La réunion

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La séance est ouverte à quatorze heures.

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Notre commission reçoit, pour sa première audition, M. Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles.

L'Assemblée nationale a créé une commission d'enquête chargée de tirer les enseignements de l'affaire Lactalis et d'étudier à cet effet les dysfonctionnements des systèmes de contrôle et d'information, de la production à la distribution, et l'effectivité des décisions publiques qui ont été ou eussent pu être prises. Il ne s'agit pas pour nous de faire le procès de qui que ce soit. Nous ne sommes pas un tribunal, nous ne jugeons pas, nous ne punissons pas. Mais il est important de comprendre et de tirer les leçons, ce que fera le rapporteur, afin d'éviter que de tels faits puissent se reproduire.

Notre démarche est neutre, mais il nous a semblé indispensable, et légitime, que vous soyez le premier à être auditionné, monsieur Guillemain. Votre association a été créée le 19 décembre 2017. Nous voulons connaître votre sentiment sur ce qui s'est passé depuis lors et vos difficultés, si vous en avez.

La commission d'enquête souhaite entendre ensuite les représentants des organes de contrôle de l'État, les associations, les consommateurs, et les patrons de la grande distribution. M. le rapporteur et moi-même sommes aussi très décidés à entendre le patron de Lactalis, qui se fait rare, et j'aurai l'aide de la force publique si nécessaire pour qu'il vienne nous voir, ainsi que les représentants du e-commerce, des hôpitaux, des pharmacies, des crèches et l'ensemble des ministres concernés. Pour l'instant j'ai l'accord de ceux de l'économie, de l'agriculture et de la santé.

Après détection d'un certain nombre de cas de salmonelles en 2017, le 1er décembre, l'Agence nationale de santé publique, également appelée Santé publique France, alerte les pouvoirs publics sur un nombre de cas anormalement élevé chez des nourrissons, soit huit cas en huit jours. Les victimes ont en commun d'avoir consommé des produits infantiles issus de l'usine de Craon. L'entreprise est prévenue le soir même. Le 2 décembre 2017, Lactalis procède à un premier rappel de laits infantiles premier âge en poudre, produits dans l'usine de Craon, puis à d'autres rappels, sans que tous soient complètement réalisés. Le même jour, Lactalis met en place un numéro vert et reçoit plus de 13 000 appels. Puis dès qu'une adresse mail est créée pour recenser les cas de contamination, plus de 300 parents envoient un message dans une seule journée. Cela témoigne de l'importance du problème.

Nous avons donc beaucoup de questions à vous poser. J'en pose déjà quelques -unes avant votre exposé et nos échanges. Combien de bébés ont-ils été hospitalisés ? On ne le sait pas vraiment. De quelle prise en charge ont-ils bénéficié lors de leur hospitalisation ? Quelles sont les principales actions de votre association, où en êtes-vous au niveau juridique et au niveau judicaire et jusqu'où voulez-vous aller ? Jusqu'à présent, quelles réponses avez-vous obtenues des parties prenantes ?

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Quentin Guillemain prête serment)

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Je vous remercie de votre présence. Vous présidez l'Association des familles victimes du lait infantile contaminé aux salmonelles fabriqué par le groupe Lactalis. Comme vient de le dire le président Hutin, c'était pour nous une évidence que de débuter les travaux de notre commission d'enquête en vous auditionnant. Vous-même, vos membres, avez été en première ligne et sans votre courage, il n'y aurait pas eu d'affaire Lactalis. La commission n'a pas vocation à faire le procès de cette entreprise, mais à faire la lumière sur les dysfonctionnements, de la production à la commercialisation, et de tout faire pour éviter qu'un tel scandale sanitaire ne se reproduise. Nous savons en effet que d'autres crises sanitaires auront inévitablement lieu. Il faut limiter la production et la distribution par le commerce de produits contaminés. Père de deux petites filles de trois ans et un an, j'ai utilisé et j'utilise encore du lait en poudre. J'ai vécu par procuration les inquiétudes, le désarroi que vous ressentiez, vous, les familles de victimes. Nous comprenons votre colère, elle est légitime, personne n'en doute.

Je souhaite en premier lieu que vous nous informiez sur l'état de santé des enfants, dont certains ont été plus fortement atteints, puis que vous nous fassiez part des dysfonctionnements constatés dans ce dossier.

Ensuite, combien de victimes avez-vous recensées à ce jour et comment l'État mène-t-il ce travail de recensement ? Quelles dispositions faudrait-il prendre, selon vous, afin qu'une telle contamination ne se reproduise pas ?

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

Je vous remercie de votre invitation. J'aurais aimé être accompagné d'autres représentants des familles, mais les conditions de transport actuelles ne nous l'ont pas permis.

Notre association, créée le 19 décembre dernier, regroupe 700 familles dont un enfant a été malade ou a simplement consommé des produits incriminés ; elles partagent le sentiment qu'on n'a pas répondu à leurs questions et ont besoin de se porter assistance mutuelle dans les questions juridiques. Beaucoup de parents sont traumatisés d'avoir appris qu'ils ont pu donner du lait empoisonné à leur enfant ; pour certains, la salmonellose a été diagnostiquée, pour d'autres non car on leur a parfois refusé de faire la coproculture, indispensable au diagnostic. Ils ont parfois passé des semaines dans les hôpitaux sans savoir ce qui se passait, et s'entendant dire la plupart du temps : il y a des problèmes d'hygiène chez vous qui ont dû conduire à cette situation. On a culpabilisé les familles, alors qu'il s'agit d'un problème de contamination dans l'usine de fabrication ; certains s'interrogeaient chaque jour sur la nourriture qu'ils donnaient et, chaque jour, examinaient les selles de leurs enfants, et ce pendant des semaines.

Les familles placent beaucoup d'espoir dans cette commission d'enquête parlementaire : l'espoir que soit reconnue l'importance du scandale que nous vivons et des enjeux qui en découlent, éventuellement pour d'autres sujets, en ce qui concerne la sécurité alimentaire dans notre pays. Si nous avons créé cette association, c'est pour savoir comment cela a été possible, pour identifier les responsabilités des uns et des autres et pour en tirer les enseignements afin que cela ne se reproduise plus.

