Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 29 janvier 2019 à 16h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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Présidence

La commission entend M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport d'enquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur l'approche méthodologique des coûts de la justice.

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Nous recevons aujourd'hui M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, Mme Isabelle Gravière-Troadec, Mme Mireille Faugère et M. Étienne Champion, conseillers maîtres, et M. Vincent Guiader, rapporteur.

Le président Andréani va nous présenter la quatrième des enquêtes que la Cour des comptes devait nous remettre, suite à la demande que je lui avais adressée le 11 décembre 2017, au nom de la commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative à la loi de finances.

Parmi les six sujets retenus, je vous rappelle que la communication sur le bilan de la privatisation des aéroports a été présentée à notre commission le 13 novembre, celle sur le soutien public au mécénat des entreprises, le 28 novembre, et celle sur les droits d'inscription dans l'enseignement supérieur public, le 5 décembre dernier.

C'est donc aujourd'hui la communication relative à l'approche méthodologique des coûts de la justice qui nous est présentée. Elle a été adressée à l'ensemble des commissaires le 18 janvier, et la Cour, conformément aux récentes décisions du bureau de la commission, l'a ensuite publiée sur son site.

Il reste donc la communication sur l'externalisation du soutien aux forces en opérations extérieures, dont nous aurons très prochainement connaissance, et celle sur l'efficacité des programmes d'investissements d'avenir et l'évolution de leur gouvernance, attendue pour décembre prochain.

En outre, ont été demandées le 19 juillet dernier, en vue du prochain « Printemps de l'évaluation », cinq autres enquêtes. La première, relative aux dépenses fiscales en matière de logement, devrait nous être remise mi-mars, et les quatre autres en avril : le bilan du transfert aux régions de la responsabilité de la gestion des fonds de cohésion ; les investissements informatiques à la direction générale des finances publiques (DGFiP) et à la direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) ; la réserve opérationnelle de la gendarmerie et de la police ; les sociétés d'économie mixte.

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Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes

Monsieur le président, c'est pour moi un plaisir et un honneur de présenter ce travail devant votre commission.

Votre demande partait de l'interrogation suivante : la justice connaît-elle ses coûts et a-t-elle les instruments de mesure et de gestion lui permettant d'utiliser au mieux les moyens qui lui sont alloués ?

Alors que ces moyens sont programmés pour augmenter de façon importante après une phase de hausse déjà significative, cette augmentation des moyens doit, en effet, aller de pair avec le souci de les utiliser au mieux et de maîtriser l'évolution des coûts de l'activité judiciaire.

À la suite d'une concertation menée avec vous, monsieur le président, et le rapporteur spécial, M. Patrick Hetzel, nous avons centré cette enquête sur ce qui était immédiatement à notre portée. Il s'agit donc d'une enquête sur la mesure de l'activité et l'allocation des moyens des juridictions judiciaires.

Les thèmes suivants ont été retenus à la suite de nos échanges : les conditions de la programmation budgétaire ; la qualité des données d'activité et des indicateurs utilisés pour répartir les moyens ; l'organisation et l'efficacité du dialogue budgétaire.

L'équipe de contrôle a travaillé à partir de trois sources : une analyse des documents budgétaires, des projets annuels de performances (PAP) et des rapports annuels de performances (RAP) sur la période étudiée, 2013-2017 ; une enquête sur pièces et sur place, conduite dans l'administration centrale du ministère de la justice ; de très nombreux entretiens sur place avec les services concernés dans les tribunaux d'instance, les tribunaux de grande instance (TGI) et les cours d'appel que nous avons sélectionnés. Au total, plus d'une centaine de personnes ont été entendues, et un accent particulier a été mis sur les bonnes pratiques, en France et à l'étranger – souvent en avance, s'agissant de la mesure de l'activité et l'allocation des moyens de juridiction financière.

Je rappellerai brièvement le contexte budgétaire dans lequel est intervenue cette enquête, avant d'en indiquer les principales conclusions.

D'abord, le contexte : une performance des juridictions qui ne progresse pas – au moins facialement –, voire se dégrade, malgré une hausse des moyens.

La mission Justice, de 2008 à 2017, a vu ses crédits augmenter de 31 % et ses crédits de personnel de 37 % ; elle est passée de 2,17 % à 2,59 % du budget général. Un effort a été réalisé, qui va se poursuivre avec la loi de programmation de la justice.

Le programme Justice judiciaire a progressé de 24 % dans la même période. De 2013 à 2017, ses crédits ont augmenté de 8,5 %. Cet effort a porté tout particulièrement sur les dépenses de personnel. Les emplois votés en loi de finances initiale (LFI) ont augmenté, quant à eux, de 3,5 % pour les magistrats et de 6,6 % pour les fonctionnaires. Mais les effectifs de magistrats réellement affectés en juridiction ont été quasi stables. Cela tient à plusieurs facteurs. L'un, qui peut être qualifié de normal, est le décalage entre l'embauche effectif de personnels et leur affectation en juridictions, compte tenu de la durée de formation – trente et un mois à l'École nationale de la magistrature (ENM) et dix-huit mois à l'École nationale des greffes (ENG).

Mais d'autres facteurs sont en cause : un réglage difficile à faire, et imparfait, des volumes des promotions de l'ENM et une mauvaise estimation, tant des départs que des embauches, pour le coup très imparfaite de la part du ministère de la justice.

Malgré tout, nous notons une légère augmentation des moyens humains : les effectifs de magistrats en juridictions ont augmenté de 0,5 % et ceux des fonctionnaires de 1,8 %.

Durant cette période, la performance – ou pour être plus précis – le volume d'activité des juridictions n'a pas connu d'amélioration significative. Au contraire, elle s'est légèrement dégradée. Je citerai quelques indices : allongement des délais de traitement – les TGI, par exemple, sont passés de 10,5 à 11,8 mois par affaire ; la stagnation du nombre d'affaires traitées par agent, qu'il s'agisse des agents administratifs ou des magistrats, particulièrement des magistrats du parquet ; la hausse des stocks d'affaires en cours – +10 % pour les TGI et cours d'appel ; enfin, la hausse du nombre des juridictions dites « en difficulté » – particulièrement suivie par le ministre – qui est passé de 19 % des TGI en 2013 et 58 % en 2017.

Avec toute la prudence qui est la nôtre et que la matière judiciaire exige, nous nous sommes posés la question de savoir comment l'utilisation des moyens, en hausse modérée, certes, mais qui va s'accélérer – avec l'effet de latence et la loi de programmation –, pourrait se traduire par des progrès effectifs sur le terrain. Quels sont les blocages à lever ou les leviers sur lesquels agir pour améliorer l'activité et les résultats, conformément aux indicateurs suivis par le ministère ? C'est l'objet du deuxième chapitre de notre rapport.

