Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 14h10

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • cerveau
  • cérébrale
  • imagerie
  • médicament
  • mémoire
  • neurosciences
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  • éthique
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Mission d'information DE LA CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS SUR LA RÉVISION DE LA LOI RELATIVE À LA BIOÉTHIQUE

Mercredi 7 novembre 2018

Présidence de M. Xavier Breton, président de la Mission

La Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique procède à l'audition commune du Pr. Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève, et de M. Bernard Baertschi, maître d'enseignement et de recherche, Université de Genève.

L'audition débute à quatorze heures dix.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous clôturons notre séquence d'auditions en accueillant le professeur Pierre Pollak, neurologue et chef du service de neurologie des hôpitaux universitaires de Genève, et M. Bernard Baertschi, maître d'enseignement et de recherche à l'université de Genève.

Le développement de la neuro-imagerie, qui permet l'étude du cerveau non seulement sur le plan morphologique mais également fonctionnel a permis, à l'instar d'autres techniques, de développer considérablement nos connaissances dans le champ des neurosciences. Ce domaine soulève de nombreux enjeux éthiques, notamment du point de vue de l'utilisation de données sur l'activité cérébrale d'un individu à des fins judiciaires, de marketing ou de sélection à l'embauche ; il en est de même de la recherche d'une amélioration des activités cérébrales, appelée « neuro-amélioration ». Nous souhaiterions recueillir vos arguments sur ce sujet complexe, afin d'aboutir à une réflexion éclairée.

Je vous donne maintenant la parole à tour de rôle pour un court exposé d'une dizaine de minutes et nous poursuivrons par un échange de questions et de réponses.

Permalien
Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, c'est un honneur d'avoir été convié à participer aux travaux de cette mission d'information. Vous m'avez sans doute invité en tant qu'expert de la stimulation cérébrale profonde, inventée à Grenoble quand j'étais chef du service neurologie, avec le neurochirurgien Alim Louis Benabib. C'est actuellement la seule interface cerveau-machine thérapeutique ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché.

La stimulation cérébrale profonde est donc une sorte de modèle, mais le développement de ses applications cliniques thérapeutiques est beaucoup plus lent que les progrès de l'intelligence artificielle, puisqu'elle est apparue en 1987, il y a trente et un ans. Le comité consultatif national d'éthique (CCNE) a raison de dire dans son avis sur les neurosciences qu'il n'y a pas eu, ces toutes dernières années, d'innovations majeures en termes de procédures, de nature à susciter un débat public éthique. Je proposerai toutefois quelques réflexions sur deux points mentionnés dans le rapport du CCNE et sur deux autres points non mentionnés.

Monsieur le président, vous avez évoqué les progrès de l'imagerie. Ceux-ci sont particulièrement marqués dans le domaine de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) fonctionnelle, laquelle peut être employée à des fins médicales ou de recherche mais aussi pour l'expertise judiciaire. Or le CCNE a exprimé son désaccord sur l'utilisation de l'IRM fonctionnelle à des fins judiciaires, et je l'approuve pleinement. L'IRM fonctionnelle n'a pas une fiabilité suffisante pour être utilisée afin d'évaluer la personnalité, réaliser des tests « de vérité » ou de « mensonge », ou encore apprécier la dangerosité, la culpabilité ou les fonctions mentales. En revanche, une IRM anatomique simple peut être pratiquée pour établir un diagnostic de maladie et éviter un préjudice, comme dans toute expertise médicale. L'IRM comme outil d'examen clinique ou biologique peut très bien être utilisée dans un cadre judiciaire, mais pas l'IRM fonctionnelle.

Concernant la neuro-amélioration, elle suscite de très nombreuses questions éthiques dans notre société consumériste où règnent le culte de la performance et l'individualisme qui ne supporte pas la frustration des désirs personnels.

Il en existe plusieurs moyens.

Le premier moyen est la pharmacologie avec, depuis de nombreuses années, l'usage détourné de psychotropes comme les benzodiazépines, qui sont des tranquillisants. Certaines personnes qui ne sont pas particulièrement angoissées en prennent quotidiennement pour se sentir mieux. D'autres prennent un antidépresseur pour se sentir plus en phase avec ce qu'elles attendent d'elles-mêmes dans leur connexion avec la société. En 1993, on a même parlé d'« effet Prozac » car c'était le médicament le plus vendu au monde. Cela a beaucoup diminué depuis.

J'évoquerai surtout les médicaments de la classe des nootropes censés augmenter l'attention, la vigilance, la mémoire, les capacités intellectuelles. Trois médicaments sont détournés ou peuvent être achetés sur internet.

Le méthylphénidate, un très ancien médicament amphétaminique est actuellement prescrit dans le trouble déficitaire de l'attention avec hyperactivité de l'enfant. Il est autorisé au-delà de six ans mais pas chez l'adulte. Son utilisation est en pleine expansion aux États-Unis. Des études observationnelles indiquent que jusqu'à 20 % des étudiants des campus américains prennent ce médicament, en particulier en période d'examens, et en sont très satisfaits.

