Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du jeudi 17 janvier 2019 à 11h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • flottant
  • marin
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  • mer
  • parc
  • posé
  • éolien
  • éolienne
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  PS et divers gauche    En Marche    MoDem  

La réunion

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La séance est ouverte à onze heures trente-cinq.

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Mes chers collègues, nous abordons à présent la question de l'éolien maritime, dont les problématiques ne sont pas toutes identiques à celles de l'éolien terrestre.

Deuxième puissance maritime mondiale grâce à une zone maritime de 11 millions de kilomètres carrés et quatre façades maritimes métropolitaines, la France bénéficie d'une situation géographique privilégiée pour le développement de l'éolien en mer. Pourtant, elle ne compte pour l'heure qu'une éolienne flottante en service et aucun parc offshore. Il convient donc de se demander quels sont les freins au développement de ce mode de production d'énergie.

Pour en discuter, nous avons le plaisir d'accueillir M. Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire ; M. Nicolas Deloge, directeur adjoint à la Direction des réseaux, et M. Adrien Thirion, chef du département Dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et aux consommateurs, de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) ; M. Frédéric Petit, président de la commission Offshore de France énergie éolienne (FEE) ; M. François Gauthiez, directeur de l'appui aux politiques publiques de l'Agence française pour la biodiversité (AFB), et M. François Piccione, coordinateur du réseau Océans, mers et littoraux de France nature environnement (FNE).

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Madame, messieurs, je vous remercie d'être présents ce matin. Quelques mots pour replacer cette table ronde dans le contexte plus général de la mission d'information relative aux freins à la transition énergétique. Les travaux de celle-ci sont organisés autour de sept thèmes : la vision que nous avons de notre pays dans le nouveau monde de l'énergie ; le développement des filières d'énergie renouvelable, qui vous concerne directement ; la mobilité ; les économies d'énergie ; la manière dont les grands groupes de l'énergie se projettent dans l'avenir et intègrent le changement radical intervenu dans la production et la consommation d'énergie ; les territoires, qui ont un rôle primordial à jouer dans la transition énergétique ; enfin, la fiscalité et les taxes liées à cette transition. Vous n'êtes pas directement concernés par l'ensemble de ces thèmes, mais il nous intéresserait de vous entendre sur ces différents points.

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Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire

Pour commencer, je me propose de vous présenter rapidement notre vision de l'éolien en mer, de la filière, ainsi que notre ambition dans ce domaine.

Je ne rappellerai pas, ici, quels sont les objectifs généraux de la politique énergétique de la France et combien il est important de développer les énergies renouvelables, notamment la filière éolienne. En ce qui concerne l'éolien en mer, nous estimons qu'il a vocation à être développé dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) pour constituer, à terme, une filière essentielle à la transition énergétique française. Pour l'instant, en France – à la différence d'autres pays européens –, cette filière est actuellement, sur le plan technologique, moins mature que celle de l'éolien terrestre, notamment parce qu'il n'existe aucun parc en fonctionnement. Or elle ne pourra être développée massivement que si l'on obtient des prix compétitifs. C'est pourquoi le Gouvernement a réduit le coût des projets engagés, qui concernent six parcs, et modernisé l'ensemble du cadre réglementaire, en tirant les leçons du passé – je pense au lancement, il y a plusieurs années, de parcs qui n'ont jamais été mis en service – et en offrant une visibilité pluriannuelle à la filière.

Dans cette perspective et compte tenu du fait que les coûts de l'éolien avaient baissé partout en Europe, le ministre de la transition écologique et solidaire a souhaité renégocier les contrats correspondant aux parcs existants, afin de réduire la charge pour le contribuable et de consolider ces projets en s'efforçant de moderniser ce qui pouvait l'être, sachant que le droit ne permet pas de tout modifier. C'est ce qui a été fait l'an dernier ; les décisions d'approbation définitive ont été publiées au Journal officiel fin novembre. Afin de soutenir cette dynamique, nous avons lancé, dans la foulée, le 15 novembre dernier, un nouvel appel d'offres concernant une zone située au large de Dunkerque dont le ministre souhaite désigner le lauréat au cours du premier semestre 2019.

En même temps que nous tirions les leçons des six premiers projets, nous avons examiné ce qui fonctionne en Europe et mené un grand nombre de réformes pour simplifier et favoriser le développement des énergies renouvelables en mer. Ainsi, nous avons créé une autorisation environnementale unique, accéléré le traitement des contentieux – si les six premiers projets accusent un retard très important, c'est en partie parce qu'aucun d'entre eux n'est soldé de recours –, instauré la possibilité d'un dialogue concurrentiel, utilisé pour la première fois à Dunkerque, pour disposer d'offres plus compétitives, et réformé le raccordement. Il est également prévu que, pour les prochains parcs, l'État organisera très en amont la consultation du public à l'échelle d'une façade, afin d'identifier les zones les plus propices et de savoir quelles pourraient être les oppositions locales, de sorte que le projet, une fois dimensionné, soit « dérisqué ». À cette fin, l'État réalisera également une partie des études environnementales : vent, biodiversité, bathymétrie… Il s'agit de « dérisquer » au maximum les projets en amont, de préparer le terrain, pour faciliter le déroulement des futurs projets.

Une fois ce cadre mis en place, nous avons annoncé, dans le projet de PPE qui a été lancé par le Président de la République en novembre, un certain nombre de nouveaux projets qui pourraient être mis en oeuvre au rythme d'un par an. Un premier projet d'éolien posé devrait être ainsi lancé dans la Manche en 2019, après un débat public qui devrait débuter prochainement. Il sera suivi par des appels d'offres commerciaux d'éolien flottant en Bretagne et en Méditerranée ; de telles fermes éoliennes flottantes de grande taille constitueront une première en Europe. Le projet de PPE ouvre ensuite la voie au lancement d'autres projets qui permettraient d'atteindre 5 gigawatts de capacité installée en 2028.