L'enquête de la Cour a identifié cinq principaux leviers : mieux mesurer l'activité des juridictions et les besoins qui en découlent grâce à des outils de gestion rénovés ; mieux organiser leur travail en consolidant les équipes autour des magistrats ; mieux anticiper l'évolution de la charge des juridictions, notamment celle qui découle des réformes législatives ; mieux mesurer leurs résultats ; attribuer les moyens grâce à un processus budgétaire plus transparent et plus efficace.

Premièrement, les outils d'analyse et de gestion à améliorer. Les outils informatiques expliquent principalement les difficultés à exécuter la loi de finances, notamment les outils de gestion du personnel mis en oeuvre pour rapporter les besoins en personnel à l'activité des juridictions. Deux outils principaux sont en cause, l'un concerne le personnel administratif, l'autre le personnel judiciaire.

Le premier, l'« Outil de gestion et de répartition des emplois de fonctionnaires » (OUTILGREF), un outil plutôt de bonne qualité, a le mérite d'exister et est fondé sur une quantification de l'activité des agents raisonnablement fiable. Ses lacunes – il ne prend pas en compte les stocks en instance, ni les temps partiels et les congés de longue durée, par exemple – peuvent être aisément comblées.

L'outil équivalent pour les magistrats, « Pilotage harmonisé pour l'organisation des services » (PHAROS), un centre de données, est entièrement déclaratif et peu fiable. Les juridictions l'informent en fin d'année et les résultats ne sont consolidés qu'au mois d'août suivant. Il doit être revu.

Cette dualité entre personnels administratifs et magistrats est structurante dans l'organisation de la gestion du ministère de la justice. Deux sous-directions sont compétentes au sein de la direction des services judiciaires (DSJ) – l'une pour les personnels administratifs, l'autre pour les magistrats. Nous avons suggéré à la DSJ de mettre fin à cette anomalie – elle nous a affirmé qu'elle y travaillerait.

Deuxièmement : une meilleure anticipation de l'évolution des charges de travail. Nous abordons-là un domaine sensible, puisque la « complexité croissante des affaires » est un argument souvent mis en avant par les magistrats et personnels rencontrés eux-mêmes, même s'il n'est pas vraiment démontré. De fait, menant une enquête sur la répression de la délinquance économique et financière, la Cour a pu en attester dans nombre de cas.

Cependant, cette considération peut être balancée par le fait que des mesures de simplification, des mesures de transfert des compétences – en matière de divorce, par exemple – ont allégé la charge des juges.

L'ensemble de ces facteurs est peu ou mal anticipé par le ministère de la justice. L'importance et la fréquence des évolutions législatives et réglementaires, dont l'impact sur la charge de travail des juridictions, sont rarement analysées à l'avance ; l'enquête souligne la faiblesse persistante, à quelques exceptions près, des études d'impact a priori et a posteriori.

Troisièmement : l'organisation du travail des juridictions et des magistrats et une absence historique de travail en équipe et en service. Plusieurs mesures ont été prises pour remédier à cette situation. D'abord, le développement de postes d'assistant aux magistrats, dont les plus récemment créés sont les juristes assistants qui facilitent leur travail dans le cadre d'équipes rassemblées autour d'eux. Ensuite, une aide à l'organisation collective des services, dispensée par un bureau qui a été créé au sein de la DSJ, « Via Justice », pour piloter des projets de réorganisation des juridictions. Mais cette aide est fournie sur la base du volontariat. Ce n'est pas un principe structurant de l'organisation judiciaire. Ensuite, la numérisation ; la numérisation des procédures, des interfaces avec les services d'enquête, les avocats. De nombreux travaux sont engagés en la matière. Nous ne les avons pas regardés en détail, cela relève d'une enquête que nous espérons pouvoir mener prochainement sur l'informatique du ministère de la justice. Cependant, les gains de productivité liés à la numérisation n'ont pas encore eu un impact sur les résultats.

Quatrièmement : la mesure des résultats. Cette mesure n'est pas assise sur une base suffisamment fiable et réellement partagée entre les juridictions et les services centraux. Les fiches de performance des juridictions établies par la DSJ recèlent souvent des écarts avec leurs données propres. Il en va de même des données servant de base au dialogue budgétaire. D'une façon générale, le recueil des données d'activité et les applications statistiques du ministère doivent être améliorées. La création systématique de cellules de recueil de données et de statistiques auprès des cours d'appel nous paraît indispensable.

Cinquièmement : même s'il s'est amélioré, le dialogue budgétaire demeure insatisfaisant. Il y a trop d'acteurs – j'ai parlé des deux sous-directions. Le calendrier interne de remontée des résultats d'activité et des besoins est disjoint de celui du dialogue interministériel : en d'autres termes, cette consolidation arrive après que le dialogue interministériel se soit engagé et que la préparation de la loi de finances ait été quasiment menée son terme. La circulaire de localisation des effectifs est un système opaque qui ne semble pas reposer sur des critères objectifs. Faisant apparaître systématiquement un taux de vacance élevé (6 % à 8 %), il favorise la mobilité des magistrats sans sélectivité suffisante du caractère prioritaire des postes ouverts. La prise en compte de la performance est à peu près absente du processus budgétaire.

Tels sont les leviers qui font la matière de ce chapitre 2. Ils sont relativement classiques. Notre dialogue avec la DSJ sur l'utilisation de ces différents leviers a révélé des zones d'accord avec le ministère, qui n'est pas hostile à nos propositions sur la plupart de ces leviers. Mais il ne s'agit que d'un préalable pour aboutir à ce qui fait le coeur de notre rapport, la matière des chapitres 3 et 4, à savoir, l'élaboration d'un référentiel d'activités clair, partagé par toutes les juridictions et susceptible de service de base à l'ensemble des discussions budgétaires, ainsi qu'à la mesure de la performance des juridictions.

Nous avons conduit notre analyse à partir de deux séries d'exemples, pour démontrer qu'un tel référentiel est tout à fait à la portée du système judiciaire français. Dans le chapitre 3, nous nous sommes intéressés à ce qui se passe depuis longtemps au sein de l'organisation judiciaire elle-même. Le rapport identifie plusieurs démarches d'objectivation des besoins des juridictions : la tentative de mettre au point des référentiels nationaux d'activité, qui n'a malheureusement pas abouti à ce jour ; et une série de bonnes pratiques à la suite d'initiatives locales, qui ont débouché sur des expériences positives.

D'abord, la démarche nationale. Des groupes de travail ont été mis en place par la DSJ à partir de 2010, en distinguant des groupes « généralistes » et des groupes « thématiques » – par nature de juridiction – juge d'instance, application des peines, parquet, etc. Il s'agissait de collecter des données d'activité sur un ou plusieurs ressorts test pour en conclure à un temps de travail par type d'affaires. Des normes ont ainsi été proposées.

