Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du jeudi 15 novembre 2018 à 14h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • bâtiment
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  • logement
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La réunion

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La séance est ouverte à quatorze heures quarante.

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Mesdames, messieurs, merci d'avoir répondu à notre invitation. Avant de passer aux questions, nous vous entendrons successivement, pendant quelques minutes, présenter votre structure ainsi que les freins qui s'opposent, selon vous, à la réussite de la transition énergétique.

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À mon tour de vous remercier, mesdames, messieurs, d'avoir répondu présents à notre invitation. Cette mission d'information vise à identifier les freins à la transition énergétique, afin de trouver les leviers nécessaires. Nous l'avons organisée autour d'un plan en sept points : l'absence de vision à terme, aussi bien pour la production que la consommation énergétique, alors qu'une vision intégrée permettrait à la population de comprendre là où nous allons ; la production des énergies renouvelables – éolien, solaire ou biomasse ; les utilisations de l'énergie dans la mobilité ; le bâtiment et les économies d'énergie, qui constitue le sujet du jour ; la transformation des grands groupes de l'énergie dans les années à venir ; le rôle des territoires, dans la mesure où les nouvelles énergies sont essentiellement territoriales ; enfin, la lisibilité et l'efficacité de la fiscalité énergétique.

Nous vous écouterons avec une grille fiscale, législative, réglementaire, technologique, financière, sociétale et communicationnelle. Nous attendons que vous nous fassiez part de votre diagnostic, que vous partagiez votre savoir-faire et votre compréhension de la situation, et non que vous nous « vendiez votre soupe », pour parler crûment. (Sourires.)

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Je tiens à préciser que cette audition, ouverte à la presse, est filmée et retransmise en direct sur le portail de l'Assemblée nationale ; elle est enregistrée – vous pourrez donc revoir votre intervention et la partager – et fera l'objet d'un compte rendu disponible en ligne.

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Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric

Merci beaucoup, monsieur le président, pour votre invitation.

Le premier grand frein à la transition énergétique en France – pays plus administré que d'autres – est de n'avoir, dans ce domaine, qu'un État régulateur et jamais exemplaire. Dans le bâtiment tertiaire, par exemple, toutes les solutions passives et actives de contrôle de l'efficacité énergétique existent et sont opérantes. Aujourd'hui, il n'existe pas d'acteur du bâtiment tertiaire privé qui ne mette en oeuvre des systèmes de contrôle digital de l'efficacité énergétique et de gestion du bâtiment, alors qu'aucun acteur public ne le fait. Or le bâtiment tertiaire public français représente environ 40 % du secteur, dont presque la moitié en mètres carrés scolaires, avec pas loin de 100 millions de mètres carrés. Les études, notamment celles du Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), montrent que tous les systèmes de gestion intelligente de ces bâtiments, en commençant basiquement par la boucle d'eau chaude, sont de nature à être rentabilisés en moins de deux ans.

Un État qui a pris l'habitude de réglementer le sujet pour les acteurs privés, plus particulièrement dans le secteur résidentiel, et qui est propriétaire d'un stock de bâtiments tertiaires dont il gère plus du tiers, pourrait, par son action, pousser une filière, rénover des pratiques, créer de l'emploi et donner l'exemple à tous nos concitoyens. Imaginez des scolaires ou des adultes qui, en entrant dans un bâtiment tertiaire, verraient les efforts faits pour réduire sa consommation énergétique : n'auraient-ils pas à coeur de suivre cet exemple ? Ce déséquilibre entre la régulation imposée par l'État et son manque d'exemplarité constitue un véritable gâchis. Les collectivités locales sont probablement plus exemplaires que la collectivité nationale sur ce sujet. Cela pose un vrai problème de communication.

Ce premier frein est assorti d'un appendice de comptabilité publique. Une réflexion est à mener sur l'équilibre entre dépenses d'investissement et dépenses de fonctionnement. Il faut revenir sur la place de l'efficacité énergétique dans la comptabilité afin de se donner les moyens d'agir, alors même que la capacité d'endettement n'est pas très élevée. Il pourrait être intéressant de trouver un acteur tiers, comme la Caisse des dépôts et consignations, pour commencer à financer ces actions et, par la suite, les financer par la réduction de la consommation.

Deuxièmement, s'il est nécessaire de légiférer sur le sujet, une fois que la loi a été votée, il faudrait aussi rédiger rapidement les documents de mise en oeuvre et déployer des politiques à court terme. C'est très facile de parler du décret du 9 mai 2017 relatif aux obligations d'amélioration de la performance énergétique dans les bâtiments existants à usage tertiaire, qui nous ramène à une décision prise au début du Grenelle de l'environnement, en 2010. Mais je ne peux pas imaginer que l'on n'ait pas trouvé, en huit ans, des personnes suffisamment compétentes pour le rédiger, sans risque de contentieux. On ne peut que s'étonner que la loi fixe des objectifs à 2030 et refuse tout amendement ou toute vision à 2025. Sans échelle intermédiaire, personne ne respectera jamais l'objectif fixé. Il faut nous donner une graduation dans les engagements, en nous inscrivant dans une logique de progrès à court terme, et non pas définir seulement un but à moyen ou long terme.

Troisièmement, il convient de favoriser les objectifs de résultat plutôt que les objectifs de moyens, ce qui a rarement été fait dans le domaine du bâtiment. Il n'appartient sans doute pas au législateur de définir précisément quel type de solution ou de produit doit recevoir un soutien fiscal dans l'année en cours. En revanche, il pourrait donner un objectif de résultat, pour obtenir une réduction de consommation énergétique. Il faudrait aussi associer les objectifs de création d'emplois et ceux d'efficacité énergétique et de réduction de la consommation, ce qui est loin d'avoir été fait dans le bâtiment.

Quatrièmement, nous devons réfléchir au signal prix, tout en prenant en compte les 10 % de la population qui sont en précarité énergétique, pour lesquels il faut mener des actions essentielles, ainsi que l'ensemble de l'économie électro-énergo-intensive qui a besoin d'être soutenue pour rester dans nos frontières. Pour ce qui est du monde de l'entreprise, mais aussi du logement privé, ce signal prix pourrait être l'objectif qui permettra à un moment ou à un autre de préférer faire travailler l'artisan localement et de réduire sa consommation énergétique.

Enfin, il faut adapter la communication, afin d'inciter les uns et les autres à aller dans le sens de la transition énergétique, sans réduire le débat à la seule question de l'organisation du mix énergétique. Il faut ouvrir la discussion à l'efficacité énergétique de la maison, du bâtiment, du quartier et de la ville, en y intégrant les énergies renouvelables et les capacités d'autoconsommation, qui permettront de voir autrement le sujet, lorsque le digital sera mieux pris en compte par les acteurs publics. Pour légiférer, il est souvent besoin d'avoir une vision à long terme. L'inconvénient du numérique est qu'il impose un peu d'être agile par rapport aux nouvelles solutions, mais il importe de lui faire une place dans les réflexions sur la transition énergétique.