En conclusion, le Gouvernement a conscience que ces filières font l'objet d'attentes extrêmement fortes. De fait, le potentiel est important, la technologie a montré sa maturité en Europe, la France réunit des conditions assez exceptionnelles pour le développement de l'éolien en mer ; sur le plan énergétique, la production est plus régulière qu'à terre. Autant d'éléments qui expliquent que le Gouvernement souhaite soutenir cette filière. Pour l'instant, la politique privilégiée vise plutôt à consolider les premiers projets, à moderniser le cadre réglementaire et à fixer un calendrier réaliste de développement de nouveaux projets, d'un point de vue technologique puis économique. Cependant, le ministre d'État a annoncé à plusieurs reprises que le Gouvernement pourrait envisager une augmentation des capacités dans le futur au cas où la baisse des prix serait supérieure à ce qu'on anticipe aujourd'hui.

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Nicolas Deloge, directeur adjoint à la Direction des réseaux de la Commission de régulation de l'énergie

Si la Commission de régulation de l'énergie (CRE) a, autour de cette table, deux représentants, c'est parce qu'elle remplit deux types de mission : le premier concerne la mise en oeuvre des appels d'offres en matière d'énergies renouvelables et l'évaluation des charges de service public ; le second a trait à la régulation des réseaux, notamment du réseau public de transport d'électricité. Pour que nos interventions soient cohérentes, je vous propose de céder la parole à M. Thirion, qui va vous parler des appels d'offres ; je compléterai ensuite son propos en évoquant le raccordement.

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Adrien Thirion, chef du département Dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et aux consommateurs de la Commission de régulation de l'énergie

Tout d'abord, je vous remercie d'offrir à la CRE l'opportunité de s'exprimer sur cette filière qui a fait couler beaucoup d'encre ces douze derniers mois, et mobilisé le Parlement et l'ensemble des administrations de l'énergie, de l'industrie et du budget. La CRE se félicite globalement de la conduite des renégociations des conditions de rémunération des lauréats des appels d'offres 1 et 2, pour lesquels elle avait évalué, dès 2011 et 2013, l'engagement budgétaire de l'État à une quarantaine de milliards d'euros sur vingt ans. Cette procédure peu commune, que vous avez autorisée, a en effet permis de corriger, au moins en partie, les prix élevés qui résultaient de ces deux appels d'offres. Ces prix élevés traduisent, certes, les spécificités des conditions géographiques et météorologiques des côtes françaises ; ils ont aussi et surtout été la conséquence des modalités d'organisation de ces appels d'offres, qui ont pu contribuer à limiter la concurrence. Pour rappel, il n'y avait que deux candidats par lot, sauf pour l'un d'entre eux, où ils étaient trois.

La mise en oeuvre d'une procédure de dialogue concurrentiel – à laquelle il a été fait recours pour la première fois pour le développement d'un parc au large de Dunkerque –, puis la loi du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance, ont permis des améliorations significatives en matière de « dérisquage » des projets et augmenté ainsi l'appétence des porteurs de projets pour le développement de ces installations, puisque ceux-ci peuvent candidater en évitant de prévoir des marges de risques excessives.

La CRE considère cependant qu'outre les mesures rappelées par la DGEC et mises en oeuvre au cours des douze derniers mois, un certain nombre de points peuvent encore être améliorés. Je m'en tiendrai à deux d'entre eux.

Le premier concerne les études de levée de risque qui, à notre sens, devraient être réalisées par l'État très en amont du lancement de la procédure de mise en concurrence, afin que les candidats puissent disposer des résultats complets de ces études – conformes aux standards de l'industrie – au moment de la procédure de mise en concurrence. La durée des mesures des données de vent, par exemple, nécessite que celles-ci soient réalisées très en amont pour bénéficier d'un retour d'expérience suffisant.

Le second concerne les autorisations nécessaires au développement des projets. Il a été rappelé qu'un « permis enveloppe » avait été créé. Il conviendrait, nous semble-t-il, de franchir une étape supplémentaire en prévoyant que les autorisations nécessaires au développement des projets soient obtenues par l'État, pour le compte des lauréats, en amont de la procédure concurrentielle et qu'elles soient, avant même le lancement de la procédure, purgées par l'État de tout recours. Il devrait en être de même pour les procédures liées aux travaux de raccordement dépendant du gestionnaire du réseau de transport (GRT). Ainsi, le candidat, au moment où il dépose son offre, ne supporterait plus aucun risque lié à ce type de procédure, ce qui n'est pas encore tout à fait le cas aujourd'hui. En effet, si le débat public permet de prendre la température et de déminer au maximum le terrain, il appartient encore au lauréat de déposer son autorisation environnementale et d'assumer les éventuels recours dont elle fera l'objet. Cette procédure a déjà été mise en oeuvre aux Pays-Bas et nous semble avoir produit des résultats satisfaisants.

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Nicolas Deloge, directeur adjoint à la Direction des réseaux de la Commission de régulation de l'énergie

Les raccordements sont effectués par le gestionnaire du réseau de transport, Réseau de transport d'électricité (RTE). Selon les évaluations actuelles, pour les appels d'offres 1 et 2, qui concernent six sites, il faut compter, par raccordement, entre 170 millions et 270 millions d'euros, soit, pour la période courant jusqu'à 2024, un coût total de raccordement d'environ 1,3 milliard d'euros. Pour vous donner un ordre de grandeur, le budget d'investissement de RTE pour 2018 était d'environ 1,4 milliard d'euros. Ces travaux ont donc un impact significatif sur le programme de travaux du gestionnaire du réseau de transport. Pour les mêmes appels d'offres, le financement de ces raccordements, qui devait être assuré à l'origine par les lauréats, a été transféré par la loi pour un État au service d'une société de confiance à RTE, donc aux tarifs de transport d'électricité. Cette disposition présentait notamment l'intérêt de « dérisquer » les projets dans ce domaine.

