Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mardi 18 septembre 2018 à 17h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • GPA
  • humaine
  • laïcité
  • opinion
  • émancipation

La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 18 septembre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de M. Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité et République

La séance débute à dix-huit heures.

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Nous avons le plaisir de recevoir M. Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité et République (CLR). Comme d'autres organisations engagées dans les débats de société, le CLR a une voix à faire entendre, en particulier dans la perspective de la révision prochaine de la loi relative à la bioéthique.

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Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité et République (CLR)

Le Comité Laïcité et République est honoré de votre invitation. Je commencerai par vous dire quelques mots sur notre association afin d'expliquer, comme on disait autrefois, d'où nous parlons.

Le CLR a été fondé à la suite de l'« affaire du voile » survenue à Creil en 1989 et de l'article qui avait alors fait grand bruit, intitulé : « Profs, ne capitulons pas ! », paru dans Le Nouvel Observateur le 2 novembre 1989 et cosigné par cinq grandes figures laïques qui ont chacune, depuis, suivi leur propre chemin : Élisabeth Badinter, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Élisabeth de Fontenay et Catherine Kintzler. Parmi les fondateurs du CLR, outre ceux que je viens de citer, on relève les noms de grands professeurs comme Maurice Agulhon et Claude Nicolet – grand historien de la République et premier président du CLR –, mais aussi ceux d'Henri Caillavet, de Pierre Bergé, ou encore de grands scientifiques comme Jean-Pierre Changeux, de penseurs comme Albert Memmi, de politiques comme Yvette Roudy.

Le CLR s'est toujours situé loin des extrêmes, qu'ils soient les indigénistes communautaristes de l'extrême gauche ou les identitaires de l'extrême droite. Notre association défend la laïcité comme vecteur de la liberté des individus, de la solidarité entre les citoyens et de l'unité du peuple français et, en ce sens, elle est opposée aux tentatives d'adjectiver de quelque manière ce principe d'une grande clarté – adjectivation qui reviendrait à renoncer à l'idéal d'émancipation.

Au fond, notre programme pourrait tenir dans les articles 3 et 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, portant l'un sur la souveraineté, l'autre sur la liberté d'opinion. Notre programme s'appuie également non seulement sur l'article 1er de la Constitution, qui dispose que la République est indivisible, laïque, démocratique et sociale, mais encore sur les deux premiers articles de la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l'État.

Au-delà de cette affaire de 1989, l'histoire qui nous a faits est celle de la sortie de l'organisation verticale et féodale et de l'organisation horizontale et tribale du monde, pour instituer un sujet autonome, rationnel et politique. C'est l'histoire de la philosophie de Condorcet, éminemment politique en ce qu'elle ne fait appel à aucune transcendance, plutôt que celle de Locke, fondée sur la notion surplombante de tolérance, fût-elle mutuelle. De cette histoire et de cette philosophie, de l'expérience du CLR, trois principes émergent qui nous guident : la liberté absolue de conscience, l'égalité absolue entre tous les citoyens sans aucune distinction et l'égalité de tous les citoyens devant la loi. Ce patrimoine qui pour nous définit notre idéal de bonheur humain est fondateur de la modernité, que nous voulons faire progresser au XXIe siècle en l'adaptant à ce que certains appellent le nouveau monde, d'autres la postmodernité.

En matière de bioéthique, ce patrimoine se décline ainsi : donner toujours plus de liberté aux individus pour leur émancipation en respectant la dignité humaine et sans empiéter sur la liberté des autres. Il est en effet essentiel, pour nous, de considérer qu'en matière de discours public, de discours politique – a fortiori dans une enceinte comme celle où nous nous trouvons –, seuls la rationalité et les faits ont leur place, non les sentiments ni les oukases. En ce sens, aucune philosophie, aucune religion, aucune opinion fondée sur la croyance personnelle – ce que les Américains appelleraient les feelings – ne peut être d'un poids quelconque dans la décision politique. C'est un point nodal de la politique républicaine. C'est pourquoi il est certain que nous sommes en désaccord avec les politiques menées et les déclarations faites par beaucoup de dirigeants politiques, au plus haut niveau, depuis quelques années.

Entendons-nous bien : il ne s'agit pas de remettre en cause les droits de l'homme, il s'agit de faire entendre qu'ils ont une limite qui est l'effritement de la société, le retour à un état d'atomisation sociale, à un état de nature proche de celui qu'imaginait Rousseau, les êtres humains se cognant contre les autres au hasard de trajectoires incontrôlées et produisant de la violence, par peur, par égoïsme et par triomphe du moi sur le nous – rappelons-nous qu'il y a quelques jours, un homme a été massacré par deux brutes ensauvagées sur un parking d'hypermarché.

Ces principes posés, ces outils forgés, nous tentons de les utiliser et de les convoquer devant chaque question politique, économique, sociale, culturelle, éthique. C'est en ce sens que la laïcité que nous défendons est transpartisane et qu'elle est une arme puissante de progrès social et humain pour la droite, le centre et la gauche, pour tous les partis qui se situent dans le cadre démocratique et n'ont pas pour objet patent ou latent de réduire cette démocratie. Les maîtres mots de notre idéal sont la perfectibilité humaine et l'émancipation.

Qu'il soit enfin clairement dit et répété que la laïcité n'est pas l'avers d'une médaille dont le revers serait la foi. La laïcité n'est pas l'athéisme. Elle est simplement neutre face aux croyances philosophiques et religieuses des citoyens. Il y a des prêtres, des rabbins, des pasteurs, des imams, des croyants laïques, ils sont même majoritaires dans notre pays, comme le démontrent toutes les enquêtes et tous les sondages qui se succèdent depuis quelques années.

