Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 13 septembre 2018 à 11h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 13 septembre 2018

Présidence de Mme Caroline Janvier, vice-présidente de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de M. Sylvain Fernandez-Curiel, coordinateur national de France Assos Santé, et M. Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies

L'audition débute à onze heure quarante.

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Monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous achevons cette matinée d'auditions en accueillant MM. Sylvain Fernandez-Curiel et Yann Mazens, représentants de France Assos Santé, que je remercie d'être venus échanger avec nous.

France Assos Santé fédère les associations agréées d'usagers du système de santé. Créée en mars 2017, elle inscrit son action dans la continuité de celle du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) et représente les usagers auprès des autorités sanitaires et des hôpitaux publics mais aussi des comités de protection des personnes (CPP), instances éthiques chargées de l'examen préalable des projets de recherche impliquant la personne humaine.

Je suis certaine que l'action associative menée par France Assos Santé va nous apporter un éclairage sur les grands enjeux de la bioéthique.

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Sylvain Fernandez-Curiel, coordinateur national de France Assos Santé

Je vous remercie pour votre invitation. M. Yann Mazens, qui m'accompagne, est chargé de mission produits et technologies de santé à France Assos Santé où je suis pour ma part coordinateur national après y avoir été chargé de mission santé.

Vous avez indiqué que France Assos Santé fédérait les associations agréées d'usagers du système de santé. Elle est plus exactement une union d'associations et il est à mon avis important que vous auditionniez également celles de ces associations qui en ont fait la demande, comme Renaloo et France Rein au sujet du don d'organes, ou l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD) sur la fin de vie. En effet, en tant qu'union d'associations, France Assos Santé prend position sur les questions de bioéthique qui font consensus parmi ses membres. Mais il n'est pas rare que, sur certains sujets, des associations membres aient des positions plus précises ou plus avancées que celles que nous soutenons, voire que leur opinion soit divergente. Ces différences, inévitables dans une union regroupant près de 80 associations, sont à mon avis une richesse.

Yann Mazens abordera les questions de bioéthique relatives au don d'organes. Je vais quant à moi envisager les questions concernant la fin de vie sur lesquelles nous avons réalisé un travail collectif au printemps dernier, au moment des États généraux de la bioéthique. Les associations de France Assos Santé qui, je le répète, ont souvent des positions différant fortement, se sont accordées sur plusieurs recommandations dont je me fais l'écho.

Il a d'abord été proposé que la fin de vie donne lieu à plus d'évaluations. La loi du 2 février 2016 a eu pour principaux effets de renforcer le rôle des directives anticipées et de consacrer le droit à une sédation profonde et continue. Nous nous étions alors étonnés que ne soient prévues d'évaluations ni du nombre de demandes de sédation profonde et continue, ni du nombre de réponses données à ces demandes. Le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie (CNSPFV) a fait paraître récemment une étude sur ce sujet mais cette enquête aurait besoin d'être complétée et, surtout, d'être réalisée en routine.

Concernant l'offre de soins palliatifs, évaluer non seulement la demande mais aussi le recours qui y est fait apparaît nécessaire. D'après les témoignages portés à notre connaissance, ce n'est que trop tardivement, lors des derniers jours de vie, que les usagers ont connaissance des soins palliatifs et recourent à cette forme d'accompagnement. Dans quelle mesure l'offre de soins palliatifs est-elle insuffisante ? Répondre à cette question ne peut qu'être très difficile en l'absence d'évaluations, et c'est pourquoi le travail interassociatif que nous avons réalisé insiste sur ce manque. Avant d'envisager de nouvelles évolutions législatives, il nous a semblé qu'il faudrait pouvoir disposer de données sur l'effet des lois existantes, et particulièrement celle de 2016 sur la fin de vie.