Il faut savoir que la CRE est compétente pour approuver les modèles de convention de raccordement. À la suite de cette modification législative, nous avons donc décidé, après une large concertation avec les acteurs – lauréats, Gouvernement, gestionnaire du réseau de transport –, d'adopter un nouveau modèle de convention de raccordement, lequel est aujourd'hui applicable et ne constitue plus un frein au développement des six sites.

Nous avons également pour mission de veiller à l'efficacité du gestionnaire de réseau de transport. Dans ce cadre, nous avons pris des décisions visant à inciter ce dernier à réduire les coûts en étendant un dispositif applicable aux très grands projets d'interconnexion, qui consiste à fixer un budget cible et à envoyer une incitation financière au gestionnaire du réseau de transport afin qu'il l'atteigne. Ce dispositif a été mis en oeuvre fin décembre 2018 et sera donc applicable à ces projets.

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Frédéric Petit, président de la commission Offshore de France énergie éolienne

je suis également chargé du « business développement » chez Siemens Gamesa.

Je vous remercie d'offrir à France énergie éolienne l'opportunité de s'exprimer sur ce sujet. L'énergie éolienne en mer est parfaitement compétitive et mature, comme en témoignent les 3 gigawatts installés par an en Europe. Pour les appels d'offres lancés depuis 2016 en Europe, les niveaux de prix se situent entre 49 et 70 euros du mégawattheure, sachant que quelques-uns d'entre eux ont été attribués sans mécanisme de soutien. Sans revenir sur la renégociation, qui a été largement abordée précédemment, je tiens à souligner que France énergie éolienne est convaincue que l'appel d'offres de Dunkerque permettra de démontrer la compétitivité de l'éolien en mer en France, puisque le prix sera de l'ordre de 60 euros du mégawattheure.

En matière d'emploi, alors même qu'aucune éolienne en mer n'est en service en France, les énergies marines représentent actuellement environ 2 000 emplois. Selon les engagements pris dans le cadre des deux premiers appels d'offres, ce secteur représentera, à terme, 15 000 emplois, soit un doublement par rapport au nombre d'emplois actuel dans l'éolien maritime et terrestre.

Par ailleurs, nous considérons que le cadre législatif et réglementaire précédent, applicable aux appels d'offres 1 et 2, a pu partiellement être à l'origine des retards – l'attribution étant intervenue en 2012 alors que les premiers parcs entreront en service à horizon 2022. Ce délai de dix ans est, certes, particulièrement long, mais il est à comparer aux délais en vigueur dans l'éolien terrestre, qui sont en moyenne de huit ans. Force est de constater que la France est, hélas ! un pays où les projets mettent du temps à se réaliser… France énergie éolienne a été, au cours des dernières années, force de proposition pour améliorer ce cadre réglementaire, en s'inspirant des bonnes pratiques européennes : dialogue concurrentiel, « permis enveloppe », « dérisquage » en amont, raccordement à la main du gestionnaire de réseau… Nous nous félicitons donc des avancées significatives intervenues dans ce domaine, qui non seulement rendent le territoire français plus attractif mais favorisent également la nécessaire baisse des coûts.

Trois points retiennent néanmoins notre attention. Tout d'abord, nous souhaitons que le « permis enveloppe », en tout cas les procédures qui seront mises en oeuvre, permette une réelle flexibilité, c'est-à-dire une sélection des technologies au plus près de la décision d'investissement. Ensuite, même si des progrès ont été faits, nous estimons qu'il est nécessaire de poursuivre l'optimisation du temps des recours. Les premières autorisations en France ont été obtenues en 2016 ; les recours ont donc pris trois ans sur dix, ce qui est particulièrement long. Enfin, nous souhaitons que la fiscalité soit adaptée, c'est-à-dire proche de celle qui est appliquée à d'autres énergies renouvelables, comme l'éolien terrestre ou le solaire, et proche de celle qui prévaut dans d'autres pays d'Europe.

Quant à l'environnement, c'est évidemment un sujet majeur pour le développement de la filière. Celle-ci a besoin de connaissances plus précises en amont, en lien avec la planification spatiale et maritime et les documents stratégiques de façade. L'étude de levée du risque, désormais conduite par l'État, permettra de répondre partiellement à cet enjeu. France énergie éolienne soutient plusieurs initiatives environnementales et programmes de recherche dans ce domaine. J'ajoute que le retour d'expérience sur la base des 16 000 mégawatts installés en Europe fournira également des éléments précis.

J'en viens à la PPE. Toutes les études montrent que l'éolien sera un contributeur majeur à la transition énergétique, non seulement en puissance mais également en énergie. La France, cela a été souligné, dispose du deuxième gisement d'Europe. Dix-huit gigawatts raccordés en 2030 occuperaient 0,67 % des eaux métropolitaines françaises, à comparer aux 6 % prévus en Belgique. Or, si les objectifs de la PPE sont satisfaisants pour l'éolien terrestre, les premières annonces sur l'éolien en mer sont clairement en deçà du potentiel français. L'évaluer à 5 gigawatts à l'horizon 2028, revient, selon nous à négliger ce potentiel et la compétitivité de la filière, alors que l'éolien en mer posé ne nécessitera pratiquement plus aucun soutien public et que l'éolien flottant est en passe de se développer industriellement partout dans le monde. Du reste, la France est en avance dans ce domaine, grâce aux quatre parcs pilotes prévus. L'industrie est prête à s'engager sur les prix, tant pour l'éolien posé, aujourd'hui mature, que pour le flottant, qui le sera demain.

