La réunion

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La séance est ouverte à dix heures quarante.

La commission d'enquête examine le rapport de M. Guillaume Kasbarian et se prononce sur son adoption.

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En cette dernière réunion de notre commission d'enquête, je vous remercie, chers collègues, pour votre engagement dans nos travaux. De très nombreuses auditions ont eu lieu, parfois longues, et je sais que certains m'ont parfois trouvé bavard. Si, en certains cas, mes questions ont été insistantes, c'est que je sais d'expérience que l'administration ne va au-delà de la langue de bois que lorsqu'elle y est obligée. Je pense que cela n'a pas été inutile puisque, si j'en juge par les annonces du ministre de l'économie, nous avons déjà fait évoluer certaines choses, au moins sur la procédure relative aux investissements étrangers en France. Je remercie l'équipe des administrateurs qui nous a accompagnés.

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Mes remerciements vont à tous ceux qui ont suivi nos travaux pendant ces six mois, au président qui a été à l'origine de la création d'une commission d'enquête que nous souhaitions tous et qui a conduit nos débats, enfin aux administrateurs qui nous ont remarquablement aidés, avec une disponibilité constante.

Au terme de la réunion tenue la semaine dernière pour faire un point préliminaire sur les propositions issues de l'analyse historique que nous avons réalisée, vous avez formulé certaines recommandations et préconisations. Comme vous l'avez constaté, la majorité d'entre elles ont été intégrées à la version finale du rapport que vous avez pu consulter.

Nous avons travaillé six mois et tenu près d'une cinquantaine d'auditions de syndicats, de directions d'entreprises, d'économistes, de journalistes, de consultants, de banquiers, d'institutionnels, de ministres et de responsables politiques qui nous ont éclairés et pour la partie historique et pour les préconisations. Nous nous sommes aussi rendus sur les sites industriels, à Calais et Belfort, ainsi qu'à Bruxelles et aux États-Unis. Le président Olivier Marleix et moi-même avons réalisé un contrôle sur pièces et sur place à Bercy, consultant tous les documents que nous avions demandés et qui n'étaient pas classifiés. Nous avons aussi pris connaissance des rapports des cabinets conseils A.T. Kearney et Roland Berger. Nous avons créé un outil participatif en ligne permettant à tous les citoyens de signaler des pépites industrielles pour comprendre ce qu'est, de leur point de vue, une entreprise stratégique et ce qui la valorise ; je vous ai communiqué les résultats de cette étude en ligne. Certains d'entre vous ont également organisé des ateliers dans leurs circonscriptions respectives, parce que la question des fleurons industriels n'est pas qu'une question nationale et n'intéresse pas que de grands groupes : elle diffuse partout en France, où l'industrie représente quelque 10 % de notre PIB. Voilà pour la méthode.

Le rapport est organisé en deux parties. Dans la première figure le bilan des opérations advenues pour Alstom, Alcatel et STX, le cas d'Alstom étant scindé en deux rubriques, respectivement relatives à General Electric et à Siemens. La seconde partie offre une vision prospective de ce que devrait être la politique industrielle ; elle est structurée en dix axes. L'un des chapitres porte sur la procédure relative aux investissements étrangers en France (IEF) mais nous ne nous en tenons pas là, car une politique industrielle cohérente et efficace demande un ensemble de mesures. Dans ces dix chapitres figurent cinquante préconisations, dont nous espérons tous qu'elles se traduiront dans les faits. Nous aurons l'occasion de suivre leur application et leur efficacité.

Deux remarques préliminaires à la présentation de la partie « historique » du rapport. En premier lieu, les questions économiques sont pour nous prépondérantes dans l'appréhension des fusions-acquisitions. Les entreprises ne fusionnent pas par plaisir ou pour des motifs politiques mais parce qu'il y a un enjeu industriel, lequel met en cause des emplois et le sort des salariés. Une stratégie industrielle est à l'oeuvre, et je reprendrai à ce sujet le propos tenu devant nous par un syndicaliste de STX : « Peu importe la couleur du passeport de mon actionnaire : ce qui compte avant tout, c'est sa stratégie industrielle ! » Aborder l'histoire de ces fusions-acquisitions passées suppose de garder les éléments économiques en tête : les forces en présence, les options, les risques, les menaces, le chiffre d'affaires, la trésorerie… Ne pas aborder ces questions, c'est manquer une partie essentielle de l'histoire.

Le deuxième élément qui devait être pris en considération, ce sont les décisions de l'État et la manière dont les autorités ont utilisé les outils à leur disposition pour peser dans les discussions. Nous nous sommes attachés à en juger de façon objective, factuelle et rationnelle. Pour moi, il n'y a pas plusieurs vérités mais une seule, et pour consolider une thèse qui pourrait étayer la vérité, il faut des éléments tangibles. Je me suis donc efforcé, aussi bien que possible, de fonder le rapport sur la question économique et sur l'émergence d'une vérité à partir de faits et de preuves, les auditions nous ayant apporté des éléments factuels et concrets. Évidemment, la partie historique fera l'objet de divergences ; nous ne sommes pas naïfs et nous savons qu'il y a des agendas politiques de toutes parts. Pour ce qui me concerne, j'ai essayé, je le redis, de rester factuel donc de me concentrer sur les questions économiques et sur les preuves.

S'agissant du rachat du pôle « Énergie » d'Alstom par General Electric, la conclusion, du point de vue économique, est qu'Alstom n'avait ni la taille critique ni les ressources financières pour faire face seule, à terme, au bouleversement du marché de l'énergie. Le statu quo n'était pas une option, selon les cabinets A.T. Kearney et Roland Berger. Affirmer le contraire, c'est proclamer l'inverse de ce qu'établissaient à l'époque l'ensemble des études à notre disposition : Alstom seule allait faire face à de graves risques de trésorerie. Dans le rapport commandé par M. Arnaud Montebourg, le cabinet Roland Berger prévoyait une baisse de trésorerie de 500 millions d'euros par an, avec un risque de trésorerie majeur à l'horizon 2016 – et donc, pratiquement, la fermeture de l'entreprise, tant les courbes figurant dans ce rapport étaient alarmantes. Autrement dit, Alstom ne pouvait continuer sans rien faire : c'était économiquement impossible ou irresponsable. Bien sûr, certains auraient pu laisser la courbe s'enfoncer et voir où cela menait, mais, du point de vue économique et étant donné les conseils donnés à l'époque, nous sommes convaincus qu'Alstom n'avait pas la taille critique suffisante pour rester seule.

L'entreprise devait donc s'adosser à un partenaire d'envergure mondiale. Plusieurs options ont été étudiées de manière théorique. Le cabinet A.T. Kearney ne préconise pas une solution unique : il recommande d'étudier les options du rapprochement avec Areva – qui ne se portait déjà pas très bien à l'époque – ou avec Dongfang, ou d'examiner l'option de la cession à General Electric ou à Siemens. Le cabinet Roland Berger a aussi proposé plusieurs options, dont un rapprochement avec Thales, Bombardier ou Areva. Mais si les options théoriques étaient multiples, de fait, in fine, la seule offre qui a pu aboutir d'un point de vue économique était celle de General Electric. Pourtant, M. Arnaud Montebourg, le ministre de l'époque, a multiplié les efforts pour trouver des alternatives, et rien n'empêchait un autre acteur de manifester son intérêt.

Certes, Alstom a été fragilisé financièrement. Personne ne peut nier que lorsqu'une entreprise se voit infliger une amende de 772 millions de dollars alors que sa trésorerie est fragile, l'urgence de trouver une solution pour remédier à sa situation s'accroît. En revanche, rien dans nos auditions, nos enquêtes et notre contrôle sur pièces et sur place n'a prouvé que la justice américaine a été instrumentalisée par quiconque – un pouvoir étranger, une entreprise étrangère ou General Electric elle-même – pour mener à bien l'opération.