Des propositions plus précises, que je vais présenter sans entrer dans les détails, ont également été faites sur plusieurs sujets. L'une de ces propositions concerne les patients dans un état végétatif chronique ou dans un état pauci-relationnel. L'affaire Vincent Lambert, qui continue de faire l'actualité, illustre le cas où n'ont pas été rédigées de directives anticipées et où aucune personne de confiance n'a été désignée. Il faudrait trouver le moyen d'associer très en amont les proches à la décision sur la fin de vie. Et, quand ceux-ci sont en désaccord, pouvoir recourir à une médiation extérieure. Actuellement, les textes prévoient que, dans ces cas, la décision revienne aux médecins, ce qui n'est pas satisfaisant ainsi que l'expérience l'a montré.

La loi de 2016 a par ailleurs rendu contraignantes les directives anticipées sauf lorsque les médecins jugent manifestement inapproprié de les suivre. Il serait nécessaire de préciser en quoi consiste ce caractère manifestement inapproprié, par exemple en demandant à la Haute Autorité de santé (HAS) un travail scientifique sur ce sujet. Nous pensons également qu'il conviendrait de consulter les proches afin qu'ils concourent à déterminer si les directives anticipées sont manifestement inappropriées. Certes, la loi prévoit qu'ils puissent donner leur avis, mais il serait préférable qu'ils soient systématiquement consultés dans la mesure où ils portent un regard différent sur les intentions qui étaient celles du patient quand il a rédigé ces directives.

Enfin, je voudrais présenter la proposition que nous avons faite sur un sujet annexe qui concerne également les proches. Depuis 2011 existe une allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie, qui est limitée aux situations où la personne est à domicile, mais qui peut continuer à être attribuée si elle est par la suite hospitalisée. Par contre, les proches ne peuvent toucher cette allocation si la personne se trouve d'emblée à l'hôpital. Nous trouvons cette restriction regrettable car une personne en fin de vie, qu'elle soit à domicile ou à l'hôpital, a besoin de la présence d'un proche. La distinction qui est faite entre ces situations laisserait presque entendre qu'à domicile le proche serait un peu plus qu'un proche et participerait par exemple aux soins, alors que tel n'est pas son rôle. Lorsque cette mesure avait été mise en place, on nous avait déclaré que son extension aux proches de toutes les personnes en fin de vie serait trop lourde financièrement, les patients concernés demeurant le plus souvent à l'hôpital. Or, on ne dispose aujourd'hui que de peu d'informations sur l'utilisation qui est faite de cette enveloppe budgétaire alors que ces données permettraient de savoir si elle est utilisée à la hauteur de ce qui était prévu, ce qui ne semble pas être le cas. Nous estimons qu'il est certainement possible d'étendre cette allocation aux proches de l'ensemble des personnes en fin de vie, afin qu'il puissent plus facilement interrompre leur activité et se trouver aux côtés des leurs dans ces moments où leur présence revêt une si grande importance.

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Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies de France Assos Santé

Je vous remercie pour votre invitation. Avant d'aborder la question du don d'organes, je souhaite à mon tour insister sur la nécessité de compléter la présente audition en recevant d'autres associations participant aux travaux de France Assos Santé qui, sur certains points, ont des positions plus tranchées.

Sur le consentement présumé rappelé par le décret du 11 août 2016, France Assos Santé ne souhaite pas une modification de la loi. Les débats consacrés au principe du consentement présumé ont été compliqués, y compris à France Assos Santé, et la loi est encore récente. Nous insistons par contre sur la nécessité d'une meilleure information, qui permette aux acteurs de s'approprier ce principe.

Un autre sujet qui a été longuement discuté dans notre structure, dont l'intérêt est justement de favoriser les échanges, est celui de la consultation anticipée du registre national des refus (RNR). Nous ne souhaitons pas que la loi évolue pour autoriser la consultation du RNR avant décès, notamment dans le cadre du programme « Maastricht III », car nous jugeons que cette évolution, non dénuée de risques, serait prématurée.

