Commission d'enquête sur l'égal accès aux soins des français sur l'ensemble du territoire et sur l'efficacité des politiques publiques mises en œuvre pour lutter contre la désertification médicale en milieux rural et urbain

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

Source

Jeudi 14 juin 2018

La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.

Présidence de M. Alexandre Freschi, président de la commission d'enquête

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La commission d'enquête procède à l'audition du Pr Pierre Simon, ancien président de la Société française de télémédecine.

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Mes chers collègues, nous allons conclure nos travaux de la matinée en recevant le professeur Pierre Simon, ancien président de la Société française de télémédecine, à qui je souhaite la bienvenue.

Nous avons décidé de rendre publiques nos auditions. En conséquence, elles sont ouvertes à la presse et diffusées en direct sur un canal de télévision interne, et pourront ensuite être consultées en vidéo sur le site internet de l'Assemblée nationale.

L'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires impose aux personnes auditionnées par une commission d'enquête de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. C'est ce que je vous invite à faire avant de vous céder la parole.

M. Pierre Simon prête serment.

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Pierre Simon

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je m'exprime devant vous en tant qu'ancien praticien hospitalier. J'ai exercé à l'hôpital de Saint-Brieuc durant trente-sept ans et, durant toute ma carrière, j'y ai formé des internes en médecine générale. Je vais vous faire part de l'évolution du métier de soins primaires dont j'ai été témoin au cours de carrière hospitalière, grâce aux liens que j'ai gardés avec tous mes anciens internes qui se sont installés – essentiellement dans les Côtes-d'Armor, un département touché par la sous-densité médicale.

Par ailleurs, ayant été pendant plusieurs années président de la commission médicale d'établissement (CME) de l'hôpital de Saint-Brieuc, j'ai également assisté à l'évolution du service des urgences, en particulier à partir de la grève du début des années 2000. Je pourrai donc témoigner des conséquences sur le fonctionnement hospitalier du changement de pratique professionnelle pour les soins primaires, intervenu à partir des années 2000.

Enfin, j'ai un regard national sur l'évolution de la télémédecine, puisque j'ai terminé ma carrière au ministère de la santé comme conseiller général des établissements de santé (CGES) et que j'ai rédigé avec Dominique Acker, en 2009, un rapport ministériel sur la place de la télémédecine dans l'organisation des soins ; à ce titre, j'ai travaillé sur l'article de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST) relatif à la télémédecine, puis sur le décret d'application publié le 19 octobre 2010. Je précise que je suis également juriste et que c'est à ce titre que j'ai été présent pendant trois ans au ministère de la santé. J'ai ensuite repris, en 2010, la présidence de la Société française de télémédecine que j'avais créée en 2006, pour la laisser en 2015 au professeur Thierry Moulin, que vous avez auditionné au mois d'avril.

Au cours de ma carrière, j'ai pu constater les difficultés d'accessibilité à des médecins, puisque j'ai également eu la responsabilité de la conférence des présidents de CME de Bretagne, ce qui m'a permis de porter un regard sur l'ensemble de cette région. Pour moi, le problème de l'accessibilité existe depuis au moins une quinzaine d'années : il a pris naissance en 2003 quand on a reconnu la spécialité en médecine générale, ce qui a conduit nos collègues de soins primaires à s'organiser comme des médecins spécialistes, c'est-à-dire à prendre des rendez-vous et à ne plus se déplacer à la demande non programmée, comme cela se faisait couramment au XXe siècle.

L'assurance maladie avait choisi de financer des urgences hospitalières, afin que les patients non programmés se présentent aux urgences de l'hôpital – ce qui s'est mis en place progressivement, jusqu'à la situation que l'on connaît actuellement. La non-accessibilité pour le non-programmé est aujourd'hui devenue un problème majeur en raison de l'importance prise par les maladies chroniques, qui nécessitent des consultations programmées, mais suscitent également chez les patients le besoin d'obtenir des réponses dans un cadre non programmé : c'est ce dernier aspect que nous maîtrisons mal, ce qui peut donner l'impression à la population d'être mal prise en charge, voire d'être en danger.