A ce jour, plus de cinquante plaintes ont été déposées par nos adhérents auprès du pôle santé du procureur de la République de Paris contre Lactalis et, pour certaines d'entre elles, contre des grandes enseignes de distribution et des pharmacies. Toutes le sont pour mise en danger de la vie d'autrui, et certaines pour blessures involontaires. Une enquête préliminaire est ouverte, des perquisitions ont eu lieu et nous attendons la nomination rapide d'un juge d'instruction, ce qui permettra à toutes les parties d'accéder au dossier. Au vu des responsabilités éventuelles de l'État que pourrait révéler l'enquête, la nomination d'un juge d'instruction est pour nous une question pressante, afin de garantir l'impartialité de cette enquête en cours. La loi ne nous permet pas actuellement d'agir au nom de l'association pour tous les parents qui le souhaitent : cette possibilité est réservée aux associations agréées et ayant plusieurs années d'existence. Il s'agit dans ce cas d'une procédure civile, excluant donc toute responsabilité pénale. Il paraît surprenant de devoir créer une association de victimes avant même d'être victime. Peut-être est-ce important de faire évoluer ce point.

Chaque jour pendant des semaines, nous avons appris par la presse ou par les uns et les autres des bribes d'information, des révélations. Dans cette affaire, les responsabilités sont partout, et diffuses. Il y a d'abord la responsabilité de Lactalis qui, depuis 2005 et jusqu'en décembre dernier, a continué de produire des produits infantiles dans une usine contaminée par les salmonelles et mis en danger la vie de nourrissons en mettant de tels produits sur le marché – sans parler des autocontrôles positifs réalisés au cours de ces dix dernières années et que l'entreprise n'a jamais, semble-t-il, communiqués à l'État. Il y a la responsabilité de l'État lui-même, pour n'avoir pas pris conscience de l'ampleur du problème – voire l'avoir minoré – et en raison de l'opacité qui a régné. Pourquoi a-t-il fallu attendre mi-janvier pour que le ministre de l'économie réagisse à une situation dévoilée dès le 2 décembre ? Nous avons été surpris d'entendre M. Dehaumont, directeur général de l'alimentation, et Mme Beaumeunier, directrice générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, mettre en cause devant le Sénat courant février, alors qu'une rencontre éventuelle avec les familles n'était pas à l'ordre du jour, la tour de séchage n° 2. On dit que la tour n° 1 serait actuellement fermée. Qu'en est-il de la tour n° 2 ? C'est la raison pour laquelle les produits ont été retirés le 21 décembre, et c'est seulement il y a quelques semaines qu'on nous a donné cette explication.

Qu'en est-il des autocontrôles menés avant 2017, y compris sur les produits ? On parlait d'un seul sérotype de salmonelle, on a appris par l'intervention du directeur général de l'alimentation au Sénat qu'il pouvait s'agir de plusieurs types différents. À la suite de ces révélations, nous avons questionné le directeur général pour avoir des informations, mais nous nous sommes heurtés à une absence de réponse ou à un refus. Nous avons donc saisi hier la commission d'accès aux documents administratifs (CADA), et nous nous réservons de saisir le tribunal administratif, pour avoir accès en toute transparence à ces informations. Au total, l'information diffusée par l'État nous semble ne pas avoir été suffisante.

Il y a ensuite la responsabilité des distributeurs. C'est d'ailleurs la découverte du retrait des produits dans certaines grandes enseignes qui a conduit l'État à réagir. Comment peut-on continuer à vendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines après les retraits, des produits contaminés quand on est une grande enseigne de la distribution ? Il y a même eu des ventes en promotion sur l'ensemble du territoire. Ce fut le cas le 3 janvier dans tous les magasins d'une même enseigne. On ne peut plus parler, dans ce cas, de problème dû à quelques employés dans quelques points de vente. On a dit qu'il s'agissait de produits ramenés dans les magasins qui avaient été remis en rayon. Ce n'est pas suffisant. D'autres explications se contredisent. Quelles sanctions pour ces grandes enseignes ? On n'en a guère parlé, et peu de solutions ont été proposées. Je rappelle aussi que des crèches, des hôpitaux, des services publics, ont continué, dans cette même période, à donner à des enfants des laits contaminés. Nous avons des éléments concrets à ce sujet.

Enfin, le laboratoire sous-traitant de Lactalis est mis en cause par l'entreprise, mais certains salariés de ce laboratoire évoquent des pressions, que le laboratoire conteste, et on ne sait finalement pas qui était responsable de contrôles dont tout le monde dit qu'ils étaient positifs.

Nous ne sommes pas satisfaits de l'information communiquée aux familles. Dès le 2 décembre, un numéro vert, diffusé par l'État, a été mis en place par Lactalis. Je l'ai moi-même appelé pour ma fille ; on s'y entendait dire qu'il n'y avait aucune raison des s'inquiéter, pas de raison d'avoir des problèmes de santé à cause du lait ; on nous invitait à détruire les boîtes concernées et à surveiller si d'éventuels symptômes se présentaient. Les boîtes que j'avais achetées faisaient partie des douze premiers lots retirés. Quelques semaines plus tard, d'autres retraits ont eu lieu. Des parents ont alors appelé le numéro vert – vous avez mentionné 13 000 appels – sans être concernés par les numéros des lots retirés. On leur a dit qu'ils pouvaient continuer à donner à leurs enfants du lait dont on sait aujourd'hui qu'il appartenait à des lots retirés. Au téléphone, on a pris les coordonnées des parents qui appelaient. A mesure que l'on actualisait les données sur les retraits, on pouvait tout à fait les contacter par courrier ou téléphone. C'est d'ailleurs ce qui a eu lieu quand il s'est agi de rembourser les boîtes de lait mentionnées au téléphone ; les familles reçoivent actuellement des courriers de Lactalis ou de son assureur.

Aujourd'hui, je vous mets au défi de trouver une liste consolidée des produits concernés par cette affaire et retirés du marché en France – je veux dire une liste officielle, non une liste fournie par Lactalis, étant donné la confiance qu'on peut désormais avoir dans cette entreprise. Nous devons donc consolider nous-mêmes des morceaux de listes, des informations de provenances diverses. A l'étranger, 83 pays sont concernés – c'est le nombre annoncé par M. Besnier dans une interview au Journal du Dimanche. Jusque-là on croyait qu'il s'agissait de 61 pays. Se pose là une question de traçabilité et d'information du public qui nous dépasse, d'autant que des produits sont reconditionnés sous d'autres marques, revendus sous d'autres formes. En l'absence d'informations à ce sujet, certains pays ont interdit l'importation de produits infantiles Lactalis.

