Commission des affaires étrangères

Réunion du mercredi 6 mars 2019 à 9h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Audition, ouverte à la presse, de M. Nasser Kamel, Secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée.

La séance est ouverte à 9 heures 35.

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M. Nasser Kamel, que je remercie vivement d'avoir accepté notre invitation, est secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée (UPM) depuis juin 2018, après avoir accompli une très belle carrière diplomatique dans son pays, l'Égypte. Il est accompagné de M. Pierre Duquesne, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée.

Monsieur Kamel, vous avez été ambassadeur d'Égypte en France de 2006 à 2012 ; vous avez également exercé la fonction de ministre adjoint des affaires arabes et du Moyen-Orient. Comme vous, nous sommes convaincus que la Méditerranée est au coeur des principales problématiques contemporaines, qui nous concernent tous : la paix, la sécurité et la stabilité, le développement, les migrations, l'environnement et le dérèglement climatique, la question primordiale de la gestion de l'eau et celle du dialogue des civilisations.

L'idée d'une Union pour la Méditerranée a germé au terme du processus de Barcelone, qu'il fallait relancer en 2007-2008. C'est ainsi que Nicolas Sarkozy a souhaité la création d'une Union pour la Méditerranée qui a vu le jour en 2008. À l'évidence, cette organisation a dû composer avec de nombreux obstacles : la difficulté à faire émerger des intérêts communs entre quarante-trois pays dont certains sont très éloignés des rives de la Méditerranée, la persistance des crises – conflit israélo-palestinien, partition de l'île de Chypre, situation du Sahara occidental, irruption de nouveaux foyers de tension en Libye et en Syrie. Néanmoins, l'Union pour la Méditerranée incarne depuis 2008 un espace de dialogue qui nous est très précieux, et nous pensons qu'une relance du processus serait la bienvenue. C'est avec plaisir que je vous donne la parole, monsieur Kamel, pour nous présenter les initiatives, les projets et les perspectives de l'Union pour la Méditerranée.

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Nasser Kamel, secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée

C'est un plaisir d'être devant vous, mesdames et messieurs les députés, pour parler de la Méditerranée au sens large mais aussi de l'Union pour la Méditerranée, le cadre institutionnel intergouvernemental qui a pour ambition de structurer le partenariat régional.

Plus que jamais, la Méditerranée est au coeur de nos débats. Il est indispensable de renforcer la coopération entre les deux rives de cette mer partagée. Permettez-moi de commencer par rappeler le contexte historique dans lequel l'Union pour la Méditerranée a été créée. En 1995, à une époque de grand optimisme faisant suite à la fin de la guerre froide, à l'adoption du traité de Maastricht et au renforcement du projet d'intégration européenne, aux accords d'Oslo qui ont débouché sur la création de l'Autorité palestinienne et sur l'espoir de donner une solution pacifique à un conflit qui durait depuis des décennies, les pays du pourtour de la Méditerranée, cette mer de culture et de civilisation, berceau de la démocratie, de la philosophie et des règles qui régissent jusqu'à aujourd'hui les relations internationales, ont nourri l'ambition de renforcer leurs liens en créant une plateforme afin de structurer leur coopération. C'est à cette époque que fut lancé le partenariat euro-méditerranéen, ou processus de Barcelone.

Ce processus a permis de mettre au point des structures et des modalités d'échange et de coopération dans plusieurs secteurs. Reconnaissons toutefois qu'il s'est heurté à des lacunes d'ordre régional et structurel. La situation régionale s'est peu à peu dégradée : le processus de paix d'Oslo a rencontré de grandes difficultés et les attentats du 11 septembre 2001 ont produit un fort effet psychologique et géopolitique et ont conduit, deux ans plus tard, à l'invasion de l'Irak, qui a provoqué une tension sans précédent au sud de la Méditerranée. À cela s'ajoute le fait que le processus de Barcelone, qui était principalement géré par l'Union européenne, était perçu au Sud comme le symptôme d'une relation Nord-Sud déséquilibrée, fondée sur une certaine conditionnalité et sur un face-à-face entre donateurs et bénéficiaires.