Nous estimons qu'un volume de 1 gigawatt, donc 1 000 mégawatts, par an d'éolien en mer est un objectif minimal pour la période 2019 à 2023, afin de donner de la visibilité à l'ensemble de la chaîne de valeur – je pense aux industriels et surtout aux petites et moyennes entreprises (PME) et entreprises de taille intermédiaire (ETI) françaises. Ce volume serait, en outre, tout à fait cohérent avec l'objectif de 40 % d'ENR à l'horizon 2030 et avec les volumes annoncés et prévus dans les autres pays européens.

Qu'en est-il de l'adhésion à l'éolien en mer ? Selon les études réalisées lors du débat public, cette énergie est globalement très bien acceptée. La participation du public en amont de la procédure de mise en concurrence représentera une amélioration substantielle, car le choix de la zone concentre en général l'attention des parties prenantes. Nous considérons également que tous les usages, notamment les préoccupations environnementales et la pêche, doivent être pris en compte. Enfin, la taxe éolienne, qui représente, sur vingt ans, pour les six premiers parcs, un montant de 1 milliard d'euros environ, contribue à l'adhésion à l'éolien en mer mais elle doit être justement répartie entre les différentes parties prenantes.

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François Gauthiez, directeur de l'appui aux politiques publiques de l'Agence française pour la biodiversité

Établissement public de l'État placé sous la tutelle du ministère de la transition écologique et solidaire, l'Agence française pour la biodiversité (AFB) apporte un appui aux pouvoirs publics pour la prise en compte des questions de biodiversité. Elle est également responsable de la gestion de certaines aires marines protégées, comme les parcs naturels marins, et très impliquée dans la mise en oeuvre des directives Natura 2000 en mer, notamment dans le cadre de la gestion de certains sites.

Il ne faudrait pas considérer la biodiversité comme un frein à la transition énergétique. C'est une réalité qui s'impose à tous et dont tous les projets industriels, il est important de le rappeler, doivent évidemment tenir compte. La voir comme un frein, c'est la reléguer en fin de processus. Or la prise en compte des enjeux de la biodiversité doit intervenir le plus en amont possible, au même titre que les conflits d'usages dans l'utilisation de l'espace marin, par exemple.

L'appui que nous fournissons notamment aux services instructeurs de l'État et à l'autorité environnementale s'inscrit dans la séquence « ERC » : Éviter, Réduire, Compenser. Le premier facteur d'évitement est, bien entendu, la planification, le choix des sites, dans le cadre d'une démarche d'identification de macro-zones dans les documents stratégiques de façade et de consultations sur les zones propices. À cet égard, les données détenues par nous-mêmes ou certains de nos partenaires fournissent des clés pour l'identification des zones susceptibles de minimiser l'impact des éoliennes, notamment sur les habitats marins, particulièrement affectés par les installations fixes. Se pose également la question de la protection des oiseaux marins, puisque les installations ont sur l'avifaune un impact qu'il convient de minimiser. À cet égard, le choix du site est, comme pour les habitats, déterminant.

Par ailleurs, la phase de réduction des impacts conduit à envisager un certain nombre de mesures dont nous constatons, sans entrer dans le détail, qu'elles ne font pas forcément l'objet d'un consensus. Il est donc sans doute nécessaire de poursuivre les travaux sur ce sujet. Des études sont en cours, mais sans doute faut-il consolider une expertise au plan national, qui permettrait de sécuriser les opérateurs, non seulement en matière de recherche et développement mais aussi en ce qui concerne la prescription de mesures concrètes. Il convient de citer, à cet égard, l'initiative très intéressante de France énergies marines, qui a mis sur pied le Comité d'expertise pour les enjeux environnementaux des énergies marines renouvelables (COME3T). Ce comité n'est pas une instance nationale d'expertise, mais il pourrait en être la préfiguration.

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François Piccione, coordinateur du réseau Océans, mers et littoraux de France nature environnement

France nature environnement est une fédération qui réunit 3 500 associations sur l'ensemble du territoire français, y compris ultramarin. Grâce à ce maillage territorial, les associations membres de France nature environnement participent à l'ensemble du processus de concertation inhérent aux projets éoliens en mer : débats publics, enquêtes publiques, réunions préfectorales… France nature environnement est favorable à l'éolien en mer, à condition évidemment que les projets ne soient pas réalisés n'importe où et n'importe comment – nous aurons l'occasion d'y revenir.

S'agissant des freins au développement de l'éolien en mer, nous partageons un certain nombre des propos entendus ce matin. Je retiendrai, pour ma part, quatre points.

Premièrement, il faut impérativement planifier notre espace maritime de manière claire et cohérente pour assurer visibilité et sérénité à la filière éolienne en mer. Or, dans ce domaine, l'État français a fait un peu les choses à l'envers, nous semble-t-il, en lançant deux appels d'offres, en 2011 et en 2013, qui ont abouti à six projets, alors qu'on ne disposera pas avant 2019 des documents stratégiques de façade, qui transposent la directive-cadre relative à la planification des espaces maritimes. Ces documents comporteront des cartes de vocation qui devraient, je l'espère en tout cas, établir des zones propices au développement de projets éoliens en mer. L'absence de planification aura été, en définitive, une faiblesse. En effet, jusqu'à maintenant, les premiers critères retenus pour choisir les zones propices étaient davantage fondés sur la météorologie ou la géologie que sur des considérations liées aux autres activités maritimes ou à la protection de l'environnement marin, qu'il s'agisse de l'impact des installations sur l'avifaune ou sur les habitats marins vulnérables, par exemple. De ce fait, le choix des zones a suscité de vives contestations sur le terrain, notamment à propos du projet Dieppe-Le Tréport. Nous attendons donc beaucoup des documents stratégiques de façade.

