Commission des affaires sociales

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • EFS
  • collecte
  • don
  • donneur
  • modèle
  • plasma
  • sang
  • établissement
  • éthique

La réunion

Source

Mercredi 4 octobre 2017

La séance est ouverte à dix heures trente-cinq.

(Présidence de Mme Brigitte Bourguignon, présidente)

La commission des Affaires sociales procède à l'audition de M. François Toujas, président du conseil d'administration de l'établissement français du sang, candidat pressenti par le Gouvernement au renouvellement de son mandat

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Notre ordre du jour appelle l'audition de M. François Toujas, président du conseil d'administration de l'Établissement français du sang, pressenti par le Gouvernement au renouvellement de son mandat.

Je vous rappelle que l'article L. 1451-1 du code de la santé publique dispose que les dirigeants pressentis de certains organismes majeurs dans le champ sanitaire doivent être auditionnés par le Parlement, en l'espèce les commissions des affaires sociales des deux assemblées, avant leur nomination. Je précise qu'il s'agit d'une simple audition, et non d'un avis demandé aux commissions compétentes. Cette audition ne sera donc pas suivie d'un vote.

Je vous informe par ailleurs que cette audition est la première d'un organisme auprès duquel est désigné un référent de notre commission. Ce dispositif nouveau, voulu par le bureau de la commission, vise à développer les liens avec les principaux organismes oeuvrant dans son champ de compétence. À ce titre, notre commission vient de désigner M. Stéphane Viry, membre du groupe Les Républicains, qui disposera de cinq minutes pour poser les premières questions à notre invité.

Monsieur Toujas, je crois qu'il est temps de vous donner la parole pour vous présenter tout d'abord, mais surtout pour vous entendre sur les activités et orientations majeures de votre établissement.

Permalien
François Toujas, président du conseil d'administration de l'établissement français du sang

C'est en application des dispositions du code de la santé publique relatives aux procédures de nomination en qualité de président ou de directeur d'agence sanitaire, que vous avez évoquées, madame la présidente, que j'ai l'honneur de me présenter devant votre commission comme en dispose la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé.

Je mesure la responsabilité qui est la mienne cinq ans après ma première nomination à la tête de Président de l'Établissement français du sang (EFS), dans le cadre d'un possible renouvellement pour trois années supplémentaires.

Cinq ans qui, objectivement, ne furent pas « un long fleuve tranquille », mais qui, je pense, ont montré la force et la richesse au quotidien ainsi que les tensions comme les réussites du service public de la transfusion au service de la santé publique et des patients.

Je vais vous présenter rapidement l'Établissement français du sang, puis dresser le bilan synthétique de ces cinq années, et ensuite vous faire part des orientations que je souhaite donner à un éventuel deuxième mandat, avant de répondre aux questions que vous voudrez bien me poser.

L'Établissement français du sang a été créé le 1er janvier 2000 ; il est issu des lois du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament et du 1er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme. Cette création a bien évidemment tiré toutes les conséquences d'un sujet très grave ayant beaucoup ému notre pays : l'affaire du sang contaminé.

L'EFS collecte, prépare, qualifie puis distribue aux établissements de santé les produits sanguins labiles (PSL) dont les malades ont besoin. En outre, il exerce aussi des activités dites « associées » au coeur de métier, avec des centres de santé dans lesquels sont pratiqués des saignées thérapeutiques, des prélèvements de cellules, mais aussi des activités de recherche et de formation.

L'établissement compte 9 000 collaborateurs, très investis dans leurs missions ; son chiffre d'affaires s'élève à 900 millions d'euros environ ; il comporte quinze établissements régionaux, est présent dans 200 sites répartis sur tout le territoire, ce qui constitue une réalité territoriale très forte. Il réalise 40 000 collectes mobiles par an. À cet égard, je rappelle que la prochaine collecte à l'Assemblée nationale aura lieu au mois de décembre, et la suivante au mois de juin ; je vous remercie de vous mobiliser régulièrement pour donner votre sang.

Comment qualifier l'Établissement français du sang ?

C'est un établissement singulier, stratégique et sensible.

Singulier parce qu'il est responsable d'un service public particulier, qui par son éthique s'appuie sur la générosité des donneurs, de leurs associations et de nos concitoyens contribuant sans rétribution au don du sang. Cette générosité, il faut le rappeler, fonde l'esprit, ou l'exemple, de notre modèle transfusionnel français ainsi que les valeurs fortes auxquelles les donneurs comme la société civile sont très attachés : bénévolat, volontariat, anonymat, gratuité du don.

Singulier encore en raison de sa principale mission, placée au coeur de la santé publique : l'Établissement détient le monopole de la transfusion sanguine civile et se trouve exposé à la concurrence pour une partie de ses activités. Il lui revient également de dégager les gains d'efficacité nécessaires à sa modernisation ; enfin, il exerce auprès des équipes soignantes des missions de conseil dans le domaine de la transfusion.

Son statut hybride fait de lui un établissement original : il est constitué en établissement public à but non lucratif dont la nature est qualifiée d'administrative, mais son régime financier et comptable est celui des établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC). Il s'agit donc là d'une construction juridique très intéressante, et dont la gestion au quotidien n'est pas toujours simple.

Il faut conserver à l'esprit que l'EFS est un établissement stratégique. Il est producteur d'une ressource très précieuse : le sang humain, qui se présente sous différentes formes et ne connaît aujourd'hui ni substitut ni importation possible. Cette ressource vitale permet de répondre aux besoins des malades sur l'ensemble du territoire national, soit environ un million de patients pris en charge grâce à un peu plus de 3 millions de dons par an, effectués par un peu moins de 1,6 million de donneurs.

L'Établissement gère des produits sanguins sensibles, des concentrés de globules rouges, des plaquettes, du plasma thérapeutique, mais il fournit également aux laboratoires français de fractionnement des biotechnologies un plasma appelé matière première, qui sert à la production de médicaments dits « médicaments dérivés du sang ».

Les produits sanguins sont également stratégiques, notamment dans le cadre du développement des thérapies de demain liées à l'extraordinaire potentiel thérapeutique des cellules sanguines et médullaires.

L'ESF est aussi un établissement sensible. Je redis devant vous que, depuis que l'Établissement existe, l'autosuffisance en produits sanguins a toujours été assurée, grâce à l'engagement et la mobilisation permanente des donneurs, de la société civile et de nos personnels. Je rappelle souvent qu'environ 10 000 dons par jour sont nécessaires pour prendre en charge la totalité des patients, ce qui appelle un travail régulier avec les associations de donneurs de sang.

Quel bilan puis-je dresser de ces cinq années passées à la tête de l'Établissement français du sang, tout en rappelant qu'il a toujours été au rendez-vous des missions que les pouvoirs publics lui ont confiées ?

Premier élément de ce bilan : l'autosuffisance en produits sanguins labiles a toujours été garantie ; nous n'avons jamais manqué de produits sanguins labiles.

L'effort est quotidien, car ces produits ont une durée de vie limitée, de quarante-deux jours pour les globules rouges, cinq jours pour les plaquettes, et un an pour le plasma. La gestion de l'Établissement consiste à essayer de conjuguer en permanence l'effort de collecte, la gestion des stocks, mais également la lutte contre la péremption. Et je suis très fier de pouvoir vous dire que l'EFS est sûrement l'établissement qui, au monde, connaît le plus faible taux de péremption des produits sanguins, qui pour les globules rouges avoisine 0,05 %.

Conformément aux échanges que nous avons avec la direction générale de la santé (DGS), il nous est imposé de maintenir un stock de haut niveau, situé entre douze et quatorze jours pour les globules rouges, afin de faire face aux aléas susceptibles de se produire chaque jour. Chaque matin, je reçois sur mon bureau l'état des stocks régionaux ainsi que celui du stock national de produits sanguins.

Je souligne que la mise à disposition des produits sanguins labiles dans tous les établissements de santé signifie une présence sur tout le territoire, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, et que nous procédons à la fois aux examens d'immuno-hématologie ainsi qu'à la délivrance des produits dont les patients ont besoin.

Deuxième élément du bilan : la sécurité sanitaire a été maintenue à un haut niveau.

La garantie de la sécurité sanitaire constitue un impératif quotidien pour l'EFS, fortement marqué dans son histoire par le scandale du sang contaminé. Je pourrais décliner l'ensemble des mesures de sécurité sanitaires prises au cours de ces cinq années, mais je préfère vous exposer, à travers quatre événements, comment nous avons réagi.