L'un des marqueurs de cette situation est le nombre d'appels au centre 15, qui a pratiquement doublé en quinze ans, avec aujourd'hui plus de 30 millions d'appels par an – alors que l'on compte moins de 700 000 urgences vitales. La population exprime un besoin de conseil médical ayant deux origines : d'une part le vieillissement, qui augmente le nombre de patients atteints de maladies chroniques, d'autre part l'arrivée du smartphone en 2007, qui nous a rapidement fait évoluer vers une société de l'immédiateté, où chacun veut pouvoir joindre un médecin quasi instantanément. Or, les médecins ont du mal à répondre à cette demande, car ils se sont toujours organisés selon le système du rendez-vous – il faut reconnaître qu'ils ne sont pas les seuls, et que l'on imagine mal des juristes, par exemple, faire du conseil juridique instantané… En tout état de cause, ni la faculté ni les stages effectués par les médecins ne les préparent à cette pratique de la médecine immédiate.

En ce qui me concerne, j'ai des solutions à apporter au moyen de la télémédecine, et je me tiens à votre disposition pour vous les présenter.

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Nous sommes ravis de vous accueillir, monsieur le professeur, vous qui êtes l'un des pères de la télémédecine, car si aujourd'hui tout le monde a ce mot à la bouche, personne ne sait comment en faire une filière organisée – c'est encore l'impression que nous avons eue lors de la première audition de ce matin, lorsque nous avons reçu le directeur général de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS).

Je souhaite savoir si vous estimez que nous devrions mettre en place des plateformes de télémédecine départementales, plutôt que de laisser s'installer des cabines de télémédecine de-ci de-là, avec des protocoles de prise en charge pouvant différer les uns des autres.

Par ailleurs, quelle serait selon vous l'organisation idéale de la filière de télémédecine ? Y a-t-il, parmi nos voisins européens, un pays qui pourrait nous servir de modèle ?

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Pierre Simon

Je commencerai par préciser que la télémédecine n'est qu'un moyen, et je regrette que les médias la présentent toujours comme un outil, car elle est avant tout un moyen organisationnel. Les problèmes qu'elle rencontre aujourd'hui dans son développement relèvent de l'organisation : on ne peut pas faire de télémédecine sur le modèle d'une organisation traditionnelle.

Je ferai deux remarques au sujet des plateformes de consultation. Premièrement, la consultation par téléphone proposée par certaines d'entre elles me paraît être de la sous-consultation – la Société française de télémédecine a toujours été opposée à cette pratique qui n'est rien de plus que du conseil médical par téléphone. En effet, tout praticien sait qu'une consultation digne de ce nom ne peut se faire par téléphone, sans que le médecin puisse voir son patient et sans même qu'il sache qui il est. Nous avons été satisfaits de constater que la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 rétablissait l'obligation de faire les téléconsultations par vidéotransmission.

Pour un médecin, le fait de voir son patient constitue déjà une donnée importante en matière d'examen clinique. La téléconsultation par vidéotransmission a d'ailleurs initialement été imaginée comme une prise en charge alternative aux consultations en face-à-face, afin de répondre à la demande des patients atteints de maladies chroniques. Dans le cadre de mes fonctions au ministère, je me suis inspiré du rapport de l'ancienne ministre Élisabeth Hubert, ancien médecin généraliste, qui avait clairement montré qu'une proportion importante de patients ne se rendait au cabinet de leur médecin que pour obtenir le renouvellement d'une ordonnance, sans que leur visite donne lieu à un suivi clinique. Sur ce constat, nous avions préconisé dans notre rapport de 2009 que, pour les patients atteints de maladies chroniques, les consultations en face-à-face puissent alterner avec des téléconsultations programmées – cette idée a été reprise dans le décret de 2010.

Par ailleurs, dès l'arrivée des premiers smartphones, on a vu apparaître une demande en matière de santé mobile, vite relayée par de grands assureurs désireux de mettre en place des plateformes de téléconsultation. Nous avons donc travaillé, avec le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM), à la définition du téléconseil médical personnalisé, une pratique médicale différente de la téléconsultation. On peut regretter que l'analyse juridique du décret – effectivement insuffisant – ait conduit les pouvoirs publics, représentés par certaines agences régionales de santé (ARS), à considérer qu'il était possible de faire des consultations par téléphone. Cela a jeté le trouble dans le milieu médical et dans le milieu ordinal, dans la mesure où tout le monde avait conscience qu'il ne s'agissait que d'une sous-consultation.

Heureusement, des solutions correctives sont apparues avec le développement des objets connectés, qui a permis la mise en place de téléconsultations enrichies, permettant notamment de prendre la tension artérielle ou la fièvre, ou d'examiner les tympans d'un enfant. Aujourd'hui, il existe donc des plateformes permettant une téléconsultation qui, enrichie d'objets connectés, est assez proche en termes de qualité de l'examen clinique en cabinet, et a vocation à être intégrée au parcours de soins primaires.