Je voudrais m'arrêter en second lieu sur le processus de concertation, qui doit, à notre sens, être amélioré pour associer davantage les territoires et les populations locales aux projets. Sur le terrain en effet, les associations et la population ont le plus souvent le sentiment que les projets éoliens en mer sont le résultat d'un processus très centralisé, voire sont parachutés dans les territoires, alors que, pour France Nature Environnement, les énergies renouvelables sont plutôt des énergies décentralisées, qui devraient être le fruit d'une ambition ou d'une dynamique territoriales et bénéficier d'un fort soutien de la population.

Comme pour l'éolien terrestre, on pourrait tout à fait imaginer de mettre en place, par exemple, un financement participatif qui permettrait aux citoyens de s'impliquer dans les projets éoliens en mer – j'en profite d'ailleurs pour indiquer que nous bannissons le terme d'acceptabilité, qui renvoie à une notion de contrainte, pour lui préférer ceux de concertation ou d'appropriation du projet.

Jusqu'à l'adoption de la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) le 10 août 2018, les débats publics concernant les projets éoliens en mer se déroulaient souvent à un stade de la concertation où un certain nombre de paramètres étaient déjà figés, ce qui créait beaucoup de frustration, non seulement chez les participants au débat public, – associations environnementales, pêcheurs ou populations concernées – qui n'avaient finalement plus leur mot à dire ni la possibilité de suggérer des évolutions significatives, mais aussi chez les porteurs de projet fragilisés par le fait qu'on leur imputait le choix des zones retenues, alors que celui-ci était déjà cadré par le cahier des charges rédigé par l'État.

La loi ESSOC permet désormais d'associer le public beaucoup plus en amont et de le consulter sur le choix des zones de développement de l'éolien en mer. Reste à éprouver sur le terrain la portée de cette avancée et à observer selon quelles modalités se déroulera concrètement le débat public : à l'échelle régionale où à l'échelle d'une façade maritime ? C'est un point qu'il faudra trancher rapidement.

J'ajoute qu'il est regrettable qu'il n'existe aucune structure nationale de concertation sur l'éolien en mer. Une telle structure pourrait tout à fait être rattachée au Conseil national de la mer et des littoraux, ce qui permettrait un échange entre l'ensemble des acteurs concernés, depuis les porteurs de projets jusqu'aux riverains. Des expérimentations ont déjà eu lieu au niveau local, en Bretagne et en Occitanie, où existent de telles instances de discussion, qu'il conviendrait de développer à l'échelle nationale.

Mon troisième point concerne les études d'impact, souvent lacunaires. Il faut mieux prendre en compte l'environnement marin pour avoir des projets exemplaires à la fois sur le plan de la transition énergétique mais aussi sur le plan de la protection de la biodiversité marine. Aujourd'hui, la séquence « Éviter, réduire, compenser » (ERC) n'est pas forcément bien appliquée, et on est en droit de reprocher aux porteurs de projet de privilégier les analyses faites par les bureaux d'études au détriment de celles des universités situées sur les territoires concernés, des associations environnementales locales, qui connaissent parfaitement la biodiversité locale, ou des grands ports maritimes, qui ont su mettre en oeuvre des politiques de développement durable parfois très intéressantes. Il faut donc que les porteurs de projet soient beaucoup plus innovants dans leurs études d'impact.

J'en terminerai enfin par un mot sur la fiscalité. France Nature Environnement s'interroge avec inquiétude sur la répartition de la taxe sur l'éolien en mer, et nous comptons sur les parlementaires pour la faire évoluer. Il est prévu que la taxe soit reversée pour 50 % aux communes, pour 35 % au Comité national des pêches, pour 5 % à l'Agence française pour la biodiversité, pour 5 % aux services de secours en mer, les 5 % restants étant alloués au financement de projets de développement durable. Cela signifie concrètement que, lorsque les six projets qui ont été actés seront en service, le Comité national des pêches touchera 9 millions d'euros par an, ce qui représente deux fois et demie son budget annuel, tandis que l'Agence française pour la biodiversité devra se contenter de 3 millions d'euros par an, alors que les surfaces à protéger augmentent et que les problématiques que l'Agence doit prendre en charge, à budget constant, se multiplient elles aussi.

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Ma première question sera technique : quels sont les avantages et les inconvénients du flottant par rapport au posé ? Lorsque vous faites un appel d'offres, précise-t-il systématiquement la technologie retenue, ou les porteurs de projet peuvent-ils indifféremment proposer du flottant ou du posé ?

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Monsieur Deloge, au sujet du coût de raccordement, vous avez évoqué un dispositif incluant un budget cible, que vous n'avez pas détaillé : pourriez-vous nous apporter quelques précisions ?

Monsieur Petit, vous nous avez dit que, selon vous, la fiscalité sur l'éolien marin n'était pas adaptée, notamment par rapport à la fiscalité européenne. Or il est assez peu courant que la fiscalité d'un État se cale sur la fiscalité européenne… Pourriez-vous préciser votre pensée ?

Vous considérez également que la PPE n'accorde qu'une place insuffisante au développement de l'éolien en mer. France Énergie Éolienne avait eu des propos assez durs sur le sujet, allant même jusqu'à parler de sabordage. J'aimerais savoir si cette analyse est partagée par la DGEC et la CRE, et comment peut s'expliquer une aussi faible prise en compte.

