Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 16 mai 2018 à 16h30

Résumé de la réunion

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  • fausse
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  • presse
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La réunion

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Mercredi 16 mai 2018

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 16 h 40.

I. Nomination de rapporteurs

Sur proposition de la Présidente Sabine Thillaye, la Commission a nommé rapporteurs d'information :

M. Pieyre-Alexandre Anglade (LaREM), pour le rapport d'information portant observations sur les propositions de loi organique et proposition de loi relatives à la lutte contre les fausses informations (nos 772 et 799) ;

M. Thierry Michels (LaREM), pour le rapport d'information portant observations sur le projet de loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel (n° 904).

II. Présentation du rapport d'information portant observations sur les propositions de loi organique et proposition de loi relatives à la lutte contre les fausses informations (nos 772 et 799)

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L'interruption des travaux de l'Assemblée ne nous avait pas permis de procéder plus tôt à la désignation du rapporteur pour observations et je remercie M. Pieyre-Alexandre Anglade d'avoir bien voulu établir son rapport dans des délais très contraints.

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Ce rapport d'observations sur les projets de loi relatifs à la lutte contre les fausses informations témoigne de ce que notre Commission peut apporter une dimension européenne au débat qui va s'ouvrir à l'Assemblée nationale. C'est une pratique qu'il faut poursuivre pour de nombreux sujets.

Toutes les informations ne se valent pas. Ce constat ne date pas d'hier, mais ce qui est nouveau en revanche, c'est la caisse de résonance que constitue Internet. Aujourd'hui, pour 40 000 euros, vous pouvez lancer des opérations de propagande politique sur les réseaux sociaux ; pour 5 000 euros, vous pouvez acheter 20 000 commentaires haineux ; et pour 2 600 euros, vous pouvez acheter 300 000 followers sur Twitter. À ce prix-là, des sites entiers, des pages Facebook, des fils Twitter colportent des fausses informations et sèment le trouble dans l'esprit de nos concitoyens. Ce prix-là, c'est celui du passage dans l'ère de la post-vérité, où les fondations, les valeurs et l'avenir de notre vie démocratique sont plus que jamais menacés. Parce qu'à ce prix, la relation de confiance qui existe entre les citoyens et leurs élus se trouve sapée, et les populismes et complotismes de toutes sortes irriguent nos sociétés, dans un contexte de grands bouleversements économiques et sociaux, de divisions politiques marquées, de manque de confiance dans les institutions et de manque de sens pour l'Union européenne.

Derrière ces fausses informations, il y a parfois une véritable stratégie politique, financée parfois par des États tiers, visant à déstabiliser nos démocraties. Et l'Europe est en première ligne. Les exemples récents de périodes électorales déstabilisées ne manquent pas – au Royaume-Uni, en Catalogne et en Italie notamment – et l'origine géographique des fauteurs de trouble est souvent la même : le voisinage immédiat de l'Union européenne.

Face à cette guerre hybride qui expose les peuples européens à des peurs irrationnelles et à l'obscurantisme, la réponse se doit d'être globale et inclusive. Dans cette perspective, les propositions de loi que nous examinerons dans les semaines à venir visent à fournir des éléments de réponse, sachant qu'en période électorale en particulier, la frontière entre ce qui sépare l'opinion de sa manipulation est poreuse.

L'action des plateformes en ligne, sur lesquelles les fausses informations se répandent le plus vite, est à ce titre cruciale. Et les obligations de transparence que comprennent les propositions de loi seront un outil supplémentaire entre les mains de nos concitoyens pour savoir qui finance des contenus politiques sponsorisés, et dans quel but.

Mais j'estime que la réponse au problème de la désinformation ne peut s'arrêter aux frontières nationales. Le problème des fausses informations, global par essence, doit faire l'objet d'une réponse européenne commune, d'un socle commun sur lequel les États membres pourront s'appuyer pour leurs stratégies nationales. La récente communication de la Commission européenne est d'ailleurs prometteuse, dans la mesure où elle conserve sa capacité d'action européenne en cas d'insuffisance avérée des progrès effectués par les plateformes en ligne.