Enfin, n'oublions pas que si la laïcité, et j'en viens à la question éthique, est déterminée par les principes généraux du droit, par la Constitution et par les lois, elle est aussi devenue un habitus, pour parler comme Bourdieu, c'est-à-dire une manière d'être des Français, se manifestant dans leur apparence et dans leur maintien. Il n'est que de voir, par ces temps de forte chaleur, des hommes et des femmes attablés à des terrasses de café, vêtus sans autre contrainte que celle de l'appréciation de chacun, riant ensemble, parlant d'égal à égal, pour mesurer le bonheur que l'on ressent à vivre dans la France laïque, républicaine, solidaire et sociale. Ce bonheur du comportement est très rare, même dans les pays démocratiques ; il est en quelque sorte la quintessence de ce qu'on nommait autrefois notre génie national. C'est cet idéal que nous prenons pour guide, même si nous sommes encore loin de l'avoir atteint, et non les propositions régressives, délétères et accablantes de la partition, de la séparation selon le genre, le sexe, la religion, la couleur ou tout autre clivage artificiellement essentialisé en une nature, un feeling, comme je le disais tout à l'heure.

C'est en ce sens et dans ces limites que notre sillon laïque peut être également tracé dans la réflexion bioéthique, face à la question des effets de la multiplication infinie et indéfinie de nouveaux droits. C'est pourquoi nous sommes honorés d'avoir été invités à nous exprimer devant votre commission et c'est ainsi que nous comprenons notre présence ici.

Vous auditionnerez des interlocuteurs – scientifiques, philosophes, politiques – beaucoup plus compétents dans ce domaine que je ne le suis ; je vous engage simplement à entendre ma proposition : vous emparer des outils de la laïcité émancipatrice.

Je vais tenter ici de donner deux exemples de cette pratique laïque. L'un concerne un sujet dont je regrette qu'il ne soit pas directement intégré à la réflexion sur la révision de la loi relative à la bioéthique, mais qui devrait l'être : la fin de vie. L'autre est l'un des objets essentiels de votre réflexion : la gestation pour autrui (GPA).

Sur la fin de vie, sujet majeur de l'éthique et de la morale humaine, posons-nous les trois questions de notre boîte à outils laïque, étant entendu que nous sommes a priori favorables à l'extension de toutes les libertés et que nous utilisons notre réflexion non pas pour tenter de contraindre mais simplement pour mesurer la capacité de ces libertés à s'inscrire dans notre société sans la mettre en pièces. Le choix de sa propre fin de vie est-il une liberté supplémentaire accordée aux individus ? À première vue, la réponse semble sans ambiguïté : oui.

Ensuite, avoir le choix de sa fin de vie est-il une possibilité qui respecte la dignité humaine ? Là aussi la réponse semble être oui, même si la loi doit encadrer cette possibilité pour ne pas déroger à la dignité. Ainsi, personne ne devrait pouvoir se prévaloir de cette liberté pour choisir de se pendre ou de se tirer une balle dans la tête, dans le cadre d'une loi d'émancipation. Ces moyens dégradants ne peuvent entrer dans le cadre social, pas plus que le lancer de nains même si ces derniers étaient d'accord, pas plus que le fait de se vendre comme esclave même si l'on y consent.

Enfin, cette nouvelle liberté empiète-t-elle sur la liberté des autres ? La réponse est, à première vue, non. Et c'est ici qu'il est essentiel de ne pas tomber dans le piège méthodologique de l'irrationnel en prenant en compte les ressentis, les sentiments, les opinions, les feelings – it hurts my feelings, disent les Anglo-Saxons. Mais si on laisse s'instaurer cet « argument », toute liberté peut être et sera même, au nom de cela, immanquablement rognée puis annulée. Il y aura toujours au moins un groupe dont les sentiments seront heurtés par une liberté offerte aux autres.

Appliquons à présent notre boîte à outils à la GPA.

Le choix de la GPA est-il une liberté supplémentaire accordée aux individus ? À première vue, oui. Se pose néanmoins ici une question liée au fait que les effets de la GPA ne concernent pas seulement l'individu qui la demande : s'agit-il d'une liberté ou s'agit-il de l'assouvissement d'un désir personnel ? La logique des droits de l'homme qui sous-tend cette demande n'est-elle pas animée par ce que les philosophes appellent le principe d'illimitation ?

Avoir le choix de la GPA est-il une possibilité qui respecte la dignité humaine ? Cette liberté, si c'en est une, ne peut passer que par un autre corps que le sien. Peut-on, quelle que soit la forme de l'accord passé avec l'autre, asservir un autre corps, même avec son aval, à l'assouvissement de son propre désir ?

Cette nouvelle liberté – si c'en est une - empiète-t-elle sur la liberté des autres ? Là encore, la réponse n'est pas aisée. Peut-on prendre la décision de faire naître un enfant dans des conditions qui se rapprochent de la logique du transhumanisme ? Peut-on contraindre – ou pas – la mère porteuse à n'être que porteuse ?

On voit donc que cette batterie de questions fait apparaître aisément une différence entre des chemins droits et dégagés, et d'autres plus tortueux et baignés de brume. Cela ne veut pas dire qu'il faut interdire la GPA. Cela signifie que c'est à la condition d'avoir résolu ces questions laïques que l'on pourra la mettre en oeuvre comme un acte émancipateur et non comme un acte de contrainte pour une ou plusieurs des parties.