La transparence de l'accès à la greffe est également une question essentielle. L'inégalité d'accès à la greffe sur le territoire est en effet un grave problème, les différences de temps d'attente d'une greffe entre les centres pouvant dépasser cinquante mois. L'une de nos associations, qui a largement réagi dans la presse, vous a demandé une audition sur le sujet de la greffe du rein locale. Le centre effectuant le prélèvement sur un donneur décédé a actuellement la possibilité de garder un rein, ce qui cause une répartition inégalitaire et non transparente des greffons. Nous estimons que ce problème sur lequel je pourrai vous apporter des précisions mérite que le législateur s'y attaque courageusement.

Nous souhaitons aussi que soit abordée la question des dons d'organes solidaires entre personnes atteintes de pathologies chroniques, particulièrement entre personnes séropositives au virus de l'immunodéficience humaine (VIH). Des avancées récentes sur l'hépatite B et l'hépatite C ont permis un accès plus rapide à la greffe et des échanges entre personnes atteintes. Des procédures dérogatoires ont effet été mises en place pour l'hépatite B, et l'hépatite C est désormais considérée comme une maladie « guérissable ». Cette évolution n'a pas eu lieu dans le cas du VIH, alors que l'échange solidaire entre personnes séropositives faciliterait l'accès à la greffe, notamment à la greffe rénale, qui est la plus fréquente. L'atteinte rénale survient d'ailleurs souvent chez les personnes infectées par le VIH. Poser clairement le problème des dons d'organes solidaires pour ces malades permettrait de répondre en partie à la pénurie de greffons et constituerait une avancée forte pour les personnes en attente.

La question des organes provenant de donneurs sub-optimaux mérite aussi d'être soulevée. Nous estimons en effet que le déficit d'information donnée aux receveurs sur la qualité du greffon qui leur est proposé est patent, alors que le partage de ces informations avec le corps médical permettrait au patient de décider, de façon éclairée, s'il accepte un greffon sub-optimal ou s'il préfère attendre. Les remontées dont nous font part nos associations membres montrent que, pour les propositions de greffons sub-optimaux, l'information du patient n'est ni complète ni transparente.

Un dernier point a fait l'objet de débats à une époque assez récente : la question de la greffe avec donneur vivant. Le cas des donneurs non-résidents pose un problème sérieux et nous estimons que cette pratique doit être particulièrement encadrée car, même si le tribunal de grande instance (TGI) est saisi pour ces greffes, des risques de dérives existent. Sur le même sujet, nous sommes fermement opposés au don d'organes des mineurs vers les parents, dont il avait été question lors des États généraux de la bioéthique. Nous pensons que le libre consentement n'est alors pas garanti et nous ne souhaitons donc pas que la loi évolue sur ce point.

Enfin, la France nous paraît trop timide sur la question des échanges croisés de greffons. Ces échanges croisés restent peu nombreux et ne se font que par paires, alors que plusieurs pays mettent en place des échanges en chaîne, multipliant ainsi les possibilités de proposition de greffe.

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Je vous remercie pour vos exposés. Je tiens néanmoins à préciser que le périmètre de cette mission d'information n'inclut pas la fin de vie. Ce thème, qui a fait l'objet de discussions lors des États généraux, ne figurera pas dans le projet de révision de la loi de bioéthique de 2011. Mais nous avons eu à plusieurs reprises des échanges de vues sur les deux sujets que vous avez évoqués, l'ignorance des dispositions concernant les directives anticipées et la personne de confiance prévues notamment par la loi Claeys-Leonetti de 2016, d'une part, et l'insuffisance des moyens mis en oeuvre pour une bonne prise en charge des personnes en fin de vie, d'autre part.

Je laisse à notre rapporteur Jean-Louis Touraine, qui a beaucoup travaillé sur le sujet, le soin d'évoquer la question du don d'organes. Je souhaite pour ma part élargir le débat à la recherche sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Vous avez souligné qu'au sein de France Assos Santé, qui est une union et non un collectif, les positions sont diverses. Vos travaux ont-ils permis de dégager une position commune des usagers que vous représentez sur cette question complexe étroitement liée au statut donné à l'embryon et qui met en jeu le principe de dignité humaine, si on considère l'embryon comme une personne ?