Je rappelle que l'enquête de la justice américaine avait commencé en 2010. Ce n'est pas une surprise : en 2013, dans son rapport annuel public, le conseil d'administration d'Alstom indiquait aux actionnaires que le Department of Justice (DoJ) enquêtait. Les poursuites ne sont pas nouvelles : Alstom avait des difficultés aux États-Unis et ailleurs, l'entreprise étant poursuivie dans de nombreux pays pour des faits de corruption. Ce n'était ni secret ni mystérieux mais cela a évidemment fragilisé la situation de l'entreprise, car il est très compliqué de devoir faire face à une telle peine, assortie d'un couperet.

Une fois conclue la reprise d'Alstom par General Electric, l'action de l'État a permis d'obtenir certaines garanties, des engagements de General Electric vis-à-vis des autorités françaises. Ayant consulté le document à Bercy, nous avons constaté que des conditions avaient été imposées au repreneur, tenu de prendre des engagements pour sauvegarder les intérêts de la France : le renforcement d'Alstom Transport, la création de trois co-entreprises, la préservation de nos intérêts nationaux dans la maintenance et dans la défense. L'État a donc joué son rôle en utilisant les leviers à sa disposition.

Pour autant, le marché de l'énergie a beaucoup baissé depuis 2014 – et je ne suis pas convaincu que General Electric payerait aujourd'hui 12 milliards d'euros pour acheter Alstom. La vigilance s'impose néanmoins à l'égard du repreneur. En premier lieu, il faut s'assurer que General Electric tient les engagements qu'il a pris pour 2018 en termes d'emplois, d'implantation en France, d'investissements, de recherche et développement, de centres de décision. Nous avons eu à ce sujet des éléments de réponse mais des questions demeurent pendantes. Nous rappelons donc dans le rapport que la vigilance est absolument de mise sur la tenue de ces engagements. General Electric doit aussi donner davantage de visibilité à son projet industriel en France au-delà de 2018 ; on en sait trop peu, alors que les annonces faites au niveau mondial par le groupe, qui est dans une position fragile, sont plutôt inquiétantes. La vigilance est tout aussi nécessaire quant aux perspectives de long terme de l'éolien offshore ; le développement de la filière représenterait des emplois en France. Des clarifications sont également attendues sur la restructuration de l'activité hydroélectrique à Grenoble. La vigilance vaut aussi en matière de sécurité et de qualité de la maintenance des turbines. Enfin, les conséquences de la réglementation américaine sur le trafic d'armes peuvent inquiéter.

En bref, on peut comprendre l'opération qui a eu lieu au terme d'une analyse historique montrant qu'il n'y avait pas d'alternative d'un point de vue économique et qu'il n'y avait pas d'autre option et, en même temps, être exigeant à l'égard du repreneur, réaffirmer que les engagements pris doivent être tenus et faire valoir les points appelant la vigilance.

La genèse du rapprochement entre Alstom Transport et Siemens est autre. La trésorerie n'est pas en cause ; le choix délibéré est fait. Il s'agit de créer un champion européen pour anticiper la concurrence chinoise qui devient très forte. La configuration illustre le « dilemme du prisonnier » : trois acteurs sont en lice ; si Siemens fusionne avec Bombardier, Alstom se retrouve seul et le risque est le même pour Bombardier en cas de fusion entre Alstom et Siemens. Voilà ce qui a poussé à une fusion assumée et choisie, qui fait émerger un géant européen du ferroviaire permettant de contrebalancer la partie chinoise, dont le chiffre d'affaires progresse très fortement.

Cette fois encore, l'État, utilisant tous les leviers à sa disposition, a obtenu des garanties importantes, qu'il s'agisse de l'implantation du siège du groupe en France ou de la stabilité de la structure de l'emploi pour les quatre prochaines années. Bien peu d'industries, en France, sont en mesure de prédire à quel niveau d'emploi elles seront au-delà de quatre ans. Cela peut paraître court, c'est vrai, et l'on préférerait que l'engagement porte sur une ou deux décennies ; mais quelle industrie, quelle entreprise peuvent garantir un niveau d'emploi stable, et même en croissance, sur trois ou quatre ans ? M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, prendra la direction du comité national de suivi des engagements de Siemens vis-à-vis d'Alstom. La vigilance s'impose pendant toute la période précédant la finalisation de la transaction, dite période de closing, en espérant que l'Union européenne laissera faire et permettra l'émergence de ce géant européen. Cette vigilance s'impose aussi au sujet du retrait d'Alstom des trois co-entreprises créées avec General Electric.

Le troisième cas étudié par la commission d'enquête est celui d'Alcatel. Pour cette entreprise dont l'histoire était tourmentée depuis de nombreuses années, la fusion avec Nokia n'a pas vraiment surpris mais, à cette occasion, l'accent a été mis sur les pratiques commerciales agressives, et très décriées, du groupe chinois Huawei sur le marché européen, alors qu'il bénéficie d'aides d'État chinoises à hauteur de quelque 30 milliards d'euros. Il est inédit et assez inquiétant qu'un opérateur économique aux reins d'autant plus solides qu'il est subventionné par un État puisse se permette d'entrer sur un marché européen et de concurrencer des acteurs français et européens en cassant les prix. Cela pose aussi la question de la réciprocité : je ne suis pas certain qu'une entreprise européenne aurait pu procéder de la sorte en Chine. La vigilance est impérative sur les pratiques commerciales chinoises, singulièrement lorsque les entreprises concernées sont soutenues par l'État chinois avec des lignes de crédits presque illimitées.

Encore une fois, le Gouvernement a obtenu des garanties essentielles de la part de Nokia : un droit de regard de l'État en cas de revente d'Alcatel Submarine Networks (ASN), des engagements en termes d'emplois, l'implantation en France du pilotage d'activités de recherche. Notre inquiétude majeure a trait à la revente d'ASN. Nous sommes allés à Calais visiter cette pépite industrielle, qui est quasiment un oligopole. Une vigilance absolue s'impose pour éviter la vente à la découpe de cette entreprise stratégique – une éventualité qui inquiète les syndicats – et une cession faite par Nokia dans des conditions telles que l'État n'aurait pas tous les moyens de contrôle possibles. Le management et l'actionnariat de Nokia préféreraient sans doute vendre à la découpe pour maximiser les profits mais nos intérêts doivent primer.

D'autres inquiétudes tiennent au modèle économique des opérateurs de télécommunications alors que les blocs économiques mondiaux prennent de l'avance sur la 5G. De facto, nous sommes en retard vis-à-vis des États-Unis, où une trentaine de villes maîtriseront la technologie 5G d'ici la fin de l'année ; la Chine met les bouchées doubles, tout comme la Corée du Sud. L'enjeu est de fixer des normes et d'attribuer des fréquences – nous en sommes capables en y consacrant les ressources nécessaires – de manière que, pour le 5G, l'Europe ne reste pas à la traîne, ce qui aurait un impact évident et sur Nokia.

Le dernier cas examiné a été celui de STX, autant dire le difficile maintien d'un champion français de la construction navale sur un marché fortement bouleversé dans les années 2000 et très fluctuant. Cette fois aussi a prévalu la volonté de créer un champion européen avec Fincantieri. De bonnes pratiques ont été adoptées : les syndicats nous ont dit avoir été partie à la stratégie, avoir eu accès aux informations et avoir pu peser dans les négociations. L'État a également pesé dans les négociations en montant temporairement au capital. Qu'il montre ses muscles a permis d'obtenir un accord tout à fait convenable, qu'à de très rares exceptions près les syndicats n'ont d'ailleurs pas contesté devant nous. Ils ont souligné que l'État avait joué son rôle, que des engagements ont été pris et qu'ils ont été partie à l'accord. C'est la phrase – « Peu importe la couleur du passeport de mon actionnaire : ce qui compte, c'est sa stratégie ! » – de l'un de ces syndicalistes que j'ai reprise tout à l'heure. Cette pratique devrait inspirer bien d'autres négociations relatives à des restructurations industrielles, car si les syndicats sont exclus de la négociation, qu'ils n'ont pas de visibilité de long terme, que les informations sur ce qui adviendra ne sont pas partagées avec eux, on ne crée pas les conditions d'un dialogue social permettant d'aboutir à un accord consensuel qui met en marche l'ensemble des salariés de l'entreprise considérée.