Quant aux conséquences médicales de cette contamination, il a fallu que ce soit nous qui compilions les informations de santé sur les suites potentielles. Comment se fait-il que l'État ne soit pas en mesure de nous fournir des éléments à ce sujet ? On entend tout et n'importe quoi. Or ces conséquences peuvent être graves. Des enfants qui avaient une maladie chronique ont été plus fragilisés encore et dans certains cas le pronostic vital a été engagé.

Quel est le nombre de victimes ? C'est très difficile à dire et je ne m'engagerai pas sur un chiffre. En effet, les coprocultures n'ont pas été réalisées de façon systématique. On aurait pu imaginer que des enfants amenés à l'hôpital avec ces symptômes et après avoir consommé ce lait y auraient été soumis systématiquement. Ce n'est pas le cas, et nous interrogé la ministre de la santé à ce sujet lorsque nous l'avons rencontrée mi-janvier. Le nombre de victimes avancé par l'État est donc un minimum et la ministre elle-même reconnaît qu'il peut y avoir des cas non recensés. Pour classer un cas, il y a différentes étapes : la nécessaire coproculture, puis la recherche du sérotype par l'Institut pasteur, puisque la souche incriminée est celle de salmonella Agona ; mais les laboratoires ne daignent pas tous remonter les diagnostics de salmonellose à l'Institut Pasteur. Il faut ensuite prouver que l'origine est le lait, et Santé publique France mène une enquête à ce sujet, en interrogeant les familles pour vérifier que l'enfant n'a consommé que ce lait. D'autres salmonelles ont été évoquées, mais faute d'en connaître le sérotype, on ne sait pas combien d'enfants en ont été victimes. Leur nombre est en tout cas plus élevé que celui qu'avance l'État. De plus, à la même époque, il y avait une épidémie de gastroentérite, qui est aussi un symptôme de la salmonellose, mais faute de coproculture, on ne pouvait pas faire de diagnostic précis.

S'agissant de la prise en charge, nous avons demandé à la ministre que les 37 enfants dont le cas était tranché fassent l'objet d'un suivi médical à moyen et long terme. Elle nous a répondu qu'un rapport qu'elle avait demandé à ce sujet à la Société française de pédiatrie concluait que ce n'était pas nécessaire. A nos yeux, c'est extrêmement grave. Il y a des conséquences, septicémies, rectorragies, infections, possibilité de méningite et de contagion. Ajoutons que parmi les produits retirés de la vente le 21 décembre, il n'y avait pas que des laits infantiles mais aussi des solutés de réhydratation, commercialisés sous la marque Picot, et qu'on donne aux enfants déshydratés par une gastroentérite ou… une salmonellose : on a donc pu réinfecter des enfants qui l'étaient déjà.

J'en viens aux retraits, au nombre de cinq. Le 2 décembre, le retrait portait sur douze lots de lait infantile, le 9 décembre sur 620 lots. Mais j'insiste sur le retrait du 13 décembre : à la suite de l'alerte donnée par des parents et une pharmacienne, cinq nouveaux lots de marque Picot ont été retirés, sans figurer officiellement sur la liste des retraits donnée par Lactalis ou les autorités. On les trouve évoqués dans un communiqué de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), transmis par l'Agence France-Presse (AFP), disant que ces cinq lots auraient dû figurer dans les fichiers transmis par Lactalis et qui ont fondé l'arrêté ministériel de retrait du 10 décembre. Lactalis a parlé d'un oubli du ministère, et ces lots ne sont pas dans la liste qui figure sur son site. On attend donc toujours une liste complète, mais l'opacité persiste. C'est nous qui avons parlé de ces cinq lots à la presse qui l'a répercuté.

Je rappelle aussi que ce sont les familles qui ont déposé plainte, alors que la responsabilité de Lactalis était mise en cause dès décembre. On en mesure l'importance. Qu'en serait-il si, comme en 2005, aucune poursuite n'avait été engagée ? A l'époque, il n'y en avait pas eu de la part de l'État, alors que la sécurité alimentaire était en jeu. Des contrôles ont lieu, la DGCCRF fait des rapports qui déclenchent certaines actions, par exemple contre Amazon ou Apple. Mais sur une question de santé, silence radio. L'État aurait-il agi lui-même si nous ne l'avions pas fait, et prendra-t-il position ? C'est une question que nous avons posée. Dans cette affaire, c'est l'intégralité des processus de sécurité sanitaire de l'agro-alimentaire qui sont en cause. Il s'agit d'un déficit systémique. Les mesures annoncées ces dernières semaines ne sont pas de nature à le résoudre. M. Le Maire avait convoqué les distributeurs pour trouver des solutions pour procéder aux retraits de façon efficace. La seule mesure annoncée concernait les codes-barres. Mais on n'est pas capable d'identifier des numéros de lots dans des codes-barres.

Néanmoins, il faut aussi dire ce qui a fonctionné. Heureusement, nous avons un système d'alerte sanitaire qui a permis le retrait des huit premiers lots. La Société française de pédiatrie a fait son travail sur la substitution des produits et permis à des parents de savoir que faire, dans l'urgence. Qu'on imagine leur panique quand, au milieu de la nuit, ils découvrent qu'ils n'ont rien d'autre que du lait contaminé pour nourrir leur enfant !

En revanche, sur les contrôles et autocontrôles, nous n'avons pas de réponse de l'État. C'est un gros problème. Comment se fait-il que, pendant dix ans, des autocontrôles positifs ont eu lieu dans l'entreprise et que l'État n'en ait jamais informé le public ? A vrai dire, je ne sais pas s'il en avait connaissance. Il semblerait que non. Dans ce cas, qu'il le dise. M. Dehaumont a indiqué qu'en 2011, en 2012, en 2013, il y a eu des autocontrôles positifs, y compris sur des produits, dont il n'aurait eu connaissance que cette année. La loi impose la transparence sur les autocontrôles positifs sur les produits. Ces produits ainsi contrôlés ont-ils été mis sur le marché ? Les parents qui ont nourri leurs enfants avec ces produits contaminés par la salmonelle sont aussi des victimes, et ils aimeraient le savoir. Que des contrôles aient lieu sans que les résultats soient connus pose la question des moyens de l'inspection vétérinaire et de la DGCCRF, la question aussi de ce que j'appellerai la chaîne de commandement. Qui décide d'aller inspecter tel ou tel lieu dans l'entreprise, et à tel moment ? Aujourd'hui, ce n'est plus la responsabilité d'une direction spécifique, mais du préfet.