Je l'ai dit, je ne suis pas compétent pour aborder les deux questions monumentales de votre programme, et qui se font de plus en plus pressantes : la révolution numérique et le transhumanisme. Je n'aurai pas l'outrecuidance de vouloir donner mon avis sur ces questions – j'en ai certes un, qui est celui d'un citoyen et qui n'a pas plus d'autorité qu'un autre. Sur ces points je vous renverrai à deux romans de science-fiction – la fiction éclairant souvent la réalité d'un jour étonnant : peut-être certains d'entre vous savent-ils que la pensée transhumaniste est née, comme la pensée sur les sociétés robotisées est presque née chez Isaac Asimov, sous la plume deux auteurs américains, Bruce Sterling, avec La Schismatrice, et William Gibson, avec Neuromancien. Très modestement, je vous engage à lire ces ouvrages car ils permettent, via la fiction, de comprendre les questions qui se posent dans un monde transhumanisé.

Je conclurai en rappelant ce que j'ai tenté de vous proposer. Pour envisager sereinement les questions de bioéthique, nées des progrès scientifiques, n'oublions à aucun moment que l'objectif n'est pas la satisfaction du désir sans fin de chaque individu, mais la perfectibilité morale et l'émancipation collective donc individuelle de tous et de chacun ; que les moyens en sont définis par les principes gravés aux frontons de nos mairies et par leur résultante : la laïcité qui garantit la liberté absolue de conscience, l'égalité absolue entre tous les citoyens et l'égalité de tous devant la loi ; enfin que les outils d'analyse sont ces trois questions que nous vous suggérons de vous poser sans cesse face à ces questions de bioéthique : ma décision donne-t-elle plus de liberté aux individus pour leur émancipation ? Ma décision respecte-t-elle la dignité humaine ? Ma décision empiète-t-elle sur la liberté des autres ?

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Je vous remercie pour votre exposé liminaire. Nous n'allons pas engager un débat, puisque la présente mission d'information a vocation à écouter les différents points de vue afin qu'ils nourrissent notre réflexion.

Je souhaite dans un premier temps savoir quelle définition vous donnez du mot « émancipation », que vous avez employé – un de vos feelings, pour reprendre une notion que vous avez citée. Le mot « émancipation » revient souvent dans le débat politique : tout à l'heure encore, pendant les questions au Gouvernement, le Premier ministre l'a utilisé à plusieurs reprises. Mais quand on parle d'émancipation, c'est par rapport à quelque chose ; aussi, en matière bioéthique, s'agit-il d'une émancipation par rapport à son corps, par rapport à sa famille… ? Concrètement, qu'entendez-vous donc par « émancipation » ?

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Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité et République (CLR)

« Émancipation » est un terme qui a une connotation essentiellement politique, qui nous vient du XVIIIe siècle et des philosophes des Lumières. Il tend à démontrer que les êtres humains pourront se perfectionner, puisqu'ils sont perfectibles, si on leur donne les moyens de la liberté de penser, de la liberté d'agir avec pour seule limite le respect de la loi, de la dignité et de la liberté des autres. C'est le pari des Lumières.

La grande différence entre la conception des Lumières, de la modernité, et les conceptions qui semblent aujourd'hui dominantes, c'est que nous avons perdu de vue le fait que l'émancipation des individus est un processus collectif. On ne s'émancipe pas politiquement de sa famille, de son patron ou de quelque personne que ce soit. On émancipe collectivement la société en donnant à tous une liberté dont chacun va profiter. En matière de bioéthique, l'émancipation est bien celle de la loi ; la loi, en l'espèce, ne contraint pas, au contraire : elle émancipe dans la mesure où elle donne des limites qui, j'y insiste, ne sont pas fondées sur des sentiments mais sur des réalités, limites fondées également sur le respect des autres.

L'émancipation est donc un concept politique et collectif et non une notion individuelle qui concernerait un individu en révolte contre telle ou telle autorité réelle ou supposée et dont il voudrait se dégager.

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De mémoire, il me semble que déjà Montaigne, dans les Essais, évoquait l'émancipation de l'homme – à moins que ce ne soit son épanouissement…

Je reviens sur vos propos, MonsieurSakoun, concernant la laïcité – une laïcité « sans adjectif », associée à l'humanisme. Selon votre démonstration, elle permet l'extension des libertés, une approche rationnelle des problèmes et vous avez pris plusieurs exemples. J'ajoute qu'une telle approche peut également maintenir une diversité d'opinions. Or le maintien de cette diversité recèle des vertus comme l'accroissement de la valeur « humanisme » ou de la valeur « liberté », ce que ne permet pas une pensée hégémonique qu'on dénonce aujourd'hui sous l'expression « politiquement correct ». En outre, cette diversité est très féconde. Si le nombre d'opinions sur tel ou tel problème se réduit, l'esprit humain ne produit plus, car les gens, plutôt que d'avancer dans la réflexion, se contentent de s'entendre sur une règle, un ensemble de principes.

Qu'en permanence des opinions contraires puissent se confronter, c'est, j'y insiste, fécond pour la réflexion aussi bien en matière éthique qu'en matière de sciences humaines. Est-ce votre avis ? Pensez-vous, comme nous, que cette réflexion permanente doit nous conduire à maintenir une révision périodique des lois relatives à la bioéthique, ou plutôt une révision presque constante, parce que ces différentes idées doivent continuer presque quotidiennement à se confronter ?