Par ailleurs, je propose au sein de mon rapport de renforcer les moyens et capacités d'action du Service Européen d'Action Extérieure (SEAE), et en particulier, de l'East Stratcomm task force. Ce groupe d'action, intégré au SEAE, s'attache à préserver les pays d'Europe centrale et orientale de toute forme d'ingérence extérieure, susceptible de saper la confiance des citoyens envers leurs institutions. La tâche de ce groupe d'action est cruciale, notamment pour assurer la cohésion au sein de l'Union européenne, à l'heure où certains partenaires d'Europe centrale peuvent constituer des proies faciles pour des acteurs cherchant à les déstabiliser. Il faudra élargir les compétences du SEAE dans ce domaine.

Mais, par-delà sa dimension européenne, la réponse à apporter aux fausses informations doit être inclusive et dépasser le seul stade de la répression. Toutes les sociétés, tous les pays, ne sont pas égaux face aux fausses informations. Le niveau d'éducation, la culture démocratique, les inégalités, jouent un rôle décisif dans leur degré de propagation. C'est donc aussi et surtout par l'éducation aux médias numériques que l'Union européenne peut lutter plus efficacement contre les fausses informations. C'est pourquoi je considère dans mon projet de rapport que le programme Europe Créative pourrait participer au financement des programmes nationaux d'éducation numérique et soutenir les projets menés dans ce sens par les ONG, les associations ou les start-up.

Par ailleurs, parmi les fragilités structurelles de nos sociétés, il en est une qui est particulièrement importante : c'est la transformation inachevée du secteur de la presse vers le numérique. Afin de maintenir la diversité des points de vue médiatiques et la promotion des médias garantissant l'authenticité des informations communiquées, il est de notre ressort de protéger et de valoriser le secteur de la presse. L'enjeu est considérable, puisqu'il s'agit de protéger le pluralisme des médias, la diversité d'opinion et leur corollaire, la liberté d'expression.

Dans cette optique, je formule deux propositions dans ce projet de rapport :

- d'une part, prolonger l'idée de la labellisation des contenus authentiques en s'appuyant sur la « Journalism Trust Initiative », initiée en avril par l'association Reporters sans frontières, afin d'identifier les médias respectant des principes déontologiques stricts dans la gestion de leurs informations ;

- d'autre part, soutenir l'idée d'une aide financière européenne au secteur de la presse, afin d'accompagner l'évolution du secteur vers le numérique. Cette transition n'est pas achevée, nous devons y travailler.

Le combat européen contre les fausses informations est crucial, surtout dans la perspective des échéances à venir. Les élections européennes qui se tiendront en 2019 doivent permettre aux Européens de choisir la forme que prendra l'Union européenne dans les dix ans à venir, à un moment où les désordres internationaux sont nombreux et où l'Union doit être une force politique. Or, l'accumulation de scrutins nationaux ainsi que la méconnaissance de nombreux citoyens sur ce que fait et ce qu'est l'Union européenne constituent un terreau favorable à la propagation de fausses informations, durant cette période électorale. Les institutions européennes doivent y travailler, à l'instar de ce que fait le Parlement européen. J'estime que le partage d'expérience et la lutte de tous les États membres contre les stratégies de déstabilisation du scrutin sont la condition sine qua non pour en garantir la sincérité. L'Union européenne est à un moment charnière de sa construction. La cohésion de l'Union européenne pour garantir la sincérité des scrutins ne se négocie pas. Dès aujourd'hui, la mobilisation nationale et européenne contre les fausses informations doit être entière, afin d'offrir à la vie démocratique européenne des lendemains sereins. C'est la condition d'un débat apaisé pour 2019.

Je vous remercie.

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Merci pour ce rapport très intéressant. Vous avez évoqué dans votre intervention la possibilité d'aides financières à la presse pour inciter les éditeurs de presse à renforcer leur offre numérique. N'y a-t-il pas un risque vis-à-vis du droit de la concurrence ? Pouvez-vous nous préciser sous quelles formes ces aides pourraient être versées par l'Union européenne ?