Il s'agit tout d'abord de la gestion du risque bactérien, deuxièmement de la lutte contre les risques épidémiques émergents, troisièmement de la sécurité des donneurs, et enfin, malheureusement, de la gestion des attentats.

S'agissant de la lutte contre les risques épidémiques émergents, je suis en mesure de vous annoncer qu'à la fin de l'année nous aurons déployé un système permettant d'atténuer la totalité des pathogènes sur l'ensemble du territoire. Nous disposerons ainsi d'une gestion nationale du risque bactérien par atténuation des pathogènes ainsi que de certains petits virus portés par de très vilains moustiques.

La lutte contre les risques émergents constitue un sujet très important puisque, dans l'urgence en 2014, puis en 2015 et 2016, nous avons été conduits à prendre des mesures adaptées afin de lutter contre les épidémies de chikungunya puis de Zika aux Antilles et en Guyane. Nous avons également mis en place un plan de continuité d'activité (PCA), car ces maladies sont aussi susceptibles de se développer dans le sud de la France.

Autre question fondamentale parfois oubliée, la sécurité à laquelle les patients ont droit : les produits sanguins doivent leur être administrés dans la plus grande sécurité, mais les donneurs ont aussi le droit de donner leur sang sans que leur sécurité soit jamais remise en cause. C'est pourquoi nous avons décidé de développer des programmes de vigilance renforcée. À cet effet, nous avons mené une étude intitulée « Évasion », qui montre comment peuvent être limitées les conséquences quelque peu négatives du don de sang, notamment en montrant à l'occasion du don les gestes permettant d'éviter les malaises susceptibles de survenir.

Enfin – et comment ne pas penser à l'attentat commis à Las Vegas il y a quelques jours ? –, nous avons dû subir les deux épisodes très durs qu'ont constitués les attentats de Paris et de Nice.

J'avoue qu'il est assez difficile pour moi d'évoquer ces sujets sans émotion car, le 13 novembre 2015 puis le 14 juillet 2016, l'Établissement a participé à la prise en charge des blessés avec les équipes soignantes. Celles-ci nous ont dit que, dans ces moments, les produits sanguins n'ont jamais fait défaut. Et si cela a été possible, c'est bien parce que nous avions su conduire la politique de stocks nécessaire, même si la gestion du nombre considérable de donneurs après de tels événements peut poser des problèmes comparables à ceux qu'ont rencontrés nos collègues à Las Vegas.

Troisième point du bilan : notre modèle économique, qui est équilibré mais fragile.

Je rappelle que l'EFS est un opérateur de santé qui se finance par ses activités principales, à savoir la cession aux hôpitaux de produits sanguins labiles, laquelle connaît une diminution régulière, de 1 % à 2 % par an. Dans ce contexte, nous avons été conduits à mettre en oeuvre d'importantes réformes structurelles, qui ont permis de préserver les équilibres financiers de l'Établissement en retrouvant des marges de manoeuvre.

J'assume le fait qu'une politique volontariste efficiente a été menée, notamment en nous efforçant de rationaliser une politique nationale d'achat, qui a permis des gains de 40 millions d'euros en cinq ans.

Nous avons par ailleurs adopté une organisation plus efficace de l'ensemble de nos activités de collecte et de qualification biologique des dons.

Enfin, nous sommes en train de revoir notre organisation territoriale afin de disposer d'établissements régionaux plus importants en harmonisant l'ensemble de nos procédures, ce qui devrait générer des économies à terme.

Ainsi que je l'ai indiqué, l'Établissement compte un peu moins de 10 000 collaborateurs, et l'enjeu du dialogue social avec des personnels dont les conditions de travail sont parfois compliquées est fondamental. Nous avons donc mené avec les partenaires sociaux une négociation, qui a abouti à l'harmonisation des règles d'aménagement du temps de travail. Nous discutons par ailleurs actuellement de la définition de ce que seront les tâches du futur : comment attirer les compétences de demain ? Nous sommes confrontés au vrai sujet de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, dans un monde où la ressource médicale risque de se raréfier quelque peu.

Toutes ces actions sont conduites dans un environnement – comment l'oublier ? – que vous me pardonnerez de qualifier de plus menaçant qu'auparavant.

Plus menaçant, parce qu'après une plainte déposée par un laboratoire pharmaceutique, dont évidemment je tairai le nom, le Conseil d'État, après avis de la Cour de justice de l'Union européenne, a décidé le 23 juillet 2014 que notre plasma thérapeutique sécurisé par solvant-détergent, dit « plasma PFC-SD », n'était plus un produit sanguin labile (PSL), mais un médicament dérivé du sang (MDS). Dès lors, ce produit est entré dans le jeu de la concurrence des appels d'offres hospitaliers. Cette situation nous a conduits à réorganiser l'ensemble de la filière du plasma thérapeutique, et nous sommes aujourd'hui en concurrence avec des opérateurs privés.

Autre élément complexe : nous connaissons une période de croissance mondiale du besoin en plasma comme matière première pour fabriquer des MDS. On constate donc que cette collecte nécessite des efforts importants pour que, toujours dans le respect de l'éthique, nous puissions prendre en charge l'ensemble des malades sur le territoire national. La réalité, cependant, est que nous ne couvrons pas la totalité des besoins, et que nous sommes amenés à importer une partie du plasma matière première, ce qui pose la question de la préservation de notre modèle.

Venons-en maintenant, si vous le voulez bien, à ma vision des axes majeurs pour l'exercice d'un nouveau mandat.

L'Établissement doit poursuivre son effort de modernisation tout en continuant à assurer ses missions auprès des malades. C'est pourquoi j'ai souhaité le doter d'une vision prospective de long terme que j'ai appelée « EFS 2035 » et qui permette – bien que nul ne sache ce que sera le monde à cette échéance – de dire, en termes de médecine et de techniques de demain, quels éléments peuvent être définis. Nous devons encore déterminer aujourd'hui comment notre organisation et la recherche à venir pourront nous soutenir dans cette démarche.

En tout état de cause, tout président de l'EFS doit demeurer attentif à l'autosuffisance, à l'efficience, à la sécurité : voilà les priorités que je souhaiterais exposer devant vous.

La première priorité consiste à imaginer et à construire la collecte de demain avec les donneurs, qui doivent être au coeur de nos préoccupations.

Quel est aujourd'hui le contexte de la collecte ?

Nous sommes confrontés à la nécessité d'un renouvellement important de la population des donneurs, car 170 000 d'entre eux quittent nos fichiers, soit parce qu'ils sont atteints par la limite d'âge de 70 ans, soit parce qu'ils sont porteurs de maladies les excluant du don.

Or les besoins en produits sanguins demeurent constants, bien que diminuant légèrement, et il n'est pas envisagé avant dix ou quinze ans de substitution à leur utilisation à grande échelle. Par ailleurs, le don du sang doit davantage être à l'image de la diversité phénotypique que notre pays représente.

À mes yeux, cette situation a plusieurs conséquences.

Il faut mieux connaître les donneurs, et l'une des critiques que nous pourrions nous adresser est d'avoir trop « fait de science » autour de la médecine, alors que nous aurions peut-être dû nous tourner davantage vers les sciences sociales.

Ainsi devrions-nous nous interroger sur ce qu'est le don, sur la façon dont il est appréhendé, particulièrement dans certaines communautés. Comment les approcher ? Que signifie le don pour elles ? C'est là un sujet important, qui ne doit pas être abandonné aux seules techniques de marketing, mais doit aussi faire l'objet d'une approche universitaire recourant à la sociologie et à la psychologie. Je connais bien les Antilles, où l'on constate que le don de sang ne va pas nécessairement de soi, de même qu'il n'est pas toujours simple d'aller collecter dans certaines banlieues.

Ce sujet me semble fondamental. Nous devons dire aux donneurs que le don est une expérience qu'il faut renouveler. Et le donneur doit être bien accueilli : il faut qu'il trouve que c'est bien de venir à l'EFS, et qu'on lui démontre l'utilité de son don.

Dans cette perspective, nous devons engager une vraie transformation numérique de l'Établissement. Nous ne pouvons pas continuer à utiliser des moyens de communication qui sont ceux d'il y a vingt et trente ans ; dans certaines collectes, les jeunes gens font des selfies pendant qu'ils donnent leur sang, et les envoient à leurs amis.

