Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mardi 30 octobre 2018 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • diagnostic
  • dépistage
  • gène
  • génétique
  • sévère
  • test
  • traitement
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La réunion

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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mardi 30 octobre 2018

Présidence de M. Jean-Louis Touraine, rapporteur de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition de M. Jean-Louis Mandel, professeur honoraire au Collège de France, titulaire de la chaire Génétique humaine.

L'audition débute à dix heures trente-cinq.

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Nous débutons notre séquence d'auditions de ce jour en accueillant M. Jean-Louis Mandel, professeur honoraire au Collège de France, qui a également été professeur de génétique humaine à la faculté de médecine de Strasbourg.

Monsieur le professeur, nous vous remercions d'avoir accepté de vous exprimer devant nous.

Notre mission d'information a notamment pour objectif de s'interroger sur les évolutions du diagnostic préimplantatoire et du diagnostic prénatal afin d'évaluer l'adéquation de la loi aux nouvelles réalités scientifiques et l'opportunité, d'un point de vue éthique, de la faire évoluer.

Votre expertise sur le sujet des maladies génétiques nous sera précieuse dans la perspective de la révision de la loi de bioéthique.

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Jean-Louis Mandel, professeur honoraire au Collège de France

Merci de m'avoir invité à cette audition.

Je n'aborderai pas les diagnostics prénatal et préimplantatoire proprement dits, mais ce qui se situe en amont, ainsi que certains aspects des tests génétiques. J'aborderai la possibilité technique et l'intérêt éventuel, voire démontré, selon moi, du dépistage de certaines maladies génétiques en population générale et pas uniquement auprès de familles dont un enfant est atteint d'une maladie. À cet égard, j'évoquerai le dépistage génétique préconceptionnel d'un certain nombre de maladies génétiques, non pas toutes, mais des maladies sévères et qui touchent des enfants, telles que la mucoviscidose, la drépanocytose, des maladies musculaires comme la myopathie de Duchenne ou encore l'amyotrophie spinale.

La possibilité d'accéder à un dépistage systématique est ouverte depuis quarante ans à des populations touchées fréquemment par certaines de ces maladies. Au début des années 1970, la maladie de Tay-Sachs frappait les populations juives ashkénazes et la bêta-thalassémie les populations des pays du pourtour méditerranéen : le sud de l'Italie, la Sardaigne, la Grèce, Chypre, etc.

Ces maladies se sont étendues progressivement. Par deux fois, un avis défavorable a été formulé par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) quant à la possibilité de proposer à tous les couples un dépistage du risque d'avoir des enfants atteints de mucoviscidose, hors histoire familiale d'un enfant déjà diagnostiqué. Comme je l'ai dit récemment à M. Jean-François Delfraissy, président du CCNE, à l'occasion de mon audition par les membres du Comité, cet avis négatif reposait sur des bases pseudoscientifiques, non justifiées, qui cachaient sans doute des préoccupations d'ordre moral que l'on peut comprendre, à condition que le rédacteur les affiche en tant que telles. En l'occurrence, elles ont été déguisées sous des aspects scientifiques. Le dernier avis du CCNE a évolué.

En ce qui concerne la mucoviscidose, le Collège américain de génétique et obstétrique et le Collège américain de génétique médicale, les deux grands collèges professionnels qui conduisent à définir ce que l'on pense être les bonnes pratiques médicales, ont indiqué en 2001 qu'il était de bonne pratique médicale d'informer toute femme enceinte ou ayant des projets de procréation de la possibilité de se faire tester afin de déterminer si elle est porteuse d'une mutation associée à la mucoviscidose, soit, dans notre pays, une personne sur vingt-cinq. Si elle en est porteuse, il lui est proposé de tester le conjoint pour déterminer le risque du couple d'avoir des enfants atteints de mucoviscidose.

Depuis 2008, le dépistage est proposé à tous les couples de manière systématique en Israël, où il est pris en charge par le ministère de la santé. En France, le dépistage est uniquement proposé dans le cas où un premier enfant est atteint. Les médecins sont alors en droit de conseiller le couple ou de faire du dépistage en cascade auprès des frères et des soeurs.

