Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 15h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Jeudi 25 octobre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition d'une représentante du Collectif “Intersexes et Allié·e·s”, et de M. Benjamin Pitcho, avocat, et M. Benjamin Moron-Puech, enseignant-chercheur, de l'association GISS Alter Corpus.

L'audition débute à quinze heures.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous reprenons notre séquence d'auditions en accueillant une membre du Collectif Intersexes et Allié·e·s ainsi que deux représentants de l'association GISS-Alter Corpus : M. Benjamin Pitcho, avocat, et M. Benjamin Moron-Puech, maître de conférences à l'université Paris 2 Panthéon-Assas.

Madame, messieurs, nous vous remercions d'avoir accepté de vous exprimer devant nous. La question des enfants dits « intersexes », c'est-à-dire des enfants présentant des variations du développement génital dès la naissance, est comprise dans le champ d'étude de notre mission d'information relative à la révision de la loi bioéthique. Une question qui soulève de nombreux enjeux, liés notamment au consentement aux soins ou à l'équilibre psychique des enfants concernés. Vos expertises sur ce sujet nous seront bénéfiques pour l'avancée de notre réflexion.

Je vais vous laisser la parole à tour de rôle, et nous poursuivrons par un échange de questions réponses.

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représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s

Je vous remercie de nous recevoir aujourd'hui. Je témoignerai en ma qualité de personne intersexuée et de représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s.

Je vous donnerai différents éléments de définition et vous expliquerai pourquoi les pratiques médicales de l'intersexuation posent des questions et des problèmes éthiques.

Premièrement, qu'est-ce que l'intersexuation ? Il est important de définir l'intersexuation, car c'est souvent là que se jouent un certain nombre d'enjeux.

Les associations se réfèrent généralement à l'intersexuation ou parlent de personnes intersexes ou intersexuées. La définition qui est retenue de façon consensuelle indique que les personnes intersexes sont, je cite, « nées avec des caractéristiques sexuelles ou génitales, gonadiques ou chromosomiques qui ne correspondent pas aux définitions typiques du mâle ou de la femelle ».

Ce terme et cette définition sont notamment utilisés par les organisations internationales, comme le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme (HCDH) et par des organisations comme Amnesty International ou Human Rights Watch.

Voici deux éclairages supplémentaires, en termes de données et d'âge.

L'intersexuation est un phénomène bien plus courant que ce que nous pouvons imaginer. Si nous rassemblons l'ensemble des variations des caractéristiques sexuelles, le taux le plus couramment avancé, utilisé de façon consensuelle par les associations comme par les institutions internationales, est celui de 1,7 % des naissances. En France, ce taux correspond à peu de choses près à celui des personnes qui ont les cheveux roux.

S'agissant de l'âge, l'intersexuation n'est pas forcément découverte à la naissance : elle peut l'être pendant l'enfance, à l'adolescence ou parfois même à l'âge adulte. Mais, quel que soit l'âge, les personnes intersexuées rencontrent toujours une très forte invalidation, comme en témoignent les protocoles médicaux.

Deuxième point, pourquoi la prise en charge médicale des personnes intersexes pose-t-elle des questions éthiques ?

La définition et les chiffres que je vous ai donnés ne sont pas explicités de cette façon dans les protocoles médicaux. Les personnes intersexes sont désignées par diverses appellations pathologisantes de syndromes rassemblés sous le sigle DSD – disorder of sex development, c'est-à-dire, en français, des anomalies, des désordres, des troubles du développement sexuel.

Quelles sont les pratiques existantes qui posent des questions éthiques ?

Après la Seconde Guerre mondiale, une série de changements institutionnels et de nouveautés technologiques a permis d'entreprendre l'effacement de ces variations corporelles, qui étaient considérées comme non conformes aux normes « mâles » et « femelles ».

Rapidement, un protocole de « correction » et de « conformation » des corps d'enfants se développe un peu partout en Occident. Les enfants intersexués sont dès lors soumis à des interventions non consenties, irréversibles et non cruciales pour le maintien de la santé. Voici une liste, non exhaustive, de ces interventions multiples et, je le répète, sans finalité thérapeutique : la clitoridectomie, la récession clitoridienne, la réduction du clitoris, la réparation de l'hypospade, la vaginoplastie, la dilatation vaginale, le retrait des gonades, la prescription d'hormones, etc.

Les personnes concernées peuvent rarement exprimer un consentement libre et pleinement éclairé, la décision de les soumettre à ces interventions étant prises par les parents, sous l'influence des professionnels médicaux.

Aujourd'hui, les évolutions technologiques et bioéthiques n'ont modifié qu'à la marge les protocoles et les prises en charge, même si l'enfant est aujourd'hui informé des opérations qu'il a subies. Auparavant, rien n'était dit à l'enfant, de peur qu'il développe une dysphorie de genre.

En France, les enfants intersexes sont toujours soumis à des opérations chirurgicales ou à des traitements hormonaux sans leur consentement éclairé et sans nécessité de santé.