Ma deuxième question porte sur les tests génétiques dont l'usage est très encadré dans notre pays, puisqu'ils ne sont autorisés que pour des raisons médicales que justifient, par exemple, des antécédents familiaux. Les usagers que représente France Assos Santé sont-ils favorables à un élargissement des tests génétiques à d'autres maladies, voire à leur utilisation sans visée thérapeutique ?

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Sylvain Fernandez-Curiel, coordinateur national de France Assos Santé

Ma réponse sera décevante car France Assos Santé n'a pu travailler collectivement sur ces deux sujets pour les États généraux de la bioéthique. Lorsqu'ils se sont tenus, France Assos Santé était en phase de restructuration et élaborait ses orientations stratégiques pour les quatre années à venir. Comme nous avons reçu plusieurs demandes d'audition, nous avons participé aux États généraux de la bioéthique, mais sur des thèmes qui n'étaient ni les tests génétiques ni la recherche sur l'embryon. En revanche, nous avions travaillé sur ces sujets du temps du Collectif interassociatif sur la santé, lors de la précédente loi de bioéthique de 2011.

Je ne peux donc que vous renvoyer vers certaines de nos associations membres comme AFM-Téléthon qui ne manqueront pas de vous apporter des éléments de réponse. Car, en l'absence de travail collectif, France Assos Santé ne saurait donner un avis sur ces sujets.

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Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies de France Assos Santé

France Assos Santé mène un travail sur un certain nombre de sujets de santé sans les envisager tous pour autant. Nous veillons en effet à ce que l'ensemble de nos associations puisse s'approprier les problématiques que nous défendons. Nous travaillons sur le sujet d'actualité qu'est la recherche clinique et la réforme des comités de protection des personnes (CPP), qui comporte de forts enjeux. Nous avons d'ailleurs été auditionnés hier au Sénat sur ce sujet. Mais notre structure, qui n'existe que depuis un an, ne peut malheureusement pas considérer l'ensemble des sujets qui intéressent la santé.

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Au vu du nombre des sujets mais aussi de la diversité des associations que représente France Assos Santé, parvenir à des positions communes doit effectivement être compliqué.

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Messieurs, vos exposés étaient très instructifs et je désirerais que vous nous en adressiez le texte par courriel afin que nous puissions en prendre connaissance de façon plus précise qu'en nous fiant aux notes que nous avons prises en vous écoutant. Merci par avance de nous faire parvenir votre contribution.

Je commencerai par une remarque et des questions d'ordre général. Comme vous le savez, il arrive encore aujourd'hui qu'on incrimine un certain paternalisme médical qui était plus banal autrefois mais qui perdure malgré la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite loi « Kouchner ». Cette loi requiert que les informations concernant leur santé soient fournies aux malades et que leur consentement aux actes médicaux soit libre et éclairé. Or, il s'avère que, dans différentes branches d'activité, le point de vue et la décision du médecin l'emportent parfois sur ce que le malade aurait souhaité.

En indiquant que les malades rencontrent parfois des difficultés à faire respecter leurs droits, je n'exprime pas une opinion personnelle mais je rapporte les propos qui nous été tenus. Il semble que renforcer la représentation des usagers de santé dans les différentes instances permettrait de faire progresser les droits des patients. On pourrait également envisager d'améliorer leur formation afin de les faire bénéficier du même niveau de connaissance que leurs interlocuteurs et leur faire acquérir ainsi plus de pouvoir. Quels moyens permettraient selon vous, de faire que les décisions concernant les patients soient des codécisions des soignants et des premiers concernés que sont les malades ?

