Commission des affaires européennes

Réunion du mercredi 5 décembre 2018 à 14h05

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CFP
  • ETS
  • coopération
  • technologie

La réunion

Source

Mercredi 5 décembre 2018

Présidence de Mme Sabine Thillaye, Présidente de la Commission

La séance est ouverte à 14 h 04.

I. Communication de Mme Carole Grandjean, référente de la commission des affaires sociales, sur la proposition de règlement sur l'évaluation des technologies de la santé (E 12773)

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Mes chers collègues, vous trouverez dans vos dossiers la fiche d'impact simplifiée établie par le Gouvernement sur le règlement sur l'évaluation des technologies de la santé, le courrier que j'ai adressé à la Commission européenne au titre du dialogue politique, ainsi que la réponse de cette dernière. Madame la référente, vous avez la parole.

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Cette communication va me permettre de vous faire part du travail de dialogue politique entre notre Assemblée et la Commission européenne sur un sujet qui est depuis une semaine en pleine actualité. En effet, la question des technologies de santé et de leur réglementation est au coeur du scandale des « implants files », une enquête menée par le Consortium international des journalistes d'investigation et cinquante-neuf médias qui porte sur les dispositifs médicaux et qui pointe l'absence de contrôle du système actuel dans toute l'Europe.

Nous avons, le 8 mars dernier, sur mon rapport, examiné la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l'évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 201124UE. On entend par « technologies de la santé » les produits pharmaceutiques, les fournitures médicales, les équipements et dispositifs médicaux, mais aussi les actes médicaux et chirurgicaux, ou encore les systèmes de gestion et d'organisation utilisés dans la prévention, le dépistage, le diagnostic, le traitement et la rééducation. L'évaluation des technologies de la santé (ETS) est une évaluation systématique de leurs propriétés, effets etou impacts, réalisée par des organismes spécifiques. Cette ETS permet d'évaluer les conséquences directes ou indirectes, intentionnelles ou non intentionnelles, des technologies de la santé et a pour principal objectif d'informer les décideurs. C'est donc un outil fondamental de la politique de santé publique.

Pour la Commission européenne, la coopération volontaire des États en la matière a atteint ses limites – lenteur des procédures et retards dans l'innovation et accès aux produits – et il faut donc accroître l'engagement des États membres en renforçant la mise en commun des ressources et l'échange d'expertise. Il s'agit en quelque sorte de créer un « marché unique des technologies de la santé » qui évite aux développeurs d'avoir à satisfaire aux exigences nationales en matière de données probantes et leur permettent ainsi de diffuser plus rapidement leurs produits. La Commission européenne propose d'instaurer une procédure contraignante de reconnaissance de quatre types de travaux : les évaluations cliniques communes, les consultations cliniques communes, l'identification des technologies de santé émergentes, ainsi que les coopérations volontaires des autorités nationales dans les domaines qui ne relèvent pas de la coopération obligatoire. Une fois approuvée, l'évaluation clinique commune d'une technologie de santé devrait donc être obligatoirement reprise par les États membres qui procèdent à l'évaluation de cette technologie.

Le 8 mars 2018, notre commission a, d'une part, considéré que le texte était contraire au principe de subsidiarité et empiétait sur les compétences nationales des États en matière de fixation des prix des médicaments et des dispositifs médicaux ; elle a d'autre part estimé que le caractère obligatoire de la participation au processus d'évaluation ainsi qu'à l'utilisation des résultats, était contraire à l'article 168-7 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui précise que « l'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les responsabilités des États membres incluent la gestion de services de santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui leur sont affectées ».

Bien que cette proposition de résolution européenne n'ait malheureusement pas pu devenir la position définitive de l'Assemblée, nous avons amorcé un dialogue politique sur ce sujet avec la Commission européenne, puisque la Présidente Thillaye a écrit au commissaire chargé de la santé, M. Vytenis Andriukaitis, ainsi qu'au premier vice-président, chargé des relations interinstitutionnelles, M. Frans Timmermans, afin de faire valoir nos arguments tant sur le fond que sur la forme. Mme Elżbieta Bieńkowska, commissaire en charge du marché intérieur et non de la santé, a répondu de manière détaillée à nos différents arguments le 1er août dernier.

