La réunion

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Jeudi 31 mai 2018

La séance est ouverte à onze heures trente.

Présidence de M. Jean-Carles Grelier, vice-président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête procède à l'audition du Commissariat général à l'égalité des territoires – M. Éric Lajarge, directeur adjoint de cabinet, M. Benoît Lemozit, responsable du pôle de l'égalité d'accès aux services publics et aux publics, M. Éric Briat, chef de service et adjoint au directeur de la ville et de la cohésion urbaine, M. Stephan Ludot, et Mme Clémence Bre.

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Notre commission reçoit M. Éric Lajarge, directeur adjoint du cabinet du commissaire général à l'égalité des territoires, et M. Éric Briat, chef de service adjoint au directeur du service de la ville et de la cohésion urbaine du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). Nous avions demandé à auditionner le commissaire général lui-même. Il est en effet convenable, et courtois, de se déplacer devant la représentation nationale lorsqu'une commission d'enquête parlementaire vous convoque. La Constitution donne au Parlement le pouvoir de contrôle sur l'ensemble des administrations, et le Commissariat général à l'égalité des territoires en est une.

Je précise que cette audition est ouverte à la presse.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes entendues déposent sous serment. Je vous demande donc de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

M. Éric Lajarge et M. Éric Briat prêtent successivement serment

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Je vous donne la parole pour une intervention liminaire.

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

J'entends bien ce que vous rappelez, monsieur le président, des pouvoirs du Parlement sur l'administration et je vous présente les excuses de M. le commissaire général, qui est aussi en charge de la préfiguration de la future Agence nationale de la cohésion territoriale.

Le CGET, qui a pris la succession de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (DATAR), a l'ambition de servir tous les territoires, et déploie son action dans les quartiers de la politique de la ville (QPV) comme dans les territoires ruraux. Il travaille de façon efficace avec le ministère des solidarités et de la santé, est en contact régulier avec ses services et plus encore en cas de crise et participe au pilotage de la stratégie nationale de santé. Le Commissariat a également autorité sur le réseau des secrétaires généraux pour les affaires régionales (SGAR).

Pour identifier les territoires carencés dont il est ici question, le CGET se fonde sur un indicateur, celui de l'accessibilité potentielle localisée (APL), qui met en relation le besoin de soins avec l'offre de temps médical disponible à l'échelle d'un territoire. C'est un progrès par rapport aux indicateurs antérieurs qui se fondaient sur la seule densité en médecins pour 100 000 habitants. Mais sans doute peut-il encore être amélioré. À partir de cet indicateur, le CGET a étudié les territoires les plus fragiles, qui sont en fait les communes isolées et les communes multipolarisées en bordure de métropole, qui ne bénéficient pas du « ruissellement » sanitaire. Entre ces territoires fragiles et ceux qui sont mieux desservis, entre deux France donc, l'écart s'accroît. Il s'ensuit que les bons indicateurs pour analyser les problèmes et définir une stratégie sont les indicateurs locaux, et non régionaux.

Néanmoins, pour compléter les indications que donne l'indicateur d'APL, il faudrait pouvoir faire une lecture prospective de l'évolution de la démographie médicale. On sait que l'âge moyen des professionnels de santé dépasse 50 ans et qu'un tiers d'entre eux ont plus de 60 ans. S'il était possible de les localiser, on verrait par exemple si les plus âgés sont concentrés dans les territoires carencés, ce qui aggraverait la situation de ces derniers. Mais on ne dispose pas encore d'un tel indicateur.

Le CGET souhaiterait pouvoir également tenir compte de l'impact des évolutions technologiques : on ne soignera pas demain comme on soigne aujourd'hui. L'accord signé en début d'année par Jacques Mézard, ministre de la cohésion des territoires, et par son secrétaire d'État, Julien Denormandie, avec l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et les opérateurs mobiles vise à accélérer la couverture numérique des territoires en très haut débit d'ici 2022. Il favorisera les nouvelles pratiques de soins en densifiant l'accès à la télémédecine.