Vous avez également abordé la question de la gratuité des dons, que vous souhaitez maintenir et pour laquelle vous prônez un cadrage international. Je pense qu'il s'agit là d'un voeu pieux. Au niveau international, la gratuité des dons est ultra-minoritaire : le don gratuit du sang, par exemple, n'existe guère qu'en France et au Brésil. Et s'il a maintenu le principe de la gratuité pour le don du sang, notre pays ne la pratique pas pour le plasma, les immunoglobulines et les autres produits dérivés du sang de donneurs. Or, c'est bien parce que la France ne collecte pas suffisamment de sang que les malades français sont traités avec ces produits dérivés du sang de donneurs rémunérés ! Par conséquent, ne craignez-vous pas qu'une gratuité internationale ait pour effet d'augmenter une pénurie qui, en France, n'est compensée que grâce aux achats faits à l'étranger ?

Je souhaiterais vous entendre sur ce sujet et connaître les solutions que vous proposez. Personnellement, je n'en ai pas. Nous sommes tous d'accord pour dire que la gratuité est éminemment souhaitable, mais comment faire pour la conserver dans ces conditions de pénurie ? Les producteurs des dérivés du sang indiquent d'ailleurs que la gratuité coûte en fait nettement plus cher qu'une rétribution modérée des donneurs, car solliciter les dons gratuits représente une dépense importante de moyens mais aussi d'énergies. Et n'est-il pas un peu présomptueux ou inconsidéré de notre part de penser que nous avons la capacité de faire adopter aux autres pays le principe français de la gratuité ?

Concernant les dons d'organes, une mission flash portant principalement sur les donneurs décédés a été conduite récemment. Elle a conclu que les acteurs ne souhaitaient pas une nouvelle évolution de la législation, qui a été renforcée pour mieux garantir le respect du principe du consentement présumé et celui du droit de la personne donneuse. Car, comme vous le savez, des dérives ont eu lieu par le passé, lorsque le prélèvement d'organes ne dépendait pas de l'avis que le donneur potentiel avait exprimé de son vivant, mais de l'avis de tel ou tel de ses proches. Il suffisait qu'un petit-cousin manifeste une réticence pour que le prélèvement n'ait pas lieu ! Le taux de prélèvement avait alors chuté d'environ 50 %. Les chiffres de l'Agence de la biomédecine sont de l'ordre de 35 % car ils prennent en compte les prélèvements non réalisés du fait de l'impossibilité médicale d'une utilisation des organes. Mais si on prend seulement en compte les donneurs dont les organes pouvaient être greffés, les prélèvements ne concernaient qu'une moitié des donneurs potentiels – une moitié seulement, il faut connaître cette proportion – car, pour l'autre moitié, un membre éloigné de la famille avait fait part de ses états d'âme. Dans certains cas, les prélèvements d'organes n'étaient pas faits alors même que la personne était membre d'une association de donneurs. Des professionnels de santé ont même dit s'être opposés à des prélèvements pour lesquels la personne et sa famille étaient d'accord, parce qu'ils avaient appris que le donneur en question s'était comporté de façon un peu égoïste durant sa vie !

Cette situation méritait d'être corrigée et elle l'a été, les nouvelles dispositions étant appliquées depuis un an. Il faut veiller à ce qu'elles soient mises en oeuvre partout mais, d'après les trois quarts des auditions que nous avons faites, elles sont d'ores et déjà appliquées sur une grande partie du territoire, conduisant à une augmentation du nombre de prélèvements. Ainsi que vous l'avez indiqué, un problèmes d'inégalité d'accès subsiste, notamment pour les transplantations rénales. Vous avez rapporté la position de l'association Renaloo qui demande que les centres préleveurs ne puissent plus garder un rein sur deux pour un centre de transplantation proche. Mais cette demande à laquelle on ne peut être a priori que favorable aboutirait dans les faits à une diminution encore plus importante du nombre de prélèvements, et donc à une pénurie aggravée de greffons. Pour en comprendre la raison, nous devons nous rappeler qu'avant l'instauration de la règle actuelle, tous les organes prélevés étaient disponibles pour le centre proche, d'où un déséquilibre entre les régions. Afin de corriger ce déséquilibre, il a été décidé qu'un organe sur deux serait mis à disposition à l'échelle régionale, et un organe sur deux à l'échelle nationale. Cette règle a permis d'améliorer l'équilibre entre les différents centres tout en maintenant une motivation pour les centres de proximité qui conservent une moitié des organes prélevés.