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Je remercie à mon tour le rapporteur pour sa présentation de la problématique des fausses informations. J'attire votre attention sur la prudence avec laquelle nous devons user de l'expression « fausses informations ». Il est parfois difficile de faire une distinction claire entre fausses informations, informations manipulées ou encore discours de propagande. Dans l'action politique, il est courant d'user d'exagérations ou de procédés polémiques que l'on pourrait facilement qualifier de « fausses informations ».

Lors d'une récente audition, M. Maurice Lévy, PDG de Publicis, a cité l'exemple des États Unis où une organisation professionnelle de journalistes a mis au point une procédure de « cotation » des médias et sites d'information sur internet. Les lecteurs sont ainsi informés de la qualité journalistique des informations présentées par tel ou tel organe d'information grâce à la présence de logos allant du rouge au vert selon la qualité des informations présentées. Serait-il possible de s'inspirer de cette expérience pour parvenir à une labellisation des sites d'information ou des médias ?

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Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen

J'ai écouté le rapporteur avec une grande attention et je regrette qu'il n'ait pas abordé la seule véritable question, à savoir les fausses informations sciemment diffusées par des États. Étant le représentant d'un des courants de pensée accusés de colporter de fausses nouvelles et d'encourager le populisme, il est assez logique que je ne partage pas l'analyse du rapporteur.

Lorsque j'évoque la question des fausses informations étatiques, je ne parle pas des méthodes de propagande des dictatures mais bien de pratiques courantes dans de grandes démocraties comme les États Unis qui, par exemple, sont entrés en guerre lors des six derniers grands conflits sur la base de fausses informations, manipulant délibérément leur opinion publique et leur pouvoir législatif. Faut-il rappeler la guerre hispano-américaine en 1898, l'entrée en guerre des États-Unis lors des première et deuxième guerres mondiales, la guerre du Vietnam que j'ai eu la naïveté de soutenir croyant qu'il s'agissait d'abord de lutter contre le communisme, ainsi que les deux guerres du Golfe, qui ont donné lieu à des manipulations grossières des opinions publiques occidentales ?

Pour prendre un autre exemple qui concerne la France, on pourrait citer les tirs de missiles en avril dernier, en coopération avec d'autres États pour réagir contre l'utilisation par l'État syrien d'armes chimiques prohibées, à l'encontre de sa propre population. On se demande pourquoi Bashar al-Assad, le Président syrien, utiliserait de tels procédés alors qu'il est en position de force depuis ses victoires contre Daesch. Une délégation russe à La Haye a récemment démontré que les prétendus enfants gazés, que les médias occidentaux ont montrés pour émouvoir les opinions publiques, n'avaient subi aucune blessure provenant d'armes chimiques.

L'Union européenne devrait plutôt protéger ceux qui ont payé un lourd tribut personnel à la manifestation d'informations dérangeantes, je veux parler d'Edward Snowden et de Julian Assange, contraints de se réfugier dans des Ambassades, alors que l'Union européenne aurait dû leur accorder l'asile politique. Cette attitude est une véritable honte pour l'Union européenne !

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Je ne doute nullement de votre culture historique mais je n'ai pas la même lecture que vous de certains faits que vous venez d'évoquer, au sujet des États Unis par exemple.

Je partage en revanche votre souci de tenir compte des fausses informations véhiculées par des puissances étatiques et, comme je l'ai indiqué, il me paraît important de renforcer les moyens d'action de l'Union européenne qui s'attache, grâce notamment à l'East Stratcomm task force, intégrée au Service Européen d'Action Extérieure, à préserver les pays d'Europe centrale et orientale de toute forme d'ingérence extérieure, susceptible de saper la confiance des citoyens envers leurs institutions.

Pour répondre à la question relative à la labellisation des médias et plateformes d'information, certaines initiatives ont déjà été prises comme par exemple en France où certains journaux, à l'instar du quotidien Le Monde ont mis au point un protocole pour évaluer le professionnalisme des moyens d'information en évaluant leur transparence, leur indépendance éditoriale et leurs méthodes d'investigation. L'ONG Reporters sans frontières a proposé de créer un label européen inspiré par les mêmes principes.