Le modafinil est un médicament assez ancien, indiqué uniquement dans le traitement des maladies du sommeil, soit l'hypersomnie idiopathique, soit la narcolepsie, une maladie invalidante d'endormissement en sommeil paradoxal pendant la journée. Le modafinil peut améliorer les capacités attentionnelles chez des personnes en manque de sommeil. Il a été donné à des pilotes et à des soldats lors de la guerre du Golfe. Mais ses effets positifs peuvent se manifester aussi chez des personnes saines, d'où des possibilités de détournement de son utilisation.

Les ampakines, non citées dans le rapport du CCNE ni dans son avis n° 122 dédié à la neuro-amélioration, agissent sur un récepteur du glutamate. Qualifiés de smart drugs, elles peuvent améliorer les capacités de concentration et d'attention, avec des effets indésirables limités, en particulier sur le sommeil, contrairement aux amphétamines et aux fortes doses de café. Aux États-Unis, certains neuroscientifiques ont publié des articles recommandant la prise de ces smart drugs chez des personnes normales en périodes difficiles, notamment, pour les étudiants en période d'examens et pour les chercheurs en période de rédactions d'articles, arguant le fait qu'avec un encadrement médical, les risques étaient mineurs. On est en plein dans le dopage cognitif, avec le risque d'addiction à tous les médicaments du système nerveux.

Quelles recommandations formuler au sujet de l'utilisation de ces médicaments chez la personne normale ?

Il faut d'abord améliorer la connaissance du grand public par une information idoine qui n'existe pas à l'heure actuelle, où il n'y a que la publicité par internet. Les résultats de nombreuses études scientifiques, surtout américaines, devraient être publiés, car elles mettent en évidence des effets tout à fait mineurs et des dangers dans certains domaines de la cognition. On peut très bien améliorer la mémoire de travail et aggraver la mémoire générale ; certaines fonctions peuvent être améliorées au détriment d'autres.

Il faut ensuite améliorer l'information du médecin, éventuellement sollicité par des personnes qui bluffent en alléguant des difficultés de concentration ou réclamant un médicament pour améliorer leurs performances professionnelles dans notre monde de compétition. Aujourd'hui, rien n'est fait en ce sens et la plupart des médecins sont démunis. Aux États-Unis, l'American Academy of Neurology (AAN), a édité un guide des bonnes pratiques cliniques pour les médecins, pour les aider à réagir à des demandes de la part de sujets normaux désireux de prendre des médicaments pour améliorer leur cognition.

Il faut enfin encourager la recherche observationnelle. Sur une population saine, il est impossible de faire des études comme en pharmacologie avec des groupes randomisés, mais les études d'observation n'existent pas en France. Il importe de connaître la proportion de personnes qui veulent prendre ou qui prennent ce type de médicaments, détournés de personnes malades ou achetés sur internet, et il faut mettre en place une veille sanitaire pour suivre de tels sujets. Ce serait le rôle de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).

Au-delà de la pharmacologie, j'évoquerai bien sûr la stimulation électrique.

La stimulation cérébrale profonde, qui n'est actuellement admise que dans trois pathologies, les tremblements, la maladie de Parkinson et la dystonie, c'est-à-dire des maladies du mouvement, est appliquée en recherche dans vingt-cinq indications, mais le danger est grand de leur extension, ce qui nécessiterait un encadrement rigoureux. En effet, on voit des indications comme les troubles du comportement alimentaire, dans un sens ou dans l'autre, des troubles de la personnalité ou la dangerosité. Il a même été proposé dans des troubles de la moralité et pour améliorer la mémoire. Une étude très bien conduite par une équipe américano-israélienne, publiée dans le New England Journal of Medicine, a montré une amélioration des capacités de mémoire spéciales pendant la stimulation chez des patients qui souffraient d'épilepsie mais pas de perte de mémoire. D'où l'idée de stimuler ces zones proches de la structure de la mémoire, la structure profonde de l'hippocampe entorhinale, pour améliorer la mémoire.

Si l'on pouvait améliorer ainsi la mémoire au début de l'apparition de la maladie d'Alzheimer ou dans des formes de la maladie d'Alzheimer purement amnésiantes, ce serait très bien, mais on utilise également cette technique chez des gens sains, d'où la nécessité d'un encadrement rigoureux de cette recherche et de la réalisation d'études précliniques. La plupart du temps, des demandes de recherches cliniques sont déposées sans base préclinique, même chez le rongeur, pour démontrer un effet. Les paramètres de stimulation devraient être bien définis, ce qui n'est pratiquement jamais fait dans la vingtaine de nouvelles indications en cours. Actuellement, on stimule de façon permanente, à une fréquence aux alentours de 100 hertz, pour obtenir un effet. Dans tous les protocoles des nouvelles indications, sont proposés les mêmes paramètres que pour les tremblements ou la maladie de Parkinson, sans aucune étude, alors qu'il faut des années pour trouver les bonnes valeurs. Les intensités électriques, les fréquences, les largeurs d'impulsion, les modalités temporelles de stimulation sont extrêmement complexes à déterminer, et comment le faire dans des maladies telles que la dépression, les troubles du comportement ?