Mais la démarche – qui a pris pas mal de temps et mobilisé beaucoup d'énergie – n'a pas été menée à son terme, compte tenu, selon la DSJ du « caractère incomplet et insatisfaisant du travail réalisé ». Les référentiels n'ont donc pas été publiés, bien qu'ils soient connus. Nous ne pouvons exclure que ces référentiels fassent apparaître des écarts trop grands entre les moyens disponibles et les besoins des juridictions et que la DSJ ait craint de mettre à jour des écarts excessifs.

Ensuite, les initiatives locales ont été nombreuses. Beaucoup de chefs de cour ont entrepris de mesurer, pour les besoins de leur propre gestion, leur activité et de définir des référentiels avec leurs magistrats.

Nous avons ainsi étudié le travail de deux cours d'appel, Rennes et Riom, et du TGI de Pointe-à-Pitre, que nous avons trouvé particulièrement intéressant. Ils ont montré plusieurs choses : la participation et le soutien de tous les personnels à l'exercice ; la faisabilité technique du calcul du temps de travail ; l'intérêt de prendre également en compte, non seulement l'activité juridictionnelle stricto sensu, mais l'ensemble des autres tâches de gestion.

Tout cela est faisable.

Nous nous sommes également intéressés à une initiative qui démontre que l'on peut, à la faveur d'une quantification du travail, réorganiser l'ensemble d'un service. C'est l'exemple du regroupement des tribunaux d'instance parisiens au sein du nouveau TGI. Il a été l'occasion de mettre au point, par un travail de consensus en amont, une quantification des besoins, une organisation rationalisée et une meilleure répartition des effectifs et, de fait, des économies non négligeables de postes.

Le chapitre 4 s'intéresse à des approches d'autres administrations ou d'autres pays. Il se penche d'abord sur des exemples d'institutions ou de modes d'allocation des moyens relativement plus perfectionnés que ceux du système judiciaire français.

Dans les juridictions administratives, il s'agit de la « norme Braibant » – le système d'allocation de la charge de travail des tribunaux administratifs, aux juges administratifs. Nous détaillons le degré de souplesse avec laquelle cette norme peut être appliquée et adaptée.

La tarification hospitalière offre l'exemple d'une allocation des moyens financiers et ceux consacrés à une activité de service au public qui ne repose pas que sur un critère de répartition budgétaire. Elle repose sur la tarification des actes suivant leur difficulté à partir d'un très grand nombre de catégories dans la nomenclature hospitalière. Nous l'avons mentionné pour mémoire. Elle va donc au-delà d'une prise en compte du temps de travail. Mais un système de ce type, qui repose sur une comptabilité analytique intégrale, apparaît cependant trop complexe pour être appliqué au système judiciaire.

L'essentiel du chapitre est consacré à l'étude des systèmes étrangers. Le travail a donné lieu à une visite sur place en Allemagne et à l'exploitation des travaux de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (CEPEJ). Les systèmes dits de « pondération des affaires judiciaires » – consistant à mesurer le temps nécessaire pour la réalisation des actes juridictionnels et du travail, plus généralement, des juridictions – ont fait l'objet de travaux au sein de la CEPEJ du Conseil de l'Europe.

L'exemple le plus intéressant, et le plus éprouvé parmi les trois que nous avons étudiés, est l'exemple allemand, le Personalbedarfsberechnungssystem, dit PEBBSY. C'est un système qui classe des affaires par catégorie homogène. Il existe depuis 2005. Il quantifie le temps nécessaire au traitement des affaires classées par catégorie. Un logiciel rapporte le nombre des affaires pendantes à la durée de traitement établi par PEBBSY et en déduit le niveau d'effectifs qui seront alloués l'année suivante à chaque juridiction. C'est un système quasiment automatique, dont le côté inflationniste est cependant à craindre.

Ce système est le fruit d'un travail associant les seize ministères de la justice des länder, en collaboration avec les organisations représentatives des magistrats. Il n'est plus contesté depuis longtemps. Les normes définies servent à allouer les moyens aux juridictions mais les chefs de cour restent libres dans son principe de leur emploi. Ces normes ne s'imposent pas individuellement aux magistrats.

La Cour des comptes décrit également deux autres systèmes. Le système norvégien est fondé sur une objectivisation de la complexité des affaires. À l'intérieur de grandes catégories de contentieux, le système détermine le temps moyen d'une affaire en fonction de paramètres – nombre de témoins, nécessité d'experts, de traducteurs, etc. Le système israélien est fondé sur un découpage par phases de procédure. Le système distingue le nombre de phases et leur complexité, ce qui permet de quantifier la charge de travail des juridictions à partir d'une nomenclature.

J'en viens à la fois aux conclusions et aux recommandations de la Cour.

Les premières séries de préconisations que j'ai évoquées – et qui sont de pures préconisations de gestion –, peuvent être prises en charge et assumées par le ministère de la justice dans un délai relativement court.

Le coeur de notre recommandation est d'inscrire ce processus de réforme dans la perspective d'un objectif plus ambitieux, qui est la réalisation d'un véritable système de pondération des affaires. La France ne participe pas à la CEPEJ – ce que nous regrettons – car elle a à apprendre des exemples étrangers et la réalisation d'un système de pondération, inspiré du modèle allemand, serait, non seulement de nature à faciliter et objectiver l'allocation des moyens aux juridictions, mais également, de marquer une première étape indispensable dans le calcul des coûts de la justice. Une fois que l'on peut déterminer le temps nécessaire pour le traitement d'une affaire et dès lors que le budget de la justice consiste en des dépenses de personnel, on peut approcher la réalité du coût des procédures et du fonctionnement de la justice.

Je conclurai en remerciant le ministère de la justice, avec lequel nous avons entretenu une relation cordiale. Il a compris que les recommandations que nous souhaitons voir mises en oeuvre étaient de nature pragmatique et non pas révolutionnaire. En revanche, elles doivent s'inscrire dans un processus de réformes assumé.

Nous avons été frappés, au cours de notre enquête, par la diversité et la qualité des expériences menées, à l'échelon national et localement, par le système judiciaire. Nous pensons que ce qui manque est une impulsion, une volonté de systématiser ces efforts et de les généraliser. Mais cela n'est pas hors de portée, le système judiciaire français peut aisément franchir cette étape, à l'image de la grande majorité des systèmes judiciaires européens.

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Vous indiquez, monsieur le président, que l'on observe une dégradation des performances de la justice française, malgré un renforcement substantiel des crédits – plus de 8 %. Quelle conclusion en tirez-vous quant à l'efficacité des hausses de crédits votées par le Parlement, dans la période 2013-2017 ?

