Commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques

Réunion du mardi 17 avril 2018 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • environnement
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  • salmonelle
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La réunion

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L'audition débute à quatorze heures.

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Mes chers collègues, l'Assemblée nationale a constitué une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques.

Il ne s'agit pas de faire le procès de qui que ce soit, ni de juger, ni de punir. Nous voulons essayer de comprendre, afin que tout cela ne se reproduise plus.

Nous entendons aujourd'hui M. Serge Milon, directeur départemental de la cohésion sociale et de la protection des populations de Mayenne, et Mme Laurence Deflesselle, directrice départementale interministérielle adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la direction départementale.

La direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP), créée en 2010 dans le cadre de la réforme de l'administration territoriale de l'État, est placée sous l'autorité du préfet. Elle met en oeuvre les politiques sociales et celles en faveur de la jeunesse, des sports, de la vie associative et de l'éducation populaire, ainsi que les politiques de protection des populations, ce qui nous intéresse aujourd'hui. Elle est notamment responsable de la protection des consommateurs et de la régulation des marchés, de la qualité, de la sécurité de l'alimentation et de l'équilibre nutritionnel, de la santé et de la protection des animaux, enfin des contrôles sur les risques environnementaux liés aux productions animales. C'est dire qu'elle a été en première ligne sur l'affaire Lactalis.

Madame, monsieur, nous sommes dans le cadre d'une commission d'enquête parlementaire. Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Mme Laurence Deflesselle et M. Serge Milon prêtent successivement serment.

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Madame, monsieur, pouvez-vous nous présenter les missions de contrôle dont vous êtes chargés et préciser leur fréquence ainsi que la manière dont sont diligentés ces différents contrôles ? D'autres services départementaux sont-ils chargés d'assurer des missions de contrôle complémentaires aux vôtres ?

Combien d'agents avez-vous ? Ce nombre a-t-il évolué au cours des dix dernières années ? Pensez-vous qu'il y ait suffisamment d'agents ?

Comment s'articule le contrôle réalisé par les agents relevant de la direction générale de l'alimentation (DGAL) et ceux relevant de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) au sein de la direction départementale ? Cette articulation entre ces deux structures vous semble-t-elle pertinente ? Pensez-vous qu'une mutualisation de ces services d'enquête serait souhaitable ?

En l'occurrence, dans le cas de Lactalis, quels contrôles ont été effectués par les services de la DGAL, et ceux réalisés par vous-mêmes ?

Comment s'articulent les contrôles réalisés par vos agents et ceux des services nationaux ? Je pense au service national des enquêtes (SNE) du ministère de l'agriculture.

La contamination par la salmonelle du site de Craon, relevée en 2005 par les autorités sanitaires, à l'époque où celui-ci appartenait à l'entreprise Celia, a-t-elle donné lieu à des contrôles renforcés ?

Comment expliquez-vous la présence de salmonelles dans l'usine de Craon en 2017 ? Est-ce la même que celle de 2005 ou s'agit-il d'une nouvelle contamination ? Nous avons déjà obtenu des réponses à cette question, mais nous souhaiterions avoir votre avis.

Pouvez-vous présenter la chronologie de cette affaire et préciser le rôle général que vous avez joué à chaque étape de la crise – déclenchement de l'alerte, fermeture de l'usine, procédure de retrait-rappel, contrôle du respect de cette procédure ?

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Madame, monsieur, merci de vous être déplacés aujourd'hui.

Étiez-vous au courant, avant le déclenchement de la crise, de la présence de salmonelles dans l'environnement du site de Craon ?

Quand avez-vous eu connaissance des résultats positifs des autocontrôles sur l'environnement réalisés par Lactalis ? Quels types d'autocontrôles vous sont habituellement fournis par les producteurs ? Selon quelles règles et comment s'organise cette transmission ?

Sur quoi ont porté les contrôles réalisés le 7 septembre 2017 par vos services sur le site de Craon ? Qui dispose du rapport de cette inspection ?

Pouvez-vous préciser le rôle que vous avez joué dans la procédure de retrait-rappel des produits issus du site de Craon ? Êtes-vous intervenus à un autre moment que lors des contrôles destinés à garantir l'effectivité de la procédure ? Je souhaiterais avoir une réponse précise sur cette dernière question.

Les contrôles destinés à garantir l'effectivité de la procédure de retrait-rappel sont-ils systématiquement mis en place, ou l'ont-ils été de manière exceptionnelle du fait de l'alerte lancée par certains consommateurs ?

Pouvez-vous détailler la manière dont les contrôles destinés à garantir l'effectivité de la procédure de retrait-rappel sont réalisés ? Les agents se déplacent-ils ? Combien d'agents ont-ils été mobilisés en Mayenne ?

Quelles mesures préconisez-vous afin que ce type de contamination ne se reproduise pas ?

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Serge Milon, directeur départemental de la cohésion sociale et de la protection des populations de Mayenne

Mesdames, messieurs les députés, Mme Deflesselle et moi-même vous remercions de nous avoir invités à nous exprimer devant votre commission d'enquête.

Monsieur le président, vous venez de rappeler que la création des DDCSPP est le résultat de la fusion de quatre anciennes directions départementales : affaires sociales ; jeunesse et sports ; concurrence, consommation et répression des fraudes (CCRF) ; services vétérinaires. Notre organisation interne et la répartition des rôles entre Mme Deflesselle et moi-même font que c'est elle qui est bien plus intervenue que moi dès le début sur cette affaire. C'est la raison pour laquelle elle sera mieux à même de répondre à vos interrogations.

Vous avez posé beaucoup de questions. J'espère que vous aurez l'occasion de nous les répéter parce que nous n'avons pas retenu l'intégralité de celles-ci.

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Je vous propose de dérouler la chronologie des événements. Quant aux questions plus précises sur le nombre d'agents, sur la mutualisation ou non, etc. nous vous les rappellerons. Puis l'ensemble de nos collègues vous poseront des questions complémentaires.

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je veux tout d'abord vous expliquer à quoi correspond l'interministérialité de la DDCSPP.