D'autre part, quand nous interrogeons les services de l'État, nous n'avons aucune réponse. On nous renvoie d'un ministère à l'autre : la direction générale de l'alimentation (DGAL) nous oriente vers la DGCCRF, laquelle nous dit que c'est l'affaire de la DGAL. Il y a pourtant une unité de l'État. Les services communiquent entre eux. Les victimes ont droit de poser des questions et d'avoir des réponses. Je tiens à votre disposition la liste des questions posées aux ministres et aux directions concernées qui n'ont à ce jour aucune réponse écrite. Les ministres avaient fait des promesses qu'ils n'ont pas tenues, de répondre par écrit. Ce sont des questions simples : Quels sont les contrôles menés par l'État ? Comment se fait-il qu'on ne sache pas d'où provient cette bactérie dans l'usine où elle a été repérée en 2005 ? Qu'en est-il des mesures de retrait ? Nous touchons au problème plus général que le nôtre, de la réponse de l'État aux victimes. Il n'est pas acceptable que les ministères se renvoient la balle. Avoir un interlocuteur unique nous faciliterait les choses et nous permettrait peut-être d'avoir des réponses face à un tel scandale.

Lactalis est le premier responsable, et des procédures sont en cours pour que la société s'explique. Mais dès les premières semaines, nous lui avons tendu la main, pour qu'elle ne perde pas complètement la confiance de ses clients, des consommateurs, mais puisse présenter des excuses aux familles. Nous avons été plus que responsables et nous avons fait preuve de réserve, malgré des prises de position parfois colériques, et un peu sanguines, disons-le comme cela. On nous a méprisés : Lactalis nous a renvoyés à des avocats, sans donner – et jusqu'à ce jour – des réponses à des questions simples. On nous a utilisés à des fins de communication pour redorer le blason de l'entreprise. Celle-ci s'est épanchée dans les journaux pour présenter des excuses sans reconnaître en rien sa responsabilité. Mais dans cette même presse, à aucun moment elle n'a communiqué sur les retraits de produits. Cette entreprise est, au moins irresponsable, et certains diraient même que c'est une entreprise « voyou ».

Les familles, vous le comprendrez, s'en défient. Ce n'est pas un geste anodin que d'appeler au boycott de produits de ce groupe. Nous l'avons fait, à l'égard d'une entreprise qui manipulerait des résultats d'analyse, qui ne donnerait pas tous les éléments en sa possession, qui ment effrontément : quand elle se contredit d'un communiqué à l'autre sur les causes de la contamination, elle ment. Pendant plus de douze ans, des produits dangereux ont été mis en circulation. Je l'affirme sans crainte, car cela a été dit aussi par l'État et par l'Institut Pasteur. Les citoyens n'ont plus confiance. Il s'agissait certes d'un fleuron de notre industrie agroalimentaire. Aujourd'hui, c'est une entreprise française dont nous pouvons avoir honte. M. Besnier, dirigeant de cette entreprise, a une responsabilité. S'il l'assumait, il démissionnerait immédiatement pour sauvegarder l'entreprise, ses salariés et l'image de toute une filière, y compris les éleveurs, qui ont pu être accusés à tort. Il y a matière à enquêter sur les responsabilités des uns et des autres.

Enfin, je me permets de mentionner un aspect qui relève de l'actualité. Si la loi sur le secret des affaires, qui a été votée, avait déjà été en vigueur quand le scandale est arrivé, il n'aurait pas pris cette ampleur. Par exemple, l'arrêté pris par le préfet de la Mayenne en décembre 2017 n'aurait pas été rendu public, puisqu'il donnait des éléments sur l'entreprise et ses contrôles internes dont elle aurait fait valoir qu'il s'agissait d'informations confidentielles. On aurait – peut-être pas, certes – interprété les textes…

Je vais essayer de compléter mes réponses aux questions que vous avez posées en introduction. Sur le recensement des bébés victimes, j'ai répondu, et je l'ai fait en partie sur la prise en charge. J'ajoute que, dans un tel cas, les consignes données par le ministère aux praticiens de santé sont très importantes. Un certain nombre de pédiatres – pas tous, loin de là – ont pu conclure qu'en cas de diarrhée, une coproculture n'était pas nécessaire, non plus que de s'interroger sur d'autres éléments qui, finalement, indiquaient une salmonellose quand on allait chez un autre praticien, ou un autre hôpital. Peut-être nous, les victimes, attendons-nous beaucoup de l'État ; en tout cas nous attendons qu'il tienne son rôle dans ce type de scandale, qu'il soit en quelque sorte un garde-fou devant les agissements d'une entreprise comme Lactalis. Nous restons un peu sur notre faim.

S'agissant des actions de notre association, nous avons ouvert une boite mail mi-décembre, qui nous a permis de recueillir des témoignages faisant apparaître d'autres éléments. Nous sommes aujourd'hui à plus de 5 000 courriels, que nous avons traités nous-mêmes. Ils permettent de connaître l'état de santé des enfants. Si nous avons eu des cas critiques dans le passé, ce n'est plus le cas à l'heure où je vous parle. Je ne peux pas m'avancer, mais dans des cas très critiques, le pronostic vital était en jeu.

L'action principale de l'association consiste à diffuser à l'information et à rectifier les informations fausses qui circulent. Nous accompagnons les parents dans les démarches de santé – savoir qu'il y a un spécialiste près de chez soi – et les dépôts de plainte. Mais nous restons une petite association sans permanent, sans salarié, animée seulement par des bénévoles qui ont un travail et une famille. Vous comprendrez que les familles de victimes exercent une pression exigeante. Je vous demande d'en tenir compte en estimant notre action et aussi notre façon de l'exposer.