Actuellement, les protocoles sont trop nombreux et insuffisamment fouillés, le rapport bénéfice-risque, n'est pas évalué. Or, c'est une technique risquée, qui entraîne entre 1 et 5 % d'effets indésirables graves, comme un trouble vasculaire lors de l'implantation de l'électrode. Peut-on prendre un tel risque – en pharmacologie, on considère un taux supérieur à 1 % comme énorme – pour traiter certains troubles du comportement ou de la mémoire ? Une évaluation rigoureuse des effets indésirables est indispensable. L'implantation d'une électrode dans le cerveau peut avoir des effets considérables, car le cerveau commande absolument tout. Une erreur de position d'un millimètre peut stimuler une autre zone. Par conséquent, dans ces protocoles de recherche, l'ensemble des paramètres cérébraux de motricité, sensoriels, de la mémoire, des capacités mentales, des émotions, du cerveau social doivent être préalablement étudiées, au très long cours. Or, trop souvent, les études portent uniquement sur le symptôme visé.

D'autres stimulations électriques sont dites non invasives, puisqu'elles ne nécessitent pas de placer une électrode dans le cerveau. La stimulation magnétique transcrânienne consiste à poser une bobine sur le scalp. En forme de huit, elle provoque une stimulation extrêmement focalisée, sur quelques millimètres, capable d'exciter ou d'inhiber toute partie du cerveau. Mais cette stimulation magnétique reste superficielle. Seul le cortex est influencé. Tous les symptômes ont été étudiés, à la fois chez des personnes malades et chez des personnes en bonne santé. Les effets sont inconstants – certaines personnes ont des modifications, d'autres non – modestes, parcellaires et transitoires, seulement quelques semaines après des séances quotidiennes de vingt minutes pendant une à quatre semaines. Elle n'est autorisée que dans le traitement des dépressions mais des dizaines d'autres symptômes sont influencés par la stimulation magnétique transcrânienne. Cet appareil assez lourd, coûteux, est très utilisé dans les protocoles de recherche.

Il faut être attentif au détournement de la stimulation magnétique transcrânienne, car elle est utilisée dans des indications qui n'ont pas reçu l'autorisation de mise sur le marché, telles que des troubles du comportement alimentaire. Vous trouvez à Paris des médecins spécialistes en ce domaine qui le proposent. C'est très coûteux mais, comme c'est impressionnant, les patients se laissent convaincre assez facilement.

La troisième technique est la stimulation transcrânienne en courant continu. Il suffit d'avoir une petite pile avec un plus et un moins et de placer une éponge de part et d'autre du crâne pour envoyer un ou deux milliampères et influencer le fonctionnement cortical. Les matériaux sont beaucoup moins contrôlés que les médicaments. La stimulation en courant direct ne fait pratiquement l'objet d'aucun contrôle. Depuis cinq ans, des sociétés comme Halo Sport ou Foc.us proposent des casques sur internet. Les sportifs s'en sont emparés, car cela améliorerait la motivation. Pour le moment, ce n'est pas considéré comme du dopage, mais cela pourrait l'être à l'avenir. Face aux publicités promettant un meilleur moral, un meilleur sommeil, une meilleure intelligence ou une meilleure mémoire, il faut mieux informer sur les effets bénéfiques et sur les risques, même s'ils sont mineurs.

Les stimulations non invasives étant utilisées pour de nombreux symptômes et chez les sujets sains, il convient de favoriser la recherche sur les effets et, comme pour les médicaments, d'informer le public de ses résultats. À terme, il faudra exercer une vigilance sur le risque de détournement par certains médecins qui se spécialiseraient en stimulation électrique non invasive pour traiter quantité de symptômes et qui trouveraient là une activité lucrative, d'autant que, pour les sujets sains, le traitement ne serait pas remboursé par l'assurance maladie. Et comme l'accès au médecin est déjà difficile, on pourrait assister à une évolution comparable à celle des dermatologues, très nombreux à ne faire que de la chirurgie plastique et à ne plus répondre aux autres demandes.

J'ajoute qu'en dehors même de l'avis du CCNE, il faut être attentif au domaine de la lutte contre le vieillissement. On connaît de mieux en mieux les mécanismes moléculaires et cellulaires du vieillissement. Dans le sang circulent des facteurs de croissance, comme le GDF11 qui, chez le rongeur, est un sérum de jouvence capable de rajeunir de nombreux viscères comme le cerveau mais aussi le coeur. D'où l'idée de transfuser directement ces médicaments, qui n'existent pas encore mais qui existeront bientôt, ou de faire des transfusions de sang de sujets jeunes. L'injection de sang de souris jeunes chez des souris vieillissantes a conduit à une amélioration de leurs capacités globales et cognitives. Une étude sur l'homme a déjà été publiée aux États-Unis. Alors qu'il n'existe aucune étude chez les modèles Alzheimer de souris avec des transfusions de sang jeune, des patients atteints d'un début de maladie d'Alzheimer ont reçu du plasma de donneurs jeunes de plus de 18 ans, mais cela n'a eu aucun effet. Comment accepter de telles études sans bases précliniques solides ? Le cadre strict de la recherche en France devrait l'éviter, mais il faut faire preuve de vigilance. Nous avons tous entendu parler de cliniques suisses qui proposent des injections de cellules souches, parfois avec quelques effets indésirables. Compte tenu de l'amélioration de notre connaissance des mécanismes du vieillissement, cela devient envisageable.

