Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 19 septembre 2018 à 16h45

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères.

La séance est ouverte à seize heures quarante-cinq.

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Mes chers collègues, nous sommes nombreux à avoir participé à la cérémonie d'hommage aux victimes du terrorisme qui s'est déroulée aux Invalides et où nous avons pu entendre le Président de la République. Il a fallu reporter de quinze minutes la présente réunion, et je remercie le ministre de l'Europe et des affaires européennes, Jean-Yves Le Drian, de l'avoir accepté. Cette audition de rentrée va nous permettre de faire le tour de l'actualité internationale, même si vous avez souhaité, monsieur le ministre, que l'on se concentre plus particulièrement sur la situation au Proche et Moyen-Orient ainsi que sur les questions européennes. Nous pourrons aborder d'autres questions dans un second temps, si mes collègues le souhaitent.

En ce qui concerne la Syrie, les présidents Poutine et Erdogan ont annoncé lundi dernier qu'ils s'étaient mis d'accord sur l'établissement d'une zone démilitarisée dans la région d'Idlib, avant le 15 octobre prochain. L'accord qui a été conclu prévoit aussi un retrait des armes lourdes avant le 10 octobre. Quel crédit accordez-vous à cet accord ? Constitue-t-il une véritable alternative à l'escalade militaire, et pensez-vous qu'il soit de nature à assurer la protection des 3 millions de personnes qui sont présentes dans la région ? Nous aimerions également vous entendre sur les discussions de Genève, qui devaient permettre d'avancer vers la création d'un comité constitutionnel, première étape d'un processus de reconstruction politique du pays, mais aussi vers l'adoption d'un calendrier, à court et moyen terme, et l'organisation d'élections libres auxquelles les Syriens déplacés ou réfugiés pourraient également prendre part. Autre question, estimez-vous que la destruction d'un avion de reconnaissance russe par les forces syriennes, incident dont la Russie rend Israël responsable, aura des conséquences ?

Nous aimerions aussi vous entendre sur l'avenir politique de l'Irak, où une délégation de notre commission se rendra dans quelques semaines – nous irons à la fois à Bagdad et à Mossoul. Que fait précisément la France pour aider à la reconstruction de ce pays, qui doit faire face non seulement à une question de nature politique mais aussi à d'importantes protestations populaires contre les conditions de vie et, dans certaines zones, à une résurgence de DAECH ?

Par ailleurs, nous serions heureux que vous nous parliez de la situation du Liban, où une délégation se rendra à la fin du mois d'octobre dans le cadre d'une mission conjointe avec le Sénat, ce qui constituera une grande première. Nous nous intéressons en particulier à la situation politique du pays, aux réfugiés et aux questions de défense, notamment sous l'angle de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL).

En ce qui concerne l'Europe, nous avons écouté le discours de Jean-Claude Juncker sur l'état de l'Union, le 12 septembre dernier : que pensez-vous de l'appel qui a été lancé à cette occasion en faveur d'une Europe capable de parler d'une seule voix en matière de politique étrangère et de la proposition de passer au vote à la majorité qualifiée pour certains aspects des relations extérieures, ce qui serait une révolution au plan européen ? Par ailleurs, quel est votre pronostic sur la possibilité de conclure un accord de retrait avec la Grande-Bretagne ? Le sommet européen qui commence aujourd'hui même à Salzbourg, et qui doit notamment porter sur les questions migratoires, pourra-t-il déboucher sur des solutions concrètes et efficaces ? Pouvez-vous également faire le point sur les mesures proposées par l'Union européenne afin d'échapper aux sanctions américaines visant l'Iran ?

Enfin, puisque vous rentrez de Chine, vous pourrez peut-être nous dire quels enseignements vous tirez de cette visite, à un moment où les questions relatives au multilatéralisme, aux équilibres mondiaux et aux tensions commerciales entre les grands blocs se posent plus que jamais.

Nous pourrions vous poser encore bien d'autres questions, monsieur le ministre, mais je vais vous donner la parole sans plus tarder…

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

Je suis ravi de vous retrouver. Lors de ma précédente audition, qui a eu lieu au mois de juillet, nous avons surtout évoqué les questions européennes : je les traiterai donc de manière un peu plus synthétique aujourd'hui. J'aborderai surtout la recherche de solutions durables aux crises complexes qui font rage aux portes de notre continent, et je dirai aussi quelques mots sur l'état du multilatéralisme, alors que la semaine de haut niveau de l'Assemblée générale des Nations unies commencera la semaine prochaine à New York, où j'aurai le plaisir d'accompagner le Président de la République. Tous ces sujets sont évidemment liés, car nous devons agir dans le sens de l'intérêt national mais aussi pour le bien commun qui est celui de l'ensemble de la communauté internationale.

Lors de chaque crise, nous nous efforçons d'exercer les responsabilités qui nous reviennent en tant que membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies et parce que nous sommes la France – nous portons un certain nombre de valeurs –, tout en défendant nos propres intérêts. En toutes circonstances, nous cherchons à inscrire nos actions, militaires ou diplomatiques, dans une stratégie d'ensemble qui vise à aboutir à des solutions politiques inclusives et concertées. Nous réalisons, en parallèle, des efforts substantiels en matière de développement : il y aura d'autres occasions d'en parler, notamment lors des discussions budgétaires, mais je voudrais rappeler dès à présent que le Président de la République a décidé de porter notre aide publique au développement à 0,55 % de notre richesse nationale, cet engagement devant commencer à prendre effet dès l'année 2019.

En ce qui concerne la Syrie, j'ai déjà eu l'occasion d'indiquer devant vous que nous sommes dans une phase de mutation du conflit. Des progrès considérables ont été enregistrés dans la lutte contre DAECH : seuls quelques îlots, dans la partie Nord-Est du pays, à la frontière irakienne (le ministre s'appuie sur la projection d'une carte), n'ont pas été complètement repris, mais cela devrait arriver assez rapidement – c'est une question de semaines. Néanmoins, DAECH n'est pas éliminé en Syrie, et il en est de même en Irak. Ce mouvement est battu sur le plan territorial, mais il conserve des capacités de résurgence et de lutte clandestine, qui se manifestent régulièrement par la commission d'attentats, en particulier en Irak. J'ai évoqué cette question hier devant le groupe d'études sur les chrétiens d'Orient : ce sont généralement les minorités qui sont visées par les attentats de DAECH.

En Syrie, la bataille contre ce groupe est en train de se terminer, je l'ai dit, mais nous sommes passés à une situation nouvelle : en l'absence de solution politique, une mutation du conflit a lieu. Cinq pays sont désormais présents dans la zone, avec leurs propres armées, qui se regardent et se frottent parfois les unes aux autres, ce qui rend la situation extrêmement explosive et dangereuse. Les dernières semaines ont été marquées par des préparatifs du régime et de ses alliés en vue d'une action d'ampleur contre Idlib, qui est situé au Nord-Ouest de la Syrie. Cette zone compte 3 millions de civils, dont la moitié est constituée de personnes déplacées qui dépendent exclusivement de l'aide internationale. Il y a aussi un nombre significatif de combattants terroristes, qui serait compris entre 10 000 et 15 000 personnes, de toutes origines : certains sont liés à al-Qaida et d'autres à l'ex-Jabat al-Nosra, aujourd'hui renommé HTC – Hayat Tahrir al-Cham. À côté de ces groupes terroristes, dont l'histoire, les pratiques et l'orientation varient, on trouve également des groupes d'opposition au régime. J'ajoute qu'il y a des Français dans cet ensemble : ils sont quelques dizaines tout au plus mais, au-delà, on imagine aisément le risque que représenterait pour l'Europe la dispersion des 10 000 ou 15 000 terroristes dont nous parlons.

Il y a eu un début d'offensive du régime et de ses alliés, russe et iranien, dans des conditions qui rappellent celles d'Alep et de la Ghouta, puisque des bombardements ont touché des civils et des hôpitaux. De telles actions, comme j'ai eu l'occasion de le dire la semaine dernière, sont susceptibles de constituer des crimes de guerre. Les opérations qui ont commencé sur le terrain, jusqu'à hier, se sont accompagnées d'une intense propagande russe visant à jeter le doute sur la responsabilité du régime dans le cas où des armes chimiques seraient employées à Idlib. Cette préparation psychologique a été réalisée depuis une dizaine de jours par différents outils médiatiques dont dispose la Russie : il s'agissait d'accréditer l'idée que des groupes terroristes étaient sur le point de se doter d'armes chimiques. C'est une manipulation par rapport à ce qui pourrait se produire : vous savez que nous avons une position très claire en ce qui concerne l'usage des armes chimiques – c'est une ligne rouge à ne pas franchir. Voilà quelle était la situation jusqu'à il y a deux jours. La volonté manifeste de Bachar el-Assad est d'obtenir un succès militaire, quoi qu'il arrive, et d'aller jusqu'au bout, même si cela prend du temps.