Des enquêtes ont été réalisées à Strasbourg auprès d'environ 1 200 étudiants, toutes facultés confondues, donc de jeunes adultes susceptibles d'avoir des projets de procréation. À 80 %, ils seraient intéressés par un dépistage préconceptionnel à but pédiatrique de maladies sévères pour lesquelles les possibilités de traitement restent encore très limitées. Pour les autres maladies pour lesquelles des traitements sont possibles mais dont les conséquences restent lourdes – l'hémophilie, par exemple –, l'intérêt diminue, mais demeure élevé.

Aux États-Unis, des expériences ont lieu auprès de centaines de milliers de personnes. En Israël, 65 000 personnes, dont une majorité fait des projets de procréation, se font tester tous les ans, les tests étant pris en charge par le ministère de la santé. En France, cela correspondrait à 500 000 personnes testées chaque année.

La structuration de la population israélienne est un peu particulière. On relève un même intérêt dans les villages druzes, dans les tribus bédouines, dans les villages et les villes arabes chrétiens ou musulmans. J'ai invité la personne qui a été responsable de ce programme pendant quinze ans. Elle explique que les responsables des programmes n'attendent pas que les populations se rendent au CHU. Des conseillers génétiques se rendent dans ces villages, dont ils sont parfois issus, afin de se faire mieux comprendre et être mieux acceptés. Or, en France, cela ne se fait pas.

La loi de bioéthique actuelle pose tant de barrières que tout le monde est convaincu que le dépistage n'est pas permis. Il n'est pas formellement interdit, mais personne n'ose le proposer.

J'en viens à un second aspect. Je suis en désaccord avec le professeur Arnold Munnich, qui est intervenu devant vous, sur la possibilité d'offrir un dépistage en population générale pour certaines maladies génétiques qui posent des problèmes à l'âge adulte. Dépister une personne qui porte la mutation permet de prédire un risque élevé de développer la maladie. Le dépistage est limité aux gènes actionnables et, si l'on détecte un fort risque pour une personne de développer la maladie, on peut la prévenir par une prise en charge médicale, un diagnostic très précoce ou même des conseils de vie.

Pour des raisons techniques, lorsque l'on réalise des tests génétiques pour établir un diagnostic, par exemple pour une déficience intellectuelle sévère chez un enfant, on analyse l'ensemble de la famille : les parents et l'enfant pour mieux diagnostiquer ce dernier. Pour plus d'efficacité, on teste l'ensemble des gènes. Imaginons un garçon de dix ans qui souffre d'une déficience intellectuelle sévère. L'examen génétique trouve ou ne trouve pas la cause de cette déficience. S'il est porteur d'une mutation du gène BRCA 1 qui prédispose au cancer du sein et de l'ovaire, il est peu concerné. Mais si le gène vient de sa mère, l'information recueillie concerne aussi sa mère. Il convient alors de déterminer si l'on informe la mère de ce que l'on nomme une « donnée incidente ». Des débats ont porté sur ce sujet. Aux États-Unis, le collège des généticiens médicaux a proposé d'en informer les femmes qui le demandent, pour les seuls gènes actionnables. En l'occurrence, les gènes BRCA 1 et BRCA 2 qui prédisposent au cancer du sein sont très actionnables.

À l'heure actuelle, en France, le test n'est réalisé que si l'histoire familiale révèle qu'au moins trois personnes sont atteintes dans la famille, dont une avant cinquante ans. Les dépistages en population générale ont montré que 50 % des femmes porteuses d'une mutation n'ont pas d'histoire familiale et ne bénéficient donc pas de la prise en charge précoce qui évite le cancer de l'ovaire et diminue le nombre de cancers du sein. Il est pourtant préférable de dépister un cancer de manière précoce plutôt que d'attendre qu'il soit métastasé !

Mme Mary-Claire King est l'une des grandes figures dans le domaine du cancer. Membre à titre étranger de l'Académie des sciences, elle milite activement pour que soit proposé à toute femme de plus de 30 ou 35 ans un test BRCA 1 et 2. Les études qu'elle a entreprises montrent que 50 % des femmes qui souffrent de telles mutations n'ont pas d'histoire familiale.