Mon dernier point concerne les progrès fulgurants de l'intelligence artificielle, qui ne figurent pas dans le rapport sur les neurosciences. Il faut mieux préparer les professionnels de santé à vivre avec des machines « super-intelligentes ». C'est le rôle des universités. Je suis à la retraite, mais quand j'étais chef de service, j'enseignais à mes étudiants que le rôle du médecin est d'abord d'écouter le patient, de transcrire ce qu'il dit en termes médicaux puis de consulter les bases de données pour déterminer le meilleur traitement et les examens à faire. Pour la biologie et l'imagerie, nous savons très bien que l'intelligence artificielle réalise de bien meilleures lectures que l'homme. Le médecin intervient pour conseiller la thérapeutique – lui seul sait que tel malade ne peut pas prendre tel médicament – et lui traduire les données des machines « intelligentes ». Nous avons chacun un corps, la machine n'en a pas. Il faudra mettre l'accent sur ce qui est typiquement humain, c'est-à-dire l'empathie, l'altérité, la compassion. Il faudra former plus fortement les médecins à cela tout en maintenant la formation actuelle, car ils resteront responsables de la mise en oeuvre de ce que la machine leur proposera.

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Bernard Baertschi, maître d'enseignement et de recherche à l'université de Genève

Je vous remercie à mon tour pour votre invitation. J'ai au moins deux points communs avec Pierre Pollak : je suis à la retraite et je m'intéresse aux neurosciences. Mais je ne suis pas médecin : je suis philosophe. J'ai enseigné la bioéthique à la faculté de médecine de Genève, où nous avons travaillé dans le même bâtiment, et au département de philosophie de la faculté de lettres. Peut-être m'avez-vous invité parce que j'ai publié en 2009 La neuroéthique, le deuxième ouvrage publié en français sur ce sujet, après celui d'Hervé Chneiweiss, que vous connaissez sans doute aussi.

Autour de 2002, a été ouvert un nouveau chapitre de la bioéthique : la neuroéthique, discipline venue des États-Unis. Le cerveau est un organe particulier, puisqu'il est le siège de la personnalité. Ce n'est pas pour rien que d'anciens débats métaphysiques ont resurgi à l'occasion de l'apparition de la neuroéthique, notamment au sujet des rapports de l'âme et du corps. Le psychologue américain Paul Volpi a pu dire que les conservateurs américains devenaient nerveux quand on leur annonçait que les neurosciences pourraient apprendre quelque chose de l'âme. Plus immédiatement, les questions du libre-arbitre et de la responsabilité sont revenues sur le devant de la scène, en lien avec le juridique et l'éthique. Si nos décisions ne sont que le fruit de processus inconscients se produisant dans notre cerveau, peut-on encore parler de responsabilité juridique et morale ? Faut-il changer nos systèmes juridiques ? Faut-il remplacer les punitions par des peines plus éducatives ? Ces débats qui ne sont pas nouveaux sont revenus, et ils vont se poursuivre.

Mais la neuroéthique nous interroge aussi sur les questions éthiques posées par la pratique des neurosciences. Pouvons-nous, grâce à l'imagerie, mieux comprendre notre comportement moral si nous observons ce qui se passe dans notre cerveau quand nous prenons des décisions morales ou quand on nous soumet des dilemmes moraux ? Des neuropsychologues ont fait intervenir des dilemmes bien connus, tel que la question de savoir si l'on peut sacrifier quelqu'un pour sauver d'autres personnes, que l'on retrouve d'ailleurs en intelligence artificielle. Il existe une panoplie de problèmes, certains nouveaux, d'autres non. Pierre Pollak en a mentionné quelques-uns.

Je passerai rapidement en revue d'autres questions.

Concernant la réglementation, la neurologie est une discipline médicale comme une autre, qui fait intervenir des principes moraux connus, tels que l'autonomie et la bienfaisance, mais aussi des questions particulières dont celle des découvertes fortuites ou secondaires, qui ne concerne d'ailleurs pas uniquement la neurologie. Si un étudiant se prête à une expérience de neuropsychologie dans une IRM fonctionnelle et que tout le monde voit qu'il a une tumeur au cerveau, sauf lui, doit-on l'avertir ou non ? Faut-il le mentionner préalablement dans le formulaire de consentement ? On retrouve les mêmes problèmes qu'avec les découvertes secondaires en génétique, fort discutées actuellement. Comme notre droit européen insiste non seulement sur le consentement mais aussi sur le droit de ne pas savoir, il faut gérer ces questions. D'autant plus que les appareils d'imagerie utilisés dans la recherche psychologique n'ont pas la résolution des appareils médicaux et que l'on peut croire voir des choses alors qu'il n'y a rien. Cela vaut aussi pour les patients. La question doit être approfondie.

À cheval entre la génétique et les neurosciences, dans le domaine de la recherche, on fabrique de plus en plus de mini-organes, dits organoïdes. À partir de cellules souches, on peut produire du tissu cérébral. On a donc des mini-cerveaux très utiles pour étudier toutes sortes de phénomènes. Mais très rapidement se sont posées la question de la capacité de souffrance de ces mini-cerveaux et celle du statut moral de ces organoïdes, d'autant que les cellules souches qui ont produit des neurones sont parfois implantées dans des souris. Dès lors se profile la question des chimères. En droit français et dans d'autres droits nationaux, il est interdit de créer des chimères, mais il y a chimère et chimère. On assiste à un éclatement des possibilités de créer des entités à la fois humaines et pas très humaines, pas vraiment naturelles, des sortes d'artefacts. Certaines de ces entités comportent du tissu cérébral humain. C'est un problème nouveau car le développement de ces organoïdes est en pleine explosion pour l'étude de tous les organes. On peut produire du foie, du rein, etc.