Il apparaît que la réunion organisée il y a dix jours à Téhéran entre les présidents Rohani, Poutine et Erdogan n'a pas permis d'aboutir à un accord au sujet d'Idlib. On comprend très bien quelles ont été les raisons du côté de la Turquie : ce pays a une présence dans la zone et serait confronté à une migration très forte en cas d'attaque contre Idlib, qui se trouve quasiment à sa frontière. Il y a donc eu une tension extrêmement forte et les Turcs se sont sentis très isolés pendant un certain temps. L'accord qui a été finalement conclu lundi soir entre MM. Erdogan et Poutine est positif, puisqu'il permet d'éviter que les combats se poursuivent à l'heure actuelle et qu'un désastre s'engage. La mise en oeuvre de l'accord, qui n'est peut-être pas dépourvu de lien avec l'Assemblée générale des Nations unies, fait l'objet de nombreuses discussions. Je me suis ainsi entretenu très longuement hier soir avec mon collègue turc.

Très concrètement, il a été convenu entre les deux chefs d'État qu'une zone d'une quinzaine de kilomètres de largeur, allant jusqu'à une autre zone qui est tenue par les Turcs, serait complètement démilitarisée d'ici au 10 octobre. Cela signifie le retrait des armes lourdes et, sinon l'élimination des groupes réputés terroristes, en particulier HTC, du moins leur transfert vers l'intérieur de la zone d'Idlib, qui devra rester une zone de désescalade. Vous savez qu'elle l'a déjà été, avec d'autres zones en Syrie. L'accord prévoit aussi la réouverture progressive de deux routes majeures, la M4 et la M5. La surveillance de la zone doit être assurée par des patrouilles coordonnées russes et turques, et les Russes s'engagent à ce qu'il n'y ait pas d'offensive majeure.

Tout cela paraît très bien, ne serait-ce que pour éviter un drame de grande ampleur, mais il reste à mon avis quelques difficultés, que j'ai évoquées avec mon homologue turc. D'une part, la Turquie est un peu prise en étau, car il lui revient de démontrer qu'elle est capable de faire en sorte que la zone visée soit effectivement démilitarisée. Une deuxième question est de savoir si Bachar el-Assad est d'accord. On m'a répondu que les Russes vont le convaincre, et il faut le souhaiter. Autre sujet, que se passera-t-il ensuite à Idlib ? Restera-t-on dans le cadre d'une zone de désescalade, ce qui voudrait dire que l'on s'oriente vers une espèce d'abcès de fixation dans la durée ?

Les Turcs nous ont demandé de les aider à obtenir une validation de l'accord par le Conseil de sécurité, ce qui permettra peut-être de convaincre d'autres acteurs, et les Russes ont fait la même démarche auprès de nous. À nos yeux, l'élément central sera l'articulation entre une future résolution du Conseil de sécurité sur ce sujet et le processus politique, afin de permettre à la Syrie d'avoir une feuille de route politique et non pas uniquement militaire, comme c'est le cas aujourd'hui. Les Turcs sont apparemment d'accord pour intégrer cette dimension. Pour la première fois depuis très longtemps, nous sommes dans une spirale très positive, malgré les interrogations dont je vous ai fait part. Nous aurons l'occasion d'en reparler la semaine prochaine à New York, puisqu'une partie des acteurs seront présents, en particulier les ministres des affaires étrangères concernés.

Cette affaire montre plusieurs choses. D'abord, il faut continuer à avoir des liens avec la Turquie. Nous avons des différends majeurs avec le Gouvernement de M. Erdogan sur un certain nombre de points, mais il faut parler avec les Turcs, qui ont été très isolés et se trouvent très en danger. Il faut aussi préparer avec la Turquie et la Russie la base de ce qui pourrait constituer un texte politique au Conseil de sécurité. Autre enseignement, il est essentiel de parler fort sur ce sujet : c'est sans doute parce que nous l'avons fait, avec d'autres, en appelant l'attention sur ce qui pouvait se produire, comme l'a également fait la société civile, que tout le monde a regardé ce qui se passait à Idlib et que l'on a abouti à une solution qui permet au moins d'éviter le pire pendant un certain temps. J'espère qu'après avoir fait monter la pression nous pourrons arriver à un processus politique. Je n'en ai pas la certitude, mais il y a aujourd'hui une étape positive qu'il faut souligner.

Un incident s'est également produit lundi dernier, sans qu'il y ait de lien avec les discussions que je viens de mentionner : un avion de patrouille maritime russe a été abattu par la défense antiaérienne syrienne, à la suite d'une action menée par l'aviation de chasse israélienne contre le Hezbollah en Syrie. Cette action n'était pas la première du genre, puisque Israël en a mené deux cents, depuis quelques semaines, contre des cibles spécifiques – le Hezbollah, surtout, et des dépôts d'armes. Les médias russes ont fait croire, un moment, qu'une frégate française était à l'origine de cette affaire, ce qui était quand même un peu gros… Quand il y a tant d'acteurs, tant d'armes et tant de tensions dans un territoire donné, des événements de ce type se produisent inévitablement. On voit bien à quel point toute cette zone est inflammable, et il donc faut saluer la nouvelle donne que je viens de présenter. Il reste à espérer qu'elle sera durable, malgré les interrogations que l'on peut avoir et les risques de provocations.

Le Président de la République a fixé quatre priorités en ce qui concerne la Syrie : continuer à lutter contre le terrorisme – vous savez qu'il y a des combattants issus de DAECH dans la zone d'Idlib, dont beaucoup viennent d'Asie centrale, notamment des Tchétchènes et des Ouïghours, mais on trouve aussi des Tunisiens ; assurer la protection des populations civiles, en particulier sur le plan humanitaire ; maintenir notre position très ferme sur l'usage des armes chimiques ; rechercher, par tous les moyens, une solution politique. Les paramètres en sont connus : il s'agirait de s'entendre sur une Constitution et d'organiser des élections, avec la participation de tous les Syriens, y compris les déplacés et les réfugiés, dans un environnement impartial permettant de s'assurer que le régime ne préempte pas les résultats du processus. On sait quelle est la voie de sortie, et le moment particulier que nous sommes en train de vivre permettra peut-être de trouver une ouverture pour l'atteindre. Il y aura en tout cas des réunions importantes lors de l'Assemblée générale des Nations unies. Vous savez qu'il existe deux cadres de travail sur le processus politique : le groupe d'Astana, qui comprenait la Russie, l'Iran et la Turquie avant de se disloquer, et celui que l'on appelle le Small Group, que nous coprésidons avec les États-Unis et qui inclut la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Égypte, la Jordanie et l'Arabie Saoudite. Après la rencontre qui a eu lieu entre le président Poutine et le président Macron à Saint-Pétersbourg, les acteurs de ces deux groupes essaient d'avancer ensemble dans la définition d'un processus politique qui pourrait ensuite être reprise par les Nations unies – mais nous n'en sommes pas encore là.

En Irak, des élections législatives se sont tenues en mai. Les bulletins ont été recomptés, dans la mesure où il y a eu des suspicions de fraude, et aucune majorité ne se dessine pour l'instant : des tractations sont en cours pour former une coalition. La liste soutenue par Moqtada al-Sadr, qui est un religieux chiite allié à des partis de gauche, est arrivée nettement en tête. La liste emmenée par Hadi al-Hameri, un chiite proche des milices et de l'Iran, est arrivée en deuxième position, devant celle du Premier ministre sortant, Haïdar al-Abadi. Tous ne souhaitent pas briguer le poste de Premier ministre : M. al-Sadr a fait savoir d'emblée qu'il souhaitait rester en retrait, et M. al-Hameri a indiqué hier qu'il n'était pas candidat non plus. Nous souhaitons simplement qu'une solution soit trouvée rapidement, car le pays est sans gouvernement depuis plusieurs mois, alors qu'un mouvement de contestation sociale se déroule au Sud, dans la région de Bassorah.