Pour justifier ces actes médicaux, il est généralement avancé, notamment par le personnel médical, qu'ils favoriseront le bien-être psychique de la personne intersexuée et son insertion dans la société. Or, non seulement ces bénéfices ne reposent sur aucune étude scientifique, mais les préjudices liés à ces actes médicaux d'assignation sexuée sont largement ignorés par ces mêmes études ; ils sont par ailleurs très nombreux. Je cite : les ablations d'organes sains, les cicatrices très marquées, les infections des voies urinaires, la diminution ou la perte totale des sensations sexuelles, l'arrêt de la production d'hormones naturelles, la dépendance aux médicaments, le sentiment profond de violation de la personne et de pathologisation d'un corps sain, les souffrances induites par une assignation qui ne correspond pas forcément à l'identité de genre de la personne et la dépression, allant parfois jusqu'au suicide.

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Benjamin Pitcho, avocat

Monsieur le président, je vous remercie de votre invitation. Je remercie également la représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s. pour son témoignage.

En effet, deux conditions sont aujourd'hui nécessaires pour la réalisation d'un acte médical dans notre pays : le consentement de la personne et l'existence d'une nécessité médicale ou thérapeutique – une utilité pour la personne elle-même.

M. Benjamin Moron-Puech reviendra sur la nécessité médicale ; quant à moi, je vous parlerai de la notion de consentement.

Le code de la santé publique et les droits fondamentaux prévoient que toute personne doit être mise en capacité de connaître les conséquences de l'acte qu'elle subit, les raisons de cet acte et ses implications. Évidemment, quand on parle de protocoles réalisés sur des enfants dès l'âge de trois ans, il est hors de question de considérer qu'un consentement valide ait pu être donné à ces actes. Nous pourrions considérer, avec une lecture un peu littérale du code de la santé publique, que ce sont les parents, ou plutôt les titulaires de l'autorité parentale, qui doivent donner ce consentement. Or, comme l'a parfaitement rappelé la repréentante du Collectif Intersexes et Allié.e.é.s, leur consentement a malheureusement été biaisé, puisque le regard médical porté sur l'intersexuation est un regard pathologisant, qui consiste à considérer l'intersexuation comme une anomalie qu'il faut corriger.

Il s'ensuit que les informations données sont parcellaires, biaisées, et vont nécessairement, dès lors que l'accord des titulaires de l'autorité parentale est demandé, induire un accord qui lui-même sera biaisé.

J'ai l'honneur de recueillir la confiance de certaines personnes intersexuées qui ont confié à mon cabinet la défense de leurs intérêts. Ainsi, je me suis aperçu que, dans la très grande majorité des cas, aucune information n'est donnée aux parents sur ce qu'est l'intersexuation, sur le caractère complètement sain de l'intersexuation dans l'immense majorité des cas, n'induisant aucune pathologie, ni à long terme ni à court terme, et sur les conséquences pour l'enfant, les parents, et d'autres personnes. Nous pouvons en déduire que ces actes sont réalisés sans le consentement de la personne et sont donc totalement illicites.

Je rappelle que nous parlons d'actes qui sont réalisés dès le plus jeune âge de l'enfant, c'est-à-dire dès trois ans. D'actes qui vont impliquer des conséquences à vie, et une assignation vers un genre qu'il ou qu'elle n'aura pas choisi, sous des prétextes strictement médicaux. Je rappelle aussi que des actes sont réalisés en période anténatale. Si le code de la santé publique accepte aujourd'hui la réalisation d'une interruption médicale de grossesse (IMG) en cas de maladie grave et incurable au moment du diagnostic, de nombreux services de médecine ont tendance à considérer que, lorsque l'intersexuation est développée in vitro et qu'elle est visible, elle relèverait d'une maladie grave et incurable qui justifierait une interruption médicale de grossesse.

La situation actuelle est gravissime. Les actes que subissent les personnes intersexes tout au long de leur vie d'enfant, puis tout au long de leur vie d'adulte, ne sont jamais choisis, jamais consentis. On enferme les personnes dans une situation pathologisante, du fait, non pas de leur intersexuation, mais du regard des autres et des actes qui sont réalisés.

Les personnes que nous représentons ont des parcours excluant toute possibilité d'insertion sociale, puisque, dès leur plus jeune âge, on leur ment. L'équipe médicale leur ment. Personne ne leur explique pourquoi, dès l'âge de trois ans, alors que tous les petits copains et les petites copines passent leurs vacances en famille, chez les grands-parents, ils sont opérés et passent leur enfance dans les hôpitaux à subir des actes chirurgicaux graves. J'insiste sur ce point : ils n'ont jamais eu leur mot à dire.