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Hugues Sartre, responsable des affaires publiques de GEO PLC

GEO PLC est un acteur du dispositif des certificats d'économies d'énergie (CEE), depuis 2008. Les CEE existent en France depuis 2006. Ils sont aujourd'hui le seul et unique moyen de notre pays de satisfaire aux objectifs d'économies d'énergie fixés par la directive européenne sur l'efficacité énergétique. Son principe est simple : les vendeurs d'énergie ont l'obligation de soutenir et de financer la réalisation d'actions d'économies d'énergie, sous peine d'amende. Cette réglementation est à l'origine d'EDF Bleu Ciel, par exemple, de GDF Suez Dolce Vita, d'opérations d'isolation gratuites, de distribution d'ampoules LED gratuites ou encore de réfections d'éclairage gratuites. Le dispositif est financé par les fournisseurs d'énergie pour un ensemble d'opérations qui sont définies et contrôlées par l'administration, selon une réglementation très stricte – à titre d'exemple, elle impose aux acteurs des CEE de produire des documents rédigés avec une police précise, en caractères droits, de taille huit…

Le premier frein que nous constatons à la transition énergétique, c'est paradoxalement le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), dans sa mouture actuelle. En effet, lorsque vous faites des travaux éligibles au CITE, le montant de votre crédit d'impôt représente 30 % du montant des dépenses éligibles, au prorata des dépenses réellement assumées. Il faut donc prendre en compte les subventions reçues et les proratiser en fonction des équipements éligibles ou non. Par conséquent, il est impossible de calculer, en amont de la réalisation des travaux, le montant qui sera effectivement perçu un an plus tard au titre du CITE. Morale de l'histoire : les seuls ménages qui peuvent se permettre d'engager des travaux, ce sont les plus aisés. Les rapports montrent que, de fait, les ménages les moins aisés ont moins recours au CITE. La solution est très simple : il suffirait de définir un montant forfaitaire pour les opérations d'économies d'énergie. Au lieu de transformer le CITE en prime et de créer ainsi une « bosse » budgétaire, un montant forfaitaire pourrait être fixé par opération. Cela reviendrait, pour l'État, à coller sur chacune d'entre elles une sorte d'étiquette de réduction : par exemple, 100 euros pour une fenêtre, étant entendu que les fenêtres sont à réintégrer dans le dispositif.

Qui plus est, pour une facture de 10 000 euros de travaux éligibles au CITE, vous devrez déduire le montant des subventions reçues et les aides des fournisseurs d'énergie dans le cadre du dispositif CEE. Autrement dit, les financements privés des fournisseurs d'énergie viennent réduire la dépense de l'État au titre du CITE, alors qu'il ne devrait pas y avoir déduction, mais cumul. Il ne faudrait pas prendre en compte les subventions privées versées par les fournisseurs d'énergie. Ainsi, les ménages bénéficieraient d'un montant forfaitaire et de l'intégralité de leur prime CEE, ce qui créerait un énorme effet de levier, sans augmenter le taux de 30 %, pour accorder un financement supplémentaire aux opérations éligibles au CITE.

Par ailleurs, j'aurais bien aimé m'attribuer la paternité de cette idée, qui revient à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), qui l'a proposée dans un colloque hier, en commençant par citer Malesherbes : « Quand l'administration est secrète, on peut conclure qu'il se commet des injustices. » Nous avons besoin de mettre en place une politique de rescrits, pour les CEE, afin que l'administration réponde aux questions qui lui sont posées, de manière publique, en toute transparence. Dans le cadre du dispositif « territoires à énergie positive pour la croissance verte » (TEPCV), nous travaillons avec plusieurs collectivités auxquelles on versera, en 2018, environ 30 millions d'euros. Toutes nous ont dit qu'elles avaient envoyé des questions à l'administration, à une adresse prévue sur le site, sans jamais obtenir de réponses… Nous avons besoin de ce rescrit pour donner une stabilité aux interprétations.

Le pôle national des certificats d'économies d'énergie détient l'intégralité des opérations réalisées depuis 2006 chez les particuliers. Cela représente une base de données extraordinaire, qui est, pour l'instant, totalement confidentielle. Il suffirait de l'anonymiser, afin de disposer d'une carte nous permettant de hiérarchiser les besoins selon les territoires.

Enfin, chez GEO PLC, nous sommes convaincus que ce qui motivera quelqu'un à passer à l'acte, c'est de pouvoir bénéficier d'une offre clé en main. Il faut intégrer verticalement le « sourcing produit », l'installation, le financement et le service après-vente. Nous, GEO PLC, opérateur de transition énergétique, nous maîtrisons toutes ces briques. Mais, par exemple, lorsque nous allons proposer une offre de rénovation de l'éclairage d'un collège, intégralement financée par les CEE, on nous répondra qu'il faut respecter le code des marchés publics, alors même que la dépense de la collectivité sera nulle. Pour respecter le code des marchés publics, elle devra faire un appel d'offres « produits » sur l'éclairage et un autre appel d'offres pour valoriser les CEE. Par conséquent, elle ne fera rien. L'inadaptation du code des marchés publics aux CEE est un frein pour tous les acteurs publics.

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Matthieu Paillot, directeur général de Teksial

Teksial est une entreprise de deux cents salariés, spécialisée dans le conseil en efficacité énergétique, délégataire CEE pour leurs troisième et quatrième périodes. Notre conviction, c'est que nous devons renforcer l'articulation entre les sociétés privées et le service public de la rénovation énergétique.

Aujourd'hui, les particuliers sont convaincus de la nécessité de franchir le pas : 90 % des Français savent que faire des travaux de rénovation énergétique améliorera leur confort, réduira leur facture, augmentera la valeur de leur patrimoine et aura un impact sur l'environnement. Continuer la pédagogie dans ce domaine ne fera que culpabiliser les Français, sans leur apporter d'informations complémentaires. En revanche, ils ne réussissent pas à passer à l'acte, à cause, nous disent-ils, de la complexité de la mise en oeuvre et de leur difficulté à identifier correctement l'articulation des aides publiques avec leur plan de financement. Aider les Français à franchir le pas, c'est les aider à dépasser ces freins, à trouver des solutions pour déclencher les travaux.

Malheureusement, les entreprises de travaux représentent un secteur économique particulièrement morcelé en France, constitué d'un très grand nombre d'entreprises artisanales, qui, individuellement, ne réussissent pas à faire du marketing de l'offre, alors même que c'est ce qui fonctionne le mieux. Parmi les gros volumes de travaux, il y a les combles – à mettre en lien avec le marketing privé des combles à un euro mené par certains délégataires CEE – et les fenêtres, dont le marché a été fortement stimulé par les industriels du secteur. Le service public de la performance énergétique de l'habitat a pour ambition, quant à lui, d'informer les particuliers de façon impartiale. Si cette information est nécessaire, elle n'est en revanche pas suffisante.

C'est pourquoi nous proposons de mieux faire travailler les entreprises de marketing de l'offre avec le service public de la rénovation de l'habitat, dans la mesure où, ensemble, ils apportent tous les ingrédients nécessaires à l'accélération de la rénovation énergétique. De plus, ce service public dispose d'une connaissance du territoire ; il représente également un rôle de tiers de confiance qui va rassurer les particuliers ; il est garant, enfin, de l'intérêt général. Les entreprises de conseil en efficacité énergétique, en sus de fournir des méthodes marketing, peuvent accompagner les ménages tout au long de leurs travaux, ce que peine à faire le service public, faute de moyens. Selon l'ADEME, environ 1 240 euros sont investis par rénovation énergétique. L'objectif étant d'atteindre plusieurs millions de rénovations énergétiques, nous ne serons pas capables d'investir de tels montants. Or les entreprises privées parviennent, elles, à se financer sur les CEE, sans faire supporter de coût ni à la collectivité publique, ni aux ménages.

Concrètement, nous proposons de favoriser les programmes conjoints d'amélioration de l'habitat opérés par le privé, sous l'égide du service public de la rénovation énergétique, sous forme d'une délégation de service public. Cela permettra de massifier le recours à la rénovation, en ciblant des secteurs entiers de communes, de quartiers et de publics, avec des solutions techniques prédéfinies. Alors que cette collaboration est possible aujourd'hui, elle n'est pourtant pas mise en oeuvre par les collectivités auxquelles elle ne semble pas naturelle. C'est pourquoi il est important de faire de la pédagogie : la méconnaissance d'une telle possibilité représente un véritable frein. La loi qui a créé les plateformes territoriales de la rénovation énergétique parle uniquement du public, sans mentionner la capacité à s'appuyer sur le privé. D'après une étude que nous présenterons au Salon des maires et des collectivités locales (SMCL) la semaine prochaine, les responsables territoriaux en charge de la rénovation énergétique n'imaginent pas qu'existe cette possibilité, à laquelle ils sont potentiellement favorables.

