Mission d'information sur le suivi des négociations liées au brexit et l'avenir des relations de l'union européenne et de la france avec le royaume-uni

Réunion du jeudi 12 juillet 2018 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à 14 h 35.

Présidence de M. Pierre-Henri Dumont, vice-président.

La mission d'information organise une table ronde sur les effets du Brexit sur la coopération policière et judiciaire et la gestion des frontières avec la participation de M. Frédéric Baab, membre national d'Eurojust pour la France ; Mme Nathalie Ancel, adjointe au directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice ; M. Laurent Nuñez, directeur général de la sécurité intérieure au ministère de l'intérieur ; M. Gilles Barbey, chef de la section négociations européennes au sein de la direction centrale de la police judiciaire, division de relations internationales au ministère de l'intérieur..

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Mes chers collègues, je vous remercie pour votre présence à cette nouvelle réunion de la mission d'information sur le suivi des négociations liées au Brexit et l'avenir des relations de l'Union européenne et de la France avec le Royaume-Uni. Nous sommes à un tournant, puisque nous arrivons à la fin de nos différentes auditions. Par ailleurs, l'actualité liée au Brexit est extrêmement riche, avec la publication aujourd'hui du Livre blanc britannique sur le Brexit, mais aussi, il y a quelques jours, la démission des ministres britanniques du Brexit d'une part, des affaires étrangères d'autre part.

C'est dans ce contexte que nous réunissons cet après-midi la première table ronde portant sur les politiques européennes en matière de justice et d'affaires intérieures et sur l'impact que le Brexit aura sur celles-ci.

Afin de nous éclairer sur ces questions, j'ai le plaisir d'accueillir plusieurs intervenants, que je remercie pour leur disponibilité. Il s'agit de Mme Nathalie Ancel, adjointe au directeur des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice, de M. Frédéric Baab, représentant de la France à l'unité de coopération judiciaire Eurojust, de M. Laurent Nuñez, directeur général de la sécurité intérieure au ministère de l'intérieur, et de M. Gilles Barbey, chef de la section « Négociations européennes » de la direction centrale de la police judiciaire au ministère de l'intérieur.

Comme vous le savez, le Royaume-Uni est un partenaire important en matière de sécurité et de justice, notamment dans la lutte contre le terrorisme. La coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures constituera un volet important du futur partenariat. Ce volet semble beaucoup préoccuper les Britanniques, et sur ce point je relève d'emblée un paradoxe, voire une contradiction : malgré les nombreux opt-out qu'ils ont demandés et obtenus dans ce domaine, ils semblent vouloir davantage pour l'avenir. Dans ces conditions, notre mission aimerait être éclairée sur les questions suivantes : quel est l'état des lieux de la participation du Royaume-Uni aux différents instruments dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, et quel serait l'impact d'une sortie « sèche » du Royaume-Uni de ces instruments ?

Quelles sont les demandes du Royaume-Uni en termes de participation à ces instruments pour l'avenir, et dans quelle mesure ces demandes sont-elles acceptables par les Vingt-Sept ?

Quel type d'accord peut-on ou doit-on envisager dans ce domaine, et quelles seraient les coopérations essentielles à préserver au regard des intérêts de l'Union ?

Quelles seraient les modalités de participation envisageables du Royaume-Uni aux instruments de la coopération policière et judiciaire, dont certains sont ouverts à des pays tiers ?

Dans quelle mesure peut-on accorder au Royaume-Uni des avantages par rapport à ce que nous accordons à d'autres pays tiers, et à quelles conditions ?

Quel sera l'impact du Brexit sur les questions migratoires ? Quelle participation du Royaume-Uni au système de Dublin peut-on envisager ? Faut-il également compléter ou renégocier les accords du Touquet ?

Comment s'inscrit la négociation de ce volet de la relation future dans l'économie globale de la négociation du futur partenariat ? Accéder à certaines des demandes du Royaume-Uni dans ce domaine ne pourrait-il pas constituer un levier pour obtenir des concessions dans d'autres ?

Madame, messieurs, je vous propose de nous exposer à tour de rôle, dans une présentation d'environ dix minutes chacun, vos observations et analyses, avant que je ne passe la parole à mes collègues députés. Je rappelle que cette table ronde se déroule à huis clos.

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Laurent Nuñez, directeur général de la sécurité intérieure au ministère de l'intérieur

Je suis chef de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), un service de renseignement et de police judiciaire, mais je m'exprimerai aujourd'hui avant tout en tant que chef d'un service de renseignement intérieur, afin d'évoquer avec vous l'impact du Brexit sur l'activité de renseignement intérieur, et notamment sur l'échange d'informations dans le cadre de coopérations diverses.

En amont de l'action policière et judiciaire – dite d'entrave ou de recherche d'auteurs d'infractions –, la lutte contre le terrorisme passe évidemment par le développement d'une politique active de renseignement, qui constitue une arme majeure en termes de prévention et prépare le terrain en vue des futures actions de judiciarisation. En matière de renseignement intérieur, les dispositifs existants de coopération et d'échange d'informations entre les États se situent hors du champ de compétence des traités. Nous avons des dispositifs d'échange avec les services de renseignement intérieur du monde entier – nous comptons plus de 160 liaisons étrangères – et je pourrais presque parler au nom du directeur général de la sécurité extérieure (DGSE), qui a les mêmes contacts, mais avec des services différents même si certains services ont une compétence à la fois intérieure et extérieure.

Tous ces échanges intergouvernementaux s'effectuent dans le cadre de relations tantôt bilatérales, tantôt multilatérales.

Avec le Royaume-Uni, nous avons d'abord des échanges bilatéraux : la DGSI est en relation avec le MI5 et la DGSE avec le MI6, afin de procéder à des échanges bilatéraux réguliers d'informations en matière de terrorisme, ces échanges pouvant porter sur des analyses, des objectifs, ou des renseignements se trouvant en notre possession. Le partenaire britannique est bien sûr un partenaire de très grande qualité, qui nous fournit de précieuses informations, notamment grâce aux moyens techniques dont il dispose – l'inverse est également vrai. Dans ce cadre bilatéral, le Brexit n'aura absolument aucun impact sur l'échange d'informations : il n'y a aucune raison pour qu'il cesse, comme ces échanges ont lieu tous les jours avec un très grand nombre de pays qui ne sont pas membres de l'Union européenne.