Dans l'affaire de l'usine de Craon, nous sommes sous l'autorité opérationnelle de la DGCCRF et de la DGAL. Nous avons été sur tous les fronts, si je puis dire, de la gestion de crise : la réception de l'alerte le 1er décembre au soir – j'y reviendrai puisque la question de la réactivité du service local a été posée –, le « reporting » ascendant et descendant, la gestion des retraits-rappels avec la traçabilité amont – sur ce point, et sur ce point seulement, nous avons bénéficié de l'appui du service national des enquêtes (SNE) le 7 décembre, l'alerte ayant été lancée le 1er décembre –, le suivi de la diffusion des informations aux clients par Lactalis, la vérification des affichettes, le suivi des retours et des destructions. Nous avons fait également les investigations analytiques, les prélèvements officiels – nous sommes le seul service de l'État à être intervenu pour faire des prélèvements officiels post-crise dans l'usine de Craon. Nous avons aussi géré – ce qui est davantage de la compétence de la DGAL – la fermeture de l'usine encadrée par l'arrêté préfectoral. Enfin, nous analysons actuellement les causes. C'est pourquoi, pour nous, le dossier Lactalis n'est pas clos. Pour ce faire, nous bénéficions de l'appui de la Brigade nationale d'enquêtes vétérinaires et phytosanitaires (BNEVP), de référents techniques de la DGAL et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). Un certain nombre de visites ont eu lieu sur le terrain, et encore dernièrement. Nous suivons le plan d'action en cours, le démantèlement de la tour n° 1 – bien évidemment nous faisons des visites sur le terrain – ainsi que l'instruction administrative et technique du nouveau dossier d'agrément.

Parallèlement, à l'instar de toutes les directions départementales de France chargées de la protection des populations, nous avons été amenés à vérifier l'effectivité des retraits-rappels réalisés pour ce qui concernait la distribution des produits dans le département de la Mayenne. Ce sont les deux campagnes de contrôle qui ont fait l'objet d'une communication du ministère de l'économie. Nous avons également, même si nous étions fortement mobilisés sur l'usine, contrôlé des hôpitaux, des pharmacies, des distributeurs en Mayenne.

Le deuxième axe de nos missions, toujours avec cette casquette interministérielle, concerne le suivi antérieur à la crise, ce qu'on appelle l'interpériode 2005-2017. J'insiste sur le fait qu'avant 2010 il y avait localement deux directions séparées. Une nouvelle direction a été créée en 2010, mais bien entendu la mutualisation ne s'est pas improvisée du jour au lendemain. Nous travaillons donc progressivement à la mutualisation qui est un axe prioritaire de l'organisation de la DDCSPP que nous avons avec Serge Milon.

Concrètement, l'usine est suivie par deux services depuis 2010. Pour ma part, je suis affectée en Mayenne depuis le 1er janvier 2015. Je vous parlerai donc de tout ce que je peux connaître et que j'ai pu suivre directement et personnellement depuis cette date.

Nous avons principalement un agent référent pour les produits laitiers, qui assure le contrôle de toute la filière laitière pour le service « qualité sécurité de l'alimentation » qu'on peut appeler service vétérinaire, et qui dépend du ministère de l'agriculture. Il faut savoir que la Mayenne est un gros producteur laitier, puisqu'elle transforme 408 000 tonnes par an. Ce département compte plusieurs usines du groupe Lactalis, et des usines d'autres groupes industriels très importants, ainsi que des transformateurs plus petits et des producteurs à la ferme. Un agent suit donc l'ensemble de ces installations, industriels et transformateurs à la ferme. Quant à la concurrence, à la consommation et à la répression des fraudes, comme le secteur et l'usine de Craon relèvent du secteur infantile, la région des Pays-de-Loire a fait le choix de la mutualisation. C'est donc un agent CCRF qui suit toutes les entreprises de la région. Jusqu'au mois de novembre 2017, il était basé en Maine-et-Loire. Il est dorénavant à Nantes au service de l'ensemble des directions départementales de la protection des populations de la région Pays-de-la-Loire.

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Pensez-vous qu'un seul agent soit suffisant pour assurer toutes ces missions ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

À la DDCSPP, sur ce qu'on appelle le budget opérationnel de programme 134 qui couvre les effectifs de la DGCCRF, nous avons en Mayenne un effectif cible de 8 équivalents temps plein (ETP). Au mois de décembre, nous disposions uniquement de 6 ETP. Nous sommes donc en sous-effectifs – nous avons des difficultés d'attractivité notamment. Cela représente 7 % de la dotation régionale. Les moyens au titre de la CCRF sont essentiellement calculés sur le nombre d'habitants. Or il y a un décalage important entre le nombre d'habitants et les activités agricoles et agroalimentaires sur le territoire puisque le département compte deux fois plus de vaches que d'habitants – 630 000 vaches et 300 000 habitants.

Cet aspect est corrigé par les moyens qui nous sont octroyés par le ministère de l'agriculture, qui sont calculés différemment. Sur le budget opérationnel de programme 206 du ministère de l'agriculture, nous avons un droit de tirage de 70 ETP. Cela représente 17 % de la dotation régionale. Ce calcul tient beaucoup plus compte du poids des activités agricoles et agroalimentaires. Toutefois, et je sais que Patrick Dehaumont, le directeur général de l'alimentation, a beaucoup insisté sur ce point, sur ces 70 ETP, 40 ETP sont dédiés au suivi des abattoirs, puisque le département compte neuf abattoirs de volailles et de quatre abattoirs de boucherie, ce qui représente 142 000 tonnes en boucherie et 106 000 tonnes en volailles. Si, dans la chaîne alimentaire, les professionnels sont les premiers responsables de la qualité des produits qu'ils mettent sur le marché, ce n'est pas le cas de la filière abattoirs, qui est considérée comme particulièrement sensible, ce qui fait qu'il n'y a pas de délégation de l'État aux professionnels. C'est ce qui explique le nombre d'agents dédiés au suivi des abattoirs. J'ajoute que ces 40 ETP ne sont pas dans nos bureaux, mais chez les professionnels qui ont l'obligation de les héberger. Ils sont donc répartis sur les sites délocalisés dont je vous ai parlé.