Se pose aussi la question des états végétatifs et des comas. On essaie de mieux caractériser une série de patients dans des états végétatifs en fonction de leur capacité ou de leur incapacité à revenir à l'état normal. Des expériences réalisées par un neurologue américain, Adrian Owen, suggèrent qu'il est possible, par l'intermédiaire de l'IRM, de communiquer avec des gens tombés dans un état comateux ou végétatif, au point que certains se sont demandé si l'on ne pourrait pas échanger avec eux sur les traitements qu'ils souhaitent recevoir ou ne pas recevoir. Restaurer la communication avec des patients en état végétatif renouvelle la problématique du consentement, de l'autonomie et de la bienfaisance. Nous en sommes en grande partie au stade expérimental, car il est difficile de décoder les signaux de l'imagerie.

La neuro-imagerie joue un rôle important dans la médecine prédictive, dans la mesure où elle permet de détecter des anomalies structurelles ou fonctionnelles du cerveau. On essaie de repérer la « signature neurale » de telle ou telle maladie. Détecter ces signatures avant l'apparition des premiers symptômes permettrait d'empêcher le développement de certaines pathologies. Des études existent pour la schizophrénie, la dépression et l'autisme. Dans certains cas, il existe aussi des biomarqueurs d'origine génétique de ces maladies. Ce sont des exemples neuropsychiatriques, mais des chercheurs essaient de trouver aussi des signatures pour certaines « pathologies sociales » comme la psychopathie et la dangerosité.

C'est un sujet auquel la population est sensible. Peut-on prédire la dangerosité des criminels ou leurs risques de récidive ? Il existe une batterie de tests qui n'impliquent pas les neurosciences, mais certains criminologues américains, comme Adrian Raine, s'interrogent sur le gain éventuel apporté par l'utilisation de l'imagerie. Il a mené deux études montrant un doublement de la fiabilité de la prédiction de récidive grâce à l'imagerie. Cependant, je suis entièrement d'accord avec Pierre Pollak : si l'intérêt pour la recherche est évident, l'appliquer au domaine juridique ou judiciaire est une tout autre affaire. Les études donnent des résultats en termes de probabilités. Savoir qu'une personne présente plus de risques que d'autres au sein d'un sous-groupe n'avance pas beaucoup. Toutefois, il y a quelques années, une cour italienne a réduit la sentence d'un accusé porteur du gène MAOA, qui agit sur les neurotransmetteurs et augmente l'agressivité. Considérant que les voies de fait auxquelles cet individu s'était livré étaient en partie dues à ce gène, le tribunal a réduit la peine d'une année. D'autres auteurs ont estimé que la peine aurait dû être aggravée dans la mesure où, le délit ayant des causes d'ordre génétique ou cérébral, la personne ne pourra s'amender et est socialement plus dangereuse qu'un simple psychopathe.

Des données nouvelles font donc surgir des débats éthiques et juridiques. Plus ces données vont se multiplier, et plus se posera la question de la recommandation, voire de l'obligation de traitements préventifs à des personnes chez qui l'on découvrirait de tels éléments. C'est aussi le cas en génétique avec les « gènes actionnables ». Cela consiste, quand on est porteur de certains gènes, à agir pour échapper à une probabilité de maladie, notamment de cancer ou de maladie cardiovasculaire. La même question se posera pour le cerveau si l'on progresse dans la mise en lumière des biomarqueurs.

Pour certains auteurs, on n'est pas loin du contrôle social des individus, puisqu'on devient capable de moduler des émotions. Des études ont montré qu'en augmentant le taux de sérotonine et en diminuant le taux de testostérone chez certains volontaires, on modifiait les réponses aux dilemmes moraux qu'on leur soumettait. On peut moduler les émotions, notamment l'empathie, en modifiant les neurotransmetteurs par l'admission de substances médicamenteuses, en l'occurrence le citalopram, capable de transformer nos jugements moraux. Est-ce un risque pour notre liberté, ou une chance d'accroître celle-ci ? Si l'on n'est plus la victime d'émotions négatives ou agressives, on devient plus libre. Certains auteurs se demandent si l'on ne pourrait pas lutter contre la violence, le racisme et autres pathologies sociales par le biais de neuro-médicaments. Dans l'immédiat, les mesures sociales sont nettement plus efficaces, mais un étage supplémentaire vient s'ajouter à notre panoplie d'interventions possibles, qu'il faudra réguler d'une manière ou d'une autre. On ne peut pas nous manipuler « à l'insu de notre plein gré », comme disait le fameux cycliste français qui habitait Genève (Sourires), mais il est possible de modifier la personnalité ou le comportement de manière plus subreptice. Un ministre précédent avait évoqué le « neuro-marketing ». Depuis longtemps, les psychologues étudient la façon de mieux vendre des produits à toutes sortes de personnes, notamment avec l'agencement des supermarchés. Là encore, les neurosciences et la neuropsychologie ajoutent un chapitre supplémentaire. On pourrait imaginer remplacer la diffusion de musique par la diffusion de substances « acheteuses »…