Pour ce qui est des échanges se faisant dans un cadre multilatéral, il existe à l'échelle de l'Union européenne une coopération entre les services de renseignement intérieur des États membres, mais pas seulement : la Norvège et la Suisse sont également associées à ce dispositif multilatéral appelé Club de Berne. Au sein de ce dispositif, le groupe antiterroriste (GAT) réunit les responsables des unités de lutte antiterroriste des mêmes États, à savoir tous les États membres de l'Union européenne, plus la Norvège et la Suisse. Les échanges d'informations se font dans un cadre intergouvernemental, sans lien avec les traités ou avec les dispositifs de l'Union européenne, et de manière permanente, par le biais d'une base de données située aux Pays-Bas. Le Royaume-Uni participe à cette coopération et en est même l'un des acteurs principaux en termes de moyens humains et en termes financiers. Là encore, le Brexit n'aura absolument aucun impact sur le fonctionnement de ce dispositif.

Lors de la dernière réunion du GAT, qui s'est tenue en Bulgarie, le directeur du MI5 a rappelé les demandes du Royaume-Uni en matière de maintien d'un certain nombre de dispositifs – mais il les a rappelées pour mémoire, en demandant l'appui de ses collègues en matière de renseignement intérieur. Nous en avons pris bonne note et avons fait remonter ces demandes, qui sont connues et traitées, notamment par la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et par d'autres directions. Comme il l'avait déjà fait par le passé, Andrew Parker a insisté sur un certain nombre de dispositifs que le Royaume-Uni tient à voir maintenus, notamment le Système d'information Schengen (SIS) ou encore le mandat d'arrêt européen. Par ailleurs, il souhaite conserver la passerelle qui existe entre les services de renseignement intérieur et l'Union européenne sous la forme de l'Intelligence Centre (INTCEN) : en tant que service de renseignement intérieur, nous ne nous sommes pas prononcés sur cette demande, dont nous avons simplement pris acte.

En résumé, le Brexit ne constitue pas une véritable problématique pour nous : en matière de renseignement – intérieur et extérieur, j'insiste sur ce point –, le Royaume-Uni est et restera un partenaire important.

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Nathalie Ancel, adjointe au directeur des affaires criminelles et des grâces à l'administration centrale du ministère de la justice

Notre voisin le Royaume-Uni est un partenaire important en matière de sécurité et de justice, notamment dans la lutte contre le terrorisme et les formes graves de criminalité. La coopération judiciaire avec les Britanniques est une coopération particulièrement utile, qui doit bien évidemment se poursuivre dans les conditions les plus favorables. Je vais vous décrire brièvement en quoi elle consiste en matière de remises de personnes et d'entraide.

Pour ce qui est du mandat d'arrêt européen, la coopération, bien que relativement limitée, reste constante, comme en témoignent les données chiffrées suivantes. De 2008 à 2014, on constate un flux constant, avec 50 personnes recherchées remises par le Royaume-Uni et 41 personnes remises par la France ; en 2014, on constate un bref recul, puisqu'aucune remise n'a été effectuée par le Royaume-Uni et seulement cinq l'ont été par les autorités françaises ; à partir de 2015 s'opère une reprise, avec 22 remises à la France par les autorités britanniques contre huit remises par les autorités françaises ; les années 2016 et 2017 correspondent à une période de stabilisation, puisque nous avons eu l'année dernière 25 personnes remises par les autorités britanniques à la France, contre 8 personnes remises par les autorités françaises – après une année 2016 similaire.

En ce qui concerne l'entraide, le Royaume-Uni constitue l'un de nos principaux partenaires en matière d'équipes communes d'enquête. Cependant, en matière d'entraide, seulement 53 demandes actives et 72 demandes passives ont été recensées entre la France et le Royaume-Uni, témoignant finalement d'un niveau de coopération assez faible pour un pays frontalier ; à titre de comparaison, nous comptons pour la Belgique 3 221 demandes actives et 778 demandes passives et, pour l'Allemagne, 1 314 demandes actives et 256 demandes passives. Par ailleurs, on recense cinq équipes communes d'enquête signées entre les deux pays, essentiellement pour des faits d'immigration clandestine en bande organisée – il y en a eu huit sur les 23 signées depuis que les équipes communes d'enquête existent. Ces équipes sont généralement constituées pour des faits en lien avec la criminalité organisée, comme l'escroquerie ou la cybercriminalité.

Cette coopération fonctionne déjà, selon des contraintes spécifiques imposées par le Royaume-Uni. D'une manière générale, la coopération avec les autorités britanniques n'est pas facilitée par les différences de culture juridique, le système britannique étant un système de common law. Surtout, les autorités britanniques ont transposé en droit interne les textes de l'Union européenne selon des modalités exorbitantes du droit commun, qui ont pour effet de réduire en partie l'efficacité de la procédure et d'allonger les délais d'exécution. Le principe de transmission directe des demandes d'entraide judiciaire en matière pénale, d'autorité judiciaire à autorité judiciaire, a été tempéré par une déclaration du Royaume-Uni à la convention d'entraide judiciaire du 29 mai 2000. Ce principe a ensuite été repris dans la transposition de la décision-cadre sur le mandat d'arrêt européen et sur la décision d'enquête européenne pour laquelle le Royaume-Uni a maintenu, malgré tout, le passage par une autorité centrale, ce qui empêche les échanges directs entre autorités judiciaires.

Le fait que la coopération avec le Royaume-Uni soit incontournable a déjà pu conduire les États de l'Union à accepter des compromis significatifs dans la mise en oeuvre des outils dans un souci d'efficacité, à tel point que le Royaume-Uni bénéficie d'ores et déjà d'un statut un peu particulier au sein de l'Union, qu'il s'agisse de la participation à l'espace Schengen ou de la coopération en matière judiciaire.