La Société française de télémédecine préconise une coopération entre les cabinets de soins primaires, qui ne sont pas capables de faire face à toute la demande actuelle, et ces plateformes de téléconsultation de qualité. Ainsi, un médecin de soins primaires pourrait laisser sur son répondeur le vendredi soir, quand il ferme son cabinet, un message invitant ses patients à appeler telle ou telle plateforme, afin que celle-ci lui transmette le résumé des actes médicaux effectués en son absence.

Les plateformes doivent faire un effort, car l'image qu'elles donnent aujourd'hui est celle d'une « ubérisation » de la santé, qui serait fondée sur un marché de la téléconsultation. Or, les plateformes de téléconsultation bien structurées et recourant aux objets connectés n'ont rien à voir avec le marché de la téléconsultation : elles sont censées apporter une aide à l'exercice des soins primaires, en coopération avec les cabinets médicaux. En résumé, il ne faut pas reconnaître les plateformes n'ayant pour objectif que d'être présentes sur le marché de la téléconsultation, sans aucune réflexion sur le parcours de soins primaires, mais au contraire encourager les plateformes dotées d'équipements de bonne qualité, et acceptant de coopérer avec les cabinets de soins primaires.

Deuxièmement, j'estime qu'il faut demander aux plateformes qui se sont autoproclamées plateformes de consultation, alors qu'elles n'établissent qu'une communication téléphonique entre le médecin et le patient, de devenir des plateformes de téléconseil médical. Je ne suis absolument pas choqué de voir des assureurs et les mutuelles s'intéresser à la prévention et permettre pour cela à leurs assurés d'obtenir des conseils par téléphone : cela peut répondre en partie aux besoins de notre société de l'immédiateté. En revanche, il faut exiger de toute plateforme voulant faire de la consultation qu'elle se dote des équipements nécessaires complémentaires – non seulement ceux permettant la vidéotransmission, mais également ceux permettant de consolider le diagnostic.

Nous disposons d'un excellent modèle en Europe, que nous ne suivons malheureusement pas : celui des centres d'appels médicaux Medgate et Medi24 en Suisse, qui ont plus de quinze ans d'expérience. Une vingtaine d'assureurs ont conclu un accord pour demander à leurs affiliés d'appeler l'une de ces plateformes avant de se rendre chez le médecin traitant, ce qui permet une première orientation des patients sous la forme d'un téléconseil. Une partie des appels relève de la « bobologie » et peut être réglée rapidement par le médecin intervenant sur la plateforme, qui peut par exemple établir une ordonnance et l'envoyer à la pharmacie. Je précise que les ordonnances sont très rares en Suisse – elles n'y représentent que 8 % des appels –, contrairement à la France, où les plateformes de consultations par téléphone, que j'appelle des plateformes de téléconseil, ont été définies par rapport à leur capacité à faire de la téléprescription. À mon sens, il faut justement essayer de rompre avec l'idée selon laquelle tout appel médical doit donner lieu à une prescription médicamenteuse et, d'une part, privilégier la notion de parcours de soins pour les maladies chroniques, d'autre part, apprendre aux patients atteints de maladies aiguës à se prendre en charge, en leur proposant du conseil en automédication : ce pourrait être l'une des missions premières des mutuelles que d'apprendre aux gens à prendre du Doliprane ou des antipyrétiques à bon escient.

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Sur le plan organisationnel, le déploiement de la télémédecine suscite quelques inquiétudes quant à la vitesse à laquelle il va pouvoir s'effectuer sur notre territoire. Ce point dépend aussi de l'acceptabilité sociale du dispositif dans le contexte d'une société de l'immédiateté, y compris en matière de consommation médicale : quand ils estiment avoir besoin d'une consultation, la plupart des Français souhaitent voir un médecin directement et obtenir une prise en charge médicamenteuse à l'issue de la consultation. Pouvez-vous nous rassurer sur ce point et nous dire de quelle manière il faudrait agir pour parvenir à surmonter ces obstacles ?