Parfois, certains interceptent un courrier. C'est le cas de l'une de nos clientes qui a intercepté, à l'âge de vingt-cinq ans, un courrier adressé par le médecin à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) à la suite de sa demande de prestations sociales, mentionnant le fait qu'elle était intersexuée. Ma cliente a ainsi découvert son état à cette occasion. Tout au long de sa jeunesse, les médecins écrivaient textuellement, dans son carnet médical : « il faut impérativement mentir à cette jeune fille, pour lui faire croire que c'est une petite fille et qu'elle n'ait aucun doute sur son genre ». Telle est la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, et qui est gravement préjudiciable aux droits des enfants.

À cette violence sociale s'ajoute évidemment une violence juridique particulièrement insupportable pour ces personnes. Elles viennent nous voir et, quand elles saisissent les tribunaux, ceux-ci leur opposent systématiquement la prescription, les actes ayant été effectués dans leur tendre jeunesse. Or, vous l'imaginez bien, le temps qu'elles puissent réaliser la situation, se construire une personnalité autre que celle qui a été détruite par ces actions et entamer une démarche judiciaire, le délai de prescription est écoulé.

Bien que nous ne favorisions pas systématiquement la voie judiciaire, nous avons plusieurs fois porté plainte avec constitution de partie civile pour actes de mutilation. Le juge d'instruction a parfois refusé d'instruire. Nous nous sommes donc pourvus en cassation pour contester ces arguments, en faisant valoir le fait que les personnes étaient dans l'impossibilité matérielle et psychologique de connaître leur état, rendu pathologique, encore une fois, par ces interventions et aucunement par leur état d'intersexuation. La Cour de cassation a considéré que cela ne revêtait pas le caractère d'un obstacle insurmontable. Un recours devant la Cour européenne des droits de l'homme est aujourd'hui en cours.

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Benjamin Moron-Puech, maître de conférences à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

Comme vous l'a indiqué maître Pitcho, toute atteinte à l'intégrité physique est en principe proscrite, sauf si elle intervient dans un cadre médical. Ce principe, c'est le Parlement, en 1994, qui l'a posé, et il figure à l'article 16-3 du code civil. Aujourd'hui, un certain nombre de personnes viennent nous trouver pour se plaindre de la mauvaise application de ce principe.

Je m'efforcerai donc de vous démontrer que la notion de nécessité médicale, telle que vous l'avez dégagée en 1994, est aujourd'hui largement méconnue des personnes intersexuées et, plus largement, des minorités corporelles, c'est-à-dire des personnes qui naissent avec un corps différent et que la médecine veut normaliser ; je pense, par exemple, aux personnes sourdes qui subissent la pose d'implants cochléaires.

La loi a souhaité protéger toutes ces personnes, avec l'exigence d'une nécessité thérapeutique. L'exigence était déjà, en 1994, évoquée dans la jurisprudence. Elle était même dans l'air du temps dès la Seconde Guerre mondiale, puisqu'elle avait été affirmée très clairement par les tribunaux. Elle a ensuite été posée dans la loi de 1994, la nécessité médicale étant une question qui relève de la bioéthique.

Qu'entend-on par nécessité médicale ? Initialement, on parlait de nécessité thérapeutique. On a évolué vers la notion de nécessité médicale, notamment parce que les médecins souhaitaient, non seulement disposer de plus de souplesse, mais également intégrer, dans le cadre du droit commun, la question de certains actes contraceptifs qui pouvaient leur faire craindre d'engager leur responsabilité pénale. Mais derrière cette notion de nécessité médicale existent toujours un certain nombre de finalités limitées : la finalité thérapeutique, la finalité contraceptive et, éventuellement, la finalité esthétique.

Pour les personnes intersexuées, la seule finalité dans laquelle se placent aujourd'hui les médecins est thérapeutique. Ils prétendent soigner des enfants qui ont des problèmes. Ils ne pratiquent pas d'actes esthétiques, ils ne s'inscrivent pas dans les règles prévues par le code de la santé publique pour la chirurgie esthétique, qui sont beaucoup plus protectrices du consentement. Ils ne s'inscrivent pas non plus dans un protocole expérimental, également beaucoup plus protecteur du consentement. Non : ils prétendent faire du thérapeutique. Mais en font-ils vraiment, et les actes qu'ils réalisent sont-ils absolument nécessaires ?

Qu'est-ce que le thérapeutique ? Un grand philosophe français de la médecine, Georges Canguilhem, a réfléchi longuement sur « le normal et le pathologique ». Selon lui, le pathologique ne peut être défini par le simple corps médical qui, partant d'une rareté statistique, d'un constat, ne pourrait établir objectivement ce qu'est une pathologie ni, donc, la thérapeutique destinée à guérir cette pathologie. Non, nous dit Canguilhem, il faut nécessairement partir de la personne. C'est ce qu'a fait le législateur en 1994 en introduisant la « nécessité thérapeutique pour la personne » – pour la personne elle-même, car on ne peut pas construire une pathologie sans le consentement des personnes.

