Commission des affaires étrangères

Réunion du mardi 18 décembre 2018 à 17h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations, sur le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

La séance est ouverte à dix-sept heures trente.

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Chers collègues, nous recevons aujourd'hui Pascal Teixeira da Silva, ambassadeur chargé des migrations. Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie d'avoir accepté cette audition publique, après avoir une première fois, en janvier dernier, abordé devant notre commission la question du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

L'objectif de la France, au cours de la négociation, était d'aboutir à un document juridiquement non contraignant, et qui soit équilibré, en prenant en compte non seulement les points de vue des pays d'origine et de transit, comme on avait pu le penser initialement, mais aussi ceux des pays de destination. Vous, qui avez été au coeur des consultations et des négociations, nous direz si ces objectifs ont été atteints et la part qu'a prise la France pour s'assurer de cet équilibre.

À l'origine, par la déclaration de New York de septembre 2016, l'Organisation des Nations unies (ONU) s'était donné pour objectif la préparation de deux textes, l'un concernant les réfugiés – c'est le Pacte mondial des réfugiés, élaboré sous la responsabilité du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR), et adopté hier par l'Assemblée générale de l'ONU à la très large majorité de 181 États membres – et cet autre texte portant sur la question migratoire. Vous nous en direz les principaux enjeux, et quelles positions ont défendu la France, l'Union européenne et ses États membres.

Ce pacte sur l'immigration, qui formule 23 objectifs, a été endossé par 162 États, dont la France, lors de la conférence intergouvernementale de Marrakech du 10 décembre dernier. Il devrait être adopté demain par l'Assemblée générale des Nations unies, sous forme d'une résolution. S'agissant d'une déclaration et non d'un traité, les parlementaires n'ont pas à autoriser sa ratification. Néanmoins, et même s'il n'a pas valeur contraignante, nous avons souhaité en débattre à nouveau car toute gouvernance efficace de la migration doit impliquer, selon moi, un grand nombre d'acteurs et de partenaires, et ce, à tous les niveaux, local, national, organisations régionales et organisations mondiales. Notre Parlement a là toute sa place.

Rappelons également que l'émigration massive est loin de ne concerner que l'Europe, mais se produit bien plus des pays du Sud vers d'autres pays du Sud. L'opportunité, le contenu du Pacte suscitent d'importantes réactions et débats en Europe et dans un certain nombre d'États-membres : les uns le trouvent insuffisamment contraignant car il réaffirme la souveraineté des États dans la définition de leur politique migratoire ; d'autres, au contraire, l'estiment trop déséquilibré en faveur des droits des migrants. Nous allons essayer, avec vous, monsieur l'ambassadeur, d'y voir plus clair. Ce débat est donc bienvenu, utile et nécessaire, pour apporter, en toute transparence, des réponses aux questions sur le contenu et la portée du Pacte, et s'interroger sur les effets que la France en attend et les suites qu'elle souhaite lui donner.

Je rappelle que cette audition est publique. Je vous donne la parole, monsieur l'ambassadeur, avant d'ouvrir le débat.

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Mesdames et messieurs les députés, je suis honoré d'être à nouveau parmi vous pour vous parler d'une négociation à laquelle, effectivement, j'ai été étroitement associé depuis décembre 2017, lorsque s'est tenue au Mexique la conférence qui a fait le bilan des réunions thématiques et géographiques préparatoires. La négociation proprement dite a commencé en février. Je me propose de vous en présenter la genèse et la procédure, puis le contenu et la portée, pour dire enfin quelques mots sur sa mise en oeuvre et son suivi.

Comme vous l'avez rappelé, madame la présidente, l'Assemblée générale des Nations unies, en septembre 2016, a décidé de l'élaboration de ce Pacte mondial. Depuis 2015, une vague massive, non sûre et désordonnée de réfugiés, demandeurs d'asile et migrants, arrivait en Europe, de Turquie, puis de Libye. C'était l'exemple type de ce que l'on voulait éviter, d'où le triple objet du Pacte pour des migrations sûres, ordonnées et régulières – c'est-à-dire dans le respect des règles internationales et du droit national. La déclaration de New York, adoptée le 19 septembre 2016, prévoyait que deux pactes seraient négociés parallèlement, l'un sur l'immigration, l'autre sur les réfugiés. Ce dernier a effectivement été approuvé hier par l'Assemblée générale des Nations unies. La distinction se justifiait car il s'agit de deux catégories différentes : celle des réfugiés relève d'un régime juridique propre, la convention de Genève de 1951 et son protocole de 1967 ; les migrations internationales ont fait l'objet de conventions spécialisées comme la convention sur les droits des travailleurs migrants et leurs familles de 1990, mais il n'y a pas de régime juridique d'ensemble. Le processus de négociation sur les migrations a comporté deux phases : des réunions préparatoires thématiques et géographiques en 2017, puis la négociation proprement dite entre février et juillet 2018, en vue d'une conférence intergouvernementale, soit une procédure assez fréquente pour traiter des grandes questions transversales et de portée mondiale.

La négociation n'a pas été conduite directement par les États ou groupes d'États qui auraient alors dû se mettre d'accord, paragraphe par paragraphe, ligne par ligne ; comme c'est parfois le cas, elle a été pilotée par deux co-facilitateurs, les représentants permanents de la Suisse et du Mexique auprès des Nations unies. Ils ont préparé et soumis début février un projet initial, qu'ils ont fait évoluer au cours de six sessions d'une semaine par mois en fonction des demandes et des lignes rouges des États et groupes d'États afin de se rapprocher progressivement du meilleur compromis possible entre des points de vue et des intérêts divergents. Il était convenu que ce processus itératif prendrait fin le 13 juillet et que le texte serait ensuite soumis à l'approbation des États membres des Nations unies lors d'une conférence qui se tiendrait en décembre 2018 à Marrakech.

Même si la négociation était intergouvernementale, la société civile, les ONG, le secteur privé ont pu exprimer leur point de vue et apporter des contributions, comme c'est désormais le cas systématiquement pour l'élaboration des textes internationaux, qu'ils soient juridiquement contraignants ou non, sur des grandes questions globales comme les objectifs de développement durable ou la lutte contre le changement climatique.

La dynamique de négociation a été marquée par plusieurs faits. En premier lieu, les États-Unis ont décidé dès décembre 2017 de ne pas participer à la négociation, ce qui a privé les États latino-américains de leur interlocuteur principal. Ils y ont néanmoins pris une part active, mais de façon assez désordonnée. Les Européens ont défini et défendu une ligne commune du début à la fin des négociations, à l'exception de la Hongrie qui, tout en restant dans le processus de négociation, s'est dissociée des 27 autres États-membres dès la première session de février. De ce fait, la représentation de l'Union européenne ne pouvait s'exprimer au nom de ces 27 États membres, mais cela n'a pas empêché ceux-ci de s'exprimer d'une seule voix, en l'occurrence celle de l'Autriche. Le groupe africain a été très uni et a aussi parlé d'une seule voix, en dépit de la diversité des situations entre pays d'origine, de transit ou de destination. Seule l'Afrique du Sud s'est exprimée systématiquement de façon séparée, et souvent sur une ligne assez proche de celle des Européens. Les pays asiatiques étaient dispersés, ce qui reflète la différence de leur situation sur le plan migratoire ainsi que la faiblesse de leur intégration régionale.

L'Assemblée générale avait, dans la déclaration de New York, donné mandat à la conférence intergouvernementale, qui s'est tenue à Marrakech, d'adopter le pacte, puis rappelé dans une résolution sur les modalités, que « les négociations qui commenceront début 2017 doivent aboutir à la tenue d'une conférence intergouvernementale sur les migrations internationales en 2018, au cours de laquelle le Pacte mondial sera présenté en vue de son adoption. Le texte doit ensuite être approuvé (endorsed) par l'Assemblée générale, par le biais d'une résolution procédurale, présentée par la présidence de l'Assemblée générale des Nations Unies sous les points de l'ordre du jour 14 et 119 ». Le Pacte sera annexé à cette résolution procédurale non négociée, très courte, qui sera adoptée demain, selon une pratique habituelle aux Nations unies. La formule reprise dans la résolution devrait être similaire à celle de précédents textes de l'ONU tels que le programme d'action d'Addis-Abeba sur le financement du développement, soit l'Assemblée generale « approuve le Pacte mondial pour des migrations sûres ordonnées et régulières, adopté par la conférence et dans le texte est reproduit en annexe à la présente résolution ».

À Marrakech, 162 États avaient fait parvenir leur pouvoir au secrétariat pour participer ou être représentés à la conférence. Un certain nombre ne l'étaient toutefois pas, notamment pour des raisons pratiques de coût et d'éloignement. C'est donc demain, au moment du vote, quand tous les États seront effectivement présents et représentés à New York, qu'on saura précisément combien d'entre eux souscrivent au Pacte. Il peut y avoir plusieurs configurations, y compris des cas de pays qui n'étaient pas représentés à Marrakech et qui voteront pour, tandis que d'autres qui n'ont pas voulu participer à la conférence intergouvernementale en raison du fait qu'ils ne souscrivent pas à ce Pacte, pourraient simplement s'abstenir sur la résolution.

S'agissant des États-membres de l'Union européenne, dix d'entre eux n'étaient pas présents à Marrakech : l'Autriche, la Bulgarie, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie avaient annoncé qu'ils n'approuveraient pas le Pacte, l'Italie était en attente d'une décision de son Parlement, l'Estonie et la Roumanie n'étaient pas non plus présents. Quatre États non européens ont participé à la négociation jusqu'au bout, mais ont finalement décidé de ne pas y souscrire – l'Australie, Israël, la République dominicaine et le Chili. La Suisse, comme l'Italie, est dans l'attente d'un débat parlementaire.

Lors du débat général, tous les États représentés ont fait une déclaration, et certains ont annoncé qu'ils feraient aussi une explication de leur position lors du vote sur la résolution à l'Assemblée générale des Nations unies, voire en ont donné la teneur, ce qui est le cas d'un certain nombre d'États membres de l'Union européenne, dont la France.