De ces différents cas d'école nous avons tiré des enseignements qui nous ont incités à formuler dix axes de travail. Il ne suffisait pas de dresser un bilan critique : notre objectif était aussi de formuler des recommandations propres à définir une politique industrielle exhaustive. Nous sommes tous convaincus que si le contrôle des investissements étrangers en France est indispensable en certains cas, il ne suffit pas à faire une politique industrielle : je ne suis pas convaincu que nos industries se porteront mieux si l'État se limite à bloquer les investissements étrangers. Un plan d'action complet est nécessaire, que nous avons traduit pas dix chantiers visant à une montée en gamme pour protéger nos industries.

Il convient en premier lieu de revaloriser l'industrie, de la défaire de l'image passéiste dont elle est affublée à tort, et aussi de mettre l'accent sur la formation. L'industrie connaît un grave problème de recrutement en raison d'un problème d'image. Cela vaut en particulier pour Nokia qui, en concurrence notamment avec Facebook et Google pour recruter des ingénieurs, est à la peine. Pour permettre le recrutement des compétences qui manquent aujourd'hui, il faut améliorer l'image de l'industrie, favoriser l'apprentissage et mieux mettre en adéquation la formation professionnelle et les besoins des industries dans les bassins d'emploi. L'industrie, ce n'est plus le XIXe siècle dépeint par Zola ! Il faut changer une perception qui n'a plus lieu d'être ; se satisfaire d'une image dégradée, c'est ne pas attirer les talents, ne pas former les compétences et laisser nos industries fonctionner en mode dégradé.

Le deuxième axe de travail doit être d'attirer les investisseurs étrangers et de conforter l'attractivité de la France. Il y a quelques semaines, M. Bruno Le Maire a commenté les résultats annoncés par Business France : pour l'année 2017, les investissements étrangers en France ont été particulièrement encourageants, avec près de 1 300 projets – soit 21 par semaine –, en augmentation de 23 %. C'est un nombre considérable, d'autant que l'on ne parle pas d'opérations financières menées par des fonds d'investissement mais principalement d'installations industrielles. Il y en a sans doute dans vos circonscriptions comme il y en a dans la mienne, en Eure-et-Loir, et vous connaissez tous des exemples d'investisseurs étrangers avec lesquels les choses se passent bien. Ils créent des emplois et font travailler des fournisseurs et des sous-traitants. L'objectif n'est pas de les faire fuir. Le contrôle que nous préconisons ne signifie pas la fermeture de notre pays et l'arrêt des investissements étrangers en France.

Le troisième axe de travail consiste à faire grandir nos industries pour en faire de grands groupes capables d'opérer sur la scène internationale. Cela suppose d'orienter l'épargne vers les entreprises, et aussi de consolider l'actionnariat salarié. M. Martin Bouygues nous a dit que pour protéger son entreprise des investissements étrangers spéculatifs, sa meilleure arme est l'actionnariat salarié – et ses salariés possèdent près de 18 % du capital du groupe.

Le quatrième axe de travail doit être de recentrer l'actionnariat public. Le ministre de l'économie et des finances a rappelé que la vocation de l'État n'est pas de tirer des dividendes de grands groupes dont les modèles économiques sont stables – de la boutique Hermès d'un aéroport parisien ou des tickets à gratter de la Française des Jeux par exemple. En revanche, on peut attendre de l'État qu'il recentre ses missions sur les entreprises stratégiques avec tout son poids d'actionnaire, sur les services publics essentiels et sur les ruptures technologiques à venir. Certes, les boutiques Hermès et les tickets à gratter de La Française des Jeux rapportent beaucoup d'argent ; mais maîtriser la 5G, l'intelligence artificielle ou encore le stockage des batteries comme le suggérait Mme Delphine Batho la semaine dernière au cours de nos échanges, rapportera bien davantage à terme si l'État joue réellement son rôle d'actionnaire.

Le cinquième axe de travail est précisément de préparer les ruptures technologiques futures, sans quoi, dans cinq à dix ans, nos entreprises industrielles devront conclure des contrats de licence avec des puissances ou des entreprises étrangères qui seront les seules à maîtriser l'intelligence artificielle, la 5G, l'éolien, l'énergie, le stockage de batteries… C'est la condition de notre indépendance industrielle, et si l'on ne s'y prépare pas sérieusement, une nouvelle commission d'enquête sera créée dans dix ans pour déterminer pourquoi l'État a été incapable d'accompagner ces ruptures technologiques. Nous devons les maîtriser.

Le sixième axe de travail est celui qui a été le plus commenté : le contrôle des investissements étrangers. Nous nous sommes accordés pour considérer que ce n'est pas parce que nous accueillons des investisseurs étrangers que nous ne devons pas préserver nos intérêts essentiels. Il faut à cette fin améliorer le processus de contrôle des investissements sensibles, en commençant par définir quel est l'objet du contrôle. Nous proposons pour cela d'étendre la liste, contenue dans le décret de 2014, des investissements qui peuvent relever d'une procédure d'autorisation préalable à certaines technologies telles que l'intelligence artificielle, les technologies et les nanotechnologies spatiales. Nous proposons aussi d'étendre cette liste à des cas d'usage, car certains rachats d'entreprise par des investisseurs étrangers demandent que l'État joue son rôle. Il en est ainsi quand un investisseur a derrière lui un État – par exemple, un investisseur privé chinois soutenu par l'État chinois – mais aussi quand les technologies rachetées peuvent être militarisées ou encore, comme l'a suggéré Mme Delphine Batho, quand le rachat peut avoir un impact environnemental. Se pose aussi la question de la réciprocité : si un entrepreneur étranger souhaite investir en France dans un certain secteur technologique alors qu'un investisseur français se verrait refuser un tel investissement dans le pays d'origine de l'investisseur potentiel, il faut pouvoir lancer une procédure d'autorisation préalable. Dans certains cas d'usage, la vigilance de l'État s'impose.

Il convient encore de mieux anticiper les achats par des investisseurs étrangers plutôt que d'être mis devant le fait accompli, et aussi d'améliorer la transparence du dispositif. Nous préconisons de publier les statistiques annuelles sur la procédure de filtrage des investissements. Les chiffres qui nous ont été donnés montrent qu'une centaine d'investissements étrangers sont contrôlés chaque année par Bercy ; le rapport, en 2017, était donc de 1 à 13. Publier des chiffres anonymisés rassurera et ceux qui pensent que l'on ne contrôle rien et ceux qui pensent que l'on contrôle tout.

Nous proposons encore la remise annuelle par le ministère de l'économie et des finances d'un rapport confidentiel au Parlement sur le filtrage des investissements étrangers, et la mise à disposition du public d'une version non classifiée du rapport remis au Parlement. Il ne s'agit pas d'intervenir sur les services de Bercy, mais que Bercy rende compte de son action en tant que contrôleur des investissements étrangers en France. L'objectif n'est pas de multiplier les interventions protectionnistes lors de chaque rachat d'entreprise. Nous ne visons pas à permettre qu'un parlementaire se rende tous les jours au ministère en disant qu'il faut contrôler tel investisseur ou telle entreprise. De telles interventions ne sont pas permises aux États-Unis : le Comité pour l'investissement étranger aux États-Unis – Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS) – prévoit que les parlementaires sont informés mais ne leur permet pas d'intervenir dans la procédure.

Le septième axe de travail consiste à utiliser et à préciser les leviers juridiques et réglementaires permettant à l'État de promouvoir nos intérêts industriels, et aussi à rendre les sanctions prévues en cas de non-respect des engagements pris par l'investisseur réellement dissuasives ; une pénalité de 50 000 euros par emploi non créé est peut-être trop faible pour certains groupes qui ont les moyens de supporter cette sanction.