Cette région a été préservée de DAECH, mais elle a assumé une part importante de l'effort de guerre, ce qui explique les revendications qui se font jour et qui s'expliquent par la situation économique et la corruption endémique.

La contestation a pris ces dernières semaines un tour particulièrement violent, ce qui nous conforte dans l'idée que l'Irak doit se doter d'un gouvernement qui soit un gouvernement inclusif et intègre l'ensemble des minorités sans discrimination, car les populations sunnites, si elles étaient exclues du processus politique, pourraient être tentées de refaire confiance à DAECH.

La situation en Irak sera déterminante pour la stabilité de la région, et nous ferons tout pour que le redressement et la reconstruction de l'Irak soient menés à leur terme ; nous resterons à ses côtés dans la paix, comme nous l'avons été dans la guerre.

Dans cette optique, nous avons participé en février dernier à la conférence internationale du Koweït sur la reconstruction de l'Irak, car rien ne serait pire que de laisser aujourd'hui l'Irak livré à lui-même, compte tenu notamment de la situation dans le nord du pays où se sont déroulés les combats – je pense en particulier à Mossoul, où nous avons décidé de mobiliser des moyens pour contribuer à la rénovation de l'université.

Pour l'heure la situation reste globalement toujours incertaine, DAECH, bien que désormais dans la clandestinité, représentant encore une menace pour la stabilité. Pour conforter cette dernière et assurer le futur de l'Irak, la France, qui, contrairement aux États-Unis n'est pas comptable des conflits antérieurs, a une carte à jouer et peut capitaliser sur le respect dont elle jouit dans le pays.

Sur le sujet de la reconstruction, il faut également dire un mot de la Syrie et de la question politique cruciale qui s'y pose concernant les acteurs sous l'égide desquels elle se fera. La position française consiste à affirmer que le processus de reconstruction et le retour des réfugiés ne doivent pas être engagés tant qu'une ligne et une solution politiques claires n'auront pas été dessinées. C'est à cette condition que l'Union européenne s'impliquera dans la reconstruction du pays, y mettant les moyens financiers nécessaires.

Ceci m'amène au Liban. De même que l'Irak, le Liban attend toujours son gouvernement après les récentes élections. Nous souhaitons vivement que les acteurs politiques libanais puissent se mettent d'accord sur la composition d'un gouvernement inclusif, sachant que nous avions, avant les élections, pris l'initiative de trois conférences en soutien au pays. La plus importante d'entre elles, la conférence CEDRE, a permis de lever 11 milliards d'euros de promesses de contributions pour la revitalisation économique du Liban, sous réserve, d'une part, de la formation d'un gouvernement et, d'autre part, que celui-ci engage les réformes économiques indispensables au redressement du pays, qui subit, outre ses propres difficultés, le poids du nombre de réfugiés syriens – un million et demi – installés sur son territoire.

J'ajoute que, pour aider le Liban à prendre ses responsabilités, s'est également tenue à Rome une conférence à laquelle la France était partie, organisée en soutien aux forces de sécurité intérieure, c'est-à-dire destinée à donner aux forces armées libanaises (FAL) les moyens financiers pour se reconstituer et assurer la sécurité du pays. Enfin, la conférence de Bruxelles. II a également permis de mobiliser des financements en faveur des réfugiés.

Le Liban a donc à sa disposition tous les moyens pour se reconstruire. Nous souhaitons que cela se fasse le plus rapidement possible, sachant que le pays, en parvenant à se tenir, comme il l'a fait, éloigné du conflit syrien, peut prétendre être un acteur de stabilité dans la région.

Il est prévu que le Président de la République se rende au Liban au début de l'année prochaine, mais il ne pourra le faire que s'il y a un gouvernement constitué, ce que nous appelons de nos voeux.

Deux mots également sur la Libye. Un processus de paix a été initié lors de la rencontre de La Celle-Saint-Cloud, en juillet 2017 et lors de la réunion internationale qui s'est tenue à l'Élysée le 29 mai dernier. Ce processus prévoit une phase de préparation électorale et une phase électorale avant la fin de l'année.

Il a été cependant largement perturbé ces jours derniers par des affrontements entre milices, qui se sont traduits par de violents conflits à Tripoli, lesquels ont fait une cinquantaine de morts.

Ce type d'événements menace la crédibilité même du gouvernement de M. el-Sarraj, même si le représentant du secrétaire général des Nations unies, M. Salamé, s'est montré très efficace et a permis un retour au calme par la voie diplomatique. La situation reste néanmoins fragile, d'autant plus fragile que DAECH, dont on avait un peu oublié la présence en Libye, s'est de nouveau manifesté en perpétrant un attentat contre le siège de la Compagnie nationale de pétrole. Cela étant, les Libyens sont las de ces milices et de leurs prévarications, à telle enseigne que nombre d'entre eux se sont inscrits sur les listes électorales pour participer aux élections prévues d'ici la fin de l'année et devant permettre la mise en place d'un gouvernement stable et reconnu à la fois par les Libyens et par la communauté internationale.

Je me suis pour ma part rendu en Libye à trois reprises, la dernière fois à la fin du mois de juillet. Ayant rencontré l'ensemble des acteurs, je puis dire qu'ils ont beau tous prétendre être d'accord avec les orientations validées à Paris, ils s'emploient surtout à dire du mal les uns des autres – ce qui se conçoit –, sans faire grand-chose pour mettre en oeuvre les accords de Paris.

Il importe donc de ne pas relâcher la pression. Une réunion spécialement consacrée à la Libye, à laquelle participera le président el-Sarraj, doit se tenir à l'Assemblée générale des Nations unies, et nous mobilisons tous nos moyens politiques et diplomatiques pour faire en sorte que le processus de paix aboutisse. Les difficultés sont nombreuses mais j'espère que nous réussirons, car il n'y pas pour l'instant d'autres solutions sur la table, malgré les déclarations de nos amis italiens, qui, pour l'instant, ne se sont pas traduites dans les faits.

La prochaine étape est que le parlement de Tobrouk valide une loi électorale qui permette la tenue, d'ici la fin de l'année, d'élections qui devront être contrôlées et validées par les acteurs impliqués, notamment l'Union africaine, avec qui nous travaillons en totale synergie. Pour l'instant, le parlement a du mal à s'entendre, ce qui est compréhensible. L'élaboration d'une loi électorale étant déjà une tâche difficile en démocratie, c'est encore plus compliqué pour un pays qui n'a jamais connu la démocratie, ni sous la domination ottomane ou italienne, ni sous le roi Idris, ni sous Kadhafi.

Quoi qu'il en soit, l'avènement en Libye d'un gouvernement légitime et reconnu comme tel est un préalable à la stabilisation d'une zone qui est un enjeu majeur de la paix en Méditerranée.

J'en viens à l'Iran, puis au Sahel.

Sur l'Iran, va se tenir à New York une réunion majeure du Conseil de sécurité en présence des chefs d'État, y compris du président Trump.

Comme je l'ai déjà dit devant votre commission, notre position diverge de celle des États-Unis. Nous considérons toujours valide l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien (JCPoA) et ce d'autant plus que, le 31 août dernier, l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) a, dans son douzième rapport, constaté que l'Iran respectait les engagements du traité, c'est-à-dire la limitation de l'usage du nucléaire à des fins civiles et non militaires. Nous appelons fermement Téhéran à poursuivre dans cette voie et à continuer de respecter l'ensemble de ses obligations.

Les signataires de l'accord – l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Russie et la Chine – se réuniront de nouveau à New York pour envisager les moyens de permettre à l'Iran de toucher les bénéfices économiques de son respect de l'accord. Je pense évidemment en premier lieu au produit financier de ses ventes d'hydrocarbures, compromises par la décision des États-Unis de faire jouer l'extraterritorialité de sa législation. Nous travaillons avec l'Allemagne et le Royaume-Uni à mettre en place des canaux financiers en euros, indépendants du dollar, rendant possibles ces échanges commerciaux et permettant à l'Iran d'acquérir des biens essentiels pour l'activité du pays. Cela ne pourra se faire qu'en accord avec les Chinois et les Russes.

Nous estimons que les États-Unis font une erreur d'appréciation en étant convaincus qu'à force de pressions et de sanctions, Téhéran finira par modifier son comportement. Ce n'est pas notre avis, ce qui ne nous empêche pas, au-delà de la question du nucléaire militaire, d'avoir d'autres griefs contre l'Iran, au sujet notamment de son rôle dans les conflits régionaux, et en particulier en Syrie. Nous n'acceptons pas qu'elle livre des missiles aux Houthis ou au Hezbollah, et tous ces points doivent faire l'objet de discussions mais cela ne doit pas remettre en cause l'accord sur le nucléaire, lequel est un élément essentiel de la non-prolifération. C'est en tout cas notre position et celles des autres Européens.