Dans son propos, le Pr Arnold Munnich a évoqué des problèmes éventuels. Il cite une étude de la Mayo Clinic qui semblait inquiétante. Sur la base de résultats de tests génétiques incertains – dans la mesure où l'on n'est pas toujours capable d'interpréter l'ensemble du génome –, des femmes américaines ont subi une mastectomie bilatérale. J'ai lu l'étude produite par la Mayo Clinic. Elle portait sur des femmes qui avaient déjà un cancer du sein et qui, de toute façon, auraient donc subi une mastectomie unilatérale. Le choix des femmes qui choisissaient de subir une mastectomie bilatérale se fondait uniquement sur des résultats génétiques incertains, mais était motivé par une histoire familiale très lourde qui les conduisait à refuser le risque de la reproduire. C'est un peu le cas d'Angelina Jolie.

La loi devrait nous autoriser à lancer des études pilotes pour évaluer l'acceptabilité. Aux États-Unis et en Israël, des études montrent que les femmes dépistées sont satisfaites d'être informées. Évidemment, elles préféreraient ne pas être porteuses de la mutation mais, dès lors qu'elles le sont, elles préfèrent le savoir avant qu'après. Par ailleurs, il a été montré que le dépistage en cascade permet d'étendre les soins à d'autres membres de la famille.

Tels sont les deux aspects qu'il conviendrait d'inscrire dans la loi pour engager ces dépistages très utiles et dont les dangers sont surévalués. Il suffit pour s'en convaincre de lire la littérature sur le sujet.

À ces deux points centraux, j'ajouterai quelques observations sur la nécessité de cadrer le métier et de créer un véritable statut de conseiller en génétique. Avec l'explosion de la génomique et des diagnostics génétiques, nous manquons de médecins formés pour suivre et conseiller les familles. Il ne s'agit pas de les conseiller au cours d'une unique consultation d'un quart d'heure mais de les suivre sur le long terme, ainsi que cela se fait dans d'autres pays.

Il convient donc de développer le métier de conseiller en génétique et de permettre aux conseillers d'élargir leur champ d'action. Par exemple, si l'on parle de dépistages préconceptionnels en population générale ou de gènes actionnables avec un effet intéressant pour les patients, le nombre de médecins spécialistes pour faire une consultation élaborée reste insuffisant. Aux Pays-Bas, des médecins généralistes et des conseillers en génétique ont été formés dans le cadre d'une étude pilote afin de prescrire des tests à des familles qui n'ont pas de maladies génétiques connues. Une fois la maladie génétique connue, un spécialiste est nécessaire pour effectuer l'étude clinique. Il me semble donc important d'ouvrir plus largement la possibilité de prescription si nous voulons servir l'ensemble de la population.

Sur le point qui vient, je suis très isolé. En France, la majorité de mes collègues, à quelques exceptions près, sont totalement opposés aux compagnies qui procèdent à des tests génétiques dits direct to consumer, sans prescription médicale. Réaliser un test génétique sans prescription médicale est passible d'une amende de 3 750 euros, sans doute pour marquer le danger que peut provoquer la lecture des résultats. Or, ce danger est nettement moins grand que ce qui est évoqué. Des millions d'Américains ont subi ces tests. Que je sache, ces tests n'ont pas été suivis de vagues de suicides ! En revanche, nous connaissons le cas de jeunes de dix-neuf ans qui achètent des bouteilles de vodka et qui, à la suite de binge drinking, tombent du balcon, ainsi que cela est arrivé récemment à Supélec, ou se noient. Cela arrive tout le temps. S'adonner à de telles pratiques est bien plus dangereux. Or, elles ne sont pas passibles d'une amende de 3 750 euros !

Très souvent, on me rétorque que personne n'a jamais payé cette amende. La plus grosse société américaine de tests génériques directs to consumer, la société 23andMe, respecte la loi française, puisque si l'on commande le test à partir d'un ordinateur français, on n'a pas accès à ses données de santé. Les experts comme le Pr Arnold Munnich sont très sévères sur les résultats de ces tests.

Préalablement à mon audition, je vous ai livré la liste des publications des revues scientifiques les plus prestigieuses – Nature, Nature Genetic… – sur 23andMe et la liste des universités qui collaborent avec 23andMe pour utiliser les données et faire de la recherche biomédicale sur les maladies communes. En haut de la liste, on trouve Stanford, la Harvard Medical School, suivis par le King's College de Londres, le Karolinska Institutet de Suède, l'université Erasmus des Pays Bas… Évidemment, aucune université française ne figure parmi les quarante-huit premières !