En 2008 est né, en France comme en Égypte et ailleurs autour de la Méditerranée, le désir de faire émerger quelque chose de neuf. Le président Sarkozy a saisi ce besoin et a lancé l'idée d'une structure nouvelle. Le sommet de Paris organisé cette année-là s'intitulait : « Processus de Barcelone – Union pour la Méditerranée », le premier étant partie intégrante de ce qui est aujourd'hui la seconde. La nouvelle organisation a d'ailleurs intégralement repris les acquis du processus de Barcelone et en a élargi le cadre non plus à un niveau bilatéral entre l'Europe et la rive Sud mais au niveau régional, avec une structure organisationnelle unique et une approche opérationnelle tenant compte de la dimension régionale de cette relation.

Le point le plus important concernait la structure de gouvernance. L'Union pour la Méditerranée a été fondée sur les principes de la copropriété, de la coprésidence et du consensus afin d'assurer l'équilibre entre le Nord et le Sud dans la prise de décisions, dans l'organisation et dans le choix des projets.

Ensuite, l'Union s'est voulue axée sur les projets. L'un de ses premiers projets emblématiques était l'installation d'une station de désalinisation à Gaza. Aujourd'hui, plus de cinquante projets sont envisagés pour un budget total de plus de 5 milliards d'euros. L'organisation a adopté une méthode de travail pragmatique fondée sur trois « P » : le premier d'entre eux désigne le dialogue politique au niveau ministériel, sectoriel et technique – entre hauts fonctionnaires – afin d'élaborer des plans d'action commun dans tous les domaines qui lient les deux rives de la Méditerranée – environnement, emploi, industrie, commerce, jeunesse, autonomisation des femmes, et ainsi de suite. Ces dernières années, dix-sept réunions ministérielles ont été organisées dans différents secteurs. Le deuxième « P » désigne les plateformes de dialogue, qui réunissent la société civile et les principaux acteurs impliqués – les syndicats, les entrepreneurs et toutes les composantes de nos sociétés au sens large – pour définir des orientations générales susceptibles d'alimenter le dialogue politique intergouvernemental et adresser des propositions concrètes aux décideurs afin qu'ils adoptent à leur tour des stratégies, des plans d'action et des projets. Le troisième « P » désigne les projets, précisément, où l'UPM joue un rôle fédérateur de mobilisation de fonds, d'accompagnement voire de promotion des projets le cas échéant.

La Déclaration de Paris a été adoptée en 2008, mais le secrétariat de l'UPM n'a été mis sur pied qu'en 2010 et ce n'est qu'en 2011 que l'Union a vraiment pu entamer ses travaux : une année historique sur le plan géopolitique. Le printemps arabe a suscité l'ambition d'une Méditerranée démocratique et prospère mais a aussi ouvert une période de transition incertaine. L'Égypte et la Tunisie se sont stabilisées rapidement tandis que l'État et les institutions se sont totalement effondrés en Syrie et en Libye. Parallèlement, les phénomènes extrémistes et terroristes ont connu un développement sans précédent et les flux migratoires ont atteint des niveaux jamais connus depuis la Seconde Guerre mondiale – un défi qui concernait tout à la fois les deux rives de la Méditerranée. En outre, la crise financière de 2008 était encore récente et avait surtout frappé l'Europe méridionale – l'Espagne, l'Italie, le Portugal, la France dans une moindre mesure. Ces grands acteurs de la coopération euro-méditerranéenne étaient donc préoccupés tout à la fois par des enjeux sécuritaires – lutte contre le terrorisme et migrations – et par leurs propres difficultés économiques.