En matière de coopération judiciaire pénale, le Royaume-Uni bénéficie en effet d'un statut spécifique, régi par le protocole numéro 21 du traité de Lisbonne, qui prévoit déjà une faculté d'opt-in et d'opt-out, par laquelle il a pu décider de ne prendre part qu'à certains instruments ou de s'en retirer à n'importe quel moment. De la même manière, il a pu décider de ne prendre part qu'à une partie des textes relatifs à l'espace Schengen, dont il ne fait pas partie. Depuis 2014, le Royaume-Uni a décidé de prendre part à la plupart des instruments de la coopération pénale de l'Union, ce dont nous nous félicitons. En matière d'entraide, les conséquences de l'opt-out global de décembre 2014 ont finalement été limitées puisque la plupart des instruments sont demeurés applicables, notamment la décision-cadre relative au mandat d'arrêt européen, les dispositions sur les équipes communes d'enquête et l'interconnexion des casiers judiciaires permise grâce à l'European Criminal Record Information System (ECRIS). Par la suite, le Royaume-Uni a également choisi de prendre part à l'instrument sur la décision d'enquête européenne.

Pour ce qui est de la reconnaissance mutuelle, le Royaume-Uni a également maintenu son adhésion à un grand nombre d'autres instruments ayant instauré la reconnaissance mutuelle, notamment les décisions de confiscation ou de gel de biens ou d'éléments de preuve, ainsi que des décisions relatives à la prise en compte de condamnations entre les États membres de l'Union européenne dans le cadre d'autres procédures pénales.

Cependant, le Royaume-Uni ne participe que rarement aux instruments permettant un rapprochement des droits matériels et procéduraux de fond. Ainsi, en matière de droit procédural, le Royaume-Uni a exercé son droit d'opt-out pour la directive sur le droit à l'avocat, pour celle sur la présomption d'innocence, ou encore pour celle sur les garanties procédurales pour les mineurs poursuivis. En ce qui concerne le droit pénal matériel, visant à établir des définitions communes et des niveaux de répression similaires entre les États membres dans certaines matières – et non des moindres, à savoir le terrorisme, le blanchiment, les cyber-attaques –, l'absence du Royaume-Uni à ces instruments, aujourd'hui comme après le Brexit, n'aura pas de conséquences immédiatement perceptibles. Il n'en demeure pas moins que cela suscite une légère incertitude sur le devenir de l'acquis européen tel que transposé par le Royaume-Uni et qu'à terme, nous risquons d'être confrontés à des disparités encore plus marquées entre la législation britannique et celle des États de l'Union européenne, et aux difficultés qui en résulteront.

Un scénario de sortie sèche, de no deal sur un accord de retrait et de relations futures, diminuerait l'efficacité de la coopération judiciaire sans pour autant y mettre un terme. En effet, le Royaume-Uni et la France sont d'ores et déjà partie à plusieurs conventions du Conseil de l'Europe qui permettent de fonder une coopération pénale, même en l'absence d'accord au niveau de l'Union – cette coopération étant cependant moins performante que celle prévue par les textes de l'Union. En matière de coopération dans la remise de personnes, le recours aux conventions du Conseil de l'Europe entraînerait un recul significatif, notamment en ce qui concerne le mandat d'arrêt européen. L'absence d'un tel mandat pourrait être compensée par le recours à la convention d'extradition du Conseil de l'Europe de 1957, mais celle-ci impose certaines conditions positives ou négatives, alors que ce n'est pas le cas pour le mandat d'arrêt européen. Elle n'oblige pas l'extradition des nationaux, elle prévoit des motifs de refus plus étendus, elle allonge considérablement la durée des procédures – 6 à 18 mois contre 10 à 90 jours pour le mandat d'arrêt européen –, elle se traduit par le retour à une phase administrative, c'est-à-dire un décret du Gouvernement après avis du Conseil d'État, avec toutes les possibilités de recours qui y sont inhérentes, et elle impose une exigence de double incrimination qui, dans le cadre du mandat européen, a été supprimée pour 32 infractions.

Afin de limiter les conséquences négatives d'un retour à cet ancien cadre, il peut être envisagé de ratifier certains protocoles additionnels à la convention du Conseil de l'Europe de 1957, comme le protocole numéro 2 sur les infractions fiscales, le protocole numéro 3 sur la procédure simplifiée lorsque la personne concernée y consent, ou encore le protocole numéro 4 sur la prescription – des protocoles auxquels le Royaume-Uni est déjà partie et qui permettent de se dispenser d'une phase administrative en cas de consentement à la remise.

En ce qui concerne l'entraide judiciaire en matière pénale, le recours aux conventions du Conseil de l'Europe entraînerait un recul plus contrasté. À défaut de pouvoir recourir à la convention d'entraide judiciaire en matière pénale entre les États membres de l'Union européenne du 29 mai 2000 et à la décision d'enquête européenne, les autorités françaises et britanniques pourront fonder leurs demandes d'entraide sur les conventions du Conseil de l'Europe, qui constituent un cadre assez satisfaisant. Si les demandes d'entraide en matière pénale ne bénéficieront pas de la même efficacité que celle offerte par les instruments de l'Union, il est cependant à noter que les conventions du Conseil de l'Europe ont été modernisées à la faveur des divers instruments de l'Union européenne qui ont été adoptés. Ainsi, un certain nombre de dispositions de la convention du 29 mai 2000, notamment les équipes communes d'enquête, ont été reprises par le second protocole additionnel à la convention du Conseil de l'Europe du 20 avril 1959. Il en va de même en matière de confiscation, puisque l'abandon de la décision-cadre de 2006 relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle des décisions de confiscation pourrait être compensé par le recours à la convention 141 du Conseil de l'Europe de 1990 relative au blanchiment, au dépistage et à la saisie à la confiscation des produits du crime. Cependant, ce cadre conventionnel est moins efficace, en ce que les motifs de refus d'exécution des décisions de confiscation sont plus larges et la procédure de reconnaissance et d'exécution moins rapide. Or, comme nous le savons tous, la saisie et la confiscation des avoirs criminels constituent un élément important dans le démantèlement des filières criminelles, qu'il s'agisse de la criminalité organisée, des trafics de produits stupéfiants ou du trafic de migrants.

Par ailleurs, l'abandon du dispositif ECRIS, qui repose sur un système automatisé d'échange de casiers judiciaires, ne pourrait que difficilement être remplacé par un article équivalent de la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale du Conseil de l'Europe du 20 avril 1959.