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Pierre Simon

En matière d'organisation, j'estime qu'il est difficile pour un médecin exerçant seul, et se trouvant déjà débordé, de pratiquer la télémédecine. J'aurais aimé que, dans les négociations conventionnelles, on aille plus loin dans la réflexion sur la possibilité qu'ont les médecins exerçant seuls la médecine libérale de soins primaires de faire de la télémédecine. Quand nous procéderons à l'évaluation, nous constaterons sans doute un usage très rare de la télémédecine par ces médecins, actuellement plutôt réservée à ceux exerçant en maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), dotées d'une organisation favorisant le développement de la télémédecine. Ainsi, nombre de MSP font en sorte qu'il y ait chaque jour au moins un médecin chargé du non-programmé, c'est-à-dire de répondre aux demandes de conseils – et l'on sait que, dans ces maisons de santé pluriprofessionnelles, il y a beaucoup moins d'adressage aux urgences. Je peux vous assurer que les MSP sont prêtes à développer les stations de télémédecine, destinées d'une part à réduire les déplacements des médecins, notamment dans les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), qui peuvent être éloignés, d'autre part à traiter les personnes qui n'ont pas accès à internet.

Je regrette d'ailleurs que le déploiement de l'assurance maladie sur les réseaux sociaux se soit effectué sans prendre en compte le fait que, selon le rapport de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) de 2016, on compte aujourd'hui 8 millions de Français qui n'ont pas accès à internet : on ne pourra évidemment pas demander à ces personnes-là de se connecter à leur médecin, dès le 15 septembre prochain, en vue d'effectuer une consultation à distance. À mon sens, l'une des solutions qui va émerger afin d'y remédier est celle du développement de la téléconsultation mobile – un dispositif que je connais bien, car j'accompagne certains projets en ce sens –, consistant pour certaines sociétés d'ambulances à se rendre au domicile des patients, en coopération avec les maisons de santé pluriprofessionnelles. On peut envisager une organisation nouvelle, dans le cadre de laquelle les maisons de santé programmeraient des téléconsultations pour des personnes handicapées ou isolées, et chargeraient des sociétés d'ambulance de se rendre au domicile de ces personnes afin de rendre la téléconsultation possible, grâce à un équipement permettant le contact satellitaire – ceci afin de pallier l'insuffisance du réseau numérique terrestre dans certaines régions, et le fait qu'il existe encore de nombreuses zones blanches.

L'article 51 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 prévoit la mise en place et le financement de dispositifs destinés à favoriser l'innovation par l'émergence de nouvelles organisations des soins. J'estime que la téléconsultation mobile au domicile du patient, sur prescription du médecin de soins primaires, a vocation à figurer parmi les solutions qui pourraient être retenues, et mérite donc d'être étudiée – d'autant que les grandes sociétés d'assurances sont, elles aussi, disposées à participer au financement de solutions de ce type.

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Chacun d'entre nous est fréquemment mis en contact téléphonique avec des plateformes appelant pour le compte de sociétés françaises, mais qui sont basées à l'étranger. Pourra-t-on avoir la certitude que les téléconsultations seront réalisées par des médecins français, et non sous-traitées par des médecins se trouvant éventuellement à l'autre bout du monde ?

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Ce point peut effectivement revêtir une certaine importance en termes d'acceptation du dispositif de téléconsultation par la population.

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Pierre Simon

Il est vrai que certaines sociétés sont aujourd'hui tentées de faire un marché de la téléconsultation, ce qui constitue une dérive. Le droit fondamental de 1945 posait pour principe que tous les citoyens français devaient pouvoir accéder aux mêmes prestations et aux mêmes innovations, et c'est le modèle vers lequel nous devons tendre. En comparaison avec ce qui se fait à l'étranger, la prise en charge de la télémédecine par la sécurité sociale française est exemplaire. Aujourd'hui, il est tout à fait possible d'organiser des plateformes de téléconsultation au niveau régional ou territorial, sans avoir besoin de le faire au niveau national et encore moins au niveau international. Au demeurant, pour mettre en place une coordination efficace des soins primaires, il faut que les médecins traitants d'un territoire ou d'une région connaissent les plateformes avec lesquelles ils travaillent. Il y aura toujours des personnes pour appeler des plateformes situées aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, mais cela restera marginal et n'a pas vocation à donner lieu à une prise en charge par la sécurité sociale.

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Pouvez-vous nous préciser comment sont rémunérés les professionnels de santé pratiquant la télémédecine ?