Malgré ce contexte défavorable, l'UPM est parvenue à s'adapter de façon assez extraordinaire, et tout le crédit en revient à mon prédécesseur, Fathallah Sijilmassi, un diplomate et haut fonctionnaire marocain de grande valeur qui a exercé la fonction de secrétaire général pendant six années difficiles en adoptant une approche très pragmatique avec les États membres. Il a assuré la poursuite du dialogue afin d'établir d'ambitieux agendas régionaux communs. Il a organisé dix-sept réunions ministérielles sur des questions allant du renforcement du rôle des femmes jusqu'à l'emploi, le commerce, l'économie numérique, la coopération industrielle, l'eau, le développement urbain, les transports ou encore l'énergie.

Nous avons même récemment élargi le champ de notre action à un domaine lié à la lutte contre les changements climatiques : la protection civile. Pour la première fois, les pays riverains de la Méditerranée vont travailler ensemble pour faire face à des catastrophes naturelles voire, dans certains cas, d'origine humaine.

L'organisation a poursuivi ses travaux. J'en citerai un exemple qui m'est cher : l'ambitieux programme d'autonomisation des femmes. Avec le consensus total des 43 pays membres, nous avons mis au point un plan précis assorti d'indicateurs et d'objectifs pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes et pour que les femmes puissent prendre toute leur place dans la vie publique et sur le marché du travail. Nous élaborons même actuellement un mécanisme d'évaluation par les pairs qui permettra de détecter les éventuels retards par rapport aux objectifs. C'est le signe d'une volonté commune de mettre en oeuvre un programme dans un domaine que je juge très important.

Il en va de même au sujet de l'eau. La Méditerranée est l'une des régions les plus pauvres en eau du monde. Nous avons donc mis au point une stratégie de gestion et de financement de cette ressource très chère et très rare, ainsi qu'une stratégie d'atténuation des effets des changements climatiques, notamment sur l'eau.

Autre défi majeur, au sud comme au nord de la Méditerranée : l'emploi des jeunes. Au sud, les jeunes constituent 60 % voire 70 % de la population ; en Europe méditerranéenne, souvent 40 % ou davantage. Nous avons donc lancé l'initiative Med4Jobs. Nous avons également déployé d'autres projets concrets comme la dépollution du lac de Bizerte afin d'améliorer les conditions de vie du demi-million d'habitants de la région, l'usine de désalinisation de Gaza qui répondra aux besoins de 2 millions d'habitants et qui a connu des progrès considérables ces derniers temps, ou encore la régénération urbaine d'un quartier très pauvre du Caire peuplé de 2 millions d'habitants. Voilà ce que l'UPM est capable de faire pour produire un impact sur le terrain.

Où en est l'Union aujourd'hui ? De nombreux signes me rendent optimistes. La coopération méditerranéenne suscite un regain d'intérêt, comme en témoigne l'initiative très pertinente du président Macron en faveur d'un « Sommet des Deux Rives ». Je constate en outre une relative amélioration de la situation géopolitique régionale : relance économique timide mais stable au nord, diminution sensible de la pression migratoire – les migrants qui voulaient traverser la mer se comptaient par millions il y a encore trois ans et ne se comptent plus que par dizaines de milliers aujourd'hui ; la crise est donc passée – et essor de la coopération sous-régionale avec le mécanisme 5+5 et les projets de coopération autour du gaz dans l'est de la Méditerranée pour assurer l'indépendance énergétique de la zone au sens large.

Nos instances ont retrouvé une certaine normalité : l'instance suprême de l'UPM, le conseil des ministres des affaires étrangères, s'est réunie tous les ans depuis 2016. Ce retour à la normale se reflète dans l'intérêt que les médias portent à l'organisation : la Méditerranée n'est plus seulement envisagée au prisme des crises et des tensions mais comme une zone de coopération possible et même espérée par les populations et par leurs dirigeants.