Nous devons également attacher une attention particulière aux zones fragiles ou éloignées : la situation outre-mer me paraît singulièrement difficile. Nous devons, notamment pour la Guyane et Mayotte, engager les études qui nous permettront de savoir quand nous pourrons à nouveau collecter. Nous devons encore améliorer les moyens de collecte de sang aux Antilles et à La Réunion, car nous en avons besoin.

La diversité phénotypique de la population doit, en outre, être mieux représentée ; une politique ambitieuse de collecte de sangs rares doit être impulsée, car la prise en charge de certaines maladies nécessite une amélioration dans ce domaine. C'est la priorité absolue.

Nous devons par ailleurs renforcer nos capacités d'anticipation de la sécurité transfusionnelle afin de relever le défi de la mondialisation et de la multiplication des risques protéiformes.

À titre d'exemple, si nous avons pu faire face sans problème particulier à l'épisode Irma, c'est parce que nous avions positionné des produits sanguins par avance, juste avant la survenue de l'ouragan. Et il en a été de même pour le virus Zika. Nous voyons bien que l'anticipation de ces risques, en coopération avec nos collègues de Santé publique France et de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), constitue un enjeu primordial.

De leur côté, les techniques d'inactivation ou de détection doivent être améliorées, car les globules rouges restent le médicament le plus souvent administré : ils ne subissent aucun traitement, il faut donc chercher comment les traiter ; et cela constitue une perspective importante pour la recherche fondamentale.

La leçon que nous pouvons tirer des attentats de Nice et du Bataclan est que la question du stock constitue un élément stratégique de sécurité. Ce sont des chiffres que je ne divulgue que rarement : dans la nuit du 13 au 14 novembre 2015, nous avons utilisé trois fois plus de produits sanguins que d'habitude à Paris, mais cette quantité ne correspondait qu'à 10 % de nos réserves.

Cet atout doit être préservé, avec toutefois un sujet de préoccupation : il s'agit, plus que des produits sanguins eux-mêmes, que nous avons en quantité suffisante, de l'acheminement des produits là où ils doivent être administrés, y compris dans les hôpitaux. La question de la logistique en temps de crise est donc essentielle.

Troisième axe de mes engagements pour ce futur mandat : il me semble que l'EFS doit prendre sa part d'une meilleure allocation des ressources en matière de dépenses de santé. Nous sommes déjà un acteur de la réduction des actes redondants. Nous devons, en multipliant les échanges de données informatisées avec les hôpitaux, continuer à participer à cette meilleure allocation. L'EFS doit aussi, à mon sens, gérer ce qu'en anglais on appelle le patient blood management, et que j'appellerai la gestion du sang pour le patient. Notre projet en la matière, afin de n'administrer ni trop ni trop peu de produits, vise à aboutir à une allocation optimale des ressources.

Je finirai par deux éléments de réflexion pour l'avenir. Le premier, complexe, est lié à la consolidation de la filière plasma en France : c'est à la fois une exigence et une nécessité. D'un point de vue macroéconomique, le plasma sert de matière première pour la fabrication de médicaments dérivés du sang, dont beaucoup de malades ont besoin, on le sait. Or, 80 % de cette matière première arrive des États-Unis, ce qui est, en soi, un risque, car les conditions de collecte y sont parfois très loin de ce que nous trouvons acceptable, comme l'ont dénoncé certains reportages.

Pour autant, les malades ont besoin de ce plasma. L'EFS doit donc être capable de participer à un accroissement fort de la collecte, et il est en train de le faire. Les conséquences économiques d'un tel choix doivent être évaluées, et la soutenabilité de cette filière reste à construire dans les années à venir. Sauf à accepter que nous nous détournions avec un voile de pudeur sur les conditions de collecte de plasma dans certaines régions des États-Unis, il est normal que l'EFS joue ce rôle car les patients ont besoin de plasma. C'est un sujet stratégique en termes d'indépendance nationale et européenne.

Il me paraît important de soulever un dernier point devant vous, parlementaires : la Commission européenne vient de lancer un programme de révision des directives sur le sang et les cellules. À cette occasion, nous devons défendre, même si je n'aime pas trop employer ce verbe, notre modèle éthique. En vérité, nous devons surtout le promouvoir, car un établissement national, intégré, gérant la totalité de la collecte et de la distribution représente une solution viable par rapport à d'autres organisations ou systèmes. J'en veux pour preuve nos coopérations très fortes avec des pays aussi importants que le Brésil, la Chine ou le Chili. Ce modèle éthique n'est pas « ringard ». Alliant éthique et efficience, il me semble qu'il peut également représenter une solution pour nos voisins et amis.

En conclusion, je tiens à réaffirmer deux principes fondamentaux qui me guident et constituent à mon sens l'enjeu des années à venir : d'une part, l'éthique n'est pas opposée à l'efficience, bien au contraire, et l'alliage des deux constitue un modèle vertueux ; d'autre part, nous devons absolument refuser l'actuelle marchandisation du corps humain, à l'oeuvre dans d'autres pays.

Pourquoi un deuxième mandat ? Parce qu'à la place qui est la mienne, dans ce service public essentiel qui sera soumis à de fortes tensions, j'espère être utile à la transfusion sanguine. J'espère également être utile à la santé publique – nous travaillons tous les jours pour les patients, et c'est heureux. Enfin, et je vous prie de bien vouloir m'excuser de le formuler ainsi, j'espère être utile à mon pays : dans les moments très difficiles que nous vivons, alors que le pays est parfois divisé, le don du sang produit de la cohérence, de la cohésion et contribue au « vivre-ensemble ».

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour cet exposé très complet, et je vais maintenant donner la parole à mes collègues, en commençant par notre référent pour l'EFS, M. Viry.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Toujas, nous avons pris note de la situation de l'EFS, du bilan que vous avez présenté et de votre vision prospective. Vous avez évoqué la collecte et, plus encore, la collecte de demain. Depuis l'après-guerre, plus exactement depuis 1949 et la création de la Fédération française pour le don de sang bénévole (FFDSB), le don du sang est bénévole dans notre pays. C'est un véritable choix de société, vous l'avez rappelé en conclusion de votre propos liminaire, et ce choix de société est fondé sur la solidarité citoyenne. Au nom de l'ensemble de mes collègues, je profite de cette audition pour rendre hommage à tous les bénévoles qui le rendent possible.

Vous avez évoqué de nouvelles modalités de collecte. Il va de soi que l'indisponibilité du corps humain, pour nous essentielle, est l'un des aspects du respect de la dignité humaine. Dans les mois à venir, nous aurons sans doute à nous pencher sur la révision des lois de bioéthique, mais je tenais à rappeler ce principe auquel nous sommes tous attachés.

Vous avez évoqué le besoin continu de plus de 10 000 donneurs par jour. Ce don de soi sauve quotidiennement des vies. Nous avons tous à l'esprit, dans chacune de nos circonscriptions, les bénévoles dévoués à cette noble cause au sein d'associations très actives. Ils font preuve d'une forme de générosité et je tenais à leur rendre hommage.

Dans le modèle français, la transfusion sanguine relève effectivement du service public, que nous devons préserver. Ce modèle de collecte est une garantie pour les donneurs et les receveurs : d'un bout à l'autre de la chaîne transfusionnelle, les processus répondent aux mêmes normes, aux mêmes conditions et aux mêmes exigences, préservant ainsi la sécurité de tous. La vision prospective que vous développez me semble rejoindre cet objectif.

Néanmoins, votre établissement lance régulièrement, et particulièrement l'été, des appels urgents aux dons. Je souhaiterais connaître l'efficacité de ces appels. La générosité de nos concitoyens ne fait pas de doute, nous l'avons constaté au moment des tragiques attentats, vous en avez parlé. Parmi les personnes qui donnent leur sang pour la première fois, pourriez-vous nous indiquer combien, ensuite, s'inscrivent dans un processus régulier de don ?

Le questionnaire « pré-don » a été modifié l'année dernière. Le don est désormais autorisé pour les personnes homosexuelles, qui en étaient exclues depuis plus de trente ans en raison des risques liés au sida. L'an passé, en plus du caractère très symbolique et attendu de la mesure, la ministre avait évoqué un potentiel de 21 000 donneurs supplémentaires. Quel bilan et quels enseignements pouvez-vous tirer de cette mesure un an plus tard ?