Abstraction faite des difficultés inhérentes à une relative méconnaissance de la charge de travail des juridictions, de l'absence de méthodes efficientes d'allocation des ressources, notamment humaines, pouvons-nous affirmer que le fonctionnement de la justice française occasionne davantage de dépenses que les systèmes européens comparables – pour une même catégorie de procédure ?

Vous paraît-il possible d'aller plus loin que ce que vous préconisez, c'est-à-dire de faire apparaître, à l'image d'une comptabilité analytique, le coût d'une procédure ou d'un type de procédure ? Vous avez fait le parallèle avec le système hospitalier et le coût des actes médicaux ? Je pense que cela serait souhaitable étant donné que le fonctionnement de la justice repose sur des procédures et des affaires.

Vous avez également pointé les lacunes et les défauts que présentent les outils informatiques utilisés pour déterminer la charge de travail et mieux évaluer les besoins en personnel. En 2018, un renforcement en autorisations d'engagement (AE) a été réalisé – 327 millions d'euros – ainsi qu'en crédits de paiement (CP) – 65,4 millions d'euros –, en vue du lancement d'un plan de transformation numérique. Ces ressources nouvelles vous semblent-elles proportionnées, suffisantes, pour pallier les manques que vous avez pu constater dans le cadre de vos travaux sur l'affectation des ressources humaines ?

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Monsieur le président, je vous remercie, ainsi que les magistrats de la Cour, pour votre rapport, très utile pour notre « Printemps de l'évaluation » puisque, après l'hiver, vient le printemps, et même si les chaînes d'information en continu sont un peu anxiogènes, nous pouvons espérer que ce printemps de l'avenir sera fructueux. Il le sera grâce à des rapports comme ceux que vous nous remettez régulièrement.

Mes inquiétudes sont un peu les mêmes que celles de notre président. S'agissant de la performance des crédits, vous indiquez dans votre rapport qu'il faut repenser les indicateurs du projet annuel de performances pour mieux rendre compte de la réalité de l'activité des juridictions. Et il en va de même pour de nombreux autres ministères. Comment ces indicateurs de performance pourraient-ils être revus de façon à être plus adaptés ?

Vous avez également évoqué la construction d'un outil de pondération des affaires via la mise en place d'un système informatisé de gestion des juridictions, qui permettrait une allocation efficiente des moyens de la justice, une connaissance précise de l'activité judiciaire. Quel serait le niveau d'investissement nécessaire pour un tel système ? Je vous remercie.

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À mon tour je voudrais remercier les représentants de la Cour pour le travail réalisé.

Je tirerai le fil de ce que vous avez vous-même indiqué, monsieur le président, ainsi que le rapporteur général. En matière informatique, l'un des sujets de préoccupation est, dans ce ministère, que les grandes directions pèsent de tout leur poids, ce qui est en partie lié à une culture professionnelle au sein du ministère de la justice. L'une des questions que nous sommes amenés à nous poser chaque année, à l'étude du budget, est la suivante : comment peut-on expliquer le caractère relativement inadapté des outils informatiques employés dans la gestion des ressources humaines ?

Cette question se pose, non seulement pour la justice judiciaire, mais également, et avec une acuité beaucoup plus forte, pour le système pénitentiaire, le taux de postes inoccupés restant assez important – il existe un véritable problème d'attractivité. Or, s'il existe différentes manières de traiter ce problème, cette dimension liée aux outils informatiques ressort assez souvent.

Vous l'évoquiez, monsieur le président, nous pouvons effectivement déplorer que la France ne participe pas aux travaux de la CEPEJ, qui permet d'effectuer des comparaisons intéressantes. Votre rapport cite en exemple trois systèmes : le système allemand PEBBSY, le système norvégien LOVISA et la méthode israélienne DELPHI. Pourriez-vous nous indiquer les avantages et les inconvénients de chacun de ces systèmes, et nous dire duquel d'entre eux la France pourrait s'inspirer ? Le rapport démontre bien que ces systèmes permettent d'objectiver – ce sont des outils de comparaison –, et intègrent une dimension davantage managériale pour les chefs de cour et de juridiction.

Votre rapport fait également mention de travaux qui émanent de cercles judiciaires et universitaires, menés dès les années 1990, qui demeurent pour les uns inachevés, et auxquels, pour les autres, les pouvoirs publics n'ont pas donné suite alors qu'il aurait été pertinent, selon vous, de le faire. Vous faites état de référentiels qui ont été conçus au sein de la cour d'appel de Rennes et du TGI de Pointe-à-Pitre, ainsi qu'au sein du parquet général de la cour d'appel de Riom. Ces travaux et ses référentiels semblent-ils – pour vous – offrir des pistes pertinentes pour des réformes susceptibles d'être réalisées à moyen et long termes ?

Je suis désolé de vous poser ces questions alors même que nous venons de débattre, dans l'hémicycle, de la réforme de la justice, mais la question du coût de notre système judiciaire est une question qui continuera à se poser à moyen et long termes.

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Dans son rapport, votre juridiction affirme que le processus de dialogue budgétaire est à améliorer pour l'élaboration du budget de la justice, et regrette que les services centraux de ce ministère soient insuffisamment coordonnés avec les juridictions judiciaires, notamment, pour répondre à leurs besoins.

Comme vous le savez, la commission des finances se préoccupe fortement des questions de performance de l'action administrative et de la dépense publique dans le cadre du programme « Action publique 2022 », notamment, et des sujets relatifs à la réforme de l'État.

Ma question est la suivante : quels leviers devraient, selon vous, être inscrits dans le programme « Action publique 2022 » pour assurer une modernisation du financement de la justice afin de la rendre plus performante, et davantage au service des justiciables ?

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Un certain nombre de questions ont déjà été posées sur les outils informatiques. Vos propos nous laissent perplexes, et nous devons nous interroger sur la manière dont les ministères choisissent leurs systèmes informatiques, puisque des difficultés existent également dans d'autres ministères.

Savez-vous si le ministère de la justice a lancé un appel d'offres ? Par ailleurs, qui est responsable du cahier des charges ? Existe-t-il des contrats de maintenance ? Des contrats qui prévoient l'évolution des dispositifs ?

S'agissant du système PHAROS, vous indiquez que l'outil est assez scientifique, pas très simple, et qu'il faut attendre près de huit mois pour disposer des données. Une réflexion est-elle en cours pour, soit changer de système, soit pour le faire évoluer ?

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Le rapport révèle, vous l'avez rappelé, que malgré une évolution sensible des crédits – en augmentation de 8,5 % entre 2013 et 2017 – on observe une dégradation significative des performances des juridictions de l'ordre judiciaire. Parmi les raisons que vous avez évoquées, vous faites état d'outils existants mais inexploités, voire inefficaces, et d'un manque de lisibilité sur les activités de ces juridictions.