Par ailleurs, huit agents, encadrement compris, couvrent le secteur sécurité sanitaire des aliments hors abattoirs, et douze agents s'occupent du secteur santé et protection animale, ce qui représente beaucoup d'élevages bovins et de volailles. La Mayenne est aussi le premier département des Pays-de-la-Loire en production porcine. Bref, c'est l'un des premiers départements en production agricole après les départements bretons et normands. Pour vous donner un ordre d'idée, nous sommes au huitième rang national en ce qui concerne la production animale. Nous avons cinq agents sur les missions liées aux inspections des installations classées et cinq agents sur les missions support secrétariat général. Cela explique qu'il n'y ait qu'un seul agent sur les huit dont j'ai parlé qui soit affecté au secteur de la transformation des produits laitiers, puisque ce n'est qu'une partie du secteur sécurité sanitaire des aliments.

Cette usine fait l'objet de trois catégories d'interventions.

Première catégorie d'intervention : les contrôles « établissement » dont M. Dehaumont et Mme Beaumeunier vous ont parlé. Ils concernent l'agrément sanitaire. Dans l'interpériode 2005-2017, en additionnant l'activité des deux anciennes directions départementales séparées pour la période 2005-2010 et celle de la DDCSPP depuis 2010, on aboutit à 16 inspections sur le terrain d'agents des services vétérinaires auxquelles se sont ajoutées des inspections administratives. Dans ce type de contrôle, il n'y a aucun prélèvement analytique. En parallèle, trois contrôles établissement ont été programmés au titre du contrôle de première mise sur le marché (CP2M) et réalisés par l'agent mutualisé CCRF.

Deuxième catégorie d'intervention : les plans de prélèvements. Les produits infantiles relèvent du pilotage de la DGCCRF, qui définit chaque année ce qu'on appelle des tâches nationales. C'est un plan national d'enquêtes qui inclut des prélèvements. Un équivalent existe à la DGAL avec les plans de contrôle et de surveillance dont vous a parlé M. Dehaumont. Compte tenu de la répartition de la catégorie d'établissements, les plans de prélèvements relevaient de la DGCCRF.

Toujours sur la période 2005-2017, seize interventions ont eu lieu pour faire des prélèvements dans l'usine. Ces prélèvements n'ont pas porté sur la recherche d'agents pathogènes de type salmonelle pour la catégorie des produits infantiles, car nous n'avons pas eu des instructions dans ce sens. Je précise que les plans nationaux sont définis en consultant des organismes d'évaluation des risques, comme l'ANSES et d'autres agences sur les risques liés à l'alimentation, à l'environnement, etc. L'agent CCRF mutualisé est allé à seize reprises dans l'usine pour prélever des boîtes de lait infantile, de céréales, afin de rechercher des teneurs en pesticides, en métaux lourds, la présence de mycotoxines, d'aflatoxines, etc. – bref, un type de contaminants beaucoup plus fréquent sur des produits secs.

Troisième catégorie d'intervention : nous sommes également responsables de la gestion de toutes sortes d'alertes et de non-conformités, ce qu'on peut appeler les signalements, par exemple de consommateurs. Là aussi, normalement les professionnels ont un dispositif d'alerte avec des numéros consommateurs, mais il peut arriver – c'est le cas pour tout type d'usine, pas plus celle-là que d'autres – qu'on traite régulièrement des signalements. Pour être complètement transparente, j'ajoute que j'ai été informée – c'était un signalement de consommateurs – de la présence de corps étrangers limaille de fer en 2015. L'alerte a été traitée et a entraîné une visite supplémentaire de l'inspecteur CCRF. Dans les années antérieures, il y a eu deux visites de l'agent de la CCRF, en plus des trois CP2M, pour un suivi sur des alertes ou des remontées consommateurs.

Comme vous m'y avez invitée, je vais revenir sur la chronologie de la crise. Comme beaucoup d'éléments vous ont été donnés par les administrations centrales chargées du pilotage, je me concentrerai sur ce qui a été fait directement par la DDCSPP. Je peux aussi vous remettre un document au cas où je n'aurais pas le temps d'entrer dans les détails.

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Vous pouvez nous faire parvenir tous les documents que vous souhaitez. À la suite de cette audition, nous vous demanderons peut-être un certain nombre de documents et de nous répondre par écrit.

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

L'ensemble des directions départementales chargées de la protection des populations fonctionnent avec des boîtes institutionnelles « alerte » qui sont utilisées tant par la DGAL que par la DGCCRF. Il y a donc un point d'entrée unique, commun au sein des directions départementales chargées de la protection des populations. Quand on se prépare à un exercice de gestion de crise, on part souvent de l'hypothèse que l'on reçoit une alerte le vendredi soir, quand tout le monde est parti du bureau et alors qu'il n'y avait eu aucun signe avant-coureur. C'est ce qui s'est passé le 1er décembre : nous avons reçu un premier courriel à 18 heures 34 sur la boîte alerte de la DDCSPP. Évidemment, il n'y avait personne pour le relever. La DGCCRF l'a donc doublé d'un appel téléphonique à 18 heures 45.

C'est moi qui ai reçu sur mon portable cet appel m'indiquant qu'il y avait un problème avec des produits Lactalis, mais qu'on ne connaissait pas exactement l'origine ni l'usine susceptible d'être concernée. Ils nous appelaient parce que le siège social du groupe Lactalis est chez nous et qu'ils savaient que nous devions disposer des numéros de téléphone afin de joindre rapidement l'industriel. C'est ce que je leur ai confirmé. Ils m'ont précisé quelles étaient les marques des produits concernés : il s'agissait de Milumel et Picot. Je leur ai répondu que j'étais sûre que l'usine de Craon, en Mayenne, fabriquait des produits de ces marques-là. Par contre, je n'étais pas certaine que ce soit la seule usine du groupe Lactalis en France qui les fabriquait. La DDCSPP d'Ille-et-Vilaine avait été également destinataire de l'alerte parce que le siège social de Lactalis Nutrition Santé est situé dans le département d'Ille-et-Vilaine. J'ai immédiatement confirmé que nous étions forcément concernés puisqu'il y avait une usine Lactalis en Mayenne, et que nous allions contacter Lactalis. Nous les avons contactés très rapidement par téléphone. J'ai donc pu confirmer aux autorités centrales, à la fois par téléphone et par courriel, à 19 heures 45, que c'était l'usine de Craon, en Mayenne, qui était concernée, et que c'était la seule concernée, Lactalis nous ayant indiqué, dans les échanges que nous avions eus dans cette première heure, que les références produit n'étaient fabriquées que dans l'usine de Craon. Je précise que nous n'avions aucun numéro de lot. C'est donc bien le vendredi 1er décembre, à 19 heures 46, grâce à l'information de Lactalis, qu'on a pu cerner que les produits venaient de l'usine de Craon en Mayenne.