La Commission européenne ne considère pas que son texte contrevient au principe de subsidiarité. Les médicaments et les technologies de la santé sont considérés comme des produits qui doivent bénéficier de la libre circulation comme les autres, c'est pourquoi l'utilisation de l'article 114 du TFUE paraît légitime à la Commission. Elle ne considère pas non plus que le texte contrevient à l'article 168, paragraphe 7 du TFUE.

Au Conseil, les positions sont très divisées et aucune majorité ne se dégage vraiment. La position de la France n'a pas évolué sur le fond depuis l'adoption de notre proposition de résolution. Elle est résolument en faveur de la coopération en matière d'ETS - c'est important de le dire clairement - et elle est d'ailleurs partie prenante du réseau de coopération qui fonctionne très bien depuis 2003, avec des évaluations conjointes sur la base du volontariat, et un transfert de méthodes. Ce réseau – dont font partie l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France, qui ont des méthodologies fortes en matière d'ETS – permet aux autres pays, qui sont preneurs de transfert de technologie et de travail sur les masses communes, de bénéficier de son expertise. Mais dans ce cadre, si le travail est commun, les critères pour évaluer ensuite les ETS sont propres à chaque État membre.

La Commission européenne reste à ce jour très attachée au caractère obligatoire de l'évaluation alors que plusieurs pays, France, Allemagne, Grande-Bretagne mais aussi Danemark, Suède, République Tchèque, Pologne, peut-être bientôt l'Italie, y sont totalement opposés. En effet, pour ces derniers, la cotation d'une technologie de la santé est non seulement propre à chaque pays mais elle a aussi une incidence majeure sur la politique des prix et la politique de santé publique. Il y a une disparité entre les États dans l'appréciation de l'innovation, due notamment à des aspects culturels. Par exemple, au Royaume-Uni, un nouveau médicament contre le cancer qui apportera une survie améliorée de trois ou quatre mois, ne sera pas considéré comme une amélioration, alors qu'il le serait en France. A contrario, en France on ne reconnaît pas les innovations galéniques, mais ce n'est pas le cas partout ; il y a des pays où celles-ci sont considérées comme des améliorations. On peut donc comprendre que les autorisations de mise sur marché soient réglées au niveau de l'Union, car il s'agit de mettre sur le marché des produits qui circulent, d'autoriser la commercialisation d'un médicament. Les médicaments sont considérés comme des produits en Europe depuis les années 1960, avec une libre circulation et une harmonisation des produits. Mais les ETS c'est autre chose : il ne s'agit pas juste de savoir si le médicament a le droit de circuler, mais d'évaluer le service médical rendu et donc son taux de remboursement. Il s'agit de coter par rapport à la meilleure stratégie thérapeutique en fonction des résultats démontrés, de la gravité de la maladie, des alternatives thérapeutiques, etc.

En France, la Haute autorité de santé procède à l'ETS et cote l'amélioration du service médical rendu (ASMR) via une échelle de 1 à 5, une ASMR 5 indiquant une efficacité égale à ce qui existe déjà sur le marché national, et une ASMR 1 signalant une innovation majeure à forte valeur ajoutée. En général, 80 % des dossiers ont une ASMR 5 ; une ASMR 1 est très rare, ce fut le cas par exemple du Glivec dans le cadre du cancer du sang. L'avis de la Haute autorité de santé est transmis au Comité économique des produits de santé (CEPS) et aux caisses de sécurité sociale pour déterminer si elles remboursent. Le ministre fixe ensuite le niveau de prix selon l'avis du CEPS, sachant que si pour une ASMR 5, le produit n'est remboursé que s'il est moins cher que la concurrence, pour une ASMR 1, le laboratoire est en position de force par rapport à l'État pour fixer ce prix.

Enlever aux États la possibilité de porter une appréciation sur la cotation de l'amélioration du service médical rendu, cela signifie donc leur enlever la maîtrise de leur politique de remboursement et donc de leur politique de santé publique, alors même que le texte ne règle pas la question du risque d'influence des lobbies. Je crois personnellement qu'il nous faut en effet être très prudent sur ce point. L'actualité nous montre, avec les « implants files », que le risque est réel en matière de dispositifs médicaux et il est sans doute réel pour toutes les technologies de la santé.