En ce qui concerne le Sahel, au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta, « IBK », sera réinvesti dans ses fonctions samedi prochain, et je dois assister à la cérémonie. Il a souhaité reconduire dans ses fonctions l'ancien Premier ministre, M. Maïga, et la situation semble mûre à présent pour que les autorités maliennes mettent en oeuvre l'accord d'Alger et le processus « démobilisation, désarmement, réinsertion » (DDR) ainsi que les mesures de décentralisation et de revalorisation du nord et du centre du pays.

La reconduction de M. Maïga est à cet égard une bonne chose, car il porte cette ambition. En parallèle, il est indispensable de renforcer la force conjointe du G5 Sahel, ainsi que cela a été évoqué lors d'une réunion qui s'est tenue à Nouakchott au mois de juillet, au moment du sommet de l'Union africaine, le but du G5 Sahel étant, je le rappelle, de faire en sorte que, progressivement, les États et les armées du G5 prennent en charge eux-mêmes leur propre sécurité.

Bien qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, le processus progresse : d'importants fonds ont été mobilisés, un état-major a été constitué et des opérations menées contre les groupes terroristes. L'alliance Sahel enfin a été créée pour soutenir le développement de la région. Ce dispositif de soutien imaginé par la France, d'autres pays de l'Union européenne et la Banque mondiale doit permettre au G5 de mobiliser 7,5 milliards d'euros voués à financer les initiatives prises dans les zones « libérées » de l'influence des groupes terroristes, pour relancer l'activité économique et l'accompagnement des populations.

Les acteurs sont très mobilisés sur ce point, et un nouveau forum aura lieu au début du mois de décembre en Mauritanie pour engager l'Alliance Sahel dans une phase opérationnelle, dédiée à la mise en oeuvre de projets concrets soutenus et contrôlés par chacun des États, sachant que c'est actuellement au Burkina Faso, où s'est produit l'attentat de Ouagadougou, que se concentrent les plus grosses difficultés.

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Puisque vous parlez des crises, monsieur le ministre, il me semble qu'il faudrait que vous nous disiez un mot sur le Yémen, les positions de l'Arabie Saoudite et les chances d'une issue politique. Voilà trois ans que cette guerre dure, elle fait des victimes tous les jours et l'escalade ne règle rien, bien au contraire.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

La situation au Yémen est épouvantable, en particulier au plan humanitaire. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, il faut examiner l'ensemble des paramètres.

Je rappelle qu'il s'agit au départ d'un coup d'État mené en 2015 par les Houthis contre le président du Yémen, le président Hadi, qu'ils renversent après s'être emparés de Sanaa. Je rappelle également que, financés et aidés militairement par l'Iran, les Houthis ont procédé à des tirs de missiles sur l'Arabie Saoudite.

Bien que la résolution 2216 sur la situation au Yémen adoptée par Conseil de sécurité des Nations unies ne lui ait donné aucun mandat, une coalition arabe se constitue à la demande du président légitime pour le rétablir dans ses fonctions. Tels sont les faits. Depuis la violence s'est perpétuée, provoquant une véritable catastrophe humanitaire, et ce d'autant plus qu'elle est alimentée par Al-Qaïda dans la péninsule arabique (AQPA) et DAECH, dont les combattants ont rejoint les forces en présence, passant des alliances tactiques avec les uns ou les autres.

Il est clair qu'on ne peut espérer d'issue militaire au conflit qui déchire le Yémen et qu'il faut donc trouver une solution politique, soutenue par les acteurs de la région. C'est en tout cas ce que nous disons aux Saoudiens, aux Émiriens et, indirectement, aux Iraniens, afin que le nouvel envoyé spécial pour le Yémen des Nations unies, M. Martin Griffiths, parvienne à amorcer un processus politique. Une tentative a eu lieu à Genève, il y a une dizaine de jours, mais les Houthis ne s'étant pas déplacés, elle s'est soldée par un échec. Il faut poursuivre dans cette voie si l'on ne veut pas que le conflit s'éternise, sachant que, si des divergences d'appréciation sont aujourd'hui perceptibles entre les Émirats et l'Arabie Saoudite, cela ne suffira pas.

La France soutient M. Griffiths sur l'ensemble des mesures qu'il a proposées aux différents acteurs, comme le contrôle par les Nations unies du port de Hodeida. Notre ambassadeur se rend en parallèle régulièrement à Sanaa où il a des contacts avec les uns et les autres, et notamment les Houthis, tâchant de les convaincre d'accepter une solution politique sous l'égide de l'ONU.

Je vais à présent aborder le second point de mon intervention, la question du multilatéralisme, qu'il est d'autant plus crucial d'évoquer que nous sommes à la veille de l'assemblée générale des Nations unies.

La coopération internationale est aujourd'hui en crise, et la France se bat, avec d'autres, pour la défense d'un multilatéralisme efficace. C'est une nécessité pour deux raisons, et d'abord parce que on ne peut régler les crises hors d'un cadre multilatéral et sans l'action des Nations unies, même si celles-ci doivent se réformer. Il est essentiel de préserver la dynamique et la capacité d'action de l'institution ; c'est le sens du message que délivrera le Président de la République dans son discours, la semaine prochaine.

Le multilatéralisme est ensuite une nécessité, car il est la seule solution pour répondre aux défis globaux face auxquels les solutions nationales sont vouées à l'échec : sans multilatéralisme, pas de lutte contre la catastrophe climatique qui s'annonce, pas de régulation de l'espace numérique, pas de gestion des flux migratoires, pas de régulation du commerce mondial.

Nous sommes donc des militants du multilatéralisme. Or force est de constater que, depuis l'arrivée au pouvoir du président Trump, les États-Unis se sont employés méthodiquement et systématiquement à déconstruire toutes les formes de multilatéralisme. Sans me livrer à un inventaire exhaustif, je citerai simplement la sortie de l'accord sur le climat, la sortie de l'accord de Vienne, la fin de l'aide à l'UNRWA – l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient –, la dénonciation des accords commerciaux…

Les États-Unis considèrent que le monde s'organise autour d'une série de rapports de force bilatéraux, au point de faire parfois de leurs alliés des adversaires privilégiés – je pense en particulier à la politique commerciale de la nouvelle administration et, j'irai même plus loin, à son attitude vis-à-vis de l'Alliance atlantique. Certains peuvent s'en réjouir, d'autres s'en inquiéter, mais la réalité, c'est que, si le sommet de l'OTAN de Bruxelles, au mois de juillet, s'est en apparence déroulé convenablement, il n'empêche que le président Trump s'est ouvertement interrogé sur la pérennité de l'article 5 du traité, qui énonce le principe de la défense collective au sein de l'Alliance, s'en prenant notamment au Monténégro, après sa récente adhésion.

Ces incertitudes sur la place et l'engagement des États-Unis dans l'OTAN nous conduisent à nous interroger à plus long terme sur notre souveraineté stratégique et notre capacité à nous défendre nous-mêmes.

Face aux menaces qui pèsent sur le multilatéralisme, la France se doit donc d'être aux avant-postes du combat pour sa modernisation.

D'autres partenaires le défendent de manière ambiguë. La Chine, par exemple, où je viens d'effectuer mon quatrième voyage en tant que ministre des affaires étrangères connaît une dynamique formidable et nous devons travailler avec elle. Si elle défend le multilatéralisme classique par ses discours, elle entretient une position ambiguë, qu'il nous faut clarifier. Le concept des routes de la soie peut donner lieu à deux interprétations différentes : la première, qui est la nôtre, est celle d'investissements destinés à créer des synergies entre les pays qui le souhaitent pour renforcer leur connectivité et leurs infrastructures – nous y sommes favorables à condition que soient respectés les normes internationales, l'accord de Paris, le principe de transparence et la soutenabilité financière des acteurs concernés. Cette interprétation que le président Macron a exposée dans son discours à Xi'an est désormais reprise dans le discours officiel de la Chine, qui se trouve par ailleurs en difficulté dans son dialogue avec les États-Unis. Seconde interprétation : ce concept couvre en réalité une volonté de réorganisation du monde autour de la Chine, qui en deviendrait le centre – ce serait alors une autre histoire. Nous devons donc entretenir avec la Chine une relation franche – c'est le cas – et faire valoir l'intérêt européen. J'ai été frappé par le discours qu'a tenu Xi Jinping lors du 19e Congrès du Parti communiste chinois (PCC), dans lequel il a annoncé que la Chine se fixait comme objectif de devenir une nation de « moyenne aisance » d'ici à 2021, pour le centenaire de la création du PCC – rappelons que la Chine se désigne encore aujourd'hui comme un pays en voie de développement – puis, en 2049, pour le centenaire de la fondation de la République populaire, celui de devenir une nation moderne, prospère et forte, et la première au monde. Quoi qu'il en soit, nous devons être exigeants avec la Chine et défendre la place de l'Europe.