Deuxième point : la GPA. À vous entendre, on devine que vous avez une certaine réticence en la matière, réticence que nous sommes nombreux ici à partager. Je rappelle néanmoins qu'à côté des GPA « commerciales » que tout le monde s'accorde à rejeter, il existe des GPA « éthiques », « altruistes », dans le cadre desquelles la femme porteuse, parfois pour le compte de quelqu'un de sa famille, parfois pour le compte d'une amie, ne demande aucune rétribution, et agit par générosité. Dès lors, le fait qu'elle prête son corps est-il si préjudiciable, ou bien, au contraire, peut-on comparer cette femme à quelqu'un qui accepte une amputation pour faire vivre un proche – je pense à l'amputation d'un rein, d'un lobe de foie ou d'un morceau de poumon pour le donner à un membre de sa famille ou à un ami ? Il y a là, si l'on peut dire, un sacrifice corporel durable alors que celui consenti par la femme porteuse, si l'on retient cette analogie, n'est que transitoire.

Je ne donne pas de réponse, je partage votre réticence quant à la GPA quand elle est réalisée dans les conditions condamnables qui ont été évoquées. Reste qu'à donner une même appellation à ces différentes pratiques, on a tendance à quelque peu diaboliser ce processus. Or l'une des conséquences est qu'en France les enfants nés de GPA effectuées à l'étranger n'ont pas les mêmes droits que les autres, et nous sommes pour cette raison condamnés par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH). C'est un point sur lequel nous devons évoluer, d'autant plus qu'il n'est pas illégal pour un couple français, quel qu'il soit, de solliciter une GPA à l'étranger. La paternité et la maternité sont reconnues dans le pays où la GPA a été pratiquée mais quand la famille revient en France, on interdit aux parents d'exercer leur rôle parental et on les contraint de suivre des procédures très compliquées d'adoption et qui sont condamnées, je le répète, par la CEDH.

Dernier point : ne serait-il pas souhaitable que nous nous attachions à inciter davantage les hommes de notre temps au développement de l'hyper-humanisme plutôt qu'au développement du transhumanisme avec toutes les frayeurs que ce dernier peut susciter ?

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Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité et République (CLR)

Vous avez rappelé la nécessité de la diversité des opinions et de leur confrontation. Tout dépend de ce qu'on entend par confrontation et par opinion. La confrontation est un mode de fonctionnement politique et ritualisé dans les assemblées parlementaires, dans les salles de commission, et c'est probablement aux philosophes du XVIIIe siècle et à la Révolution française que nous le devons. En ce sens, la confrontation est la quintessence de la politique dès lors qu'elle ne tourne pas au pugilat – comme on peut le voir dans certaines chambres à l'étranger où l'on se rend compte que quelque chose de fondamental n'a pas été acquis. Quant aux opinions, on en revient à ce que j'évoquais à propos du sentiment, du feeling : si l'opinion y est assimilée, alors elle ne suffit pas. L'opinion doit être fondée sur des faits, des raisonnements scientifiques cohérents et non pas simplement sur telle ou telle croyance. La rationalité doit, j'y insiste, fonder l'opinion.

En ce qui concerne la périodicité de la révision de la loi relative à la bioéthique, il me paraît évident que les moyens modernes de partage du flux de l'information dont disposent ceux qui sont chargés de prendre des décisions politiques permettraient probablement d'inscrire la révision de la loi dans une continuité plutôt qu'à intervalles qui seront toujours bancals quels qu'ils soient. Une telle continuité dans la révision tendrait toutefois à uniformiser la nouveauté : on traiterait les problèmes les uns après les autres et on n'aurait probablement pas toujours la bonne distance pour établir les liens entre eux. Aussi faudrait-il peut-être rapprocher, alléger, simplifier les procédures de révision. La mise en oeuvre d'un processus de révision permanent risque en effet de poser un certain nombre de problèmes peut-être plus dangereux encore, ou plus lourds, que ceux que poserait une révision à intervalles trop larges.

Pour ce qui est de ma réticence personnelle à la GPA, elle est absolue, comme c'est le cas, je suppose, pour tout le monde ici, dès lors qu'il s'agit de la GPA commerciale. Il n'en reste pas moins que nous avons beau, tous, affirmer cette réticence, le phénomène existe, certes plus difficilement en France que dans d'autres pays, pour des raisons de contrôle et de gestion des établissements médicaux. Je ne pense pas qu'on puisse simplement se débarrasser du problème d'un revers de main en faisant valoir son désaccord avec cette pratique.

C'est en ce qui concerne plus précisément les mères porteuses « éthiques », à savoir celles qui entendent aider volontairement et avec plaisir, que se pose l'une des trois questions que j'ai mentionnées dans ma présentation : quid de la dignité humaine ? Lorsqu'on utilise un autre corps que le sien non pas pour continuer à vivre, mais pour satisfaire un désir aussi puissant soit-il, y a-t-il, ou non, respect absolu de la dignité humaine ? Une fois de plus, je n'ai pas de réponse et si la décision informée que vous prendrez, vous élus de la République, devait être une réponse positive à cette question, je m'y plierai sans considérer qu'il s'agirait d'une catastrophe et sans considérer que nous serions en pleine décadence. Je dis seulement qu'il faut se poser cette question et l'aborder de front même si elle ne nous fait pas plaisir.

Je trouve en outre qu'il y a un léger biais dans la comparaison entre la GPA et les amputations. La GPA n'est pas une amputation – vous êtes médecin, monsieur le rapporteur, je ne le suis pas et dès lors vous me direz si je me trompe. L'amputation à laquelle vous avez fait allusion consiste à offrir une partie de son corps sans que cela vous empêche de continuer à vivre comme avant : il ne s'agit pas de vous amputer d'un bras. Une telle amputation permet à une autre personne de continuer à vivre sans que cette opération ne limite ou ne détruise une partie de votre vie ou de votre autonomie. La GPA relève-t-elle de la même logique ? Je n'en suis pas persuadé.