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Qu'en est-il des appels d'offres lancés pour les DOM-TOM ? Ceux-ci ne constituent-ils pas un territoire particulièrement recommandé pour l'installation d'éoliennes en mer, compte tenu notamment du potentiel que représentent ces projets en termes de création d'emplois ?

Par ailleurs, quels sont les retours d'expérience des parcs éoliens déjà installés dans d'autres pays de l'Union européenne ? Quelles indications pouvons-nous en tirer par rapport au prix du kilowattheure ?

Enfin, estimez-vous que l'impact environnemental de l'éolien en mer reste le principal frein à son développement ?

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Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire

En ce qui concerne l'arbitrage entre éolien posé et éolien flottant, il est surtout déterminé par la profondeur des fonds, dans la mesure où, au-delà d'une certaine profondeur, il n'est plus possible d'installer de l'éolien posé. Concrètement, par exemple, au large de la Bretagne, les fonds deviennent vite assez profonds et impliquent donc de passer au flottant ; schématiquement, on peut dire qu'en général l'éolien posé s'installe plutôt à proximité des côtes et le flottant plus au large. Cela veut dire que nos appels d'offres spécifient la technologie utilisée, puisqu'ils sont lancés pour des zones déjà déterminées, dans lesquelles on connaît la nature des fonds. Cela étant, certains pays d'Asie préfèrent lancer des appels d'offres ouverts, permettant de mettre en balance les avantages et les inconvénients de l'une ou l'autre technologie. Pour résumer, plus on est au large, plus il y a de vent, mais plus c'est cher.

En ce qui concerne la place de l'éolien marin dans la PPE, nous ne partageons pas l'analyse de France Énergie Éolienne. Certes, la programmation propose un objectif de cinq cents mégawatts produits annuellement, ce qui est en dessous des mille mégawatts demandés par la filière. Néanmoins, nous considérons que c'est une trajectoire réaliste, sachant qu'elle repose sur le déploiement d'un projet par an, d'abord avec la consolidation de l'éolien posé, puisque l'envergure du prochain projet, qui concerne la Manche, sur une zone qui reste à déterminer, est de l'ordre – assez considérable – de mille mégawatts par an. Ensuite, l'installation de fermes flottantes d'une capacité de deux cent cinquante mégawatts est également envisagée pour développer l'éolien flottant, sachant que nous n'avons pour l'instant que des installations pilotes, de petite taille.

Il faut savoir que, dans la PPE, le coût du mégawattheure produit par les fermes est de l'ordre de 150 euros. La filière est certes prometteuse – et nous pensons qu'à terme le posé et le flottant seront concurrentiels –, mais les projets d'éoliennes flottantes sont nécessairement plus chers. Miser sur des fermes d'une capacité de deux cent cinquante mégawatts nous paraît donc un bon compromis entre les fermes pilotes et les projets de plus grande envergure voués à voir le jour dans l'avenir.

Les objectifs proposés par la PPE nous semblent donc satisfaisants, d'autant qu'il faut faire avec un certain nombre de contraintes qui s'imposent à une filière qui reste à consolider, ce que nous ne pouvons faire que progressivement. Rien n'exclut d'ailleurs qu'en fonction des performances que nous obtiendrons avec les premiers projets et celui de Dunkerque, nous soyons en mesure d'adapter ces objectifs ; mais, pour l'heure, la PPE propose un bon compromis.

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Nicolas Deloge, directeur adjoint à la Direction des réseaux de la Commission de régulation de l'énergie

Je vais répondre à la question de Mme Battistel sur la régulation incitative que la CRE met en place pour les raccordements. Pour un projet donné, nous fixons un budget cible, déterminé à partir de nos propres expertises mais également à partir des données fournies par des auditeurs externes, spécialistes du secteur. Ce budget cible, établi avec RTE, correspond au coût le plus plausible du projet, en ménageant une « bande de neutralité » de 10 %. En cas de surcoûts supérieurs à 10 %, RTE devra prendre à sa charge 20 % de ces surcoûts ; si, au contraire, le coût final est inférieur de plus de 10 % au budget cible, RTE conservera 20 % des gains. Ce mécanisme de régulation, qui incite RTE à réduire au maximum le coût du projet, existait déjà pour les grands projets d'interconnexion ou de renforcement du réseau, dont le coût était supérieur à 30 millions d'euros. Il vient d'être étendu aux projets de raccordement de l'éolien en mer par une délibération de décembre 2018.

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Adrien Thirion, chef du département Dispositifs de soutien aux énergies renouvelables et aux consommateurs de la Commission de régulation de l'énergie

Pour ce qui concerne les modalités de soutien à l'éolien flottant et le recours à des appels d'offres, nous considérons que la filière n'est pas encore suffisamment mature ni suffisamment concurrentielle pour faire l'objet d'appels d'offres. C'est la raison pour laquelle nous recommandons de passer par une approche de gré à gré, comme nous le faisons dans les territoires non interconnectés. Il s'agit d'une approche à livre ouvert, où l'opérateur présente en amont le détail de ses coûts à l'administration, le niveau d'aide étant corrigé ex post si ces coûts se révèlent plus bas que ceux annoncés.

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Frédéric Petit, président de la commission Offshore de France énergie éolienne

Il n'y a pas à proprement parler de différence technique entre les éoliennes flottantes et les éoliennes posées : les turbines sont les mêmes, au contrôle-commande près. C'est au niveau de l'ancrage ou du flotteur que se situe la différence. Dans le cas de l'éolien posé, la nature du sol va déterminer le choix d'un monopieu, d'une fondation « en jaquette », c'est-à-dire d'un tripode en forme de tour Eiffel, ou d'une fondation gravitaire. La même diversité de solutions existe pour l'éolien flottant.