J'ai donc, dès le premier appel, mobilisé mes deux chefs de service compétents, à savoir le chef du service « sécurité sanitaire des aliments », qui dépend de la DGAL au ministère de l'agriculture, et la cheffe du service « concurrence consommation et répression des fraudes », qui dépend de la DGCCRF. Tout au long du week-end, nous avons géré la crise tous les trois, en nous répartissant les rôles et en définissant immédiatement des principes très clairs : les autorités centrales ne nous envoyaient des messages que sur la boîte « alerte », et nous avions également défini des règles claires avec Lactalis, qui ne devait nous communiquer ses informations que sur cette boîte, afin que tout soit traçable. J'avais en effet conscience qu'il se produisait quelque chose de tout à fait anormal, puisque nous étions alertés à la suite de plusieurs cas de bébés tombés malades sans qu'aucun signe avant-coureur n'ait pu le laisser présager.

Cela répond à l'une de vos questions : ni moi ni aucun de mes deux chefs de service n'avions jamais eu connaissance d'un problème de salmonelles dans cette usine, sachant, comme vous l'a expliqué M. Dehaumont, qu'une entreprise n'est pas tenue de faire un signalement aux autorités à la suite d'un contrôle environnement positif. Si nous avons par la suite récupéré un certain nombre d'informations, au moment du premier appel, le 1er décembre à 18 heures 45, nous ne savions encore rien. J'ajoute que, aucun de nous trois n'occupant ces fonctions à l'époque, nous n'avions pas non plus connaissance des événements de 2005.

En revanche, il se trouve que, le dimanche, j'ai dû gérer le dysfonctionnement du numéro vert mis en place par Lactalis et qu'à cette occasion, j'ai procédé à une veille sur les réseaux sociaux. Or, sur le compte Twitter « Alertes sanitaires », un message a retenu mon attention, qui indiquait que ce n'était pas la première fois qu'un tel incident se produisait avec les laits Picot. Et en effet, le lundi matin, lorsque nous avons rendu compte devant nos équipes du week-end tout à fait exceptionnel que nous venions de vivre, certains, parmi les agents les plus anciens de la DDCSPP se souvenaient que l'usine de Craon avait déjà connu des problèmes par le passé. J'ai donc demandé que l'ensemble des archives, datant de l'époque où les deux directions départementales étaient encore séparées, soient sorties, et c'est ainsi que s'est fait le lien.

Reste que, dans l'ignorance de cet épisode de 2005, nous nous sommes concentrés au cours des premières vingt-quatre heures sur le problème immédiat, qui demandait une réponse extrêmement rapide. Pour être très précise, nous avons interrogé Lactalis sur les résultats de ses contrôles « environnement » à 2 heures 35 dans la nuit du 1er au 2 décembre et avons eu confirmation par courriel, à 3 heures 25, que des contrôles étaient en effet revenus positifs.

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Vous dites que vous n'étiez pas au courant au départ de ce qui s'était passé en 2005 : pensez-vous que cela s'explique par la fusion des deux directions, qui aurait occasionné une perte des informations ?

Lors du premier week-end vous avez géré la crise à trois : était-ce suffisant ? Avez-vous demandé des renforts ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Il est toujours compliqué d'analyser le déroulement des faits a posteriori, mais je pense que la manière dont a été gérée la crise lors de ce premier week-end constitue l'un des points forts du dossier ; j'ai en effet le sentiment que nous n'aurions pas pu mieux faire et que nous nous sommes très bien organisés.

Bien que l'alerte ait été lancée par la DGCCRF, j'ai activé la double compétence dont je disposais, à savoir la compétence CCRF et la compétence vétérinaire. Par ailleurs, nous avons su prendre localement des décisions qui n'étaient pas commandées par les instructions que nous avions reçues de la DGCCRF, comme, par exemple, la demande faite à Lactalis de nous fournir les résultats de ses autocontrôles environnement. Il faut savoir en effet qu'en cas d'alerte alimentaire concernant des produits mis sur le marché, on s'intéresse prioritairement à la conformité de ces produits, et notre premier réflexe est donc de récupérer tout ce qui touche aux contrôles « produit », sans nécessairement se préoccuper du reste.

Si nous l'avons fait, c'est que toutes les données concernant les contrôles « produit » effectués par Lactalis sur la période de commercialisation visée, à savoir entre mi-juillet et décembre – soit plus d'un millier de contrôles –, données qui nous sont parvenues entre 19 heures 30 et 2 heures du matin, ne révélaient rien d'anormal.

Ayant une confiance absolue dans l'enquête de Santé publique France, menée par des épidémiologistes confirmés, j'en ai déduit que, si les salmonelles ne se trouvaient pas dans les produits, nous avions nécessairement manqué un signal faible ailleurs. D'où ma décision, dès la première nuit, de pousser plus loin les investigations, ce qui nous a permis d'obtenir les résultats des contrôles environnement, qui constituaient un jalon majeur pour reconstituer l'archéologie de la crise.

Juridiquement, cela ne changeait rien à la délimitation temporelle des deux retraits-rappels, le premier concernant les douze lots correspondant aux trois références de produits commercialisés qui avaient provoqué des cas de salmonellose chez des bébés, le second consécutif à l'arrêté ministériel du 9 décembre, qui se fondait, lui aussi, sur la seule épidémiologie des cas.