Encore une fois, je n'ai pas de réponse et je ne suis en aucun cas opposé au principe de la GPA. J'affirme seulement que dans le cadre de la GPA, la question fondamentale est celle de la dignité humaine et de la liberté des autres. Aussi, ce que je vous demande, humblement, c'est de vous poser ces questions – mais je suppose que c'est ce que vous faites.

Pour ce qui est des droits des enfants, les critères que je propose s'appliquent : la GPA a un effet sur d'autres êtres vivants et il est évident que nous ne pouvons pas limiter, par rapport au reste de la population, les droits de ces êtres vivants. C'est à mes yeux une évidence.

La GPA est légale dans certains pays étrangers et, lors de leur retour en France, les parents y ayant recouru ne peuvent plus exercer leur rôle parental. Ici aussi, nous posons la question du rapport du désir et de la loi. Personne mieux que des psychanalystes, et j'espère que vous en avez entendu, ne pourra répondre à ces questions. À quel moment l'illimitation des droits de l'homme vient-elle, d'une certaine manière, s'entrechoquer avec la notion même de droits de l'homme ? Pour une pensée collective comme la pensée républicaine qui, en ce sens, est différente de la pensée démocratique – je citais Locke et Condorcet tout à l'heure – la question collective reste fondamentale par rapport à la question de la liberté individuelle, qui est l'alpha et l'oméga de la pensée anglo-saxonne dans ce domaine.

Enfin, je ne puis qu'être d'accord avec votre dernière remarque. Le transhumanisme serait une question très secondaire si nous atteignions nos objectifs d'accroissement de la pensée humaniste parmi nos concitoyens mais, là encore, il s'agit d'un idéal…

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Mes questions concerneront surtout le Comité Laïcité République.

Comment définir le terme de laïcité ? Vous avez évoqué la neutralité, notion sur laquelle je m'interroge, car il me semble que chacun est porteur de ses croyances, que l'on ait des convictions religieuses, que l'on soit athée, ou autre. Il est très difficile de prétendre qu'à aucun moment on ne laisse transparaître ce qui nous habite. On constate ainsi à l'école que les enfants repèrent rapidement les sentiments de chacun à cet égard.

Comment se construit et fonctionne le CLR, alors que les diverses convictions de ses membres sont toujours susceptibles d'être incompatibles et d'entrer en contradiction ? Comment parvenez-vous à déterminer une position commune au regard de la laïcité ?

Enfin, les membres du Comité sont-ils représentatifs des différentes tendances présentes au sein de la société laïque, ou bien, dans les échanges, font-ils abstraction de leurs appartenances ?

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En réduisant les feelings à des sentiments ne devant pas être pris en considération, vous nous invitez à nous en remettre à des définitions juridiques. Mais comment, par exemple, définir juridiquement la dignité humaine ? Car j'imagine qu'autour de cette table, chacun en a une perception différente.

De fait, la seule rationalité pourrait en quelque sorte déconsidérer les personnes vulnérables, à l'état embryonnaire ou en fin de vie. Sous couvert de bonnes intentions, de foi en la perfectibilité humaine – la laïcité émancipatrice –, ne risque-t-on pas d'aboutir à des mesures susceptibles d'asservir l'humain ou de le réduire à l'état d'objet ?

La richesse de la langue française, qui égale presque celle de la langue anglaise, permet de mieux appréhender les mystères de la vie humaine : ainsi le terme feelings peut aussi signifier « avis » et non pas « sentiments ». Or l'un des avis pourrait conduire à considérer le rôle de l'État comme étant de protéger les personnes les plus vulnérables, y compris d'elles-mêmes.

L'égalité absolue, que vous avez évoquée, pourrait elle aussi conduire à des situations d'inégalité, comme celle des enfants sans père. Le triomphe du moi, dont vous soulignez la menace, pourrait, par égalitarisme absolu, exiger l'utilisation de techniques susceptibles de créer des situations dénuées de sens. Si nous soumettons la prise en compte de l'opinion au seul critère de la rationalité, peut-être bâtirons-nous une société au sein de laquelle la fin justifie les moyens. Demain, la valeur d'une vie pourra-t-elle résister à la seule rationalité des moyens ?

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Au commencement de nos travaux, nous nous sommes interrogés sur l'opportunité d'auditionner les représentants des grandes religions. Nous avions alors présente à l'esprit la violence qui a caractérisé les débats portant sur le mariage pour tous et, nous souhaitions éviter de la provoquer à nouveau lorsque les débats portant sur la loi bioéthique, et singulièrement sur le recours à la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules, deviendront publics.

C'est pourquoi je souhaiterais recueillir votre avis sur la place que les religions doivent tenir dans ce débat puisque, que la mission d'information les entende ou non, elles y prendront toute leur place. Puisque vous êtes venu avec une « boîte à outils », comment créer les conditions d'un débat théologico-politique apaisé sans méconnaître le principe de laïcité tel que vous le défendez ?

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Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité et République (CLR)

Je me sens beaucoup plus à l'aise pour répondre à la question de Mme Tamarelle-Verhaeghe qui portait sur la laïcité, la neutralité, l'école, ainsi que sur la formation du consensus au sein de notre association, qu'à toutes celles que nous avons abordées jusqu'à présent.

Nous sommes tous constitués d'identités multiples. Je parlerai même d'identifications, car nous choisissons nombre de ces identités, nous choisissons de nous y rattacher : elles ne sont pas toutes imposées par la nature, loin de là. Elles peuvent nous être transmises par l'éducation, et parfois elles relèvent de choix.