Dans le cadre des travaux sur la politique de la ville auxquels le CGET a participé, une attention particulière a été portée à l'accès à la prévention en santé. Selon nous, les maisons de services au public (MSAP) pourraient, en plus de leur rôle commercial ou de relais du réseau postal, constituer des centres de premier recours, délivrer des informations sur le parcours de soins, les spécialités en accès direct ou encore les compétences des différents professionnels de santé. Une inspection des MSAP en cours permettra d'évaluer la possibilité de cette extension en santé.

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J'ai trois questions.

Quel est le point de vue du Commissariat général sur l'organisation de la santé sur le territoire ? On a souvent mentionné, dans le cadre de cette commission, les disparités de comportement d'une ARS à l'autre, en particulier à propos des communautés professionnelles territoriales de santé qui se créent. On a même évoqué un retour aux agences régionales de l'hospitalisation (ARH), qui ont précédé les ARS et développaient une stratégie de santé avec une structure administrative bien moins lourde.

Recourir à la télémédecine, oui sans doute. On en a parlé au vu de la démographie médicale et notamment pour les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD). Mais sachez que pour l'heure, dans plus de 10 % des communes de ma circonscription, le portable ne passe pas ! Aussi la télémédecine relève-t-elle, en l'état, du voeu pieux.

Enfin pour ce qui est de la prévention, qui vous semble importante, j'avoue mon étonnement. Sept départements ministériels gèrent chacun un petit morceau du budget qui y est consacré, sans se coordonner. Santé publique France regroupe une douzaine d'organismes, et chaque ARS a une direction générale en charge de la prévention. N'y aurait-il pas lieu de mieux organiser la gouvernance des actions de prévention au niveau national, en faisant de Santé publique France une agence interministérielle qui rendrait cette action plus efficace ?

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

Sur ce dernier point, le choix des opérateurs ne relève pas du ministère de la cohésion des territoires. Je ne peux donc qu'émettre un avis. L'objectif, en créant Santé publique France, était déjà de regrouper les opérateurs. Le but n'est pas atteint, mais on est sur le chemin…

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Il faudrait quand même que ce chemin mène quelque part !

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

On s'est engagé à travailler, pour 2022, sur d'ambitieuses améliorations de la gouvernance dans l'administration. Mais je ne sais pas si Thomas Cazenave, nommé délégué interministériel à la transformation publique, traitera de cet aspect. Dans ses travaux de préfiguration de l'Agence, le Commissariat général souhaite qu'il y ait une très forte simplification pour une meilleure réactivité des acteurs publics. On verra aussi comment M. Cazenave traite de la dispersion des responsabilités en ce qui concerne la prévention.

S'agissant de la télémédecine, j'ai fait référence à l'accord signé par le Gouvernement pour accélérer le passage au très haut débit. Le CGET sera un partenaire important de ce dispositif. C'est vrai, actuellement, l'accès au réseau n'est pas satisfaisant. Mais grâce à cet accord, le haut débit sera plus disponible et permettra de nouveaux usages du numérique. Dans ce cadre, l'accès aux soins sera un point privilégié. Comme le déclarait hier M. Mézard, c'est désormais au-delà de 2020 qu'il faut se projeter. Par exemple, la télémédecine dans les EHPAD – lesquels n'utilisent pas suffisamment les fonds d'intervention régionaux pour s'équiper, devrait s'ouvrir à toute la population résidant autour de l'établissement, pour procurer un service de télémédecine en ambulatoire.

Vous m'interrogez sur les ARS. Je me souviens effectivement qu'en 1996, lorsqu'après les ordonnances Juppé, on a créé l'ARH d'Alsace, c'est une équipe légère qui s'occupait de financement et d'aménagement. Aujourd'hui les ARS emploient des centaines de personnes et ont un poids bien différent. Sont-elles plus efficaces ? Il ne m'appartient pas de le dire.