Pour conclure, c'est donc bien un frein culturel qu'il faut lever. Il serait intéressant d'amender la loi à la marge, afin de souligner la possibilité de s'appuyer sur des acteurs privés pour mener à bien la mission de service public, sous la forme d'une délégation de service public. Il faut également encourager les expérimentations locales. Nous avons par ailleurs identifié quelques freins réglementaires. Les locataires étant les parents pauvres de la rénovation énergétique, nous devons restaurer une forme d'incitation aux travaux chez les propriétaires bailleurs, qui ont vu disparaître, il y a quelques années, le crédit d'impôt pour le développement durable (CIDD). Il faudrait enfin réussir à finaliser la transformation du CITE en prime, afin de limiter les problèmes de trésorerie des ménages et de faciliter le passage à l'acte. Une fois cela en place, il sera important de stabiliser le dispositif pour plusieurs années, pour donner de la visibilité aux Français et leur permettre de se l'approprier.

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Bernard Aulagne, président de Coénove

Coénove est une association qui a été créée en 2014, à l'occasion des débats sur la loi de transition énergétique, par des industriels du bâtiment et des énergéticiens, qui ont souhaité apporter leur contribution à cette transition et aller vers un modèle plus sobre, plus décentralisé et utilisant plus d'énergies renouvelables. Nous avons identifié quatre freins principaux.

Le premier frein, c'est l'existence d'un trop grand nombre d'objectifs. Il y a une multitude de textes dotés de dates de référence variables, ce qui n'en assure ni la lisibilité ni la clarté. Pour nous, deux objectifs fondent la transition énergétique : la baisse des consommations d'énergies primaires et le verdissement du mix énergétique, que ce soit par le recours aux énergies décarbonées ou l'évolution d'énergies carbonées, comme le gaz, vers une énergie décarbonée. Les autres objectifs sont essentiellement des objectifs de moyens permettant d'atteindre les macro-objectifs.

Deuxième frein : le poids de la pensée unique électrique, qui laisse croire que c'est l'électricité qui permettra de répondre à tous les maux, alors que nous prônons un mix énergétique diversifié, auquel chacune des énergies apportera sa contribution. Pour faire face au quadruplement des besoins de puissance entre l'été et l'hiver, la France a recours à cette fameuse complémentarité des énergies. Pour rappel, pendant les hivers 2016 et 2017, l'électricité a permis de couvrir à peu près 33 % du besoin de puissance maximal et le gaz 45 %, ce qui prouve l'intérêt de le décarboner pour décarboner le mix énergétique.

Troisième frein : la verticalité des politiques publiques, qui ne permet pas d'atteindre une véritable transition écologique et solidaire. En effet, les bénéfices transverses ne sont pas pris en compte. La méthanisation, par exemple, est une énergie renouvelable, non intermittente et stockable, ce qui la rend particulièrement intéressante. Mais, au-delà de cet aspect strictement énergétique, elle produit des externalités positives, en termes de contribution à l'économie circulaire, de compléments de revenus pour la filière agricole et de modernisation des pratiques agricoles, grâce à la production de digestats permettant de remplacer progressivement les engrais chimiques. Or, ces avantages ne sont pas suffisamment pris en compte dans les travaux sur la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

Quatrième frein : le décollage beaucoup trop lent de la rénovation, un chantier pourtant essentiel pour concrétiser la transition énergétique aux yeux du consommateur. Sur la forme, en termes de pilotage, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) a souligné que l'absence d'appréciation du marché et de mesure des résultats ne permettait pas un pilotage suffisamment motivant, au-delà de l'effet d'annonce de l'objectif ambitieux de 500 000 logements rénovés par an. Aujourd'hui, nous sommes incapables de dire s'il y en a eu 28 000, 32 000 ou 103 000. L'enquête de l'ADEME sur les travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles, qui remplace l'étude de l'Observatoire permanent de l'amélioration énergétique du logement (OPEN), relève d'une bonne démarche. Mais elle a été menée au premier semestre 2017, sur des travaux réalisés entre 2014 et 2016, ce qui nous donne le sentiment de travailler les yeux dans le rétroviseur. Sur le fond, ce que souligne l'étude, c'est que, s'il y a aujourd'hui énormément de gestes que l'on peut classer parmi les gestes de rénovation – elle en relève 5 millions –, seuls 5 % d'entre eux ont conduit à des gains de deux classes énergétiques et 75 % n'en ont fait gagner aucune. Nous sommes bien loin de pouvoir espérer mettre aux normes « bâtiment basse consommation » le parc bâti d'ici à 2050.

S'agissant des pistes, l'enjeu est véritablement le passage à l'acte des consommateurs. Dans la « guéguerre » entre rénovation par étapes et rénovation globale, il faut afficher clairement l'intérêt de la rénovation par étapes. C'est, pour nous, celle qui permet d'embarquer le plus de consommateurs, à condition de proposer un dispositif d'accompagnement et de suivi. Le cahier numérique nous paraît être, pour cela, un excellent outil.

Une autre piste consisterait à privilégier la rénovation par filières. Si la fin de l'énergie fioul a été rappelée hier par le Gouvernement, chaque filière doit faire des efforts pour progresser. Du point de vue du consommateur, c'est, en termes économiques, la meilleure solution.

Enfin, il faut assortir ces différentes solutions d'un dispositif financier cohérent et pérenne pour donner de la visibilité aux ménages qui souhaitent s'engager dans la durée.

En résumé, il est important de restaurer la confiance, de communiquer sur des résultats positifs, de mettre en place un véritable parcours d'accompagnement et d'avoir un dispositif financier visible et pérenne.

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Audrey Zermati, directrice stratégie Effy

Avec Mme Hakwik, nous n'interviendrons pas au nom de nos entreprises, mais du collectif LUCIOLE – acronyme de « L'union pour une consommation intelligente et optimisée de l'énergie » – que nous avons formé il y a un peu plus d'un an. Son objet est de faire connaître le « consommer mieux », qui a trait aux données, au stockage et à l'autoconsommation ; et le « consommer moins », qui a trait à la rénovation énergétique.

S'agissant de la consommation de l'énergie, force est de constater que nous sommes aujourd'hui très loin des objectifs que nous nous sommes fixés dans la PPE. Nous vous avons fait distribuer un document dans lequel nous détaillons les indicateurs dans un tableau. Vous ne trouverez nulle part ce tableau, car on ne compile nulle part l'ensemble des objectifs et leur niveau de réalisation. Je sais que ce sujet vous a été remonté lors des précédentes auditions, donc nous ne nous y attarderons pas, mais il y a un problème de pilotage des objectifs, et c'est peut-être le premier frein à la transition énergétique que l'on pourrait évoquer.

Nous distinguons quatre grandes catégories de freins : les freins réglementaires, les freins économiques, les freins sociologiques et les freins techniques.

Je commencerai par vous présenter les freins réglementaires, puis Mme Hakwik vous présentera les autres catégories.

Sans revenir sur ce qui a déjà été dit, il est possible de s'attarder sur la complexité pour passer à l'acte dans la rénovation énergétique. Une illustration que j'aime rappeler est qu'aujourd'hui, nous comptons six aides au niveau national, distribuées par six canaux différents : le CITE, distribué par Bercy ; les CEE, distribués par des entreprises privées ; l'éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ), distribué par des banques privées ; la TVA à 5,5 % distribuée, si je puis dire, par le professionnel qui vient faire les travaux ; le chèque énergie distribué par le ministère de la transition énergétique et les aides distribuées par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). Ces six aides et six canaux de distribution s'appliquent à six formats d'éligibilité. Il n'y a pas forcément de cohérence dans ce qui est éligible à ces aides. On parle beaucoup des chaudières au fioul en ce moment : elles sont éligibles aux certificats d'économie d'énergie, mais plus au CITE depuis juillet.