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Merci pour la clarté de votre exposé et pour votre esprit de responsabilité. Chacun peut comprendre la souffrance des familles et donc admirer ce comportement responsable et serein face à ce que vous considérez comme une absence de réponse, une forme d'incompréhension et d'injustice et face aux risques à venir.

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D'abord, quelle est la qualité de l'information donnée sur les numéros verts de téléphone mis à la disposition du public ? Quel est le niveau de formation des téléopérateurs, diffusent-ils un message tout fait – le savez-vous ou pourrions-nous essayer de le savoir ? Sont-ils payés par l'entreprise ou par l'État ?

Ensuite, les autocontrôles sont-ils réalisés en interne ou confiés à un laboratoire extérieur ? Dans ce cas n'a-t-il pas obligation de transmettre aux services de l'État les éléments de risque qu'il décèle ? Dans le Finistère, dont j'ai été conseiller départemental, nous avons dû défendre les laboratoires publics soumis à forte concurrence. Ils sont regroupés dans une association nationale. On pourrait éventuellement les interroger.

Enfin, comment se fait-il que Lactalis ait continué à produire dans ces conditions douteuses depuis 2005 ? Le scandale a éclaté en 2017, mais on imagine un nombre de victimes potentielles bien plus important.

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

Il est très difficile de savoir qui est au téléphone sur une plateforme. Nous savons que, du 2 au 9 décembre, un seul numéro vert était en service, celui de Lactalis, avec des opérateurs payés par l'entreprise, ce qui pose un problème d'impartialité, car minorer ce qui passait était un enjeu pour elle. Avoir conseillé de détruire les boîtes de lait alors que c'est la seule façon de retrouver le numéro de lot est un élément à charge. Le niveau de technicité des personnes qui répondent est extrêmement limité. La réponse était : Il n'y a pas de problème de santé grave, et si vous avez un doute, allez consulter un spécialiste. À partir du 9 décembre, un deuxième numéro vert a été mis à la disposition du public par la direction générale de la santé (DGS) – on peut d'ailleurs se demander pourquoi. Les ministères ont renvoyé vers les deux. Au numéro de Lactalis, les personnes qui répondaient étaient ses salariés, dont ceux de l'usine où la production était arrêtée et qui n'avaient rien à faire si l'on peut dire. Au numéro de la DGS, ce sont des personnels du ministère de la santé dont je ne sais pas quelle est la compétence réelle – était-ce des médecins ? Les réponses n'étaient pas plus techniques ni bien différentes.

Les autocontrôles sont réalisés en interne chez certaines entreprises, d'autres choisissent de les externaliser. C'est le cas de Lactalis qui fait appel comme prestataire à un gros laboratoire européen. Celui-ci fait les analyses sur la base d'une réglementation et d'un plan de charge qu'on lui donne. Néanmoins, la responsabilité de l'autocontrôle revient exclusivement à l'entreprise qui produit, en l'occurrence Lactalis, qui donne ensuite son plan d'action. Elle fournit les échantillons pour analyse au laboratoire, qui n'a pas d'autre élément. Il a néanmoins une obligation, celle de communiquer aux autorités tout élément pouvant mettre en danger la santé des consommateurs.

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Puisqu'il a cette obligation, le laboratoire de Lactalis a-t-il réagi ?

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

D'après ce que j'en sais, cela n'a pas été fait. En tout cas, on ne l'a pas dit. Il faudra le leur demander. Selon un témoignage anonyme paru dans la presse, Lactalis faisait refaire systématiquement les contrôles sur le même échantillon. Or, semble-t-il, cela demande une technique très particulière dont peu de laboratoires disposent et la première analyse dénature l'échantillon, empêchant de retrouver ensuite des traces de contamination. En tant que parents, bien entendu, une de nos premières réactions a été de vouloir faire analyser le lait donné à nos enfants. Mais c'est pour l'essentiel réservé aux professionnels. Très peu de laboratoires sont en état de procéder à ce type d'analyse pour des particuliers, c'est extrêmement cher et fiable seulement à 30 %. Comment est-ce alors possible pour les entreprises de faire des analyses fiables ? Nous nous sommes posé la question.

Ce dont nous parlons, ce sont des autocontrôles. Les contrôleurs de la DGCCRF, avec qui je me suis entretenu, disent que les services de l'État font très peu de contrôles sur des échantillons. Ils se font plutôt sur les résultats d'autocontrôle de l'entreprise, dont celle-ci leur fournit une liste. Mais ils font très peu de prélèvements et même de moins en moins étant donné les moyens dont ils disposent. J'ai demandé s'il y en avait eu chez Lactalis dans les dix dernières années, on ne m'a pas répondu. En 2005 dans cette entreprise, qui s'appelait alors Celia et a été rachetée par Lactalis en 2006, il y avait eu une contamination par la salmonelle et 135 bébés avaient été touchés, puis 25 enfants l'ont été par une salmonelle de la même souche entre 2005 et 2017, aux dires de l'Institut Pasteur qui a fait les vérifications. Cette bactérie ne serait donc pas sortie de l'usine, et l'affaire qui nous occupe ne commence donc pas en 2017 mais en 2005. Le directeur général de l'alimentation dit lui-même que certains produits étaient positifs à l'autocontrôle dans cette même période. Ne disposant pas de plus d'informations à cette heure de la part de l'État qui semble en disposer, nous avons saisi la commission d'accès aux documents administratifs pour les obtenir.

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Lors des contrôles dans les entreprises, on fait quelquefois un test comparatif entre un nouveau prélèvement et l'échantillon qui a servi à l'autocontrôle et en cas d'écart on en cherche les causes – l'étalonnage des machines ou leur contamination par exemple.

Mais je reviens sur le nombre précis de victimes. Selon Santé publique France, 38 nourrissons ont été contaminés, dont 16 garçons et 22 filles, entre la mi-août et le 2 décembre. 18 ont été hospitalisés et, d'après l'avis rendu par le groupe de pathologies infectieuses de la Société française de pédiatrie le 24 janvier, aucun suivi médical particulier n'était utile. Mais votre association a déclaré que, en dehors des cas non-diagnostiqués, elle avait une dizaine de cas répertoriés avec des tests positifs et a souligné des problèmes de rechutes et de complications pour les bébés contaminés dont les défenses immunitaires ont été fragilisées. Par ailleurs, vous annonciez récemment que des centaines de plaintes allaient arriver. Selon ce que vous venez de nous dire, la différence importante dans les estimations du nombre de victimes est due à l'absence de tests de coproculture. Est-il maintenant trop tard pour réaliser ces tests pour les bébés dont vous estimez qu'ils présentent des complications ou des séquelles, afin d'en identifier la cause ? Ensuite, pensez-vous que le nombre de victimes aurait été sensiblement le même ou plus important si les tests de coproculture avaient été réalisés lors d'une suspicion de contamination ?