Sous la précédente législature également, les associations de donneurs de sang, relayées par de nombreux députés du groupe Les Républicains, s'étaient inquiétées de l'adoption successive de plusieurs articles de loi concernant le don du sang : l'article 71 de la loi du 22 décembre 2014 de financement de la sécurité sociale pour 2015 a ouvert à la concurrence la production du plasma sécurisé par solvant-détergent, dit « plasma SD », auparavant réalisée par votre seul établissement ; l'article 190 de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « loi Macron », a ouvert le capital du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies (LFB) ; l'article 166 de la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a renvoyé à une ordonnance – et donc à l'administration – le soin de réformer l'EFS, et prévu la suppression des procédures d'autorisation d'importation et d'exportation de certains produits de santé, notamment les produits sanguins labiles (PSL).

L'ordonnance portant adaptation et simplification de la législation relative à l'Établissement français du sang et aux activités liées à la transfusion sanguine a été publiée le 20 octobre 2016. Je souhaiterais connaître les conséquences précises de sa mise en oeuvre. Le Parlement, comme nous nous en étions inquiétés, a été totalement exclu du processus puisque le projet de loi de ratification de l'ordonnance n'a pas encore été mis à l'ordre du jour.

Je souhaiterais également évoquer la question des médicaments dérivés du sang. À l'époque missionné par le premier ministre, notre actuel rapporteur général, M. Olivier Véran, avait rédigé un rapport très complet sur « la filière sang en France », publié en juillet 2013. Il constatait qu'elle n'était pas assez bien organisée pour faire face au nouvel environnement international, compétitif – vous en avez dit un mot. Il soulignait que 40 % des médicaments dérivés du sang ne proviennent pas de sang « éthique », car importés de pays qui rémunèrent le don du sang. Il proposait deux solutions : d'une part, la création d'un label éthique figurant sur chaque flacon des médicaments fractionnés à partir de plasma bénévole et, d'autre part, la mise en place d'une contribution sur les médicaments issus de plasmas rémunérés. À ma connaissance, à ce jour, ces propositions n'ont pas été mises en oeuvre : où en est-on de la réflexion ? Il me semble également qu'elles gagneraient à être portées au niveau européen. Sur ce sujet, nous vous rejoignons sur la promotion du modèle éthique français.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, ma question recoupe l'intervention de mon collègue. Comme vous l'avez rappelé, en France, notre modèle transfusionnel est fondé sur la générosité des donneurs, le bénévolat et le volontariat. Mais ce modèle éthique est aujourd'hui confronté aux menaces de marchandisation du corps humain, notamment en ce qui concerne le plasma. Jusqu'en 2014, le plasma à finalité thérapeutique était considéré comme un produit sanguin labile (PSL) fabriqué par l'EFS uniquement. Mais l'arrêt du 13 mars 2014 de la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) l'a « transformé » en médicament dérivé du sang, ouvrant sa production aux multinationales privées.

La législation française a dû intégrer la directive européenne, mais elle impose toutefois que ces soi-disant « médicaments » soient toujours fabriqués à partir de plasma dit « éthique », issu de dons volontaires et non rémunérés. Dans les faits, selon les associations de donneurs de sang qui nous saisissent, nul n'est en mesure de vérifier les pratiques des laboratoires qui, pour certains, collecteraient ce plasma essentiellement aux États-Unis, où cette activité est rémunérée et souvent exercée par des personnes vulnérables qui n'ont pas vraiment le choix. Sans traçabilité imposée aux fournisseurs privés de plasma, il est aisé de contourner la loi et notre modèle éthique. J'ai posé une question écrite à ce sujet à la ministre de la santé le mois dernier. Confirmez-vous ce phénomène d'introduction de plasma issu d'activités rémunérées en France au cours des dernières années et, si oui, dans quelles proportions ? Le cas échéant, pensez-vous nécessaire de renforcer la loi afin de garantir la traçabilité du plasma utilisé en France ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je ne doute pas que vous allez être reconduit dans vos fonctions de président. Nous croyons tous ici au caractère volontaire et bénévole du don du sang, caractère qui préside d'ailleurs à l'ensemble des dons d'organes dans notre pays, contrairement à ce qui se produit dans certains pays où ce type de don est devenu un véritable marché. Dans votre intervention liminaire, vous nous avez fait part de vos inquiétudes à ce sujet, puisque l'EFS se fournit à l'étranger pour certains produits. J'aurais souhaité que vous précisiez votre pensée.

Ma deuxième question porte sur la situation financière de l'EFS : lors de votre précédent mandat, vous aviez appelé notre attention sur sa situation financière équilibrée, mais fragile, puisque ses recettes reposent sur la cession de PSL. Comment, dans les cinq ans à venir, envisagez-vous de maintenir cette trajectoire financière qui conditionne un système de volontariat auquel nous tenons tous ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Ma question porte sur la mobilisation que nous avons connue au cours des derniers événements tragiques : beaucoup de donneurs se sont proposés mais n'ont pas pu donner leur sang. A-t-on réussi à mobiliser ces personnes ultérieurement ?

Permalien
François Toujas, président du conseil d'administration de l'établissement français du sang

Monsieur Viry, en matière de collecte, vous avez raison, les donneurs sont là à certains moments dans l'année, moins à d'autres moments – durant les vacances d'été et d'hiver notamment, les ponts de mai ne facilitant pas non plus une collecte régulière. Cela explique nos appels réguliers aux dons. En effet, les produits sanguins sont périssables. On ne peut donc compter sur une collecte événementielle, même très importante, pour tenir toute l'année. Fin juin, nous avons lancé un appel urgent aux dons. Les chiffres sont clairs : avant l'appel, nous disposions de dix jours de stock ; après, nous sommes montés à dix-sept. Ainsi avons-nous facilement pu passer la période, toujours un peu compliquée, des vacances d'été.

La question de la fidélisation est fondamentale. Elle constitue aussi, disons-le, un axe de progression : sur cent donneurs ayant déjà donné, soixante reviendront donner, mais sur cent primo-donneurs, seuls trente reviendront… Nous devons donc nous attacher, d'une part à attirer de nouveaux donneurs – seulement 4 % de la population en âge de donner donne effectivement – et, d'autre part, à « fidéliser » les nouveaux donneurs, notamment les jeunes – d'où nos efforts de communication. Si l'on analyse la courbe des âges des donneurs, que remarque-t-on ? Les jeunes se mobilisent très fortement entre 18 et 20 ans, puis disparaissent pour ne revenir que vers 40 ou 50 ans. Nous devons amener au don des populations aujourd'hui absentes, mais surtout améliorer le taux de fidélisation.

S'agissant de l'ouverture du don du sang aux hommes ayant des rapports sexuels avec d'autres hommes (HSH), il faut se souvenir qu'il y a cinq ans, les HSH étaient définitivement exclus du don. Cette solution n'était ni raisonnable ni tenable. Le don a été ouvert sous deux conditions, qui ont d'ailleurs entraîné des réactions très critiques des associations lesbiennes, gays, bisexuelles et trans (LGBT) : ne pas avoir eu de relations sexuelles depuis douze mois pour le don du sang « total » et, pour la filière du don de plasma – cette ouverture est très importante – ne pas avoir changé de partenaire depuis quatre mois, la condition s'appliquant d'ailleurs aux HSH comme aux autres. Les choix sexuels personnels ne comptent donc plus : seule la prise de risque est évaluée, quelle qu'elle soit et quelle que soit l'orientation sexuelle.

Ce sujet était symbolique. Il s'agissait d'affirmer que personne ne doit être exclu du don pour de mauvaises raisons. Dans ce contexte, les conséquences en termes de dons ont été assez faibles, beaucoup plus faibles que ce que l'on pensait. Du 10 juillet 2016 au 10 juillet 2017, 1 000 personnes se sont présentées pour un don de sang total, 1 500 pour un don de plasma, mais les taux de contre-indication ont été très élevés lors de l'entretien préalable. Cela signifie sûrement que nous devons faire un effort de pédagogie. Il est en effet de mauvaise politique de dire à des gens qui veulent donner leur sang qu'ils ne le peuvent pas. Nous devons veiller à mieux leur expliquer les raisons, voire faire en sorte, grâce aux technologies numériques, qu'ils soient capables de s'auto-évaluer avant de se déplacer.

Sans les associations, l'EFS ne saurait pas remplir sa mission ! Ce sont des personnes indispensables qui, tous les jours ou tous les week-ends, travaillent avec nous à l'organisation des collectes, incitent les donneurs à se déplacer, procèdent à la réservation de salles – ils vous embêtent sans doute parfois, mesdames et messieurs les députés. Je tiens à les saluer et leur rends hommage car, sans ce milieu associatif – c'est aussi cela, la République –, il serait difficile de faire notre travail. Je suis très proche des associations, dont les valeurs sont fondamentales. Leurs membres sont jeunes ou vieux, de droite, de gauche ou du centre – mais, tous ensemble, ils sont mobilisés sur ce sujet.