Cela étant, nous en sommes arrivés, dès la nuit du 1er au 2 décembre, à la conclusion que les contrôles analytiques réalisés sur les produits étaient disqualifiés, puisqu'ils étaient passés à côté d'une contamination assez minime pour avoir échappé au spectre des analyses.

Sur ce point, il appartiendra à la justice de trancher ; en gestion de crise en effet, on ne s'interroge pas sur la responsabilité d'Untel ou Untel, mais on agit au plus vite, pour prendre les décisions qui s'imposent. Par nature, le temps du retour d'expérience vient après, et c'est pour cela que nous sommes ici aujourd'hui.

Pour en revenir à la gestion de crise, nous avons donc eu connaissance dans la nuit du 1er au 2 décembre de deux épisodes avérés de contamination de l'environnement de l'usine, sans avoir la certitude qu'il s'agissait d'épisodes isolés. Nous nous sommes donc rendus sur place dès le 2 décembre, pour examiner les processus de fabrication sur ces deux périodes, et j'ai demandé à Lactalis de bloquer tous les produits fabriqués dans ces laps de temps, considérés comme des périodes à risque.

Si l'information n'a pas été rendue publique, c'est qu'elle n'interférait pas avec les retraits-rappels, puisqu'elle concernait des produits qui n'avaient pas encore été commercialisés et qui ne constituaient donc pas un danger pour le public. Il faut avoir à l'esprit en effet qu'en matière de laits infantiles, la contamination des bébés ne peut pas être immédiate, dans la mesure où, à la différence des produits à date limite de consommation (DLC) courte, pour lesquels les résultats d'analyse arrivent alors qu'ils ont déjà été commercialisés, les laits infantiles font l'objet de contrôles libératoires, c'est-à-dire que les produits ne changent pas de propriétaire tant que l'absence de salmonelles n'a pas été certifiée ; il s'agit en effet de produits à date limite d'utilisation optimale (DLUO) longue, pour lequel le processus de fabrication est étalé dans le temps puisqu'il s'écoule environ un mois entre le passage dans la tour de séchage et le conditionnement. Le stock de produits en cours de fabrication est donc très important.

Certains lots ayant été interdits à la commercialisation, il nous est apparu nécessaire, dès le 2 décembre, de procéder à des contrôles officiels dans l'usine, ce dont nous avons prévenu la DGCCRF le lundi 4 au matin. Dès le samedi précédent cependant, nous lancions une pré-alerte auprès du laboratoire départemental d'analyses qui dépend du conseil départemental et avec lequel nous travaillons en réseau, pour solliciter leur intervention dans l'usine afin qu'ils procèdent à de nouveaux prélèvements.

Ces contrôles officiels, nous avons fait le choix, par souci d'efficacité et puisque les contrôles « produit » étaient, eux, passés, à côté de la présence de salmonelles, de les concentrer exclusivement sur l'environnement ; c'est l'entreprise Lactalis qui, depuis le 4 décembre jusqu'à aujourd'hui, a procédé, à ses frais, à tous les autocontrôles renforcés sur les produits, lesquels contrôles se sont avérés positifs.

Dès le lundi, des contrôles officiels ont donc été effectués dans l'usine : on a chiffonné partout et longtemps, à la recherche de salmonelles, car plus on cherche, plus on a de chances de trouver. Grâce à la réactivité du laboratoire, nous avons eu, dès le 7 décembre, confirmation d'une forte suspicion de salmonelles sur deux prélèvements effectués dans la journée du 4, suspicion dont nous avons immédiatement averti Lactalis. Dès le 8 décembre, le laboratoire confirmait officiellement la présence de salmonelles dans l'usine.

C'est sur cette base qu'ont été prises les deux décisions du 9 décembre, d'une part l'arrêté ministériel portant retrait-rappel de lots potentiellement contaminés et, d'autre part, l'arrêté préfectoral imposant la fermeture partielle de l'usine, celle d'abord de la tour de séchage n° 1, d'où provenaient les lots ayant contaminé des bébés, mais celle également de la tour n° 2, où nos investigations du 2 décembre avaient identifié un autre sérotype de salmonelles, sans lien avec celui qui avait contaminé les enfants. Comme je l'ai dit, il s'agissait de produits non commercialisés, et un retrait-rappel n'était pas nécessaire en l'espèce, le blocage des produits étant suffisant.

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Comment expliquez-vous que le laboratoire départemental ait trouvé des salmonelles lors des contrôles officiels que vous avez diligentés alors que les autocontrôles réalisés par Lactalis – deux mille au total, si j'ai bien compris – n'avaient rien donné, ce qui fait que cette usine ne faisait l'objet d'aucune mesure de vigilance particulière ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Les contrôles officiels que nous avons réalisés sont des contrôles sur l'environnement. De son côté, Lactalis a également procédé, dès le 4 décembre, en marge de ces contrôles officiels, à une série d'autocontrôles sur l'environnement dont elle n'a eu le résultat que la semaine suivante, le laboratoire prestataire ayant été plus long. Les résultats de ces contrôles concordaient avec les nôtres et révélaient bien la présence de salmonelles dans l'environnement, ce qui prouvait de façon formelle que le plan de maîtrise sanitaire (PMS) mis en oeuvre par l'entreprise après les autocontrôles positifs d'août et novembre avait été inefficace, puisque des traces de salmonelles étaient encore présentes dans l'environnement.

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Comment se fait-il que Lactalis ait attendu le début de décembre pour procéder à ces autocontrôles sur l'environnement ? S'il l'avait fait avant, il aurait découvert bien plus tôt qu'il y avait un problème de salmonelles – si tant est qu'il ne l'ait pas su.

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Comme je vous l'ai dit, l'usine a procédé, sur la période, à des autocontrôles – sept cents, de mémoire – dans l'environnement de la tour n° 1, parmi lesquels deux contrôles se sont avérés positifs, l'un en août et l'autre en novembre.