La question de la laïcité n'est pas celle de la neutralité de l'individu, mais celle de la neutralité de l'État. L'individu est constitué de l'ensemble de ses identifications et de ses identités, et il vit avec. Ce en quoi consiste l'effort citoyen, républicain, spécifiquement français, c'est, au moment où il prend la décision politique, d'essayer de faire entrer une once de réflexion sur l'intérêt général dans la constitution de sa personnalité faite d'identités multiples, et surtout de ne pas transformer l'une de ces identités en une essence. C'est-à-dire de ne pas être qu'un juif, de ne pas être qu'un catholique, un athée, un protestant, une personne de couleur noire ; ce n'est qu'un des éléments qui nous constituent.

Tant que vous considérez que cet élément qui vous constitue est un parmi plusieurs, voire un parmi des dizaines pour certaines personnes, vous restez dans le politique, dans la capacité de discuter avec d'autres et d'accepter qu'un vote vous rende minoritaire, parce que vous savez que, la prochaine fois, un autre vote pourra vous rendre majoritaire – vous, c'est-à-dire l'ensemble des identités qui vous constituent.

Si, en revanche, vous essentialisez une seule de ces identités pour en faire votre être, vous n'êtes plus dans le politique, mais dans la victimisation et l'oppression, car tout vote qui se tournera contre vous sera, non pas opposé à votre opinion politique, mais à ce que vous considérez comme votre propre nature. Dès lors, la question du communautarisme, sous toutes les formes, notamment religieuses, qu'elle est susceptible de prendre, va se poser avec une terrible acuité et nous conduire à des choses assez catastrophiques.

Ainsi, à mes yeux, la neutralité et la laïcité sont celles de l'État ; et c'est à notre école qu'il appartient d'apprendre aux individus qu'ils sont constitués d'identités et d'identifications multiples. C'est en cela que la loi de 2004 sur les signes religieux est essentielle, dans la mesure où elle considère que, jusqu'à leur majorité, ces enfants doivent avoir un espace dans lequel ils peuvent comprendre, s'installer et s'organiser dans autre chose que la volonté familiale et sociale de les amener à une identité essentialisée.

Après avoir répondu à la partie de votre question portant sur l'individu, j'aborderai le thème de la neutralité, qui se trouve au coeur de la question.

J'ai cité les deux philosophes qui polarisent cette réflexion : l'Anglais Locke et le Français Condorcet ; les écrits de Catherine Kintzler sur ce thème sont éclairants, et je vous invite à vous y référer.

Locke est un philosophe qui part du religieux. Il pose en principe que, pour être membre de la communauté sociale et civile des hommes, qu'elle ait pour nom république, royauté ou démocratie, il faut croire en quelque chose. Si vous ne croyez pas, vous n'êtes pas crédible et n'avez pas de morale, ce qui n'est pas très éloigné d'une certaine vision américaine dominante aujourd'hui.

Il pose la question de l'harmonie et de la loi civile sous l'angle de la tolérance, il faut que chacun soit tolérant envers les autres. Toutefois, il pose cette question dans la situation où une religion est dominante : pour reprendre une image économique très galvaudée ces dernières années : la tolérance « ruisselle ». Elle part d'un haut que constitue la religion dominante dans la société, et « descend » vers des religions qui ne le sont pas, ou pas même parfois dans les institutions ; et il faut organiser cette tolérance entre les groupes.

Condorcet, philosophe du XVIIIe siècle, a fait, comme notre République encore aujourd'hui, le pari de l'émancipation, c'est-à-dire le pari de la liberté des individus, du choix de chaque individu. Il est fondé sur l'abstention, et, si on pouvait ne pas entendre le terme dans un sens négatif, sur la cécité : la République est aveugle à la différence.

Elle ne la nie pas, : la différence existe. Simplement, pour être dans le politique et non dans le religieux, la République se débarrasse de la question de la tolérance en posant le pari, très humaniste – celui du mythe de Sisyphe –, que, pour être homme, il ne faut pas aller dans le sens de la plus grande pente, il faut pousser la pierre dans le mauvais sens, même si l'on sait qu'elle va redescendre. Ce pari est que ce qui nous est commun est beaucoup plus important que ce qui nous fait différents, et que la seule solution pour avoir un État politique et rationnel est d'être aveugle à ces différences. Il ne s'agit pas de les nier, mais il faut que l'État y soit aveugle.

Comment les choses se passent-elles au sein du CLR ? Les adhérents, les membres de notre bureau, de notre conseil d'administration, sont des gens de droite, des gens de gauche, des gens du centre, dont certains sont peut-être ou probablement croyants, je ne me pose pas la question, mais si je devais le faire, je saurais assez rapidement qui l'est et qui ne l'est pas. Toutefois, ils acceptent ces principes comme étant l'idéal qui nous guide.

Pour reprendre une image qui m'est chère, je dirai que ce n'est pas parce que l'on n'a pas atteint son idéal qu'il faut le jeter à la poubelle pour le remplacer par quelque chose de régressif. L'idéal est comme l'étoile qui guide les marins, elle leur indique la bonne route, mais ils savent qu'ils ne l'atteindront pas. C'est donc cela l'idéal : on sait que l'on en est loin, mais on a conscience d'aller dans le bon sens en le suivant. S'agissant du fonctionnement du CLR, c'est une association relevant de la loi de 1901.

À M. Bazin, je répondrai qu'il me semble redouter que les lumières deviennent si vives qu'elles finissent par brûler et que la rationalité finisse en dictature.

Je suis quelque peu gêné lorsque vous considérez que c'est la vie, de l'état embryonnaire à la fin de vie, qui est concernée. À ma connaissance, pour la loi française, l'embryon n'est pas un être humain. Parler de l'embryon comme d'un être humain est donc en contradiction avec nos lois, ce qui est essentiel car, sans ces lois, des droits aussi fondamentaux que celui de l'accès à l'interruption de grossesse pourraient être remis en cause.