Le huitième axe de travail impose d'être à la pointe de la moralisation de la vie économique. Cet élément clé est issu des discussions relatives à l'impact de l'extra-territorialité du droit américain. La loi Sapin 2 a permis un bond en avant dans la lutte anti-corruption, mais il faut la renforcer. Aussi longtemps que nous ne manifesterons pas une intolérance absolue à cette grave délinquance en col blanc, aussi longtemps que nous n'aurons pas les moyens associés qui nous permettront de lutter efficacement contre la corruption, nous passerons pour des pitres outre-Atlantique et dans d'autres juridictions qui continueront de poursuivre de leur côté parce qu'ils seront convaincus que nous ne traitons pas le sujet sérieusement. De plus, si nous voulons aider nos industries à se protéger des procédures extraterritoriales menées à l'étranger, nous devons nous doter des mêmes moyens et des mêmes capacités à agir et être en pointe en matière de lutte anti-corruption. Ne pas l'être, c'est fragiliser nos industries en les mettant à la merci des juridictions étrangères. Nous devons donc « laver plus blanc que blanc » et être à la pointe de la moralisation de la vie économique. Le président Olivier Marleix a suggéré, la semaine dernière, que les banquiers d'affaires soient tenus de produire des déclarations d'intérêts. Nous avons retenu cette proposition : un banquier d'affaires n'étant payé que si l'opération de fusion-acquisition se fait, il a un intérêt manifeste à ce qu'elle aboutisse.

Le neuvième axe de travail devrait consister à renforcer l'intelligence économique, notamment territoriale, pour identifier les pépites industrielles, les savoir-faire, les technologies à défendre. Actuellement, l'État « brancardier » les découvre tardivement, quand une entreprise qui va très mal est rachetée ou qu'elle est la cible d'attaques. Il faut anticiper les risques par une intelligence économique défensive, qui doit se doubler d'une intelligence économique offensive consistant à aller chercher des marchés à l'étranger, aider nos industries à exporter et à acheter des entreprises à l'étranger, être performantes sur la scène internationale.

Le dernier axe de travail consiste à promouvoir une politique industrielle plus offensive à l'échelle de l'Union européenne. La Commission européenne a présenté en septembre dernier une initiative à ce sujet. L'Assemblée nationale pourrait adopter une résolution européenne réaffirmant son souhait que l'Union se saisisse de la question de la protection des intérêts communs des citoyens européens et soutenant cette initiative. Il nous faut définir collectivement les éléments stratégiques que les États doivent protéger. Seule une démarche européenne peut aboutir : la France ne peut agir seule au sein des blocs économiques mondiaux mais l'Union européenne au complet peut se donner les moyens de se protéger. Il nous faut donc agir en faveur de la proposition de la Commission européenne.

Enfin, il serait bon de revenir sur la politique européenne antitrust. Ne se tire-t-on pas parfois une balle dans le pied ? Les Chinois et les Américains se demandent-ils si leurs grands groupes deviennent trop grands ? Pense-t-on vraiment que les Chinois vont démanteler un monopole chinois au motif qu'il est devenu beaucoup trop gros pour le marché mondial ? Il n'y a aucune honte à ce que des champions européens, chinois où américains se développent et à ce que les autorités ne les jugent pas forcément trop gros sur le marché mondial. Il y a un aspect dogmatique dans la volonté fervente de promouvoir à tout prix la concurrence à l'échelle mondiale et une réflexion s'impose sur ce que doit être la politique anti-trust européenne. L'Union doit-elle continuer à se mettre des bâtons dans les roues en empêchant certaines entreprises de grossir et d'autres de fusionner pour créer des champions européens, alors que les grands blocs économiques mondiaux font l'inverse ?

J'en ai fini, et sur la partie historique du rapport et sur les dix axes de travail proposés qui rassemblent cinquante propositions. Je suis convaincu que si nous adoptons ce rapport, chaque parlementaire sera très attentif à ce que les préconisations soient mises en oeuvre, et très vigilant quant à leur efficacité et à leur pertinence, pour dessiner le cadre d'une politique industrielle à la fois conquérante et offensive qui rendra les Français fiers de leurs industries.

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Au nom du groupe Les Républicains, je remercie à mon tour les administrateurs, dont le travail de très grande qualité a permis l'élaboration d'un rapport intéressant et bien écrit, dont je suis certain qu'il sera utile. Mais je m'étonne que ce document, dans ses grandes lignes, ait été diffusé dans la presse alors même que nous siégeons ce matin pour l'examiner. Nous devons tirer de ce manque de respect envers les membres de la commission d'enquête les enseignements nécessaires.

Le groupe approuve la philosophie générale du rapport, selon laquelle la présence de l'État est nécessaire quand il est question de la politique de la concurrence et de la politique industrielle. Lorsqu'est en jeu une infrastructure essentielle, on ne peut tout confier au marché : l'intervention de l'État est indispensable dans certains secteurs stratégiques. On le voit actuellement dans les débats relatifs à la SNCF et cela vaut ailleurs aussi. Nous ne devons pas pécher par naïveté mais savoir nous défendre. Cela suppose une politique industrielle en France et donc un État stratège, et aussi une politique industrielle européenne – laquelle doit être créée avant que l'on songe à la renforcer, puisqu'en l'état, elle n'existe pas.

Les propositions d'amélioration formulées pointent en creux les faiblesses du passé qu'ont été le manque de transparence et le manque de contrôle, ce que nous n'avons cessé de dire au long de nos débats, et déjà les années précédentes, notamment dans le dossier Alstom. Le groupe Les Républicains votera donc le rapport, dont il approuve la philosophie générale, les conclusions et ce qu'il laisse entendre – mais la contribution du groupe, factuelle, précise et argumentée, portera sur ce que le rapport ne dit pas !

Existait-il une solution alternative à celle qui a été retenue ? Oui. Nous démontrons que l'on aurait pu trouver un partenaire qui, ayant racheté les actions détenues par Bouygues, serait devenu l'acteur stratégique grâce auquel on aurait pu préserver ce fleuron de l'industrie française, le point d'appui permettant de construire ensuite des partenariats français ou européens. C'était possible, et j'ai toujours reproché au Gouvernement d'avoir été acculé, faute d'avoir anticipé, alors que la caractéristique d'un État stratège est précisément la capacité d'intervenir suffisamment en amont pour éviter que certaines situations ne se créent donc ne pas se trouver pris dans une nasse, incapable de trouver les bonnes solutions.

Nous traitons également des pressions de la justice américaine. M. Emmanuel Macron, alors ministre de l'économie, avait reconnu, en réponse à une question que je lui avais posée, avoir été très troublé par l'enchaînement des faits. Nous mettons l'accent dans notre contribution sur les contradictions apparues dans certaines déclarations – celles de M. Kron notamment – faites devant la commission d'enquête, pourtant toutes sous serment. Nous avons dans notre contribution la liste des entreprises étrangères que General Electric a rachetées à la suite de procédures lancées par des juridictions américaines. Vous y lirez encore le rôle joué par les services de renseignement américains, et aussi que des informations étaient déjà parues dans un rapport de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) en 2012. Tout cela est très troublant. Je n'ai aucune appétence pour les thèses complotistes, mais nous ne devons pas être naïfs et les faits doivent être relevés.

Nous soulignons enfin l'invraisemblable campagne de communication lancée pour faire croire aux Français que l'on sauvait l'entreprise Alstom alors qu'on la bradait. On expliquait à cor et à cri combien l'opération était formidable : grâce à l'État, on allait créer des co-entreprises, préserver Alstom Énergie et surtout Alstom Transport pour très longtemps. La solution retenue était la seule, proclamait-on, qui permettait de sauver Alstom Transport. Le résultat réel de cette manoeuvre mirifique est qu'Alstom Énergie a été absorbée par General Electric et Alstom Transport par Siemens, avec pour résultat la disparition d'un fleuron français d'importance stratégique.