Pour être tout à fait complète, j'indique que les autocontrôles réalisés par Lactalis dans la semaine précédant l'alerte, c'est-à-dire après la mise en place des mesures d'assainissement, étaient revenus négatifs. Cela n'a pas empêché les contrôles effectués le 4 décembre d'être positifs.

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Étiez-vous au courant de l'autocontrôle positif du mois d'août ? Les responsables de chez Lactalis vous avaient-ils transmis l'information ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Non. Comme je vous l'ai dit, avant le 2 décembre à 3 heures 25 du matin, nous n'avions aucune information sur des autocontrôles positifs mais, ainsi que cela vous a été expliqué, le paquet hygiène indique explicitement – et tous les mots ont ici un sens – qu'un fabricant qui a des raisons de penser qu'un des produits qu'il a mis sur le marché est susceptible de présenter un danger, doit en alerter les autorités. Il faudrait ici interroger Lactalis, mais l'entreprise a considéré que ces contrôles faisaient partie de la procédure de suivi de leur usine et que le risque avait été maîtrisé puisque – et je reprends ici leur argumentation – les autocontrôles réalisés par la suite sur les produits, à une fréquence renforcée, avaient tous donné des résultats négatifs, en conséquence de quoi chaque lot commercialisé avait pu être mis sur le marché avec un bulletin d'analyse favorable, certifiant l'absence de salmonelles.

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Le rapporteur et moi-même avons bien l'intention en effet d'auditionner le patron de Lactalis sur ce point particulier.

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Pourquoi le fabricant, lorsqu'il a eu constaté les divergences entre les premiers autocontrôles et ceux du mois de décembre, n'a-t-il pas bloqué l'ensemble de son stock ? Dès lors qu'une procédure de retrait-rappel était lancée, indiquant un dysfonctionnement dans la chaîne de production, pourquoi n'a-t-on pas été jusqu'au bout et bloqué la totalité du stock pour procéder à des contrôles complémentaires ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

En ce qui concerne les produits passés par la tour de séchage n° 1, cela a été fait dès le 2 décembre, puisque nous avons bloqué les stocks correspondants et que nous avons demandé à Lactalis de procéder à des investigations et à des contrôles renforcés sur ces stocks bloqués. Ce qu'il a fait, en reprenant les contrôles à partir de l'échantillothèque, des lots les plus récents aux plus anciens mais en se concentrant sur la production de la tour n° 1.

Quant à l'extension du retrait-rappel aux lots de la tour n° 2, c'est une décision qu'il a prise de son propre chef, le 21 décembre. Cela relève de sa responsabilité, et c'est à Lactalis qu'il appartient d'expliquer ce qui l'a conduit à faire évoluer sa position. Mais, pour ce qui nous concerne, nous avons bien demandé le blocage des stocks correspondants aux lots fabriqués en août et novembre. Nous n'avons pas attendu le 9 ni le 21 décembre pour faire procéder à ce blocage.

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Monsieur le président, pour les auditions à venir, pourrait-on faire en sorte que les membres de la commission puissent poser leurs questions un peu plus tôt que deux minutes avant l'heure de fin prévue ? Sans doute pourrions-nous disposer d'une fenêtre d'un quart d'heure ou vingt minutes avant la fin programmée de l'audition, de façon à ce que nous puissions avoir les réponses à nos questions. Je fais cette remarque sans esprit de polémique, mais ce n'est pas la première fois que nous sommes ainsi privés de temps.

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Ayant la responsabilité de cette commission, je ne vois aucun inconvénient à ce que ceux qui le souhaitent restent et prolongent l'audition. Il se trouve qu'aujourd'hui, exceptionnellement, le Premier ministre canadien est en visite dans notre assemblée. Je n'y peux rien.

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Certes, mais il arrive souvent que nous soyons obligés de conclure une audition pour enchaîner sur la suivante, sans avoir eu le temps de poser nos questions. Je ne conteste nullement le sérieux avec lequel est organisée cette commission d'enquête mais dis simplement que, eu égard à notre investissement, il serait souhaitable que nous puissions avoir la parole.

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Je pense la donner systématiquement aux membres qui le désirent, et vous la donne maintenant, pour le temps que vous souhaitez.

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Je tenais avant tout, madame, à vous remercier pour le professionnalisme dont vous avez fait preuve face à une crise donc je comprends qu'elle était inédite pour une direction comme la vôtre.

Considérez-vous que la présence, sur votre zone de compétences, d'un industriel de la taille de Lactalis exigerait que vous ayez des moyens supérieurs à ce que vous avez ? J'ai cru comprendre que vous étiez en sous-effectifs, mais sur un plan général, sans que cela ait nécessairement un rapport avec les enjeux qui pourraient être propres au département, en termes de protection des populations. Ne faudrait-il pas, plus spécifiquement, envisager de doter la DDCSPP d'un département comme le vôtre de moyens adaptés à la présence d'industries de l'envergure de Lactalis ?

Par ailleurs, quel jugement portez-vous sur la transparence et la réactivité dont a fait preuve l'industriel vis-à-vis de vos demandes ? Pourriez-vous également nous éclairer sur le rôle respectif des responsables de l'usine de Craon et du siège dans la gestion de cette crise ? Comment évaluez-vous le degré d'autonomie de l'usine par rapport au siège ? Quelles sont les questions dont le siège a d'emblée pu se saisir ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

En ce qui concerne les moyens, l'équité entre départements doit prévaloir, et il n'y a pas que Lactalis ou la filière laitière qui soient susceptibles de poser problème. Il appartient aux responsables de programmes d'établir les abaques d'affectation des moyens dans les différentes directions départementales. Je vous ai fourni les données factuelles concernant nos moyens ; au-delà, c'est toute la problématique d'Action publique 2022 que de déterminer quelle est la place que l'on souhaite conserver aux services de l'État sur le terrain.