Vous avez raison, suite à un contentieux introduit par un laboratoire pharmaceutique, le plasma thérapeutique, que l'on appelle aussi « plasma SD », a été requalifié en médicament dérivé du sang. Cela a eu deux conséquences : en premier lieu, pour le produire, il faut être un laboratoire pharmaceutique, ce que nous n'étions pas. Nous avons dû arrêter sa fabrication. En second lieu, et il s'agit d'une menace plus grave à mon sens : un médicament ne peut être qu'une marchandise. Sa procédure d'achat dans les hôpitaux relève donc d'appels d'offres… Il est très difficile d'articuler cela avec l'éthique du don.

Quoi qu'il en soit, il nous semblait nécessaire de montrer que l'établissement, désormais en concurrence pour la production de plasma thérapeutique, était capable de se réorganiser pour affronter cette concurrence. C'est ce que nous avons fait. Aujourd'hui, et ce n'est pas un secret d'État, notre part de marché est plus que confortable.

Monsieur Viry, vous m'interrogez sur l'ouverture du capital du LFB. Vous aurez compris que je suis président de l'EFS et non du LFB, puisque, depuis la loi du 4 janvier 1993 relative à la sécurité en matière de transfusion sanguine et de médicament, la collecte est très clairement séparée du fractionnement. Pour autant, je pense que nous avons intérêt à disposer d'une filière plasma forte dans notre pays.

Madame Toutut-Picard, quelle part représente le plasma éthique français dans les médicaments dérivés du sang ? Il m'est difficile de répondre à cette question, car je n'ai aucune responsabilité en la matière. En se basant sur la part de marché du LFB, le chiffre devrait toutefois être aux alentours de 50 %. Nous pouvons sûrement progresser, à condition de vérifier la soutenabilité économique de la collecte de plasma par plasmaphérèse. Le prix du plasma cédé au LFB est aujourd'hui très inférieur au prix mondial, ce qui constitue un problème économique important. Ma responsabilité est aussi de faire en sorte que la collecte ne fragilise pas l'EFS.

S'agissant des médicaments dérivés du sang, le contenu de l'arrêt du Conseil d'État, comme celui de la décision de la CJUE, sont tout à fait intéressants… Les juges estiment que le plasma SD est un médicament, car sa fabrication suit un processus industriel, mais que ses conditions de collecte doivent répondre aux conditions d'éthique posées par la directive européenne. Cela signifie que les opérateurs fournissant des médicaments dérivés du sang en France doivent prouver que le plasma collecté l'a été de manière éthique. Si ce n'est pas le cas, l'ANSM doit vérifier l'engagement de traçabilité et d'éthique de l'ensemble des producteurs. Mais elle peut également, au nom de la prise en charge correcte du malade, qui a besoin de ce plasma, donner une autorisation temporaire de mise sur le marché.

Monsieur Lurton, vous m'interrogez sur notre modèle économique. C'est une préoccupation quotidienne. Quand je suis arrivé à l'EFS, le plan d'investissement voté me semblait dépasser de très loin les capacités financières de l'établissement. Nous l'avons donc réduit d'un tiers, à 200 millions d'euros, car nous n'aurions pas su faire plus.

Nous devons par ailleurs nous interroger sur nos processus internes. Mon prédécesseur avait engagé cette réorganisation, je l'ai parachevée. À mon arrivée, quatorze plateaux de qualification des dons réalisaient en région la vingtaine d'analyses nécessaires sur le sang collecté. Nous avons fermé dix plateaux, pour en conserver uniquement quatre, plus gros. Si nous voulons continuer à disposer des financements nécessaires à nos projets – environ 40 millions d'euros par an –, il est absolument indispensable d'améliorer l'efficience de l'établissement, de manière volontariste, mais réfléchie. Lorsque l'on se réclame d'un modèle éthique, on ne peut qu'être efficient, car on vit des dons des donneurs. De ce point de vue, gaspiller l'argent public semblerait quelque peu bizarre.

Une question a m'a été posée sur la mobilisation pendant les attentats. J'ai appelé nos collègues de Las Vegas il y a deux jours ; ils m'ont dit qu'ils n'avaient que trois jours de stocks. Ils appellent donc les gens pour que la collecte se fasse dans les hôpitaux. Chez nous, la collecte se fait à l'Établissement français du sang.

Je rappelle qu'à Nice et à Paris les cliniciens nous ont dit qu'ils n'avaient jamais eu besoin de sang. L'organisation préalable, avec des stocks importants, est une garantie de sécurité. Ces stocks sont disposés régionalement. C'est compliqué à mettre en place, ça coûte un peu d'argent – en fait, pas tant que ça – mais, je le répète, la politique consistant à maintenir entre douze et quatorze jours de stocks est un élément très fort de sécurité pour nos concitoyens.

De mon point de vue, ce qui a été difficile à gérer pendant la période des attentats a été de faire venir les produits sanguins de nos centres aux hôpitaux, dans cette sorte de « Paris en guerre ». Je tire mon chapeau aux transporteurs, ainsi qu'aux forces de l'ordre qui nous ont aidés.

Un second sujet compliqué, et dont j'ai beaucoup de mal à parler sans émotion, a été de voir tous ces gamins mobilisés le lendemain. Ils étaient mobilisés, mais il y avait aussi des gens dans la nature, et les donneurs pouvaient devenir des cibles. Nous avons donc décidé de prendre le maximum de donneurs possible et de dire aux autres de signer une promesse de don, de rentrer chez eux et de revenir un ou deux mois plus tard. C'est ce qui s'est fait.

Après les attentats de Paris, notre stock est monté à vingt et un jours, mais le taux de péremption a très peu augmenté car nous avons réussi à réguler les besoins en produits sanguins sur l'ensemble du territoire.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président de l'EFS, cette rencontre est importante parce que le don du sang est un engagement personnel et citoyen. Elle donne l'occasion aux parlementaires de rendre hommage à tous ceux qui apportent la vie aux personnes qui en ont besoin.

Comme vous l'avez dit, seulement 4 % de la population française donne son sang, ce qui soulève des questions. Nous voyons combien l'exemple est important : celui donné par les parents et les grands-parents à leurs enfants ; par les professionnels dans les établissements scolaires ; par les chefs d'entreprise, qui peuvent favoriser la disponibilité pour le don du sang ; par les vedettes de la chanson ou du sport. Et les élus que nous sommes, les parlementaires, ont aussi la responsabilité d'être donneurs de sang. Je n'ai pas la prétention de lancer un appel, mais il serait nécessaire que nous le soyons tous.

Comment améliorer et fidéliser le don ? Nous refusons que le don du sang soit rémunéré, contrairement à ce qui se passe aux États-Unis où l'on parle de supermarché du don du sang et de business rémunérateur. Ce n'est pas acceptable, parce que cela remettrait totalement en cause le don du sang. Toujours est-il qu'il faudra peut-être des moyens supplémentaires pour améliorer ce don du sang et du plasma par des campagnes nouvelles.

Les campagnes de communication que vous faites sont admirables, monsieur le président, ainsi que les messages personnels par SMS et les actions concrètes. Je souhaite aussi saluer l'action des collectivités locales et lancer un appel aux communes et à tous les maires de France, pour que des locaux adaptés au don du sang soient mis à disposition dans chacune d'entre elles et que de véritables campagnes de proximité soient menées.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Beaucoup a été dit, mais je voudrais commencer moi aussi par saluer votre action, largement reconnue dans cette salle et au-delà. Elle contribue à faire de notre santé un bien commun. Dans ce que vous faites, il y a un espace réservé profondément républicain. La confiance est la base de votre travail, mais votre travail est aussi un élément de la confiance que peuvent développer nos concitoyens à l'égard de notre système de santé. Comment considérez-vous l'évolution de ce rapport ? Nous avons vu sur d'autres sujets qu'il se dégradait parfois.

J'ai entendu toutes les économies que vous cherchez à faire, et vos efforts louables de gestion. Au vu de l'ampleur des défis que vous avez signalés, considérez-vous avoir des moyens suffisants ? Y a-t-il besoin d'outils publics complémentaires au vôtre ?

Considérez-vous que des offensives sont menées pour marchandiser le sang ? J'ai entendu vos propos sur le plasma, quelles garanties supplémentaires pouvons-nous prévoir pour qu'il n'y en ait aucune utilisation à des fins lucratives ?