Or, la rédaction actuelle du projet de règlement ne permet pas de s'assurer contre le risque de conflit d'intérêts. La rédaction de l'article 6 laisse la possibilité de voir les intérêts économiques primer sur les intérêts de santé publique et la santé des patients dans trois alinéas. À l'alinéa 8, il est prévu que l'évaluateur transmette le projet de rapport d'évaluation clinique commune et le rapport de synthèse au développeur de technologie de la santé concerné et fixe le délai dans lequel le développeur peut présenter ses observations ; à l'alinéa 9, il est proposé que le sous-groupe veille à ce que les parties intéressées, y compris les patients et les experts cliniques, aient la possibilité de présenter des observations pendant l'élaboration du projet de rapport d'évaluation clinique ; l'alinéa 1, enfin, précise que l'évaluateur tient compte des observations formulées par le sous-groupe. En l'état actuel de la rédaction du texte, la place accordée aux développeurs dans le processus d'évaluation n'est pas suffisamment encadrée. Cette remarque vaut aussi pour les patients, qui peuvent être la cible des industriels qui leur « vendent du rêve », et qui ensuite peuvent se retourner contre les autorités si les technologies ne tiennent pas leurs promesses. Il faut une vision globale et s'assurer que la décision finale n'est pas trop influencée par quelque groupe de pression que ce soit. Le contexte actuel plaide pour la plus grande prudence et la mise en place d'un volet régulation fort et efficace pour s'assurer que l'intérêt des patients soit primordial et passe avant les intérêts des industriels et les intérêts économiques. C'est ce que nos concitoyens attendent : ils veulent une Europe qui les protège et qui protège leur santé.

La France apporte son soutien aux amendements qui visent à lutter contre les conflits d'intérêts, sans beaucoup de succès jusqu'à présent ; la commission compétente du Parlement européen, qui globalement soutient le texte, n'a pas supprimé lors de son examen la place offerte à l'industrie pharmaceutique dans l'organisme d'évaluation des technologies de santé proposé par la commission. Elle ne rejette pas en bloc le texte, qui contient des dispositions intéressantes, par exemple, les consultations précoces, qui permettront aux développeurs de technologies se trouvant au stade du développement de demander un avis aux autorités d'ETS sur les données probantes susceptibles d'être demandées plus tard dans le cadre d'une évaluation, ou encore l'étude annuelle d'identification des technologies émergentes censées avoir une incidence majeure sur les patients, la santé publique ou les systèmes de soin.

Mais la France est contre le caractère obligatoire de la participation aux ETS, et, surtout, de la reprise des résultats. Il faut vraiment éviter que les intérêts industriels priment sur les intérêts de santé publique. Elle refuse également que le résultat de l'ETS lie tous les États, et ce d'autant plus que le caractère obligatoire n'est pas indispensable pour accroître l'engagement des États membres et renforcer les échanges et la mise en commun. Ces échanges existent depuis plus de 20 ans dans le cadre de la coopération volontaire que la Commission pourrait pérenniser, par exemple en renforçant ses moyens et en définissant des critères de base ou minimum à prendre en compte pour les ETS nationales. Le partage et l'utilisation des ETS nationales avec les États membres disposant de capacités moindres pourraient ainsi se faire sur une base volontaire et ne requerraient pas un caractère obligatoire. Les États membres pourraient s'engager à rendre obligatoire la mise à disposition des ETS (cliniques ou complètes) auprès d'autres États membres qui pourraient ainsi les reprendre et les adapter s'ils le souhaitent. L'objectif d'amélioration de la disponibilité des technologies innovantes serait atteint sans contraindre les États. Je le répète, la France n'est pas contre le projet de règlement en soi, c'est le caractère obligatoire qui pose problème. Chaque pays doit pouvoir déterminer ce qui relève ou non de la solidarité nationale et de la politique de santé publique, car l'ETS enclenche la procédure de remboursement et de prix.

C'est une bonne chose que la Commission européenne souhaite soutenir la coopération en matière d'évaluation des technologies de la santé et l'innovation ; il nous faut d'ailleurs créer des pôles d'excellence dans ce domaine, je pense en particulier à la question de l'autisme. Mais il ne faut pas se tromper de méthode. Le passage en force, sur une base juridique très contestable, ne peut pas fonctionner. Et il est d'autant plus critiquable qu'il contrevient à l'ambition du Président Juncker de mieux légiférer, en promouvant non pas la contrainte mais les projets communs.