La seule question qui vaille est celle-ci : dans le dossier Alstom et dans les autres dossiers évoqués, l'État – Élysée, conseillers de la présidence de la République, ministres successifs – a-t-il ou non protégé les intérêts nationaux dans les domaines stratégiques de l'énergie, du transport et du nucléaire où la France, leader mondial, a développé un formidable savoir-faire ? Pour notre groupe, la réponse est « non ». M. le rapporteur a exposé une vision comptable de ce dossier. Mon approche, plus politique, me conduit à considérer qu'il y a eu un très regrettable fiasco, et je suis malheureux que l'État n'ait pas été capable de protéger ce fleuron industriel. Nous risquons d'en payer le prix très longtemps.

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La cinquantaine d'auditions diversifiées auxquelles nous avons procédé nous a permis de former notre propre avis, mais le groupe du Mouvement Démocrate (MODEM) et apparentés aurait toutefois aimé être systématiquement invité à participer aux visites de terrain. La force de la commission d'enquête tient aussi à la diversité de ceux qui la composent : certains sont plus politiques, d'autres sont juristes, d'autres encore ont bien connu le fonctionnement de l'État, d'autres enfin celui des entreprises. Je me classe dans cette catégorie, puisque j'ai travaillé plus de vingt ans dans un grand groupe international ; c'est certainement avec ce biais-là que j'ai participé à toutes les auditions.

Avec l'optique d'un homme d'entreprise, je considère qu'Alstom n'avait pas la taille critique pour avancer seule et qu'elle devait s'adosser à des partenaires mondiaux. Pour le volet « Énergie », l'offre de General Electric était intéressante. Surtout, elle avait un sens sur le plan industriel. Bien entendu, l'opération pose la question de notre indépendance technologique et industrielle, mais les auditions nous ont permis de nous rendre compte que General Electric était déjà bien présent depuis longtemps dans nos installations et équipements civils ou militaires ; réunir Alstom et de General Electric n'entraînait donc pas de changement fondamental. Dans le volet ferroviaire, si Alstom et Siemens ne s'étaient pas rapprochés, Siemens et Bombardier l'auraient fait et Alstom se serait trouvée isolée. Or, face aux Chinois et aux Américains, seule une approche européenne est viable. Pour Alcatel et Nokia, l'approche européenne vaut également : leur rapprochement permet la création d'un leader européen des technologies innovantes de réseaux. Évidemment, comme l'a souligné le rapporteur, il nous faut être très vigilant sur l'avenir d'ASN, beau fleuron dont nous avons visité le site à Calais. Le même enjeu – la création de leaders européens – vaut pour les chantiers navals.

Des dix axes de travail proposés je retiens cinq, liés au développement économique : revaloriser l'image de l'industrie, renforcer l'attractivité, faire grandir nos industries, accompagner les ruptures technologiques, renforcer l'intelligence économique. Il va sans dire que le contrôle d'investissements étrangers, au demeurant d'une extrême importance, ne fonctionnera que si les cinq volets de travail cités sont pleinement développés.

Il est patent que l'image obsolète de notre industrie ne correspond pas à la réalité ; il est donc urgent que les Français redécouvrent leur industrie et soit fiers d'orienter leurs enfants vers les filières d'apprentissage. Contrairement aux idées reçues, la France attire les investissements étrangers, comme l'indique clairement le dernier rapport de Business France ; c'est un point fort, et il faut s'attacher à développer cette attractivité. Le point le plus faible de notre économie, c'est son insuffisante capitalisation ; il est donc urgent de rediriger l'épargne vers l'investissement productif. Alors que nous produisons de nombreuses innovations, trop peu mûrissent et se développent sur notre territoire. L'Histoire montre que notre force n'a pas obligatoirement tenu à des technologies précises mais à la création d'écosystèmes : nous avons réussi à le faire pour le nucléaire, le ferroviaire et l'aéronautique. Notre force est dans l'intégration, et c'est ce que nous devons développer. Un autre point faible de notre industrie tient à une intelligence économique trop défensive et restrictive ; nous devons développer une intelligence économique partagée au service des entreprises de toute taille, dans toutes les technologies.

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés est donc en phase avec la vision exprimée dans le rapport, dont il approuvera évidemment la publication.

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Le groupe La France insoumise ne s'opposera pas à la publication du rapport, même si nous considérons que, tant sur la partie historique que pour ce qui est des propositions, il ne va pas assez loin et offre une vision du monde dans laquelle les intérêts de la France et de ses industries sont soumis à une approche économique qui n'est pas la nôtre. La commission d'enquête aura eu deux mérites : rappeler que la cession d'Alstom à General Electric est, selon l'expression de Jean-Michel Quatrepoint, : « un scandale d'État » et mettre en évidence à quel point l'accaparement du pouvoir par une oligarchie constituée d'une poignée de patrons, banquiers de haut vol, avocats, communicants, hauts fonctionnaires pantouflards et politiques peut mettre en danger les intérêts fondamentaux de la nation.

Dans l'affaire Alstom, les nombreuses auditions ont montré que plusieurs phénomènes ont concouru à faire advenir un pareil désastre économique, industriel et moral : avant la vente, ce sont l'action de la direction, la pression du Department of Justice (DoJ) américain, les divergences au sommet de l'État, l'idéologie libre-échangiste qui prévaut au sein de l'Union européenne et parmi les élites économiques et administratives françaises et européennes ; avant et après la vente, ce sont la négligence et l'absence de vision des responsables politiques, l'oubli des intérêts vitaux de la nation, l'occultation de l'impérative transition écologique, la naïveté à l'égard des États-Unis, la gouvernance désastreuse d'entreprises dont l'actionnariat n'a plus aucun souci de la production et enfin la substitution des financiers aux ingénieurs dans la conduite des groupes industriels.

La première cause tient incontestablement à la direction de l'entreprise. À l'issue de l'enquête, il ne fait aucun doute pour notre groupe que Patrick Kron a causé la perte d'Alstom. D'abord, en laissant avoir cours les nombreux faits de corruption qui ont donné lieu à l'enquête du DoJ américain et pour lesquels l'entreprise, à l'instigation de ses dirigeants, a finalement plaidé coupable et été sanctionnée. Que les membres de la hiérarchie la plus élevée n'aient pas dû assumer devant la justice leur responsabilité vis-à-vis de ces faits est incompréhensible, inacceptable et, dans le cas de Patrick Kron, d'autant plus immoral que son application à vendre Alstom à General Electric sous l'effet notoire de la menace judiciaire américaine lui a rapporté un bonus mirobolant de plusieurs millions d'euros.

La commission a également mis en évidence des dysfonctionnements au sein des cabinets : la reconstitution de la chronologie a montré une divergence de vues entre l'Élysée et Bercy qui a forcément été préjudiciable à la négociation, ainsi qu'un manque criant d'information des services entre eux, mais également des ministres par leurs propres services.

Contrairement à ce que soutient le rapporteur, notre groupe conclut qu'il n'y avait pas d'urgence à céder Alstom « Énergie » ; que toutes les pistes n'ont pas également été considérées – la nationalisation n'a même jamais été étudiée ; que la direction de l'entreprise a agi de manière déloyale à l'égard des salariés et de l'État ; que l'action du Department of Justice américain a manifestement eu un effet déterminant dans la conclusion de la vente ; que les accords signés avec General Electric ont placé la France dans une situation de dépendance dans les domaines de l'énergie mais aussi de la défense, incompatible avec sa souveraineté ; que le suivi par l'État de la mise en application des accords a été tout à fait insuffisant.

Le groupe de La France insoumise recommande prioritairement : l'ouverture d'une information judiciaire contre la direction d'Alstom Énergie qui a manqué à ses obligations à l'égard des salariés de l'entreprise ; la reprise par l'État des co-entreprises qui seront vraisemblablement mises à la vente en novembre prochain ; le retrait de la décoration de la Légion d'honneur à Patrick Kron et à Henri Poupart-Lafarge pour manquements graves à l'honneur ; un moratoire sur les privatisations décidées par le Gouvernement, qu'il s'agisse des barrages hydro-électriques, du terminal méthanier de Dunkerque, de La Française des Jeux ou d'Aéroports de Paris.