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Pierre Simon

Il faut savoir que nous avions prévu, dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, le financement dans le droit commun de la téléconsultation et de la télé-expertise et qu'à cette époque, c'est l'assurance maladie qui n'avait pas suivi, craignant que la télémédecine ne soit à l'origine d'une explosion des dépenses de santé. Il a fallu attendre 2014 pour que l'assurance maladie fasse de nouvelles propositions dans le cadre de droits dérogatoires, prévus à l'article 36. Malheureusement, cela n'a pas marché : le premier arrêté assorti d'un cahier des charges sur la téléconsultation et la téléexpertise n'a été publié qu'en avril 2016 – en raison de la demande de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) que soit pris un décret préalable –, et ce n'est finalement qu'une petite partie des 8,5 millions d'euros prévus pour financer les expérimentations qui a été engagée.

Il faut se féliciter que, pendant la campagne présidentielle, Emmanuel Macron se soit engagé à faire entrer ce financement dans le droit commun avec l'aide du directeur de l'assurance maladie. C'est une bonne décision et qui aurait dû être prise dès 2010. Toujours est-il que les conditions sont désormais réunies pour le développement de la télémédecine, à condition que les médecins puissent s'organiser en conséquence.

Comment sont-ils payés ? Comme dans les pays où ce dispositif est en vigueur, nous n'avons pas établi de tarif spécial pour la téléconsultation : de même que pour une consultation face à face, le prix est de 25 euros pour le médecin généraliste et de 30 euros pour le médecin spécialiste. Je pense que c'est raisonnable parce que l'assurance maladie, en faveur de la forfaitisation du parcours de soins, a probablement eu peur – et je comprends qu'elle ait résisté – qu'à la faveur du développement de la télémédecine, les médecins cherchent à augmenter leurs tarifs – augmentation qu'ils réclament depuis très longtemps. Reste qu'aujourd'hui la téléconsultation, si elle est bien organisée, peut tout à fait entrer dans les pratiques des médecins de soins primaires.

Pour ce qui est de la téléexpertise, elle obéit à la logique de forfaitisation d'un parcours. Le médecin de soins primaires est rémunéré au bout de la dixième demande de téléexpertise par un forfait de 50 euros et ensuite, lorsqu'il dépasse dix expertises par an, il peut percevoir jusqu'à 500 euros. Le médecin spécialiste, lui, est payé en fonction de deux niveaux de téléexpertise : le premier est considéré comme une téléexpertise simple – c'est la photo d'une lésion dermatologique, ou la photo d'un électrocardiogramme, envoyée par messagerie sécurisée –, rémunérée 15 euros ; le second niveau correspond à une expertise plus complexe qui sera rémunérée 20 euros. L'assurance maladie a décidé d'évaluer le caractère incitatif, ou non, de ces tarifs, les syndicats des spécialistes ayant bien sûr estimé qu'ils étaient nettement insuffisants par rapport aux tarifs des consultations spécialisées.

Personnellement, je serais favorable à ce qu'on libéralise l'expertise : nous avons des médecins de soins primaires formés, à l'hôpital, à des demandes immédiates d'avis spécialisés ; quand ils sont de service, en effet, les internes montent à l'étage supérieur pour montrer le dossier de leur patient au cardiologue, au rhumatologue etc. Or quand ils s'installent ensuite en médecine générale, ils n'ont plus accès aux spécialistes et c'est pour eux très compliqué. Donc, si l'on veut intéresser de nouveau les médecins de soins primaires à leur métier qui est la coordination des soins, il faut leur donner la liberté totale d'accéder à un spécialiste lorsqu'ils en ont besoin et la régulation se fera avec l'expérience : il faut laisser aux jeunes la possibilité d'appeler très souvent le médecin spécialiste alors que les plus expérimentés appelleront, eux, moins souvent.

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Je souhaite revenir sur la question du temps médical – c'est un peu la quête qui nous anime ici. Dans le document que vous nous avez fait parvenir, vous indiquez que 98 % des Français ont accès à un cabinet médical de soins primaires en moins de dix minutes par la route. Or le temps médical tend à diminuer continûment. Aussi, dans quelle mesure la télémédecine est-elle un facteur de gain de temps médical ?

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Pierre Simon

La direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) doit disposer des chiffres exacts. Alors qu'au XXe siècle la moyenne du temps médical consacré par les médecins de soins primaires était de cinquante à soixante heures par semaine, on s'approche des quarante heures par semaine pour les nouvelles générations. On ne peut pas leur en vouloir de privilégier leur vie privée – l'exercice de la médecine ne doit pas impliquer qu'on sacrifie sa vie de famille. Faut-il pour autant augmenter le numerus clausus pour retrouver un temps médical suffisant ? Je n'en sais rien.