On constate en effet que, sans motivation, les taux de prélèvement diminuent : une enquête a montré qu'une activité de transplantation très faible induisait un nombre de prélèvements faible lui aussi. Je crois donc que les inégalités de greffes d'organes sont essentiellement dues aux inégalités de prélèvements, et non à la règle de conservation d'un organe sur deux. Ces inégalités proviennent de ce que certains professionnels recourent à des arguments que n'a formulés aucune des personnes concernées chaque fois qu'ils considèrent que le contexte n'est pas assez favorable à un prélèvement. Il faut par conséquent faire porter l'effort sur l'application des règles selon lesquelles les prélèvements ont lieu lorsque nulle opposition n'a été d'une façon ou d'une autre exprimée, la manière dont peut s'exprimer cette opposition étant précisée par les décrets d'application et les guides de bonnes pratiques. S'ils ne suivent pas ces règles, les centres doivent être rappelés à l'ordre. Nous pourrons bien sûr en reparler, mais je considère que la meilleure façon de lutter contre l'inégalité que subissent les malades attendant une greffe est de combattre les inégalités de prélèvements.

Je suis entièrement d'accord avec ce que vous avez dit des dons solidaires. Concernant plus particulièrement le développement de chaînes d'échange d'organes, vous savez que subsistent des réticences qu'il faut effectivement vaincre. Mais si les dons croisés se font uniquement par paire, c'est, semble-t-il, uniquement par crainte que certains donneurs se dédisent, et qu'une fois que le donneur de la famille A a donné pour la famille B, la promesse de la famille B de donner à la famille A ne soit pas tenue. C'est pourquoi les deux prélèvements sont réalisés de façon simultanée. Or, la simultanéité est très difficile dans le cas d'une chaîne car il n'est pas possible d'effectuer une douzaine de prélèvements le même jour à la même heure dans des conditions parfaitement standardisées. Il nous faut donc trouver d'autres moyens que la simultanéité pour faire respecter les engagements pris. Car les chaînes d'échange d'organes permettraient d'augmenter le nombre de donneurs vivants et d'améliorer ainsi non seulement l'accès aux organes mais les résultats des greffes, qui sont supérieurs avec donneurs vivants qu'avec donneurs décédés.

Je ne veux pas aller trop avant sur cette question des greffes mais il me semble en tout cas que les solutions que vous avez évoquées sont propres à améliorer le sort de malades qui sont plus de 20 000 sur liste d'attente pour seulement 6 000 greffes par an. L'enjeu est aussi d'accroître la sérénité, pour le moment assez bonne, qui règne dans les équipes receveuses et les équipes donneuses de notre pays.

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Je n'ai bien sûr pas l'excellente connaissance du dossier qu'a notre rapporteur mais je souhaite cependant poser une question très précise qui concerne l'impossibilité des dons solidaires pour les malades atteints du VIH. Pouvez-vous nous dire quels en sont les motifs ?

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Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies de France Assos Santé

Il existe une difficulté technique indéniable qui tient à la compatibilité entre les sérotypes du VIH. Mais il est vrai également que la question des greffes solidaires entre séropositifs n'a pas été abordée de façon complète, y compris par les associations de malades qui font cette proposition depuis de longues années.

Ces greffes sont certes plus complexes à réaliser que celles qui concernent les malades de l'hépatite. Pour autant, rien ne s'y oppose pour peu que l'on se soit assuré de la compatibilité entre donneur et receveur. Elles permettraient d'ailleurs de répondre en partie à la pénurie de greffons.

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Je vous invite à répondre également aux questions de Monsieur le rapporteur.

