctionnement de la direction du système d'observation de la météo, j'ai réduit l'investissement. Ce n'était pas soutenable et il valait mieux réduire le nombre de points.

J'ai l'impression que le même genre de difficulté se rencontre dans des projets du secteur nucléaire où ces coûts sont particulièrement lourds, ainsi que dans le domaine technologique notamment pour les PRTT qui partent d'une idée extrêmement séduisante et positive en termes d'irrigation du tissu industriel.

Quel est le modèle technologique et économique de ces PRTT à moyen terme ? C'est bien le problème. On peut faire une analogie avec mon raisonnement sur l'investissement et le fonctionnement. Des investissements ont été payés, des dotations ont été données, 180 postes ont été affectés hors plafond d'emplois. On arrive la fin de l'expérimentation et on se demande s'il ne va pas falloir réintégrer ces postes dans le plafond d'emplois et si les recettes et les soutiens locaux ne vont pas disparaître. Il faut s'interroger sur la manière de pérenniser les PRTT grâce à un nécessaire socle de recettes industrielles mais aussi en revoyant le modèle. Il ne faut pas que la recherche du contrat devienne une course en avant qui finisse par asphyxier les équipes. C'est l'une des préoccupations que l'on rencontre autour du ressourcement dans le domaine de la recherche technologique. Il faut donc stabiliser les cinq PRTT existantes et bien réfléchir avant d'en créer de nouvelles. Quoi qu'il en soit, il faut gérer tout cela de manière très rigoureuse.

Je vais finir par votre question qui m'habite déjà au quotidien à l'Ifremer : le travail en commun, notamment sur le modèle des unités mixtes de recherche (UMR). Ne nous dissimulons pas la vérité : il n'est jamais simple de travailler en commun, une fois que les directions d'organismes ont manifesté leur intention de nouer des partenariats. Chacun a son identité, ses envies et ses comptes à rendre. Certaines UMR ont quatre tutelles, donc autant de modes de restitution. Même quand on essaie d'homogénéiser, ce n'est pas toujours très simple. Établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), l'Ifremer a des modalités de restitution et d'arrêté des comptes qui diffèrent de celles d'un établissement public à caractère scientifique et technologique (EPST).

Il me semble qu'un travail en commun ne peut fonctionner que si chacun est extrêmement clair sur son projet et ses attentes, et s'il respecte le projet et les attentes des autres. J'en reviens à mon exemple de l'Ifremer. À la pointe de la Bretagne, on a un certain nombre d'UMR. Le travail en commun pourrait très bien fonctionner entre l'université, le CNRS, l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et l'Ifremer. Cependant, il faut pour cela que la singularité de l'Ifremer soit respectée : c'est un organisme à finalité, qui vient en appui aux politiques publiques, qui doit avoir une vocation d'intégration vers la mer pour le compte de l'État. Les autres doivent respecter cette singularité et comprendre qu'elle implique certaines orientations.

Toutes proportions gardées, je pense que le CEA peut aussi travailler sur le modèle de l'UMR et il le fait déjà : le Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (LSCE) en est un très bel exemple. Cela suppose un projet bien constitué et une discussion entre organismes pour s'assurer du respect mutuel.

Pour revenir un instant à mon propos liminaire sur les très grandes infrastructures de recherche (TGIR), le CEA et le CNRS sont concernés au premier chef. La question est de savoir si l'on ne peut pas faire plus et mieux en rationalisant, en ayant une gestion un peu moins imbriquée, en imaginant des systèmes où l'un accorde une délégation à l'autre en ne conservant qu'un droit de regard. Dans son projet pour le CNRS, M. Antoine Petit a énoncé ce genre d'idées, que je trouve très sympathiques. Cependant, cela ne peut marcher qu'à condition qu'il y ait du respect et de la bonne foi entre les organismes. Je l'ai vécu dans le cadre de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement, AllEnvi. Faire fonctionner vingt-huit organismes dans les sciences de l'environnement peut se révéler compliqué, mais, pas à pas, on arrive à concrétiser des initiatives, même avec deux personnes au secrétariat exécutif et 180 000 euros de budget.