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Ma question portait précisément sur la télémédecine.

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Pierre Simon

Je vais vous répondre.

La génération actuelle semble intéressée par l'exercice de la médecine sur des plateformes de téléconsultation. J'ignore pourquoi. Vous savez qu'entre le nombre de médecins inscrits au conseil de l'ordre – je suis conseiller ordinal dans mon département depuis vingt ans – et le nombre de médecins répertoriés dans le fichier du système national d'information inter-régimes de l'assurance maladie (SNIIRAM) il y a une différence de 25 000 médecins dont on ne sait pas ce qu'ils font. Ensuite, depuis 2012, on compte 10 000 médecins de plus, augmentation qui n'a profité qu'aux zones urbaines alors que leur nombre continue de diminuer dans les zones rurales. Il y a là un phénomène sociologique : un certain nombre de jeunes médecins ne veulent pas s'installer en cabinet – seuls 10 % s'installent dans l'année de leur thèse, 30 % la troisième année. Pourquoi ne s'installent-ils plus en cabinet ? Parce qu'ils ont envie d'exercer la médecine autrement. Il faut donc leur offrir un lieu d'exercice, pour ceux qui sont très geek, un peu différent. On a connu un phénomène similaire avec les urgentistes : quand on a créé les services d'urgences, des urgentistes étaient passionnés par l'intubation, le massage cardiaque… c'était une manière d'appréhender la médecine et, au bout de quinze ou vingt ans, ils ont eu envie de faire autre chose. Aujourd'hui, de jeunes médecins ont peut-être envie de travailler sur des plateformes mais des plateformes très bien encadrées, bien équipées en objets connectés, pour faire de la bonne médecine, et des plateformes qui coopèrent avec les cabinets de soins primaires.

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Vous dites, monsieur le professeur, qu'il peut s'agir de nouveaux métiers – médecin télérégulateur… – et qui peuvent en effet correspondre à une forme de modernité intéressante. Peut-on définir un modèle qui rassemble les services du 15, du 18 et du « tout-venant » en matière de télémédecine ?

Ensuite, quand on évoque la télémédecine on oublie ce qui à mon avis est fondamental : le diamètre des tuyaux, la fibre optique, le débit… desquels dépend la qualité des images envoyées.

Enfin, quelle est pour vous la cabine de télémédecine qui va bien fonctionner, où la met-on ?

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Pensez-vous que les infirmières, qui se déplacent beaucoup auprès des personnes âgées, pourraient, dans la perspective de délégations supplémentaires dans le suivi des maladies chroniques, jouer un rôle important en matière de téléconsultation ?

Avons-nous, d'autre part, des données comparées sur les risques d'erreurs de diagnostic entre la téléconsultation et la consultation en cabinet ?

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Pierre Simon

Certains de nos concitoyens, s'ils sont capables d'utiliser Skype pour communiquer avec leurs petits-enfants, ne pourront pas tout seuls faire une téléconsultation par internet ou cliquer sur un lien qui les mettra en relation avec un médecin. Il faudra donc qu'il y ait un professionnel de santé à leurs côtés.

Pour ce qui est du débit, aujourd'hui, pour faire de la téléconsultation, d'énormes progrès ont été réalisés puisque, il y a encore dix ans il fallait un débit numérique de 2 mégabits par seconde ; qu'il y a cinq ans, un mégabit par seconde suffisait ; et qu'aujourd'hui on peut se contenter de 300 kilobits par seconde. On peut donc faire de la bonne téléconsultation avec un faible débit numérique.

Souvent, l'argument avancé par certaines plateformes est que les 8 millions de personnes qui n'ont pas accès à internet ne sont pas capables de se brancher en visio-conférence et c'est pourquoi il faudrait maintenir la plateforme par téléphone puisque tout le monde sait se servir d'un téléphone. À ne prendre en compte que cet argument, on risque de ne faire que de la sous-consultation, ce qui présente, je vais y revenir dans un instant, des risques médicaux. Par contre, on a besoin de professionnels de santé aux côtés des personnes âgées, isolées, qui n'entreprendront jamais d'elles-mêmes une téléconsultation, même si elles ont accès à internet.