Si l'on peut parler de rééquilibrage, c'est qu'il me semble qu'une part trop importante est accordée au nombre d'habitants dans le calcul des moyens attribués. Certains départements sont en effet qualifiés de petits, eu égard à leur nombre d'habitants, alors que, pour bien quantifier les moyens, il est nécessaire d'inclure dans les critères de répartition l'ensemble des activités économiques qui peuvent nécessiter la présence des agents de l'État. Cela vaut d'ailleurs tout autant pour les politiques de cohésion sociale, pour lesquelles les moyens sont calculés en fonction du nombre d'habitants, alors que, précisément, les territoires peu denses sont souvent moins bien structurés que les autres, disposent de moins de lieux d'accueil du public et auraient besoin d'une présence plus soutenue des services de l'État pour répondre à la demande.

En ce qui concerne l'attitude de Lactalis, l'entreprise est en effet réputée pour sa discrétion, mais je tiens à lever toute ambiguïté sur le fait que, en vertu du règlement européen qui s'applique à tous les industriels, un exploitant qui trouve un agent pathogène dans son environnement n'a pas à en alerter les autorités sanitaires. Il appartiendra ensuite à la justice de déterminer si une accumulation de signaux faibles n'aurait pas justifié, de la part de Lactalis, des investigations complémentaires qui auraient pu déboucher sur la nécessité d'informer les autorités nationales, mais le simple fait de ne pas avoir transmis à l'administration les résultats des autocontrôles « environnement » du mois d'août et du mois de novembre n'est pas en soi constitutif d'une infraction, dans la mesure où ces résultats ne concernaient pas les produits déjà mis sur le marché. Cela étant, l'entreprise aura à démontrer qu'elle a diligenté à partir de ces résultats les analyses complémentaires nécessaires, sachant qu'elle ne disposait pas à l'époque d'informations concernant des bébés contaminés, et qu'il faut donc se garder de considérer la manière dont elle a agi à la lumière des faits ultérieurs.

En ce qui concerne les réponses fournies par l'usine, la réactivité des responsables a été bonne. C'est un point qui doit être souligné dans la mesure où, ainsi que le montrent les archives, cela n'avait pas été le cas lors de la crise de 2005, au cours de laquelle le préfet de l'époque avait dû intervenir parce que l'entreprise faisait obstruction à certaines réclamations des enquêteurs.

Vous m'avez également interrogée sur la répartition des rôles entre l'usine et la direction du groupe. Sur ce point particulier, nous avons constaté que les cahiers des charges signés avec les laboratoires prestataires étaient gérés au niveau du groupe de manière transversale. Or, il se trouve que le délai de conservation des souches pathogènes figurant dans ces cahiers des charges s'est révélé trop court pour nous permettre de procéder à certaines investigations, puisque le laboratoire prestataire ne disposait plus des souches identifiées en août et en novembre. À titre de comparaison, le laboratoire départemental conserve les souches sur lesquelles ont été isolés des éléments pathogènes pendant un an, ce qui est précieux lorsqu'on a besoin de consolider des informations. Nous avons donc fait une note à Lactalis en ce sens mais, sur cette question des délais de conservation, l'usine de Craon n'avait, elle, aucun pouvoir.

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Madame la directrice, je souhaiterais que vous nous fassiez parvenir copie des recommandations que vous avez adressées à Lactalis sur ce point.

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Lorsque vous parlez des contrôles « produit », parlez-vous des contrôles réalisés par vos services ou par Lactalis ?

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Vous avez parlé de 16 contrôles effectués entre 2005 et 2017, ce qui est très peu : s'agit-il de contrôles officiels ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Nous procédons à des contrôles de l'établissement, qui ne sont pas des contrôles analytiques. Il s'agit des 16 interventions des services vétérinaires que j'ai mentionnées et qui ont été réalisées entre 2005 et 2017. Ces interventions ont permis de réaliser des prélèvements dont le but n'était nullement la recherche de salmonelles sur les produits, mais plutôt la recherche de traces de pesticides ou de métaux lourds. Nous n'avions pas d'instruction concernant la recherche de salmonelles, dans la mesure où cette recherche ne figure pas dans les plans de contrôle officiels applicables aux usines de produits infantiles, ce que pourrait d'ailleurs changer le retour d'expérience auquel nous procédons actuellement.

Quant aux contrôles analytiques que nous avons réalisés, il s'agit bien de contrôles officiels visant à rechercher des salmonelles, mais qui ont été effectués après le déclenchement de la crise et uniquement sur l'environnement puisque, comme je vous l'ai expliqué, nous avons considéré que, au vu des milliers de contrôles « produit » qu'avait effectués Lactalis sans résultat, nous ne ferions pas mieux et qu'il était inutile de se disperser. Se concentrer sur les résultats des contrôles environnement constituait en revanche un bon indicateur de danger, car il permettait de vérifier si les mesures engagées par Lactalis avaient permis de sécuriser ou non l'environnement.

En ce qui concerne les autres vérifications analytiques qui ont permis de découvrir a posteriori 36 nouveaux lots contaminés, il s'agit de contrôles effectués par Lactalis, dans le cadre de l'enquête interne que leur a demandée l'administration sur le déroulé des événements.

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Permettez-moi, madame, de vous remercier pour la franchise dont vous avez fait preuve et pour les pistes que vous avez ouvertes à notre réflexion. On comprend, à vous entendre, que ce que vous avez traversé, en première ligne, n'a pas été facile.

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Je voudrais insister avant de conclure sur un point que me paraît essentiel en termes de retour d'expérience, si l'on compare la gestion de la crise de 2017 avec celle de 2005. En ce qui concerne la santé publique, l'un des points capitaux à souligner est qu'après le déclenchement de la crise, le 1er décembre, nous n'avons eu à déplorer aucun pic épidémique, alors qu'en 2005 non seulement les cas de contamination avaient été plus nombreux – 146 – mais un second pic épidémique s'était produit après le déclenchement de la crise, car des produits contaminés étaient encore dans la nature.

En 2017, aucun nouveau cas symptomatique n'a été constaté postérieurement au 2 décembre et, même si la multiplicité des retraits-rappels successifs postérieurs à la crise a pu provoquer une certaine incompréhension dans l'opinion et donner le sentiment aux consommateurs qu'on avait continué de les exposer à un risque de contamination, les faits, que pourra vous confirmer Santé publique France, montre que nous avons fait preuve de la réactivité nécessaire dans notre gestion de la crise, nous efforçant de mettre en oeuvre tous les moyens et toutes les compétences dont nous disposions, indépendamment des instances qui, au niveau national, opéraient en tant que chefs d'orchestre.