Monsieur Delpon, je ne sais pas si vous avez eu la générosité de m'interroger sur l'hydrogène et le cloisonnement parce que j'allais me sentir spontanément à l'aise avec le sujet, mais vous prêchez pour des thèmes chers à mon coeur. J'ai passé mes jeunes années au Centre de sociologie de l'innovation de l'École des mines où j'ai eu pour maîtres Michel Callon – mon directeur de thèse – et Bruno Latour, des gens qui ont plaidé pour cette construction sociotechnique. La technologie, la science et la technique ne peuvent pas s'imposer au monde social, pas plus que l'inverse. Il ne s'agit pas d'affirmer aux gens que la science et la technologie sont de bonnes choses ; il faut parvenir à montrer que l'on peut construire un usage, une forme de coopération adaptée entre les uns et les autres. Cette idée m'est chère parce qu'elle a été au centre de mon travail initial. Il reste beaucoup à faire dans ce domaine car on voit bien qu'une partie des problèmes que l'on rencontre dans la transition énergétique y est liée. Il ne s'agit pas seulement d'avoir identifié des briques technologiques, encore faut-il savoir comment les insérer dans certains contextes. Le contexte social est capable de les accueillir, voire de les modifier.

En ce qui concerne l'hydrogène, nous sommes parvenus à un moment clé. Il y a une vingtaine d'années, je soutenais des recherches sur l'hydrogène lorsque j'étais au ministère de la recherche où l'on me promettait monts et merveilles que je n'ai pas forcément vus à l'époque. En ce moment, il se passe quelque chose dans la technologie des électrolyseurs, les coûts commencent à devenir acceptables. Comment cela peut-il s'insérer dans un usage, en réglant les questions de sécurité et de réseaux d'approvisionnement ? Il faut voir au-delà de la percée technologique et imaginer un projet intégrateur.

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Je vous remercie pour la simplicité et la lisibilité de votre exposé. La néophyte que je suis a bien compris votre parcours et les enjeux du secteur. Ma question concernera la maîtrise du temps, en référence à votre goût particulier pour le Moyen-Âge et l'histoire de la science. Comment comptez-vous mettre le temps en perspective avec la mission qui pourrait vous être confiée ? Les politiques donnent très souvent des perspectives, des dates, des délais, mais se rendent également assez régulièrement compte des difficultés à les tenir. Dans le nucléaire, l'exemple des EPR est symptomatique, avec des retards très importants.

Paradoxalement, nous avons du mal à contenir le temps, tout en voulant avancer très vite. Dans la fonction que vous allez exercer, le prendrez-vous en compte ? Allez-vous prendre le temps de l'expertise poussée et de l'évaluation des technologies et des projets, afin d'assurer leur pérennité et leur adaptation à l'évolution de la société ?

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Dans le cadre de la commission d'enquête sur les décisions de l'État en matière de politique industrielle – dont le rapporteur, M. Kasbarian, est ici présent –, nous tentons de définir ce qu'est une entreprise stratégique. Comment le CEA peut-il nous aider à anticiper ce qui, demain, sera stratégique ? Comment identifier les industries qui le sont, dans un écosystème de sous-traitants plus ou moins maillé ? Je prendrai deux exemples : la transition énergétique et l'intégration de la télémédecine ou des nanotechnologies en médecine.

Par ailleurs, je rêve d'une France plus attractive pour nos chercheurs. Comment peut-elle le devenir ?

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Dans le document que vous avez bien voulu nous fournir pour préparer cette audition, vous indiquez que le CEA gagnerait à coopérer avec cinq États – États-Unis, Chine, Japon, Inde et Russie – dans le domaine de la recherche en matière de nucléaire civil. Est-ce toujours d'actualité ? Ce secteur est-il totalement déconnecté des relations diplomatiques de la France ? Si tel n'est pas le cas, est-il raisonnable d'envisager une coopération avec la Russie, et dans une moindre mesure avec la Chine, au regard de l'actualité française et internationale de ces derniers jours ?

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Vous voulez positionner le CEA comme accélérateur de la transition énergétique. Vous avez également parlé d'énergie décarbonée ou de stockage. Vous avez terminé votre propos liminaire en évoquant votre volonté de déployer des filières énergétiques. Sans vouloir vous blesser, ces ambitions ne sont pas nouvelles. Sur le terrain, on a souvent l'impression d'un manque de cohérence et de dialogue entre les différents ministères – économie, aménagement du territoire, environnement, recherche. Des innovations naissent dans nos laboratoires mais le développement et l'industrialisation de ces systèmes sont souvent extrêmement compliqués.

En conséquence, les industriels ont du mal à investir en avance de phase dans certains secteurs, car ils ne sont pas sûrs de disposer d'un marché. Dans ces secteurs, nous avons besoin d'une véritable politique industrielle. Dans quelle direction veut-on emmener notre pays ? Les systèmes développés chez nous seront ensuite ceux que l'on vendra à l'international pour répondre aux enjeux planétaires.

Mon deuxième sujet n'est sans doute pas de votre responsabilité comme administrateur général du CEA, mais son importance est capitale. Notre système bancaire national sous-investit dans les énergies renouvelables : comment éviter que la majorité des investissements soit réalisée par des fonds d'investissement étrangers ?