Plusieurs solutions existent comme les cabines de téléconsultation – largement présentées dans les médias –, assez nombreuses aux États-Unis. Aux promoteurs de ces cabines, je dis qu'il faut d'abord les installer dans les pharmacies d'officine, qui doivent être désormais, en effet, un lieu de téléconsultation car la France dispose d'un maillage de pharmacies important. En outre, une telle installation leur permettrait de définir un nouveau modèle économique avec le médecin traitant prescrivant à distance. Certains pharmaciens d'officine sont prêts à installer une cabine de téléconsultation fixe : selon ce système, il appartiendra toujours au patient de se déplacer.

Vous aurez cependant toujours des gens sans voiture, sans voisins susceptibles de les emmener à la pharmacie, ou des gens qui n'oseront pas forcément appeler un véhicule sanitaire léger (VSL). C'est pourquoi il faut développer la téléconsultation mobile. Les grandes sociétés d'ambulanciers qui y réfléchissent – je tairai leur nom – équiperaient les ambulances d'infirmières qui elles-mêmes seraient intéressées par ce genre de pratiques. Il est vrai qu'on attend le décret concernant les infirmières de pratique avancée. Devra-t-on former des personnels pour aider les personnes à se brancher pour avoir une téléconsultation, et devra-t-on pour cela avoir recours à des infirmières de niveau « bac + 5 » ? On aura de toute façon besoin de ces dernières pour prendre en charge certains problèmes médicaux actuellement confiés à des médecins de soins primaires. Il reste de nombreuses initiatives à prendre à cet égard pour que le parcours de soins soit mieux partagé entre les professionnels de santé.

Dans le cas précis de la télémédecine, il faut, j'y insiste, que la personne âgée ait un professionnel de santé à ses côtés pour l'aider à se brancher pour une téléconsultation. Il va falloir aider ceux qui se trouvent dans les zones isolées, ainsi que les 8 millions de nos concitoyens qui ne pratiquent pas internet. C'est pourquoi, pendant une période transitoire, en attendant que le réseau soit complètement équipé en fibre optique, nous devrions proposer des solutions satellitaires.

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Précisément, en ce qui concerne la télémédecine, comment sera rémunéré le professionnel de santé qui se trouvera avec le patient ? Je pense en particulier aux infirmières.

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Pierre Simon

L'assurance maladie s'est engagée, après la fin des discussions conventionnelles avec les médecins, à ouvrir des discussions conventionnelles avec les pharmaciens puis avec les infirmiers, afin de définir leur place dans la télémédecine. À ma connaissance, l'assurance maladie est prête à discuter avec les représentants de ces professions de santé du financement de la participation, soit du pharmacien d'officine, soit de l'infirmière, à la réalisation d'une téléconsultation.

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Pouvez-vous revenir sur les erreurs de diagnostic ?

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Pierre Simon

Aucune publication n'a traité de la question en France. On peut regretter par exemple que toute l'activité du centre 15 n'ait jamais fait l'objet d'études montrant la fréquence des erreurs médicales commises dans ce cadre. On entend malheureusement parler des accidents quand ils sont médiatisés, mais il aurait été intéressant, j'y insiste, de connaître le nombre d'accidents médicaux survenus à l'occasion de téléconseils par téléphone parce qu'on n'aurait pas répondu à la demande.

Une belle étude, en revanche, aux Pays-Bas, a montré que le téléconseil par téléphone entraînait plus d'erreurs que la consultation. C'est pourquoi il ne faut pas faire du téléconseil médical – et surtout ne pas l'appeler « téléconsultation » par téléphone – parce que tout médecin sait que ce type de pratique est nettement insuffisant pour faire le tour d'une question, surtout à l'ère des maladies chroniques où l'expression même d'un symptôme, d'un mal-être, n'est pas facilement appréciable par téléphone. Et c'est pourquoi la vidéotransmission est déjà un progrès. Si l'on développe des plateformes collaboratives avec les centres de soins primaires, il faut qu'elles soient bien équipées – objets connectés qui permettent de nombreux examens complémentaires réalisés dans un cabinet en face-à-face – et c'est de cette façon qu'on réduira le risque d'erreur.

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On imagine que l'installation des cabines de téléconsultation dans les officines de pharmacie sera aussi complexe que coûteuse. Vous avez également évoqué l'idée d'ambulances équipées de satellites – technologie qui n'est du reste pas entièrement satisfaisante. Est-ce qu'à l'aide d'une tablette, une infirmière peut accompagner une téléconsultation depuis un lieu couvert par la 4G ?