Le rapport préconise, entre autres, l'élaboration de référentiels pour quantifier le travail des magistrats. Vous citez d'ailleurs l'exemple de la justice administrative, où la charge de travail des magistrats est déterminée par la « norme Braibant » – c'est-à-dire 250 affaires réglées par an et par magistrat – un référentiel qui, depuis les années 2000, s'accompagne de véritables indicateurs de performance. Cette approche managériale n'est pas inintéressante.

Ne craignez-vous pas que l'idée d'objectiver l'activité des magistrats soit fortement contestée et qu'elle soit considérée comme une atteinte à leur indépendance ? J'aimerais également connaître votre point de vue sur les exemples étrangers que vous avez rappelés, notamment sur l'exemple allemand, dont les référentiels permettent l'affectation des ressources, mais ne sont pas forcément des outils de management individuel.

Par ailleurs, confronter référentiel et réalité ne présenterait-il pas, pour le ministère de la justice, le risque de voir révéler une réalité : le sous-dimensionnement des moyens humains ? Réalité que le rapport évoque en demi-teinte, puisqu'il indique que les crédits alloués ne sont pas traduits par des effectifs supplémentaires dans les juridictions. En effet, malgré une augmentation des postes budgétaires, les recrutements d'effectifs n'ont pas toujours été suivis. Quelle en est selon vous la raison principale ? La durée de recrutement ou de formation, alors que l'ENM est au maximum ses capacités ? N'y aurait-il pas une piste à explorer sur le terrain des études et de la formation de nos futurs magistrats ?

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Si nous partons de loin en matière de justice, depuis quelques années, il existe une volonté politique très forte de faire de la justice une priorité budgétaire, notamment en augmentant ses moyens – de 12,4 % entre la LFI pour 2013 et celle pour 2018, s'agissant du programme Justice judiciaire.

Il est cependant vrai que la volonté d'augmenter les effectifs ne se traduit pas sur le terrain. L'augmentation de 3,5 % des effectifs de magistrats se traduit par une augmentation de 0,5 % dans la réalité, et l'augmentation de 6,6 % de fonctionnaires par 1,18 % d'agents supplémentaires.

On le voit bien, le rapport est plutôt à charge contre le ministère. Il y a un manque d'outils permettant la connaissance de l'organisation du travail et l'évaluation des charges de travail. Il met également en exergue un dialogue de gestion très difficile entre services centraux et juridictions, malgré des initiatives locales qui me paraissent plutôt intéressantes. Il n'est pas admissible de consacrer des moyens accrus sans aucune amélioration de la performance de la justice. Dans quel délai, selon vous, nous pourrions retrouver une adéquation entre les moyens alloués et la performance de l'outil ?

Enfin, en ce qui concerne la réforme de la justice, quelle peut être son interaction avec les moyens de gestion ?

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Monsieur le président, vous constatez globalement que la productivité de la justice française stagne, voire baisse. Ne pensez-vous pas qu'une partie de l'explication est liée au changement permanent des textes et des codes, ainsi que des procédures que nous n'avons cessé de complexifier ? Mes amis magistrats me disent qu'ils ont perdu, en dix ans, environ 15 % de productivité, du fait de la complexité croissante des procédures. Avez-vous pu déterminer d'où vient cette stagnation, voire cette baisse de la productivité de la justice française ?

Ramenés au nombre d'habitants, les moyens de la justice française, quand nous les comparons aux grandes démocraties, sont quand même très inférieurs. Mais avez-vous pu comparer, par exemple, les taux de classement sans suite des dépôts de plainte ? Les parquetiers, quand nous les interrogeons, nous disent qu'ils ont une capacité de traitement, en moyenne, de vingt affaires sur cent. Leur problème est donc de définir les affaires qu'ils vont classer sans suite.

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Monsieur le président, nous avons bien compris que vous appeliez de vos voeux une véritable culture de l'évaluation et des compétences qui n'est pas naturellement dévolue à la Chancellerie en matière de gestion de données, d'analyse statistique et de procédures budgétaires, et qui nécessite une fine connaissance de l'activité judiciaire.

Comme l'a observé notre collègue rapporteur spécial, de véritables difficultés de recrutement et de préservation des compétences, notamment informatiques au sein du secrétariat général et des départements informatiques, existent. Dès lors, qu'elles seraient vos recommandations en matière de redéploiement des ressources au sein du ministère ? La programmation 2018-2022 vous semble-t-elle de nature à couvrir les besoins, notamment humains, dans les fonctions de suivi et de pilotage ?

Par ailleurs, le recours à des ressources interministérielles vous semble-t-il pertinent ? Vous avez relevé le manque d'utilisation des outils par le ministère. Ne devons-nous pas nous interroger sur la raison pour laquelle un tel manque existe au sein de la juridiction même de médiation du numérique ? En effet, créer des outils, élaborer un nouveau référentiel ne sera utile que s'il y a un accompagnement des juridictions et des personnels de juridictions en interne. Je pense qu'il y a là une question de formation.

Enfin, je rebondirai sur l'intervention de M. de Courson concernant l'évaluation et les études d'impact des lois sur le fonctionnement des juridictions. Il s'agit d'une question qui ne se pose pas uniquement au ministère de la justice, et qui fera certainement l'objet d'un « challenge » pour nos administrations du XXIe siècle et à laquelle nous devons travailler.

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Monsieur le président, je vous remercie pour ce rapport édifiant, comme bien d'autres de la Cour des comptes. J'ai envie de vous poser une question de méthodologie.

À vous entendre, le fonctionnement du ministère, en réalité, n'a jamais été la priorité des gouvernements et des ministres de la justice. D'ailleurs, nous constatons bien que chaque ministre de la justice qui arrive a une haute conception de sa charge et de la réforme à réaliser. N'est-ce pas cela qui bloque toute organisation rationnelle du fonctionnement de la justice ? En d'autres termes, pour mettre en place les mesures que vous préconisez, et qui paraissent de bon sens, ne faudrait-il pas arrêter toutes les autres initiatives ?

Pourquoi les initiatives prises en interne ont-elles toutes échoué, alors qu'elles étaient de bon sens ? Elles auraient dû prospérer. Mais il y a toujours une priorité plus importante. Je pose donc la question : si nous souhaitons réellement réformer le ministère et poser les bases que vous avez définies, ne faudrait-il pas arrêter toute initiative intempestive ?

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C'est en effet un paradoxe que de constater une baisse de la performance malgré une hausse des moyens. Mais ne convient-il pas d'analyser l'évolution des effectifs sur une plus large période que celle étudiée ? En effet, avant la période que vous décrivez, la justice a contribué de manière importante à la diminution des effectifs d'État, sous l'effet de la révision générale des politiques publiques et d'autres dispositifs que nous connaissons. N'y a-t-il pas eu, en quelque sorte, des « cassures » au plan fonctionnel, comme dans d'autres ministères, occasionnées par des pertes de compétences, et ce d'autant plus que les créations de postes, comme vous l'avez indiqué, tardent à se concrétiser ?