J'en viens au contenu et à la portée du Pacte. Il comporte un préambule et des principes directeurs, dont ceux de la coopération internationale, de la souveraineté nationale en matière migratoire et du respect des droits de l'homme. Il formule ensuite 23 objectifs, soit autant d'engagements qui se déclinent chacun en un recueil d'actions et de bonnes pratiques dans lesquelles les États membres peuvent puiser. Cette formule – We will draw from the following actions en anglais, qui a été la langue de la négociation – est d'ailleurs reprise dans l'introduction des actions et bonnes pratiques pour chacun des 23 objectifs. Ceux-ci, dont le champ est d'ampleur inégale, couvrent l'ensemble des aspects des politiques migratoires selon une approche à 360 degrés. Une section est consacrée à la mise en oeuvre du Pacte, une autre à son suivi.

Ce Pacte est fondé sur le constat qu'un phénomène tel que les migrations internationales peut d'autant mieux être régulé qu'il est organisé grâce à une coopération internationale fondée sur le principe de responsabilité partagée impliquant les pays d'origine, de transit et de destination. Sa portée est politique. Comme vous l'avez dit, madame la présidente, rien n'oblige un État à faire quelque chose qu'il ne voudrait pas, du fait de la combinaison de trois éléments clés.

D'abord, il est explicitement dit au paragraphe 7 que le Pacte est un instrument juridiquement non contraignant. Il ne crée aucun droit nouveau, aucune norme juridique nouvelle, notamment aucun droit à la migration, contrairement à ce qu'on a pu entendre ici ou là. En revanche, et c'est bien naturel, le Pacte ne retranche rien des obligations juridiques auxquelles les États ont souscrit, notamment en matière de droits de l'homme, qui sont universels et indivisibles.

En second lieu, il est rappelé, au paragraphe 15, la souveraineté des États en matière migratoire. Leur compétence à définir leur politique en la matière, en particulier les règles d'entrée, de séjour et de travail des étrangers, est réaffirmée et n'est en rien amoindrie.

Enfin, la mise en oeuvre des engagements pris se fera au moyen d'actions et de bonnes pratiques proposées à la discrétion des États, qui ne sont donc en rien obligatoires – paragraphe 16 – mention reprise en introduction après chaque engagement pour introduire la liste des actions et des bonnes pratiques. La combinaison de ces trois éléments était cruciale pour les Européens, dont la France, qui ont oeuvré avec succès pour renforcer le caractère optionnel des actions et bonnes pratiques. Ce fut même là un des derniers points durs de la négociation et les co-facilitateurs ont compris que, faute d'une formule acceptable pour les Européens, l'ensemble du Pacte serait mis en péril. Je peux en témoigner, ayant participé à plusieurs sessions de négociations, dont la dernière.

Le Pacte comporte des éléments auxquels la France et ses partenaires européens attachent une grande importance et qui ont fait l'objet d'âpres discussions avec les pays d'origine. Les formulations finalement retenues sont considérées comme satisfaisantes au regard de nos objectifs de négociation. Il s'agit en particulier de la distinction entre réfugiés et migrants. Elle découle non seulement de ce que les réfugiés font l'objet d'un pacte distinct, adopté hier, mais aussi de notre refus, entériné par le Pacte, de voir reconnaître une catégorie nouvelle de protection internationale, soit au sens juridique du terme, soit par le biais du concept de vulnérabilité des migrants au cours de leur parcours migratoire, surtout lorsqu'il est irrégulier. Cette vulnérabilité peut seulement nécessiter une assistance particulière accordée par les organisations internationales et les organisations non gouvernementales (ONG) humanitaires – c'est l'objectif 7, au paragraphe 23 ; une telle catégorie nouvelle pourrait enfin être reconnue au titre des conséquences du changement climatique et des catastrophes naturelles ou de la dégradation environnementale qui peuvent provoquer des déplacements forcés. De tels phénomènes entraînent une prise en charge particulière, mais pas la création d'une catégorie juridique de « réfugiés climatiques », termes qui, de façon tout à fait intentionnelle, ne figurent pas dans le Pacte. Pour les dispositifs qui les concernent, je renvoie aux paragraphes 18 H à 18 L ainsi qu'aux paragraphes 21 G et 21 H. En d'autres termes, rien dans le Pacte ne crée de droits supplémentaires et nouveaux à une protection internationale au sens de la convention de Genève.

Certes, certains flux mêlent migrants économiques et personnes en besoin de protection au sens de la convention de Genève, comme ce fut le cas en 2015 et 2016 en provenance de Turquie ou en 2016 et 2017 en provenance de Libye. Ces flux mixtes constituent un problème sérieux et compliqué, mais qui peut être traité en pratique, notamment en organisant l'identification et la protection des demandeurs d'asile le plus en amont possible. Je rappelle à cet égard que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) conduit depuis un an des missions de protection au Niger et au Tchad, qui visent justement à identifier les demandeurs d'asile les plus vulnérables, éligibles à une protection internationale. La France s'était engagée à en réinstaller 3 000 chez elle ; à ce jour un peu plus de 800 l'ont été. Cela concerne aussi le mécanisme d'évacuation de réfugiés de Libye mis en oeuvre par le HCR, avec des évacuations depuis le Niger, auxquelles la France participe. Enfin le concept, élaboré par le HCR et l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), d'arrangement-débarquement sur la rive sud de la Méditerranée procède du même principe : pouvoir distinguer et traiter conformément au droit international les demandeurs d'asile.

Un deuxième élément important est la distinction entre migrants réguliers et migrants irréguliers. Elle figure explicitement, au titre des principes directeurs, dans le paragraphe relatif à la souveraineté des États. Il s'agissait d'un point central pour nous, non seulement parce qu'il est consubstantiel à l'objet même du Pacte – des migrations « régulières » – , mais aussi parce que c'est le manquement aux règles de droit, en particulier du droit national, qui provoque des réactions et des tensions. Le débat a été vif, les pays d'origine cherchant à gommer cette distinction, tant dans la gestion des flux irréguliers que dans le traitement des étrangers en situation irrégulière, avec notamment un appel à des régularisations en masse. Sur ce point, les formulations finalement retenues sont tout à fait compatibles avec nos règles nationales et nos pratiques, c'est-à-dire l'application au cas par cas de critères objectifs en vue de la régularisation. Nous partageons, de ce point de vue, la même position que tous nos partenaires européens ainsi que d'un certain nombre d'autres pays.

Troisième élément, la lutte contre le trafic illicite de migrants et les réseaux criminels de passeurs. C'est un des axes de la politique française et européenne, comme l'illustrent plusieurs initiatives : le sommet de Paris du 28 août 2017, la réunion ministérielle de Niamey du 16 mars 2018 et de nombreux projets notamment financés par le Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique. Les objectifs 9 et 10 sont consacrés l'un au trafic illicite de migrants, l'autre à la traite des êtres humains. Il s'agit de deux situations différentes couvertes par deux régimes différents et organisés par des protocoles à la convention de Palerme, même si, en pratique, il peut y avoir des passerelles entre elles. Le Pacte prévoit notamment le renforcement des capacités nationales et la coopération régionale et internationale. C'est là un sujet majeur. En effet, l'économie, les revenus illicites et la corruption que ce trafic génère sont délétères pour tous les pays. L'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), installé à Vienne, évalue dans son dernier rapport sur le trafic illicite de migrants, entre 5 et 7 milliards d'euros le « chiffre d'affaires » généré par ces trafics. Le sujet est également majeur car cette activité criminelle est attentatoire à la vie, à la sûreté, à la dignité et aux droits fondamentaux des personnes, comme cela est, malheureusement, amplement documenté.

Un quatrième élément était prioritaire pour nous, le retour et la réadmission des étrangers en situation irrégulière. Les Européens ont engagé une action politique déterminée dans ce domaine, notamment les autorités françaises depuis dix-huit mois. Le Pacte, en cohérence avec son objet, y consacre l'objectif 21, au paragraphe 37. La négociation a été vive jusqu'au dernier moment, non pas tant sur le principe du retour que sur la question de sa modalité, les pays d'origine souhaitant qu'il ne soit que volontaire et les pays de destination défendant que si le retour volontaire est préférable, le retour forcé peut être inévitable et nécessaire si l'étranger en situation irrégulière ne consent pas au retour volontaire. C'est bien notre position. Comprenant que c'était un point dur pour les Européens, à l'extrême fin de la négociation, les co-facilitateurs ont proposé cette formulation finale : le Pacte engage les pays d'origine à coopérer pour que ces retours et réadmissions aient lieu conformément au droit des pays de destination et à l'obligation formulée dans maints documents internationaux bilatéraux ou multilatéraux qu'il incombe aux États de réadmettre leurs ressortissants.

Un cinquième élément important portait sur le traitement des causes profondes de la migration, très nécessaire car l'émigration est souvent un symptôme. C'est pourquoi, après le premier objectif consacré à la recherche et à l'étude du phénomène, l'objectif 2 s'intitule « Lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui poussent des personnes à quitter leur pays d'origine ». Il énonce comme principe que les individus doivent pouvoir « vivre dans leur propre pays sans violence, de manière productive et dans des conditions viables, et réaliser leurs aspirations personnelles ». On le voit, le Pacte ne crée pas de droit à la migration : il affirme que le droit premier est de pouvoir vivre et s'épanouir dans son propre pays. Les causes de la migration sont multiples et souvent combinées. Notre préoccupation a été de les faire toutes prendre en compte, notamment la bonne gouvernance, l'État de droit, les droits de l'homme, la lutte contre la corruption, ce qui a été ajouté à l'initiative des Européens.

Enfin, la très grande majorité des objectifs concernent les droits des migrants. En application de la distinction fondamentale entre migrants réguliers et migrants irréguliers, beaucoup de ces droits s'appliquent seulement aux migrants réguliers. L'essentiel de ces droits sont déjà reconnus dans les conventions internationales et largement appliqués par les États les plus avancés en la matière. Le Pacte n'en crée pas de nouveau. Ainsi, l'objectif 4 porte sur la preuve d'identité légale et de papiers adéquats ; la France et ses partenaires européens demandent justement au pays d'origine de la garantir, d'où les projets engagés dans plusieurs pays africains pour rendre l'état civil généralisé et fiable et obtenir une utilisation de documents biométriques. De même, l'objectif 6, « Favoriser des pratiques de recrutement justes et éthiques et assurer les conditions d'un travail décent », est aussi une préoccupation de notre droit du travail, à quoi contribue la lutte contre le travail clandestin et illégal.