Enfin, pourriez-vous préciser les ambitions prioritaires qui sont les vôtres pour les temps qui viennent ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quel est votre point de vue sur l'avenir du modèle éthique de transfusion sanguine, menacé notamment par l'Union européenne, suite à la perte du monopole de l'Établissement français du sang et la libéralisation de la collecte et de la distribution du sang ?

Pouvez-vous nous confirmer que jamais le don du sang ne sera rémunéré ? Que comptez-vous faire pour que l'Établissement français du sang empêche la France de s'engager dans cette direction extrêmement dangereuse ?

Permalien
François Toujas, président du conseil d'administration de l'établissement français du sang

Monsieur Perrut, merci de votre appel. Je n'ai pas à juger de la mobilisation de l'Assemblée nationale, mais je peux vous dire que les deux collectes que nous faisons ici – en décembre et en juin – sont très importantes.

Je ne peux que confirmer vos propos, le don du sang est une réalité locale, et nous avons besoin des élus locaux pour la mise à disposition de salles. Ce sujet, qui semble évident, est d'autant plus important pour nous aujourd'hui que, pour des raisons de sécurité publique et de risques d'attentats, les autorités voient d'un moins en moins bon oeil les collectes sur la place publique, sauf à les sécuriser pour des coûts faramineux. Cela signifie que de plus en plus, nous demandons la mise à disposition de locaux municipaux. J'ai rencontré l'Association des maires de France (AMF) à ce sujet.

S'agissant des moyens, je ne veux pas embêter mes amis de Bercy, mais nous avons toujours besoin de moyens. Nous sommes dans une relation exigeante mais constructive avec la direction du budget, et c'est bien normal.

J'aime beaucoup aller sur les collectes, car on y voit la France d'aujourd'hui, et contrairement à ce que l'on dit ici ou là, elle n'est pas si fragmentée que cela. Elle se retrouve, elle partage, entre des gens très différents. Certaines collectes très importantes font chaud au coeur. La République, c'est le vivre ensemble, et le don du sang symbolise aussi cela. Je crois même que le don du sang fait partie de la citoyenneté.

Quant au risque de marchandisation, il existe incontestablement. Mais allons au bout des choses : si nous ouvrons le don du sang aux marchands, quelles seront les conséquences ? Nous le savons, d'autres pays l'ont fait. La première conséquence sera que, parfois, les produits ne seront plus disponibles, comme dans d'autres secteurs du marché du médicament. Comme cela se fait dans des pays que nous connaissons bien, il y aura des dons de recomposition : le don sera intrafamilial, et quand il n'y a plus de don familial, on achète des dons. Tous les pays qui ont fait cela se sont heurtés, à un moment, à une très grande insuffisance de produits sanguins.

De plus, à long terme, l'éthique et le don du sang bénévole sont des gages de sécurité. Quand on est bénévole, on ne va pas cacher ce que l'on fait, puisque l'on n'agit pas pour être rémunéré, mais pour donner. On ne donne pas pour se faire plaisir, même si les psychosociologues nous diraient que cela fait plaisir de donner : une étude fait apparaître que les donneurs sont plus heureux que la moyenne des Français. Mais du fait qu'il s'agit d'un don, on ne va pas cacher ce que l'on est, puisque c'est un geste de solidarité. C'est important pour le donneur et aussi pour le receveur, même s'il est évident que l'analyse de la totalité des dons est la meilleure garantie. Le droit, il faut le rappeler, n'est pas du côté du donneur : il est du côté du receveur, du malade, qui a le droit de recevoir les produits sanguins les plus sécurisés possible.

Ouvrir à la rémunération, c'est ouvrir à certaines choses horribles. Je ne ferai pas la publicité de tout cela, vous pouvez le voir dans des reportages télévisés sur le sujet.

Je vous assure que lorsque l'on voit les collectes, dans tous les endroits – centre-ville, villes moins riches, campagnes – on retrouve la citoyenneté et le vivre-ensemble dans la collecte de sang, et je trouve cela très important.

Sur les remises en cause possibles du modèle éthique, la France est à la tête de la bataille sur ce sujet. Je pense par ailleurs que le don éthique n'est pas remis en cause au niveau européen. Il n'y a pas aujourd'hui de projet de libéralisation de la collecte de globules rouges, ni même de la distribution.

Si nous regardons les niveaux de développement des pays, nous constatons que tous les pays qui se développent ont réussi à mettre en place un système de transfusion sanguine moderne. Non seulement il faut défendre notre modèle, mais il faut le promouvoir, parce qu'il a un avenir, y compris pour l'amélioration du niveau de vie des populations.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Beaucoup de choses ont été dites, notamment au niveau anthropologique, sur la dimension du don. Construire la cité part également du don : on va vers l'autre, et l'autre vient vers nous.

Vous avez dit que l'éthique n'est pas opposée à l'efficience. Je voudrais aborder la question de la science et de la recherche. Le contrat d'objectifs et de performance (COP) de l'EFS vous impose de consacrer 2 % de vos ressources à la recherche scientifique. Atteignez-vous ce chiffre ? Dans le cas contraire, quelles actions allez-vous mener pour l'atteindre ? Quels sont les axes de recherche et les avancées, puisque l'éthique repose aussi sur les avancées de la science, notamment sur le sujet du sang, qui est éminemment anthropologique et symbolique, et qui peut avoir de nombreuses retombées pour les uns et les autres ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, vous avez évoqué avec beaucoup de transparence le sujet complexe du plasma SD, et les risques de marchandisation de ce produit. Quelle est votre position sur l'arsenal juridique qui existe aujourd'hui en France en matière de traçabilité ? Le nouvel article R. 1211-19 du code de la santé publique, issu d'un décret du 13 avril 2017, dispose que : « Pour être utilisé à des fins thérapeutiques, tout élément ou produit du corps humain prélevé ou collecté doit être accompagné d'informations relatives notamment à la sélection clinique et biologique des donneurs, à l'étiquetage et à la traçabilité de l'élément ou du produit (…) ». Pensez-vous qu'il soit de nature à s'appliquer au plasma SD, ou serait-il nécessaire que la représentation nationale se penche sur une législation particulière pour encadrer la traçabilité de ces produits, qui viennent de l'étranger dans des conditions telles qu'on en ignore parfois l'origine ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'aimerais vous rapporter un témoignage de ma circonscription, fortement rurale bien qu'étant juste à côté de Strasbourg. Les associations vont organiser rapidement une chose simple mais qui fonctionne bien pour la citoyenneté : le bal des donneurs de sang. J'en suis l'invitée d'honneur, et ils espèrent ainsi attirer du monde, mais je ne suis pas sûre du tout que cela va fonctionner ! Mais si je peux servir, je veux bien le faire !

Nous sommes face à un paradoxe concernant la communication venant de l'EFS. Aujourd'hui, le stock est suffisant, même lorsqu'il y a des attentats, et nous sommes donc confrontés à un infléchissement de la collecte. Je voulais vous alerter de cela, le message doit être extrêmement bien pesé.

J'ai des enfants qui sont grands maintenant, et ils donnent leur sang, mais ils m'ont toujours dit qu'on ne leur en parlait jamais à l'école. On y parle des gestes qui sauvent, mais pas du don de sang.

Permalien
François Toujas, président du conseil d'administration de l'établissement français du sang

Effectivement, la recherche est un élément fondamental de notre activité. Notre métier est la médecine transfusionnelle, et pour en préparer l'avenir, nous sommes obligés de mobiliser des moyens importants. Dans le contrat d'objectifs et de performance, qui est toujours très ambitieux, l'objectif était de consacrer 2 % de nos ressources à la recherche. Les contraintes budgétaires ont fait que l'effort propre de l'EFS atteint aujourd'hui 1,6 %.

La recherche à l'EFS est un sujet important, à propos duquel je dialogue en permanence avec la présidente du conseil scientifique de l'EFS. Elle a pour objet de préparer les activités transfusionnelles de demain. Ainsi, peut-on, à partir de cellules-souches, créer des cellules sanguines ? A priori, oui, mais ce ne sera pas pour demain, mais plutôt pour après-demain. Autrement dit, il va falloir continuer à collecter.

Le deuxième axe de recherche est d'améliorer notre connaissance concrète de la naissance et du comportement des cellules sanguines dans le corps. C'est important dans les cas d'allo-immunisation, lorsque des personnes qui reçoivent beaucoup de produits développent des phénomènes de rejet.