Par ailleurs, voyez-vous dans les spécificités du statut des magistrats, et des fonctionnaires de justice en général, des éléments aggravants en termes de performance ? Je pense en particulier aux obligations de mobilité faites aux magistrats, qui portent atteinte, non seulement à la qualité du suivi dans la durée, mais également aux procédures elles-mêmes et aux méthodes pour les conduire ?

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Je reviendrai pour ma part sur la CEPEJ, une instance établie pour tenter d'améliorer la qualité et l'efficacité des systèmes judiciaires européens. Pouvez-vous nous expliquer dans quelle mesure, à partir de quels critères, et avec quels moyens d'action cette commission pourrait aider notre système judiciaire à mieux mesurer ses propres performances ?

Par ailleurs, je me pose la question de savoir comment nous avons pu arriver à la situation que vous décrivez dans votre rapport, alors même que cette commission existe et qu'elle a joué en faveur de l'efficacité de la justice. Nous pouvons légitimement nous demander s'il n'y a pas là un dysfonctionnement et j'aimerais que vous nous fassiez part de votre sentiment sur cette question.

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Le constat est assez édifiant en termes d'efficience de la justice : pas d'outil de pilotage fiable, des logiciels inadaptés, un calendrier budgétaire incohérent. Honnêtement, c'est assez consternant.

Vous l'avez dit, la numérisation devra permettre d'améliorer et de faciliter l'exercice des missions de nos magistrats. Cependant, nous savons bien que ce ne sera pas suffisant pour retrouver une vraie efficience. Les recommandations que vous formulez dans votre rapport devront effectivement permettre, a minima, d'avoir une réelle vision du fonctionnement interne de notre justice pour, je l'espère, déboucher sur un ajustement, une meilleure répartition des moyens.

Il sera également important d'améliorer les conditions de travail du personnel de notre justice – magistrats, parquetiers, greffiers, personnel administratif – car les statistiques sur le nombre de départs, au sein du parquet, après seulement quelques années d'exercice professionnel démontrent l'ampleur du problème. Nous devons nous poser la question de l'attractivité, mais aussi du devenir de la profession.

Ne pensez-vous pas que redonner un peu d'autonomie dans la gestion budgétaire aux différentes cours permettrait aussi de réaliser des économies et de regagner en efficience ? Je pense notamment aux dépenses courantes de fonctionnement et d'entretien de nos juridictions, sachant que, dans un tribunal, il faut attendre trois mois pour qu'un ordinateur soit dépanné, au seul motif qu'il s'agit d'un marché passé au niveau national ! Je trouve très inquiétant qu'il faille attendre une autorisation pour changer une ampoule – j'exagère un petit peu, mais pas tant que cela.

Enfin, la question du nombre de personnels indispensable pour que notre justice fonctionne et aussi une vraie question. Le TGI de ma ville a fonctionné plus de la moitié de l'année avec 30 % de ses effectifs en moins. Ce sont les avocats qui ont fait office de juges. Cela pose vraiment question sur le fonctionnement de la justice !

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Monsieur le président, votre rapport me donne un début d'explication quant au document de politique transversale que nous avons institué en loi de règlement en 2017, et qui visait à lister les moyens alloués à la lutte contre la fraude. Le rapport nous a été remis deux fois dans le cadre des documents budgétaires et les données de la justice font cruellement défaut.

Nous sommes en effet aujourd'hui incapables de savoir quels sont les moyens alloués par les autres ministères, en dehors de ce qui relève de la DGFiP et de la DGDDI. S'agissant de la justice et de la police, nous manquons de données et, de fait, nous légiférons à l'aveugle, sans savoir si les politiques publiques que nous adoptons pourront être réellement appliquées par les juridictions. Vos recommandations, votre analyse très qualitative des travaux du système judiciaire, nous permettront d'avancer sur ces sujets.

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Il est clair qu'une comptabilité analytique par procédure devrait, à un moment donné, faire le lien entre la police et la justice – une affaire est traitée par la police et la justice, sous l'autorité de la justice.

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Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes

Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, pour l'intérêt que vous portez à notre travail. Nombre de questions sont précises et techniques ; je me permettrai donc de me référer à mon équipe, notamment en ce qui concerne les comparaisons internationales et les mérites respectifs des différents systèmes que nous avons étudiés.

Il est très difficile de rapporter des hausses de crédits et d'effectifs à une efficacité globale. Je vous l'ai dit, la hausse des crédits qui ne se traduit pas par une augmentation suffisante du nombre de magistrats et de fonctionnaires s'explique en partie par l'effet retard du mécanisme de recrutement. Cela est dû également à différentes lacunes dans la façon dont ces nouveaux moyens ont été répartis entre les juridictions. Il s'agit de l'hypothèse centrale de notre rapport : le ministère ne dispose pas, aujourd'hui, des données et des procédures qui lui permettraient d'aller là où les besoins sont les plus pressants.

Ce constat n'est pas incompatible avec la question du coût de la justice française, comparée aux autres systèmes. Nous pourrions commencer par mesurer la différence, procédure par procédure. La CEPEJ, si la France y participait, serait le cadre idéal pour procéder à toute mesure.

Cela dit, le rapport commence par poser le constat évident qu'il y a un retard global de financement de la justice française en dépit des augmentations votées ces quinze dernières années : 0,18 % du produit intérieur brut contre 0,34 % pour l'Allemagne et 0,29 % pour les pays autres que les pays de common law, c'est-à-dire les pays au système judiciaire comparable au nôtre.

Monsieur le président, la comptabilité analytique est effectivement un objectif. Ce que nous proposons aujourd'hui est une première étape : pouvoir imputer les coûts directs en personnel des ressources humaines consacrées aux différents types de procédures. En comptabilité analytique, on commence toujours par les coûts directs, les coûts indirects étant répartis ensuite. Les coûts directs ne peuvent pas être affectés de façon satisfaisante aux grandes activités du ministère. Il faut commencer par là ; c'est une première étape. Après, rien n'empêche à d'autres de faire l'effort de rattacher à ces coûts directs d'autres coûts directs - tels que les frais d'enquête – et ensuite, les coûts de structure que sont l'immobilier, les charges communes du ministère, etc.