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

Ce sont là des questions complexes, que, bien sûr, nous nous sommes posées. A propos de tests comparatifs que vous mentionnez, nous avons demandé combien d'échantillons, de tests, de contrôles ont été réalisés par les services de l'État dans cette entreprise entre 2005 et 2017. La contamination de bébés en 2005 aurait dû entraîner ensuite des contrôles renforcés. Or l'État découvre, de son propre aveu, qu'il y a eu des autocontrôles positifs sur des produits entre 2005 et 2017.

Sur le nombre d'enfants, certains chiffres sont sûrs même s'ils sont, à mes yeux, des minima. En 2005, plus de 130 enfants ont été contaminés par la même bactérie qu'aujourd'hui dans cette usine, qui appartenait alors à un autre groupe. Rachetée par Lactalis en 2006, elle a continué à produire des laits infantiles. Selon les dires de l'institut Pasteur, au moins 25 enfants ont contracté une salmonellose issue de la même bactérie, toujours présente dans l'usine, entre 2005 et 2017. S'y ajoutent les 38 cas signalés par Santé publique France entre août et décembre 2017 – chiffre qui pourra évoluer, car les délais d'étude sont longs. Ainsi, huit cas diagnostiqués début décembre dataient de plusieurs mois auparavant. Il peut donc en venir après.

Mais aujourd'hui, on ne peut plus faire d'analyse sur des enfants ayant présenté des symptômes il y a quelque temps. Il faut les mener quand les premiers symptômes se font jour ; ensuite, les tests sont de moins en moins fiables. Aucun ne l'est d'ailleurs à 100 % : une coproculture négative quinze jours après les symptômes ne garantit pas que l'enfant n'a pas contracté une salmonellose. Beaucoup de parents ont signalé des cas où l'enfant a une salmonellose, mais aucun sérotype n'ayant été fait, on ne peut prouver que le lait en est l'origine. C'est en ce sens que je parlais de 200 malades à la mi-janvier. Ces enfants ont eu tous les symptômes d'une salmonellose, mais elle n'a pas forcément été diagnostiquée. Les symptômes sont une diarrhée aiguë, des selles à l'odeur très spécifique, des vomissements, de la fièvre pendant plusieurs semaines. C'est d'ailleurs cette durée qui déclenche la décision de faire une coproculture, car on se rend compte que la maladie n'est pas virale et n'est pas une simple gastroentérite. Ces tests ne sont ni compliqués ni cher, mais les personnels de santé n'ont pas l'habitude d'y penser.

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Est-ce que ces tests peuvent être réalisés à domicile ?

Surtout, la suspicion me semble devoir s'exercer sur toute la chaîne. On contrôle des produits, on parle d'hygiène aux familles, mais ne pourrait-on aussi contrôler les matières premières, l'environnement de l'usine, les matériaux utilisés ?

Quant à la distribution, si les codes-barres ne suffisent pas à identifier les lots qu'on veut retirer, avez-vous d'autres pistes, ou est-ce une préoccupation que nous pourrions prendre à notre compte ?

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

Non, on ne peut faire ces tests à domicile, il faut aller en laboratoire pour procéder à une culture.

Sur les contrôles, la réglementation est très technique et prise au niveau européen, avec ensuite transcription nationale. Il y a déjà des autocontrôles, non seulement sur les produits mais aussi sur l'environnement. D'ailleurs, Le Canard Enchaîné a indiqué, au moment de la crise, que des autocontrôles positifs avaient été effectués dans l'environnement de production, non pas directement dans les tours de séchage, mais peut-être lors du conditionnement ou du nettoyage. Des autocontrôles positifs avaient eu lieu dans l'usine en septembre et en novembre, et l'inspection vétérinaire qui était venue entre temps, en octobre, n'avait rien signalé. Au terme de multiples échanges, il s'avère que les autocontrôles positifs dans l'environnement ne font pas forcément l'objet d'une communication à l'État, c'est seulement pour les produits que cette obligation existe. Il y a quelques semaines, M. Stéphane Travert, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, a dit qu'il souhaitait utiliser le texte issu des états généraux de l'alimentation pour instaurer une obligation de communication également pour l'environnement. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) indique d'ailleurs qu'à partir du moment où la salmonellose est présente dans l'environnement, il y a beaucoup de chances qu'elle arrive dans les produits. Il y a donc une situation à améliorer. Il semble que dans cette entreprise, les autocontrôles positifs sur l'environnement étaient récurrents, sans que personne n'en soit informé. Nous avons demandé ce que l'entreprise a mis en oeuvre pour remédier au problème après ces autocontrôles positifs : fermait-on la chaine de fabrication ? Renforçait-on les contrôles sur les produits qui en étaient sortis pour vérifier qu'ils n'étaient pas contaminés ? Pour l'instant, nous n'avons pas les réponses.

Les codes-barres actuels ne permettent pas d'identifier le numéro de lot, mais une marque et un produit. Seule la technologie RFID, soit Radio Frequency Identification, le permettrait. Mais le coût est un obstacle. Cela étant, les grandes enseignes procèdent chaque jour à des dizaines de retrait de lots : la situation n'a rien de nouveau pour elles. De discussions avec les associations de consommateurs, il ressort que des produits ont été retirés des rayons puis remis quelques jours plus tard, alors qu'ils étaient censés être retirés du marché, par exemple cela a été le cas des détecteurs de fumée. Dans le dernier scandale en la matière, le jambon contaminé par la listeria, on retrouve des éléments comparables : un manque d'information, des produits toujours en rayon. Il faut donc trouver d'urgence une solution pour que les grandes enseignes et tous les commerces trouvent le moyen de retirer des rayons de façon systématique les produits visés. C'est aux commerçants de le faire. À titre de comparaison, quand on se présente à une caisse et que le code-barre ne passe pas, la caissière appelle le chef de rayon et il arrive à faire passer le produit.