C'est là que la modeste boîte à outils que je vous propose a son importance, c'est-à-dire qu'aucune de ces libertés, si vous parvenez à la conclusion que chacune d'entre elles est une liberté, ne peut être mise en place sans l'accompagnement législatif et les garde-fous que vous lui donnerez.

Ceux-ci doivent porter sur la préservation des personnes âgées afin qu'elles échappent à la mort que leur promettraient des héritiers rapaces ou des gens qui les haïssent, etc. C'est donc votre rôle, non pas d'interdire ces libertés, mais de guider les citoyens pour qu'elles ne se transforment pas en asservissement ou en dictature.

Il n'en est pas moins vrai que le mot feelings signifie aussi « sentiments » ; toutefois, dans les universités américaines, on utilise l'expression you hurt my feelings, on ne parle pas d'avis, mais véritablement de sentiments. Je suppose que la plupart d'entre vous ont entendu parler de ces dérives délirantes concernant les zones de confort dans les universités américaines. Elles constituent l'illustration absolue de la folie dans à laquelle peut mener cette hypertrophie du moi.

De la même façon que vous êtes passé de la vie à l'embryon, vous passez « clandestinement » du terme d'égalité à celui d'égalitarisme. Cela n'est pas la même chose, l'écart est comparable à celui qui sépare l'islam de l'islamisme : l'islam est une religion qui a toute sa place dans notre société, et 80 % et plus des fidèles le pratiquent « en bon père de famille », alors que l'islamisme constitue une utilisation radicale et politisée de ce corpus de foi pour en faire un instrument politique antidémocratique.

Le même rapport existe entre égalité et égalitarisme. La valeur d'une vie pourra-t-elle résister à la finalité offerte par les moyens mis à sa disposition ? demandez-vous. Je vous retourne la question, car c'est à vous, législateurs, qu'il revient d'être vigilants. Peut-on vivre dans un monde de défiance permanente dans lequel toutes les libertés devraient être limitées parce qu'elles pourraient être mal utilisées ? Dans le domaine de la fin de vie, il me semble que l'on n'a pas attendu la loi de bioéthique et ses révisions pour que, dans le secret des familles et le silence des chambres d'hôpital, des gestes d'aide au passage au trépas soient accomplis, et cela depuis toujours.

Il ne s'agit donc pas de refuser de voir, ni de faire comme si, mais simplement de s'assurer que les libertés qui continueront d'émanciper l'humanité sont réglées par des cadres pour lesquels nous vous avons élus ; c'est votre responsabilité.

À Mme Fajgeles qui m'a interrogé sur l'opportunité qu'il pourrait y avoir d'entendre les représentants des grandes religions, je répondrai que tout groupe humain mérite que la mission d'information l'entende, particulièrement lorsqu'il a une influence dans la société. Cela vaut pour les grandes religions, pour les athées ou d'autres types de groupes qui ne sont pas nécessairement religieux. La question est de savoir à quel moment écouter ces groupes pourrait former votre jugement ou pourrait, sous l'influence, le poids et l'insistance de ce que l'on appelle aujourd'hui des lobbies, se constituer en une défense d'éléments irrationnels.

Rien n'est plus légitime, mais ce qui ne devrait pas être et inquiète beaucoup le CLR est la constitution de groupes religieux institutionnalisés en marge des institutions de la République, qui deviendraient des sortes de think tanks permanents de la République. La question est celle-là, et non celle d'écouter ou pas ce que les gens ont à dire – je suppose que la mission reçoit les représentants des diverses religions, le grand rabbin de France, etc.

J'imagine par ailleurs, Madame, que c'est à dessein que vous avez parlé de débat théologico-politique ; ce débat à mes yeux est politique et non théologico-politique. Tout est là précisément : le débat n'est pas celui de la prise en compte d'opinions qui, même si elles sont très largement partagées, demeurent des vues de l'âme, des vues de l'esprit, avec tout le respect qui leur est dû, et qui auront beaucoup de mal à démontrer qu'elles fonctionnent autour de la raison – ce qu'à certains égards elles refusent en grande partie.

Il ne peut donc, selon moi, y avoir de débat théologico-politique ; il peut en revanche y avoir un débat politique, même informé par des opinions théologiques ou par des discours scientifiques.

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J'avoue ne pas entrer dans vos vues lorsque vous évoquez des opinions théologiques ; je pense qu'il s'agit de questions, car la théologie est faite de plus de questions que d'opinions.

Dans la perspective du « toujours plus de libertés », d'une émancipation sans bornes, puisque désormais quasiment tout est possible, y compris ce que nous ne pouvons imaginer, et même en comptant sur la perfectibilité de l'homme : comment enrayer le danger d'une surpuissance humaine ?

On peut en effet penser à une infinie conquête de droits, sans que des devoirs y soient associés, alors que, dans toute société, institution, école ou n'importe que cercle, il y a obligatoirement des règles, ne serait-ce que pour que chacun puisse vivre sa liberté. Ainsi la liberté n'est-elle possible que si elle est soumise à des règles, ce qui peut sembler antinomique avec l'idée d'une liberté sans fin, une quête de droits à l'infini qui ne serait associée à aucun devoir.

Enfin, au nom de la liberté, ne risquons-nous pas un formidable retour en arrière ?

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Vous avez, monsieur le président Sakoun, rappelé votre attachement à l'égalité et à la liberté de tous.