Autre exemple des difficultés rencontrées par les ménages pour s'y retrouver, il faut passer par des processus et des guichets différents pour obtenir ces aides. Pour obtenir les CEE, il faut faire la demande avant d'avoir fait réaliser un devis par un professionnel. Pour les aides de l'ANAH, c'est après le devis et avant les travaux. Pour un CITE, c'est après les travaux… Selon l'étude de l'ADEME, 40 % des ménages ne savent pas qu'ils ont droit à des aides pour réaliser des travaux d'économies d'énergie. Aujourd'hui, articuler les différentes démarches représente un véritable enjeu, et nous avons une proposition très concrète à cette fin : à l'occasion de la transformation prochaine du CITE en une prime pour la transition énergétique, articuler cette aide avec les CEE. Une passerelle automatique pourrait être créée, de manière à ce qu'une personne qui demande le CITE de facto les CEE, ce qui permettra d'harmoniser l'instruction de ces aides et donnera de la lisibilité au consommateur.

Le deuxième frein réglementaire est le manque de lisibilité à long terme sur les dispositifs. Les objectifs sont fixés sur cinq ans par la PPE, mais la visibilité sur les dispositifs est d'un, de deux ou de trois ans. Trois ans pour les CEE, six mois pour les aides comme le CITE pour les fenêtres, puisque l'aide a été supprimée partiellement l'année dernière, puis totalement à partir de juillet, et qu'elle sera certainement réintroduite à partir du 1er janvier 2019… Une plus grande constance dans l'application des dispositifs est nécessaire.

Le troisième point est l'incomplétude de la réglementation, qui a été évoquée avec la question du décret tertiaire. Nous avons d'autres exemples tels que le carnet numérique du logement ou l'affichage déporté dans les logements pour les ménages en situation de précarité. Il y a là un enjeu d'efficacité des politiques publiques, qui nécessite que l'administration rende compte au Parlement de l'application des réglementations.

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Natacha Hakwik, directrice générale d'Eqinov

Nous tenons à vous remercier de nous permettre de partager avec vous l'expérience de terrain des jeunes entreprises que nous représentons au sein du collectif LUCIOLE. Toutes ces entreprises sont nées de l'ambition de la transition énergétique.

Je vais vous présenter les freins économiques, sociologiques et techniques. J'essaierai d'aller vite, mais je pense qu'ils sont assez importants pour qu'on leur consacre du temps. Au préalable, il est important de comprendre que la complexité de la trajectoire de transition énergétique tient au fait que l'on n'a pas immédiatement un signal « prix » permettant à chacun des acteurs, qu'il fasse partie de l'ancien modèle ou du nouveau, de saisir immédiatement le modèle économique. Le consommateur ne peut donc pas immédiatement bénéficier de tous les avantages qu'il pourrait tirer de solutions innovantes. Il perçoit bien, depuis une douzaine d'années, un surcoût dans sa facture d'énergie, lié à l'investissement dans les énergies renouvelables que nous avons décidé, mais il ne trouve pas de compensation liée à la mise en place de solutions innovantes lui permettant de réduire sa consommation et consommer mieux, en la maximisant, par exemple, lorsqu'il y a des énergies renouvelables en surplus qu'il faut faire absorber par le système électrique. Aujourd'hui, le consommateur ne voit pas les bénéfices de la transition énergétique, et cela nuit à toute adhésion au processus.

Deuxième remarque préalable, les entreprises, qu'elles soient issues de l'ancien modèle ou du nouveau, ont besoin d'un accompagnement financier des pouvoirs publics. Nous voudrions évidemment tous avoir un modèle économique immédiatement applicable, mais ce n'est malheureusement pas le cas. Nous avons donc besoin d'un soutien financier qui soit transitoire, c'est important, mais qui offre de la visibilité.

Permettez-moi de vous détailler les raisons pour lesquelles le « consommer mieux » dont on parle aujourd'hui ne trouve pas de modèle économique, et pourquoi les entreprises qui portent ces solutions éprouvent de grandes difficultés. La première est qu'aujourd'hui, l'innovation est mal accompagnée, en particulier l'innovation dans l'efficacité énergétique, du fait d'une réglementation extrêmement complexe. Nous pourrons en reparler, des exemples criants existent dans le secteur du bâtiment. Aujourd'hui, l'innovation dans le secteur du bâtiment est très compliquée à faire émerger.

Le deuxième frein relève du pilotage de la consommation, que l'on appelle usuellement l'effacement de consommation. Il y a une dizaine d'années, les pouvoirs publics ont décidé que le consommateur devait participer à l'équilibrage du système électrique et à la sécurité d'approvisionnement en lieu et place des centrales électriques polluantes, au fioul à l'époque, que l'on souhaitait faire disparaître. Il y a eu une volonté politique, mais le soutien financier que l'on a accordé à ces filières, compte tenu du signal « prix » qui était très faible sur les marchés, reste totalement insuffisant, alors même que nous avons toutes les données pour connaître la valeur économique nécessaire pour que la flexibilité de consommation puisse se développer. RTE a considéré que c'était l'outil le plus compétitif jusqu'en 2030 pour intégrer les énergies renouvelables. L'ADEME a fait une analyse technico-économique remarquable dans laquelle elle présente les valeurs économiques, et démontre que, pour le tertiaire ou le résidentiel, il faut aller vers une valeur de 100 000 euros du mégawatt par an. C'est-à-dire que le mégawatt que le consommateur est capable de libérer doit être rémunéré 100 000 euros par an. Or, aujourd'hui, les pouvoirs publics fixent chaque année, dans l'appel d'offres, un cap de prix à 30 000 euros. Il ne faut pas s'étonner de ne pas atteindre les objectifs, alors même que nous avons toutes les données pour fixer le bon niveau de soutien.

Cette incohérence a des conséquences, en particulier pour la sécurité d'approvisionnement. Cela nous a aussi empêchés de prendre des décisions plus rapides sur la fermeture des centrales à charbon, que la flexibilité de consommation électrique aurait pu remplacer. Autre conséquence : puisque nous consacrons 12 millions d'euros par an au soutien financier alors que les Allemands y consacrent 250 millions, nous créons moins d'emplois. Nos sociétés emploient quatre à cinq fois moins de personnes que leurs homologues étrangères. Troisième conséquence : nous subissons une concurrence internationale extrêmement forte sur les solutions innovantes de pilotage de la flexibilité. Le risque à long terme est de nous rendre dépendants non plus du gaz ou du pétrole, mais des solutions intelligentes, développées à l'étranger, de pilotage de la consommation.

Nous proposons de revoir rapidement les niveaux de soutien que l'on accorde aux différentes filières. Je vous ai beaucoup parlé de la flexibilité de consommation, mais c'est également vrai pour beaucoup de solutions innovantes telles que le stockage ou l'autoconsommation. Nous devons nous appuyer sur les rapports qui existent – la France est très forte pour produire des rapports – et les pouvoirs publics doivent prendre des décisions cohérentes avec les recommandations de ces rapports.

Le deuxième frein économique, dont vous a un peu parlé Mme Zermati, est l'importance du reste à charge lorsqu'un consommateur décide de s'engager dans des travaux d'efficacité énergétique. Nous sommes tous d'accord pour que l'État finance 100 % des travaux menés pour les publics précaires. Pour les autres consommateurs, qu'ils soient propriétaires, copropriétaires ou entreprises, il y a un reste à charge. Il faut que leur fiscalité soit adaptée de façon à les inciter à faire les travaux. Nous avons des propositions très concrètes : créer un malus à la vente ou à la location d'un bien immobilier ; prévoir une taxe spécifique sur les chaudières à fioul car, aujourd'hui, une chaudière à fioul reste moins chère qu'une autre chaudière. On taxe le fioul, mais il faut aussi taxer l'achat de la chaudière. À l'instar de l'écoparticipation qui existe pour l'électroménager, il suffirait de créer une écoparticipation particulière sur tous les produits que l'on ne veut plus que les consommateurs achètent. C'est également vrai, dans le domaine de la mobilité, pour les véhicules diesel.