On a changé de paradigme. Les ARS regroupent désormais les différents acteurs de la politique de santé, qu'ils dépendent de l'État ou de l'assurance maladie. Il est vrai que l'articulation avec les directions départementales interministérielles (DDI) peut donner lieu à des frottements et qu'il est parfois difficile de mobiliser les unités territoriales sur des projets communs.

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Les fractures territoriales se sont aggravées, et c'est pourquoi j'avais déposé une proposition de loi visant à créer une agence nationale de la cohésion des territoires, destinée à jouer un rôle stratégique. La santé est un domaine essentiel car il touche à la vie de tous les jours et soulève des problèmes de qualité des soins, de dépenses publiques et d'organisation.

Pour ce qui est du numérique, le plan que vous évoquez n'est pas adapté à la télémédecine, car un équipement ne dépassant pas les 30 mégaoctets par seconde ne donne pas des images d'une résolution suffisante pour porter un diagnostic en toute sécurité. Le seuil à atteindre pour cela serait d'avoir un gigaoctet sur tout le territoire. Pour y parvenir, dans la région Grand-Est, les collectivités apportent 20 % du financement et les opérateurs 80 %. En Eure-et-Loir, on nous demande 60 millions d'euros pour avoir la 4G partout.

Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) sont des structures intéressantes, répondent au souhait des médecins et s'inscrivent bien dans les objectifs énoncés dans le discours du 13 octobre 2017 par lequel le Premier ministre a lancé le programme « Action publique 2022 ». On peut solliciter des crédits des fonds régionaux d'aménagement du territoire (FRAT), mais ils sont plutôt destinés à l'animation des filières économiques. Le CGET a la haute main sur les contrats de plan État-régions. Seriez-vous d'accord pour financer, pendant trois ans, les CPTS ? En revanche, ne vous engagez pas sur la piste de la télémédecine dans les MSAP, et n'allez surtout pas lancer un appel d'offres pour 4 000 cabines, ce serait gaspiller l'argent public.

Enfin, les ARS sont en conflit presque quotidiennement avec les préfets de département, ce qui nuit à l'efficacité. Il faut rétablir l'autorité politique et décisionnelle de ces derniers. Espérons que la nouvelle agence ne sera pas une agence de plus mais aura bien un rôle fédérateur. Pour jouer pleinement son rôle dans la cohésion des territoires, il faut qu'elle ait la compétence santé et la responsabilité sur les ARS, dont nous avons constaté, au fil des auditions, qu'elles soulevaient une levée de boucliers.

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

Sur le numérique, je vous entends, mais la santé n'est pas le seul domaine concerné. Les architectes aussi par exemple ont besoin de haut débit. Il y a des problèmes de tuyauterie mais, comme y invite M. Mézard, il faut déjà penser au coup d'après.

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

En ce qui concerne les CPTS, je ne peux pas prendre d'engagement, je n'ai pas la légitimité pour cela.

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

Leur pertinence, peut-être, mais la santé est bien un domaine de niveau régional. Il est vrai que les SGAR n'en ont pas fait un thème porteur, il est vrai aussi qu'il peut y avoir des incidents entre l'ARS et les préfets. Mais désormais, les interlocuteurs de l'ARS sont aussi les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI). Peut-être faut-il modifier le cadre actuel ou l'utiliser différemment. Mais le préfet de région reste bien le président du comité exécutif de l'ARS.

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Voyez comment les conseils régionaux accueillent le plan régional de santé de l'ARS. Ils n'y ont pas été associés !

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

Au niveau de l'application, c'est-à-dire le département, l'ensemble des acteurs responsables ont leur rôle. L'ARS joue le sien, avec un succès d'estime relatif. La vraie question tient au pouvoir de persuasion du préfet pour mettre tous les acteurs autour d'une table.

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Les directeurs des unités territoriales font preuve, comme les inspecteurs d'académie, d'une forte indépendance.