Avec l'interdiction ce type de test, on s'est coupé d'une activité industrielle dont je pense qu'elle n'est pas dangereuse ; si elle est bien faite, elle peut même se révéler intéressante à des degrés divers. J'ai moi-même appris deux informations intéressantes en y ayant recours. Ce n'est pas la panacée si l'on veut connaître son avenir médical, mais cela permet de développer une recherche très innovante sur la génétique des maladies communes.

Je pense que cette interdiction n'a pas de justification. Le danger n'existe pas. Des articles le montrent. Ils nous apprennent que des femmes ont su qu'elles étaient porteuses de mutation BRCA 1 parce qu'elles étaient clientes de 23andMe. Des études ont été réalisées pour mesurer l'effet sur ces femmes. Elles étaient heureuses d'avoir reçu cette information, avaient consulté des médecins pour savoir ce qu'il convenait de faire et avaient diffusé l'information à leur famille.

Hors des lois de bioéthique, mais toutefois en connexion, le plan « France Médecine génomique 2025 », qui a quelques difficultés à démarrer et qui a mis beaucoup de temps à se concrétiser si on le compare au plan anglais, sera confronté à la difficulté de trouver les personnes capables d'interpréter les résultats, du fait que le législateur a cédé au lobby des laboratoires de biologie médicale de ville. J'ai vu la manière dont ils ont opéré pour obtenir une loi très restrictive. Au départ, le projet interdisait même aux généticiens, en tout cas aux scientifiques titulaires d'un doctorat ès sciences, de faire des tests génétiques, y compris dans les CHU, ce qui était toléré jusqu'alors. En tant que directeur d'un laboratoire de diagnostic, la moitié de mes collaborateurs de haut niveau étaient docteurs ès sciences. Ils sont connus internationalement et ont toutes les compétences requises. Ceux qui disposaient d'une autorisation avant le vote de la loi de bioéthique la conservent. Mais les nouveaux n'ont plus le droit d'être responsables de tests génétiques. C'est une catastrophe.

Tous les laboratoires anglais de diagnostic génétique académique sont dirigés par des docteurs ès sciences. Or les médecins généticiens sont rares et préfèrent faire de la consultation plutôt que de l'analyse de données derrière un ordinateur. C'est un autre métier, qui peut être fait par des docteurs ès sciences. C'est désastreux pour la recherche en génétique. En outre, dans les CHU, en bactériologie ou en virologie, développer des tests de haut niveau fondés sur le séquençage et destinés à faire progresser les diagnostics nécessite des personnes dotées des compétences adéquates. Or, le diplôme de biologie médicale ne donne pas de telles compétences. Par ailleurs, à l'origine, le projet de loi interdisait aux généticiens de faire du diagnostic génétique. Le Parlement est revenu sur cette disposition, à la condition que les généticiens passent devant une commission d'agrément qui a mis trois ans avant de fonctionner. J'ai d'ailleurs soumis le cas de trois généticiens connus et extrêmement compétents, dont la candidature a été rejetée par cette commission au motif qu'ils avaient réalisé leur stage dans un laboratoire non agréé, en un mot pour des raisons qui ne tiennent pas la route ; de telles décisions montrent simplement que les biologistes de ville qui composent cette commission veulent limiter l'accès à ces techniques.

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Je vous remercie très vivement de vos informations, qui nous sont très utiles.

Je veux dire à quel point j'ai apprécié vos développements et votre introduction, où vous mettez en exergue un problème de notre société contemporaine, à savoir la nécessité de dénoncer plus efficacement la confusion qui règne entre la connaissance scientifique et la morale. Les croyances sont légitimes, mais ne doivent pas être confondues avec la science. Autoriser ou interdire au nom d'une conviction ne se situe pas sur le même plan que le faire au nom d'une preuve scientifique. Vous avez donc raison de dénoncer le fait, car une telle attitude est regrettable à tous niveaux. Notre réflexion doit séparer ces deux aspects, l'un et l'autre ayant sa place, mais il nous revient d'indiquer ce qui relève de la science et ce qui relève de telle ou telle option éthique, par exemple.

Mes interrogations sont de différentes natures.