Étant donné les différences de niveaux de développement et de respect des droits entre les pays, ce Pacte peut contribuer à améliorer le sort des migrants réguliers dans un certain nombre de régions du monde, car il s'adresse à tous et doit s'appliquer de façon différenciée en tenant compte des situations réelles. Il faut donc, me semble-t-il, se garder d'une approche européocentrée, considérant que le Pacte vise principalement les flux migratoires vers l'Europe et les migrants résidant en Europe. Il s'agit là d'une vision étroite et quelque peu obsidionale du problème. Comme l'ont montré les prises de position, les nombreux témoignages exprimés à l'occasion de cette négociation, et encore plus l'année précédente lors des réunions thématiques et régionales, il y a beaucoup à faire dans maintes régions du monde autres que l'Europe pour mettre les législations et les pratiques à la hauteur des ambitions affichées par le Pacte. Je rappelle que, sur 244 millions de migrants internationaux en 2015, la part accueillie par l'Europe est très minoritaire.

De ce fait, le dispositif de mise en oeuvre prévoit un renforcement des capacités pour permettre à beaucoup de pays du Sud de concrétiser les engagements qu'ils ont souscrits, pour autant, évidemment, qu'ils aient la volonté politique pour ce faire. C'est là justement que le processus de suivi jouera son rôle, pour mesurer les progrès accomplis et inciter les États à aligner leurs politiques sur les meilleures pratiques. Il serait paradoxal, voire incompréhensible, que les États européens dont les standards sont parmi les plus élevés au monde, se sentent les plus visés, alors que ce sont eux qui ont le moins à craindre d'un alignement par le haut des politiques publiques en matière migratoire. Par exemple, les procédures en matière d'éloignement sont, en Europe, très encadrées par le droit et par le juge ; l'accès aux services sociaux de base y est sans doute parmi les plus généreux au monde.

Enfin, s'agissant du suivi et de la mise en oeuvre, sont prévus l'établissement d'un réseau des Nations unies sur les migrations, coordonné par l'Organisation internationale des migrations de façon à favoriser la coopération et les synergies entre les différentes institutions et agences compétentes pour tel ou tel aspect, ainsi qu'un mécanisme de renforcement des capacités au profit des États qui en ont besoin, puisque l'essentiel du travail incombera aux États. L'OIM a un mandat opérationnel ainsi qu'une expérience et une compétence de terrain utiles et reconnues. Les opérations de rapatriement qu'elle mène, comme en Libye, en sont un exemple. La France et ses partenaires européens ont beaucoup plaidé pour que cette organisation se voit reconnaître un rôle central dans la mise en oeuvre du Pacte, en raison de l'approche plus pragmatique et moins idéologique de la question qui est la sienne. Elle est notamment un des principaux pôles d'expertise et d'analyse, tâche qu'il est nécessaire de renforcer, comme le propose le Pacte.

Pour le suivi du Pacte, il est prévu l'organisation, tous les quatre ans, d'une conférence internationale ainsi que la mise en place par les États d'un suivi au niveau national. Cette dernière disposition est d'autant plus utile que l'efficacité des dialogues sur les migrations que la France et l'Union européenne conduisent avec les pays d'origine est souvent entravée par l'absence ou l'insuffisance d'une politique publique dédiée sur la base de mesures législatives et de dispositifs opérationnels. Lorsqu'une telle politique existe et que les moyens adéquats y sont consacrés, les résultats s'améliorent sensiblement, en particulier pour lutter contre la migration irrégulière. Le travail réalisé depuis deux ans par le Niger en est une illustration vertueuse. Ces préconisations ont donc pour objet de maximiser le bénéfice que l'on pourra tirer du suivi du Pacte au regard de nos priorités. Une résolution sur les modalités de suivi et d'examen sera négociée à l'Assemblée générale des Nations unies au printemps 2019. L'approche qui a la faveur des Européens, et, je crois, du Secrétariat, est celle d'un mécanisme de suivi léger fondé sur une approche coopérative et non contraignante.

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Je vous remercie. Je vais maintenant donner la parole à mes collègues, à raison de trois minutes pour les représentants des groupes et de deux minutes pour les autres.

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Lundi dernier, la France a adopté le Pacte mondial pour les migrations sûres, ordonnées et régulières, aux côtés des 161 pays signataires, lors d'une conférence intergouvernementale organisée sous l'égide de l'ONU. C'était l'aboutissement de deux ans de négociations pour tirer les leçons de la crise migratoire de 2015. Au nom du groupe La République en marche, je tiens à féliciter le Gouvernement d'avoir souscrit à ce texte absolument nécessaire qui renforce la coopération mondiale en matière de politique migratoire entre pays d'origine, de transit et de destination. Au fil des 23 objectifs, sont rappelés des principes directeurs essentiels comme le démantèlement des réseaux de passeurs, la lutte contre les causes structurelles d'émigration ou encore la collecte des données pour la maîtrise des flux. Ce Pacte est vraiment utile, car doté d'une forte valeur symbolique. Il vise à faire évoluer les comportements dans une logique de partenariat. Mais il ne pourra réussir qu'avec le concours d'une Europe unie. Alors que le retrait de certains États essentiels, comme le Brésil, risque de mettre en péril la gouvernance mondiale, nous devons plus que jamais, nous, Européens, parler d'une seule voix, en toute cohérence. Dans son rapport sur le projet de loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie, notre présidente Marielle de Sarnez affirmait la nécessité pour l'Union européenne de refonder ses politiques de gestion des frontières et de développement, via une approche globale avec des convergences entre États-membres. Je la cite : « Cette capacité de répondre efficacement est d'autant plus impérative au regard de la gestion défaillante de la crise migratoire que les gouvernements européens n'ont su ni anticiper ni gérer. » Monsieur l'ambassadeur, dans quelle mesure le Pacte sur les migrations de l'ONU constitue-t-il une réponse aux grands chantiers migratoires de l'Union européenne ? Et plus précisément, pouvez-vous faire le point des discussions sur la liste des pays sûrs et sur le régime de protection internationale ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Sur le premier point, je pense qu'il est de l'intérêt de l'Union européenne d'avoir un cadre de responsabilité partagée entre les pays d'origine, de transit et de destination et d'organiser la coopération entre eux. Sans entrer dans les détails, le Pacte fait référence à tous les processus déjà existants. L'Europe est sans doute le continent qui est allé le plus loin dans cette approche collaborative, notamment avec les pays africains : plan d'action conjoint de La Valette de novembre 2015 entre l'Europe et une bonne partie de l'Afrique, processus de Rabat avec l'Afrique du Nord et l'Afrique de l'Ouest, processus de Khartoum avec l'Afrique orientale. Des actions concrètes ont suivi grâce au Fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne, doté de plus de quatre milliards d'euros. Rien dans le Pacte n'entame ou ne modifie la pertinence de ces processus. Au contraire, il incite à ce genre de coopération et il faudra en tirer le meilleur parti, dans les limites qui sont les siennes puisqu'il s'agit d'un document politique.

Votre deuxième question touche à un autre domaine et, comme je l'ai dit lors de la précédente audition, je ne suis pas directement chargé de la politique européenne migratoire, même si, bien sûr, je la suis. Sans doute l'intitulé de ma fonction est-il plus ambitieux que la nature des tâches qui m'ont été confiées par le Président de la République et par les ministres des affaires étrangères et de l'intérieur.

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Monsieur l'ambassadeur, je vous remercie de votre intervention qui clarifie bien des sujets qui ont été abordés ces dernières semaines. Le phénomène migratoire est au coeur des considérations géopolitiques, économiques et démographiques, et je suis obligé de le constater aujourd'hui, au coeur de considérations cyniquement politiciennes. En effet, je m'étonne de l'absence de représentants de deux partis politiques qui ont délibérément travesti le sens de ce Pacte depuis quelques semaines !

Le groupe du Mouvement Démocrate et apparentés se réjouit de ce que la communauté internationale se saisisse de ce sujet pour se concerter et tenter d'apporter des solutions à ce problème majeur. Plutôt que de se cacher derrière des considérations idéologiques, il est urgent, pour le monde entier, de trouver des solutions pragmatiques pour réguler ce qui est un élément structurel de la géopolitique contemporaine. Or nous n'apporterons une réponse à la hauteur qu'à condition de prendre en compte l'ensemble des acteurs, l'ensemble des États d'accueil, de transit ou de départ.

Vous l'avez dit, la notion de réfugiés climatiques n'apparaît pas dans le Pacte. Elle mérite pourtant qu'on y réfléchisse car demain, ils pourraient être des dizaines, des centaines de millions, se déplaçant essentiellement en Afrique. Où en est cette réflexion ? Créer un statut particulier, comme le suggèrent beaucoup d'ONG, vous paraît-il utile, et dans ce cas sous quelle forme juridique ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Cette question des déplacements forcés en raison des catastrophes naturelles, du changement climatique ou de la dégradation de l'environnement était présente TOUT au long de la négociation. La France participe à la plateforme sur les déplacés climatiques. Les pays les plus concernés par des changements structurels, les petits États insulaires en développement, des pays touchés par la montée du niveau des océans comme le Bangladesh, des pays africains en proie à la désertification et à la sécheresse, ont été très attentifs à ce que l'on tienne compte de cette dimension. Ils avaient même souhaité qu'un objectif spécifique y soit dédié. Face à la résistance d'autres États, il a été décidé de consacrer, dans l'objectif relatif aux causes profondes, un ensemble d'alinéas à cette question des catastrophes naturelles, du changement climatique et la dégradation de l'environnement : ce sont les alinéas H à L du paragraphe 18, qui prévoient que le traitement de ces causes renvoie à la mise en oeuvre d'un certain nombre d'accords internationaux, à commencer par l'accord de Paris, et que l'adaptation du pays d'origine est une priorité. Il peut néanmoins y avoir des mouvements forcés de population. Les alinéas G et H de l'objectif 5 prévoient la possibilité de migration régulière pour des personnes exposées à ce type de déplacements forcés, grâce à des visas humanitaires ou des options de réinstallation, évidemment à la discrétion des États.

Il y a donc eu un accord assez rapide pour reconnaître l'importance du problème et essayer de proposer des solutions pratiques. En revanche il n'y a pas de statut de réfugié au sens de la convention de Genève. C'est un autre chantier, très compliqué en raison des critères à choisir. Comment définir que ce sont uniquement des causes climatiques qui vont provoquer les déplacements ? C'est facile dans certains cas, pas dans d'autres. En tout cas la conférence intergouvernementale et les deux co-facilitateurs, n'ont pas souhaité ouvrir la question, dans la mesure aussi où il s'agit d'un texte juridiquement non contraignant. On n'allait pas définir une catégorie juridique dans un texte qui n'est que politique.