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L'un des objectifs de la commission d'enquête est justement d'avancer des solutions pour que ce genre de choses ne se reproduise plus. Les pistes que vous indiquez et d'autres sont essentielles et nous essaierons de les faire adopter au niveau réglementaire ou législatif.

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Quel est l'état de santé des enfants, en particulier ceux qui peuvent souffrir de séquelles graves ? Votre association a-t-elle mis en place un suivi particulier et est-elle aidée pour cela ?

D'autre part, en janvier 2017, vous avez adressé une trentaine de questions à différents acteurs. Vous avez cité des cas où vous n'aviez pas eu de réponse. Mais vous en avez bien obtenu certaines. Pouvez-vous nous en faire part ?

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

D'abord, heureusement, les enfants vont mieux, pour ce que nous en savons. Il y a eu des cas où le pronostic vital était engagé, d'autres qui ont nécessité plusieurs hospitalisations successives – un des symptômes de la maladie est un rétablissement suivi d'une nouvelle crise. Certains enfants ont reçu des antibiotiques pour éviter que la bactérie passe de l'estomac à d'autres organes. Mais il n'y a pas de traitement réel. À notre connaissance, plus aucun enfant n'est hospitalisé. Il existe des doutes et des enquêtes sont en cours.

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Qu'en est-il du suivi dans le temps des enfants malades ?

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

Comme je le disais en introduction, cela reste un des sujets de friction avec la ministre de la santé. A la suite de l'avis de la Société française de pédiatrie, elle a décidé qu'il n'y aurait pas de suivi des enfants contaminés. Selon nous, il est nécessaire de connaître l'état de santé de ces enfants.

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C'est une question que nous lui poserons quand nous l'auditionnerons.

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Avec quels ministères – voire ministres – avez-vous discuté ? Et ce que vous avez appelé les non-réponses à vos courriers recouvre-t-il une absence de réponse ou une réponse qui n'est pas celle que vous attendiez ?

Vous indiquez que des contrôles positifs ont eu lieu depuis plus de dix ans sur certains produits. Nous n'avons pas ces éléments. Pouvez-vous nous les fournir ou au moins nous indiquer les sources ?

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

Nous avons rencontré directement à la mi-janvier, M. Le Maire et Mme Buzyn. Nous leur avons alors remis des questions auxquelles, nous a-t-il été dit, il serait répondu par écrit. À ce jour, nous n'avons de réponses ni écrites ni orales. Le même jour où nous avons vu ces deux ministres, M. Travert n'était pas disponible ; nous avons rencontré son administration et posé les mêmes questions, sans plus de réponses. Fin janvier, nous avons revu l'ensemble des administrations concernées et nous avions alors des questions plus précises. À mesure que l'affaire se développait, nous avions plus de questions que de réponses à nos questions. Nous avons rencontré Santé publique France, l'ANSES, la DGS, la DGAL, ensemble dans une même salle. Parmi nos questions, il en était une aussi que je n'ai pas encore signalée : d'autres produits que des laits infantiles sortaient-ils de l'usine de Craon ? Nous avons trouvé, tout simplement sur internet, la fiche technique d'une poudre de lait Président, qui, semble-t-il, serait fabriquée à Craon mais n'a pas été retirée du marché. Les ministères semblaient avoir connaissance du fait, mais n'ont pas souhaité répondre. Sur la fréquence des contrôles et leur type, nous n'avons pas eu de réponse non plus.

Le fait qu'il y ait eu des autocontrôles positifs entre 2005 et 2017 est public : il figure dans le compte rendu de l'audition de M. Dehaumont au Sénat. Il indique qu'en 2017, Lactalis a révélé à la DGAL qu'il y avait eu des contrôles positifs entre ces dates, notamment en 2011, 2012 et 2013. Découvrant cela quelques jours après notre rencontre avec la DGAL, nous sommes un peu tombés des nues ! Nous avons demandé plus d'information à M. Dehaumont par mail : de quel type de salmonelle s'agissait-il ? Ces produits avaient-ils été mis sur le marché ? On nous a répondu par un refus de nous transmettre ces informations, ce qui a motivé notre décision de saisir, hier, la CADA. Et nous saisirons la justice administrative s'il le faut.

Une constante tout au long de l'affaire a été cette difficulté d'obtenir l'information. Je mentionnais l'arrêté du préfet de la Mayenne : c'était alors le seul document mentionnant qu'il y avait eu des contrôles positifs dans cette usine et c'est sur cette base qu'il faisait fermer l'usine. Cet arrêté n'a été rendu public que vingt jours plus tard, car un journaliste a appelé le préfet pour lui dire qu'il était dans l'illégalité. Nous-mêmes avions demandé la publication de cet arrêté aux services du préfet qui nous l'ont refusé. Et il y a bien d'autres cas pour illustrer cette difficulté d'accès à l'information, surtout quand on se trouve dans une procédure juridique. Mais pour l'instant, s'il y a un secret de l'enquête, il n'y a pas de secret de l'instruction dans cette affaire, puisqu'on n'a pas nommé de juge d'instruction. Les gens sont donc libres de communiquer les informations qu'ils détiennent.

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Je vous remercie de nouveau de votre franchise et de la sérénité de vos propos. Je voudrais rassurer votre association et les familles sur le rapport que je rédigerai. L'ensemble des auditions, le président Hutin et moi-même en sommes d'accord, se dérouleront sans tabou. Nous n'hésiterons pas à poser toutes les questions. Ce rapport n'aura aucun aspect politique et il ne se préoccupera pas des conséquences financières. Il sera totalement impartial et je ferai tout pour qu'il apporte le maximum de clarté.

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Je vous remercie à mon tour d'avoir exposé de façon claire et responsable cette affaire, qui vous a touché personnellement, touché un certain nombre de familles et, comme vous l'avez dit, probablement beaucoup plus qu'on ne le croit.