Ceci étant, l'avenir du texte est d'autant plus incertain que les députés européens de la commission de l'environnement et de la santé publique ont, de leur côté, soutenu le caractère obligatoire des évaluations cliniques communes. Selon mes informations, il y a peu de chance que le texte dans ces conditions aboutisse avant la fin de la présidence roumaine, et même finlandaise. C'est donc une affaire à suivre !

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C'est un sujet important, on veut favoriser l'innovation au service des patients, tout en s'assurant de la qualité des produits et des dispositifs mis sur le marché. On a besoin, par rapport aux niveaux d'exigence différents dans chaque État membre, d'aller vers une harmonisation. Quelles sont les propositions faites en matière d'autorités ou d'organismes qui vont s'assurer de la qualité des évaluations qui sont réalisées ? Même si elles sont volontaires, il faut s'assurer de la qualité de ces évaluations.

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Je comprends qu'on va évaluer des outils. Il y a de plus en plus d'objets connectés dans le domaine de la santé et la tendance est d'aller vers un échange des données de santé au niveau européen pour travailler sur les maladies rares. Comment faire si nous ne sommes pas tous d'accord sur la façon d'évaluer les données ?

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Vos questions montrent l'intérêt qu'on a à promouvoir une coopération à l'échelle européenne, pour avancer dans la recherche et la prise en charge, via la coopération par pôles d'excellence, notamment.

Le premier point relève de la question de la gouvernance et du pilotage. Il y a une double articulation au niveau de la gouvernance. Il y a un groupe constitué d'États membres qui peuvent contribuer à la détermination des critères. Il y a aussi des sous-groupes avec des experts dans le domaine médical. On voudrait s'assurer, pour ces derniers, d'éviter les conflits d'intérêts et faire en sorte que le choix des experts permette de limiter la place des lobbies. Le même problème se pose en France, malgré une attention renouvelée à ce sujet et les normes récemment votées en la matière. Il demeure compliqué de vérifier qui travaille pour un lobby. C'est encore plus compliqué de mener les investigations au niveau européen. Les sujets d'actualité nous amènent à garder notre vigilance à ce sujet.

Pour ce qui est des objets connectés et des données, cette coopération entre États membres est aussi nécessaire. Nous ne souhaitons en rien nous opposer à cette coopération européenne. On voudrait même aller encore plus vite et plus fort, notamment en matière d'échange des données, dans le contexte du Règlement général de protection des données. Néanmoins, la question des critères de qualité vient mettre des mesures qui iraient trop loin pour la France, notamment en matière de subsidiarité. Il y a, dans notre discussion avec la Commission, une vraie volonté de faire avancer la coopération en matière de santé, mais avec des garde-fous en matière de conservation des compétences nationales.

II. Communication de M. Christophe Jerretie, rapporteur pour information, sur le Cadre Financier Pluriannuel (CFP)

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Depuis mai, notre groupe de travail sur le cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne a initié un travail de réflexion et d'analyse des propositions de la Commission européenne pour les perspectives financières de 2021 à 2027. Avant de vous présenter au début de l'année 2019 le rapport et ses propositions plus concrètes, je souhaitais, avec Jean-Louis Bourlanges, vous donner aujourd'hui l'état de la discussion en cours, ainsi que nos premières perspectives pour les mois de négociations encore à venir. Il est impossible de couvrir tous les sujets dans une seule communication, aussi ai-je proposé que le groupe de travail revienne régulièrement rendre compte, avec des communications, devant la Commission des affaires européennes, des avancées de la négociation. Je vais évoquer deux points principaux. Je vais commencer par revenir sur les conditions déterminantes du débat sur le CFP. J'identifie, à ce stade, trois éléments majeurs : la question du Brexit, celle des élections européennes, et enfin, de manière plus technique, l'unanimité requise pour adopter le règlement du CFP. Dans un second temps, je vous parlerai des propositions de la Commission et de nos premiers éléments de positions sur les propositions de la Commission elles-mêmes.