Alors, que nous disent aujourd'hui les personnes intersexuées qui prennent la parole ? Elles nous disent : nous ne sommes pas malades ! Un combat est mené auprès de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) pour sortir complètement l'intersexuation de la liste des maladies. Certains États, comme Malte, ont prévu, quand bien même l'OMS conclurait que les personnes intersexuées ou transgenres sont malades, que cette classification ne serait pas reconnue dans une loi. C'est une sage disposition dont vous pourriez vous inspirer.

Toujours est-il que les professionnels de santé ont tendance aujourd'hui à considérer les personnes intersexes comme des personnes malades. Certes, elles montrent une variation, une caractéristique physiologique rare, tout comme les personnes qui ont les cheveux roux sont moins fréquentes que les autres ; mais cette rareté ne met pas en péril leur existence, leur santé, leur capacité à vivre dans la société.

S'il y a un problème, il est généré, non pas par ces personnes, mais par les normes sociales qui fabriquent une maladie et qui fabriquent éventuellement des dépressions chez ces personnes. L'intersexuation n'est rien d'autre qu'un phénomène qui avait été fort bien décrit par Frantz Fanon dans les années 1950. Ce ne sont pas les personnes intersexes qu'il faut soigner, mais la société, notamment en changeant ses normes. C'est pourquoi nous sommes ici, aujourd'hui, devant le législateur, pour rappeler que les règles doivent être respectées.

Concernant la condition de nécessité médicale, il manque le premier élément, à savoir le caractère thérapeutique, la finalité thérapeutique. À supposer même que le caractère pathologique soit établi, encore faudrait-il établir aussi la nécessité. Cela signifie, d'une part, que l'acte que les médecins réalisent ait plus d'avantages que d'inconvénients, et, d'autre part, que cet acte soit le seul à même de traiter, de la meilleure façon possible, cette maladie – à supposer que ce soit une maladie.

Faisons la balance bénéfices-risques. Disposons-nous aujourd'hui d'études démontrant que les personnes intersexuées opérées sont plus heureuses après qu'avant ? Non. Une étude réalisée dans les années 1950 par le docteur John Money, premier médecin à opérer des personnes intersexuées, tendait plutôt à démontrer que les personnes non opérées étaient plus heureuses que les personnes opérées. Cela n'a pas empêché M. Money, pour développer sa pratique, de procéder à des opérations, prétextant que ces personnes « seraient encore plus heureuses » grâce au progrès et aux nouvelles et meilleures techniques. Aujourd'hui, la preuve de cette nécessité n'est pas apportée.

S'agissant de la question de savoir si d'autres actes, moins coûteux, seraient possibles, les médecins ont-ils pris la peine de comparer les actes qu'ils réalisent avec un simple suivi psychologique, qui peut être fait par des psychologues ou d'autres personnes intersexuées, plus âgées, et qui pourrait aider les parents et la personne concernée à faire face aux difficultés rencontrées dans une société hostile à cette condition ?

Les actes commis sur les personnes intersexuées n'ont ni un caractère thérapeutique ni un caractère de nécessité médicale, au sens où l'entend le législateur. Cette conclusion, tirée par quelques chercheurs, dont je fais partie, a été reprise, cette année, par le Conseil d'État, dans son avis de 2018, que nous vous avons communiqué.

Le Conseil d'État affirme en effet qu'il y a ni situation pathologique – au motif qu'il n'y a pas de lésions – ni nécessité d'intervenir. De sorte que, aujourd'hui, nous sommes face à une pratique qui contrevient manifestement à l'article 16-3 du code civil. Alors que faire face à cette pratique ? Je laisserai maître Pitcho et la représentante du Collectif Intersexes Allié·e·s apporter quelques réponses.

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représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s

Le cadre législatif existant protège suffisamment les personnes intersexuées, et notamment les enfants. Le problème est que personne n'établit un lien entre l'intersexuation et une vision dépathologisée de l'intersexuation, que l'on pourrait simplement nommer « variations du développement sexuel ». Un tel lien a pourtant été fait par un certain nombre de médecins, notamment en Suisse, qui ont pris en charge l'intersexuation dépathologisée et qui, a fortiori, ne pratiquent aucune intervention précoce sur l'enfant.

Je rappellerai que ces actes médicaux ont été condamnés à plusieurs reprises par l'Organisation des Nations unies (ONU), en 2016, mais aussi en France, par un certain nombre d'organisations, notamment par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), par la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) et, en juillet dernier, par le Conseil d'État. Tous ces avis, toutes ces recommandations visent à pousser le législateur à interdire ces actes.

La demande la plus claire formulée par le Collectif Intersexes et Allié·e·s. est la suivante : nous demandons, par voie de circulaire, un rappel à la loi. Ce rappel à la loi peut être fait, soit par le législateur, soit par l'exécutif par le biais d'une circulaire. Une circulaire qui préciserait que, ces variations n'étant pas considérées comme des pathologies, les actes médicaux sont illicites.