À ce titre, je souhaiterais vous interroger au sujet de la levée de l'anonymat du don de gamètes. Ce don est frappé d'anonymat en France, et je m'interroge sur la souffrance potentielle vécue par les enfants concernés du fait de leur incapacité à connaître leurs origines, mais également sur la liberté de conserver le choix de savoir ou non ; de dire ou de ne pas dire. Pour sa part, la fédération des centres d'étude et de conservation des oeufs et du sperme humains (CECOS) recommande une levée partielle de l'anonymat.

Quel est votre avis au sujet de cette alternative ?

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Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité et République (CLR)

À Mme Thill, je concède volontiers qu'il est effectivement question d'opinions religieuses et, bien entendu, de discussions théologiques : je me suis mal exprimé.

S'agissant de l'extension des droits à l'infini, des droits sans devoirs et de la liberté sans fin qui constituerait à terme une régression, soit je me suis très mal exprimé, soit nous nous sommes mal compris : je suis en fait entièrement d'accord avec vous. J'avance simplement que l'optimisme humaniste qui est le mien me pousse d'abord à considérer la liberté avant que de considérer l'interdiction et la contrainte.

C'est pourquoi je vous propose de vous poser à chaque fois ces questions afin de déterminer si cette liberté est possible et, le cas échéant, avec quelles contraintes et quels garde-fous. C'est une évidence pour tout démocrate, mais elle a toujours plus de mal à être transmise du fait de l'explosion du moi chez les individus, qui est favorisée par l'ensemble de l'organisation de notre société.

La question se pose lorsque, en contradiction avec la loi de leur propre pays des parents décident de pratiquer une GPA à l'étranger et reviennent en demandant que la règle nationale soit appliquée à leurs enfants. Pour la deuxième partie de la question, nous ne souhaiterions pas faire autrement, mais pour la première partie nous sommes placés devant cette contradiction entre le désir et la loi, c'est-à-dire entre l'intérêt collectif et l'intérêt particulier. La question est ainsi de savoir si tout désir à vocation être assouvi.

C'est vous, législateurs, qui vous trouvez avec ce « truc » très collant entre les mains, car on ne peut pas partir du principe que, parce que c'est possible, ce doit être fait.

Il est vrai que la question est très délicate. Nous n'avons pas de réponse, en tout cas pas de réponse générale. Un rapport de forces politique s'instaure entre des forces politiques, et des citoyens qui se font entendre pour déterminer quels sont les domaines dans lesquels nous pouvons avancer, et quels sont ceux dans lesquels il nous paraît – ou il vous paraît – dangereux de le faire.

S'agissant de la levée de l'anonymat pour le don de gamètes, je n'ai pas de réponse, sinon, encore une fois, que mes questions s'appliquent, et qu'en nous les posant nous devrions trouver une voie, même si elle est malaisée.

Cela me conduit à évoquer l'un des grands changements de notre décennie, voire de ces dernières années. Malgré la violence des combats politiques et des oppositions qui ont traversé ce pays depuis qu'il est une démocratie – et c'est une vieille démocratie comparée à la plupart des pays qui nous entourent –, notre vie commune était fondée sur des consensus non-dits et non-écrits, et ce au sein d'une société, la société ancienne, qui était une société d'ordres – ce qui ne signifie pas société dictatoriale, mais organisation plus verticale, et la République se rapproche plus d'une société de ce type que la démocratie anglo-saxonne.

Dans une société d'ordres comme celle-là, il est clair que ce consensus implicite permettait de ne pas poser certaines questions. Non pas parce qu'elles étaient mises sous le tapis, mais simplement parce qu'elles trouvaient leur solution dans l'intimité des groupes, qu'il s'agisse de la famille ou de groupe d'amis, et quelle que soit la décision concernée : administrer une potion permettant à quelqu'un de ne plus souffrir et de mourir, dire ou non à un enfant qu'il a été adopté, qui sont ses géniteurs lorsqu'on les connaît, etc.

L'éclatement de ce consensus, qui est un fait culturel, un fait de civilisation, nous place devant des questions que nous avons plus de mal que d'autres pays à résoudre, parce qu'elles entrent en confrontation complète avec notre mode de pensée, avec notre modèle civilisationnel et culturel. Les Anglo-Saxons et les habitants du nord de l'Europe sont beaucoup plus à l'aise avec ces sujets ; je ne prétends pas que ce soit mieux ni moins bien, je le constate.

L'exercice est très malaisé, je le reconnais, et, au sein du Comité, nous tâtonnons sans cesse sur ces problèmes. Nous avons des points de vue différents sur la GPA, la PMA – bien que cette question soit à peu près réglée pour nous –, la levée de l'anonymat des dons de gamètes, etc. Nous rencontrons des difficultés parce que nous n'avons pas encore trouvé la voie dialectique qui nous permettrait de marier ces nouveautés et évolutions avec notre cadre culturel, que nous n'avons par ailleurs pas envie de perdre.

Il faut parvenir à vivre dans cette contradiction, et tenter d'être suffisamment intelligents collectivement pour trouver par moments une voie dialectique de sortie satisfaisante. J'espère que les questions que je vous propose de vous poser sans cesse pourront vous y aider.

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Merci, monsieur le président, pour ces enrichissants propos.

La séance s'achève à dix-neuf heures cinq.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mardi 18 septembre 2018 à 17 h 45

Présents. – M. Joël Aviragnet, M. Philippe Berta, M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, M. Guillaume Chiche, Mme Nicole Dubré-Chirat, Mme Élise Fajgeles, Mme Agnès Firmin Le Bodo, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Patricia Gallerneau, Mme Caroline Janvier, Mme Bérengère Poletti, Mme Mireille Robert, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal

Assistait également à la réunion. – M. Thibault Bazin