Concernant les outils informatiques, de nombreuses questions ont été posées. Mais nous ne parlons pas de la même chose. Quand vous évoquez les crédits ouverts en loi de finances 2018, c'est-à-dire 327 millions d'euros en AE pour le plan de transformation numérique du ministère, vous parlez de la transformation complète de la chaîne pénale et de la chaîne civile : ce sont les projets informatiques les plus importants en cours au ministère, Cassiopée et Portalis, qui ne sont pas achevés et qui représenteront, un jour ou l'autre, à la fois des gains de productivité très important et une simplification du travail judiciaire – une simplification de la relation en l'usager et le justiciable.

Les systèmes dont nous avons parlé, OUTILGREF et PHAROS, sont des outils de gestion du personnel, PHAROS n'étant, en réalité, qu'un centre d'informations dans lequel des données sont déversées – c'est très peu de chose. Ces outils peuvent être mis à niveau à relativement peu de frais. Cela n'a rien à voir avec Cassiopée ou Portalis.

Je ne peux pas répondre à la question de savoir si le ministère dispose du niveau d'investissement nécessaire pour sa transformation numérique – pour mener à bien cette numérisation complète des deux grandes chaînes d'activité du ministère. Je n'ai pas la réponse à cette question, mais c'est un sujet que nous étudierons. C'est un investissement informatique considérable et nécessaire !

Permettez-moi de faire une remarque un peu générale sur la conduite des grands projets informatiques. Il existe une tendance, au sein des administrations publiques, et plus spécifiquement de l'administration de l'État, à sous-investir – même si les chiffres peuvent impressionner – en matière informatique, alors même qu'il conviendrait d'investir plus dans ce type de grands projets, qui ont pour vocation à transformer le travail et la relation avec l'usager.

S'agissant des indicateurs de performance du ministère, le premier problème commun à ces indicateurs est la qualité du renseignement, du fait des différentes lacunes qui existent dans la collecte et le traitement des données auxquels le rapport fait allusion.

Monsieur le rapporteur spécial, concernant les vertus des différents systèmes étrangers, le rapport conclut très clairement en faveur du système allemand. Il nous paraît le plus proche de nos préoccupations et le plus simple. Le système norvégien est plus ambitieux, puisqu'il intègre et objective la complexité des affaires, et le système israélien est un système de découpage en phases des procédures – séduisant, mais plus compliqué. Le système allemand nous paraît le plus susceptible de couvrir les besoins de la justice française.

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étienne Champion, conseiller maître à la Cour des comptes

Ces systèmes de pondération des affaires sont reconnus au niveau international. Un groupe de travail au Conseil de l'Europe travaille uniquement sur ces systèmes, et un rapport a été élaboré par la Banque mondiale. Il ne s'agit pas du tout de quelque de chose de nouveau, ces systèmes se développent dans le monde entier. Or la France en est pour l'instant totalement absente, puisqu'elle ne participe même pas à ce groupe de travail de la CEPEJ.

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étienne Champion, conseiller maître à la Cour des comptes

Parce que la France, n'ayant pas développé ces systèmes, pense qu'elle n'a rien à apporter à ce groupe. Or intégrer ce groupe est l'une de nos recommandations, d'autant que la CEPEJ siège à Strasbourg.

Tous ces systèmes ont davantage de points communs que de différences. Ils présentent des modalités de développement plus ou moins axées sur un certain nombre de choix, mais sont à peu près tous fondés sur le même mécanisme. Il s'agit en fait d'une comptabilité analytique simplifiée, centrée sur les temps de travail et donc sur le personnel. Ensuite, les pays ont construit leur propre système.

Le système allemand est le plus fiable pour deux raisons. D'une part, parce qu'il existe depuis 2005, a fait l'objet d'une révision complète depuis 2014 et fonctionne bien. C'est le système d'allocation des moyens des juridictions judiciaires. Certes, il fait l'objet de quelques critiques d'ajustement, mais il fait aussi l'objet d'un consensus global sur les principes.

D'autre part, il est fondé sur une enquête nationale qui mesure les temps réellement travaillés, sur la base d'un échantillon – comme dans le monde hospitalier. C'est-à-dire qu'on ne travaille pas sur une base de consensus où l'on définit de manière un peu théorique les temps de travail : on les établit sur une véritable enquête nationale. On s'appuie donc sur des durées réelles et non des constructions idéales, ce que l'on a pu reprocher aux travaux menés en France.

Le système norvégien est très séduisant intellectuellement, la complexité étant son critère principal pour déterminer le temps de travail pour une affaire. Mais déterminer la complexité est précisément assez complexe. Les Norvégiens s'interrogent actuellement sur leur système.

Quant aux Israéliens, ils travaillent par type de procédures – telle affaire nécessite deux audiences en préliminaire, trois audiences en première instance. Il repose également sur une comptabilité analytique mais leur système est moins fiable que le système allemand. Il est surtout fondé sur une conférence de consensus plutôt que sur une enquête nationale.

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Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes

S'agissant des travaux menés au sein des juridictions françaises à l'échelon local, nous les avons analysés en détail, ils sont tout à fait pertinents. Ils pourraient être versés au travail national qui est actuellement suspendu et dont nous appelons de nos voeux la reprise.

S'agissant du dialogue budgétaire, et de la construction du budget au sein du ministère de la justice, nous faisons trois propositions visant à améliorer le dialogue budgétaire au sein du ministère. D'abord, avancer le calendrier de la construction budgétaire pour faire remonter les besoins des cours d'appel. Ensuite, harmoniser les dates et limiter le nombre de mouvements de magistrats à deux par an – nous répondons-là à l'excessive mobilité encouragée par le système, avec l'obligation de réaliser deux changements quatre ans après l'arrivée pour faire carrière. Enfin, dans ce dialogue budgétaire, il manque un affichage des critères d'allocation des moyens. La circulaire de localisation des effectifs n'est pas compréhensible pour les premiers intéressés – les chefs de cour –, les critères n'étant pas explicitement affichés.

Madame Louwagie, s'agissant de la conduite des projets informatiques au sein du ministère, la question des appels d'offres, de la qualité de la gestion des grands projets, de la passation des contrats, concerne essentiellement Cassiopée et Portalis, PHAROS et OUTILGREF ne sont pas du même ordre.

La question de M. Laqhila est importante. L'objectivation d'une norme d'activité des magistrats ne risque-t-elle pas d'être une atteinte à leur indépendance ? Je ne peux que répéter ce que j'ai dit à propos du système allemand : c'est la mesure individuelle du travail réalisé annuellement par les magistrats qui permet leur affectation là où ils sont le plus nécessaires. Ces mesures permettent ainsi d'établir une hiérarchie objective des besoins qui n'existe pas dans l'allocation des ressources du système français.

Une fois que le chef de cour est affecté, il est libre de l'emploi des moyens qui lui sont alloués. Il s'agit bien de normes d'affectation des moyens et non de normes individuelles d'activité des magistrats qui seront déterminées par les chefs de cour en fonction de la complexité des affaires, de la charge administrative, etc. Il est donc tout à fait possible de concevoir un système d'allocation des moyens qui contienne une référence d'activité annuelle pour un magistrat, sans que celle-ci lui soit directement opposable.