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Je vous remercie, monsieur l'ambassadeur, pour vos éclaircissements sur le Pacte mondial sur les migrations, qui a fait couler beaucoup d'encre ces dernières semaines. Au vu des archives, la conférence du Caire en 1994, la création du groupe mondial sur les migrations par le regretté Kofi Annan en 2004 ou les différents forums annuels sur les migrations, dont la huitième édition s'est tenue à Mexico au mois de novembre, n'avaient pas suscité tant de commentaires. Pourtant ce Pacte n'est pas contraignant. Il est même en retrait sur certains textes comme la convention de 1990 sur la protection des droits des travailleurs migrants et de leurs familles. Dès lors, on s'interroge sur les raisons profondes des polémiques sur le sujet.

Les États-Unis et quelques autres ont adopté une position unilatérale. Mais pourriez-vous revenir sur les raisons qui ont poussé certains pays à se retirer de l'accord alors qu'ils avaient approuvé le texte préparatoire en juillet ? Ce sont, en ce qui concerne l'Europe, l'Autriche, la République Tchèque, la Hongrie, la Lettonie, la Pologne, la Slovaquie et ailleurs, l'Australie et la République dominicaine.

S'agissant de la France, pourriez-vous nous dire si certaines dispositions sont, selon vous, en contradiction avec la loi « asile et immigration » votée en septembre dernier ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Monsieur le député, il m'est difficile de spéculer sur les raisons qui ont pu pousser tel ou tel pays, européen ou non, à ne pas se rendre à Marrakech ou à ne pas vouloir souscrire au Pacte. Dans chaque cas, de nombreuses raisons, souvent de politique intérieure, ont joué, et il ne m'appartient pas de faire des conjectures à ce sujet.

Il est vrai que ces pays avaient participé jusqu'au bout sans problème particulier à la négociation. D''ailleurs, l'Autriche a été le porte-parole des Vingt-Sept comme il était entendu puisqu'elle allait assumer la prochaine présidence. Le texte arrêté le 13 juillet, date à laquelle s'est terminée la négociation comme cela était prévu, était, de l'avis des deux co-facilitateurs, le meilleur possible compte tenu des divergences. Comme tout texte de l'ONU, c'est un compromis. Il a ensuite été soumis aux autorités politiques, auxquelles revenait la décision. Sans doute le calendrier était-il un peu étiré. Dans les cinq longs mois entre la fin de la négociation le 1er juillet et la conférence de Marrakech, il a pu se passer des choses. Il aurait peut-être été préférable de raccourcir ce délai, mais le calendrier avait été fixé avant que ne s'engage le processus. Donc, des États ont pu, de bonne foi, participer à la négociation puis, après des débats internes, y compris au Parlement, prendre une décision souveraine, pour des raisons qui sont les leurs et qu'il ne m'appartient pas de commenter.

Des dispositions du Pacte sont-elles en contradiction avec la loi « asile et immigration » ? Non, bien évidemment non. Rien dans ce Pacte juridiquement non contraignant n'impose à un État de modifier sa législation. Il serait assez complexe de mettre l'ensemble de notre législation en la matière au regard du Pacte, mais les États européens ont des standards très élevés. En revanche, des associations de migrants – réguliers – dans nombre de régions du monde espèrent beaucoup que la législation d'un certain nombre de pays de destination s'améliore pour que leurs droits soient enfin reconnus. Donc non, je ne pense pas qu'il y ait une quelconque contradiction sur le plan juridique, mais aussi sur les questions de fond.

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Rarement un texte de l'ONU aura engendré en France autant de bruit et de fureur, si j'ose dire, c'est-à-dire de débats, de passions, passions assez négatives malheureusement. Pourtant, ce texte ne fait que poser les jalons d'une coopération internationale sur le sujet des migrations. Le Pacte n'impose pas d'objectifs concrets et chiffrés, il ne se substitue aucunement à la souveraineté des États. C'est un texte qui cadre et qui recense des principes, des principes humanistes, de défense des droits humains et des droits des enfants, auxquels, pour notre part, nous adhérons pleinement. Il contient aussi un certain nombre de propositions. Pour ma part, j'ai peine à mesurer quel en sera l'effet concret : Il s'agit de recommandations. Comment vont-elles se matérialiser ? Néanmoins, par les temps qui courent, singulièrement en France mais pas simplement, réaffirmer des principes et cette volonté de coopérer est positif. Le Pacte contient aussi une approche intéressante sur les chances que représentent les migrations potentielles si elles sont correctement gérées et accompagnées. Il bat en brèche des idées reçues, rappelant, comme nous-mêmes n'avons cessé de le faire, que la majorité des migrations se font entre les pays du Sud ou à l'intérieur de chaque continent. Si la réalité est trop souvent déformée ou mal comprise, c'est lié, malheureusement, au rapport de forces idéologique dans notre pays.

En tant qu'ambassadeur, votre intervention a été assez technique, c'est normal. Mais c'est au nom de la France que vous avez négocié. Or la France a adopté une loi qui m'apparaît en contradiction avec les principes énoncés dans le Pacte. En vertu de cette loi et de l'application qu'en fait le Gouvernement, le nombre de mineurs étrangers n'a jamais été aussi élevé ; on n'a pas été capable d'accueillir l'Aquarius ; le Gouvernement s'apprête à généraliser le fichage des mineurs isolés etc. Ce durcissement est-il cohérent avec le Pacte ? D'autre part, récemment un pré-rapport de l'ONU a mis en garde la France en ce qui concerne le respect des libertés et des droits humains. Où en est-on ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Encore une fois, je ne pense pas qu'il y ait contradiction : le Pacte pose qu'il appartient à chaque État de définir les règles en matière d'entrée et de séjour des étrangers sur son territoire. On peut faire l'exercice pour un certain nombre de sujets, et chercher la contradiction au moins dans les intentions, les objectifs. Prenons la rétention administrative des migrants. L'objectif fixé dans le « chapeau » du paragraphe 29 du Pacte est clair : recourir à la rétention administrative des migrants en dernier ressort, après avoir donné la priorité aux solutions non privatives de liberté. Mais les dispositifs de rétention administrative sont faits en application de règles, sous le contrôle du juge, et toutes les garanties juridiques et procédurales existent en France. Ce n'est pas le cas partout dans le monde. Nos normes sont de haut niveau, et loin d'être les plus restrictives en Europe, par exemple en ce qui concerne la durée de rétention. Je ne vois donc pas en quoi notre législation, y compris les modifications qui ont été faites par la loi promulguée en septembre, seraient en contradiction avec l'objectif 13 du Pacte.

Les mineurs non accompagnés sont un vrai sujet de préoccupation. Le Pacte l'aborde dans nombre de dispositions. Les États d'origine doivent donner aussi une identité et un état civil, exercer un contrôle des flux. Le fait que des mineurs isolés puissent franchir des frontières sans posséder de papiers, qu'on ait de grandes difficultés à identifier leurs familles, est de la responsabilité partagée et les États d'origine doivent aussi jouer leur rôle. La prise en charge par la protection sociale de l'enfance et les garanties apportées, sous le contrôle du juge, sur le sort des mineurs non accompagnés, ne contredisent pas l'esprit du Pacte, bien au contraire. En revanche, il y a là beaucoup à attendre de la part des pays d'origine, qui laissent partir ces mineurs dans la nature.

S'agissant du rapport que vous évoquez, je regrette de ne pouvoir vous donner d'information précise. Je ne sais pas où cela en est.

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Le débat sur le Pacte de Marrakech s'est invité dans notre politique nationale, sur les réseaux sociaux, les barrages et les ronds-points. Pourquoi ? C'est que la grande question soulevée par les « gilets jaunes », c'est de pouvoir vivre de son travail grâce à une autre répartition des richesses. D'où l'interrogation pour certains : si nous n'avons pas les moyens, en France, de vivre de notre travail, comment aurions-nous les moyens d'accueillir des migrants ? Il est vrai que des forces politiques ont envenimé les choses en disant : « à Marrakech, ils sont en train de préparer le pire ».

La question de la répartition des richesses se pose dans notre pays, mais tout autant à l'échelle internationale. Je ne comprends donc pas que, dans les attendus d'un texte qui se veut fédérateur comme celui-là, on ne dise pas d'emblée qu'il faut une autre répartition des richesses à l'échelle internationale. Le continent africain, qui est l'une des premières cibles, l'Amazonie, où la France est présente, sont riches. Mais leur richesse n'est pas exploitée comme il le faudrait, on ne les soutient pas. J'en veux pour preuve l'augmentation des droits d'inscription pour les étudiants étrangers, qui est une aberration. Il faut vraiment modifier notre lecture du monde. J'ai lu le Pacte de Marrakech, paragraphe par paragraphe. Ce texte est bon, il est humain, il n'y a donc pas lieu de s'y opposer. Cela dit, quand on affirme partout qu'il n'est pas contraignant et que certains pays refusent de s'engager, on se dit : « cherchez le loup »... Vous refusez de vous immiscer dans leurs raisons. Mais nous avons besoin de les connaître, pour en débattre.

Et puis ce n'est pas un hasard s cette conférence intergouvernementale a eu lieu à Marrakech. Le Maroc est confronté aux migrations en direction de l'Europe. Mais le Maroc est aussi entouré par une frontière fermée avec l'Algérie et un mur infranchissable, le mur de la honte au Sahara occidental. Par où entrent les migrants ? Cherchez l'erreur. Cela pose la question des trafics, même au niveau de l'État. Avez-vous envisagé ces questions ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Ces questions dépassent de beaucoup et ma compétence et l'objet du Pacte. Je rappellerai simplement que les causes structurelles de l'immigration ont été amplement discutées au cours de la négociation et du processus préparatoire. Dans l'objectif n° 2, qui est consacré à cette question, les signataires du pacte s'engagent « à faire en sorte que le Programme de développement durable à l'horizon 2030 soit pleinement exécuté dans les délais, et à développer, par des investissements adéquats, l'application d'autres cadres (…) ». Les questions sous-jacentes sont effectivement celles du développement, de la répartition des richesses et de l'accès à la formation et à l'emploi. Il y aurait sans doute eu beaucoup à dire, et le contenu de cet objectif a été enrichi au cours de la négociation, mais les co-facilitateurs ont pris une sage décision en s'en tenant à rappeler les engagements, les textes, les cadres et les objectifs fixés par ailleurs sur les questions de développement au sens le plus large plutôt que d'ouvrir un débat qui aurait débordé le mandat qui leur était donné et le temps imparti à la négociation. Mais, sur le fond, vos remarques sont tout à fait justifiées.