La première partie concerne le Brexit. Temps fort de la vie institutionnelle de l'Union, la discussion de la programmation budgétaire pluriannuelle est toujours longue et difficile. Les négociations des deux derniers cadres financiers pluriannuels ont mis plus de deux ans à aboutir. Aujourd'hui, avec le Brexit, on pourrait aller au-delà de ça. La difficulté supplémentaire à intégrer cette fois est majeure : le départ prochain d'un de ses principaux contributeurs nets, le Royaume-Uni. Le manque à gagner pour le budget de l'Union devrait être de 10 à 13 milliards d'euros par an. La Commission européenne a du faire des coupes dans son budget et accroître, d'un autre côté, la contribution des États membres. Je veux insister, en passant, sur l'opportunité historique du départ du Royaume-Uni pour la suppression la plus rapide possible des rabais. D'autres États se sont engouffrés, introduits dans cette brèche, et ont réclamé à leur tour la réduction de leur contribution. Le Brexit est une opportunité de remettre à plat l'ensemble de ces éléments inéquitables dans la contribution de chaque États membre. La proposition de la Commission européenne vise une réduction du rabais en cinq ans. Nous voulons aller beaucoup plus vite et proposons de limiter le temps de suppression du rabais.

Le deuxième élément majeur du débat est l'articulation problématique de l'adoption du CFP et des mandats du Parlement européen et de la Commission.Cette donnée inhabituelle s'ajoute au calendrier de la discussion du cadre financier, durant lequel interviendront donc les élections européennes, ce qui ne manque pas de compliquer ce débat. Aujourd'hui, il y a bien une proposition sur un CFP sur 7 ans, de 2021 à 2027, qui aurait pu aboutir avant les élections, selon le Président de la Commission, mais qui aurait été contraire aux exigences démocratiques. Il a donc été proposé un nouveau tempo d'une durée de cinq ans plus logique et en phase avec le tempo des élections des députés européens. Mais cette proposition de la Commission ne fait pas encore l'objet d'une prévision détaillée de mise en oeuvre. On pourrait imaginer que les prochains Cadres financiers pluriannuels de cinq ans soient proposés puis discutés pendant les deux premières années du mandat de la Commission et du Parlement européen, et qu'ils s'appliquent lors des trois années d'après, ainsi que pendant les deux premières années du mandat suivant. Ainsi, chaque Parlement aurait à la fois l'opportunité et le temps, pendant sa mandature, de discuter des grandes orientations budgétaires, de suivre leur mise en oeuvre initiale et d'en voir l'effectivité. C'est une proposition, une évolution qui pourrait être réalisée. Je pense qu'il est nécessaire de recadrer les institutions avec la démocratie et le temps démocratique.

Par ailleurs, la présidence de la Commission avait un temps envisagé que sa proposition puisse être discutée et adoptée avant les élections européennes. À cette assurance peu réaliste a succédé, depuis quelques mois, le choix de discuter sur des « boîtes de négociations », c'est-à-dire de discuter sur des sujets précis pour avancer sur ceux faisant consensus d'une part, et de relever les blocages et difficultés sur ceux qui ne font pas consensus, uniquement dans la construction des outils et non pas sur le volume financier. Cette approche très constructive a été engagée par la présidence autrichienne et doit être saluée. Nous espérons que la semaine prochaine, lors du Conseil européen des 13 et 14 décembre, nous aboutirons à des échanges importants sur ce sujet car, selon que les outils sont figés ou bien construits, il est plus ou moins facile de négocier les volumes financiers.

La troisième difficulté pour l'adoption du CFP est un élément technique extrêmement contesté, il s'agit de l'unanimité. Les grandes orientations de la prochaine programmation budgétaire devraient être actées avant les élections européennes, pour la réunion du Conseil européen de mars 2019, et les discussions des montants avoir lieu avant décembre 2019. Les négociations sont toujours plus difficiles quand on travaille pour adopter un CFP à l'unanimité et non à la majorité. Le Groupe de travail préconise d'aller vers une adoption à la majorité, si nous voulons surmonter les blocages, les idéologies individuelles, les choix nationaux. En effet, au moment de passer à la caisse, les logiques nationales reprennent trop vite le dessus. La seule manière institutionnelle de les dépasser est que l'unanimité devienne la majorité.

Au-delà de ces trois éléments qui sont constatés dans les discussions sur lesquels nous faisons des propositions, je voudrais évoquer le coeur du sujet, la forme et le fond des ambitions de la Commission pour le budget 2021-2027.