Les premières portent sur le dépistage préconceptionnel. Vous avez pris connaissance du rapport du CCNE, qui propose des avancées significatives en ce domaine. C'est, en définitive, la possibilité pour tous ceux qui le souhaitent de recourir au dépistage, et pas uniquement dans des cas ciblés de familles qui ont un cas connu d'une pathologie déterminée. Cela a suscité chez certains, mais non chez moi, des inquiétudes fortes sur le plan philosophique et sur le plan pratique, car il était indiqué que la France ne comptait pas un nombre de généticiens médicaux suffisant pour faire face à un éventuel afflux de demandes de couples envisageant d'avoir des enfants et qui sollicitent des avis.

Comment répondre à ces inquiétudes ? Comment bénéficier des annonces du CCNE pour prévenir certaines maladies graves ? Comment établir la liste des maladies sévères à traitement limité, qui, de façon certaine, apparaîtront chez des personnes ayant une prédisposition ou une augmentation de prévalence avant le milieu de la vie et avec un pronostic effroyable ?

Monsieur Mandel, vous avez écrit un article rapportant qu'à l'instar d'un Français sur vingt-cinq, vous êtes porteur d'une mutation prédisposant à la mucoviscidose sans que cela ait eu de conséquences, d'autant qu'il aurait fallu que votre épouse soit atteinte de la même mutation pour que vos enfants soient, dans un cas sur quatre, porteurs de cette maladie. Vous avez d'ailleurs vérifié la chose et il s'est avéré que votre fille n'était pas porteuse du gène. Nous comprenons l'intérêt de cette démarche prospective. Si votre fille avait été porteuse du même gène muté que vous, vous auriez suggéré que son mari soit l'objet d'une investigation.

Pour résumer, est-il possible d'établir une liste ? Par qui ? Comment ? Selon quelles conditions pratiques ? Et comment rassurer les personnes inquiètes ?

Ma seconde question porte sur le diagnostic néonatal des naissances « tout-venant ». À ce jour, le diagnostic porte sur cinq maladies. Il est prévu d'ajouter les déficits immunitaires sévères, comme l'ont fait d'autres pays qui assurent une prise en charge de ces maladies dès la naissance. Les greffes de cellules souches assurent aux enfants 95 % de probabilité de guérison alors qu'un diagnostic tardif, lorsque les enfants sont infectés, fait chuter les chances de guérison.

Outre ces cinq maladies et les déficits immunitaires, voyez-vous d'autres affections qui seraient associées à une incidence à prendre en charge dès la naissance et qui mériteraient de faire l'objet d'un diagnostic néonatal ?

Ma dernière observation porte sur l'un de vos écrits. Vous y notez que, grâce à la technique du CRISPR-Cas 9, il serait envisageable de lutter contre les moustiques qui transmettent diverses maladies, du paludisme au chikungunya, en modifiant le génome des moustiques. Pourriez-vous nous fournir quelques informations pour envisager une prévention forte de maladies de grande fréquence sous certaines latitudes ?

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Jean-Louis Mandel, professeur honoraire au Collège de France

Merci pour ces questions d'importance.

On dit que le dépistage préconceptionnel ne serait pas possible dans la population française, faute de généticiens. Je suggère, à l'instar de M. Alain Fischer, d'utiliser des nouveaux moyens d'information telles que des vidéos sur Youtube pour livrer des informations compréhensibles. L'offre systématique du ministère de la santé israélien est retenue par plus de 90 % des couples qui envisagent une procréation. Je ne vois pas en quoi cela poserait un problème particulier en France, à condition de bien l'organiser.

Je suis contre une liste restrictive des gènes dans la mesure où la génétique évolue et que l'on découvre encore, notamment dans le domaine de la déficience intellectuelle, de nouveaux gènes de maladies récessives responsables de handicaps lourds. Aucune liste restrictive n'a été dressée, et à juste titre, pour le diagnostic prénatal. Il faut discuter avec les parents. Le diagnostic prénatal est plus drastique que le diagnostic préconceptionnel, qui donne le temps de discuter.