Dans le domaine juridique, moins toutefois en Europe qu'aux États-Unis où l'on est fasciné par la détection des mensonges, on cherche, après avoir utilisé pendant longtemps le polygraphe, la signature neurale des mensonges pour savoir s'il est possible de déterminer par la neuro-imagerie si des gens mentent ou non. C'est aussi le cas pour les tricheurs aux indemnités. Comment savoir si quelqu'un qui dit avoir mal au dos depuis des années dit vrai ? En connaissant la signature neurale de la douleur, on pourrait le savoir... La fiabilité des témoins est un autre sujet important. On a connu en France un cas de faux souvenirs d'enfants qui racontaient des choses qu'ils n'avaient pas vécues. On essaie là aussi de trouver des signatures neurales pour savoir si des témoins, même de parfaite bonne foi, se souviennent réellement de ce qu'ils disent avoir vécu. On sait très bien que les témoins les plus hésitants lors du premier interrogatoire sont les plus affirmatifs au prétoire. Il est bon que les neuropsychologues étudient ces phénomènes pour s'en prémunir, sinon par la neurologie, du moins par la mise en lumière de biais dont nous sommes tous plus ou moins les victimes. La neuro-imagerie pourrait aussi servir à détecter si une personne a ou non la capacité de consentir, dans des cas douteux.

Je ne parlerai pas du dernier chapitre, relatif à l'amélioration des capacités et des performances, parfois dénommé dopage cognitif, puisqu'il en a déjà été question.

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Monsieur le professeur Pollak, le CCNE, dans son avis de septembre dernier, considère nécessaire d'aborder la question de l'évaluation éthique des projets de recherche en neurosciences. Une telle évaluation est-elle effectuée, ne serait-ce qu'a minima ? Y êtes-vous favorable ? Quels pourraient en être les critères et les modalités pratiques ?

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Vous évoquiez le Human Brain Project, dont le développement est prévu sur dix ans, mais dont je doute qu'il permette de tout connaître du fonctionnement cérébral. Cela me fait penser au projet de Nixon sur le cancer, dans les années 1970. Quarante ans après, il y a toujours des cancers ! Néanmoins, ce projet, doté de moyens accrus, permettra de réaliser des progrès sensibles. Faut-il porter une attention éthique particulière au fur et à mesure de l'accumulation des connaissances ?

Vous avez évoqué le dopage cognitif. Comment se prémunir efficacement des méfaits des psychotropes et des neurostimulants ? La lutte ne risque-t-elle pas d'être aussi difficile que contre le dopage sportif ? Ne risque-t-on pas de se borner à le dénoncer sans obtenir beaucoup d'effets ?

Si mes souvenirs sont exacts, le centre de la mémoire est assez proche du centre des émotions. Les recherches réalisées en matière de neurostimulation n'ont-elles pas donné lieu à des effets inverses ?

Nous savons maintenant que nous gardons, toute notre vie durant, des cellules souches neuronales ayant la capacité de se multiplier afin de compenser telle ou telle zone déficitaire. Voyez-vous là une perspective de recherche avec des conséquences éthiques significatives ?

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Le cerveau est un organe complexe qui, en dépit de toutes les avancées scientifiques, reste mystérieux. Comme vous l'avez rappelé, des techniques de neuro-imagerie permettent de réaliser des analyses qui, il y a peu, étaient encore impossibles. Quelle est la marge de progression de la recherche en matière de neurosciences pour les années à venir ? Quelles applications pratiques pourraient engendrer ces avancées ?

Je souhaiterais évoquer la sismothérapie, que l'avis du CCNE n'aborde que de manière déguisée ou très vague. Des progrès en matière de neurosciences permettront-ils, dans un avenir proche, d'élaborer des traitements médicamenteux ou chirurgicaux à l'action suffisamment précise pour abandonner la technique de la sismothérapie ?

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L'article 4 de la loi de 2011 admet le recours à l'imagerie cérébrale dans le cadre de l'expertise judiciaire. Je m'interroge cependant sur les progrès scientifiques de l'imagerie cérébrale et sur son encadrement. En effet, lorsque l'on contrôle ou que l'on tente de contrôler l'immense avancée de la génétique, on semble oublier que les données issues de l'imagerie cérébrale soulèvent tout autant de questions éthiques fondamentales et peuvent présenter des risques pour les droits de la personne humaine.

Je citerai quelques exemples pour illustrer mes propos et les vôtres, car je ne fais que reprendre vos illustrations. Si une lésion ou une tumeur cérébrale m'est diagnostiquée, suis-je toujours responsable de mes actes ? Lors d'un examen médical du cerveau, peut-on indiquer à un patient qu'il est susceptible de développer une maladie neurodégénérative ? Jusqu'où peut-on changer ou influencer nos comportements en stimulant des parties de notre cortex ? Dans ce type de situation, suis-je toujours la même personne ?

Rassurez-vous, je ne vous demanderai pas de répondre à ces questions. Mais comme nous sommes dans la mission bioéthique, je souhaiterais que vous précisiez votre position au sujet de l'élargissement du champ de compétence de l'imagerie cérébrale dans la loi de bioéthique. Le neuro-droit existe timidement. Peut-on aller plus loin ? Doit-on encadrer les données sensibles et personnelles issues de l'imagerie cérébrale ?