Il convient également de trouver, pour ces consommateurs plus aisés, des mécanismes de tiers-financement. Aujourd'hui, il y a énormément de fonds d'investissement, de banques, de sociétés de services d'efficacité énergétique que nous représentons, et qui sont prêts à financer le reste à charge des consommateurs en se rémunérant sur l'économie obtenue. Le problème est qu'elles font face à des barrières comptables et fiscales très importantes, qu'ont rappelées de nombreux rapports, de la Cour des comptes en particulier. Il faut revoir tout cela pour que ces institutions aient une incitation à financer le reste à charge.

Dernière catégorie de freins, et non la moindre : les freins sociologiques. Nous sommes tous conscients qu'aujourd'hui le consommateur manque de vision claire de la politique française en matière de transition énergétique. Il faut absolument lui donner un plan très clair et suivre les engagements pris par l'État. Quand on cède sur la part de nucléaire ou sur l'écotaxe, il est difficile de convaincre le consommateur de ne pas déroger à ses propres obligations.

Le deuxième sujet est la dilution des responsabilités : il y a, en amont, beaucoup trop d'intervenants chargés de mettre en application les règles édictées, mais cette dilution s'observe aussi en aval, notamment dans les bâtiments tertiaires ou les copropriétés, où personne ne sait qui prend la responsabilité de réaliser les travaux d'efficacité énergétique. Est-ce le syndic, le propriétaire, le locataire, le gestionnaire de bâtiment ?

Je terminerai sur un point qui me tient particulièrement à coeur ; les données. Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à dire que c'est là que se trouve la valeur des services que nous pourrons rendre aux consommateurs demain. Malheureusement, le consommateur manque de confiance vis-à-vis d'opérateurs comme nous quant à l'utilisation de ces données. Il faut absolument que nous puissions nous développer. À l'instar de Google Maps, qui utilise beaucoup de données personnelles sans que personne rechigne à donner son accord, il faut que nous ayons la possibilité de faire valoir au consommateur les bénéfices qu'il peut retirer de nos services, et qu'il nous autorise à accéder à ses données.

Il faut également éviter que les gestionnaires de réseaux régressent dans l'accès aux données, comme on le constate aujourd'hui : alors que l'on accédait directement aux données issues des compteurs, ils sont en train de reprendre le monopole. Il faut absolument que les gestionnaires de réseau nous laissent accéder aux compteurs – avec l'autorisation du consommateur, bien sûr – pour nous permettre d'innover et de trouver la valeur dans la donnée.

Concernant l'interopérabilité dans les bâtiments, beaucoup de choses se font dans le tertiaire, dans le privé, mais nous avons un gros problème d'interopérabilité des systèmes de gestion, qui sont fermés par les gros opérateurs et empêchent toute concurrence de se développer. Il faut rendre l'interopérabilité obligatoire dans le bâtiment pour permettre à des acteurs de proposer un panel d'offres innovantes sans être captifs des gros opérateurs.

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Francis Lagier, président de Promotoit

Promotoit est une association qui a été créée en 2005 pour valoriser le rôle du toit en pente dans le bâtiment. Les approches étaient surtout technico-économiques au départ, elles ont évolué vers une plus grande prise en compte du développement durable à partir des nouvelles réglementations thermiques de 2005 et de 2012.

Aujourd'hui, nous essayons de nourrir ce débat avec huit industriels qui ont les compétences pour travailler ensemble sur des solutions globales de l'enveloppe du bâtiment : Isover, Terreal, Unilin, Wienerberger, Eternit, Edilians, Vmzinc et Velux. Nous ne sommes pas dans une approche produit, mais plutôt une approche globale.

S'agissant des freins techniques, je donnerai l'exemple des combles aménagés. On sait aujourd'hui qu'une maison, pour une surface donnée, consommera beaucoup moins d'énergie si elle a des combles aménagés que si ses combles ne sont pas aménagés, ou que si elle a une toiture plate. L'économie est de 13 %, ce qui est beaucoup. C'est parce que la forme est plus compacte et qu'il y a moins de surface d'échanges avec l'extérieur. C'est assez simple, et la complexité dans ce domaine porte sur la bonne compréhension technique des enjeux qui peuvent exister.

Aujourd'hui, la solution des combles aménagés est pénalisée car on va estimer que la surface habitable, ou surface hors oeuvre nette (SHON), est réduite du fait que dans la toiture en pente, tout l'espace d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre n'est pas compté comme une surface habitable. C'est un élément pénalisant, car les gens sont prêts à investir sans avoir forcément des aides et des subventions, mais encore faut-il qu'ils puissent valoriser cet investissement. Ils le pourront si, demain, la surface est un peu plus importante. Si vous vivez sous les combles, vous savez que toutes les surfaces d'une hauteur inférieure à 1,80 mètre sont valorisées, par exemple parce qu'on y met le lit ou des rangements. Ces petits éléments de réglementation peuvent évoluer. Cela ne coûte rien, et permet au particulier propriétaire de son bien de savoir que les investissements qu'il a faits seront valorisés.

C'était un exemple assez simple, il y en a d'autres dans ce domaine assez technique. Aujourd'hui, on a du mal à comprendre quelles sont les différentes solutions. Une isolation thermique par l'extérieur, par exemple, a un niveau de performance énergétique peut-être plus élevé qu'une isolation par l'intérieur. Mais évidemment, ce ne sont pas les mêmes coûts, car il faut traiter les problèmes d'étanchéité de façon plus importante. Quand on parle d'incitations fiscales, on comprend que beaucoup de foyers aient besoin d'un système qui aide tout de suite à la première action, mais il ne faut pas oublier que dans beaucoup de cas de figure, des actions plus complexes demandent de vérifier d'autres paramètres comme l'étanchéité et la bonne réalisation des interfaces, qui permettent d'avoir une isolation beaucoup plus durable.

Ces aspects techniques montrent qu'une bonne connaissance technique et une bonne participation de toutes les parties prenantes peuvent aussi permettre de faire des choses sans forcément mettre beaucoup d'argent.

L'élément principal, de notre point de vue, est la complexité pour le particulier ou les professionnels chargés de fournir les offres. Aujourd'hui, on ne comprend pas toujours les choses, et le fait de les simplifier ou de les réaliser étape par étape permet de lancer le mouvement. Quand on est propriétaire, on investit dans sa maison. Un locataire ne réagira pas de la même façon. Si le propriétaire se rend compte qu'il pourra mieux revendre son bien parce qu'il aura atteint un certain niveau de performance énergétique, nous aurons des effets psychologiques importants.

Les objectifs de résultats sont tout aussi essentiels. Nous savons tous que les industriels cherchent à tirer la couverture à eux pour les aides, mais, à la fin, nous sommes tous d'accord pour dire que ce qui est important, c'est la performance du bâtiment. Or, il est possible d'identifier de nombreuses aberrations dans les systèmes de subventions, qui aident un jour les panneaux photovoltaïques, un autre jour le bois. Quand la solution globale est analysée, on ne retrouve pas forcément les mêmes conclusions qu'à partir de l'analyse du seul matériau. D'où l'importance d'avoir la totalité des acteurs autour de la table. La performance ne s'obtient pas avec un type de matériau seulement, mais avec tous les matériaux.

Au-delà de la rénovation énergétique, il ne faut pas oublier le confort thermique d'une maison. Un exemple tout simple : notre association compte parmi ses membres des fabricants de fenêtres de toit. Si vous équipez votre toiture d'une fenêtre de toit, vous vous réjouissez du gain de luminosité, sans que cela apporte forcément grand-chose sur le plan thermique. Mais, par un système d'aération habile, vous pouvez, à partir de fenêtres de toit, faire descendre de quatre ou cinq degrés les températures d'été, donc réduire la facture de climatisation. Quand on regarde les choses de près, il y a des conséquences très directes, que l'on mesure facilement, mais aussi des conséquences indirectes, y compris sur la consommation énergétique.