Par exemple, le dépistage préconceptionnel de l'hémophilie est l'un des cinq les plus fréquemment réalisés en France. Même si ses conséquences restent lourdes, la maladie se traite bien. Je me suis interrogé sur les raisons de la demande de dépistage. Il y en a deux principales. D'une part, la naissance d'un enfant hémophile est un facteur de danger pour lui-même. Si l'on sait par avance qu'il sera hémophile, cela permet, dès les premières heures, d'être prêt à faire face à toute éventualité. La demande d'un diagnostic prénatal est donc formulée par des familles qui comptent déjà un enfant hémophile afin de mieux préparer médicalement la naissance. D'autre part, des familles considèrent que le traitement est excessivement lourd. Il existe des disparités régionales du traitement des hémophiles. Le traitement préventif s'impose. Pensons à l'enfant hémophile qui doit subir une opération ou doit se rendre chez le dentiste, ou encore à celui qui fait du foot, se cogne, commence à saigner. Les genoux des hémophiles sont un problème. L'hémophilie reste une maladie très lourde. Aussi les couples qui ont déjà un enfant hémophile préfèrent souvent ne pas en avoir un second car l'angoisse d'un accident est trop forte.

Comme je vous l'ai indiqué, j'ai conversé avec le responsable du programme israélien de dépistage. Il m'a rapporté que dans un village druze, pour des raisons d'effets fondateurs, sévit une xanthomatose, maladie grave. Avec un recul de dix ans, on constate que la prise en charge précoce a permis que les enfants soient en bonne santé. Les habitants de ce village utilisent le dépistage préconceptionnel, et non un diagnostic prénatal incitent à une interruption de grossesse, afin que le traitement soit entrepris très tôt. Pour traiter la phénylcétonurie, le traitement doit également être entrepris très tôt.

Plutôt qu'une liste que l'on souhaitera modifier au bout de six mois, je pense préférable de mettre en place un système de contrôle. On demanderait ainsi aux laboratoires qui proposeraient ce type de tests la liste des maladies recherchées et on verrait si certaines ne sont pas justifiées. C'est ce que font les comités de diagnostic prénatal, qui jugent au cas par cas.

J'en viens au dépistage néonatal. Pour les déficiences immunitaires, le programme israélien procède par dépistages systématiques. D'autres pays commencent à adopter cette procédure. C'est ce que font les États-Unis pour les maladies métaboliques qui ont une possibilité de traitement, telle que la phénylcétonurie. Sur ce plan, la France a pris beaucoup de retard. Nous sommes probablement l'un des seuls pays disposant d'un système de santé évolué à ne dépister que cinq maladies. Il est vrai qu'il faut passer à des technologies plus lourdes, qui demandent une concentration des moyens : un seul laboratoire pour une très grande région et non pas un laboratoire par CHU. Par protectionnisme, chacun voudrait posséder son spectromètre de masse, mais c'est impossible.

Dans l'État de New York, sous la pression des familles concernées, un dépistage a été autorisé pour une maladie métabolique, la maladie de Krabbe, pour laquelle les traitements ne sont pas au point. Il est donc nécessaire d'étudier au cas par cas au regard des traitements disponibles.

S'agissant des moustiques transmetteurs de maladies, je ne suis pas un spécialiste ; je sais qu'une équipe travaille sur ce sujet à Strasbourg. L'idée a été formulée de modifier le génome des anophèles, qui transmettent, entre autres, le paludisme et le zyka, afin de relâcher dans la nature des individus mutés. Au lieu de faire une fixation sur le fait qu'il s'agit d'un organisme génétiquement modifié, il convient de mesurer les dangers réels. Les techniques de CRISPR-Cas 9 étant extrêmement ciblées, le risque d'atteindre des populations non ciblées, les abeilles par exemple, me semble infime. Cela dit, je ne suis pas spécialiste. Le paludisme tue des millions d'enfants de par le monde et touche les adultes sous une forme grave. Il convient d'ouvrir le débat pour déterminer les avantages et être pragmatique, un terme que je préfère à celui parfois avancé d'« utilitariste ».

Quels sont les dangers, non fantasmés, tirés de la biologie ? Je ne dis pas qu'il faille agir immédiatement. En France, il est très difficile d'engager ce type de recherches, le secteur des organismes génétiquement modifiés est très sensible. Face à un problème de santé mondial, il est un peu dommage que les choses soient prises en main aux États-Unis et que les équipes françaises rencontrent des difficultés à se faire financer, car on leur oppose le fait que ces recherches ne seront jamais autorisées.