S'agissant du troisième thème de recherche, je suis très fier d'en parler aujourd'hui, puisque nous avons publié ces travaux. Nous avons amélioré fortement nos outils de détection, et réussi à mettre en place, c'est une première mondiale, un test qui permet de découvrir, y compris en phase asymptomatique, que des gens étaient possiblement atteints par la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ces gens développent la maladie dix ans après !

Nous faisons aussi de la recherche clinique, notamment pour savoir comment se comportent les plaquettes dans le corps humain.

Enfin, et c'est un enjeu important sur lequel il y a des questions de financement, nous sommes en train de préparer la médecine de demain : médecine personnalisée ou régénératrice, avec des médicaments un petit peu bizarres, que l'on appelle médicaments de thérapie innovante. Il s'agit de prendre des cellules et de les traiter de manière particulière avant de les réimplanter chez quelqu'un, par exemple pour réparer un muscle cardiaque ou un oeil.

Nous devons, cela dit, toujours rester attentifs à certains points.

Tout d'abord, la recherche que nous faisons au sein de l'établissement fait-elle partie de notre coeur de métier ? Pour les chercheurs, le coeur de métier est quelque chose d'assez large, mais j'ai la responsabilité du pilotage, et je dois m'en assurer.

Il y a un deuxième élément sur lequel je pense que nous devons avancer plus rapidement, et c'est pourquoi nous travaillons avec l'Agence de la biomédecine pour comprendre les mécanismes du don. Cela impose de faire appel beaucoup plus que nous ne l'avons fait jusqu'alors à des spécialités sociales et psychosociales. Nos collègues québécois, par exemple, en savent beaucoup plus que nous sur le sujet. C'est d'autant plus important que nous sommes parfois confrontés à des communautés dans lesquelles on utilise quotidiennement l'expression : « Nous sommes frères de sang », ne serait-ce que parce qu'on y pratique l'échange du sang. Or, c'est le contraire du modèle éthique, dans lequel le don de sang est anonyme, volontaire et gratuit. Nous devons avancer pour débloquer les noeuds qui peuvent exister dans certaines populations.

Concernant l'arsenal juridique sur la traçabilité, je rappelle que je ne suis que le président du conseil d'administration de l'EFS, ce qui est par ailleurs heureux : j'applique des décisions ou des réglementations, mais je ne les prends pas moi-même. La seule chose que je puisse dire de façon extrêmement sûre, c'est que toutes les poches de sang, tous les produits sanguins collectés et distribués en France – plaquettes, globules rouges, plasma thérapeutique – bénéficient d'une traçabilité complète. En sortant un tout petit peu de ma responsabilité, j'ajoute que dans le plasma master file, qui regroupe les règles que se donnent les producteurs de plasma, on trouve la traçabilité. La question est de savoir comment tout cela est contrôlé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaite vous interroger sur le modèle économique. Vous avez parlé de nouvelle organisation territoriale, et je comprends que l'équation soit compliquée à résoudre pour vous, mais les associations de proximité sont aussi là pour la réussite, et l'implication des bénévoles localement est très importante. Régionaliser tout en conservant le rôle important des bénévoles sera compliqué à mettre en oeuvre. Comment comptez-vous maintenir ce modèle économique fragile et développer l'implication locale nécessaire ? Nous pouvons rendre hommage aux bénévoles qui ont un fort pouvoir de convictions des collectivités territoriales.

Seulement 4 % de la population française donne son sang. Vous faites des campagnes de communication, et la dernière que vous avez lancée, le 7 avril, avait marqué les esprits. Le message était que le don du sang est un acte citoyen, et cette campagne était aussi une interpellation des candidats à l'élection présidentielle. Avez-vous un moyen de mesurer l'impact de ces campagnes de communication ? Car communiquer coûte cher…

Enfin, les lycéens et les étudiants sont aussi des donneurs potentiels auxquels l'information n'arrive pas toujours. Des partenariats avec l'éducation nationale ou les universités sont-ils envisagés ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur le président, je vous remercie de votre présentation et vous félicite pour votre gestion pertinente de l'EFS. C'est un établissement reconnu qui assure des services fiables sur notre territoire. L'EFS garantit une sécurité maximale par des processus accrus et incontournables. Vous avez souligné que malgré tout, tous les besoins des malades n'étaient pas couverts, surtout au niveau des produits dérivés.

Comment élargir la cible des donneurs potentiels ? S'agissant du profil des donneurs, pensez-vous, en tant que spécialiste, qu'il soit toujours pertinent de conserver des critères de sélection des donneurs parfois discriminants, notamment à l'égard des personnes homosexuelles pour qui la durée d'exclusion temporaire est vingt à trente fois plus longue que dans d'autres pays ?

D'un point de vue organisationnel, pourrait-on élargir encore davantage les plages d'accueil des donneurs pour faciliter l'accès aux actifs ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous nous avez indiqué que les conditions de collecte du plasma dans certains pays étaient loin d'être acceptables – je reprends vos propos – et que nous étions assez dépendants d'un pays qui est le principal pourvoyeur de dons de plasma. Y a-t-il d'autres pays vers lesquels nous pourrions nous tourner, qui auraient le même modèle éthique que le nôtre et qui pourraient nous éviter ce type de dépendance ?

Permalien
François Toujas, président du conseil d'administration de l'établissement français du sang

En réponse à la question sur les paradoxes de la communication, notre travail est à l'image de celui de Sisyphe : à peine avons-nous réussi qu'il nous faut le reprendre. C'est l'honneur de l'établissement public, et sa mission. Chaque fois que nos stocks sont bons, ils vont redescendre, et il faudra les reconstituer. Par ailleurs, je vous remercie, madame Wonner, de participer à ces activités et de soutenir les donneurs.

Je crois qu'il faut sûrement mieux informer dans les écoles sur le don du sang. Cela se fait un peu, peut-être pas assez, surtout dans les petites classes. Nous nous sommes demandé si l'âge minimal pour donner son sang pourrait être abaissé à seize ans. Je n'en suis pas sûr. Toujours est-il que, quand on donne son sang, c'est l'occasion, notamment quand on est jeune, de s'interroger sur ses habitudes, sur ce que l'on a fait ou pas, de se demander si l'on peut donner son sang. C'est une chose qui pourrait servir à l'éducation sanitaire.

Concernant le modèle économique, nous devons tenir compte de la réalité d'une collecte qui se fait sur le terrain, là où sont les donneurs et les associations. Jusqu'où, et de quelle manière, organisons-nous les fonctions support et les fonctions managériales ? Faisons attention à ne pas devenir comme ces organisations où les fonctions support envahissent un peu tout… Essayons de regrouper les fonctions managériales au niveau régional pour privilégier les moyens de la collecte et de la sécurisation. Un exemple : il y avait quatorze plateaux de qualification biologique des dons, et mon prédécesseur a engagé une réforme, que j'ai terminée, de sorte qu'il y a aujourd'hui quatre plateaux seulement, qui traitent chacun 2 500 dons environ par jour, de façon bien plus sécurisée qu'avant. La question est donc de savoir ce qui doit être fait au plan local et ce qui doit être piloté au niveau régional.

Sur nos campagnes de communication, nous n'avons en effet pas assez de mesures d'impact. Vous nous parliez de la campagne dans laquelle nous avions fait un clin d'oeil aux candidats : comme nous n'avons pas d'argent, nous essayons d'être malins… Nous devons nous faire connaître ; j'ai des amis médecins qui me disent s'adresser à la « banque du sang » ! Ils ne savent pas qu'elle s'appelle l'EFS… Et nous devons aussi faire venir les gens. Il y a donc une double obligation, et les campagnes de fin juin ont été efficaces car nous avons réussi à augmenter les stocks. Nous réfléchissons aux moyens de mesurer cette efficacité. Nous avons déjà de gros partenariats avec les universités et les écoles, et nous voyons que les élèves qui ont plus de dix-huit ans et les étudiants viennent massivement donner leur sang. C'est, en plus, très sympa, car ils viennent à sept ou huit et mettent une très bonne ambiance dans le centre et pendant la collation.

J'ai été interrogé sur l'élargissement possible des cibles de donneurs, notamment les HSH. Ma position institutionnelle, en tant que président de l'EFS, est qu'il n'y a jamais assez de donneurs. Je suis donc, par définition, pour l'élargissement des cibles. Mais en même temps, cette décision ne m'appartient pas. Le contraire ne serait pas très satisfaisant en termes d'organisation de la sécurité de la santé transfusionnelle, car les décisions d'ouverture ou de remise en cause d'un ajournement nécessitent un travail épidémiologique, d'analyse, de sociologie, qui fait que ce n'est pas à moi de décider.