La partie technique est certes complexe, il y a une attente pour réduire la complexité des aides, mais la vision d'ensemble est importante pour que la personne qui va investir, même si elle est soutenue par l'État, sache que son investissement sera valorisé.

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Marie Meyruey, consultante affaires publiques

Je souhaitais revenir rapidement sur l'accompagnement des ménages pour les travaux, car c'est une question primordiale. Nous réalisons chaque année un petit baromètre dont il ressort que le manque d'informations est le premier frein à la réalisation des travaux de rénovation – nous pourrons vous faire parvenir ces résultats. Un rapport parlementaire de 2016, signé par François de Rugy, démontre que le système d'accompagnement actuel du service public de la performance énergétique de l'habitat apporte beaucoup d'informations, mais présente beaucoup de lacunes pour l'accompagnement personnalisé des ménages, alors même que c'est ce qui permet de lever les freins. Les 1 240 euros par rénovation que mentionnait Matthieu Paillot représentent les coûts d'accompagnement de l'ADEME, pas le coût des travaux. Si l'on doit accompagner chacun des ménages qui habitent les 15 millions de logements mal isolés du parc français en payant 1 240 euros d'argent public, il faudra plusieurs centaines de milliards d'euros avant que nous n'ayons tout rénové.

Pourtant, les entreprises privées disposent de réserves de conseillers experts en efficacité énergétique qui peuvent fournir gratuitement cet accompagnement aux ménages grâce au système des CEE, et de manière personnalisée. La collaboration entre acteurs publics et privés est la clé pour réussir vraiment à massifier la rénovation de logements.

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Madame Hakwik, vous avez mentionné le tiers-financement. Vous dites aussi que nous n'allons pas assez loin dans la définition de la loi de transition énergétique. Pourriez-vous clarifier les améliorations que vous souhaitez ?

Plus globalement, vous insistez sur certains enjeux, par exemple l'exemplarité de l'État. Lorsque l'on rénove un lycée ou un collège, on fait de l'éducation du public, et c'est certainement un levier très fort, auquel je crois beaucoup. Tout le sujet de la multiplicité des aides et de la difficulté des consommateurs à y accéder est également bien identifié.

Il m'intéresserait d'entendre les acteurs que vous êtes sur la question des filières. J'interroge beaucoup sur ces questions car je suis députée de Haute-Savoie, et lorsque l'on s'intéresse à une rénovation chez les professionnels, il existe un écart de qualité, de visibilité et d'accessibilité financière extrêmement important. Depuis dix ou vingt ans que l'on tente d'aller vers la rénovation énergétique, quelles seraient, selon vous, les leçons à tirer du passé – sans vouloir réguler le marché – quant à l'organisation des filières ?

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Dans le parc locatif résidentiel comme dans le parc tertiaire, il faut mener des actions importantes, notamment contre les « passoires thermiques ». Il s'agit d'ailleurs d'un engagement présidentiel.

Vous avez évoqué la possibilité d'un malus lors de la vente d'un bien immobilier classé comme passoire thermique. Pensez-vous que ce serait suffisamment incitatif ? Ou pensez-vous qu'il faille aller jusqu'à interdire la location ou la vente d'un bien qui ne respecterait pas les obligations d'économie d'énergie, ou jusqu'à imposer au propriétaire de prendre à sa charge le coût des dépenses dès lors que son bien est considéré comme une passoire thermique ?

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Madame Zermati, vous avez évoqué les compteurs déportés pour les ménages les plus modestes. Aujourd'hui, les compteurs Linky et Gazpar sont prévus pour tous les utilisateurs. J'aimerais avoir votre avis sur la question des compteurs de chauffage dans les immeubles collectifs.

Monsieur Paillot, vous avez évoqué les changements de fenêtre par les industriels, est-ce que cette aide est efficace ?

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S'agissant des certificats d'économie d'énergie, pouvez-vous nous dire s'ils sont autant utilisés qu'il serait possible ? En tant que maire, je les ai utilisés pour faire rénover l'école municipale, et il a fallu dépenser beaucoup d'énergie administrative pour récolter 2 000 euros sur un projet de 700 000 euros !

Vous avez dit que le décollage des rénovations était lent, mais vous n'avez pas dit pourquoi.

Pour les isolations extérieures, je suis d'accord avec vous, mais est-ce que le côté esthétique n'est pas un vrai frein ? C'est peut-être une raison qui retarde le décollage des rénovations : pour d'anciennes maisons qui ont un certain cachet, isoler de l'intérieur réduit les surfaces, isoler de l'extérieur serait meilleur, mais ce n'est pas beau. Avez-vous des solutions ?

Je n'ai pas compris grand-chose à la question de l'effacement des consommations. Pourrions-nous y revenir ?

Monsieur Vermot-Desroches, vous dites que l'État n'est pas exemplaire, pourtant beaucoup de choses sont faites par les communes, les départements…

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Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric

Ce n'est pas l'État…

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Il y a des rénovations de bâtiments publics au niveau des collèges, des mairies, qui sont assez exemplaires.

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Le dernier rapport de l'Inspection générale des finances sur les aides à la rénovation énergétique pointe de nombreux freins qui empêchent d'atteindre nos objectifs en la matière. Un élément principal ressort : la mauvaise articulation des aides. En effet, bien que les aides disponibles pour la rénovation énergétique soient pour la plupart cumulables, la complexité de leur mise en oeuvre semble dissuader l'ensemble des protagonistes. Avez-vous une idée pour rendre tout cela plus lisible, compréhensible et digeste pour nos concitoyens ?

Quelles sont votre vision et vos attentes concernant la transformation en prime du CITE ?

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Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable de Schneider Electric

La réponse à cette dernière question est très simple : les aides sont cumulables, mais tous les processus sont différents. Vous dites qu'en tant que maire, c'est un processus important pour obtenir 2 000 euros. Pour qui veut cumuler des aides, il y a des procédures à suivre au moment du devis, des dossiers qui sont tous différents. Donc vous pouvez cumuler les aides, mais jamais par le même chemin. Or, on ne peut passer sa vie à faire des démarches administratives. Il devrait y avoir une clarification du processus d'obtention d'aides, avec un guichet unique pour des aides de nature complémentaire – on pourrait même imaginer qu'elles se fondent l'une dans l'autre pour simplifier la démarche.

Il me semble également que l'on devrait évoluer vers la recherche d'objectifs de résultat plutôt que d'un contrôle des moyens. Il est impossible d'avoir une réponse globale pour savoir s'il faut, pour tel ou tel bâtiment, refaire ou non la façade, remplacer ou non les fenêtres. Si nous allions vers une vraie logique de recherche d'efficacité, si l'aide était liée aux résultats plutôt qu'aux moyens, la donne serait grandement simplifiée, et nous trouverions localement l'acteur qui accompagne, qui soit l'ensemblier. C'est d'ailleurs ce que fait l'ADEME, et peut-être devrait-elle, sur le sujet, améliorer son expertise.

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Audrey Zermati, directrice stratégie Effy

Concernant les filières, il y a effectivement un manque de transparence sur le coût des travaux. Dans un document que nous vous transmettrons, nous proposons que le Médiateur de l'énergie – qui fournit des comparaisons entre les offres des fournisseurs d'énergie – puisse voir sa compétence étendue à la rénovation énergétique et assure cette transparence des coûts.