Comme la France et les autres États membres, le Royaume-Uni nous semble cependant soucieux de maintenir une coopération judiciaire efficace, car le besoin de coopération est symétrique : les Britanniques ont, tout comme nous, besoin d'une coopération judiciaire aussi étendue qu'actuellement, et ils ont d'ailleurs activement participé aux négociations sur certains instruments de coopération pénale future, notamment sur la proposition de règlement sur le gel et la confiscation des avoirs criminels, ou sur les textes liés à l'European Criminal Record Information System – Third Country National (ECRIS-TCN) sur le système d'interconnexion des données de condamnations judiciaires pour les ressortissants d'États tiers de l'Union européenne.

Parvenir à un niveau de coopération équivalent nécessitera cependant que soient prévus des mécanismes permettant de compenser la sortie du Royaume-Uni de l'espace de justice, de liberté et de sécurité européen, construit sur des garanties importantes et permettant, en tout état de cause, de fonder une confiance mutuelle. Cet espace de justice, de liberté et de sécurité a pour corollaire un autre principe cardinal, celui de la libre circulation des personnes. Or, il semble que le Royaume-Uni soit opposé aujourd'hui, comme il l'était hier, à intégrer l'espace Schengen, ce qui ne peut se traduire que par une limitation de l'effectivité du principe de la libre circulation. Il sera donc difficile de parvenir à un accord reprenant les termes de celui conclu entre l'Union européenne, d'une part, et la Norvège et l'Islande d'autre part, dès lors que ces deux États font, eux, partie de l'espace Schengen.

Si le Royaume-Uni ne sera pas un État tiers comme les autres, il ne peut pas non plus vouloir s'engager avec l'Union selon des garanties moins fortes que celles d'États tiers avec lesquels nous entretenons déjà la plus grande proximité en matière de coopération judiciaire. La coopération pénale au sein de l'Union n'est, par ailleurs, rendue possible que par la confiance que se portent les États membres, une confiance fondée notamment sur le respect mutuel des droits fondamentaux communs énoncés dans la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et une mise en oeuvre s'effectuant sous le contrôle d'une juridiction supra-étatique, la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE). Or, en tant qu'État tiers, le Royaume-Uni ne sera plus soumis ni à ces principes, ni à cette juridiction. En outre, il ne semble pour le moment pas envisager de s'y soumettre.

On constate la présence de lignes rouges dans les négociations avec le Royaume-Uni visant à assurer un équilibre suffisant dans le cadre de la coopération future avec cet État en matière judiciaire et policière. Ces lignes rouges portant sur trois aspects principaux : celui de la protection des données personnelles – qui dépasse évidemment le seul champ de la coopération judiciaire –, l'absence de participation à la gouvernance au sein des organes de l'Union – un point que Frédéric Baab pourra développer au sujet d'Eurojust –, et la question du contrôle par la CJUE.

J'en ai terminé avec les observations générales que je souhaitais vous soumettre et je me tiens à votre disposition pour répondre à vos interrogations plus spécifiques.

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Je vous remercie pour cet exposé complet et plutôt rassurant, même s'il fait apparaître qu'un gros travail sera à accomplir quand le gouvernement britannique aura précisé sa position.

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Frédéric Baab, représentant de la France à l'unité de coopération judiciaire Eurojust

Si je vais m'exprimer en tant que représentant de la France à l'unité de coopération judiciaire Eurojust, je me permettrai de dire un mot d'Europol, qui est mon voisin direct à La Haye, et qui se trouve dans une situation identique à celle d'Eurojust.

Après la présentation très complète de l'état actuel de la coopération judiciaire avec le Royaume-Uni que vient de faire Nathalie Ancel, je concentrerai mon propos sur trois aspects : la participation aux agences – je préfère employer le pluriel car nous travaillons aujourd'hui dans une coopération tellement étroite avec Europol que, dans un certain nombre de domaines, nous formons un véritable binôme et que la situation d'Europol au regard du Brexit est exactement la même que celle d'Eurojust – ; les instruments de coopération judiciaire qui s'appuient sur le principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice ; enfin, les instruments qui ne s'appuient pas sur ce principe de reconnaissance mutuelle des décisions de justice.

Pour ce qui est du premier sujet, une question essentielle se pose : le Brexit va-t-il changer quelque chose à la situation du Royaume-Uni au sein d'Eurojust ? La réponse est : oui et non. Oui, parce que quand vous sortez de l'Union européenne, vous ne pouvez évidemment plus avoir un représentant national auprès d'Eurojust. Comme l'a dit Nathalie Ancel, ce représentant ne fait pas seulement de la coopération judiciaire, mais participe aussi à la gouvernance de l'agence – en particulier au collège d'Eurojust, où sont prises toutes les décisions concernant aussi bien la gestion quotidienne que les orientations stratégiques de l'agence. Non, parce que le Royaume-Uni ne sortira d'Europol et d'Eurojust que pour y revenir le lendemain matin, sur la base d'un accord de coopération – opérationnel et stratégique en ce qui concerne Europol, également opérationnel mais un peu moins stratégique en ce qui concerne Eurojust – qui lui permettra de continuer à participer à l'activité opérationnelle des agences.

En ce qui concerne Eurojust, cela signifie que le Royaume-Uni signera un accord de coopération spécifique avec l'agence qui lui permettra d'avoir, non pas un membre national, mais un procureur de liaison rattaché à Eurojust. Sont ainsi déjà rattachés à Eurojust un procureur de liaison américain, une procureure de liaison suisse, un procureur de liaison norvégien et, depuis quelques mois, un monténégrin : comme vous le voyez, le dispositif est en train de s'étendre.

Sur le plan opérationnel, le procureur de liaison a exactement les mêmes attributions qu'un membre national : il peut ouvrir un dossier, organiser une réunion de coordination – ce qui est le principal outil de coopération que nous utilisons à Eurojust –, et même présider cette réunion de coordination. Il est assez amusant de voir la Suisse, par exemple, présider la réunion de coordination dans des affaires financières, et ainsi organiser la coordination entre les États membres. Le procureur de liaison peut aussi signer une équipe commune d'enquête et y participer : depuis la signature par la Suisse du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'entraide judiciaire de 1959, les autorités judiciaires suisses ont la possibilité de participer à des équipes communes. Enfin, le procureur de liaison peut aussi bénéficier de fonds européens pour le fonctionnement des équipes communes d'enquête.