Cela étant, je suis convaincu qu'à terme la distinction entre posé et flottant est vouée à disparaître et qu'on ne parlera plus que d'un seul marché éolien en mer, sachant que le soutien public au flottant ne sera pas éternel : il faut donc que ses coûts convergent avec ceux de l'éolien posé.

Pour l'instant cependant, seul l'éolien posé offre un marché très mature, avec des volumes de l'ordre de trois mille mégawatts par an. En revanche, l'éolien flottant a encore besoin de soutien, notamment pour que nos fabricants de flotteurs puissent se positionner sur un marché encore émergent mais qui, nous en sommes convaincus, sera compétitif à terme.

En ce qui concerne la fiscalité, chaque État de l'Union européenne fixe évidemment sa fiscalité en toute indépendance. Ce que je voulais signaler, c'est que les investisseurs ne manquent pas de comparer les conditions fiscales dans les différents pays et qu'il est donc important, pour l'attractivité de notre territoire, de mettre en oeuvre une fiscalité adaptée.

Quant aux objectifs inscrits dans la PPE, ils sont en effet inférieurs à ce que nous attendions. Or, étant donné la compétitivité de l'éolien en mer, tous les autres pays européens sont en train d'accélérer le développement de leurs filières, pendant que nous manquons totalement d'ambition. À ce rythme et malgré l'assouplissement du cadre réglementaire, nous ne parviendrons jamais à égaler les délais en cours aux Pays-Bas ou au Danemark, où, après attribution, les parcs sont livrés en trois ou quatre ans. Nous sommes sur la bonne voie, mais il nous reste encore de sérieux progrès à faire.

En termes de prix, il est en effet intéressant de se référer aux exemples étrangers. Le projet de Kriegers Flak, au Danemark a été attribué en 2017, à 49,90 euros le mégawattheure – prix ferme puisque le closing financier s'est fait. En Allemagne et aux Pays-Bas, les derniers appels d'offres ont été attribués sans aucun mécanisme de soutien, autrement dit à des prix très proches de ceux de l'électricité traditionnelle. Nous sommes donc convaincus que l'éolien en mer, comme aujourd'hui l'éolien terrestre ou le solaire, a déjà gagné la bataille de la compétitivité ; d'où notre volonté d'accélérer sans en rester aux objectifs de la PPE, d'autant que l'éolien en mer permet une production massive, puisque la production d'un parc éolien en mer sera près de deux fois supérieure à celle d'un parc terrestre et plus de trois fois supérieure à celle d'un parc photovoltaïque.

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Pourquoi les appels d'offres se font-ils à l'étranger sur des prix compétitifs et pourquoi n'est-ce pas le cas en France ? Si la filière est mature à l'étranger, pourquoi ne l'est-elle pas chez nous ? Quels sont les points précis qui font la différence ?

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Stanislas Reizine, sous-directeur du système électrique et des énergies renouvelables à la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) du ministère de la transition écologique et solidaire

Nous nous sommes posé toutes ces questions au moment de la renégociation, et nous avons lancé une étude assez exhaustive avec les porteurs de projet, pour essayer de comprendre pourquoi on allait en effet payer les parcs programmés dans les prochaines années à un tarif renégocié de l'ordre de 150 euros le mégawattheure, alors qu'à l'étranger les prix tournent plutôt autour de 70 euros.

Cela est lié à plusieurs facteurs. D'abord à la différence des fonds marins, qui ne sont pas partout les mêmes. Grossièrement, on a, en mer du Nord, des fonds plats et sablonneux, tandis que notre façade maritime ouvre sur des fonds plus accidentés et plus profonds. Il y a ensuite la question du vent : certaines zones sont plus ventées que d'autres, et l'on peut considérer que les six premiers projets de parc français sont situés dans des zones moins avantagées en termes de vent que d'autres zones d'Europe où les prix sont plus bas.

Le prix dépend donc des ressources, mais également de la maturité de la filière. Aujourd'hui, le Danemark, les Pays-Bas ou l'Allemagne disposent de filières matures avec des flottes de bateaux, des installateurs, des entreprises spécialisées dans l'éolien marin, pour lesquelles les coûts d'entrée – très élevés – ont déjà été amortis, ce qui fait que les nouveaux parcs construits ne représentent qu'un coût marginal. Mais il faut savoir que les premiers parcs au Royaume-Uni pratiquaient à l'origine des prix comparables aux nôtres, toutes choses égales par ailleurs.

En France, le ticket d'entrée reste à payer, même si nous espérons que nous pourrons bénéficier pour le projet de Dunkerque de certains investissements déjà engagés sur les six premiers parcs, et ainsi de suite. Mais malheureusement, nous restons en retard par rapport à d'autres pays, d'où les surcoûts qu'il nous faut assumer.

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Frédéric Petit, président de la commission Offshore de France énergie éolienne

Ajoutons que ce débat est pollué par la question du stock et du flux. Ce que j'appelle le stock, ce sont les deux premiers appels d'offres : il s'agissait d'une technologie nouvelle pour la France, et nous avons souffert, entre autres, d'une mauvaise évaluation et d'un manque de concurrence lors de l'attribution. D'où la renégociation pour parvenir à des niveaux de prix acceptables.

Mais ce dont il nous faut parler aujourd'hui, c'est du futur, c'est-à-dire du flux des projets à venir. Nous sommes convaincus qu'à Dunkerque nous parviendrons à un niveau de prix de l'ordre de 60 euros le mégawattheure, et donc à un éolien en mer parfaitement compétitif, d'autant que le vent y est à peu près identique à celui qui souffle au large de la Belgique et des Pays-Bas. Or on sait que les prix de l'éolien en mer sont d'une extrême sensibilité à la nature du vent. Nous ne prétendons donc pas qu'il faut construire de l'éolien partout, y compris là où il n'y a pas de vent, mais nos ressources en vent sont suffisantes dans certaines zones pour obtenir un éolien en mer compétitif.