S'agissant du bonus-malus, il y a, dans la vie d'un logement, des moments clef, tels que la mise en location ou la mutation, pour réaliser des travaux. Il y a 800 000 mutations par an. Il faut donc qu'un signal soit envoyé à ces moments-là. On parle du bonus-malus depuis quelque temps déjà. Une réflexion doit être menée sur la nécessaire implication des notaires, des agents immobiliers et, plus globalement, de tout le monde de l'immobilier, en faveur de la rénovation énergétique. Une somme dédiée à la réalisation de ces travaux pourrait être séquestrée au moment de la transaction. Enfin, pour que les propriétaires soient incités à réaliser des travaux et que ces travaux entraînent une valorisation patrimoniale du logement, encore faut-il que les étiquettes que sont les diagnostics de performance énergétique (DPE) aient un sens. Nous sommes donc très satisfaits que ces diagnostics soient désormais opposables.

S'agissant de l'affichage en euros, il existe effectivement des compteurs communicants comme Linky et Gazpar. Je parlais plutôt de l'affichage déporté en euros pour les ménages précaires. Cette obligation figurait dans la loi de transition énergétique pour la croissance verte et devait donner lieu à un décret qui n'a toujours pas été publié.

Eu égard à l'individualisation des frais de chauffage, il faut absolument responsabiliser le consommateur. Disposer d'informations sur les frais de chauffage individuels dans le logement collectif est un enjeu, le collectif privé représentant 4,5 millions de personnes. Nous sommes très en retard par rapport à nos voisins sur cette question : beaucoup d'entre eux sont déjà équipés à 95 %, contre 25 % en France. L'information ne suffit pas pour inciter le consommateur à baisser sa consommation, mais c'est la première étape pour le sensibiliser.

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Bernard Aulagne, président de Coénove

S'il y a lenteur au décollage, c'est d'abord parce que le marché de la rénovation est extrêmement compliqué. Il n'y a pas deux rénovations qui se ressemblent. Il faut donc quasiment faire du sur-mesure. On est face au tandem infernal de la complexité et des coûts : complexité des travaux et du montage financier et coûts afférents.

Une des causes principales de ce dont parlait Mme Riotton est la carence originelle du DPE. Ce n'est que maintenant qu'on vient de réformer sa méthodologie de calcul et de le rendre opposable, mais jusqu'alors, c'était tout et n'importe quoi. Dans le neuf, c'est facile : vous partez de zéro, vous respectez la RT2012, vous avez des plans et vous faites ce qu'il faut. Dans la rénovation, si vous n'avez pas au départ une photographie fiable pour pouvoir élaborer des projets de travaux et les montages financiers qui vont avec, vous partez avec un vrai handicap. Je ne dis pas que la fiabilisation et l'opposabilité du DPE vont répondre à toutes vos préoccupations, mais elles vont dans le bon sens.

Faut-il créer un argus des travaux pour s'y retrouver dans les devis ? À partir du moment où on améliore la « photographie » des logements, on peut effectivement aussi améliorer la communication sur les rénovations qui marchent au lieu d'attendre que des numéros de Que choisir ? ou de 60 millions de consommateurs pointent les rénovations qui ne marchent pas. Cela fournira au consommateur des éléments plus précis pour lui permettre, en fonction de son cas de figure, d'engager des travaux.

La fiabilisation en cours du dispositif « Reconnu garant de l'environnement » (RGE), chantier qui n'est pas simple, devrait permettre d'éviter que les signes de qualité soient dévoyés par des entreprises malhonnêtes.

Enfin, s'agissant du bonus-malus, je rejoins tout à fait ce qui a été dit. Les enjeux sociétaux sont extrêmement importants. Il faut donc laisser un peu de temps au consommateur et continuer à l'inciter avec des aides mais à un moment donné, il faudra également passer par des voies plus contraignantes pour responsabiliser les propriétaires concernés.

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Hugues Sartre, responsable des affaires publiques de GEO PLC

Le temps est venu d'avoir un argus du bâtiment et des travaux publics (BTP), comme il existe un argus automobile. Je ne sais pas si c'est à la puissance publique ou aux acteurs privés de s'en occuper, mais cet argus pourrait être décliné localement. Nous traitons tous les jours de milliers de devis sur lesquels nous avons l'intégralité des tarifs. Il est donc possible de proposer rapidement des données concrètes qui soient consultables en ligne.

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Dans le secteur automobile, ce sont les acteurs privés qui ont établi cet argus. C'est à la profession de le faire. Je le dis car on nous reproche parfois une trop grande présence de l'État et de la puissance publique.

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Hugues Sartre, responsable des affaires publiques de GEO PLC

Vous avez raison ! La filière du BTP est la seule qui résiste encore et toujours à l'« ubérisation ». Des initiatives sont prises mais le constat qu'on dresse sur le terrain reste identique depuis de très nombreuses années.

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En Haute-Savoie, dans les zones tendues où les prix de revente au mètre carré ne dépendent pas du fait que les logements soient rénovés ou non, on a beau avoir un DPE – bon ou moins bon –, les travaux ne sont pas valorisés puisqu'il n'y a pas d'élasticité-prix. C'est aussi un sujet de réflexion. Je le dis mais je ne veux pas passer pour autant pour quelqu'un qui veut réguler le marché.

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Audrey Zermati, directrice stratégie Effy

D'où, justement, l'idée du bonus-malus. Pour résoudre le problème que vous évoquez, seule l'obligation sera efficace. En zone détendue, la rénovation commence à avoir un effet sur la valeur patrimoniale des logements, mais en zone tendue, vous avez raison, qu'un bien soit de classe énergétique A ou G, il se vendra facilement. On pourrait donc prévoir qu'en 2030, lorsqu'un logement n'est pas rénové, une somme doive être séquestrée pour financer cette rénovation.

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Hugues Sartre, responsable des affaires publiques de GEO PLC

J'ai un point de vue diamétralement opposé sur le bonus-malus. Il a été institué dans le secteur automobile – or, l'année dernière, on n'a jamais immatriculé autant de SUV ! Cela montre bien la limite du système.

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C'est surtout en région parisienne qu'on a acheté des SUV !

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Hugues Sartre, responsable des affaires publiques de GEO PLC

Exactement. Un système de bonus-malus sera considéré, tant par l'acheteur que par le vendeur, comme une taxe supplémentaire sur la cession ou la location. Cela risque de rigidifier un marché qui l'est déjà : il y a quelques millions de mètres carrés vides dans Paris parce que de nombreuses personnes ne veulent pas louer, compte tenu des difficultés que cela peut représenter. Je serais curieux d'entendre les grands bailleurs, tant sociaux que privés, sur le sujet.

Enfin, monsieur le rapporteur, vous souligniez la difficulté que vous aviez eue à obtenir des certificats d'économie d'énergie (CEE) pour votre mairie. C'est ce qui me pousse à dire qu'il faut réformer le code des marchés publics. Quand la puissance publique territoriale se place en acheteur, il est logique de s'appuyer sur ce code. Dans l'hypothèse où il y a subvention, comme c'est le cas dans le cadre des certificats, il faut permettre aux entreprises privées de proposer des offres clef en main aux collectivités pour leur faciliter les choses. Je citerai à cet égard la démarche de la région Rhône-Alpes avec les plateformes territoriales de rénovation énergétique. La puissance publique a confié au secteur privé le soin de développer les plateformes et services nécessaires aux mairies et antennes recevant du public. Elle n'a rien fait elle-même : elle a collecté les documents nécessaires et a demandé au secteur privé de s'occuper de tout le reste. Cette méthode-là fonctionne.

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Matthieu Paillot, directeur général de Teksial

Je voudrais tout d'abord soutenir la proposition d'Hugues Sartre concernant la nécessaire simplification de l'achat public. Lorsque des investissements sont couverts en tout ou partie par des CEE, les montants restant à payer sont très faibles et, malgré tout, les procédures administratives de consultation restent relativement lourdes.