Le groupe La France insoumise suit également avec vigilance et inquiétude l'évolution de la situation d'Airbus. La commission d'enquête a entendu MM. Denis Ranque et John Harrison, mais pas M. Tom Enders ! Il n'a pas été de lever les interrogations concernant le rôle de la National Security Agency (NSA) et les procédures judiciaires « opportunes » dans la fragilisation du groupe. À cet égard, les révélations d'Edward Snowden, l'ouverture d'enquêtes concomitantes, le lancement d'un audit interne mené sans concertation avec les actionnaires étatiques et le recrutement de dirigeants américains auraient dû et devraient toujours inciter à une réelle mobilisation des pouvoirs publics.

Le groupe de La France insoumise s'inquiète également du rapprochement de Naval Group et de Fincantieri, qui est manifestement une clause de l'accord sur la reprise de STX. Alors que ce rapprochement a été bloqué à plusieurs reprises par le ministère de la défense, des groupes de travail ont été installés en 2017 sans même que les parlementaires en soient informés. Alors que l'Italie n'a plus de gouvernement légitime, ces groupes de travail sont sans objet. Comme s'y est engagé M. Bruno Le Maire devant la commission d'enquête, Bercy doit reprendre le dossier à zéro et impliquer les parlementaires.

Au-delà de ces éléments qui concernent la partie « historique » du rapport, figurent dans la contribution du groupe de La France insoumise de nombreux éléments relatifs à la politique industrielle que la France devrait mettre en oeuvre pour préserver l'avenir de ses fleurons industriels.

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Je félicite notre rapporteur, ses collaborateurs et les administrateurs de l'Assemblée nationale pour le travail réalisé. Ce beau rapport est une feuille de route pour la majorité et pour ceux qui croient vraiment en l'industrie. Nous devons maintenant nous en saisir pour développer une politique industrielle d'envergure. En matière d'industrie, soit on fait de la politique soit on fait la politique industrielle. La seconde est, à mon sens, ce qu'il y a de plus important, et c'est ce que mettent en place la nouvelle majorité avec Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances.

Les propositions contenues dans le rapport nous ont été présentées. Il ne tient maintenant qu'à nous de nous en saisir et de travailler avec le Gouvernement pour qu'elles soient appliquées rapidement, pour le bien des industries et surtout pour l'emploi, notre priorité. Quels que soient les actionnaires et les dirigeants de l'entreprise, ce qui compte, c'est que nous puissions conserver et développer les emplois dans notre pays. Reconnaissons un échec sur ce point : la part de l'industrie dans le PIB français a fortement diminué au long des trente dernières années. Le nombre d'emplois industriels considérablement chuté. Mais en 2017, pour la première fois depuis des années, le nombre d'emplois créés dans l'industrie a augmenté en France, ce qui montre qu'une politique industrielle permet de recréer des emplois.

M. Daniel Fasquelle a évoqué la politique européenne. Mais l'Union européenne existe depuis quelques décennies, au cours desquelles elle a souvent été dirigée par le Parti populaire européen (PPE), qui regroupe différentes sensibilités de droite et du centre, dont le parti Les Républicains. Il est donc singulier d'entendre le porte-parole de ce groupe souligner aujourd'hui l'absence de politique industrielle européenne – qu'avez-vous fait pendant toutes ces années pour la développer ? (Mouvements divers). Les élections européennes approchant, des consultations citoyennes ont été créées pour réfléchir à ce que doit être l'Union européenne. Je vous invite, vous, vos collègues et tous les citoyens de France, à participer à ces consultations citoyennes et à faire en sorte que tous les pays membres de l'Union puissent se développer conjointement. Un moment vient où l'on ne peut plus s'en tenir à une politique politicienne ridicule ; nous devons, ensemble, réfléchir à une politique industrielle pertinente pour le territoire européen. Les Européens sont incapables de s'unir, alors qu'aux États-Unis et en Chine, on sait très bien définir des politiques industrielles avantageuses. Soyons, nous aussi, capables de développer des politiques industrielles pertinentes pour l'ensemble des territoires européens.

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Je comprends mal les propos de notre collègue de la majorité au sujet d'un travail remarquablement mené par l'ensemble des groupes politiques composant la commission d'enquête. Je souscris entièrement aux propos de Daniel Fasquelle. C'est le groupe Les Républicains qui est à l'origine de cette commission d'enquête et l'excellent travail réalisé fait honneur au Parlement. Je félicite notre rapporteur au talent fougueux de jeune député et notre président, parlementaire aguerri dont on connaît la rigueur et la compétence. Je remercie également les administrateurs de l'Assemblée nationale pour la qualité remarquable de leur contribution.

J'ai retenu, dans les propos de notre rapporteur, l'exigence de vigilance concernant le respect des engagements pris, notamment par General Electric après le rachat du pôle « Énergie » d'Alstom. La visite du remarquable site ASN de production de câbles sous-marins, à Calais, nous a permis d'appréhender exactement ce que signifie l'entrée de l'industrie dans l'ère numérique. Les cinquante propositions formulées dans le rapport servent l'attractivité de la France. Il s'agit de faire la meilleure part entre des stratégies offensives et la transparence des contrôles, qui sont absolument nécessaires. La commission d'enquête a manifestement fait oeuvre utile, ouvrant à notre pays des perspectives de développement technologiques, numériques, stratégiques, environnementales et surtout économiques.

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Je me félicite de ce travail d'équipe. Même si nous ne partageons pas tous l'ensemble des conclusions du rapport, nous avons oeuvré collectivement pour l'avenir de notre industrie. Nous avons ainsi montré le souci qui est le nôtre à l'égard d'actifs stratégiques et de l'emploi.

L'Europe a la volonté avérée de protéger les intérêts communs de ses membres en se saisissant de certains cas d'usage ; c'est une très bonne chose. Nous devons impérativement nous doter des outils qui nous permettront d'affronter la concurrence mondiale sur un pied d'égalité – on a level playing field, disent les Anglo-Saxons – au lieu que, comme c'est le cas aujourd'hui, nos entreprises, dans de très nombreux secteurs, doivent affronter la concurrence de groupes qui bénéficient d'un soutien étatique effectif et que, d'autre part, la réciprocité n'est pas la règle. Que l'Union européenne se soit saisie de la question rend optimiste et fait penser que nous allons pouvoir, avec nos partenaires européens, faire progresser la défense et le développement de la base industrielle européenne.

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Je me félicite également du travail collectif de notre commission d'enquête dans toutes ses composantes. Mais je regrette certains propos illustrant plus qu'autre chose la politique politicienne qu'ils sont supposés dénoncer. Je remercie notre rapporteur pour ses propositions qui doivent servir de base de travail à l'ensemble de la représentation nationale. Nous devrons continuer d'y oeuvrer et nous apporterons plusieurs éléments à la réflexion. Je retiens notamment les propositions visant à améliorer la compétitivité de nos entreprises en accompagnant leur mutation vers l'utilisation de l'intelligence artificielle.

Le rapport ne dit rien de la robotisation de notre outil de production. Je proposerai au bureau de la commission des affaires économiques la création prochaine d'une mission de type flash sur la robotique industrielle afin que nous puissions évaluer les retards que nous accusons encore et les efforts à fournir dans nos territoires, dans nos entreprises – où qu'elles soient implantées et quelle que soit leur taille – et sur le plan législatif. Le terme de « révolution industrielle » n'apparaît pas davantage, mais c'est un détail. D'autre part, j'aurais voulu que l'on recense les dynamiques régionales visant à accompagner des industries locales. Business France est un outil exceptionnel pour capter les investisseurs étrangers, mais les compétences économiques aux niveaux régional, communal et des communautés d'agglomération sont de puissants leviers d'accompagnement des investisseurs étrangers. Comme l'a souligné notre rapporteur, il se trouve des entreprises à capitaux étrangers dans toutes nos circonscriptions et même si elles sont fabriquées sous pavillon étranger, je considère leurs productions comme du made in France. Il convient absolument de les accompagner et de les maintenir.