Concernant les aides financières pour encourager la presse à enrichir son offre numérique, il existe déjà des possibilités de soutiens via le programme « Europe créative » mais il faudrait renforcer les moyens de ce programme. Au-delà des aides matérielles à accorder aux moyens d'information pour les rendre plus robustes, il faut aussi travailler au plan pédagogique notamment à l'adresse des jeunes générations pour bien faire la distinction entre les différentes interprétations que l'on peut faire à partir d'un même fait et l'existence d'informations qui inventent ou altèrent les faits.

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Je remercie à mon tour le rapporteur pour sa présentation. Je voudrais vous faire part de mes inquiétudes sur le développement de ces fausses informations qui, pour une grande part, ne sont jamais démasquées et continuent à se répandre, poursuivant leur travail de sape. Vous proposez de labelliser les sites d'information, mais comment se prémunir contre certains labels qui risquent d'être fantaisistes ? Je voudrais vous interroger sur l'importance des fausses informations touchant au domaine économique ou de l'innovation. Avez-vous constaté des évolutions préoccupantes dans ces domaines ?

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J'ai apprécié l'équilibre de votre présentation, mais je ne partage pas votre recommandation relative à la presse qui devrait selon vous accélérer son passage au numérique. Je tiens à dire ici en tant qu'élue d'une zone rurale où la couverture internet n'est pas toujours de bonne qualité que l'offre de la presse papier doit être maintenue. Il faut diversifier l'offre éditoriale et contribuer à la solidité économique des organes de presse, sans chercher à renforcer les fractures générationnelles. Certaines catégories de populations sont très attachées à la presse papier et ne profiteront pas d'une offre tout numérique. La labellisation des contenus ne me parait pas une solution efficace, il faut plutôt contribuer à ce que des organes de presse diversifiés et payants puissent perdurer car le journalisme professionnel est le vrai garant de la qualité de l'information diffusée.

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Je voudrais évoquer la question des États étrangers qui soutiennent des organes de presse dans d'autres États pour accroître leur influence de manière indirecte. Comment appréhender cette réalité qui semble de plus en plus courante ? De même, certaines radios, comme Radio Sputnik, sont créées pour avoir une action de propagande à destination d'un public étranger. Faut-il chercher à encadrer de telles pratiques ?

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Je suis également très attaché aux journaux traditionnels sous forme papier. Cependant, la transition numérique offre un nouveau champ des possibles qu'il faut prendre en compte.

Le recours à un collège rassemblant des représentants de différents organes de presse devrait offrir la garantie nécessaire à la labellisation des nouvelles. La « Journalism Trust Initiative », lancée par Reporters sans frontières me semble donc offrir une bonne garantie en la matière.

Les menaces émanant de certains organes de presse, financés par des États à des buts de propagande sont difficiles à canaliser. Elles visent à déstabiliser les démocraties. La France a été la cible de telles menaces qui renvoient directement à la question de l'éducation des jeunes en matière de consommation des médias.

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Je m'interroge sur la distinction entre fausse nouvelle et manipulation de l'information. Comment se définit une fausse nouvelle ? Qui détermine si une information est une fausse nouvelle ?

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C'est le juge qui aura la charge de déterminer dans un délai de quarante-huit heures si une information est une fausse nouvelle, dans le cadre d'une procédure de référé. Selon la jurisprudence de la Cour de cassation, une fausse nouvelle se rattache à un fait précis et circonstancié qui n'a pas déjà été divulgué. Les contenus intentionnellement faux, qui circulent sur les plateformes numériques, dépassent largement la sphère des nouvelles non encore divulguées. C'est la raison pour laquelle le projet de loi a retenu la notion de « fausses informations » plutôt que celle de « fausses nouvelles ».

À l'issue du débat, la commission a autorisé la publication de ce présent rapport.

La séance est levée à 17 h 18.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Pieyre-Alexandre Anglade, Mme Aude Bono-Vandorme, Mme Typhanie Degois, Mme Marguerite Deprez-Audebert, Mme Valérie Gomez-Bassac, M. Alexandre Holroyd, M. Jean-Pierre Pont, Mme Sabine Thillaye

Excusés. - Mme Françoise Dumas, M. Michel Herbillon, M. Christophe Jerretie, M. Joaquim Pueyo

Assistait également à la réunion. - M. Bruno Gollnisch, membre du Parlement européen.