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Pierre Simon

Non, c'est trop petit. Il faut au moins la taille d'une tablette pour que le dialogue entre le patient et le médecin soit correct, même si, désormais, certains téléphones prennent des allures de tablette… Il faut respecter la procédure d'une consultation médicale et ne pas donner l'impression qu'il s'agit de fast time comme dans le cadre de l'exercice privé. De plus, si une professionnelle de santé aide à la téléconsultation, il faut qu'elle apparaisse à l'écran.

J'en viens à votre remarque sur le satellite. Le satellite, si je puis dire, c'est le réseau et non pas l'outil de téléconsultation. C'est dans les zones où il n'y a pas de réseau – et il y en a en France – qu'est utilisée la solution satellitaire. Je pense au camion Diabsat dans la région Midi-Pyrénées où se trouvent de nombreuses zones blanches : la liaison avec l'infirmière qui fait le tour dans le Tarn-et-Garonne ou dans d'autres coins complètement isolés se fait par satellite, faute de réseau numérique. On a procédé de cette façon en Guyane. Des bandes passantes sont inutilisées et elles doivent être employées pour la télémédecine.

Pour vous répondre, ensuite, sur l'usage des tablettes : oui, il faut des outils simples et mobiles. Concrètement : le médecin sera derrière son ordinateur, utilisera un petit logiciel qui lui permettra de lancer une visioconférence via un réseau sécurisé. À l'autre bout, le patient devra se connecter sur internet et cliquer sur le lien pour entrer en relation avec le médecin, et il faut qu'il soit aidé car ce n'est pas évident – je fais moi-même beaucoup de visioconférences à l'étranger et, même pour les habitués, il y a toujours de petits problèmes techniques. Il ne faut en tout cas surtout pas pratiquer la visioconférence là où le réseau est déficient – or la 4G et même la 3G suffisent.

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Nous sommes tout à fait d'accord et en montagne, par exemple, il est évident que le satellite aura encore longtemps son utilité. Mais ailleurs, vu la rapidité de couverture du territoire, ce n'est peut-être pas le moment d'engager des frais en suréquipant certaines ambulances – c'était le sens de ma question.

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Je suis l'élue d'une zone plutôt rurale – la commune d'Arles, la plus grande commune de France – dont certains endroits ne sont pas du tout couverts par le réseau, sans compter que certains villages ont du mal à avoir un pharmacien. Je souhaite savoir si une dotation est prévue pour les pharmacies qui s'équiperaient d'un matériel satellitaire en attendant la généralisation de la couverture numérique, ce qui risque de prendre du temps.

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Pierre Simon

L'ARCEP a souligné de nouveau, en 2016, que si tous les opérateurs privés coopéraient, il y aurait moins de zones blanches. Voilà plusieurs années qu'on demande que dans le domaine de la santé les quatre opérateurs s'accordent.

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Cela fait partie de leur feuille de route…

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La demande a été faite il y a plusieurs années, et pour l'heure rien n'est fait… Reste que ce serait une première solution, et je suis d'accord avec vous pour considérer qu'il est inutile d'engager des dépenses satellitaires dans les zones où la mutualisation des réseaux des différents opérateurs permettrait de réaliser des téléconsultations.

Ensuite, je ne plaide pas pour les cabines de téléconsultation mais pour des téléconsultations en pharmacie – il existe d'autres solutions que les cabines. La cabine est un modèle provenant des États-Unis et qui a beaucoup fait parler de lui. Il est, je le reconnais, de qualité – j'ai étudié les prestations réalisées à partir de ce système – mais son coût est très élevé – il baisserait peut-être s'il était davantage utilisé mais je ne vois pas actuellement de pharmacies d'officine à même de se payer ces cabines. Il existe par contre d'autres équipements beaucoup moins chers grâce auxquels les pharmacies pourraient réaliser des téléconsultations.

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Votre audition est terminée, nous vous remercions, monsieur le professeur.

L'audition se termine à douze heures trente.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 14 juin 2018 à 11 h 30

Présents. – Mme Jacqueline Dubois, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Alexandre Freschi, M. Jean-Carles Grelier, M. Cyrille Isaac-Sibille, M. Christophe Lejeune, Mme Monica Michel, Mme Stéphanie Rist, M. Vincent Rolland, Mme Nicole Trisse, M. Philippe Vigier

Excusés. - M. Jean-Pierre Cubertafon, Mme Agnès Firmin Le Bodo