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Je remercie à mon tour le président, le rapporteur et l'équipe qui nous a accompagnés. Ma première remarque porte sur l'état d'esprit qui a prévalu au sein de la commission d'enquête. Mon expérience de député est récente, mais j'ai un peu d'expérience professionnelle par ailleurs et j'ai été surpris par le ton parfois violent et parfois irrespectueux employé à l'égard de certaines des personnes auditionnées. J'ai eu le sentiment que certaines questions servaient un scénario pré-écrit qu'il fallait essayer de démontrer à tout prix ! Ces pratiques me mettent mal à l'aise. Je ne suis pas particulièrement naïf, j'ai été responsable syndical pendant de longues années, et dans cette fonction on m'a appris à respecter les gens que nous invitions à venir nous rencontrer. Au-delà des responsabilités exercées, ceux que nous avons reçus sont des êtres humains ; les considérer a priori comme des coupables et les traiter comme tels est injuste et souvent inconvenant. En bref, il m'a paru parfois que le scénario pré-écrit par quelques-uns a pris le pas, en entraînant une manière de questionner qui aurait pu être plus mesurée et plus objective.

Sur le fond, mes relations avec les chefs d'entreprise, depuis de très longues années, m'ont appris que l'entreprise ne fonctionne qu'avec la confiance. Et pour qu'il y ait confiance, les chefs d'entreprise souhaitent que les responsables politiques mettent un terme à leurs querelles permanentes : l'essentiel, disent-ils, c'est l'avenir de nos entreprises et, au-delà des alternances démocratiques, nous devons pouvoir compter sur une vision partagée par le plus grand nombre. Prenons donc garde à ne pas tomber dans des excès, dans un sens ou dans l'autre. L'industrie représente maintenant 11 % du PIB, alors que sa part était supérieure à 20 % il n'y a pas si longtemps ; c'est une responsabilité collective donc largement partagée. Les résultats enregistrés en 2017 tiennent vraisemblablement à la confiance retrouvée et aux premières décisions prises par cette majorité. Mais des mesures telles que le Pacte de responsabilité et la création du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), prises au cours du précédent mandat, ont aussi porté leurs fruits. L'enjeu, considérable, était de permettre aux entreprises de reconstituer des marges largement perdues entre 2007 et 2012 pour pouvoir investir ; nous avons l'ambition de pérenniser le CICE.

S'agissant du rapprochement entre Alstom et General Electric, il ne faut pas réécrire l'histoire. J'ai sous les yeux un communiqué signé en 2014 par Damien Meslot, alors député de Belfort, Cédric Perrin, sénateur, et Florian Bouquet, président du conseil général du Territoire de Belfort, dans lequel ils rappellent avoir soutenu depuis le début la candidature de General Electric, disant qu'elle est synonyme d'avenir pour Belfort et son territoire. Aux côtés de Jean-Pierre Chevènement, qui soulignait la complémentarité entre General Electric et Alstom, Damien Meslot réaffirmait être favorable sans réserve à l'offre de General Electric, expliquant que Belfort allait devenir un pôle d'excellence mondiale en matière d'énergie.

Ce qui compte, pour la suite, c'est le respect des engagements pris par General Electric. Les organisations syndicales que nous avons entendues ne cherchaient pas à réécrire l'histoire. Chacun en a écrit une partie, à un moment donné, quand il fallait faire des choix qui n'étaient pas aussi larges qu'on veut bien le dire : certes, les actions Bouygues étaient cessibles, mais les « clients » ne se sont pas précipités pour les acheter. La question fondamentale, c'est le respect des engagements pris. J'étais à Belfort lorsque, après le rachat, nous avons reçu Jeff Immelt, le patron de General Electric à cette époque, et l'une de ses phrases est restée dans la mémoire de tous : « On va bien s'amuser ensemble », a-t-il dit aux salariés. C'était la conclusion d'un discours qui traduisait la vision d'une grande politique industrielle, très largement soutenue et qui a créé de la confiance. Mais nous avons à faire à un groupe international, et la tradition, aux États-Unis, est que le niveau de rémunération du capital investi peut être extrêmement élevé. Nous sommes à la merci d'un changement de direction du groupe, et c'est là qu'est la vraie difficulté future. Aussi les organisations syndicales incitent-elles à se préserver et à préparer l'avenir, parce que la stratégie de General Electric peut changer radicalement, ce qui peut avoir une forte incidence à Belfort. Nous devons nous rassembler. La nécessité vitale de relancer notre industrie a été soulignée, et parce que cela concerne l'État dans son ensemble, les organisations syndicales et toute la représentation nationale devront être aux côtés du Gouvernement pour défendre une politique industrielle ambitieuse portée par General Electric dans notre pays.

Enfin, nous avons besoin d'une politique industrielle européenne, on le constate chaque jour. Cela est particulièrement sensible en matière d'énergie : les réseaux sont interconnectés et le seront toujours davantage. Produire de l'énergie verte ne signifie pas la même chose au Portugal, en Espagne ou en Autriche. Nous avons donc besoin d'une politique industrielle européenne en ce domaine, non seulement pour installer des éoliennes mais aussi pour les fabriquer sur nos territoires, et pour cela nous avons besoin d'acteurs comme General Electric et comme Siemens, à condition, évidemment, de maintenir des bases industrielles compétitives sur nos territoires.

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Je me félicite que les travaux de la commission d'enquête, appelée à faire une analyse rétrospective, aboutissent à un rapport très dense, riche en propositions – même s'il est aisé d'imaginer que certaines servent une posture, une idée que l'on s'était faite de la manière dont les choses avaient pu se passer. Il fallait se remettre dans le contexte de l'époque ; la multiplicité et la densité des auditions menées ainsi que les déplacements sur le terrain nous ont permis de nous faire une idée plus précise de la manière dont les décisions ont été prises. Cela nous éloigne de la théorie selon laquelle « il n'y a jamais de fumée sans fumée ». (Sourires). Les travaux menés nous donnent une vision assez claire des choses. On est, dans ma circonscription, particulièrement sensible à l'histoire d'Alcatel devenu Nokia, qui a un site industriel majeur à Lannion.

Les entreprises évoluent désormais dans une économie mondialisée non administrée, et c'est tant mieux. En même temps, les ruptures technologiques en cours, qui peuvent être source de nouveaux gisements de croissance, perturbent les entreprises industrielles. Elles se trouvent souvent percutées de plein fouet par de nouveaux acteurs créés deux ans auparavant. Le cas de General Electric, une entreprise pour laquelle j'ai travaillé jusque dans les années 2000, est une illustration révélatrice de cette évolution : la capitalisation boursière du groupe est désormais inférieure à celle des acteurs du numérique. Que de nouveaux acteurs récemment créés soient en mesure de bousculer une entreprise comme celle-là entraîne ses dirigeants à s'interroger : comment se maintenir si l'on est incapable de maîtriser son destin et de bâtir une histoire entraînant les salariés dans une vision partagée de la stratégie nécessaire ?

On ne peut méconnaître le fait qu'un certain nombre d'entreprises industrielles dont on pensait qu'elles étaient là pour toujours sont bousculées par d'autres acteurs. Le rapporteur a évoqué la 5G : les enjeux sont considérables. Ce ne sont pas forcément les acteurs historiques qui seront les maîtres de ce marché. Ils doivent donc réinventer une stratégie. Pour cette raison, la proposition tendant à « fournir aux organisations syndicales, suffisamment en amont, les informations leur garantissant une bonne visibilité sur la stratégie à venir de leur entreprise » est d'une importance particulière. Elle fait écho à la nécessité d'un dialogue social renforcé et dit qu'il n'y a jamais d'aventures solitaires. Les dirigeants et les actionnaires – dont l'État quand il l'est – se doivent d'engager les salariés dans ce qui ne peut être qu'une aventure collective. Dans le contexte extrêmement compliqué parfaitement décrit dans ce rapport, l'entreprise doit associer les salariés aux bonnes décisions.