Comme vous le voyez, sur le plan opérationnel, il n'y aura absolument aucune différence : nous continuerons de coopérer avec le Royaume-Uni comme nous le faisons aujourd'hui. La seule différence, c'est que le procureur de liaison britannique ne pourra pas participer aux réunions du collège d'Eurojust, donc à la gouvernance d'Eurojust. En résumé, le Brexit ne fera aucune différence en ce qui concerne les agences, qu'il s'agisse d'Eurojust ou d'Europol.

J'en viens aux instruments de coopération judiciaire de reconnaissance mutuelle. Comme vous le savez, la reconnaissance mutuelle constitue le principe fondateur de l'espace judiciaire européen – un espace de sécurité, de liberté et de justice, créé en 1999 par le Conseil européen de Tampere, en Finlande. La coopération judiciaire qui s'inscrit dans ce cadre repose sur la reconnaissance mutuelle des décisions, dont la plus parfaite expression est le mandat d'arrêt européen, adopté dès 2002. Il existe cependant un autre instrument extrêmement important, à savoir la décision d'enquête européenne, qui a remplacé les commissions rogatoires internationales et qui repose, elle aussi, sur un principe de reconnaissance mutuelle.

Le sens de la reconnaissance mutuelle, c'est que la demande d'entraide ou d'extradition venant d'un autre État n'est plus une décision étrangère, mais une décision européenne – un mandat d'arrêt européen ou une décision d'enquête européenne, par exemple – qui doit être reconnue et exécutée dans l'État d'exécution comme s'il s'agissait, ou presque, d'une décision nationale. La reconnaissance mutuelle est un principe très fort, mais connaissant quelques exceptions qui permettent de refuser l'exécution – des exceptions forcément limitées, puisque l'exécution est quasi automatique. Je suis en train de vous décrire un monde idéal que nous n'avons jamais connu avec les Britanniques, car rien n'est automatique avec eux ; en revanche, avec les autres pays de l'Union européenne, en particulier avec nos grands partenaires en matière de coopération que sont l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie, la reconnaissance mutuelle aboutit à une exécution quasi automatique.

La reconnaissance mutuelle est donc intimement rattachée à la notion d'espace judiciaire européen. Non seulement elle vous oblige à reconnaître et à exécuter des décisions étrangères comme s'il s'agissait de décisions nationales, mais vous devez également vous soumettre un certain nombre de contrôles, en particulier à celui de la Commission européenne et à celui, plus puissant encore, de la CJUE. Dès lors qu'un État quitte cet espace judiciaire européen, il paraît inconcevable qu'il puisse continuer à utiliser les instruments de reconnaissance mutuelle : cela reviendrait en quelque sorte à accepter une déconstruction complète de notre espace judiciaire, qui deviendrait une sorte d'éventail de services parmi lesquels les uns et les autres pourraient choisir en fonction de leurs besoins ou de leur positionnement politique.

Certes, le Royaume-Uni l'a déjà fait au moment du traité de Lisbonne avec l'opt-in et l'opt-out, mais il me semblerait très difficile à accepter – je ne vous parle pas comme un procureur ou comme un magistrat, mais comme un simple citoyen européen – que, redevenu un pays tiers, le Royaume-Uni puisse continuer à faire son marché dans l'espace judiciaire européen en utilisant les instruments de son choix. Theresa May en a cependant fait la demande dans un discours prononcé lors de la dernière conférence sur la sécurité à Munich au mois de février dernier, en ciblant très clairement deux instruments, à savoir le mandat d'arrêt européen et la décision d'enquête européenne. En tant que représentant national auprès d'Eurojust, je dispose d'une totale liberté de parole, et je vous confirme être tout à fait opposé à ce que le Royaume-Uni puisse continuer à utiliser ces instruments de reconnaissance mutuelle.

Si nous voulons maintenir une coopération avec les Britanniques – il le faut à mon sens, compte tenu de l'importance qui est la leur dans le domaine de la coopération judiciaire et policière –, nous devrons le faire sur d'autres bases, en l'occurrence sur des bases conventionnelles qui existent déjà, dans le cadre des procédures simplifiées que Nathalie Ancel a évoquées.

Dernier volet : les autres instruments de coopération judiciaire. Il y en a deux qui sont extrêmement importants pour nous : les équipes communes d'enquête et les échanges d'informations entre les casiers judiciaires, c'est-à-dire le système européen ECRIS.

Il me semble que, pour ces deux instruments, on devrait pouvoir trouver des solutions qui permettraient au Royaume-Uni de continuer à les utiliser. D'abord, encore une fois, le Royaume-Uni redevient certes un pays tiers, mais pas moins qu'un pays tiers. Si la Suisse peut recourir aux équipes communes d'enquête en application du deuxième protocole additionnel à la convention européenne d'entraide judiciaire pénale de 1959, le Royaume-Uni, qui a également ratifié ce protocole, le peut aussi. Rien ne s'opposera donc à ce que les autorités judiciaires britanniques puissent bénéficier elles aussi des financements assurés par Eurojust dans ce domaine.

En ce qui concerne les échanges d'informations tirées des casiers judiciaires, autrement dit les informations relatives aux condamnations prononcées par les juridictions des États membres, je crois très important de maintenir le Royaume-Uni dans ce système. Le point le plus important pour nous, aujourd'hui, c'est évidemment le cas pour Europol mais pour Eurojust aussi, c'est le partage d'informations, que ce soit sur les condamnations ou les enquêtes en cours, en particulier en matière de terrorisme, et vous savez peut-être que la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, a signé en juin dernier avec ses homologues espagnol, allemand et belge une déclaration commune appelant à la création d'un registre judiciaire européen anti-terroriste auprès d'Eurojust. Ce sujet du partage d'informations est extrêmement important.

Je ne crois pas qu'il y ait une difficulté particulière à ce que le Royaume-Uni participe au système ECRIS. Je pense qu'il est possible de trouver une solution juridique qui lui permettra de continuer à partager des informations concernant les condamnations prononcées au Royaume-Uni, non seulement sur les ressortissants britanniques mais également sur ceux des pays tiers.