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Je vous remercie, monsieur le secrétaire général. Permettez-moi de donner la parole à M. l'ambassadeur Pierre Duquesne car, à l'initiative du président de la République française, le Sommet des Deux Rives se tiendra le 24 juin à Marseille. Ce dialogue à cinq plus cinq – Algérie, Libye, Maroc, Mauritanie et Tunisie au Sud, France, Italie, Malte, Portugal et Espagne au Nord – est très intéressant. Pouvez-vous, monsieur l'ambassadeur, nous en dire davantage sur l'ordre du jour et les perspectives de ce sommet très important qu'il vous revient d'organiser ?

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Pierre Duquesne, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée

En effet, le Président de la République a souhaité renouer avec une politique méditerranéenne plus inclusive. Dix ans après la création de l'UPM, il a donc annoncé ce nouveau projet à la fin août 2018. Le sommet de Marseille qui se tiendra au palais du Pharo le 24 juin sera tout à la fois un sommet de dirigeants et un dialogue avec la société civile des dix pays concernés. Le processus de sélection de cent personnalités qualifiées – dix par pays – est en cours ; elles pourront interpeller les chefs d'État et de gouvernement qu'elles inciteront à réagir en se réunissant quinze jours avant le sommet à Tunis pour lancer un appel des Cent.

Le format « 5+5 » est le plus ancien format méditerranéen puisqu'il est antérieur à l'Union pour la Méditerranée, mais c'est aussi le format le moins connu et le plus efficace car le plus pragmatique, à telle enseigne que les dix ministres de la défense se réunissent chaque année pour aborder des questions concrètes concernant la protection civile ou la formation commune des militaires.

Par ce sommet, nous tâchons de faire passer quatre messages. Aux deux rives, nous préférons la notion d'une Méditerranée intégrée, car nous partageons des problèmes communs, y compris en termes d'emploi. Ensuite, il ne s'agit pas de revisiter les crises de la région – elles sont d'ailleurs moins nombreuses en Méditerranée occidentale – mais de déployer des projets concrets. Nous voulons aussi montrer que le Sud peut enseigner des choses au Nord, qui se départit de sa seule position de donneur de leçons. Enfin, nous avons mis sur pied un agenda positif qui ne se résume pas, tant s'en faut, à la question migratoire.

Cinq grands thèmes donneront lieu à autant de réunions préparatoires dans les divers pays de la zone en avril et en mai : l'Algérie organisera un forum sur l'énergie, le Maroc sur l'économie et la compétitivité, Malte sur la jeunesse, l'éducation et la mobilité, l'Italie sur l'environnement et le développement durable, la France sur la culture, le tourisme et les médias – ce dernier forum aura lieu début mai à Montpellier, signe que la région Occitanie n'est pas négligée par rapport à la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur (PACA).

Je conclurai par une brève typologie des projets que nous souhaitons mettre en oeuvre, sachant que les exemples concrets seront issus des réunions préparatoires et des travaux de la société civile, et étant précisé que le groupe des cent personnalités qualifiées sera présidé par Mme Ouided Bouchamaoui, ancienne présidente de l'Union tunisienne de l'industrie, du commerce et de l'artisanat (UTICA), prix Nobel de la paix 2015. Nous favoriserons d'une part des projets tangibles – interconnexions de transport, projets énergétiques – mais aussi des projets immatériels tels qu'un réseau d'écoles de la deuxième chance ou un festival des théâtres antiques dans lesquels serait jouée de la musique moderne. Nous encouragerons la création d'appellations méditerranéennes. L'Italie nous incite à réfléchir sur le blé dur avec lequel on fait tout à la fois la semoule et les pâtes – ce que nos concitoyens ignorent souvent. Dans un autre domaine, nous nous interrogerons sur l'opportunité de créer une responsabilité sociale et environnementale (RSE) méditerranéenne. Nous favoriserons des politiques publiques communes, la plus emblématique étant la politique « zéro plastique » en Méditerranée. Nous prônerons l'adoption de mesures de régulation dans les organisations internationales, notamment pour réduire les émissions de soufre et de dioxyde de carbone par les navires. Nous réfléchirons peut-être à la création d'institutions, par exemple une école des métiers de la mer, qui n'existe pas encore. Enfin, nous nous pencherons sur des concepts communs comme le suivi conjoint des objectifs de développement durable.