Le Maroc a proposé d'héberger cette conférence. C'est aussi à Marrakech que se tenait, juste avant cela, le 11e Forum mondial sur la migration et le développement. Le Maroc, lui-même confronté à ces défis, a une politique active, sur le plan international et sur le plan régional, en matière migratoire. Pays d'origine, pays de transit et pays de destination, il connaît une augmentation de quelque 135 % des flux irréguliers à travers la Méditerranée par la route occidentale. Il fait beaucoup, mais il a souhaité le soutien de ses partenaires, notamment l'Union européenne. Les flux existent bel et bien : les migrants passent donc, essentiellement par des voies terrestres mais aussi par la voie aérienne, car le Maroc n'a pas institué d'obligation de visas pour les ressortissants de certains pays d'Afrique de l'Ouest. L'aéroport de Casablanca offre de nombreuses connexions et l'on sait que des gens arrivent légalement au Maroc et poursuivent ensuite leur chemin vers l'Espagne pour y entrer de façon non régulière.

Le Maroc essaye de gérer au mieux ce phénomène mais il souhaite être soutenu dans cet effort. L'Union européenne a répondu à cette demande en débloquant récemment 140 millions d'euros pour l'aider à contrôler ses frontières. Nous nous sommes aussi engagés, sur le plan bilatéral, à coopérer dans la lutte contre les réseaux de passeurs, puisque pratiquement aucun migrant irrégulier ne franchit des frontières sans recourir à ces sinistres prestataires de services. C'est donc un sujet de coopération bilatérale, régionale et euro-africaine, et nous nous réjouissons qu'un objectif lui soit consacré, et qu'un autre porte sur la traite des êtres humains, phénomène parfois connexe.

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Je prends la parole au nom du groupe Libertés et territoires pour dire que la lecture du Pacte m'a laissé partagé. On peut évidemment se louer de l'existence d'un texte qui signifie que les États se sont penchés sur la question collectivement, et j'ai conscience de la difficulté de la tâche qui était la vôtre, mais j'ai été envahi par un sentiment de tristesse. Le phénomène auquel nous faisons face a toujours existé. Relisons Catherine Wihtol de Wenden, Benjamin Stora, François Héran, et nous saurons quelle est la réalité : le monde n'est fait que de migrations en tous sens. Le nombre de migrants ne fera que s'amplifier car de multiples désordres contraindront bien des gens à prendre le chemin de l'errance. Hier, ils fuyaient les conflits. Aujourd'hui, les causes sont plus pernicieuses : il y a des aspects économiques, mais demain, en conséquence des dérèglements climatiques, se posera aussi le problème de l'accès à l'eau et aux terres arables. On ne tient pas suffisamment compte de ces éléments ; et pourtant, quelles sont déjà les conditions de vie et de travail des Indonésiens, des Pakistanais, des populations des pays du Golfe ? Il y a lieu de s'interroger sur les causes réelles des migrations. Face à la violence déshumanisée qu'elles déchaînent, un Pacte qui n'est qu'une charte de bonne conduite et de bonnes pratiques, une déclaration d'intention, déçoit. Ma déception s'est encore approfondie lorsque je vous ai entendu expliquer que les négociateurs s'étaient refusé à définir de nouvelles catégories de migrants, notamment les migrants climatiques. Ce seront pourtant les migrants de demain ; si l'on se voile la face au lieu de prendre le sujet à bras-le-corps, je me demande à quoi l'on parviendra.

Le plus affligeant, c'est la contraction permanente de la notion d'universalisme. Il est atterrant de constater qu'un pacte non contraignant provoque des violences en Belgique – en Belgique, pensez donc ! – et des comportements éminemment politiciens justement dénoncés, et qu'un pays tel que l'Australie s'y oppose. Que de mépris envers l'humanité !

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

J'ai dit le compromis adopté au cours de la négociation à propos du climat. Mais le Pacte enclenche un processus permanent, puisque sont prévus une conférence de suivi tous les quatre ans et un rapport du Secrétaire général de l'ONU tous les deux ans. Cela permettra de prendre en considération l'évolution de la situation mondiale pour procéder aux adaptations jugées nécessaires, et sans doute la question des migrations climatiques reviendra-t-elle avec plus de force ; il restera à définir quelles solutions pratiques peuvent être acceptées par tous les États.

Si l'on excepte la défection d'un petit nombre d'États – une douzaine si l'on tient compte des États-Unis, qui ont décidé en décembre dernier de ne plus s'associer à la négociation, mais qui avaient participé aux réunions thématiques et régionales –, le mérite de ce Pacte est son quasi-universalisme, en dépit de toutes les difficultés, différences et même tensions qui se manifestent dans certains pays au sujet des questions abordées. En dépit de questionnements légitimes d'un côté et de l'autre, on a réussi à élaborer un texte assez substantiel qui, de l'avis des co-facilitateurs, et des autorités françaises puisque nous avons décidé d'y souscrire, représente le meilleur compromis possible en une matière complexe et passionnelle. Livrant son sentiment aux Européens à l'issue de la conférence de Marrakech, Mme Louise Arbour, représentante spéciale du secrétaire général des Nations unies pour les migrations internationales, disait que l'on peut regretter telle défection ou telle réaction mais que, dans les circonstances politiques présentes, le résultat obtenu est estimable.

Il faut envisager le Pacte de la sorte, puis le mettre en pratique, en sachant que sa mise en oeuvre sera décidée par les États. Pour ce qui est de la coopération interétatique, je crois beaucoup à ce qui est fait sur le plan bilatéral et sous-régional. La France est engagée à la fois sur le plan bilatéral et avec ses partenaires européens dans un dialogue avec certains pays de transit et de pays d'origine. Ce Pacte ne peut que nous encourager à poursuivre ce dialogue, en nous donnant une toile de fond, une référence utile pour préserver la responsabilité partagée et le partenariat, évitant ainsi que tout parte dans tous les sens. En l'an 2000, il y avait 173 millions de migrants internationaux ; quinze ans plus tard, ils étaient 244 millions. Le mouvement est effectivement en phase d'accélération, pour des raisons multiples : le développement démographique, la mondialisation, et, de manière générale, la mobilité humaine, de caractère temporaire ou plus permanent. Il était donc grand temps de se mettre d'accord. Le texte n'est pas un idéal : certains estiment qu'il va trop loin, d'autres qu'il ne va pas assez loin. Que des critiques contraires s'expriment à son sujet me semble indiquer que l'on est sur la bonne ligne de crête.

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Parmi les nombreux objectifs du Pacte de Marrakech figure le renforcement de l'analyse des données sur les migrations, collectées et vérifiées en amont des pays de destination. Je suppose que l'installation récente, à Rabat, de l'Observatoire africain sur les migrations sert cet objectif, mais pensez-vous que cela suffise à améliorer notre connaissance du phénomène et des flux ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Cet observatoire est un des éléments nécessaires à la collecte des données précises définie à l'objectif n° 1 pour servir à l'élaboration de politiques fondées sur la connaissance des faits. J'ai moi-même constaté, en cherchant des renseignements, qu'il y a encore de nombreuses lacunes, ou que l'on ne sait pas où chercher ce dont on a besoin. J'ai fait référence au rapport de l'ONUDC sur le trafic illicite de migrants ; ayant rencontré ses responsables, je sais que leur tâche est difficile, ne serait-ce que pour récupérer les données. Leur rapport est très intéressant, mais ils savent qu'ils pourraient faire mieux s'ils disposaient de toutes les données utiles. Un appel est donc lancé aux États, au monde académique et aux organisations non gouvernementales en vue de la mise en commun de toutes données, afin qu'elles soient analysées. L'Observatoire est une bonne initiative, mais ce n'est que l'un des éléments que l'on souhaite voir développer.

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J'ajoute que le dernier rapport de l'ONUDC, dont j'ai rencontré plusieurs fois les responsables, notamment en Afrique, démontre que les trafics de toutes sortes – trafic de stupéfiants, d'armes et d'êtres humains, dont les migrants – nourrissent les groupes terroristes. Là est désormais leur source de financement ; c'est une raison supplémentaire qui doit nous inciter à lutter contre l'ensemble de ces trafics.

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Le Pacte de Marrakech, juridiquement non contraignant pour les États, vise à renforcer leur coopération. On est donc loin de la désinformation qui fleurit sur internet. Les termes « coopérer » et « coopération » sont utilisés quatre-vingt-une fois dans ce texte de quarante pages, qui ne contient aucun chiffre sinon quelques dates. Contre-vérités, donc, que les prétendus quotas d'accueil des migrants ou le revenu qui leur serait remis en espèce, pourtant relayées sur les réseaux sociaux. Il est écrit dès le préambule que le pacte ne sera pas contraignant pour les États qui l'entérinent ; le texte n'impose pas d'objectifs concrets et son impact ne dépendra que de l'interprétation qu'en feront des États et des mesures qu'ils prendront par la suite. Mais, alors même que le pacte est décrit par Mme Louise Arbour comme un cadre de travail et non comme un traité, les États-Unis, la Hongrie, l'Australie, la République Tchèque, l'Autriche, la Pologne, Israël et d'autres pays ont refusé de s'y associer. Quelle raison avancent-ils pour cela ? Surtout, comment la coopération en matière de migrations pourra-t-elle se faire sereinement avec eux ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Je ne doute pas que les pays européens considérés continueront de participer à tous les mécanismes de l'Union visant à la maîtrise et à la régulation des phénomènes migratoires. Je note par exemple que tous les États qui ont décidé de ne pas venir à Marrakech étaient tous représentés à Addis-Abeba le mois dernier à la réunion annuelle des hauts fonctionnaires de suivi du plan d'action conjoint de La Valette, qui sert à dresser le bilan de la mise en oeuvre de ce grand texte fondateur, feuille de route euro-africaine – et personne n'a remis en cause la pertinence de ce plan d'action. De même, je siège au comité opérationnel du fonds fiduciaire d'urgence pour l'Afrique, pour les trois fenêtres – le Sahel et le lac Tchad, l'Afrique du Nord, la Corne de l'Afrique. Les États européens dont il est question y siègent également, et ils étaient représentés, le 13 décembre encore, pour la fenêtre « Afrique du Nord ». Je pense donc qu'il faut dissocier les aspects politiques et symboliques de la coopération proprement dite, qu'elle soit bilatérale ou multilatérale, notamment par le biais de l'Union européenne. Je ne suis nullement pessimiste quant à l'impact que cette attitude peut avoir : on a besoin de tous les canaux de coopération avec les pays de transit et avec les pays d'origine et ce partenariat se poursuivra car les États en question savent pertinemment que c'est dans leur intérêt.