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Notre commission d'enquête a commencé par recevoir les associations de victimes, ce qui se justifiait évidemment par la gravité des faits : ces gens qui ont nourri leurs bébés avec du lait empoisonné auraient pu avoir à subir des conséquences beaucoup plus dramatiques que ça n'a été le cas. Mais notre intention est d'enquêter jusqu'au stade de la distribution car il se trouve – et je sais que cela ne dépendait pas de vous – que des produits sont demeurés sur le marché alors qu'ils auraient dû en avoir été retirés.

J'aimerais par ailleurs savoir s'il existe en Mayenne des fabricants de fromages mous, puisqu'on a appris que, dans le Jura, du morbier contaminé avait provoqué plusieurs décès. Existe-t-il des procédures de surveillance particulière pour ce type de produits, et notre commission pourrait-elle procéder à une forme d'étude comparative ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Les produits secs et les poudres de lait ne sont pas considérés dans l'analyse de risques comme des produits nécessitant un plan de contrôle officiel incluant la surveillance de bactéries pathogènes, dans la mesure où ces dernières se développent assez peu en milieu sec. C'est la raison pour laquelle, comme je vous l'ai indiqué, on privilégie dans ces cas la recherche de métaux lourds, de mycotoxines ou d'aflatoxines. En revanche, pour les fromages au lait cru, il y a des plans de contrôle et de surveillance des pathogènes du type salmonelles ou Listeria. Ces fromages sont donc considérés comme des produits à risque, a fortiori puisqu'il n'y a pas de pasteurisation dans la filière lait cru, et ils font donc l'objet de procédures de surveillances très encadrées.

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Si la poudre de lait semble en effet un produit qui comporte moins de risque que les fromages au lait cru, qu'en est-il de l'environnement, et en particulier des tours de séchage ? Ne devraient-elles pas faire l'objet de contrôles spécifiques, qu'il s'agisse de contrôles administratifs ou d'autocontrôles ? Si c'est le cas, ces contrôles ont-ils été réalisés chez Lactalis et par qui ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Il faut être clair : le principe réaffirmé dans le paquet hygiène de 2006 est que les professionnels sont les premiers responsables et qu'il leur appartient de réaliser les autocontrôles et de mettre en oeuvre des plans de maîtrise et de surveillance adaptés. Ces autocontrôles et ce plan de maîtrise sanitaire existaient évidemment à l'usine de Craon, sans quoi elle n'aurait jamais obtenu l'agrément sanitaire. Tout l'objet de nos contrôles d'établissement est bien de vérifier si les procédures sont correctement appliquées.

Pour ce qui concerne ensuite l'articulation entre contrôles officiels et autocontrôles, cela relève de décisions prises au plan national qui déterminent les matrices retenues pour chaque type de produit, croisé avec les différents types d'agents pathogènes. Le croisement de ces données aboutirait dans l'absolu à devoir procéder à des millions de contrôles, qui ne peuvent évidemment tous être pris en charge par l'administration. C'est donc aux professionnels de garantir que les produits qu'ils mettent sur le marché ont été contrôlés.

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Avez-vous le sentiment qu'en l'état actuel de la réglementation, une trop grande liberté d'appréciation est laissée aux industriels, et qu'un service comme le vôtre devrait intervenir plus en amont ?

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Laurence Deflesselle, directrice départementale adjointe, coordonnatrice du pôle protection des populations de la DDCSPP de Mayenne

Cette liberté est toute relative. Le règlement européen fixe en effet clairement, pour un certain nombre de produits, des critères de sécurité – dont l'absence de salmonelles pour les produits alimentaires – qui doivent être respectés : les industriels sont donc obligés de procéder à des autocontrôles en la matière. Il y a ensuite des critères plus relatifs, comme les critères d'hygiène, qui n'admettent pas de seuil et relèvent avant tout de l'analyse du professionnel.

Si les procédures sont donc calibrées jusqu'à un certain point, tout se joue ensuite au niveau de chaque usine, les professionnels devant être réactifs au quotidien en fonction de la situation. J'insiste sur le fait qu'on ne pourra jamais remplacer un responsable d'usine qui voit celle-ci tourner tous les jours et connaît son site mieux que quiconque. Puisque la chance nous est donnée aujourd'hui de nous exprimer, nous qui d'habitude ne faisons qu'appliquer les lois, j'aurais envie de vous mettre en garde contre la tentation de vouloir faire de l'État l'unique garant des problématiques sanitaires dans l'ensemble des usines de France et de Navarre. Non seulement cela irait bien au-delà des règles du paquet hygiène européen, mais il faudrait en outre que l'État se dote des moyens d'analyser la masse d'informations dont il disposerait alors, avec ce risque non négligeable de déresponsabiliser les industriels qui pourraient avoir la tentation de s'en remettre à l'administration, après l'avoir dûment avertie.

Or, ce qui importe, c'est moins l'information en soi que la capacité à la traiter. La présence de pathogènes dans l'environnement des entreprises agroalimentaires est assez courante, car les animaux vivent dans des milieux contaminés et que l'environnement des industries agroalimentaires ne peut donc être parfaitement stérile. Chacun doit donc avoir en tête que le danger existe, tout l'enjeu étant de l'apprécier et de le gérer, afin d'éviter qu'il ne se transmette au produit.

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Il me reste à vous remercier pour les lumières que vous nous avez apportées.

L'audition s'achève à quinze heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 17 avril 2018 à 14 heures

Présents. - Mme Géraldine Bannier, M. Grégory Besson-Moreau, M. Guillaume Chiche, Mme Séverine Gipson, M. Christian Hutin, Mme Caroline Janvier, Mme Frédérique Lardet, M. Sébastien Leclerc, M. Didier Le Gac, Mme Graziella Melchior, M. Boris Vallaud, M. Arnaud Viala

Excusé. - M. Richard Ramos