Par ailleurs, les prix français intègrent une prime de risque liée au fait que le cadre réglementaire ne permet pas de garantir au lauréat attributaire qu'il dispose de toutes les autorisations nécessaires et qu'il sera prémuni contre tout recours, ce qui incite les investisseurs à intégrer dans leurs coûts une provision pour risque.

Dans ces conditions, nous estimons que l'heure est venue d'accélérer, car l'augmentation en volume est nécessairement un cercle vertueux : selon que vous achetez dix avions ou cent avions à Airbus, il est plus que probable qu'il ne vous les facturera pas au même prix… Si nous avons les volumes suffisants, nous aurons forcément un éolien en mer plus compétitif que ce que nous aurons sur le site de Dunkerque.

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François Gauthiez, directeur de l'appui aux politiques publiques de l'Agence française pour la biodiversité

Je ne suis pas un expert technique des mérites comparés de l'éolien flottant ou posé. Ce que je sais en revanche, c'est que les oiseaux sont présents sur la côte mais qu'ils sont aussi présents au large ; l'impact des parcs sur la biodiversité sera donc sur ce point assez similaire. On peut néanmoins imaginer que, dans le cas de l'éolien flottant, la phase de travaux sera moins perturbante pour la faune et les mammifères marins, qui n'auront pas à subir les nuisances sonores liées au battage des pieux.

Quant à savoir si les enjeux environnementaux constituent le principal frein au développement de l'éolien en mer, ce que je peux vous dire, c'est que, dans les premières années, les travaux de planification visant à déterminer les zones favorables auxquels j'ai assisté se fondaient sur des cartes du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) qui ne tenaient pas compte des enjeux environnementaux mais uniquement des vents et des fonds marins, autrement dit des seuls paramètres techniques. Or les enjeux environnementaux sont une réalité qu'il faut bien prendre en compte, et si cela intervient trop tard dans le processus de développement du projet, ces enjeux deviennent nécessairement des freins. Aujourd'hui, l'on procède différemment, et la problématique environnementale est envisagée plus en amont dans le processus, ce qui permet de mieux la prendre en compte.

En ce qui concerne les mesures de réduction que j'ai évoquées tout à l'heure, il y a encore des choses à faire, grâce à des solutions technologiques déjà mises en oeuvre dans d'autre pays. Je pense notamment au bridage, qui ne fait pas consensus mais qui se pratique déjà en Allemagne ou dans l'éolien terrestre, et qui permet, au prix de quelques difficultés techniques, de réduire l'impact des éoliennes sur l'avifaune ; cela consiste à arrêter les éoliennes au moment des grandes phases de migration.

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François Piccione, coordinateur du réseau Océans, mers et littoraux de France nature environnement

Je partage totalement les propos de M. Gauthiez lorsqu'il explique que, lors des premières planifications, l'accent était avant tout mis sur les aspects géologiques et météorologiques mais très peu sur les aspects environnementaux. Or le développement de l'éolien en mer est évidemment une problématique environnementale : j'ai évoqué la question de l'application de la séquence « éviter, réduire, compenser » en mer, mais se pose également la question des impacts cumulés : dans la Manche, espace maritime somme toute assez contraint, se cumulent ainsi les effets d'un transport maritime de masse, de l'éolien en mer, de l'extraction de granulats marins et de la pêche. Il faut donc faire des choix et organiser une planification de l'espace maritime claire et lisible.

Quant à savoir si l'enjeu environnemental est le principal frein au développement de l'éolien en mer, je l'ignore. L'impact visuel est également un problème pour certains, et il est probable que, plus les projets seront éloignés de la côte, mieux ils seront acceptés. Il y a enfin un problème de pédagogie à destination des populations, qu'il faut davantage associer aux projets d'éoliennes en mer.

C'est dans cette optique que nous lancerons l'an prochain l'éoloscope marin, un outil d'aide au positionnement qui, tout au long du processus de concertation, grâce à un livret et à une grille multicritères, permettra entre autres à ceux qui le souhaitent de mieux évaluer si le projet répond objectivement à des attentes locales, si la concertation s'est articulée autour de considérations adéquates, si les matériaux utilisés ont un impact sur l'environnement ou si la procédure de planification est respectée.

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Frédéric Petit, président de la commission Offshore de France énergie éolienne

Les enjeux environnementaux sont évidemment importants, mais je voudrais souligner les progrès accomplis depuis les deux premiers appels d'offres, et qui plaident à nos yeux pour une augmentation en volume de l'offre éolienne en mer.

Le fait d'ouvrir la concertation publique en amont et de s'appuyer sur des études préalables conduites par l'État permet désormais de placer le curseur au bon endroit pour appréhender l'ensemble des enjeux. Nous disposons d'outils et d'un cadre réglementaire adapté ; les conditions sont donc favorables à l'accélération du développement de l'éolien en mer. Au regard du nombre de kilomètres carrés que cela nécessite, nous sommes convaincus qu'il y a largement de la place pour tout le monde.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Messieurs, il me reste à vous remercier pour vos éclairages.

La séance est levée à douze heures trente-cinq.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 17 janvier 2019 à 11 h 35

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Bruno Duvergé, M. Adrien Morenas, Mme Nathalie Sarles, Mme Nicole Trisse

Excusés. - Mme Nathalie Bassire, M. Philippe Bolo, M. Julien Dive, Mme Marjolaine Meynier-Millefert