Tout ce travail incombera à ce que je nommerai un G-10 Med pour lancer des idées au sein des organisations internationales, dont l'Union pour la Méditerranée. Cela se fera sous un format particulier en associant les dix pays du groupe « 5+5 », les deux organisations méditerranéennes que sont l'Union pour la Méditerranée et la Fondation euro-méditerranéenne Anna Lindh pour le dialogue entre les cultures que préside votre prédécesseure, madame la présidente, ainsi que quatre organisations internationales économiques – la Banque mondiale, la Banque européenne d'investissement (BEI), la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) – ainsi que l'Union européenne et la République fédérale d'Allemagne, car l'idée était de rendre ce projet plus inclusif qu'en 2008.

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Monsieur le secrétaire général, vouliez-vous ajouter un mot sur le cadre de participation de l'UPM au Sommet des Deux Rives avant que les collègues ne vous posent leurs nombreuses questions ?

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Nasser Kamel, secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée

Allant dans le sens de M. l'ambassadeur, je dirais que l'appel de Tunis du président Macron s'inscrit pleinement dans cette dynamique d'un regain d'intérêt, que ce soit au nord ou au sud des rives de la Méditerranée. Par cette initiative, la France s'engage à nouveau d'une manière forte et puissante en faveur de l'objectif de l'UPM et de la Méditerranée au sens large.

Les thématiques du sommet sont celles sur lesquelles nous avons travaillé pendant cinq ou six ans. Nous assurons une coordination organique avec la République française et avec mon cher collègue Pierre Duquesne. L'UPM est pleinement engagée. En amont, nous allons essayer d'accompagner au mieux les pays en charge des différents forums sectoriels. Nous allons mettre à leur disposition notre savoir-faire sur les thématiques identifiées. Nous allons essayer de contribuer au maximum à l'appel des Cent, dont l'ambassadeur Duquesne vient de parler. Je participerai au sommet parce que la France m'a convié en tant que secrétaire général de l'UPM. En aval, nous utiliserons notre capacité unique de structure permanente dédiée au renforcement du partenariat euro-méditerranéen et nous appuierons les résultats du sommet. Pierre Duquesne a mentionné quelques initiatives parmi d'autres. Nous allons travailler pour assurer leur mise en oeuvre et leur suivi.

Cette initiative s'inscrit parfaitement dans la logique de l'UPM qui a toujours été très réceptive à l'idée de géométrie variable et aux initiatives sous-régionales. Pierre Duquesne a raison de dire que le Dialogue « 5+5 » fut l'un des cadres de partenariat les plus dynamiques. Nous avons toujours accompagné cette configuration dont nous sommes, en quelque sorte, le secrétariat technique structurant.

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Merci beaucoup, monsieur le secrétaire général. Je donne maintenant la parole à ceux de nos collègues qui souhaitent vous interroger, en commençant par les représentants des groupes.

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Monsieur le secrétaire général, monsieur l'ambassadeur, permettez-moi tout d'abord de citer, en cette semaine internationale des droits des femmes, une écrivaine en lien avec ma circonscription de la Drôme, la marquise de Sévigné. Il y a trois cent trente ans, elle écrivait : « Nos mers sont tout émues ; il n'y a que votre Méditerranée qui soit tranquille. » Je ne sais pas si elle était visionnaire, mais nous évoluons, quelques siècles plus tard, dans un contexte pour le moins contrasté. Comme vous l'avez expliqué, madame la présidente et monsieur le secrétaire général, les enjeux de cette région se nomment paix et sécurité – parce que ce n'est pas aussi tranquille que le disait la marquise de Sévigné –, environnement, climat, gestion de l'eau, migrations, dialogue des civilisations et inclusion.