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

C'est pourquoi je parle de succès d'estime relatif. Selon les cas, cela fonctionne ou pas.

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Tout de même, le préfet reste le premier interlocuteur des élus quand ils ont à faire remonter ce que leur disent les professionnels. Certains délégués départementaux de l'ARS exercent vraiment leurs responsabilités, mais d'autres se contentent d'être des boîtes aux lettres.

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

Il est vrai que les administrés s'adressent en premier lieu aux élus locaux, lesquels se tournent alors vers le préfet.

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Que pense le CGET, qui a une vision nationale des choses, de certaines expériences locales, en Dordogne, dans le Lot, où l'on a réussi à remplacer un médecin sans que cela se révèle trop coûteux ? Il serait peut-être intéressant d'examiner les facteurs d'attractivité des endroits qui réussissent.

D'autre part, avez-vous une vision consolidée des aides fiscales et financières consenties, par exemple, pour maintenir un médecin là où il est, ou pour accorder une exonération fiscale au titre de l'installation en zone de revitalisation urbaine à un médecin qui s'est juste déplacé de quelques kilomètres pour en profiter ? Nous parlions du fonctionnement des CPST : mieux vaudrait utiliser cet argent à leur payer un assistant à temps plein que de le dépenser à subventionner une forme de nomadisme médical.

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

Pour ce qui est de l'attractivité, tout le monde cherche à faire venir un étudiant, à l'aide de divers dispositifs de bourses de l'État, de la région, et la commune. On espère qu'après cette phase dans leur parcours de vie, ils resteront sur place. La première chose est donc de les faire venir. Mais il faut aussi prendre en compte d'autres questions comme le logement, l'indemnité de frais de déplacement.

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éric Lajarge, directeur de cabinet adjoint du Commissaire général à l'égalité des territoires

On peut imaginer par exemple construire un logement d'accueil dans le cadre de la MSAP, pour favoriser une installation durable.

En ce qui concerne les données sociales, le CGET a une direction des stratégies territoriales qui s'y consacre et dont les notes peuvent répondre à vos questions. Nous abordons ces études d'un point de vue territorial plutôt du point de vue des flux et des stocks de professionnels. Je vous renvoie au rapport de l'Observatoire national de la politique de la ville (ONPV) et au rapport annuel de l'Observatoire des territoires, qui est très dense et traite des questions de santé. Mais nous lirons le rapport de votre commission qui nous inspirera sans doute de bonnes questions.

Notre programme d'études nationales comprend une enveloppe de 500 000 à 600 000 euros réservée à des études locales faites à la demande des SGAR. Ces études, utiles pour leur territoire et qui, en même temps, nourrissent les données du CGET, peuvent porter sur des questions de santé. Se financer ainsi sur des crédits nationaux permet de ne pas entamer les crédits déconcentrés.

Je ne peux évidemment pas vous répondre sur les exonérations fiscales, sujet qui relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Je ne peux que vous renvoyer au volet territorial des contrats de plan État-régions. D'une certaine façon, la réflexion qu'a engagée votre commission d'enquête est en avance sur la nôtre, laquelle va prendre un tour plus dynamique avec l'arrivée du nouveau commissaire général, le 23 avril dernier. Les questions de restructuration que vous avez abordées intéressent le préfigurateur de la future agence nationale de la cohésion sociale, y compris pour le domaine hospitalier. Le CGET souhaite se donner une vision large de l'aménagement du territoire et donc, au moins, disposer de toutes les connaissances disponibles.

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Je vous remercie.

L'audition se termine à douze heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 31 mai 2018 à 11 h 30

Présents. – M. Didier Baichère, M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Jacqueline Dubois, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Pascale Fontenel-Personne, M. Guillaume Garot, M. Jean-Carles Grelier, M. Jean-Michel Jacques, M. Christophe Lejeune, M. Thomas Mesnier, Mme Stéphanie Rist, Mme Mireille Robert, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Alexandre Freschi, Mme Monica Michel