On entend beaucoup que la proposition de la Commission pour 2021-2027 souffre d'un manque d'ambition tant pour les dépenses que pour les nouvelles ressources propres. Pour revenir à la proposition de la Commission dans sa forme, il faut saluer les efforts de lisibilité et de simplification administrative. À titre d'exemples, le passage de 58 à 37 programmes, ou l'introduction d'un corpus réglementaire unique pour sept Fonds de l'Union en gestion partagée, qui devrait être mis en oeuvre pour la gestion et l'attribution de ces fonds, sont des avancées importantes de simplification. Parallèlement, les dispositifs de flexibilité sont accrus. L'examen à mi-parcours, qui avait été réclamé et obtenu en fin de négociation par le Parlement européen pour le cadre financier européen précédent, est intégré. C'est une donnée de départ du nouveau CFP.

En ce qui concerne le fond de la proposition, on a retenu trois grands principes à renforcer : la synergie, la solidarité, et la substituabilité.

La synergie signifie que ce budget devrait être un outil nous permettant de mettre en commun des dépenses qui seraient mieux réalisées ensemble à l'échelon européen et qui emporteraient une réelle valeur ajoutée de l'Union européenne. Ainsi, on peut citer, parmi les dépenses qui auraient vocation à être réalisées par l'addition des budgets européens et nationaux, par des moyens de décisions partagés, celles dans les domaines de la transition énergétique, ou de la création des infrastructures.

Le deuxième point est une substituabilité plus poussée. On remarque qu'il y a une nécessité de substituabilité beaucoup plus forte qui permettrait, pour certaines dépenses bien identifiées sur quelques politiques d'envergure, de les retrancher des budgets nationaux. Cela conduirait à éviter des doublons, chaque pays ayant déjà assez de mal à monter ses budgets nationaux. Il est nécessaire de passer à une substituabilité plus poussée pour aboutir à un budget européen. Je pense par exemple aux secteurs de la défense, ou de l'enseignement supérieur, qui gagneraient à cette mutualisation plus forte des financements d'une part, et à un fonctionnement plus en réseau d'autre part. On pourrait alors imaginer de communautariser les moyens.

La solidarité est à la base du projet européen. On l'oublie bien souvent. Elle irrigue à juste titre sa concrétisation budgétaire. Elle va à l'encontre de calculs « boutiquiers » qui visent à récupérer les montants investis dans la construction au quotidien du budget européen. Il faut prendre conscience qu'il est nécessaire de faire table rase de ce que nous avions, de ce que nous pouvions avoir et de ce que nous devons avoir. Aujourd'hui, nous ne pouvons envisager notre destin sans ce budget européen, sans l'Europe. L'exemple du Brexit n'est peut-être pas l'exemple à suivre.

Pour cette première communication, après les grandes lignes, je vais vous donner des détails sur les interventions sectorielles. En matière de dépenses, j'évoquerais, en premier lieu, les politiques régionales et les politiques de cohésion mises à mal par les propositions de la Commission. Il nous semble que la position française devrait être plus forte sur ces sujets et défendre de façon plus marquée, plus claire la politique de cohésion.

Le deuxième sujet est la PAC, que plusieurs collègues de notre commission défendent avec talent. Pour la PAC, qui est la première politique véritablement intégrée au sein de l'Union, des diminutions sont également à attendre. Il nous faut évidemment défendre cette politique, mais il faut également avoir le courage de la réévaluer, région par région, de mesurer son efficacité réelle sur le terrain pour les agriculteurs. Le groupe de travail insistera sur l'importance de la PAC et complétera les propositions de nos collègues de la commission sur cette politique.

Enfin, en ce qui concerne les recettes, nous ne pouvons que le déplorer, force est de constater que ce n'est pas lors du prochain CFP que sera relevé le défi des nouvelles ressources propres pour l'Union. Là encore, la règle de l'unanimité freine beaucoup trop les progrès de l'intégration, retardant l'indispensable harmonisation fiscale. Seule la contribution au budget d'une partie des recettes du marché des droits d'émission de carbone présente aujourd'hui de réels caractères de solidité et d'opérationnalité. C'est un élément à pousser. On en espérait plus après les nombreux appels des ministres à doter l'Union de véritables recettes communautaires. En revanche, on peut cibler certains éléments. On en a ciblé un majeur, prioritaire et primordial pour l'avenir, c'est celui d'une assiette commune pour l'imposition des bénéfices des sociétés. On y intégrerait tout ce qu'on évoque sur la taxe sur le numérique. Il nous faut aller vers une convergence sur la fiscalité. Nous, parlementaires, devons faire avancer le combat sur les recettes. Une fraction de cette future assiette commune pourrait servir de base à une ressource propre de l'Union, tout en contribuant à de meilleures conditions d'égalité fiscale entre les États membres.