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Benjamin Pitcho, avocat

Comme cela a été rappelé, l'ONU et le Conseil de l'Europe ont condamné la France, et le Conseil d'État a rappelé, très récemment, que le droit positif permettait de considérer que les opérations d'assignation sexuée étaient illicites. Pourtant, à l'heure à laquelle nous parlons, dans les services hospitaliers, financés par la sécurité sociale, donc par des fonds publics, des actes d'assignation sexuée sont réalisés – peut-être pas tous les jours, mais très fréquemment. Il y a là un vrai hiatus entre la pratique et l'état du droit.

Alors que faire ? Pouvons-nous nous contenter de dire qu'il n'y a pas lieu à modifier la loi, puisqu'elle est en elle-même satisfaisante ? La réponse est évidemment négative, dans la mesure où cet état législatif ne permet pas une application correcte et une transposition correcte de la loi dans les faits, des mutilations étant réalisées tous les jours au nom de notre République française. C'est la raison pour laquelle nous avons l'honneur de vous demander de modifier la loi, par un biais interprétatif qui rappellerait que toute opération d'assignation sexuée subie par une personne contre son consentement est formellement interdite.

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Benjamin Moron-Puech, maître de conférences à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

J'ajouterai, si vous me le permettez, que chacun peut interpréter un texte : le gouvernement, le citoyen, le médecin. Mais une interprétation prévaut sur toutes les autres : celle du législateur. C'est la raison pour laquelle, il me semble indispensable que vous rappeliez la notion de nécessité médicale, telle que vous l'avez entendue en 1994 et que vous indiquiez que, dans le cas présent de l'intersexuation, les actes réalisés sont illicites. Ce faisant, vous rejoindrez un certain nombre de législateurs qui ont déjà pris cette initiative. J'évoquais tout à l'heure Malte, je pourrais également citer le Portugal, la Grèce, et d'autres encore.

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Je vous remercie.

Vous avez évoqué l'avis du Conseil d'État. Or, dans son rapport préalable à la révision de loi bioéthique, il suggère d'inscrire dans la loi la possibilité de reporter la mention du sexe à l'état civil faite lors de la déclaration de naissance, lorsqu'un doute existe sur le sexe d'un nouveau-né.

Êtes-vous favorables à cette proposition ? Si oui, des délais devraient-ils être inscrits dans la loi, et lesquels ?

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Benjamin Pitcho, avocat

Je vous fournirai une réponse très technique et laisserai ensuite la parole à la représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s, les personnes intersexes étant les premières personnes concernées sur ce sujet.

Il est évident que l'état civil est un enjeu crucial dans la mesure où il permet, implicitement et socialement, de réaliser ces opérations d'assignation. Y a-t-il une nécessité de reconnaître un troisième sexe, un sexe neutre, un genre autre, ou quoi que ce soit d'autre ? Notre cabinet – et je salue ici ma consoeur Mila Petkova, qui suit particulièrement ces affaires – souhaite que soit permise l'inscription d'une autre mention que « masculin » ou « féminin », bien que ce ne soit pas une revendication prioritaire des personnes concernées.

Reporter, oui : c'est déjà le cas aujourd'hui. Reporter avec un délai qui serait préfixe ne serait pas, à mon avis, forcément la chose la plus efficace, puisque il peut y avoir des variations et des appréciations individuelles.

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représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s

Le Collectif Intersexes et Allié·e·s a une vision assez ambitieuse, s'agissant de la question de l'état civil, puisque nous souhaitons l'abrogation des normes de genre, afin que la personne puisse s'autodéterminer comme elle le souhaite – en homme, en femme ou avec une identité de genre non binaire. De la même manière que les races ont disparu de l'état civil, nous pourrions tout à fait faire disparaître le genre.

Je suis néanmoins consciente que le question n'est pas prête à être débattue. Nous ne sommes d'ailleurs pas favorables à un tel débat aujourd'hui. Pourquoi ? Parce que le débat aurait tendance à se focaliser sur les questions de l'identité de genre et de l'inscription du sexe à l'état civil, alors que notre priorité est l'arrêt des interventions et des traitements hormonaux non consentis.

Mais pour revenir à votre question, la première chose que l'on nous renvoie – j'insiste, car c'est très important pour nous – est : « Si vous n'êtes ni femme ni homme, qu'est-ce que vous êtes ? » Pourquoi ne pas modifier les dispositions de l'état civil pour permettre aux personnes intersexes de répondre à cette question ? Un délai pourrait être mis en place.

Nous sommes opposés à la création d'un troisième genre, d'un troisième marqueur, comme c'est le cas en Allemagne, en Australie ou en Argentine, car il serait source d'une nouvelle discrimination. Les médecins, par exemple, expliqueront aux parents qu'ils ne doivent pas laisser leur enfant dans un état indéterminé. Un troisième marqueur serait donc une pression supplémentaire à l'assignation d'un sexe – un « sexe d'élevage », comme disent certains.

La question de l'état civil est un débat que nous aurons un jour, mais ce n'est pas l'urgence. Je le répète, l'urgence est d'arrêter les actes médicaux et de laisser le choix à l'enfant de s'autodéterminer. Mais si je dois répondre, ma réponse sera celle-ci : assignons un sexe lors de la naissance et permettons ensuite à la personne de choisir. J'irai même plus loin : facilitons le changement de genre à tout le monde.