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Je remercie les administrateurs et nos collègues sur tous les bancs. Ce fut une belle aventure. Elle nous a permis de mettre la politique industrielle au centre de notre travail ; l'évaluation conduite devant nous permettre d'être plus agiles demain. Je me suis surprise à me passionner pour le concept d'entreprise stratégique, m'étonnant moi-même (Sourires), et pour les écosystèmes – je pense, ce disant, à tous les sous-traitants c'est à dire toutes les entreprises dont on ne parle pas, auxquelles on ne reconnaît pas la qualification de « fleuron industriel » alors que, sans elles, notre industrie ne tendrait pas vers l'excellence. Je souhaite donc que l'on intègre l'ensemble de ces écosystèmes, que l'on maintienne évidemment les emplois sur le territoire et que l'on travaille en commun à valoriser l'image de l'industrie dans les textes à venir sur l'apprentissage et la formation. Il nous faut aussi préparer nos industries aux ruptures technologiques qui s'annoncent, sans oublier la nécessité de moraliser l'économie pour rétablir la confiance et la volonté de s'engager et d'investir.

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Parce que je n'ai pas apprécié la sortie de M. Adam, qui se pose volontiers en donneur de leçons, je lui rappelle pour commencer que c'est le groupe Les Républicains qui a choisi entre tous la politique industrielle comme sujet d'une commission d'enquête parlementaire. Autrement dit, si nous sommes réunis ce matin pour examiner le rapport et des propositions visant à renforcer notre politique industrielle, c'est à l'initiative de notre groupe.

Il y a eu des défaillances. Je pointe celles de celui qui, alors conseiller auprès du Président de la République François Hollande, a dit un jour, selon un journaliste qui n'a pas été démenti, « on n'est pas au Venezuela », signifiant ainsi que l'État ne devait pas intervenir pour empêcher la vente d'Alstom Énergie à General Electric. Ce conseiller est aujourd'hui le Président de la République que vous soutenez, comme c'est votre droit. Mais quand on voit le fiasco qu'a été l'affaire Alstom, vous ne pouvez vous poser en donneur de leçons quand il s'agit de défendre les secteurs stratégiques de notre économie.

Et puisque vous avez aussi, monsieur Adam, fait allusion à notre action et à celle du PPE au sein de l'Union européenne, je vous rappelle l'action menée par Nicolas Sarkozy en 2008, année où une Union européenne stratège a réagi à une crise d'une incroyable violence en prenant les bonnes décisions pour protéger nos économies et nos industries. Nous n'avons pas fait que cela : après que Nicolas Sarkozy a repris au bond le projet de traité établissant une Constitution pour l'Europe qui avait été rejeté, un projet de traité simplifié a été adopté à Lisbonne à son initiative, dont l'article 173 stipule que « l'Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union soient assurées ». Le drame est que cet article n'est pas suffisamment mis en oeuvre. Il revient maintenant à ceux qui sont aux responsabilités de l'appliquer et de veiller à ce que l'Union ait, outre une politique de concurrence, une véritable politique industrielle. Cet objectif doit nous rassembler. Nous ne pouvons nous diviser à ce sujet ; la voix de la France doit être une pour promouvoir une politique industrielle en Europe et une Union défendant les intérêts européens et donc français.

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Je remercie le groupe Les Républicains d'avoir pris l'initiative de la création de cette commission d'enquête, qui aurait pu voir le jour plus tôt mais dont les travaux sont très utiles. Je rends hommage au travail du président et du rapporteur et je les remercie aussi pour les échanges que nous avons eus la semaine dernière sur le contenu du rapport ; j'ai constaté que certaines remarques, notamment sur le site hydraulique de General Electric à Grenoble, ont été prises en considération. Comme d'autres collègues, j'aurais souhaité que, sur certains points, la privatisation des barrages hydrauliques par exemple, le rapport prenne d'autres orientations. Toutefois, ce travail collectif fait honneur à la représentation nationale. Je ne saurais conclure sans dire mon plein accord avec l'avant-propos du président de la commission d'enquête, M. Olivier Marleix. Il rappelle à juste titre que le travail de cette commission d'enquête parlementaire était d'établir les faits dans un processus qui a conduit à la situation dans laquelle nous nous trouvons et dont il faut tirer des leçons – faits qui sont d'ailleurs confirmés dans un ouvrage récemment publié par un ancien Président de la République.

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Mes remerciements vont au président, au rapporteur et à tous les membres de la commission d'enquête. J'approuve le propos introductif du président et la contribution déposée par le groupe Les Républicains. Notre collègue Daniel Fasquelle ayant évoqué la position des élus du Territoire de Belfort en 2014, je rappellerai que la question n'était pas de savoir si Alstom devait ou non rester seul, mais si Alstom « Power » devait être repris par General Electric, déjà présente à Belfort et qui a une histoire ancienne dans le département, ou par Siemens qui fait peu ou prou la même chose 200 kilomètres plus loin. Il fallait donc choisir entre un acteur déjà présent sur le site et un autre qui risquait fortement de délocaliser l'activité. Les propositions qui nous étaient faites à l'époque étant celles-là, nous avions plutôt soutenu l'option General Electric. Bien sûr, nous aurions préféré qu'Alstom reste Alstom, mais ce n'était pas la question qui nous était posée. Cela ne signifie pas que nous sommes totalement satisfaits de la manière dont les choses se déroulent actuellement, l'ensemble des engagements pris à l'époque n'étant pas respectés pour le moment. C'est indiqué dans le rapport et rappelé dans le propos introductif du président. J'espère que nous serons tous vigilants à ce sujet.

Plus généralement, les cinquante propositions formulées dans le rapport vont dans le bon sens. Elles doivent maintenant être suivies d'effet et s'inscrire dans un cadre législatif construit par le Gouvernement et l'ensemble des groupes politiques.

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J'avais anticipé le propos de Denis Sommer en ouvrant la réunion et je préciserai brièvement ma position. Une commission d'enquête est le moyen le plus fort dont dispose la représentation nationale pour exercer sa mission de contrôle. D'évidence, nous ne sommes pas un tribunal, mais nous ne sommes pas non plus un salon de thé et tolérer que des personnes auditionnées se limitent à faire des exposés ne permettrait pas de progresser ! Cela explique une manière, peut-être quelque peu intrusive, de mener le questionnement au regard de ce qui se fait habituellement dans des commissions. Je n'étais au service d'aucune thèse ni d'aucune idéologie en conduisant nos travaux ; il me semblait simplement que la crédibilité de notre démarche exigeait de n'éluder aucune question – d'ailleurs, à titre personnel, j'ai peut-être évolué à certains sujets, et j'ai une compréhension beaucoup plus précise de ce que furent les processus que nous avons examinés. C'est ainsi, à mon sens, que les travaux de cette nature doivent être conduits et je n'en rougis pas – je ne pense pas que nous ayons porté atteinte aux droits de l'Homme – car je suis satisfait du résultat auquel nous sommes parvenus. Comme l'a dit M. Bruno Duvergé, chacun a abordé les travaux en fonction de sa formation propre, ce qui détermine aussi notre appréhension des processus examinés ; il ne faut voir dans ce dossier d'autres a priori que cet habitus.

Je me réjouis que nous nous retrouvions aujourd'hui sur les propositions du rapporteur. J'ai matière à penser qu'elles vont sans doute au-delà de ce qu'il avait imaginé initialement. Cela montre que, dans un grand esprit d'ouverture, notre commission d'enquête a permis de formuler des propositions constructives et utiles.

La commission d'enquête adopte le rapport.

La séance est levée à midi quinze.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 19 avril 2018 à 10 h 40

Présents. - M. Damien Adam, Mme Delphine Batho, Mme Aude Bono-Vandorme, M. Éric Bothorel, M. Ian Boucard, Mme Michèle Crouzet, Mme Dominique David, M. Julien Dive, M. Bruno Duvergé, Mme Sarah El Haïry, M. Daniel Fasquelle, M. Éric Girardin, Mme Olga Givernet, M. Guillaume Kasbarian, M. Loïc Kervran, M. Bastien Lachaud, Mme Laure de La Raudière, M. Roland Lescure, M. Olivier Marleix, M. Hervé Pellois, Mme Natalia Pouzyreff, M. Frédéric Reiss, M. Jean-Bernard Sempastous, M. Denis Sommer