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Je juge déplorable que cette audition, organisée sous la pression urgente de plusieurs groupes politiques, se déroule en leur absence. Cela m'étonne peu de Mme Le Pen et de M. Dupont-Aignan, beaucoup plus du groupe Les Républicains, dont des membres ont participé avec nous à l'audition, à New York, de M. Jonathan Prentice, chef de cabinet de Mme Arbour, et de son équipe. À l'époque, le sujet n'avait pas pris la dimension polémique et racoleuse qu'il a aujourd'hui, et ils n'avaient rien trouvé à critiquer à la présentation du Pacte. Quelques semaines plus tard, alors que la polémique enfle, il ne revient pas à un parti qui se présente comme républicain de propager de fausses nouvelles puis de refuser la confrontation avec l'expert qui a négocié le texte. C'est d'autant plus incompréhensible que le parti populaire européen participe depuis des années à la mise en place du partenariat de La Valette. On sait parfaitement, pour l'avoir mise en oeuvre en 2015, que la gestion efficace des migrations suppose une approche concertée entre pays d'origine, pays de transit et pays de destination : cela fonctionne, on l'a vu. C'est une attitude profondément irresponsable que se faire le relais de Russia Today et d'autres pour faire croire aux Français que nous sommes face à une grande menace alors que nous mettons des solutions en oeuvre depuis plusieurs années.

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Je ne sais si cette intervention appelle une réponse de M. l'ambassadeur.

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Je ne le pense pas.

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Je m'associe aux propos tenus par mon collègue Jacques Maire au sujet de la très surprenante absence de nos amis du groupe Les Républicains qui, après avoir applaudi à deux mains, voire quatre et bien davantage, l'annonce de cette audition, ne daignent pas être présents aujourd'hui.

Vous l'avez souligné, monsieur l'ambassadeur, il faut éviter de penser que ce pacte ne vise que les migrants arrivant en Europe. Ma question porte sur les accords de réadmission, non pas à partir des pays de destination, majoritairement européens, mais à partir des pays de transit. Vous avez rappelé que l'Union européenne a signé un accord avec Rabat pour aider le Maroc à lutter contre l'immigration illégale et les réseaux de passeurs. En échange de l'octroi de 200 millions d'euros, le gouvernement marocain s'est donc engagé à éloigner des migrants clandestins afin d'éviter que des personnes souvent venues d'Afrique subsaharienne ne traversent la Méditerranée. Puisque c'est à partir de Tanger que les migrants espèrent rejoindre les côtes espagnoles, il faudrait éviter que cette ville ne devienne le « Calais marocain » ; or, c'est à partir de Tanger que les autorités marocaines procèdent aux éloignements, si bien que des milliers de personnes sont amenées de force non pas hors les frontières mais au Maroc même, jusqu'à Tiznit, ville située à près de 900 kilomètres plus au sud. Techniquement, il ne s'agit donc pas vraiment de réadmissions. Or, l'objectif n° 21 du Pacte est de « coopérer en vue de faciliter le retour et la réadmission des migrants en toute sécurité et dignité (…) », donc d'élaborer de nouveaux accords, non seulement bilatéraux et multilatéraux, mais aussi régionaux. Je m'interroge donc : les pays de transit, tel le Maroc, se sont-ils véritablement impliqués dans la négociation de ce Pacte ? Le texte crée-t-il de nouveaux jalons pour que ces pays passent eux-mêmes des accords de réadmission avec les pays d'origine, principalement d'Afrique subsaharienne, pour procéder à des éloignements au sens où on l'entend en Europe, c'est-à-dire vers les pays d'origine ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Les pays de transit ont évidemment été directement impliqués dans la négociation. S'agissant en particulier du Maroc, futur hôte de la conférence, je puis attester, pour avoir été en relation étroite avec ce pays à toutes les étapes de la négociation, qu'il s'y est beaucoup investi. Il y a tout intérêt : pays de transit, de destination et d'origine, il est confronté à tous les défis.

L'aide de 140 millions d'euros accordée par l'Union européenne au Maroc vise à l'aider à mieux contrôler ses frontières maritimes et terrestres et à lutter contre les réseaux de passeurs ; ce n'est pas le prix à payer pour des éloignements de migrants du Nord vers le Sud. Le Maroc gère souverainement sa réponse à ce défi en organisant depuis plusieurs années des retours volontaires de migrants, en collaboration avec les pays d'origine, singulièrement des pays d'Afrique de l'Ouest. Plusieurs milliers de retours ont eu lieu, en coopération avec l'OIM. Cette dernière s'occupe du volet « réinsertion », le volet « retour », et donc le voyage, étant pris en charge par le Maroc. Compte tenu de l'augmentation récente des flux, cette action s'est évidemment intensifiée et les choses se passent assez bien. De même, quand a eu lieu la grande opération de rapatriement conduite par l'OIM en novembre 2017 depuis la Libye avec le financement de l'Union européenne, à la suite du reportage de CNN, les pays d'origine avaient coopéré – on remarque d'ailleurs qu'ils tendent à mieux coopérer aux retours volontaires Sud-Sud qu'aux retours Nord-Sud.

Je ne connais pas l'état précis des accords formels de réadmission conclus, mais le Maroc procède depuis plusieurs années à des réadmissions, et ce sont des retours volontaires. Il faut le soutenir, et notamment l'aider à procéder à des sauvetages en mer, comme le font ses garde-côtes, tout comme ceux de la Tunisie, qui reçoit également une aide pour exercer ses responsabilités dans sa zone de recherche et de sauvetage.

Il est légitime qu'un État puisse contrôler ses frontières et éviter des flux irréguliers qui représentent une menace réelle pour lui sur le plan social et sur le plan sécuritaire. Le Maroc, comme d'autres pays, doit faire face à ses responsabilités en la matière. Il a beaucoup fait seul, mais l'augmentation des flux impose le renforcement de la coopération. Aussi a-t-il été très actif dans l'élaboration d'un Pacte qu'il appelait de ses voeux, et très actif aussi en coulisses. Je vous l'ai dit, le groupe africain s'est exprimé d'une seule voix, et je sais que le Maroc avait à coeur d'obtenir le résultat le plus substantiel possible. Situé comme il l'est entre les États de destination, au Nord, et les États d'origine, au Sud, il a aussi intérêt à une responsabilité partagée, un partenariat, une coopération avec tous. Le Maroc a d'ailleurs mené une politique assez généreuse, caractérisée par deux vagues de régularisations : celles de 25 000 personnes en 2014 et de 23 000 l'année dernière. Ce pays essaye donc de trouver des solutions humaines à la pression migratoire à laquelle il est confronté, ce qui est assez nouveau. Comme le Maroc, de nombreux États, parce qu'ils sont à la fois pays d'origine, de transit et de destination, sont confrontés à des défis multiples.

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Je salue le travail qui a précédé l'approbation de ce Pacte et dis à mon tour combien je suis surprise par l'absence de nos collègues du groupe Les Républicains à un débat qu'ils avaient vigoureusement demandé. Pour ce qui est de la communication, le déferlement actuel de fausses informations relatives au pacte vous a-t-il conduit à des préconisations permettant d'éviter que les futurs accords signés par la France en matière migratoire soient l'objet de telles incompréhensions ? S'agissant du suivi des engagements, le Pacte prévoit la réunion d'un « Forum d'examen des migrations internationales » tous les quatre ans à partir de 2022 ; pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet et expliciter la position française ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Sur les migrations comme sur d'autres sujets, nous sommes confrontés au bouleversement complet de la circulation de l'information. C'est un défi pour la raison, la connaissance et la démocratie que de constater la propagation si rapide de tant de fausses nouvelles et de rumeurs infondées par le biais des réseaux sociaux, sur tous sujets. Ce problème dépasse la seule question des migrations : il n'y a quasiment plus aucun sujet qui ne fasse désormais l'objet de cette immense confusion dans laquelle n'importe quelle rumeur devient une information. Nombreux sont ceux qui ne recherchent plus les informations dans des médias qui confrontent les faits et les contextualisent mais qui se suffisent des titres figurant sur des pages Facebook. Il serait donc présomptueux de ma part de faire des préconisations concernant ce que je pense être l'un des grands défis sociétaux et politiques de notre époque.

Le suivi des engagements se fera au travers d'un forum, mais cette enceinte ne sera pas entièrement nouvelle. En effet, il existe déjà le « Dialogue de haut niveau sur les migrations internationales et le développement », et les co-facilitateurs, à l'instigation, sans doute, du secrétaire général de l'ONU, ont souhaité que l'on transforme cet instrument pour traiter l'ensemble des migrations internationales. En effet, le Pacte a une approche à 360 degrés des migrations internationales, couvrant bien d'autres aspects que le seul développement : il comporte un volet sécuritaire, un volet relatif à l'intégration et bien d'autres domaines, tels les services consulaires ou l'état civil. Aussi s'est-on accordé sur la transformation de l'outil existant en un « Forum d'examen des migrations internationales » qui permettra le suivi, tous les quatre ans, de la mise en oeuvre du Pacte et des adaptations éventuellement nécessaires – ce dont nous avons parlé tout à l'heure en évoquant l'enjeu climatique et les déplacements forcés d'origine climatique. Nous souhaitons une instance coopérative et non contraignante : il ne s'agit pas de créer une usine à gaz complexe mais d'organiser un rendez-vous tous les quatre ans pour dresser le bilan de la mise en oeuvre du pacte et voir s'il y a lieu d'ajuster la feuille de route internationale.