À l'égard de la Russie, nous devons mener une politique tout à la fois d'ouverture et de fermeté. Nous souhaitons qu'elle devienne un véritable partenaire de la gestion des crises internationales, comme c'est déjà le cas dans certaines crises – mais pas dans d'autres. Tant que la situation perdurera telle quelle en Ukraine, dans le Donbass et en Crimée, les difficultés persisteront. L'affaire Skripal, les actes de manipulation de l'information et les tentatives de fragilisation de l'Union européenne nous obligent constamment à tenir un langage de vérité, de fermeté et de clarté.

La Russie n'est pas forcément un partenaire en faveur de la refondation du multilatéralisme, un enjeu majeur pour lequel nous devons jouer un rôle moteur. Nous voulons y parvenir de trois manières : en revitalisant les institutions existantes, en particulier l'ONU et l'Organisation mondiale du commerce (OMC), dont l'Union s'emploie à renouveler les règles afin de les adapter à la situation actuelle du monde, mais aussi en créant de nouveaux formats multilatéraux ad hoc concernant telle ou telle situation, comme nous l'avons fait pour la COP21 ou au Sahel. Quand la complexité de la situation l'exige, nous nous employons à agir dans un cadre multilatéral. Troisième point : ne peut-on pas former de nouvelles alliances avec les puissances de bonne volonté qui sont profondément attachées au multilatéralisme et qui s'interrogent sur la crise de la coopération internationale – je pense au Japon, à l'Inde, au Brésil, au Canada, au Mexique, à l'Australie et à d'autres démocraties, avec lesquelles l'Union européenne doit sans doute prendre des initiatives.

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Vous avez déjà, monsieur le ministre, apporté un éclaircissement sur la situation complexe du Proche-Orient, qui a une forte influence sur la crise migratoire que traverse l'Europe. Nous ne devons pas pour autant oublier les valeurs les plus précieuses de l'Union européenne. Lors de son discours aux ambassadeurs du 29 août, le président Macron a décrit une Europe tournée vers l'avenir et vers les peuples. L'Europe doit continuer d'avancer et de se consolider face aux crises internationales que vous avez mentionnées. Nous ne pouvons pas travailler seuls ; ce n'est qu'ensemble que nous pourrons faire face aux défis actuels.

Cette vision ne saurait se réaliser si un peuple se considère supérieur à un autre. C'est pourtant une tendance inquiétante en Europe. L'article 7 vient à nouveau d'être activé, cette fois-ci au sujet des droits des migrants et de la liberté d'expression, menacés par les politiques de Viktor Orbán. Cette montée des extrêmes s'observe dans d'autres pays – en Pologne, en Italie et même en Allemagne, grande alliée de la France. Depuis le début du mois de septembre, plusieurs marches regroupant des groupuscules d'extrême-droite ont eu lieu dans ce pays ; elles ont été émaillées d'appels à la violence contre les migrants et de signes nazis. Le chef du renseignement lui-même a été accusé de collusion avec ces groupes. La Bavière, région traditionnellement conservatrice, est en pleine crise à l'approche des élections régionales du mois d'octobre : elle risque de basculer vers un parti eurosceptique et proche de l'idéologie néonazie. C'est plus qu'une crise politique que rencontre l'Allemagne : une crise sociale, avec la recrudescence du racisme. Quelles en sont à votre sens les conséquences pour la vision formulée par le président Macron ? Le soutien de Mme Merkel à la France pourrait-il être affecté par la montée de l'extrémisme ? Quelles sont les actions menées par la France au sein de l'Union européenne pour nous assurer que l'Europe reste et restera un espace de liberté et d'égalité ?

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Je me réjouis que le ministre des Affaires étrangères et le président de la République aient l'intention de relancer l'Union pour la Méditerranée. Il me semble que nous avons un défaut d'analyse sur cette région difficile. Plusieurs tentatives n'ont pas abouti. Quel est votre sentiment, monsieur le ministre ?

D'autre part, Mme la présidente vous a interrogé sur Israël mais vous n'avez pas répondu. Je ne comprends pas la position de la France – ce n'est pas la première fois. Des faits nouveaux très importants surviennent, et l'on ne saurait accepter la multiplication d'incidents provoqués par des puissances étrangères qui se servent du Hamas et de certaines situations pour favoriser leurs revendications dont je dis tout net qu'elles sont une cause perdue – je le dis d'autant plus qu'à mon sens, nous poussons les Palestiniens vers une voie sans issue, et ce avec un grand cynisme. Ce n'est pas que je ne reconnais pas le droit des Palestiniens à exister dans le cadre d'une Palestine, mais l'attitude de certains de nos partenaires et même amis internes à l'égard d'Israël n'est pas convenable. La France doit rétablir la paix, mais je n'ai pas le sentiment qu'elle oeuvre pour la paix. Il faut résoudre les questions posées par les Américains. J'entends parler de l'UNRWA, qui a été créé en 1948 avec pour seul objectif de traiter la question des réfugiés palestiniens. C'est unique ! S'il fallait traiter la question des réfugiés dans tous les pays où il s'en trouve, nous n'en sortirions pas. Cet Office emploie 30 000 salariés rémunérés par l'ONU depuis 1948, et nous ne le contrôlons pas ! Répondre à certaines questions du passé pourrait sans doute contribuer à résoudre celles du présent.

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Le sommet de Salzbourg qui se tient aujourd'hui et demain doit permettre d'avancer sur les deux sujets urgents que sont le Brexit et l'immigration. Sur le premier point, je réaffirme l'attachement de mon groupe à une solution négociée : rien ne serait pire pour le Royaume-Uni comme pour les membres de l'Union européenne qu'une sortie sans accord. M. Tusk, président du Conseil européen, a appelé à la réunion d'un conseil extraordinaire en novembre alors que l'échéance du mois de mars s'approche à grands pas. L'unité du front européen est plus cruciale que jamais. Il en va de même face à l'enjeu du siècle qu'est la question migratoire : la réponse doit être unitaire et démontrer la solidarité des peuples européens.

Il est une question qui domine toutes les autres : l'application des principes constitutifs de l'Union. À l'enjeu externe s'ajoute en effet un enjeu interne pour que l'Union européenne reste fidèle à ses valeurs fondatrices. Le 12 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution invitant le Conseil à constater l'existence d'un risque clair de violation grave par la Hongrie des valeurs sur lesquelles l'Union est fondée. Les motifs sont éloquents : violation du fonctionnement du cycle constitutionnel et électoral, de l'indépendance de la justice, de la liberté d'expression, de la liberté académique ou encore de la liberté d'association. D'autres pays semblent vouloir emboîter le pas de la Hongrie de Viktor Orbán, mettant ainsi à jour des dissensions jamais vues au sein de l'espace européen.

Le groupe Mouvement démocrate et apparentés est fermement attaché aux principes sur lesquels s'érigent nos institutions tant nationales qu'européennes : l'état de droit, la démocratie, le pluralisme des opinions, les libertés individuelles. Sur chacun de ces enjeux – Brexit, migrations, défense de nos valeurs – mais aussi dans le cadre de la guerre commerciale qui se dessine et des conflits autour du bassin méditerranéen, nous avons un besoin absolu d'Europe. Quel est votre sentiment, monsieur le ministre, quant à la possible réussite des sommets à venir et à la possibilité pour les États européens de parvenir à des accords ambitieux, alors même que certains d'entre eux semblent décidés à jouer la carte de la désunion ?