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À l'international, vous l'avez évoqué, la France est l'un des leaders des réacteurs de quatrième génération. Mais la recherche dans ce secteur est très coûteuse et la collaboration avec des partenaires internationaux est donc stratégique, Mme Ménard s'en est fait l'écho. Comment envisagez-vous ces partenariats ?

Pour des raisons historiques, l'ADN du CEA est nucléaire. Comment comptez-vous développer l'autre facette du Commissariat : les énergies alternatives ?

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Parmi vos trois objectifs figure l'accélération de la transition énergétique. Que pensez-vous des réacteurs nucléaires à sels fondus, utilisant le thorium ? Selon Daniel Heuer, directeur de recherche au CNRS, ces réacteurs seraient moins dangereux et moins sales que ceux à l'uranium. Cette technologie semble prometteuse, d'autant plus que la France possède du thorium en grande quantité. Certains pays – comme la Chine ou les Pays-Bas – investissent cette technologie. Elle ne fait pourtant pas l'unanimité dans la communauté scientifique. Comptez-vous renforcer la recherche dans ce domaine ?

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François Jacq

Madame Blanc, vous m'avez interrogé sur la maîtrise du temps. Nous devons rapidement mettre l'organisme en mouvement, tout en faisant en sorte que les équipes aient une vision claire de la direction et du projet, afin de bénéficier des fruits du travail déjà réalisé. Pour autant, un bon projet est un projet qui a eu le temps de mûrir et la vitesse ne doit pas être confondue avec la précipitation. Nous devons réussir à concilier l'élan et la réflexion.

Qu'est-ce qu'une entreprise stratégique et que peut faire le CEA en la matière ? En premier lieu, soyons modestes, le CEA couvre un périmètre d'activités très large, mais pas l'ensemble du champ stratégique. Malgré tout, nous pouvons aider à définir les filières stratégiques en articulant notre projet, les enjeux liés au contexte international et les forces et faiblesses françaises. Ainsi, si l'on prend l'exemple de la cybersécurité, des acteurs comme Thales ou Atos constituent les ferments d'une filière nationale. En la matière, je crois en notre fonction de conseil et d'appui au Gouvernement, dans le droit fil du modèle régalien sur lequel a été fondé le commissariat, qui n'est absolument pas démodé.

Comment rendre la France attractive pour les chercheurs ? Trouvons déjà le moyen de rendre le CEA attractif pour les jeunes et les chercheurs. Certains baromètres sont inquiétants ; le CEA a clairement perdu de son attractivité. Le projet que je vous ai présenté doit contribuer à améliorer son image, mais nous devons l'accompagner d'une politique de communication et nous adapter aux jeunes générations, beaucoup plus agiles. Nous devons attirer les jeunes et les meilleurs ingénieurs et chercheurs de demain. L'enjeu est crucial et ce n'est pas gagné…

Avec quel pays peut-on envisager de coopérer dans le domaine de la recherche nucléaire civile ? Il est évident que nous tenons compte des enjeux géostratégiques et de l'état des relations diplomatiques de la France avant d'engager ou de poursuivre des collaborations. Les pays que j'ai mentionnés sont ceux avec lesquels nous avons d'ores et déjà des liens.

Lors de sa visite en Chine, le Président a d'ailleurs évoqué certaines installations. Ce fut également le cas lors de son déplacement en Inde. De même, pourquoi coopère-t-on avec la Russie ? Tout simplement parce que le secteur nucléaire y reste développé. Ainsi, les Russes ont une expérience en matière de réacteurs à neutrons rapides. En résumé, est-on capable de collaborer dans des conditions qui nous permettent de conserver la maîtrise de notre destin sans entrer en contradiction avec la politique étrangère de la France ? Il me semble que le Commissariat sera, comme il l'a toujours été, un outil au service de la politique de la France.

Monsieur Sommer, je partage votre analyse et n'ai pas la prétention de faire preuve d'originalité. Effectivement, j'avais soutenu ces recherches à la fin des années quatre-vingt-dix. À l'époque, on m'avait fait des promesses qui ne se sont pas concrétisées… Je le vis douloureusement. C'est également valable pour le démantèlement ou pour l'assainissement. Nous devons désormais dépasser les difficultés et certaines pesanteurs, en trouvant de nouveaux angles d'attaque. C'était le sens de ma réponse concernant le démantèlement. Projet par projet, filière par filière, il nous faut trouver l'outil le plus percutant : entreprise commune, filiale, projet national, expérimentations locales.