En vous remerciant pour cette intervention de grande qualité, mon groupe réaffirme son soutien à l'UPM car cette enceinte est la seule qui permette à la fois un dialogue régional associant tous les partenaires méditerranéens et le développement de projets concrets pour rapprocher les deux rives de la Méditerranée. En effet, en dix années d'existence, l'UPM a déjà labellisé une cinquantaine de projets d'intégration régionale dans des domaines aussi divers que la dépollution de la Méditerranée, les énergies renouvelables, l'enseignement supérieur et la recherche, la protection civile, les autoroutes de la mer, les autoroutes terrestres et l'appui aux petites et moyennes entreprises.

L'UPM est aussi une institution qui, loin d'être figée, a la volonté de se réformer. Lors de la troisième conférence des ministres des affaires étrangères, qui s'est tenue en janvier 2017, les ministres représentant leur État à l'UPM se sont mis d'accord pour renforcer son rôle en lui permettant d'aller à l'avenir chercher elle-même des financements pour ses projets.

Comme vous l'avez bien décrit, monsieur l'ambassadeur, Emmanuel Macron a annoncé sa volonté de renforcer la politique méditerranéenne de la France. Le Sommet des Deux Rives se réunira en juin prochain à Marseille dans un format resserré « 5+5 ». Selon Emmanuel Macron, il s'agit de « refonder une politique méditerranéenne plus inclusive. » Vous nous avez parlé des nombreux projets alléchants qui sont portés par les cent personnalités qualifiées, sous la présidence de Ouided Bouchamaoui.

À l'approche de la journée des droits des femmes du 8 mars, ma question va porter sur l'égalité entre les femmes et les hommes. Vous l'avez dit, monsieur le secrétaire général, le sujet est à l'agenda de l'UPM mais une partie importante de ces pays a encore des progrès significatifs à accomplir en matière de genre. Je pense aux pays du Maghreb. En Tunisie, par exemple, la loi proposant de mettre les femmes et les hommes sur un pied d'égalité en matière d'héritage n'a toujours pas été adoptée alors qu'elle est soutenue par l'exécutif. Je pense aux pays des Balkans. En Albanie, par exemple, le nombre de cas de violences infligées aux femmes est toujours élevé. Je pense aux pays du Proche-Orient. En Égypte, par exemple, des lois discriminatoires contraignent toujours les femmes mariées à obéir à leur mari au prétexte qu'ils subviennent à leurs besoins. Quelles sont les orientations de l'UPM en matière d'égalité des genres dans cette région ? En octobre 2018, l'UPM a organisé une conférence sur l'autonomisation des femmes, intitulée « Les femmes construisent des sociétés inclusives en Méditerranée ». Quelle a été la portée de cette conférence ?

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J'ai beaucoup étudié ces sujets et je suis très favorable à l'UPM. C'est un motif de satisfaction que de voir la relance faite par le ministre des affaires étrangères. Je le dis d'autant mieux que je vais être très critique sur le passé car l'UPM a eu un problème de moyens. Les projets sont formidables, intéressants. Il s'agit souvent de rencontres très fructueuses en paroles dont les conséquences pratiques sont beaucoup plus faibles.

En réalité, la situation juridique et financière de l'UPM n'est pas stable. Dès le départ, la communauté européenne a freiné des quatre fers face à l'éventualité d'en faire un organisme responsable qui lui soit associé. Je tiens à le dire de manière très nette et mes collègues trouveront mon intervention tout à fait naturelle : l'Allemagne porte des responsabilités considérables dans ce domaine. Lorsque Nicolas Sarkozy a lancé l'UPM, Mme Merkel a été sa plus farouche opposante. Les Allemands n'acceptaient pas que l'UPM puisse bénéficier de fonds européens, c'est-à-dire de moyens qu'ils considéraient comme leur appartenant.