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Monsieur le professeur, vous avez indiqué que la loi interdisait les tests génétiques alors que cette interdiction ne se justifiait pas, que le danger n'existait pas. Êtes-vous favorable à une autorisation sans conditions d'encadrement ?

Vous avez expliqué que vous étiez contre une liste restrictive puisque la science découvre régulièrement des gènes responsables de symptômes. N'est-ce pas le rôle des lois de bioéthique et de leurs révisions de s'adapter aux découvertes de la science ? Une liste restrictive pourrait se justifier et évoluer en fonction des découvertes.

Vous avez parlé de maladies graves et sévères. Comment pouvez-vous définir une maladie grave ou sévère, par exemple, s'agissant du retard mental ?

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Jean-Louis Mandel, professeur honoraire au Collège de France

S'agissant des tests génétiques, un de mes étudiants post-doctorants a trouvé par 23andMe que six membres de sa famille au cinquième degré vivaient aux États-Unis. S'agissant des tests génétiques concernant les maladies, je pense que la procédure doit être encadrée pour s'assurer de la fiabilité des résultats.

Les laboratoires qui réalisent ces tests aux États-Unis sont accrédités Clinical Laboratory Improvement Amendments (CLIA) Certified. Cela garantit la bonne qualité technique. Nous pourrions demander aux laboratoires qui solliciteraient une autorisation de nous soumettre la liste qu'ils proposent. Si des éléments n'avaient pas de sens, présentaient un danger ou si le laboratoire faisait de la publicité abusive, nous pourrions refuser. Quel que soit le domaine, une entreprise qui fait de la publicité abusive et ment peut être punie par la loi. Il faut libéraliser tout en organisant un contrôle pour éviter toute dérive. Par exemple, il faudrait interdire à M. Laurent Alexandre de dire des bêtises et de raconter que l'on pourrait avoir des QI de 140 grâce à la génétique !

J'en viens aux listes restrictives. Je ne serais pas opposé au fait d'écrire que telle ou telle maladie relativement fréquente ne justifie pas le recours aux tests. Je pense, par exemple, à l'hémochromatose. Dans le cadre d'un dépistage préconceptionnel, il n'y a pas de raison de faire un dépistage de l'hémochromatose dans la mesure où la maladie, en général, se déclare tardivement, au plus tôt vers 40 ou 50 ans, voire plus tardivement encore. En revanche, il serait très intéressant de proposer le dépistage systématique des personnes à risque, susceptibles de développer une hémochromatose des adultes, car on constate très souvent que le diagnostic tombe trop tardivement alors que l'on peut intervenir médicalement, ne serait-ce qu'en déconseillant fortement l'absorption d'alcool.

On pourrait par conséquent décider d'écarter certains gènes.

À l'heure actuelle, des maladies graves sont découvertes tous les mois. Imaginez que l'on dise à une famille dont l'enfant est atteint d'une maladie effroyable qu'il n'a pas eu de chance parce que sa maladie n'avait pas encore été ajoutée à la liste comme ce fut le cas à l'occasion de la nouvelle révision de la loi de bioéthique six ans plus tard… Je préfère de beaucoup que la liste des gènes qui doivent être testés passe devant une commission et que cette commission ne mette pas deux ans avant de décider s'il est ou non justifié d'intégrer tel ou tel gène à la liste.

La déficience intellectuelle touche 1 % à 1,5 % de la population des enfants et jeunes adultes. Environ 50 % à 60 % ont des causes génétiques, que l'on appelle « monogéniques ». Plus de mille gènes sont impliqués. Ce handicap pose-t-il des problèmes du point de vue de l'insertion sociale des personnes atteintes ? En France, depuis vingt ou vingt-cinq ans, il est procédé au dépistage de la trisomie 21. Il existe des formes de déficience intellectuelle plus sévères que la trisomie 21, qui s'accompagnent de comportements terribles et d'épilepsie.