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Comme mes collègues, je juge inadmissible que le groupe Les Républicains réclame un débat au motif que la souveraineté nationale serait en danger puis déserte cette audition ; faire le buzz au détriment du Pacte de Marrakech n'est pas ce que l'on attend de parlementaires.

J'ai cru comprendre qu'entre les forums d'examen des migrations internationales prévus tous les quatre ans auraient lieu des consultations intergouvernementales, lancées en 2019 sous l'égide de l'ONU. S'agira-t-il d'un suivi à mi-parcours de la mise en oeuvre du pacte ou est-ce une procédure indépendante ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Le forum d'examen aura lieu tous les quatre ans mais le silence ne sera pas complet entretemps. Le Secrétaire général de l'ONU rendra compte tous les deux ans à l'Assemblée générale de la mise en oeuvre du pacte, et en particulier des activités organisées dans le cadre du réseau des Nations unies sur les migrations. De plus, de nombreux cadres d'action, processus et plateformes existent déjà aux niveaux continental, régional ou sous-régional, qui continueront à vivre en interaction avec le pacte. J'en donnerai pour exemple le processus de Rabat, plateforme de concertation créée en 2006 entre l'Europe, l'Afrique du Nord, l'Afrique de l'Ouest et l'Afrique centrale et dont la France exercera la présidence à partir de mai 2019. Lors de la réunion des hauts fonctionnaires dans le cadre du suivi du plan d'action conjoint de La Valette, à Addis-Abeba, le mois dernier, on a traité de la manière dont le pacte serait intégré dans les processus de Khartoum et de Rabat – ce sera d'ailleurs une des tâches de la présidence française du processus de Rabat. Outre le suivi permis tous les quatre ans par le forum d'examen des migrations internationales, il y aura donc des discussions au niveau régional, car même si la migration est un phénomène global, il y a différentes géographies migratoires : celle du continent américain mais aussi une géographie euro-africaine, une géographie « Asie du Sud et Moyen-Orient vers l'Afrique », ou encore « Asie du Sud et du Sud-Est vers le Golfe », et aussi des géographies migratoires intracontinentales. Selon les cas, il existe des cadres de discussion ou il n'en existe pas. Pour ce qui est du dialogue euro-africain en tout cas, ces enceintes sont assez nombreuses et elles continueront de vivre. Pour le processus de suivi des Nations unies, des co-facilitateurs élaboreront une résolution qui devra être adoptée par l'assemblée générale au printemps prochain.

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Je m'associe aux propos de mes collègues pour considérer comme Louis Chedid, né en Égypte mais qui aurait pu naître à Marrakech, que les absents ont toujours tort.

Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a notamment pour but de lutter contre les facteurs négatifs et les problèmes structurels qui sont les causes profondes incitant les individus à migrer. Traiter le problème à la source doit également faire partie des priorités de la France ; notre politique extérieure évoluera-t-elle pour donner suite aux objectifs énoncés dans ce Pacte ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Depuis dix-huit mois, le Gouvernement, sous l'autorité du Président de la République, a élaboré un plan concernant le droit d'asile et l'immigration qui tient lieu de feuille de route. Il comprend plusieurs volets : un volet national avec une traduction législative et un plan d'organisation et de renforcement des moyens ; un volet européen ; un volet international, qui est plutôt celui de ma compétence. Tous les domaines couverts par le Pacte font déjà l'objet d'un dialogue avec les pays de transit et les pays d'origine. Il n'y a donc ni césure ni hiatus entre ce qui est déjà engagé et ce que prévoit le Pacte ; ensuite, il revient à chaque État de mettre le Pacte en oeuvre selon sa situation propre, dans le cadre de sa législation et de sa politique nationale. Ce texte, toile de fond internationale, sera utile parce que nous avons besoin de partenaires organisés. Ainsi, pour lutter contre le trafic illicite de migrants, les États d'origine et de transit doivent s'être dotés de législations appropriées, d'une organisation du renseignement territorial, d'unités d'investigation spécialisées – qui peuvent recevoir un appui international, comme c'est le cas, par exemple, au Niger, où une équipe conjointe d'investigation associe des policiers espagnols et français. Ils doivent aussi renforcer la chaîne pénale pour lutter correctement contre ces réseaux de trafiquants, ce qui signifie qu'il faut former et sensibiliser les magistrats à ces questions. C'est ce que dit le pacte, mais ces tâches assez importantes sont déjà engagées car elles figurent dans le plan d'action de La Valette. Je ne vois donc que convergence entre les principes et les objectifs.

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En dépit de son caractère juridiquement non contraignant pour les États, dont la souveraineté est réaffirmée, le Pacte de Marrakech a fait l'objet ces dernières semaines de fausses informations de la part de partis politiques qui l'ont instrumentalisé, créant une certaine méfiance à son encontre au sein de l'opinion publique. Au prix d'un grand écart édifiant entre le vrai et le faux, certains ont tenté de noyer la réalité dans la fiction. D'une part, deux années de tractations et de concertation ont abouti à l'élaboration d'un cadre de coopération ; d'autre part, une très violente campagne de désinformation via internet a incité des États à se retirer du Pacte. Cet épisode met en lumière la facilité avec laquelle des puissances étrangères peuvent semer le trouble ou la discorde dans la politique, nationale ou étrangère, d'un pays, et aussi le fossé qui peut exister entre l'exercice de la diplomatie et sa perception par le grand public.

Cela m'amène à vous poser une question, à laquelle j'associe ma collègue Anne Genetet : quel regard portez-vous sur l'exercice de la diplomatie à l'ère de la désinformation ? D'autre part, étant donné la montée du populisme et l'arrivée de l'extrême droite à la tête de certains pays en Europe et ailleurs dans le monde, le pacte n'est-il pas déjà en péril ? Le message qu'il est censé véhiculer n'est-il pas dès à présent battu en brèche ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Votre première question, qui porte sur l'exercice de la diplomatie à l'ère de la désinformation, dépasse de beaucoup mes compétences et l'objet de cette audition. Pour limiter mon propos au Pacte, le fait que le premier objectif soit consacré à la collecte des faits et à leur analyse montre que l'on est largement conscient des lacunes de la connaissance et du défi que représentent toutes les informations fallacieuses. Une négociation demande beaucoup d'objectivité ; c'est donc un défi supplémentaire. Mais la désinformation fait partie des armes de la guerre diplomatique depuis longtemps ; ce sont son intensité et ses vecteurs qui ont changé au cours des dernières années. Je pense que la négociation sur le climat a aussi été affectée par la désinformation, certains utilisant des relais indirects – ce que l'on appelait, à la grande époque de l'Union soviétique, la « stratégie indirecte » – autrement dit des faux-nez : des gens qui colportent une certaine propagande sans que l'on ait besoin d'être soi-même sur le devant de la scène. Tous les secteurs de la diplomatie sont exposés à ce phénomène ; c'est un défi qu'il faut effectivement traiter.

Le Pacte est-il battu en brèche ? Non, puisqu'il existe. On sait que tout texte, même s'il est adopté de manière consensuelle – ainsi de l'Accord de Paris sur le climat – peut connaître des à-coups, des accidents de parcours, des remises en cause partielles ou des retraits tant les sujets traités sont importants et compliqués. Quelles que soient les difficultés rencontrées, soit lors de l'adoption d'un texte soit par la suite, cela n'empêche pas qu'une trame existe sur laquelle s'appuyer pour poursuivre l'action engagée afin de traiter les causes profondes des migrations et de lutter contre les réseaux de trafic de migrants. Des actions sont en cours et certains États seront, je pense, beaucoup plus pragmatiques que ne le laisse penser la posture politique qu'ils ont prise à l'égard de ce texte.

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Je vous remercie, monsieur l'ambassadeur, pour la précision de vos propos, et je déplore que certains de nos collègues ne soient pas venus les entendre alors qu'ils avaient réclamé cette audition à cor et à cri. La clarté de votre expression et une lecture attentive du pacte permettent de se rendre compte qu'il y a beaucoup de bruit pour rien autour d'un texte symbolique et néanmoins nécessaire.

Il est dit, au paragraphe 15 g) du préambule, que le Pacte « repose sur un ensemble de principes directeurs transversaux et interdépendants au nombre desquels figure la prise en compte de la problématique femmes-hommes ». Ce paragraphe est rédigé comme suit : « Le Pacte mondial vise à ce que les droits de l'homme soient pour tous, femmes et hommes, filles et garçons, respectés à tous les stades de la migration, que les besoins spécifiques de chacun et chacune soient bien compris et satisfaits et que les migrantes et les migrants aient les moyens d'insuffler le changement. Il intègre la problématique femmes-hommes et promeut l'égalité des sexes et l'autonomisation de toutes les femmes et les filles, en insistant sur leur indépendance, leur capacité d'action et leur esprit d'initiative, de façon que les migrantes cessent d'être considérées avant tout comme des victimes. »

Seulement, ce très beau principe directeur n'est pas aussi bien traduit qu'on aurait pu l'espérer dans les objectifs, en tout cas pas de manière aussi claire qu'annoncé. Qu'en penser ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Je serai moins négatif que vous sur la prise en compte de la vulnérabilité des femmes et des filles par le biais des engagements et des objectifs. L'égalité de traitement entre les hommes et les femmes et l'attention particulière à porter aux femmes ont été une préoccupation des négociateurs, européens notamment. Je vous invite à relire l'ensemble des objectifs ; vous constaterez qu'ils comportent de nombreuses références à l'égalité entre hommes et femmes et surtout aux vulnérabilités des migrantes et à la nécessité d'y accorder une attention particulière. Cela se traduira-t-il dans les faits, me demanderez-vous sans doute ? Cette question vaut pour le pacte dans son ensemble, mais je remarque que les Européens n'ont pas été les seuls à se préoccuper de cet aspect des choses. Ainsi, la délégation des Philippines, en raison du profil migratoire de ce pays, a été extrêmement insistante pour que, le plus possible, à chaque fois que c'était pertinent, référence soit faite à l'égalité entre hommes et femmes et à l'absence de discrimination. C'est le cas, par exemple, pour ce qui est relatif aux documents d'état-civil et de voyage, car on sait que dans certains pays, les femmes sont encore plus maltraitées que les hommes. La question apparaît donc comme un fil rouge dans le pacte ; les Européens, je le redis, y ont beaucoup insisté, et ils ne sont pas les seuls.