Afin d'être efficaces, il nous faut non seulement analyser la technologie, mais le contexte dans lequel elle peut se déployer. Nous ne pouvons plus bâtir de réponse unique. Vous avez raison, certaines recherches n'ont pas porté leurs fruits ; il faut les reprendre à nouveaux frais.

Vous m'avez par ailleurs interrogé sur le financement des énergies renouvelables. Je vais m'autoriser à vous répondre avec une de mes anciennes casquettes, car j'ai sévi dans ce secteur comme directeur de la demande et des marchés énergétiques ; j'étais alors en charge des arrêtés tarifaires de rachat de l'électricité. Je ne suis pas sûr que ce soit un problème de tarif ou de sous-investissement. Les tarifs édictés étaient relativement confortables. Mais l'articulation de ces tarifs avec une véritable politique industrielle a toujours été beaucoup plus problématique – le solaire en est un assez bon exemple. Il nous incombe désormais de faire en sorte que la politique de soutien aux énergies renouvelables devienne une chance pour le développement de l'industrie et de l'emploi en France.

S'agissant des réacteurs de quatrième génération, je vais vous répondre par un truisme : il n'y aura pas de quatrième génération sans troisième génération… Il faut réussir la troisième génération avant de pouvoir réussir la quatrième. Cela rejoint ma précédente réponse sur la maîtrise du temps et l'organisation des calendriers.

La quatrième génération appelle par ailleurs la maîtrise d'un certain nombre de briques technologiques, dont nous disposons en partie. S'il doit y avoir coopération internationale en la matière, elle doit probablement inclure un certain nombre de ces briques de base. Sans que personne ne renie son indépendance, cela permettra à chacun d'acquérir de nouveaux éléments pour, ensuite, les ré-assembler.

Avant de répondre précisément sur le calendrier et le financement, j'aimerais préalablement en discuter avec les équipes. J'ai un point de vue, mais peut-être n'est-ce pas le bon.

Monsieur Potterie, vous le savez, les débats sur les réacteurs à sels fondus existent depuis les années soixante. C'est une technologie extrêmement séduisante – notamment en termes de recyclage complet et de fermeture du site – mais aussi extrêmement complexe – compte tenu des matériaux déployés, de leur tenue et des problèmes de corrosion. Mon opinion, modeste, liée à mon expérience dans le secteur des déchets, sera probablement à confronter avec celle des équipes. Cette technologie a été évoquée, puis laissée de côté. On y revient aujourd'hui. Certes, nous disposons de retours d'expérience sur la filière du sodium – avec Phénix et Superphénix. Mais la réflexion sur la quatrième génération doit être globale : il est toujours utile de disposer du panorama de l'ensemble des technologies et des options ouvertes avant de prendre des décisions. Je ne suis pas sûr que les réacteurs au thorium ou à sels fondus soient pour demain, mais il faut les intégrer dans le paysage.

Je terminerai par là où j'ai commencé : né en octobre 1945, le CEA peut paraître une vieille dame mais il a toute sa place dans un monde qui se transforme. Mon ambition est de l'accompagner afin qu'ildevienne un outil d'appui aux politiques publiques et réponde efficacement aux attentes du présent. La très grande qualité de tous les personnels du CEA me rend optimiste : nous y parviendrons en étant solidaires, au sein d'un CEA unique mais décloisonné, où les directions travaillent entre elles et dans une parfaite solidarité de l'ensemble de l'équipe de direction.

Après le départ de M. François Jacq, il est procédé au vote sur la nomination par appel à la tribune et à bulletins secrets.

Les résultats du scrutin sont les suivants :

Nombre de votants25
Bulletins blancs ou nuls0
Suffrages exprimés25
Pour25
Contre0
Abstention0

Membres présents ou excusés

Réunion du lundi 16 avril 2018 à 21 heures

Présents. - Mme Sophie Beaudouin-Hubiere, Mme Anne Blanc, M. Éric Bothorel, M. Sébastien Cazenove, M. Anthony Cellier, M. Dino Cinieri, Mme Michèle Crouzet, M. Michel Delpon, Mme Christelle Dubos, Mme Véronique Hammerer, Mme Christine Hennion, M. Philippe Huppé, M. Guillaume Kasbarian, M. Jean-Luc Lagleize, Mme Célia de Lavergne, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Annaïg Le Meur, M. Roland Lescure, Mme Monique Limon, Mme Emmanuelle Ménard, Mme Anne-Laurence Petel, M. Benoit Potterie, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Denis Sommer, Mme Huguette Tiegna

Excusés. - M. Patrice Anato, M. Alain Bruneel, M. Dominique Potier, Mme Bénédicte Taurine

Assistaient également à la réunion. - Mme Sarah El Haïry, Mme Amélie de Montchalin