Le Royaume-Uni cherchera à soutenir jusqu'au bout sa demande de participation au mandat d'arrêt européen. On peut à cet égard établir un parallèle intéressant avec la Norvège. Ce pays a signé avec l'Union européenne un accord de coopération en ce qui concerne la remise des personnes recherchées, autrement dit un accord de coopération qui cible en particulier le mandat d'arrêt européen. Le Royaume-Uni vous dira sans doute : « Accordez-moi ce que vous accordez à la Norvège. » Or cet accord n'a toujours pas été ratifié par l'ensemble des États membres. Ensuite, si vous prenez la peine de le lire, vous trouverez à l'article 7, en ce qui concerne la remise des ressortissants d'États d'exécution, une disposition intitulée « exception de nationalité » et qui permet à l'État d'exécution, s'il le souhaite, au moment où l'accord entrera en vigueur, de faire une déclaration qui lui permette de refuser l'extradition des nationaux qui est pourtant une des grandes avancées du mandat d'arrêt européen.

De la même manière, dans cet accord est réintroduit le contrôle de ce qu'on appelle la double incrimination, c'est-à-dire que, si l'infraction n'est pas prévue dans le droit de l'État d'exécution, ce dernier peut refuser la remise, alors que c'était précisément un des progrès majeurs du mandat d'arrêt européen de supprimer ce contrôle de double incrimination. Vous voyez donc que, même dans cet accord avec la Norvège, il ne s'agit pas en réalité du mandat d'arrêt européen en tant que tel mais d'une version extrêmement assouplie qui ressemble davantage à une procédure d'extradition simplifiée.

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Gilles Barbey, chef de la section négociations européennes au sein de la direction centrale de la police judiciaire – division des relations internationales au ministère de l'intérieur

La coopération policière est un sujet qui peut paraître complexe car plusieurs éléments se superposent. Les instruments et surtout les systèmes mis en oeuvre servent parfois à différentes choses, comme par exemple le système d'information Schengen (SIS), qui, de fait, transporte physiquement les mandats d'arrêt européens. D'autres systèmes, quand bien même ils permettent l'échange d'informations, sont aussi des bases essentielles au niveau de la sécurité, plus que des instruments de coopération. Je vais essayer de vous expliquer cela de façon graduelle, en commençant par Europol.

L'agence Europol est l'agence européenne de police. Elle nous est utile, indispensable, elle l'est également pour les Britanniques. Si ces derniers sortent de l'Union européenne, comme ce sera le cas, de façon sèche ou non, je pense comme M. Baab qu'aura été passé un accord du type de ceux que l'on peut désormais passer avec n'importe quel pays tiers, pour qu'ils puissent continuer de travailler par le biais d'Europol. Ils n'auront plus, comme pour Eurojust, accès aux organes de gouvernance, c'est-à-dire qu'ils ne seront plus représentés au conseil d'administration. À Europol, les membres pèsent réellement sur les choix politiques de l'agence et les systèmes opérationnels qu'elle développe. C'est pourquoi les Britanniques le regrettent déjà fortement, car ils n'auront plus leur mot à dire sur ces orientations. Ça leur est préjudiciable à eux, pas à nous.

Ensuite, Europol compte des personnels britanniques. Leur nombre est faible, il est d'ailleurs au même niveau que la France. Avec une quarantaine de personnels britanniques pour 650 personnes, les choses se feront tranquillement. Cela ne changera pas fondamentalement les choses puisqu'un analyste, qu'il soit Espagnol, Français ou Lituanien, peut faire un travail similaire.

La question de savoir s'ils restent ou non n'est pas à ce jour tranchée, pas plus que celle plus large de ce que deviendront les fonctionnaires et personnels britanniques au sein de l'ensemble des institutions de l'Union. En tout état de cause, la majeure partie des personnels de l'agence Europol sont des personnels en contrats à durée déterminée, c'est-à-dire que, contrairement aux autres institutions, ce sont principalement des policiers, des gendarmes, des douaniers ou des membres des agences de sécurité des différents pays qui font l'objet, suivant les cas, de mises à disposition ou de détachements de leur administration d'origine, pour une durée pouvant aller au maximum jusqu'à neuf ans, avec des contrats de plusieurs années qui se renouvellent. Donc, dans tous les cas, quand bien même on conserverait nos amis britanniques, il arrivera un moment où ces contrats ne seront pas renouvelés. Il restera sans doute deux ou trois personnels britanniques employés à des tâches de secrétariat ou d'administration ; leur cas sera réglé de la même façon que celui des autres personnels de l'Union. En la matière, nous n'avons pas encore de vision pour l'instant car la Commission tend à annoncer des éléments un peu contradictoires sur le sort des personnels britanniques au sein de l'Union européenne. L'agence se conformera aux choix qui seront faits. Ce n'est pas une véritable difficulté.

En ce qui concerne l'échange d'informations, comme les autres États tiers qui participent déjà au travail de l'agence par le biais d'accords opérationnels ou stratégiques, les Britanniques pourront adresser des données comme ils le font aujourd'hui. Ces données seront partagées comme c'est le cas aujourd'hui.

Il y aura bien quelques nuances. Il faudra tout d'abord, pour que les Britanniques participent à tel ou tel fichier d'analyse, que les autres États membres soient d'accord, mais, s'agissant des Britanniques, cela ne posera guère de difficultés.

En outre, au lieu d'avoir ce que l'on appelle un accès direct aux données, ils n'auront plus qu'un accès indirect. Je vous vois noter ces termes : prenez-les avec beaucoup de réserve car cela ne correspond absolument pas à ce que vous imaginez ! Quand on dit « accès direct aux données », on imagine un policier britannique accédant directement dans la base d'Europol ; non, ce ne sera pas le cas. Le policier britannique passe par son bureau de liaison national ; c'est en fait son bureau de liaison national au sein d'Europol qui a la possibilité d'accéder directement au personnel Europol en charge de tel fichier pour répondre à sa requête. Pour les pays tiers qui ont un accès indirect, ce qui serait le cas de nos amis britanniques, le bureau ou l'officier de liaison concerné ne s'adresse pas directement à l'analyste du fichier mais passe par une étape intermédiaire qui est le centre opérationnel, auquel il appartient de vérifier la validité de la demande, ce qui induit des délais de réponse différents. Malgré tout, des solutions seront trouvées pour raccourcir au besoin le délai de traitement de l'information.