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Sylvain Fernandez-Curiel, coordinateur national de France Assos Santé

Vous avez évoqué la décision médicale partagée dont j'aurais aimé pouvoir parler lors de notre exposé liminaire. Mais, par manque de temps, nous avons dû nous limiter aux propositions sur lesquelles nous avons travaillé avec les associations que nous représentons. La décision partagée est cependant au coeur des préoccupations de France Assos Santé et de toutes nos associations. Parce qu'elle relève du principe d'autonomie, elle possède un enjeu éthique fort.

La loi « Kouchner » de 2002 a constitué une grande avancée mais les pratiques ne progressent pas toujours à la même vitesse que la loi. Aussi menons-nous depuis quinze ans un travail afin que la loi de 2002 s'inscrive dans les pratiques médicales. Nous avons en effet noté une dérive qui a consisté à susbtituer à la décision partagée ce qu'on pourrait appeler une décision informée. Les professionnels de santé ont ainsi pu donner à signer aux patients des formulaires de consentement, ce qui n'était pas prévu par la loi. Et, une fois les formulaires signés, ces professionnels considéraient que les patients étaient consentants, sans même vérifier que ceux-ci avaient compris l'information qui leur avait été transmise.

Plus que la loi, ce sont donc les pratiques qu'il faut modifier. L'évolution des pratiques passe par la formation et, à ce sujet, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt ce que vous avez dit en faveur d'une formation des usagers. La formation des professionnels est elle aussi décisive. On note d'ailleurs des progrès puisqu'une formation portant sur la vie avec la maladie, notamment la maladie chronique, qui fait intervenir des patients enseignants est désormais assurée lors de la formation initiale des professionnels de santé.

La décision médicale emporte en effet de nombreux enjeux. D'abord, celui de la pertinence des soins, que le patient peut contribuer à déterminer, car les professionnels de santé décident des soins dans une perspective très médicale mais en n'envisageant pas toujours la qualité de vie et sans forcément donner toutes les informations souhaitables. La question de l'adaptation de l'information aux personnes constitue un autre enjeu important. Tous les patients ne sont pas à même de recevoir une information identique et il faut donc à chaque fois adapter les informations données. Ces évolutions ne sauraient être inscrites dans une loi, aussi nous efforçons-nous de faire évoluer les pratiques sur ces sujets centraux pour la démocratie sanitaire.

Je souhaiterais élargir le champ de votre question. Vous avez parlé du paternalisme médical qui perdure malgré la loi de 2002. Des progrès ont eu lieu depuis, mais les efforts doivent être poursuivis : les patients, particulièrement les malades chroniques qui sont très informés sur leur maladie, souhaiteraient avoir avec les professionnels une relation beaucoup plus équilibrée. Mais la question que je souhaite soulever est celle d'un paternalisme, je dirais presque institutionnel, de la part non des professionnels de santé mais des pouvoirs publics. Car les lois sont souvent faites sans que la population ou les associations soient associées à leur élaboration. Ce fut le cas, par exemple, pour les groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui devaient répondre aux besoins de la population mais qui ne l'ont pas associée à leur mise en oeuvre.

De même que le partenalisme médical, ce paternalisme institutionnel tient à ce que d'aucuns considèrent qu'ils agissent pour le bien d'autrui car ils savent ce qui est bon pour lui. Mais la population, lorsqu'elle est interrogée, exprime parfois un point de vue très différent. C'est pourquoi il est souvent utile de prendre le temps de l'associer aux projets la concernant directement. Lors de la mise en place des GHT, le CISS a donc insisté pour que les usagers y soient plus associés. J'ai choisi cet exemple parce qu'il est récent, mais je pourrais en donner beaucoup d'autres qui montrent l'intérêt de parvenir à une décision partagée tant dans la relation au système de soin, au niveau individuel, que pour la constitution et l'évolution de notre système de santé. Il faudrait associer beaucoup plus fortement les associations mais aussi la population au processus de décision. Pour reprendre l'exemple des GHT, la population a peu entendu parler de ce dispositif qui va pourtant modifier profondément l'organisation de la santé dans les territoires. Nous devons donc nous nous demander comment l'informer et, encore une fois, comment l'associer.