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Permettez-moi de revenir sur deux sujets qui me semblent importants : la situation de la province d'Idlib et l'avion militaire russe abattu en Syrie. L'accord conclu entre la Russie et la Turquie afin d'établir une zone démilitarisée à partir du 15 octobre met en suspens la question de l'offensive contre la province d'Idlib. Pourtant, les velléités qu'a le régime syrien de récupérer la dernière enclave où opèrent des groupes terroristes comme Hayat Tahrir al-Cham menacent cet accord et font craindre un massacre de grande ampleur. Rappelons que plus de trois millions de personnes sont réfugiées dans cette enclave, dont plus de la moitié ont déjà fui d'autres batailles. Votre crainte affichée est celle d'une attaque chimique qui demeure la ligne rouge pouvant provoquer une intervention. Comment la France peut-elle agir pour protéger ces populations prises au piège ?

J'en viens à l'avion russe abattu au-dessus de Lattaquié, en Syrie. Au-delà de la question de l'implication israélienne dans cet incident, celle de la France avec la frégate Auvergne a été évoquée par les Russes. Moscou prétend avoir enregistré des frappes déclenchées contre des installations militaires syriennes, ce que vous avez naturellement démenti. Ma question est la suivante : quelles sont les actions concrètement menées par nos forces dans la région ?

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J'espérais que vous ramèneriez Laurent Fortin de Chine avec vous, mais cela n'a pas été le cas ; sa famille a le sentiment que son cas est secondaire par rapport aux considérations commerciales. Il en va de même pour Salah Hamouri. Je n'ai pas non plus de nouvelles de Mme Claude Mangin, mais je crois comprendre que notre diplomatie travaille sur le cas de son mari, de façon utile bien qu'insuffisante – mais je prends les progrès tels qu'ils viennent.

Vous avez évoqué le G5 Sahel : les cartes, que vous maîtrisez bien, sont parlantes. À aucun moment vous n'avez mentionné l'Algérie.

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Je sais que vous êtes sensible au dialogue avec les grands pays méditerranéens, monsieur Goasguen, mais il serait bon que le ministère intègre aussi le fait que nous pourrions avoir une relation privilégiée avec ce grand pays qu'est l'Algérie. Peut-être la position récemment prise par le Président de la République, même si elle déplaît à certains et si elle est insuffisante, pourrait-elle contribuer à l'amélioration des relations entre la France et l'Algérie. Nous devons nous employer à écrire une histoire commune, y compris pour bâtir la paix, car le commerce ne suffit pas.

S'agissant du multilatéralisme, enfin, il faut montrer l'exemple. Je regrette que la France ne promeuve pas davantage le respect des résolutions des Nations unies concernant la Palestine, le Sahara occidental, les Comores ou d'autres questions. À mon sens, la France ne joue pas un rôle satisfaisant. Ce n'est pas là que je vois mon pays. Le multilatéralisme y gagnerait, l'ONU se sentirait respectée si nous faisions avancer les choses plutôt que de laisser pourrir la situation dans bien des domaines.

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Vous avez déjà en grande partie répondu, monsieur le ministre, à mes interrogations sur la province d'Idlib : la semaine dernière, vous avez indiqué que les attaques visant les hôpitaux pouvaient constituer des crimes de guerre, ce qu'a rappelé notre représentant aux Nations unies en début de semaine. J'ai eu l'occasion de rencontrer régulièrement Raphaël Pitti, qui m'a fait part de sa profonde inquiétude concernant la situation des hôpitaux de sa région, en particulier de leurs personnels qui fuient du fait de l'insécurité, ce qui aggrave encore la situation des populations locales. Quelles mesures concrètes pouvons-nous prendre pour sécuriser ces hôpitaux et leurs personnels, sachant que vous avez vous-même indiqué qu'ils pouvaient devenir un abcès de fixation ? Les populations, en effet, ont vraiment besoin de ces services médicaux.

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Un rapport de Human Rights Watch paru début septembre et des déclarations de responsables de l'ONU le mois dernier apportent des preuves attestant que 1 million de Ouïghours – une minorité musulmane turcophone du nord-ouest de la Chine – sont incarcérés dans des camps de « déradicalisation » ou de « rééducation », où ils subiraient des tortures, des détentions arbitraires, des mauvais traitements et un endoctrinement. D'autre part, depuis 2017, les autorités du Xinjiang ont lancé une véritable campagne de collecte d'informations biométriques concernant cette population ayant pour but d'en assurer une surveillance totale. Le gouvernement chinois a nié les accusations de torture mais reconnaît la détention de Ouïghours en justifiant leur surveillance particulière pour éviter une contagion terroriste.

Suite aux déclarations de l'ONU, plusieurs parlementaires américains, démocrates et républicains, se sont saisis de la question et ont adressé une lettre publique à votre homologue, Mike Pompeo, ainsi qu'au secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin, accusant la Chine d'instaurer un État policier hi-tech dans le Xinjiang et de commettre des violations graves des droits humains. Les sénateurs réclament des sanctions contre des hauts responsables du Parti communiste chinois en application du Global Magnitsky Act qui permet aux États-Unis de geler les avoirs de responsables de graves violations des droits de l'homme ou d'empêcher que leur soient délivrés des visas. Le Gouvernement français prendra-t-il position sur cette question ? Le véhicule des sanctions vous semble-t-il approprié ?

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J'ai participé ces derniers jours à la visite à Taiwan d'une délégation du groupe d'études à vocation internationale sur Taiwan. J'ai eu l'occasion d'y exploiter la nouvelle formule employée deux fois par le président de la République devant les ambassadeurs concernant le caractère « hégémonique » de la stratégie chinoise et des nouvelles routes de la soie. Il semble donc se produire une inflexion de la politique française. D'autre part, monsieur le ministre, vous avez mis en avant le partenariat stratégique indo-pacifique, qui s'appuie sur un pied indien et un pied australien, et qui comporte une forte dimension sécuritaire – avec le contrat Rafale en Inde et le contrat Barracuda en Australie, et les engagements que cela implique. L'intérêt de ce partenariat est manifeste, car il permet d'équilibrer le dialogue avec la Chine, pour faire de la zone de la mer de Chine du Sud un espace de stabilité aujourd'hui menacé. Quels sont concrètement les volets sécuritaires et opérationnels de ce partenariat ?

Taiwan trouve assez naturellement sa place dans ce partenariat. Depuis près de trois ans, l'île n'a plus aucune relation intergouvernementale bilatérale avec la Chine. Il a bien entendu été fait une utilisation politique maximale de notre visite sur place, avec une communication concernant nos rencontres de haut niveau, y compris avec la présidente de Taiwan. Peut-on affirmer, dans le cadre du partenariat indo-pacifique, une volonté de rééquilibrage et de reprise du dialogue ?

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Monsieur le ministre, en Afrique, la conjoncture politique et les élections présidentielles à venir – en République démocratique du Congo (RDC) en fin d'année, au Togo, au Burundi et en Côte d'Ivoire en 2020, ou en Zambie, en 2021 – suscitent des interrogations sur le renouvellement démocratique. Dans ces pays souvent divisés pour des raisons ethniques, minés par la corruption et l'opacité des prises de décision, le jeu politique écarte les citoyens du débat public. Or, nous le savons pertinemment, la stabilité et l'unité d'un pays impliquent la construction d'une société dont les institutions sont participatives et inclusives. Tenant compte de ces exigences, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) a inscrit, dans ses objectifs de développement durable, l'inclusion politique afin, notamment, de renforcer la crédibilité, la transparence, l'efficacité et la viabilité des institutions et des processus électoraux sur le continent africain.

Hier, le groupe d'amitié France-Mali a auditionné l'Organisation internationale de la francophonie, qui a apporté son concours à l'organisation de l'élection présidentielle malienne et s'apprête à faire de même pour les élections législatives. Lors de la conférence des ambassadeurs, le Président de la République a rappelé que l'affaiblissement démocratique était un enjeu de taille, car l'Afrique revêt une importance particulière pour l'équilibre du monde de demain.

Je souhaiterais donc savoir comment, dans la perspective des scrutins à venir, la France, soucieuse du renouvellement politique, peut soutenir les initiatives citoyennes sans pour autant s'ingérer dans la vie politique des pays africains. Pensez-vous que l'aide publique au développement, en affichant parmi ses priorités la jeunesse, l'éducation et l'égalité femmes-hommes et en agissant auprès de la société civile, suffise pour assurer le renouvellement démocratique ?

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Monsieur le ministre, l'Europe est confrontée à des enjeux importants non seulement dans son espace intérieur mais également dans ses relations avec le monde. Ainsi, les négociations du prochain accord entre l'Union européenne et les pays de la zone Afrique, Caraïbe et Pacifique (ACP) ont débuté fin août, concomitamment au sommet Chine-Afrique, qui s'est tenu début septembre. Un tel accord est un outil majeur de la diplomatie et de l'influence de l'Union auprès des pays africains. Face aux ambitions chinoises – je pense notamment à la Route de la soie –, qu'attendez-vous du « post-Cotonou » ? Avez-vous des informations sur les premières négociations ?