Les fenêtres, monsieur le rapporteur, ne sont évidemment pas le dispositif le plus efficace pour réduire la consommation d'énergie d'un logement. Je l'avais pris comme exemple de la capacité du secteur privé à emporter des décisions – pas toujours rationnelles, je vous l'accorde. La question est d'actualité avec l'énième révision du CITE. Elle illustre aussi l'importance de cibler les aides sur les travaux efficaces et la nécessité d'accompagner les ménages pour remettre en cause leurs idées reçues. Encore aujourd'hui, malgré les débats sur le CITE, si vous demandez aux Français quelle opération de rénovation énergétique déclencher chez eux, 43 % d'entre eux citeront malheureusement les fenêtres. Le besoin de pédagogie et d'accompagnement demeure à cet égard.

Quant aux aides, elles sont complexes. Il conviendrait d'en assurer la distribution par un guichet unique – public ou privé – car la prime énergie, la future prime qui remplacerait le CITE et les autres aides existantes donnent lieu à des démarches diverses et variées auprès de plusieurs administrations et de plusieurs acteurs. Il y a peut-être moyen de créer des autorisations d'obtention de ces aides pour le compte du particulier. En tout cas, il est nécessaire de simplifier ces aides et de faire en sorte qu'elles soient versées au moment des travaux – pour éviter les besoins de trésorerie –, qu'elles soient fléchées vers les investissements les plus efficaces et qu'elles soient stables dans la durée. Il y a quand même énormément d'allers-retours d'un projet de loi de finances à l'autre en la matière.

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Francis Lagier, président de Promotoit

Dans la filière du bâtiment, il y a beaucoup de petites entreprises, notamment pour la rénovation des maisons et des petits logements collectifs. Or, quand le carnet de commandes de ces entreprises est rempli, leurs devis augmentent, tandis que lorsqu'il est vide, leurs devis baissent. La complexité du chantier est appréciée à chaque fois par des techniciens qui n'ont pas forcément le même background. Ce n'est donc pas un annuel des prix qui résorbera les différences de prix, mais plutôt le jeu concurrentiel. Si plus d'entreprises font de la rénovation, les prix baisseront. Il est très difficile de trouver des artisans quand on veut faire des travaux.

S'agissant des changements de fenêtres, les aides sont efficaces puisque les volumes de vente ont crû. Ce n'est pas à moi de dire quelle performance énergétique ces changements de fenêtres permettent.

En ce qui concerne l'isolation par l'extérieur, le problème ne se pose pas pour les couvertures – on voit de plus en plus de rénovations effectuées sur un support existant comme le shingle – mais il se pose pour les murs, dans les cas très particuliers que vous avez cités, et qui sont quand même très rares dans le logement collectif ou individuel.

Enfin, pour ce qui est du bonus-malus, d'expérience il faut oublier l'idée du malus car il ne sera pas efficace. On a besoin que les gens – qui n'ont parfois qu'une résidence principale – investissent dans la promotion privée. Si vous les pénalisez, vous les dissuaderez de le faire. Le malus est risqué et je ne crois pas que nous y soyons culturellement prêts.

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Natacha Hakwik, directrice générale d'Eqinov

Le tiers-financement est un système complexe dans lequel le tiers qui investit se rémunère sur l'économie financière réalisée par le consommateur grâce aux travaux d'économie d'énergie effectués. Il faut que cette économie soit prévue, mesurée et garantie, sans quoi l'investisseur prend un risque. Cela pose un problème technique, mais aussi des problèmes comptables aux entreprises : une entreprise ayant recours à un tiers financeur pour réaliser des travaux d'efficacité énergétique ne peut déconsolider cet investissement dans ses comptes, les normes IFRS – International Financial Reporting Standards – imposant à l'entreprise de grever sa capacité d'endettement alors même qu'elle a fait des travaux d'efficacité énergétique qu'elle n'a pas l'habitude de faire au jour le jour. Ces règles sont un véritable obstacle à l'engagement des consommateurs dans la démarche de tiers financement alors que cette dernière présente pour eux un intérêt majeur : les consommateurs n'ont pas à débourser un centime pour financer le reste à charge, le financement étant assuré par l'économie d'énergie. De nombreux rapports d'experts, dont ceux du plan « Bâtiment durable » et de la Cour des comptes, ont été rédigés à ce sujet et formulent des préconisations très intéressantes. Enfin, pour que l'investisseur ait envie d'investir auprès de consommateurs dans les travaux d'efficacité énergétique, il faut absolument qu'il y soit incité fiscalement. Il faut rediriger les fonds d'investissement vers le développement durable et l'efficacité énergétique, ce qui passe par une fiscalité incitative.

En ce qui concerne l'effacement, je vais essayer d'être plus claire que je ne l'ai été. Il est étonnant que l'effacement paraisse complexe alors que c'est la France qui en a inventé le concept avec les tarifs « effacement jour de pointe » (EJP) que nos grands-mères ont connus et que tout le monde a malheureusement oubliés aujourd'hui. L'idée était d'inciter le consommateur, par une tarification intelligente, à faire baisser sa consommation les jours dits de pointe, c'est-à-dire les jours où le système électrique est sous tension. Les tarifs EJP, qui étaient un peu statiques et imposaient beaucoup de contraintes aux consommateurs, sont en voie d'extinction aujourd'hui.

En 2006, le numérique et l'innovation ont amené les pouvoirs publics à inventer une notion d'effacement de consommation plus dynamique : on ne demande plus de manière statique au consommateur de faire baisser sa consommation pendant de longues heures, mais uniquement quand le système en a réellement besoin, en s'appuyant sur le numérique. Le consommateur reçoit par SMS ou par téléphone la consigne de faire baisser sa consommation pendant quelques minutes ou quelques heures et en contrepartie, il récupère une rémunération financière qui fait baisser sa facture d'énergie. Le rapport Poignant-Sido de 2010 souhaitait que l'effacement se développe progressivement pour accompagner l'essor des énergies renouvelables et le déclassement des centrales à fioul.

Depuis, les lois successives ont instauré un « appel d'offres effacement », confié à Réseau de transport d'électricité (RTE). Chaque année, RTE lance un appel d'offres et fixe le volume de mégawatts que les consommateurs devront s'engager à libérer au moment où le système électrique en a besoin. En compensation, RTE leur verse une prime. Cela fait dix ans que cet appel d'offres est lancé chaque année mais malheureusement, le niveau financier accordé à cet appel d'offres est complètement déconnecté des besoins des consommateurs et n'est donc pas suffisamment incitatif. Les chiffres, repris par l'ADEME, sont connus au niveau international. Dans l'industrie, il faut que le mégawatt soit entre 30 000 et 60 000 euros par an pour qu'un gisement émerge. Dans le tertiaire, le niveau se situe entre 60 000 et 100 000 euros ; dans le secteur résidentiel, il est au-delà de 100 000 euros. Mme Battistel pourrait très bien vous en parler puisqu'elle a fait un rapport il y a deux ans sur le secteur résidentiel, dans lequel elle évoquait ce niveau d'investissement – et vous-mêmes connaissez parfaitement le sujet. Aujourd'hui, le niveau a été fixé à 30 000 euros par mégawatt par an, ce qui explique que l'on 2 gigawatts et non pas les 5 gigawatts prévus par la PPE pour 2018. Cependant, si on prévoit en 2015 dans la PPE d'atteindre 5 ou 6 gigawatts entre 2018 et 2023, il faut prévoir aussi le niveau de soutien financier connu dans la littérature.

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Je vous remercie, mesdames et messieurs, de votre participation à cette table ronde, de vos remarques et de vos propositions. Si vous le souhaitez, vous pouvez nous transmettre d'autres informations ultérieurement. Je le répète : cette table ronde était filmée et diffusée en direct et peut être revue sur le site internet de l'Assemblée nationale.

La séance est levée à seize heures quinze.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 15 novembre 2018 à 14 h 30

Présents. – M. Anthony Cellier, M. Vincent Descoeur, M. Julien Dive, M. Bruno Duvergé, Mme Véronique Riotton

Excusés. – Mme Nathalie Bassire, M. Christophe Bouillon