En conclusion de cette communication, je dirais que nous sommes dans l'actualité sur beaucoup de sujets comme l'Ecofin, le Brexit, le contexte social et le contexte politique de tous les pays. Le travail est long, dur et obligatoire. Si la temporalité et la spatialité sont bonnes, nous avons besoin de prendre des décisions. Une fiscalité doit être juste. Au niveau européen, nous devons aussi être justes sur les recettes et les dépenses que nous voulons.

M. Pieyre-Alexandre Anglade, vice-président de la commission, remplace la Présidente Sabine Thillaye.

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Merci pour cette communication qui aborde de nombreux sujets essentiels. Le budget devant être le reflet d'une volonté politique, le CFP 2021-2027 doit être validé par le prochain Parlement européen, cela ne fait pas de doute. Je suis favorable au fait de caler la durée du cadre avec celle du mandat du Parlement européen. Cependant, un cadre à cinq ans étant à trop court terme pour donner une direction à plus long terme comme celle sur la transition énergétique, quelles réflexions sont menées pour parvenir à un cadre, encore plus large que celui de cinq ans, qui définirait une vision stratégique à plus long terme ?

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Avez-vous réfléchi au fait d'avoir une action plus déterminée au niveau de l'Europe sur la fraude et l'évasion fiscale, sur la constitution d'une véritable liste noire des paradis fiscaux, une liste crédible, sérieuse, incluant des pays européens qui trafiquent et volent la richesse de la population ? Les détournements qu'on constate sont autant d'argent qui pourrait servir aux services publics des État européens.

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Les conclusions du rapporteur Christophe Jerretie sont l'expression du groupe de travail tout entier qui a travaillé en étroite solidarité. Les principes qui sous-tendent son action sont clairs. Tout d'abord, une idée démocratique. Nous estimons que c'est au futur Parlement européen et à la future Commission d'être porteurs du CFP. Il aurait été paradoxal qu'un Parlement finissant adopte un cadre qui serait appliqué pendant des années tandis que le Parlement suivant aurait regardé les trains passer. Deuxièmement, il y a une solidarité. Nous sommes profondément d'accord sur les orientations nouvelles définies par la Commission, sur tous les enjeux, dont la sécurité. Troisièmement, nous considérons que ce n'est pas parce qu'on fait des choses nouvelles qu'il faut abandonner les anciennes. Ce n'est pas parce qu'apparaissent des nouveaux enjeux que la PAC doit être une variable d'ajustement, ce qui nous conduit à développer une démarche de subsidiarité Nous voulons que passent au niveau européen les dépenses pouvant être allouées avec plus d'efficacité et d'économie. Un développement des dépenses communautaire n'est pas un développement global des dépenses publiques mais un transfert du niveau national vers le niveau européen. Dernier point, le rapporteur a évoqué avec force la question des ressources. Nous sommes attentifs à ce qu'il y ait des avancées significatives en matière de ressources communautaires, la variable majeure d'innovation à laquelle nous sommes attachés étant l'impôt sur les sociétés. Je me réjouis que les groupes partagent ces préoccupations et priorités. Voilà ce que je voulais dire en appui de notre sympathique, compétent et énergique rapporteur.

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Lors de la dernière réunion dite du « Triangle de Weimar » à Varsovie, nous avons pu constater que les parlementaires allemands n'avaient pas la même approche que les parlementaires français sur l'évolution de la PAC dans le cadre de la négociation du futur CFP. Comment parvenir à un compromis entre le point de vue des Allemands qui veulent plus de flexibilité dans le financement de la PAC et celui des Français qui veulent conforter la PAC tout en restant ouverts aux nouvelles priorités de l'Union européenne, définies par la Commission européenne ?

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Je vais poser une question un peu naïve mais dont je mesure tout de même la complexité ! Vous avez largement abordé la question de l'harmonisation fiscale et la nécessité de parvenir à une assiette commune pour l'imposition du bénéfice des sociétés. Comment atteindre cet objectif si nous en restons à la règle de l'unanimité qui s'impose aujourd'hui au Conseil Européen ? Avez-vous réfléchi à la stratégie à adopter pour faire évoluer la gouvernance de l'Union européenne et parvenir à ce que les grandes réformes à venir se décident à la majorité qualifiée ? Sans cette évolution, nous serons condamnés à l'immobilisme.