Nous serons intransigeants. Je ne lâcherai rien, nous ne lâcherons rien. Nous avons décidé d'auditionner l'ensemble des personnes concernées par cette affaire. Les trois ministres viendront en dernier, le ministre de l'économie, la ministre de la santé et le ministre de l'agriculture, que je voyais hier et qui a demandé lui-même à être auditionné. Nous en parlerons avec M. le rapporteur, mais je ne vois pas pourquoi ne pas auditionner aussi la ministre de la justice. Les scandales sanitaires, actuellement, ne sont de la responsabilité de personne. Dans le cas de l'amiante, auquel je m'intéresse, il n'y avait pas de responsable, pour le lait contaminé non plus. Il n'y a même pas de juge d'instruction. Il y aura des conséquences sur la santé : il n'y a pas eu mort d'enfants, mais certains d'entre eux vont souffrir encore. Et cela aurait pu être dix fois plus grave. Mais peut-être découvrira-t-on dans les années qui viennent des gens malades, avec de grandes difficultés, mais qui n'auront pas été répertoriés.

S'agissant de la santé et des scandales sanitaires, le législateur a un énorme problème. La loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon », exonère les élus et l'ensemble des responsables de tout. Il faut faire la preuve d'une exposition définie pour obtenir une forme de réparation. A mes yeux, le législateur doit s'en emparer.

Deuxième sujet d'importance, le retrait des produits, du talc Morhange hier au lait contaminé aujourd'hui. Comment se fait-il qu'on ne puisse y procéder avec une efficacité absolue ? Je pensais que le code-barre permettait de retirer ce qu'on voulait des rayons. Nous en parlerons dans le rapport, mais il faut trouver une solution pour qu'un produit considéré comme dangereux puisse être retiré rien qu'en passant le code-barre.

Ensuite, il y a les autocontrôles. Nul doute que si les hommes politiques faisaient des autocontrôles, ils se trouveraient formidables ! Une journaliste de France Inter avait fait un très bon reportage sur l'autocontrôle. En gros, on peut avoir de la salmonelle dans l'usine, tant que cela reste dans l'usine, on n'est pas obligé d'en parler. On n'a à le faire que si le problème sort de l'usine. Ce n'est plus possible, les pouvoirs publics doivent intervenir.

Enfin, le dernier sujet est le suivi. Il est inadmissible que, dans une affaire comme celle-là, les enfants concernés ne soient pas suivis à long terme. Mme la ministre de la santé est professeur de médecine, elle comprend, et j'espère que son sentiment sera identique. Même si l'on identifie 250 à 300 enfants, le minimum que l'État puisse faire, c'est de les faire suivre médicalement dans les vingt ans à venir.

Les scandales sanitaires, le retrait des produits, les contrôles, le suivi, voilà qui entre dans le champ et les possibilités d'action de notre commission d'enquête.

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

Je vous remercie de nous avoir auditionnés, et de l'avoir fait en premier. Je pense que c'est utile pour dessiner le contexte. Merci surtout de votre écoute. Le seul fait que vous ayez créé cette commission d'enquête est très important pour les familles afin d'avoir des réponses à des questions qui restent posées, et de tirer des enseignements. Et je me permets d'insister là-dessus : l'information au public est aussi un vrai problème.

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Excusez-moi d'ajouter un mot en toute fin de séance. On a parlé du code-barres EAN – acronyme d'European Article Numbering. Celui que la caissière passe devant sa machine est un code EAN 13, qui ne reprend pas seulement les informations sur le produit, mais aussi sur le pays, et comporte une clé de vérification. Il en existe d'autres qui donneraient le numéro de fabrication, la date, etc. On peut créer un autre code-barres, qui sera un code-barres traceur, mais c'est une réalité dans certaines entreprises, par exemple une obligation faite à des sous-traitants, pas aux vendeurs. Ensuite, pour toutes les entreprises, notamment agroalimentaires il existe des plans de maîtrise sanitaire, dans lesquels on décrit la procédure de rappel et de retrait des produits ainsi que la procédure d'alerte – quels média utiliser, radio, presse écrite, numéro vert. Mais c'est une obligation de l'entreprise et c'est à elle de déclencher ce plan.

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Le flashcode ne pourrait-il compléter, à moindre prix, le code-barres EAN ?

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On peut l'utiliser uniquement pour des données de stockage, par exemple sur une palette de produits qui arrive en magasin, on va scanner et référencer les lots. Donc quand on a une liste de lots à rappeler, on peut savoir ce qu'il y a en magasin. Mais le code-barres sur chaque emballage, pour la caisse, est différent.

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Ce sont des aspects techniques qui sont intéressants pour notre rapport. Je vous propose d'en reparler entre nous.

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Quentin Guillemain, président de l'Association des familles victimes du lait contaminé aux salmonelles

Je ne sais pas si vous allez auditionner l'Ordre des pharmaciens. Mais des pharmaciens ont été pris la main dans le sac à revendre des produits retirés du marché, y compris lors de la deuxième série de contrôles de la DGCCRF. La présidente de l'Ordre est tout à fait d'accord pour sanctionner de telles violations de l'éthique professionnelle. Simplement, elle n'est pas en état de le faire car les procès-verbaux établis par la DGCCRF ne lui ont pas été communiqués et l'État ne souhaite pas qu'ils lui soient transmis. Cela nous pose problème.

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Nous allons auditionner le Conseil de l'Ordre et probablement les syndicats de pharmaciens, et nous reviendrons sur cette question. Mais je l'ai dit, nous ne reculerons devant rien. Ainsi le président de Lactalis tend à se faire rare ; le président Hutin a le pouvoir de le faire venir. Nous auditionnerons les patrons des grandes enseignes de distribution, M. Bompard, M. Leclerc, le patron d'Auchan et pas seulement les directeurs de la communication. Vous pouvez rassurer les familles. Notre commission sera juste et assumera les responsabilités qui sont les siennes dans le cadre de la République.

La séance est levée à quinze heures cinquante.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 5 avril 2018 à 14 heures

Présents. - Mme Géraldine Bannier, M. Grégory Besson-Moreau, M. Christophe Di Pompeo, Mme Séverine Gipson, M. Christian Hutin, Mme Frédérique Lardet, M. Didier Le Gac, Mme Graziella Melchior, M. Boris Vallaud, M. Arnaud Viala

Excusés. - Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Caroline Janvier, Mme Laurence Maillart-Méhaignerie, M. Bruno Questel, M. Richard Ramos