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J'enchaînerai sur le droit. En poussant le raisonnement jusqu'à l'absurde, ne pourrait-on considérer le non-financement de la recherche sur le vieillissement comme de la non-assistance à personne en danger ?

Quant aux machines intelligentes, quand vous les avez évoquées, je me suis dit : est-ce qu'une machine est intelligente ?

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Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève

Monsieur le président, concernant l'évaluation éthique des projets de recherche en neurosciences, je considère que la loi Jardé relative aux recherches impliquant la personne humaine est suffisante. Tout projet doit passer par le comité de protection des personnes, qui a une compétence éthique.

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Bernard Baertschi, maître d'enseignement et de recherche à l'université de Genève

L‘encadrement juridique de la pratique de la neurologie et des neurosciences est déjà bien balisé par les lois existantes. J'ai mentionné les découvertes fortuites pour signaler l'arrivée de quelques nouveaux problèmes, mais il n'y a pas grand-chose à changer sur ce plan.

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Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève

Monsieur le rapporteur, je ne pense pas que le Human Brain Project doive susciter une attention éthique particulière. Son objectif est de modéliser l'ensemble du cerveau et de réunir toutes les données multi-échelles, de la molécule aux données cliniques et sociales. L'important financement européen ainsi consenti doit faire progresser les neurosciences. Le mind uploading n'est pas pour demain. Henry Markram annonce pour 2030 la modélisation complète du cerveau, mais je n'y crois pas du tout. Nous savons depuis de nombreuses années modéliser des colonnes neuronales au niveau du cervelet, parce que c'est un peu plus simple. Plus récemment, on l'a fait au niveau du cortex cérébral mais, vous le savez, toutes les parties du cerveau sont interconnectées et le cerveau est en connexion avec l'ensemble du corps. Je ne crois donc pas qu'il faille des mesures de vigilance éthique particulière.

L'efficacité du dopage cognitif est aujourd'hui mineure. Il n'y a pas de médicament vraiment efficace. Mais des études montrent que, pour certaines personnes normales qui ne se plaignent de rien, sauf d'un manque de concentration et de performances scolaires ou professionnelles insuffisantes, certains médicaments sont bénéfiques. Pour lutter contre le dopage cognitif, j'imagine difficilement qu'on puisse prévoir, au niveau de la société, des dispositions analogues à celles mises en oeuvre pour les compétitions sportives. Mais comme nous sommes dans un monde de compétition, la question se posera. Va-t-on faire uriner tous les étudiants avant les examens ? On sait le nombre de nuits consacrées à l'écriture d'articles scientifiques. Va-t-on envoyer un échantillon d'urine ou de sang en même temps que le manuscrit ? Cela paraît un peu fou, mais il faut y réfléchir au titre du respect de l'égalité des personnes devant la réussite. La réussite scolaire est un élément de la réussite professionnelle, laquelle est un élément du niveau de vie. Dans les études observationnelles américaines, ce sont les étudiants qui réussissent le moins bien qui prennent le plus de médicaments, et c'est dans cette population que cela fonctionnerait le mieux. Peut-être y a-t-il un effet plafond ? C'est dans les universités qui exigent le plus de leurs étudiants qu'on trouve le plus grand nombre de ceux qui prennent des smart pills.

La neurostimulation cérébrale profonde dans la mémoire peut-elle modifier des capacités émotionnelles puisque les centres sont proches ? Dans l'hippocampe, il y a l'amygdale, structure clé de la vie émotionnelle. Dans l'étude publiée par le New England Journal of Medicine, il n'y a pas eu de modification émotionnelle. Des micro-électrodes avaient été implantées pour enregistrer le signal et l'on peut penser que la stimulation était très focalisée. Dans le cadre d'études cliniques sur la maladie d'Alzheimer, une équipe canadienne a déposé un brevet de stimulation du fornix, un pilier important du circuit de la mémoire, pour améliorer la mémoire. Les émotions sont étudiées, mais probablement de façon incomplète. À ce jour, les effets indésirables ont été mineurs.

Quelles sont les perspectives de recherche en matière de cellules souches neuronales ? La stimulation électrique peut augmenter la production de cellules souches chez l'animal. Les antidépresseurs augmentent le nombre de cellules souches dans l'hippocampe. Cependant, cette notion a récemment été remise en doute. Des problèmes méthodologiques incitent à penser que l'effet n'est peut-être pas si important que cela chez l'homme adulte. La vieille notion selon laquelle on ne fait que perdre des neurones est globalement vraie. Mais la perspective de transformation en neurones greffables de cellules pluripotentes induites à partir de cellules souches prises sur la peau et dans le sang méritera attention. Il n'y aura plus de rejet, puisque les cellules auront été prélevées chez la même personne. C'est dans ce domaine qu'il faudra être attentif à l'encadrement, plutôt que dans celui de la repousse de nos propres cellules souches.

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Bernard Baertschi, maître d'enseignement et de recherche à l'université de Genève

Des études américaines montrent que 50 % à 80 % des gens sont favorables au dopage cognitif. Ils prendraient ces produits pour eux et en donneraient à leurs enfants s'ils étaient sûrs. Comme l'a dit Pierre Pollak, nous sommes dans une société très compétitive.