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Monsieur le ministre de l'Europe, j'ai rencontré, lundi dernier, dans le cadre de la mission d'information sur la diplomatie climatique, M. Tomasz Młynarski, ambassadeur de Pologne en France, et M. Adam Guibourge, négociateur en chef auprès de la présidence polonaise de la COP24. Celle-ci se déroulera en décembre prochain et sera une étape décisive dans la lutte contre le réchauffement climatique puisqu'à Katowice, devraient être adoptées les règles de mise en oeuvre – le rule book – de l'accord de Paris.

Je suis d'une nature optimiste et convaincue qu'il ne faut en aucun cas baisser les bras. Néanmoins, certains points de blocage inquiétants commencent à apparaître. Or, nous ne pouvons pas nous permettre d'échouer. L'urgence climatique est désormais criante, comme l'atteste la succession des catastrophes que nous avons connues cet été. Aussi souhaiterais-je savoir si l'avancée des discussions préparatoires dans le cadre de la session de négociations préalables qui s'est tenue à Bangkok, au début de ce mois, vous paraît satisfaisante ? Quels sont, selon vous, les risques et les points de blocage ?

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Monsieur le ministre, merci de vos visites mensuelles. Ma question porte sur les propos tenus, la semaine dernière, par le nouvel ambassadeur de l'Union européenne en Chine, Nicolas Chapuis, qui a affirmé la nécessité de renforcer les relations de l'Union avec le géant chinois face au président Trump, qui perturbe quelque peu les relations commerciales et internationales. Il semble, en effet, indispensable que les deuxième et troisième économies mondiales s'unissent dans une nouvelle dynamique.

S'agissant de la Route de la soie, vous avez insisté sur la soutenabilité financière. Il, s'agit, il est vrai, d'un point important, car j'ai le sentiment que ce projet risque de bouleverser quelque peu l'économie des pays d'Asie centrale qu'elle va traverser. Ceux-ci veulent absolument commercer et discuter avec nous, mais ils risquent de se retrouver endettés, du fait de la Chine – je pense notamment au Kazakhstan.

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J'ajoute que l'endettement des pays africains qui ont contracté, auprès de la Chine, des prêts à des taux incroyables est tel que la situation est potentiellement explosive.

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Monsieur le ministre, lors des auditions que je réalise en vue de la rédaction de mon rapport pour avis sur la mission « Asile, immigration et intégration », mes interlocuteurs expriment une inquiétude assez vive quant à la situation qui prévaut à Idlib. Il est en effet possible qu'un nombre très important de réfugiés – plus d'un million – soient amenés à fuir cette zone et à se retrouver en Turquie, voire, ensuite, en Europe. Quelles mesures la France et ses partenaires prennent-ils, sinon pour contrôler la situation, car cela est très difficile, du moins pour trouver une solution dans un cadre multilatéral ?

Par ailleurs, qu'en est-il de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, dont on sait qu'il est utilisé par cette dernière comme un moyen de pression ? La Turquie, en effet, ouvre ou ferme le « robinet » – l'expression n'est pas très heureuse –, selon ses intérêts, puisqu'elle contrôle l'accès à la route des Balkans des 3,5 millions de réfugiés présents sur son sol, lesquels pourraient être, demain, 4,5 ou 5 millions si la situation se dégrade à Idlib ?

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Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l'heure, l'élection présidentielle au Mali. Vous semblez assez confiant quant au respect des accords d'Alger, notamment sur le désarmement. Toutefois, lorsqu'au mois de décembre dernier, nous nous sommes rendus, avec la présidente de notre commission, au Mali, où nous avons rencontré le gouvernement d'alors ainsi que les forces armées du nord du Mali, il nous a paru assez difficile de progresser vers un tel désarmement. Néanmoins, l'une des avancées possibles consistait dans l'organisation d'élections régionales et la décentralisation. Pensez-vous que ces élections pourront avoir lieu et qu'elles sont un moyen d'avancer vers le désarmement ? Quelle est la position de la France à ce sujet ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

Tout d'abord, je vous propose, madame la présidente, que nous consacrions ma prochaine audition à la Chine, car je serais vraiment désolé de devoir répondre brièvement à l'ensemble des questions qui m'ont été posées à ce sujet. Notre partenariat avec la Chine est important ; nombre de ministres vont s'y rendre dans les jours qui viennent, le président Macron veut y aller chaque année et le président Xi devrait venir en France l'an prochain. Il est donc important que nous prenions le temps d'évoquer ces questions.

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Je suis d'accord, monsieur le ministre. Du reste, nous aurons pu entendre, entre-temps, Jean-Pierre Raffarin, qui doit venir nous parler de la Chine à la fin du mois. Toutefois, votre prochaine audition devant porter sur le budget, je vous suggère que nous consacrions la suivante à la Chine.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

D'accord. Je précise néanmoins à M. Maire que, sur Taïwan, notre position est claire, nous ne reconnaissons pas Taïwan comme un État.

Monsieur Goasguen, l'initiative du Président de la République en faveur du dialogue entre les deux rives, annoncée lors de la Conférence des ambassadeurs, il y a quelques jours, est une ouverture importante qui permettra de redonner du sens à l'Union pour la Méditerranée.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

En tout état de cause, il importe de lui redonner du souffle, et nous allons nous y employer dans le dispositif « 5 + 5 ». Une initiative sera prise dans les prochains mois.

En ce qui concerne Israël et la Palestine, je vais vous dire ce que je pense. La France s'est fixé un cadre – le droit international –, une méthode – la négociation – et un objectif : les deux États. Telle est la tradition historique de notre pays dans laquelle s'inscrit le Président de la République. Par ailleurs, une initiative américaine, que l'on ignore, est annoncée depuis l'élection du Président Trump, mais elle n'aboutit pas. Mon sentiment est qu'elle n'existe pas ou, si elle a existé, qu'elle a été retirée assez rapidement. En tout cas, en recoupant les informations que j'ai pu obtenir – car nous parlons avec tout le monde : le Président de l'Autorité palestinienne, qui sera à Paris après-demain, et le Premier ministre Netanyahu, qui est venu en France et que j'ai rencontré, ainsi que le Président israélien, lorsque je me suis rendu en Israël et dans les Territoires –, j'ai compris que ce plan pouvait, selon moi, se résumer de la manière suivante : les bantoustans plus les dollars. Or, ce n'est pas une solution. On sait, du reste, ce qu'il est advenu des bantoustans.

Toutefois, en cas de statu quo, la solution à deux États serait inévitablement caduque. Et ce n'est pas non plus une solution pour Israël, car cela aboutirait à la constitution de bantoustans ; se poseraient alors d'autres problèmes, notamment du point de vue du rapport de force démographique. On partirait dans une aventure qui, à mon sens, ne serait favorable ni à Israël ni aux Palestiniens.

Pour l'instant, nous sommes dans une position d'attente mais, si l'initiative américaine ne voit pas le jour, il nous faudra bien agir. Peut-être serons-nous amenés à prendre des initiatives dans quelques semaines, si nous constatons que nous sommes dans une impasse. Car rien ne serait pire qu'une absence de projet : le statu quo n'est pas une solution gérable sur le moyen terme parce qu'il serait conflictuel et serait un facteur de ruptures majeures.

Je n'ai pas répondu à votre question, monsieur Goasguen ; j'en suis conscient. Mais voilà où nous en sommes. Actuellement, le président Trump joue avec le feu. Le fait que la colonisation se poursuive sans que soit tracée la perspective de ce que pourrait être un scénario de sortie de l'impasse est anxiogène et aboutit à des désordres et à des conflits. Peut-être faudra-t-il, demain, prendre d'autres initiatives ; la France devrait pouvoir jouer son rôle, à cet égard.

Madame O, je vous propose que nous abordions plus longuement la situation des Ouïgours lors de l'audition que nous consacrerons à la Chine. En bref, je puis vous dire que j'ai très clairement évoqué cette question avec mes interlocuteurs chinois, vendredi dernier. Ce sont des sujets que l'on n'aborde pas forcément publiquement, car ce n'est pas toujours ainsi que l'on peut faire avancer les dossiers. Mais lorsque nous le pouvons, nous agissons concrètement.