Il est aussi évident qu'un tel système pourrait faire apparaître un sous-dimensionnement des moyens. Il n'y a aucune raison, si le système est bien fait, si nous arrivons à objectiver le temps de travail nécessaire et le volume de ressources humaines nécessaire au bon fonctionnement de la justice, que nous ne puissions pas mesurer l'écart entre l'existant et le souhaitable.

Ensuite, il faut tenir compte de la contrainte budgétaire, des choix de priorité de politique publique, du rôle de la représentation nationale, cela va de soi. Mais pourquoi s'interdire de le mesurer ? Il faut le connaître avant de pouvoir décider en connaissance de cause. Nous ne pouvons donc pas exclure que ce système fasse apparaître des besoins importants. Il fera aussi apparaître des différences régionales, selon les juridictions, qui permettront de mieux allouer les moyens ou de « répartir plus judicieusement la pénurie ».

Oui, monsieur Bricout, nous partons de loin en matière de gestion. Le ministère n'a pas de culture gestionnaire. Le chef de cour ne se concevait pas, au départ, comme un ordonnateur secondaire ou responsable de la gestion de son personnel. Il est tout à fait exact qu'il existe au ministère de la justice une tradition de sous-administration. Nous partons donc de loin, mais nous remontons la pente. La préoccupation gestionnaire et budgétaire est plus forte maintenant qu'il y a dix ou quinze ans.

La relation avec la réforme de la justice est une question fondamentale. Il y a l'administration de la justice et les deux directions législatives, la direction des affaires criminelles et des grâces et la direction des affaires civiles et du sceau. Il est évident que ces directions, ou d'autres ministères, vont produire de la législation, proposer au Parlement de la législation ou prendre des réglementations qui affecteront le travail de la justice. L'interaction entre ces deux directions et ces deux séries de considérations est très difficile à faire et est mal faite. Normalement, elle se fait dans les études d'impact.

Mais nous avons dit un mot des études d'impact, et je me permets d'ajouter que le ministère de la justice n'est pas seul dans ce cas. À la Cour des comptes, par exemple, il reste d'anciennes incarnations – j'ai pu le vérifier – sur des lois sociales très importantes, et avec des ordres de grandeur bien plus importants que ceux-là. Les études d'impact n'étaient simplement pas à la mesure des enjeux budgétaires.

Il existe donc bien un double problème : un problème d'organisation du ministère de la justice pour rendre compatible ces objectifs gestionnaires et législatifs, mais aussi un problème de production d'études d'impact de qualité qui permettraient à la représentation nationale de se prononcer en connaissance de cause.

Monsieur de Courson, s'agissant des taux de réponse, la pratique et la définition même du concept varient d'un pays à l'autre. Il est extrêmement difficile de faire des comparaisons. En France, le classement sans suite fait partie de la réponse pénale. Mais avant cela, il y a toute la masse des affaires dites « non orientables », qui ne font même pas l'objet d'un tri entre le classement sans suite et la réponse pénale. Cette distinction, la façon dont elle est pratiquée dans les différents pays, est vraiment propre à chacun d'eux. L'exercice serait intéressant mais les notions de base même sont difficiles à comparer.

Pour être tout à fait complet dans ma réponse, je pense, monsieur le député, que vous avez raison sur un point, celui de l'impact de la procédure. Nous venons de réaliser un travail qui a donné lieu à un référé du Premier président sur la répression de la délinquance économique et financière. Nous avons pu constater la complexité des affaires, l'impact de la procédure qui, avant de porter sur les juridictions, porte sur les services d'enquête.

Je ne dis pas qu'il soit facile à mesurer, mais il est tout à fait évident qu'il existe un coût dû à de la complication croissante des procédures, et qu'il peut s'agir d'un sujet d'investigation pour permettre à la réforme de la justice de se développer en toute connaissance des coûts induits par ces réformes. Il faut que l'on progresse dans cette voie et que l'on fasse une application raisonnée des exemples étrangers.

Madame Peyrol, vous avez raison : le ministère doit s'approprier progressivement une culture de l'évaluation qui lui fait encore un peu défaut. D'ailleurs, vous verrez – c'est un hasard de la rédaction qui me permet d'illustrer mon propos – qu'à un moment, nous mettons entre guillemets les termes « performance » et « productivité », qui ne sont pas faciles à objectiver. Nous nous en approchons dans une activité régalienne comme celle de la justice qui, en outre, obéit à un principe d'indépendance dans son fonctionnement. Il s'agit d'une démarche nécessaire mais qui doit s'effectuer au sein du ministère, selon des modalités particulières et avec une certaine prudence.

Monsieur Cornut-Gentille, j'ai du mal à répondre à votre question car je risquerais de sortir de mon rôle.

Mme Cariou a prononcé une phrase intéressante : « On légifère à l'aveugle ». Ce que nous proposons a justement pour objectif de vous aider à y voir plus clair. Car sans objectiver convenablement le coût des procédures, des affaires, de la justice, il est évident que la mesure de l'impact sur ces coûts des réformes législatives est extrêmement difficile à définir.

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Je vous remercie, monsieur le président, ainsi que votre équipe.

J'interprète votre travail comme une première étape, essentielle, qui permettra d'organiser ce ministère de façon plus transparente dans le domaine de l'affectation des moyens qui lui sont consacrés, pour répondre de manière plus efficace aux missions qui lui sont assignées.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 29 janvier 2019 à 16 heures 15

Présents. – M. Saïd Ahamada, M. Éric Alauzet, M. François André, M. Jean-Louis Bricout, Mme Émilie Cariou, M. Michel Castellani, Mme Anne-Laure Cattelot, M. François Cornut-Gentille, M. Charles de Courson, Mme Dominique David, M. Benjamin Dirx, M. Jean-Paul Dufrègne, Mme Stella Dupont, M. Olivier Gaillard, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, Mme Olivia Gregoire, M. Patrick Hetzel, M. Alexandre Holroyd, M. Christophe Jerretie, M. François Jolivet, M. Daniel Labaronne, M. Mohamed Laqhila, M. Michel Lauzzana, Mme Patricia Lemoine, Mme Véronique Louwagie, Mme Marie-Ange Magne, Mme Lise Magnier, Mme Amélie de Montchalin, Mme Cendra Motin, Mme Catherine Osson, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, Mme Bénédicte Peyrol, M. Philippe Vigier, M. Éric Woerth

Excusés. – M. M'jid El Guerrab, M. Marc Le Fur, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva

Assistait également à la réunion. – M. Jean-Luc Warsmann

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