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Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies de France Assos Santé

Je souhaite ajouter quelques mots sur la décision partagée. Assez récemment, France Assos Santé a décidé d'ouvrir un dossier consacré à l'intelligence artificielle. Nous ne pensons pas qu'il faille placer des espoirs inconsidérés dans le recours à l'intelligence artificielle. Néanmoins, elle va contribuer à changer les pratiques et conduire à poser de nouvelles questions. En ce qui concerne la décision partagée, on va ainsi passer d'une relation duale à une relation impliquant trois acteurs, à savoir le professionnel de santé, le patient et l'intelligence artificielle qui aidera à établir le diagnostic et orientera même vers certains traitements. Il s'agit là d'une évolution majeure à prendre en compte dès maintenant. Nous nous sommes donc saisis de cette question en nous intéressant à la manière dont sont informés les malades et au partage des responsabilités dans cette nouvelle relation tripartite. Actuellement se déroulent beaucoup de discussions sur le changement majeur qu'apporte l'intelligence artificielle, mais cette euphorie va certainement décroître et des débats plus sereins auront lieu où pourra être posée la question de la décison partagée.

Votre propos sur les règles de répartition des greffons était intéressant, Monsieur le rapporteur. Je souhaite pour ma part insister sur le point à nos yeux essentiel de l'absence d'espace prévu pour toutes ces discussions sensibles. On parle beaucoup actuellement de démocratie sanitaire et de participation des usagers, mais sur ces règles de répartition des greffons, les associations de patients sont toujours exclues des travaux de l'Agence de la biomédecine.

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Des associations de patients atteints de maladies rénales n'y sont pas représentées ?

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Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies de France Assos Santé

Pas dans le cadre des travaux de l'Agence sur l'évolution des règles de répartition des greffons. Or, que des associations participent à ces travaux permettrait de discuter sereinement des évolutions nécessaires.

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Je vous remercie pour vos interventions, qui nous ont apporté un éclairage différent de celui que avons eu lors des précédentes auditions. M. Fernandez-Curiel, nous étions déjà convaincus de la nécessité de faire participer les usagers et, plus largement, les citoyens aux politiques publiques en développant la démocratie sanitaire. Vous avez défendu celle-ci avec force, conformément au rôle qui est le vôtre, et l'exemple de l'intelligence artificielle montre qu'il va falloir associer plus étroitement nos concitoyens sur les questions de protection de données mais aussi de changements induits par ce tiers qu'est le robot ou l'algorithme.

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Yann Mazens, chargé de mission produits et technologies de France Assos Santé

Monsieur le rapporteur, nous vous adresserons les éléments que vous avez demandés. Nous joindrons peut-être à ceux-ci des documents émanant de certaines de nos associations comme la note sur la décision partagée de l'association Renaloo dont il a été question lors de l'audition. Nous n'avons pu la valider au sein de France Assos Santé mais son contenu recoupe néanmoins nombre de nos préoccupations.

L'audition s'achève à midi vingt-cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 13 septembre 2018 à 11 h 15

Présents. – Mme Emmanuelle Anthoine, M. Joël Aviragnet, Mme Blandine Brocard, Mme Marie-George Buffet, Mme Samantha Cazebonne, M. Guillaume Chiche, Mme Élise Fajgeles, M. Jean-Carles Grelier, Mme Caroline Janvier, Mme Bérengère Poletti, Mme Mireille Robert, Mme Laëtitia Romeiro Dias, M. Jean-Louis Touraine, Mme Laurence Vanceunebrock-Mialon, Mme Annie Vidal

Excusés. – Mme Gisèle Biémouret, M. Xavier Breton

Assistait également à la réunion. – M. Thibault Bazin