Je rappelle que nombre de grands écrivains du passé, comme Sartre ou Baudelaire, ont pris des dopants cognitifs, et que, dans la génération de 1968, certains pensaient augmenter leur niveau de conscience par l'usage de substances pas très légales. Cela devient plus inquiétant quand l'usage devient quotidien. Pour garder leur emploi, certains n'hésitent pas à prendre des médicaments plus ou moins efficaces. C'est un problème de société qu'il ne revient pas à la neurologie de résoudre. Cela montre l'urgence pour la société de s'en saisir.

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Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève

J'abonderai en ce sens. Le problème de la cocaïne et des amphétamines prises par des personnes occupant des postes à haute responsabilité déborde le champ des neurosciences. C'est une version extrême du dopage cognitif.

Quelle est la marge de progression des neurosciences ? À quoi s'attendre pour l'avenir, dans le sillage des annonces du mouvement transhumaniste ? Imaginer que l'on puisse « booster » le cerveau humain, le mettre sur ordinateur et se passer du corps relève du mythe, ou de la croyance en l'avènement d'un nouvel homme. Ces mouvements procèdent de la volonté de tuer la mort. Actuellement, on sait seulement doubler l'espérance de vie du ver Caernorhabditis elegans, composé de quelques centaines de cellules et dont on connaît parfaitement les neurones, mais les mécanismes moléculaires liés au vieillissement sont en train d'être connus. Ce n'est pas demain que sera inventé le médicament faisant vivre indéfiniment. Nous gagnerons petit à petit en espérance de vie grâce à la lutte contre les maladies.

Je ne suis pas spécialiste en sismothérapie, cette technique employée par les psychiatres. Des études contrôlées, très bien faites, démontrent son efficacité quand aucun autre médicament antidépresseur n'est utile. Son indication est alors tout à fait justifiée. On peut espérer l'apparition de nouvelles techniques et de nouveaux traitements des dépressions résistantes. La stimulation cérébrale profonde a été essayée, plusieurs études ont été publiées, mais pour l'instant, les résultats sont mitigés. Même si elle paraît barbare, la sismothérapie est une thérapeutique agréée et efficace. Elle n'est pas admise en Suisse.

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Bernard Baertschi, maître d'enseignement et de recherche à l'université de Genève

Dans le canton de Genève !

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Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève

Je suis demandé pourquoi. J'ai appris qu'il y avait eu le décès du fils d'une personnalité. Ne pas faire bénéficier de la sismothérapie des personnes qui en ont besoin pourrait donner lieu à des procès. Quand j'étais chef de service en neurologie à Genève, il m'est arrivé d'adresser des patients à Lausanne pour ce traitement.

Est-il éthique ? Les grands principes de l'éthique sont l'autonomie, la bienfaisance – ou la non-malfaisance – et la justice. L'autonomie des personnes : je vous laisse en discuter pour une personne extrêmement dépressive. La non-malfaisance : cette technique est pratiquée sous anesthésie générale et les effets indésirables sont très bien contrôlés. L'égalité : tout le monde est pris en charge, il n'y a pas d'injustice. Je ne pense donc pas que ce ne soit pas éthique.

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Bernard Baertschi, maître d'enseignement et de recherche à l'université de Genève

Il y aurait un impératif moral à pousser la recherche. Ne pas le faire, c'est se priver de bénéfices futurs. La non-assistance à personne en danger est un repoussoir valide pour tous les domaines de la médecine. En réglementant, on limite un certain nombre de choses. On a peut-être tort de le faire mais on n'a pas, a priori, de moyens de le savoir. C'est inévitable.

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Pierre Pollak, neurologue, chef du service neurologie des hôpitaux universitaires de Genève

Concernant le neuro-droit et l'encadrement des données personnelles, l'imagerie cérébrale exige une vigilance particulière puisque, sur une IRM, on peut reconnaître la face de la personne. Même si on anonymise, il faudrait aller plus loin. D'évidence, les données personnelles doivent être totalement encadrées et protégées.

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Bernard Baertschi, maître d'enseignement et de recherche à l'université de Genève

Quant aux risques de la mondialisation, ce n'est pas en neurologie qu'ils sont les plus aigus, mais plutôt dans le domaine de la génétique, où l'on assiste au développement de nouvelles technologies dans des pays qui n'ont pas toujours les mêmes normes que nous. Cela pose un problème d'harmonisation, que nous connaissons déjà à plus petite échelle en Europe puisque la procréation médicalement assistée n'est pas réglementée de la même manière en France, en Belgique et en Espagne. Il faut tenter d'harmoniser cela en sachant qu'on n'y arrivera sans doute pas totalement. Cela étant, je trouve que ce n'est pas totalement négatif. Les différences juridiques d'un pays à l'autre montrent qu'il existe différentes possibilités de réguler une pratique, ce qui nous garde l'esprit plus ouvert que si nous étions tous d'accord.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Messieurs, nous vous remercions. Nous clôturons avec vous cette série d'auditions de notre mission.

L'audition s'achève à quinze heures quinze.

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la conférence des présidents sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Réunion du mercredi 7 novembre 2018 à 13h30

Présents. – M. Xavier Breton, Mme Blandine Brocard, Mme Emmanuelle Fontaine-Domeizel, M. Jean François Mbaye, Mme Agnès Thill, M. Jean-Louis Touraine

Excusée. – Mme Bérengère Poletti