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J'entends vos réponses et je ne voudrais pas réduire le débat à cette question, mais l'état civil fait référence au sexe et non au genre.

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représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s

Le sexe, c'est quoi, monsieur ?

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représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s

Qu'est-ce que le sexe pour une personne intersexe ?

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J'entends, madame, et je ne prétends pas répondre à la question. Je rappelle simplement que l'état civil ne reconnaît pas le genre.

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représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s

C'est exact.

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Je comprends bien que cela pose un problème pour les personnes intersexuées. Mais l'état civil n'est pas aujourd'hui dans une logique de genre ; il est dans une logique de sexe.

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Benjamin Moron-Puech, maître de conférences à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, vous devez vous concentrer sur les mesures bioéthiques. Or, il me semble que la question de la mention du sexe à l'état civil ne relève pas de la bioéthique. En 2013, l'Allemagne a adopté une loi ouvrant la possibilité de ne pas inscrire la mention du sexe d'une personne intersexuée, mesure que la jurisprudence a ensuite étendue aux transgenres, mais qui n'a eu aucune conséquence sur les actes médicaux d'assignation sexuée. Une étude de 2016 a évalué le nombre d'actes médicaux avant et après la loi : leur nombre a augmenté.

Ne nous trompons pas de cible : quand bien même vous estimeriez que cette question relève de la bioéthique, veillez à ne pas adopter une législation qui serait discriminatoire. Il me paraît important, si vous décidez d'allonger le délai de plusieurs mois, de le faire pour tout le monde.

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Madame, messieurs, je vous remercie pour toutes ces informations.

Dans le cadre de la révision de la loi de bioéthique, ce qui nous importe est d'enrichir la réflexion concernant l'identité, en particulier sexuelle, la reconnaissance sociale, qui doit être accordée, la dignité, le respect, l'absence de discrimination et la confidentialité – toutes questions sur lesquelles vous rencontrez bien des difficultés – mais également de nous assurer de l'absence de traumatismes physiques ou psychiques, qu'ils soient déclenchés par le corps médical, les soignants ou d'autres, enfin de nous préoccuper du meilleur épanouissement possible de la sexualité et de la procréation, lorsqu'elle est possible ou qu'elle peut être suppléée.

Sur tous ces points, nous avons besoin que vous nous donniez des indications pour nous aider à apporter, dans la loi, des améliorations par rapport à l'existant.

Dans toutes les remarques que vous avez formulées, une partie peut dépendre de la loi, mais nombreuses sont celles qui dépendent, en fait, de l'application et de la réglementation. Vous avez d'ailleurs vous-même évoqué le souhait d'une circulaire visant à rappeler la loi. Une telle circulaire ne peut être émise que par le ministère des solidarités et de la santé.

Nous le savons, des lois ne sont pas correctement appliquées, mais le législateur n'a pas le pouvoir d'adopter une nouvelle loi demandant d'appliquer la loi existante. Il appartient à l'exécutif de faire appliquer les lois, même si nous avons un regard de contrôle sur l'application des lois.

Madame, pouvez-vous nous dire comment décider, avec l'enfant ou le jeune adulte, du meilleur moment pour faire un choix : le choix du sexe, le choix de subir, ou non, des interventions et des traitements hormonaux ?

Dans la mesure où cela conduirait à reporter toute intervention, comment faciliter la démarche d'un tel choix à une personne intersexe qui souhaiterait procéder à des changements ? Concrètement, pourrions-nous faire évoluer la loi dans ce sens ?

En vous écoutant, je me disais que, si loi il doit y avoir, il s'agirait, non pas d'une loi portant sur des aspects techniques, mais d'une loi sur les droits des personnes non malades, des personnes vulnérables.

Le droit des personnes doit être mis en avant. Or, trop souvent, dès lors qu'un traitement doit être prescrit, nous fonctionnons encore sur un mode paternaliste, lourd et excessif, qui veut que seul le corps médical puisse prendre des décisions médicales.

Un équilibre doit être trouvé et votre revendication, me semble-t-il, doit être non pas « contre » quiconque, mais « pour » : pour le droit d'être maître de son destin et de ses choix individuels.

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représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s

Dans le cadre d'une campagne que nous avons lancée à la rentrée, et qui s'intitule « Ce sera son choix » – changer son corps ou non, ce sera son choix – nous avons interpellé la ministre de la santé et la ministre de la justice pour obtenir cette circulaire de rappel à la loi. Mme Buzyn nous a répondu qu'elle n'avait pas le temps, ni de traiter le sujet, ni de nous recevoir. Je le comprends tout à fait, dans la mesure où l'Assemblée examine en ce moment le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous pourrions cependant être reçus par son cabinet, le sujet étant souvent discuté.