La difficulté réside dans les limites. Par exemple, des maladies sont associées à des formes de déficience mentale légère, borderline. La définition de la déficience légère est un QI entre 50 et 70. La normalité intervient au-delà de 70. Ce sont le plus souvent – il peut y avoir des exceptions – des gènes qui sont responsables des déficiences mentales légères. Après explication, il appartient aux parents de décider s'ils se sentent prêts à accompagner cet enfant. Le problème est également d'ordre sociétal. Dans une société où il faudra changer de travail plusieurs fois au cours de la vie professionnelle, des personnes affectées de déficits dits légers auront de grandes difficultés à de telles adaptations, et il est probable qu'elles seront exclues du système scolaire, notamment en France. Les familles qui ont un enfant atteint d'un déficit mental léger et qui habitent le nord de la France envoient leur enfant à l'école en Belgique. Elle est plus ouverte pour prendre en charge des enfants un peu moins performants. La société doit pouvoir garantir aux parents que, même si leurs enfants connaissent des difficultés scolaires, ils bénéficieront de la présence d'auxiliaires de vie scolaire, d'une prise en charge et de lieux de vie adaptés.

Voilà plus de vingt ans que le dépistage de la trisomie 21 est réalisé en France. À l'heure actuelle, les naissances d'enfants trisomiques représentent 20 % des naissances qui auraient eu lieu si le dépistage n'existait pas, car celui-ci est techniquement incomplet. Or, la difficulté pour les parents d'enfants adultes trisomiques est de savoir quel lieu de vie trouver pour leur enfant de trente ans : d'une part, parce que c'est une bonne chose que les enfants partent du domicile familial ; d'autre part, parce que les parents vieillissent. Si nous voulons qu'un vrai choix soit possible, il faut offrir des alternatives aux parents et pouvoir définir la prise en charge du handicap, assurer à l'enfant une possibilité de scolarisation, un métier, des lieux de vie.

Parfois, on entend dire que mettre en place des tests génétiques aboutirait au mythe de l'enfant parfait. Je ne pense pas que les couples veulent un enfant parfait : ils veulent un enfant qui n'ait pas d'énormes problèmes. Lorsque la maladie est bien prise en charge par un traitement adéquat, les gens ne demandent pas une interruption de grossesse, en tout cas beaucoup moins souvent.

Une maladie grave est un handicap moteur, tel celui que provoque une myopathie, l'enfant se retrouvant en chaise roulante à dix ans avec un risque élevé de mortalité à l'âge de vingt ans. Une maladie grave est un handicap intellectuel sévère, souvent compliqué de troubles du comportement, tels que l'épilepsie. La situation se complique parfois de surdité congénitale. Selon les formes, des surdités congénitales sont appareillables, d'autres ne le sont pas. On peut sans doute décider, à l'instar du diagnostic prénatal, que ce soit débattu au cas par cas en fonction du gène. Le syndrome d'Usher allie surdité et cécité. Permettre un diagnostic prénatal pour des handicaps très lourds doit être proposé.

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Quel est votre avis sur les analyses génétiques post mortem ?

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Jean-Louis Mandel, professeur honoraire au Collège de France

Elles sont essentielles pour les familles. Le jeune sportif qui décède à 25 ans sur un stade meurt souvent d'une maladie génétique prédisposant soit à des cardiomyopathies, soit à des troubles du rythme cardiaque, qui n'ont pas été détectés. C'est la raison pour laquelle le jeune meurt au cours d'un effort. Ces déficiences font partie des maladies à gènes actionnables. Si l'on ne peut procéder à des analyses post mortem, on ignore le gène en cause et, le cas échéant, si d'autres personnes de la famille seraient susceptibles de bénéficier d'un traitement de bêtabloquants, d'investigations du rythme cardiaque, de conseils tels que celui d'éviter les sports violents qui demandent beaucoup d'efforts. L'intérêt des tests post mortem est de savoir de quoi est morte la personne afin d'informer, dans le cadre d'un conseil génétique, les membres de la famille qui connaîtraient le même risque. Ces analyses post mortem sont donc justifiées sur le plan médical.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Professeur, nous vous remercions vivement pour toutes ces informations.

L'audition s'achève à onze heures quarante.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mardi 30 octobre 2018 à 10h30

Présents. – M. Philippe Berta, Mme Blandine Brocard, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, Mme Caroline Janvier, M. Alain Ramadier, Mme Laëtitia Romeiro Dias, Mme Marie Tamarelle-Verhaeghe, M. Jean-Louis Touraine, Mme Annie Vidal

Excusés. – Mme Nicole Dubré-Chirat, M. Jean-François Mbaye, Mme Bérengère Poletti

Assistait également à la réunion. – M. Thibault Bazin