Pour Europol, je pense qu'il faut rester serein. Les Britanniques sortiront et ne pèseront plus sur la politique de l'agence ; en revanche, ils communiqueront toujours des données, ils feront toujours partie des différents fichiers d'analyse utiles, ils pourront également participer, comme aujourd'hui, au support administratif et, pour partie, au financement du cycle politique et des « fameux » impacts puisque les pays tiers peuvent participer aux impacts dans le cadre du cycle politique. Je pense donc qu'il faut garder une certaine réserve, d'autant plus que vous entendrez régulièrement nos amis britanniques dire qu'ils sont les plus gros contributeurs au sein des fichiers d'Europol. En la matière, les pays parlent un langage très différent. La France ne met que quelques milliers de personnes dans le système d'information d'Europol car nous y mettons celles qui nous paraissent intéressantes et sur lesquelles nous avons des dossiers en cours, des procédures, des renseignements. D'autres pays n'entrent pas ces données qui nous paraissent les plus utiles et les plus pertinentes, mais vont par exemple entrer le fichier quasi complet de leurs délinquants sexuels, c'est-à-dire qu'ils utilisent ce système comme un déport de leurs bases de données nationales. Ainsi, tel pays contribue à hauteur de 300 000 à 400 000 entrées, certes, mais il n'a finalement pas transmis grand-chose car il n'a pas partagé les données des personnes sur lesquelles il existe des éléments intéressants, sur lesquelles il enquête réellement.

De la même façon, nous interrogeons ce système souvent de façon précise, pour des raisons spécifiques, tandis que d'autres pays, notamment certains pays nordiques, vont passer la liste des passagers du ferry qui relie deux villes ; ils ont donc un niveau d'interrogations très élevé, là où nous n'avons que quelques centaines d'interrogations, mais nous ne l'aurons pas utilisé aux mêmes fins, dans un même cadre. En la matière, il faut raison garder sur les chiffres que peuvent avancer nos amis britanniques ou tout autre pays. Je ne dis pas que nous sommes les meilleurs élèves en qui concerne les contributions, mais nous sommes loin d'être les plus mauvais.

Ce sont plutôt nos amis britanniques qui seront perdants puisqu'ils bénéficieront de moins de réactivité de la part de l'agence pour le traitement de leurs demandes et ne participeront plus à la gouvernance de l'agence. Pour autant, je ne doute pas que les choses se poursuivent ; ce n'est pas vraiment un sujet d'inquiétude.

Il faut également parler du SIS. À côté des États membres, il y a les États dits associés, qui sont des États Schengen : Suisse, Liechtenstein, Islande et Norvège. Ces États associés participent au SIS car ils ont accepté de prendre à leur compte l'ensemble de l'acquis Schengen, c'est-à-dire un ensemble de textes essentiels puisque cela comprend par exemple la décision-cadre dite « initiative suédoise » qui nous permet d'échanger librement des informations, assure une certaine réciprocité et consacre le principe de disponibilité de l'information.

La troisième catégorie est celle des pays tiers. Le Royaume Uni, s'il devait sortir de l'Union européenne, deviendrait un pays tiers ; je ne vois pas trop en quoi il pourrait réclamer de devenir un État associé s'il ne participe pas à Schengen. Schengen, c'est la libre circulation des personnes et le SIS a été créé pour compenser la suppression des frontières dans le cadre de la libre circulation des personnes. Aujourd'hui, il n'y a pas d'État tiers associé au SIS.

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Le Royaume-Uni n'est déjà pas dans Schengen.

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Gilles Barbey, chef de la section négociations européennes au sein de la direction centrale de la police judiciaire – division des relations internationales au ministère de l'intérieur

Les Britanniques ne sont pas dans Schengen mais, depuis 2015, ils utilisent le SIS. Je sais que c'est un peu compliqué. Depuis 2015, ils accèdent au SIS au titre de l'espace de sécurité et de justice mais c'est un accès limité puisque, ne participant pas à la partie visas et frontières, ils n'ont pas accès à la totalité des signalements. Au 1er août, ils auront cependant un accès total.

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Gilles Barbey, chef de la section négociations européennes au sein de la direction centrale de la police judiciaire – division des relations internationales au ministère de l'intérieur

Ce n'est pas tout à fait le même cas mais il y a également la Roumanie et la Bulgarie, qui sont au sein du SIS et sont en même temps Schengen sans l'être puisque l'on n'a pas encore autorisé la suppression des contrôles aux frontières.

Nos amis britanniques seront dans le SIS de façon totale au 1er août 2018 puisqu'ils auront alors accès à la partie migratoire. Mais ils n'y sont que depuis 2015 : s'ils devaient en sortir demain, le nombre de leurs signalements dans ce cadre serait nettement inférieur à celui d'États comme la France ou l'Allemagne.

Il faut savoir également qu'ils ont une utilisation du SIS qui prête à discussion. On s'aperçoit, dans le cadre des évaluations mutuelles, indispensables pour conserver un niveau de confiance mutuelle élevé, qu'à l'image de ce qu'ils peuvent pratiquer au niveau judiciaire, ils s'arrangent avec les règles, ont une utilisation qui n'est pas tout à fait conforme aux standards ni même à la déontologie qui devraient être ceux de tout utilisateur du SIS, ce qui pose et posera un certain nombre de difficultés. Par exemple, quand on y met des mandats d'arrêt européens, ce n'est pas pour autant que les Britanniques décident de les traiter, voire même de ne pas les supprimer quand ils les mettent dans leur système de contrôle national aux frontières.