Si nous tenons tant à être reçus, c'est parce que nous constatons une mauvaise compréhension des enjeux. D'abord, nombreux sont ceux qui parlent à notre place. Des organisations sont entendues, parlent en notre nom et, de fait, expriment des revendications qui ne sont pas les nôtres : par exemple, la volonté d'un troisième sexe ou l'allongement du délai de déclaration de l'enfant. Notre seule revendication à ce jour est l'arrêt des mutilations.

Nous aimerions donc expliquer à la ministre qu'un rappel à la loi peut être simple, rapide et qu'il serait à l'honneur du gouvernement français de dépathologiser l'intersexuation, de la même manière qu'ont été dépathologisées l'homosexualité et la transidentité. Le prochain grand chantier sera l'intersexuation.

Si l'exécutif ne souhaite pas nous recevoir et qu'aucune circulaire n'est prise, le législateur peut se saisir de la question, notamment à travers un article ou un amendement interprétatif de la loi, qui définirait un certain nombre de choses et rappellerait le caractère illicite des actes que nous évoquions.

Le Parlement peut aussi, dans le cadre de son activité de contrôle, intervenir sur les questions de planification et de financement de la santé, ou commander des rapports sur cette question, une fois que ces actes auront été reconnus comme illicites.

Quel est, pour une personne intersexe, le meilleur moment pour faire un choix, si choix il doit y avoir ? Nous plaidons pour une redéfinition totale de la prise en charge. En effet, des protocoles de santé ont été publiés en février dernier, démontrant l'absence de toute évolution dans la prise en charge.

Nous souhaitons donc une redéfinition totale des protocoles. Nous ne nous voilons pas la face : nous n'ignorons pas que, pour les parents, accueillir un enfant intersexe est compliqué. Mais les associations de personnes intersexuées peuvent aider les parents à dédramatiser la situation. La personne intersexuée existe : dans un monde largement binaire, elle démontre par son existence les variations du vivant, du sexe, et la possibilité d'associer l'identité de genre à différents types de caractéristiques sexuelles.

Dans cette redéfinition, la question du choix se posera, mais elle devra se poser de la façon suivante : puis-je être une fille avec un micropénis ? Est-ce grave ? Personnellement, je ne le crois pas, mais ce n'est pas à moi d'en décider : peut-être une jeune fille intersexe souhaitera-t-elle bénéficier d'une intervention, mais ce sera son choix et non le choix des parents, même s'ils vivent son état à la naissance comme un drame. J'insiste sur le fait qu'il est possible de dédramatiser et de déconstruire ce drame, de présenter aux parents des associations, d'autres enfants, d'autres parents confrontés à la même situation. Un espace de dialogue existe, où l'intersexuation n'est pensée ni comme un drame, ni comme une pathologie.

Toujours en ce qui concerne le choix, il conviendra de s'assurer, auprès du médecin, que tout acte, toute intervention résultera d'un consentement éclairé et exprimé. La personne souhaitant une transformation devra être en mesure de se voir expliquer les bienfaits attendus et les risques de l'intervention. Ces mêmes questions se posent pour la transidentité. La question de l'âge est un faux débat : ce qui est importe est de définir si la personne est en capacité ou non de prendre une décision.

Il est toujours très difficile pour une personne intersexuée d'exister. Aujourd'hui, je peux témoigner et porter des revendications devant vous, et même si je le fais de façon anonyme, j'en étais encore incapable il y a un an. Si je peux parler, aujourd'hui, de l'intersexuation avec des termes dépathologisés, je n'accepte toujours pas un certain nombre d'actes qui ont été réalisés sur mon corps.

Pour que l'intersexuation ne soit plus vécue comme un drame, les personnes intersexuées doivent exister pour ce qu'elles sont et, de fait, exprimer leur consentement à d'éventuelles interventions. Sinon, nous resterons dans une politique d'effacement et d'éradiction de l'intersexuation, dans laquelle un grand nombre d'enfants ne pourront pas se reconnaître. Ces enfants, une fois opérés, n'ont pas les mots pour se définir, pour se dire intersexes. Ils n'ont pas non plus les mots pour expliquer pourquoi ils vont mal et se sentent déprimés. Les seuls mots qu'ils ont à leur disposition sont des termes pathologisants ; des termes terribles pour se penser quand on est adolescent – et même adulte.

L'exercice de dépathologisation se traduira par un champ lexical autre, celui de la variation du développement sexuel, et par une dédramatisation de la situation.

Permalien
Benjamin Pitcho, avocat

Une loi pourrait être construite selon trois axes principaux.

Le premier axe consisterait à favoriser l'autodétermination et à rappeler par le biais interprétatif l'interdiction de toute mutilation et de toute intervention sans le consentement de la personne.

Le deuxième axe concernerait la santé publique. En effet, depuis un certain temps, le législateur abandonne la santé publique à l'exécutif, une situation qui est insatisfaisante par ses conséquences. La classification commune des actes médicaux (CCAM) contient de très nombreuses indications qui sont aujourd'hui exclusivement réservées aux opérations d'assignation sexuée ; si ces indications étaient supprimées, la possibilité de réaliser des opérations d'assignation sexuée dans les hôpitaux disparaîtrait.