J'ajoute, pour ne pas vexer M. Lecoq, que, concernant M. Fortin, notre action a commencé à produire des résultats puisqu'elle a permis d'accélérer la procédure judiciaire. J'ai en effet évoqué cette question avec le Premier ministre et le ministre des affaires étrangères. Le procès s'est tenu les 5 et 6 juillet derniers. Le jugement a été repoussé, mais nous souhaitons qu'il soit rendu le plus rapidement possible pour aboutir à un résultat. En tout cas, je remercie M. Lecoq d'avoir bien voulu reconnaître que notre action diplomatique, parfois discrète, donnait des résultats – je pense en particulier au cas de Mme Mangin.

S'agissant d'Idlib, madame Rauch, si le processus continue à progresser – vous avez pu observer que je m'étais exprimé avec beaucoup de précautions, car tout cela est récent –, nous mobiliserons, bien entendu, des financements pour permettre à l'aide humanitaire de parvenir aux populations de cette région. Comme nous l'avons fait pour la Ghouta, nous ferons en sorte, avec d'autres acteurs, pour que les populations soient soutenues.

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La sécurisation des hôpitaux inquiète le personnel soignant, à l'heure actuel.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

La sécurisation fait partie des sujets à traiter dans la période à venir.

Par ailleurs, nous n'avons pas de force spécifique à Idlib. Il faudrait interroger ma collègue Florence Parly à ce sujet, mais, à ma connaissance, les Frégate qui croisent en Méditerranée orientale relèvent d'un dispositif permanent : leur présence n'est pas spécifiquement liée à la situation à Idlib. J'ajoute, à ce propos, que nous avons eu une explication franche et musclée avec les Russes, qui auraient mieux fait, avant de nous accuser, d'examiner la situation : ce sont les Syriens qui leur ont tiré dessus. Ce n'est certes pas glorieux, mais c'est la réalité. Il ne faut pas accuser les autres de fautes qu'ils n'ont pas commises. En tout cas, les forces françaises n'interviennent pas dans cette zone. Du reste, la coalition n'est présente que dans le nord-est de la Syrie, là où se trouvait DAECH.

En ce qui concerne les échéances européennes, nous sommes dans une situation paradoxale, à un double titre. Premièrement, l'Union est attaquée et critiquée alors qu'elle accomplit de nets progrès, particulièrement depuis un an. La liste en est, du reste, spectaculaire. Sur des sujets dont on pensait qu'ils nécessiteraient beaucoup de temps, nombre de succès ont été remportés depuis le discours de la Sorbonne du Président de la République. Je pense à la protection sociale, aux engagements de Göteborg, que le président Juncker veut inscrire dans les textes, à la question des travailleurs détachés, à l'Europe de la Défense ou au vote qui vient d'intervenir sur le droit d'auteur sur le marché unique numérique et l'État de droit en Hongrie.

Bref, au moment même où elle est critiquée de toutes parts, l'Europe avance. Il faut donc que les Européens le disent et que nous-mêmes, nous rappelions cette réalité ! Le vote sur la situation de l'État de droit en Hongrie est essentiel à cet égard, car les droits de l'Homme et l'État de droit sont les fondements mêmes de l'Union européenne et la condition de la confiance mutuelle. Il nous faut donc être extrêmement vigilants sur ce point.

Second paradoxe : ceux qui sont favorables au « détricotage » de l'Europe considèrent qu'il faut se retirer des engagements communs et du multilatéralisme européens au motif que l'Union est un facteur d'immersion dans une mondialisation non maîtrisée. Or, ce faisant, ils renforcent le poids de celle-ci car l'addition des nationalismes n'a jamais tenu lieu de politique européenne et renforcerait, au contraire, la perméabilité des nations à la mondialisation.

Les forces respectives de la Chine, des États-Unis et de la Russie ainsi que les reculs du multilatéralisme sont un appel à renforcer l'Union européenne plutôt qu'à l'affaiblir. À cet égard, le discours de la Sorbonne est notre référence – ce sera l'enjeu des semaines qui viennent. Cela passe par un renforcement du partenariat franco-allemand. Nous entretenons, du reste, des relations extrêmement étroites avec la Chancelière, qui ne me paraît pas rencontrer de difficultés majeures sur ce sujet, au contraire. Ainsi, nous préparons le futur traité de l'Élysée, et tous les indicateurs que nous pouvons avoir sur le renforcement de nos liens avec l'Allemagne sont positifs. Mes relations avec mon homologue allemand, Heiko Maas, en particulier, sont très positives, de sorte que nous obtiendrons probablement des résultats forts dans le cadre de la définition du projet de nouveau traité de l'Élysée.

En ce qui concerne les enjeux du sommet de Salzbourg, qui a débuté cet après-midi, je précise qu'il s'agit d'un sommet informel, durant lequel aucune décision ne sera prise. Les questions du Brexit et des migrations y seront évidemment évoquées, mais le sommet formel se tiendra le 18 octobre. Ce sera une échéance majeure. Comme vous, je souhaite que nous puissions aboutir à un véritable accord de retrait avec la Grande-Bretagne et qu'une déclaration politique permette de définir ensuite de manière plus positive nos relations avec la Grande-Bretagne. Je ne fais pas de pronostics en la matière. On peut trouver un accord, encore faut-il qu'il soit ensuite validé par le parlement britannique. J'espère néanmoins que nous pourrons aboutir à un accord de retrait qui soit reconnu de part et d'autre.

J'observe – puisque j'ai évoqué la bonne tenue de l'Europe – que, face à la crise commerciale transatlantique, celle-ci est unie et déterminée. Elle n'a pas hésité à prendre des contre-mesures face à l'offensive américaine. De même, sur la question iranienne, elle est unie, conserve la même position et cherche des solutions. Lorsqu'on évoque l'Europe, il importe de souligner tout ce qui marche et de montrer, a contrario, dans quelle situation nous nous trouverions si le pacte européen était rompu.

Madame la présidente, mesdames, messieurs les députés, je suis désolé, mais je suis obligé de vous quitter car je dois m'entretenir au téléphone avec un de mes homologues étrangers, et je ne veux pas reporter cette conversation.

Je répondrai donc plus longuement la prochaine fois à la question de Mme Le Peih sur la préparation de la COP24. En deux mots : c'est compliqué. La réunion de préparation qui s'est tenue à Bangkok s'est plutôt bien passée. Mais l'enjeu est important puisqu'il s'agit de définir le cadre de l'application de l'accord de Paris – le manuel de l'utilisateur, en quelque sorte. Or, lorsqu'on aborde les sujets concrets, les discussions se compliquent, pour des raisons liées à des questions financières et aux différences d'approches entre les pays développés et les pays en voie développement. Néanmoins, tout notre appareil diplomatique est mobilisé pour que la COP24 se déroule bien.

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Merci beaucoup, monsieur le ministre. Vous répondrez, lors de votre prochaine audition, aux questions sur la démocratie en Afrique, le « post-Cotonou », le Mali et la Route de la soie en Asie centrale.

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Jean-Yves le Drian, ministre de l'Europe et des Affaires étrangères

Je peux évoquer rapidement le Mali. Il est prévu l'organisation d'élections régionales. Il s'agit en effet d'une articulation indispensable pour que l'on puisse aboutir à la mise en oeuvre des accords d'Alger. (Applaudissements.)

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Merci beaucoup, monsieur le ministre, pour la pertinence de vos analyses et votre disponibilité.

La séance est levée à dix-huit heures trente.

Membres présents ou excusés

Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Frédéric Barbier, M. Pierre Cabaré, Mme Annie Chapelier, M. Alain David, M. Christophe Di Pompeo, M. Benjamin Dirx, M. Pierre-Henri Dumont, M. Michel Fanget, Mme Olga Givernet, M. Claude Goasguen, M. Hubert Julien-Laferriere, M. Rodrigue Kokouendo, Mme Aina Kuric, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, Mme Marine Le Pen, M. Maurice Leroy, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, Mme Delphine O, Mme Isabelle Rauch, Mme Marielle de Sarnez, Mme Valérie Thomas

Excusés. - M. Moetai Brotherson, Mme Samantha Cazebonne, Mme Laurence Dumont, Mme Anne Genetet, M. Meyer Habib, M. Bruno Joncour, Mme Amélia Lakrafi, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Bernard Reynès, M. Joachim Son-Forget

Assistaient également à la réunion. - M. Didier Le Gac, M. Gwendal Rouillard