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Le droit de se mouvoir partout sur cette Terre, c'est le privilège de l'être humain et sa liberté. Le Pacte réaffirme des principes aussi simples que celui-là, et les vingt-trois objectifs qu'il définit mettent les choses au clair. Il est notamment question de renforcer l'action transnationale face au trafic de migrants et de favoriser des pratiques telles que les migrants puissent éventuellement envisager des alternatives, à savoir faire des choses chez eux de la meilleure façon qui soit.

J'insisterai sur l'objectif n°8 : « Sauver des vies et mettre en place une action internationale coordonnée pour retrouver les migrants disparus ». Je ne peux m'empêcher de penser aux parcours de migration dangereux, notamment en Méditerranée, qui ont fait la une des journaux, avec tant de morts dus à la cacophonie européenne que j'avais relatée cet été quand nous avions travaillé sur la crise de l'Aquarius. Le Président de la République n'a eu de cesse d'essayer de trouver les mécanismes d'une solidarité européenne pour que les États de bonne volonté assurent une prise en charge à la hauteur de l'humanité dont nous devons faire preuve pour affronter l'urgence. On ne peut laisser quelqu'un en péril de mort se noyer, c'est indiscutable ; le reste se débat par la suite, une fois que les gens sont débarqués dans un port sûr. Mais les cyniques de tout poil, surtout d'extrême droite, n'ont même pas daigné s'intéresser à l'élaboration de ce texte, quand bien même il n'est pas coercitif ; ainsi du président américain, mais aussi des populistes d'extrême droite que sont MM. Orbán, Salvini, Kurz et toute cette clique – car la liste, malheureusement, s'allonge. Aucun d'eux ne s'inscrivant dans la dynamique du pacte, comment trouver des mécanismes de solidarité européenne ? On l'a vu pour l'Aquarius : il est extrêmement difficile d'arracher des solutions à cinq ou à six. À chaque fois, du reste, la France a pris largement sa part, mais les solutions auxquelles on a abouti étaient parcellaires et limitées à quelques pays. À présent, l'Aquarius est désarmé, il n'y a plus d'ONG adaptée et des gens périssent tous les jours en mer ; comment fera-t-on respecter l'objectif n° 8 sinon par la coercition, pour permettre aux migrants de suivre des parcours sûrs et de ne pas périr noyés ? Quelles solutions offrir pour faire tenir cet objectif ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

Certains objectifs ont fait l'objet de discussions compliquées en raison de divergences fortes, et le grand mérite des co-facilitateurs est d'avoir réussi à trouver un assez large consensus. L'objectif n° 8 n'est pas de ceux-là, et les États qui ont assez tardivement décidé de ne pas souscrire à ce pacte n'avaient formulé aucune objection. L'objectif de fond étant d'assurer des migrations sûres, ordonnées et régulières, il faut condamner toutes les routes irrégulières, celles où les migrants sont livrés à des trafiquants et des passeurs sans scrupule. Quand on voit avec quel cynisme et quelle inhumanité ces derniers font embarquer des personnes sur des embarcations inadaptées au transport pour augmenter leurs marges et comment, dans le désert du Sahara, ils abandonnent leur « cargaison » d'êtres humains quand ils soupçonnent une menace d'interception par des forces de sécurité intérieures, on se dit que des actions prioritaires doivent être menées et l'on se réjouit qu'un objectif y soit consacré.

Pour ce qui est ensuite de l'organisation, des discussions ont eu lieu avant la finalisation du Pacte, qui continueront dans une configuration intra-européenne. Vous avez rappelé les orientations françaises et donc la recherche de solutions pragmatiques. Nous cherchons aussi à obtenir le renforcement capacitaire de tous les États pour qu'ils puissent exercer leurs responsabilités tant en matière de contrôle de leurs frontières maritimes que de recherche et de sauvetage en mer. Ils doivent avoir les capacités pour le faire et l'on sait que sur la rive sud de la Méditerranée, par exemple, ces capacités, très inégales, doivent être renforcées pour que les choses se fassent de la façon la plus conforme au droit international. C'était le sens des propositions faites par le Conseil européen, dont les premières réactions ont été un peu négatives ; mais peut-être n'a-t-on pas compris que l'objectif poursuivi est la recherche et le sauvetage en mer, dans le respect du droit international – Convention de Hambourg, droits de l'homme et respect des droits des réfugiés dans le traitement des demandeurs d'asile une fois débarqués ou interceptés. Ce débat se poursuivra et la recherche de solutions continuera d'être un axe de la politique française.

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Plus on ferme les frontières, plus on durcit l'accès à des pays, et plus on verrouille les migrations « aller-retour » ou occasionnelles. En effet, on donne aux gens le sentiment que c'est pour eux le dernier voyage possible : ils ont réussi à arriver là où ils voulaient faire quelque chose, mais ce devra être sans retour dans leur pays d'origine, même si ce n'est pas ce qu'ils avaient initialement envisagé. On voit bien, en étudiant les demandes de visa, que certaines personnes voudraient venir faire une expérience en France, y travailler trois ans par exemple, mais que les ressortissants de certains pays d'Afrique n'arrivent pas à obtenir de visa, tant on a peur qu'ils s'installent ici définitivement. Le sujet des migrations temporaires a-t-il été abordé au cours de la négociation du pacte ?

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Pascal Teixeira Da Silva, ambassadeur chargé des migrations

La protection des frontières est de la responsabilité de tous les États, États d'origine et de transit compris. Lorsque je voyage dans les pays africains avec un passeport diplomatique, j'ai besoin de visas. Je peux vous assurer que ces États sont assez sourcilleux à ce sujet : ils considèrent que le contrôle et la maîtrise de leurs frontières sont des éléments de leur souveraineté. Il ne faut donc pas s'imaginer que seuls les Européens sont obsédés par cette question. De nombreux États ont cette préoccupation, sans avoir toujours les moyens d'exercer la souveraineté qu'ils revendiquent.

La question de la mobilité circulaire – car il faut distinguer la mobilité, qui est le fait de se déplacer, de la migration, qui signifie une forme d'installation d'au moins un an selon la définition internationale – a été abordée et figure dans le pacte, sans que l'on ait rédigé de prescriptions à ce sujet. Il est dit que ce pourrait être utile, à charge pour chaque pays de définir ce qu'il veut faire, le principe de base étant la maîtrise par chaque État de l'entrée et du séjour des étrangers sur son territoire. En France, nous avons malheureusement connu deux phénomènes parallèles depuis 2012 : la mobilité légale et la migration régulière se sont développées, les chiffres l'attestent, en même temps que la pression migratoire irrégulière, mesurée par les non-admissions, les interpellations d'étrangers en situation irrégulière et le nombre de mesures d'éloignement prononcées. Dans certains pays de l'Est de l'Europe, l'augmentation de la demande d'asile a été concomitante avec la libération des visas. L'objectif est bien d'introduire de la régularité, de la sûreté et de l'ordre, car plus il y a de phénomènes irréguliers, plus la tendance à la suspicion s'affirme. De même, plus il y a de fraudes à l'état civil et aux documents de voyage, plus s'élève le taux de refus de visas et plus le soupçon gagne. Si, en revanche, pour les documents de voyage, d'état civil et d'identité, les choses sont faites selon des règles, comme le prévoit le pacte, cela facilitera évidemment la mobilité légale. Le Pacte a pour objectif de créer un cercle vertueux qui ne peut être que bénéfique à tous.

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La question des migrations est probablement un des enjeux majeurs des décennies qui viennent pour l'ensemble des peuples. Je considère que les parlements ont la responsabilité de s'en saisir, ce pour quoi j'avais demandé dans le rapport que j'ai rendu l'année dernière, un débat parlementaire annuel sur cette question. Nous ne regardons pas la question de la migration économique les yeux grands ouverts comme nous devrions le faire. Ce disant, je ne parle pas de l'asile, régi par des conventions internationales particulières, même si de ce point de vue je pense que l'Europe et le reste du monde auraient pu faire mieux pour accueillir les Syriens. Il faut, disais-je, envisager la migration économique différemment. Si une fluidité est instituée dans la migration économique, décidée d'un commun accord entre les pays, avec des allers-retours, on pourra venir, repartir puis revenir, et l'on pourra aussi avoir des équivalences de diplôme et des équivalences de formation professionnelle. Cela modifierait radicalement la manière de penser la migration. De nombreux migrants qui arrivent dans des pays européens, en France par exemple, n'en repartent plus de peur de ne pouvoir y revenir. On entretient ainsi une immigration illégale, assortie de régularisations, année après année, de personnes qui remplissent certains emplois qui ne sont pas pourvus autrement. Nous gagnerions tous à admettre la réalité et à changer de paradigme. C'est à cette possibilité d'allers et de retours que je pense quand je parle de visas multiples.

Enfin, nous aurions besoin non seulement d'un débat annuel au Parlement sur ces questions, mais aussi d'une feuille de route élaborée sous la responsabilité conjointe du ministère de l'intérieur et du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.

Je vous remercie, monsieur l'ambassadeur, de votre présence parmi nous ce soir. Nous continuerons de traiter des questions de migration, et nous vous reverrons très bientôt.

La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 18 décembre 2018 à 17 h 30

Présents. - Mme Clémentine Autain, M. Pierre Cabaré, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Alain David, M. Christophe Di Pompeo, M. Bruno Fuchs, Mme Anne Genetet, M. Éric Girardin, M. Rodrigue Kokouendo, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Marion Lenne, M. Jacques Maire, M. Denis Masséglia, Mme Monica Michel, Mme Delphine O, M. Jean-François Portarrieu, Mme Isabelle Rauch, Mme Marielle de Sarnez, M. Joachim Son-Forget, Mme Sira Sylla, Mme Liliana Tanguy

Excusés. - M. Lénaïck Adam, M. Frédéric Barbier, Mme Valérie Boyer, M. Moetai Brotherson, Mme Samantha Cazebonne, Mme Laurence Dumont, M. Philippe Gomès, M. Meyer Habib, M. Bruno Joncour, Mme Amélia Lakrafi, Mme Nicole Le Peih, Mme Marine Le Pen, M. Maurice Leroy, M. Jean-Luc Mélenchon, M. Christophe Naegelen, M. Hugues Renson, M. Bernard Reynès, M. Sylvain Waserman

Assistait également à la réunion. - M. Christophe Lejeune