Prenons l'exemple de l'ouverture du don du sang aux HSH. Est-ce que le don du sang des HSH est plus risqué ? Cette question est mal posée : la vraie question est de savoir si, avant de donner son sang, une personne a eu des pratiques sexuelles à risque, quelle que soit sa sexualité. Le délai de douze mois a été retenu car nous avons constaté que, dans les pays qui sont passés d'une interdiction permanente à une interdiction pendant douze mois, aucun accroissement du risque n'a été constaté. C'est parce que des études ont été faites sur ce sujet que la direction générale de la santé et la ministre ont décidé de ce délai de douze mois, qui est considéré comme un palier susceptible d'être encore abaissé. À cette fin, des études sont en cours pour savoir si, à six mois seulement, voire à quatre mois, comme cela se pratique dans certains pays, le risque augmente.

Ce n'est pas à moi de prendre cette décision, et il faut qu'elle soit bien étayée scientifiquement, de façon très forte. Je le rappelle, le droit est celui des malades à avoir les produits les plus sécurisés possibles. On ne donne pas son sang pour se faire plaisir, mais parce que l'on va prendre en charge le soin de quelqu'un. Il faut donc que le don soit le plus sécurisé possible, et je n'ai aucun a priori sur ces sujets. Essayons d'allier une ouverture importante – 4 % de la population, cela ne suffit pas – avec la sécurité que l'on doit aux patients qui ont besoin de ces produits sanguins.

Sur le modèle éthique, non seulement ce modèle est fort et ancré, mais nous le partageons avec beaucoup de membres de l'Union européenne. Sur le sujet des globules rouges et de la collecte de sang total, nous ne sommes pas loin d'avoir un large accord au niveau de l'Europe, même si je suis fier de dire que la France est sûrement la plus exigeante sur le sujet.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour votre présence, votre exposé et votre action à la tête de l'EFS. Vous estimez que le don du sang est un élément constitutif et contributif du « vivre-ensemble » et de la citoyenneté ? Je ne peux que vous rejoindre sur ce point. Je voulais à cet égard revenir sur les droits des homosexuels et les conditions restrictives du don de leur sang. Vous venez très globalement de répondre à ma question et je vous en remercie. J'attends avec impatience les résultats des études mentionnées. Elles permettront peut-être un assouplissement de ces conditions. Vous formulez cette problématique de la bonne façon : il s'agit d'évaluer les pratiques à risques et non le profil ou l'identité sexuelles des donneurs. C'est une question d'égalité de droits, mais également de non-discrimination, même si, évidemment, la sécurité des patients est fondamentale.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous indiquez que le don du sang est une réalité locale. Vous avez souligné que l'on pouvait être amené à manquer de donneurs au niveau national. A-t-on établi une cartographie des régions, afin d'identifier celles qui ont les meilleurs résultats et sont les plus performantes ? Si tel est le cas, a-t-on identifié leurs bonnes pratiques de façon à pouvoir les étendre aux autres régions ?

Permalien
François Toujas, président du conseil d'administration de l'établissement français du sang

J'ai dit assez clairement ce que je pensais concernant les HSH. Je suis très exigeant sur un point fondamental : l'établissement public doit accueillir tout le monde correctement, quel que soit par ailleurs le résultat de l'entretien préalable.

Madame Granjus, je pourrais me contenter de vous répondre positivement. Mais je ne veux pas m'en tenir là. Nous favorisons, vous avez raison, l'autosuffisance régionale. Sans dresser un palmarès, je peux vous dire qu'en France métropolitaine toutes les régions sont autosuffisantes, sauf deux : Provence-Alpes-Côte d'Azur et l'Ile-de-France. Dans ces régions, nous devons faire un effort, la collecte n'étant pas assez efficace. Pour le dire autrement, les besoins en produits sanguins sont en partie satisfaits par des produits arrivant d'autres régions. Outre-mer, la situation est encore plus difficile. Pour des raisons de sécurité évidentes, les régions d'outre-mer devraient être autosuffisantes. Or, aujourd'hui, seule La Réunion l'est. Nous ne collectons pas à Mayotte. Le taux de dépendance de la Martinique est de 20 %, quand il est de 50 % à 60 % en Guadeloupe et en Guyane. Je le redis, il me semble nécessaire, quitte à réinterroger l'organisation globale dans ces régions, que la collecte soit prioritaire dans ces régions, même si les moyens sont limités. Il ne faut pas oublier que les Réunionnais, avec l'aide de la métropole, satisfont à des besoins très importants en produits sanguins à Mayotte.

A-t-on analysé les raisons de cette moindre efficience ? Oui, cela semble lié à l'urbanisation et à une relation au donneur plus délicate. Pour répondre à ces difficultés, nous avons mis en place des « territoires de collecte », correspondant notamment à la façon dont les gens se déplacent dans ces régions. Cela nous a permis d'obtenir des améliorations. Ainsi, Paris a fait de gros efforts, même si elle est loin d'atteindre l'autosuffisance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous prie de bien vouloir m'excuser si vous avez déjà traité le sujet : où en est la recherche sur la production de transporteurs d'oxygène synthétiques, qui pourraient représenter une alternative future à la transfusion de globules rouges ?

Permalien
François Toujas, président du conseil d'administration de l'établissement français du sang

Je vous remercie pour votre soutien au don du sang. Il m'est difficile de répondre à votre question car ce type de recherche n'est pas du ressort de l'EFS. Je ne me risquerai pas à faire de la publicité pour d'autres organismes… Je pense que cela commence à fonctionner. Certains organes sont transportés dans ce type de conditionnement particulier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour toutes les réponses que vous avez fournies, et qui ont éclairé la représentation nationale.

La séance est levée à douze heures vingt.

Informations relatives à la Commission

La Commission adésigné les référents de la commission :

– Mme Fadila Khattabi (LREM) pour l'UNEDIC

– M. Stéphane Viry (LR) pour l'Établissement français du sang

– M. Jean-Carles Grelier (LR) pour le Comité national consultatif d'éthique

– M. Gilles Lurton (LR) pour le Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge

Puis la Commission a désigné :

– Mmes Monique Iborra (LREM) et Caroline Fiat (FI), rapporteures de la mission d'information sur les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) ;

– M. Jean-Pierre Door, rapporteur de la mission flash sur le levothyrox.

Présences en réunion

Réunion du mercredi 4 octobre 2017 à 10 heures 30

Présents. – Mme Delphine Bagarry, Mme Ericka Bareigts, M. Bruno Bilde, M. Julien Borowczyk, Mme Brigitte Bourguignon, Mme Marine Brenier, Mme Blandine Brocard, M. Sébastien Chenu, M. Gérard Cherpion, M. Guillaume Chiche, Mme Christine Cloarec, Mme Josiane Corneloup, M. Dominique Da Silva, M. Pierre Dharréville, M. Jean-Pierre Door, Mme Jeanine Dubié, Mme Audrey Dufeu Schubert, Mme Nathalie Elimas, Mme Catherine Fabre, Mme Caroline Fiat, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Albane Gaillot, Mme Patricia Gallerneau, Mme Carole Grandjean, Mme Florence Granjus, M. Jean-Carles Grelier, Mme Claire Guion-Firmin, M. Brahim Hammouche, Mme Monique Iborra, M. Cyrille Isaac-Sibille, Mme Caroline Janvier, Mme Fadila Khattabi, M. Mustapha Laabid, Mme Fiona Lazaar, Mme Charlotte Lecocq, Mme Geneviève Levy, M. Gilles Lurton, M. Sylvain Maillard, M. Thomas Mesnier, M. Thierry Michels, M. Bernard Perrut, Mme Michèle Peyron, M. Laurent Pietraszewski, Mme Claire Pitollat, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Adrien Taquet, M. Jean-Louis Touraine, Mme Élisabeth Toutut-Picard, Mme Isabelle Valentin, M. Boris Vallaud, Mme Michèle de Vaucouleurs, M. Olivier Véran, M. Francis Vercamer, Mme Annie Vidal, Mme Corinne Vignon, M. Stéphane Viry, Mme Martine Wonner

Excusés. – Mme Justine Benin, M. Jean-Philippe Nilor, M. Adrien Quatennens, Mme Nadia Ramassamy, Mme Nicole Sanquer, Mme Hélène Vainqueur-Christophe