Il ne faut pas oublier non plus que le SIS est l'instrument européen le plus important en termes de police. Si tout devait être supprimé en Europe, nous ne vivrions plus aujourd'hui sans le SIS, pour ce qui est des policiers européens, parce qu'il s'agit effectivement des mandats d'arrêt, qui en est une toute petite partie, mais aussi de l'ensemble des signalements liés aux individus, pour des personnes mises en observation, aux fins de contrôles discrets, notamment les fameuses fiches S, mais aussi tous les objets – voitures volées… –, les documents… C'est un système de contrôle des frontières devenu pour nous essentiel. Ce n'est pas un fichier d'analyse, il faut bien le comprendre – Europol a des fichiers d'analyse où l'on traite des données et des renseignements pour en sortir des schémas liés à des groupes criminels ou terroristes – ; le SIS est une collection de signalements de la part de l'ensemble des pays qui permet au policier de terrain, lorsqu'il fait son contrôle, d'avoir une réponse positive ou négative immédiatement.

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Merci. Nos collègues vont à présent vous poser leurs questions.

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Merci pour ces présentations extrêmement complètes qui laissent finalement peu de questions à poser.

Le Brexit, quelles qu'en soient les modalités, aura-t-il un impact sur la qualité de la justice européenne et, surtout, va-t-il créer des risques sur la sécurité européenne ?

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Gilles Barbey, chef de la section négociations européennes au sein de la direction centrale de la police judiciaire – division des relations internationales au ministère de l'intérieur

Ceux qui prendront le plus de risques sont les Britanniques, qui, privés de toutes les bases d'information européennes pour leurs contrôles aux frontières, risquent de se retrouver aveugles. Ce sera beaucoup moins le cas pour les pays européens, puisque, même si les Britanniques sortent du SIS, ils continueront de verser les données les plus importantes, relatives par exemple à des terroristes ou délinquants recherchés, dans le système informatique Europol (SIE), auquel nous aurons accès, tandis qu'ils n'auront, quant à eux, plus accès aux données européennes mises dans le SIS. Ce sera beaucoup plus dommageable pour eux que pour nous, même si nous préférions les garder.

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Nathalie Ancel, adjointe au directeur des affaires criminelles et des grâces à l'administration centrale du ministère de la justice

Tant dans le champ des infractions à couvrir que dans les outils de coopération, tout sera mis en oeuvre pour que la qualité de la justice soit préservée. En matière de champ des infractions, il est primordial qu'il n'y ait pas de recul dans la lutte contre le terrorisme ou la criminalité organisée. S'agissant des outils, je rejoins ce qu'a dit M. Baab : il est nécessaire de préserver les outils tels que le mandat d'arrêt européen et la décision d'enquête européenne. Il existe des possibilités moins efficientes qui maintiennent cette coopération et tout doit être mis en oeuvre pour les optimiser, en signant, comme je l'ai dit, des protocoles. Une ligne rouge est que soient maintenus le contrôle et la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

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Puisque les Britanniques seraient perdants et en position faible, que peuvent-ils négocier et, de l'autre côté, qu'est-ce que l'Europe pourrait imposer dans les négociations, qui seront difficiles, sur d'autres plans, commercial ou autre ?

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Les Britanniques ne comptent-ils pas sur les risques que ferait peser une désunion entre l'Union européenne et la Grande-Bretagne dans ces matières de coopération judiciaire et policière pour qu'on leur octroie des accords spéciaux ?

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Frédéric Baab, représentant de la France à l'unité de coopération judiciaire Eurojust

Si l'on fait le compte des différents instruments, agences, reconnaissance mutuelle et autres outils de coopération judiciaire, le Brexit ne changera en réalité pas grand-chose. Le Royaume-Uni fait aujourd'hui absolument comme il veut : mandat d'arrêt européen ou pas, il décide de l'enregistrer ou pas dans le SIS, il décide de l'exécuter ou non, en rajoutant des motifs de refus qui n'existent pas dans le texte, avec une transposition qui va très au-delà de ce qui est prévu par l'instrument lui-même… Le Royaume-Uni est absolument pragmatique dans ce domaine. Cela ne changera rien. Je vous donne deux exemples.

Eurojust est très impliquée dans la lutte antiterroriste. Nous travaillons beaucoup dans le dossier du 13 novembre, et nous avons élaboré avec le Royaume-Uni deux dossiers concernant les attentats commis au musée du Bardo et à Sousse, en Tunisie. Le dossier sur l'attentat du musée du Bardo a été ouvert par le bureau français d'Eurojust, celui sur l'attentat à Sousse, parce qu'il n'y avait que des victimes britanniques, par le bureau britannique. Nous avons coopéré très étroitement avec eux en mettant à leur disposition nos relais en Tunisie, en particulier notre magistrat de liaison. Un lien très étroit a ainsi été noué et sera maintenu quand ils auront quitté l'Union européenne et auront un procureur de liaison. Ça ne changera strictement rien.

Autre exemple, sur la transmission d'informations en matière de terrorisme à Eurojust : une décision du Conseil de 2005 – 2005671JAI – prévoit la transmission d'informations à Europol et Eurojust en matière de terrorisme, informations portant à la fois sur les enquêtes en cours et les condamnations. Le Royaume-Uni n'a pas choisi de rester dans cet instrument au moment de l'opt-out. Peu importe. Spontanément, ils contribuent à Eurojust, donnent des informations, principalement sur les condamnations. Il n'y a pas besoin d'une décision européenne pour cela.

En ce qui concerne la coopération dans le domaine de la justice pénale, je pense donc que les Britanniques ont finalement assez peu de choses à négocier parce que le statut de pays tiers leur permettra de conserver une coopération judiciaire extrêmement étroite avec l'Union européenne.

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Les inquiétudes exprimées par Theresa May sont donc un peu surjouées.

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Frédéric Baab, représentant de la France à l'unité de coopération judiciaire Eurojust

Oui.

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Merci d'avoir pris le temps d'exposer vos inquiétudes, vos attentes et votre vision de la coopération future de notre pays et de l'Union européenne avec nos voisins britanniques. Nous avons appris beaucoup de choses.

Nous vous transmettrons le rapport au terme de son élaboration.

La table ronde s'achève à 15 heures 55.

Membres présents ou excusés

Présents. - M. Bertrand Bouyx, M. Pierre-Henri Dumont, M. Jacques Marilossian, M. Jean-Pierre Pont

Excusés. - M. Jean-Louis Bourlanges, M. Paul Christophe, M. Alexis Corbière, M. Alexandre Holroyd, Mme Marie Lebec, Mme Constance Le Grip, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marielle de Sarnez, Mme Liliana Tanguy, Mme Sabine Thillaye