De la même manière, la Haute Autorité de santé (HAS) a publié récemment un protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) relatif à tout ce qui concerne les soins à apporter aux personnes intersexués. Ce PNDS est très pathologisant, et nous l'avons attaqué pour en obtenir l'annulation devant le juge administratif. Tout cela montre bien que le législateur a abandonné la politique de santé publique à l'exécutif, qui ne suit pas les dossiers. Nous avons alerté le ministère, qui nous a répondu que la ministre était trop occupée pour nous répondre.

Le troisième axe d'une future loi consisterait à prendre diverses mesures, impératives, d'ordre social. Il s'agirait de mesures d'éducation, à mettre en oeuvre avec les personnes concernées car, comme l'a très bien expliqué la représentante du Collectif Intersexes et Allié·e·s, il faut permettre à ces personnes de poser des mots sur leur identité – et non sur leur état – et à tous les citoyens de savoir que l'intersexe existe. Et naturellement, pour réparer ce qui a été fait, et malgré la pénurie financière que connaît notre pays aujourd'hui, il conviendrait de créer un fonds visant à réparer les préjudices causés aux personnes qui ont subi des interventions sans leur consentement et à favoriser leur insertion sociale.

La création d'un fonds d'indemnisation sera toujours bien moins coûteuse que la réalisation systématique d'opérations d'assignation sexuée, qui impliquent des plateaux techniques extrêmement coûteux et la mobilisation de professionnels de santé, sans oublier les conséquences sociales extrêmement délétères, car désociabilisantes, que font peser ces opérations sur les personnes concernées.

Permalien
Benjamin Moron-Puech, maître de conférences à l'université Paris 2 Panthéon-Assas

Monsieur le rapporteur, vous indiquiez tout à l'heure que le pouvoir exécutif était seul compétent pour faire un rappel à la bonne application de la loi. Mais il ne s'agit pas, ici, me semble-t-il, d'une mauvaise application de loi, comme ce peut être le cas pour la consommation de cannabis ou la prostitution, où la loi se heurte à une opposition sociale. Il s'agit d'un problème d'interprétation. Les professionnels de santé ne disent pas « je viole la loi et j'en suis conscient ! » : ils sont convaincus d'agir pour le bien-être des patients. Vous êtes vous-même médecin, monsieur le rapporteur, et savez que les médecins pensent bien faire. Il s'agit donc de leur rappeler que l'interprétation qu'ils ont de la réalité est erronée et se heurte au principe de la nécessité médicale, telle que vous l'avez conçue. Il me semble donc que vous seriez véritablement dans votre rôle de législateur en rappelant que le texte n'est pas correctement interprété par les médecins et leur ministre de tutelle.

Par ailleurs, un recours a été déposé contre la décision de la ministre visant à faire rembourser ces actes médicaux, décision illégale en ce qu'elle contribue à financer des actes illicites de mutilation. Pourquoi souhaite-t-elle ce remboursement ? Parce qu'elle est convaincue que ces actes ne sont pas illégaux, qu'ils répondent à une nécessité médicale.

Et Mme Buzyn n'est pas la seule à penser de cette façon. Selon M. Vincent Guillot, une personne intersexe qui a été reçue, en 2014, par des représentants du ministère de la santé et du ministère de la justice, ceux-ci ont expliqué qu'ils n'interviendraient pas, le sujet étant trop compliqué.

Un autre aspect de la loi est à revoir : celui concernant les mineurs. Aujourd'hui, ce sont les parents qui donnent leur consentement aux soins à prodiguer aux mineurs. Il est très rare qu'un mineur puisse faire entendre sa voix. Il existe bien une possibilité, très étroite, ouverte par l'article L. 1111-5 du code de la santé publique, mais elle ne donne satisfaction ni aux mineurs intersexués, dont certains souhaiteraient bénéficier d'opérations alors qu'ils sont, par exemple, en rupture avec leur famille, ni aux personnes transgenres.

Je ne vous demande pas de créer quelque chose qui n'existe pas, mais d'étendre aux mineurs les dispositions concernant les majeurs protégés. Le majeur protégé décide seul des actes strictement personnels ; faisons de même pour le mineur ! Qu'y a-t-il de plus personnel que de décider de son identité sexuelle ?

Enfin, le dernier aspect est celui de la procréation. Soyez attentifs à ne pas oublier les personnes intersexes dans les dispositions que vous prendrez concernant la procréation, qu'il s'agisse de la procréation médicalement assistée ou de la filiation. Si vous raisonnez de façon binaire – homme et femme –, cela posera des difficultés. Pensez-y au moment où vous aborderez ces questions.

L'audition s'achève à seize heures.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du jeudi 25 octobre 2018 à 15h00

Présents. – M. Xavier Breton, Mme Élise Fajgeles, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal

Excusée. – Mme Bérengère Poletti