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Pour répondre à l'observation de M. Thierry Michels, je pense que nous pouvons concilier un cadre temporel plus restreint pour le CFP, ce qui sera un gage d'efficacité sans oublier de traiter des questions de long terme comme la transition écologique. Ces choix de long terme relèvent d'une stratégie politique et l'Union européenne doit renforcer sa vision stratégique pour pouvoir se projeter dans l'avenir et relever des défis très complexes.

Concernant la fraude fiscale évoquée avec force par M. Chassaigne, je tiens à préciser que les discussions sur le CFP ne traitent pas de cette question qui reste très importante pour nos concitoyens attachés à l'équité fiscale. D'autres mécanismes européens sont en cours de mise en oeuvre pour parvenir à une meilleure transparence des transactions financières comme pour encadrer le secret bancaire, deux leviers important pour lutter contre la fraude fiscale.

Je ne répondrai pas aux propos de M. Jean Louis Bourlanges car nous avons travaillé en étroite concertation, ce qui m'a permis d'ailleurs de me « bonifier » grâce à ses multiples compétences et à sa longue expérience des sujets européens, même les plus ardus. Comme lui, je suis vraiment convaincu que l'Europe doit gagner en efficacité dans ses dépenses publiques. Si nous voulons financer de nouvelles politiques, il faut faire un effort de mutualisation de certaines dépenses et en contrepartie renoncer à ce que chaque État membre intervienne dans ces domaines.

Quant aux divergences entre la France et l'Allemagne sur le devenir de la PAC, elles ne me paraissent pas insurmontables et il y a d'autres États membres avec lesquels les négociations seront beaucoup plus délicates. Nous devons faire un effort collectivement pour évaluer objectivement ce qui a été réalisé dans le cadre du CFP actuel et déterminer les axes d'amélioration. Cette démarche conduira peut-être à définir des formes de flexibilité.

Notre groupe de travail va poursuivre ses travaux encore plusieurs mois afin d'affiner nos analyses et dans notre futur rapport nous intégrerons les thèmes qui ont été évoqués aujourd'hui.

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Il n'a pas été répondu à notre collègue qui demandait comment passer de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée. C'est un peu une question insoluble car pour modifier cette règle d'adoption des textes européens, il faut en passer par une réforme qui devra recueillir l'unanimité des États membres !

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Il s'agit là d'une question cruciale pour l'avenir de l'Union européenne, mais aujourd'hui nous n'avons pas de solution opérationnelle pour surmonter ce paradoxe. Il est évident que les États membres, qui pratiquent une sorte de dumping fiscal et qui profitent des distorsions de concurrence générées par des taux d'imposition des entreprises anormalement bas, n'accepteront jamais de renoncer à leur fiscalité dérogatoire.

La seule solution qui semble opérationnelle est de mettre en place une coopération renforcée entre les États membres qui veulent aller de l'avant dans le sens de l'harmonisation fiscale. Le champ d'intervention est conséquent car il y a de nombreux aspects de la fiscalité qui relèvent exclusivement des compétences nationales. Cet effort de coopération permettra aux acteurs économiques de plusieurs pays de disposer d'un cadre stable et transparent pour l'imposition des sociétés, mais il ne permettra pas de faire disparaître les formes actuelles de dumping fiscal.

Pour une véritable harmonisation fiscale, il faudrait parvenir à changer les traités européens et l'heure n'est pas favorable aux réformes fondamentales. Mieux vaut donc progresser plus modestement entre États membres volontaires soucieux de créer un environnement favorable aux échanges économiques.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci mes chers collègues pour vos interventions. Je vous rappelle que nous nous retrouvons demain à 10 heures pour une nouvelle séance de commission.

La séance est levée à 14 h 56.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Vincent Bru, M. André Chassaigne, Mme Frédérique Dumas, Mme Carole Grandjean, Mme Christine Hennion, M. Christophe Jerretie, Mme Nicole Le Peih, M. Thierry Michels, M. Jean-Pierre Pont, Mme Sabine Thillaye

Excusés. – Mme Yolaine de Courson, Mme Françoise Dumas, M. Alexandre Holroyd, Mme Marietta Karamanli, Mme Liliana Tanguy

Assistait également à la réunion. – M. Jean-Luc Warsmann