Votre prédécesseur, M. Fathallah Sijilmassi, que je connais très bien, avait un statut très ambigu et ses moyens étaient très réduits. Pendant toute la durée de son mandat, la Communauté européenne n'a d'ailleurs eu de cesse que de serrer les boulons de manière à ce qu'il n'y ait pas trop de dépenses, que cela n'aille pas trop loin. L'UPM a été entravée, non pas parce que sa finalité, essentielle pour l'avenir de notre continent, était contestée mais parce qu'elle manquait de moyens.

Il n'est pas possible de continuer comme ça. La relance actuelle me semble s'effectuer d'une façon plus opérationnelle : le format « 5+5 », c'est beaucoup mieux que la foule qui se trouvait dans l'UPM avec toutes les divisions possibles et imaginables. De quels moyens le futur cadre « 5+5 » sera-t-il doté ? Comment et par qui seront financées les diverses opérations ? Les pistes que vous avez évoquées me paraissent très intéressantes mais nous ne savons pas vraiment qui va financer. J'ai l'impression que l'Europe va encore se faire tirer l'oreille pour débourser quelque chose. Il y en a assez de voir l'Europe dominée par le continent, marquée par une espèce d'exaspération continentale, comme si la Méditerranée n'était pas l'Europe. La Méditerranée, c'est l'Europe. La Méditerranée occupe une position stratégique extraordinaire. Avec l'explosion de l'Afrique, il est nécessaire de retrouver des contacts et surtout des moyens financiers. Je voudrais que vous nous donniez quelques explications sur ce point.

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Monsieur le secrétaire général, monsieur l'ambassadeur, au nom du groupe du Mouvement Démocrate et apparenté, je vous remercie de votre présence et de vos interventions. Depuis 2011, les printemps arabes ont marqué l'avènement de la société civile dans l'espace politique des pays du sud de la Méditerranée, particulièrement de la jeunesse qui représente en général la majorité de la population de ces pays. Nous en voyons actuellement les prolongements en Algérie, par exemple, avec les difficultés structurelles communes aux pays du sud de la Méditerranée : une population jeune et éduquée, une faible insertion dans l'emploi, une faible participation à la vie politique.

Votre organisation a saisi l'importance de ces difficultés et les a prises en compte en travaillant à des actions concrètes, même si vos marges de manoeuvre restent limitées. Ce fut le cas, par exemple, avec la création de l'université euro-méditerranéenne de Fès. Ce fut aussi le cas avec l'initiative méditerranéenne pour l'emploi, baptisée Med4jobs, dont vous avez parlé, et la mise en place d'un réseau d'écoles de la deuxième chance qui concerne plusieurs dizaines de milliers de jeunes. Par ses actes, l'UPM permet d'apporter une aide essentielle aux jeunes de cette région. Pourtant, ces projets semblent insuffisants face aux demandes actuelles des jeunes. Quelles sont les ambitions de l'UPM dans ce domaine ? Votre organisation soutient-elle d'autres projets universitaires ?

L'UPM est aussi un forum de discussion qui pourrait permettre la mise en place d'un dialogue politique des jeunes et de les soutenir dans leur rôle croissant sur la scène politique nationale et internationale. Ne serait-elle pas l'organisation adéquate permettant aux sociétés civiles de s'exprimer et aux jeunes du bassin méditerranéen de trouver l'espace d'expression et de liberté qui leur manque parfois dans leur pays ? Des instances spécialement dédiées aux jeunes pourraient-elles être mises en place au sein de l'organisation ?

De votre point de vue, peut-il être envisagé, le moment venu – mais c'est une décision de caractère politique –, une rencontre avec des représentants des assemblées des pays des deux rives afin que les parlementaires puissent être motivés et mobilisés pour accompagner l'évolution de cette organisation qui mérite d'être confortée et renforcée ?

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Mon intervention, au nom du groupe UDI, Agir et Indépendants, se situera dans la lignée de celle de notre collègue Claude Goasguen. Monsieur le secrétaire général, vous avez rappelé la lente création de l'UPM à partir de 2008, à la suite du processus de Barcelone. Vous avez aussi rappelé les circonstances particulières voire exceptionnelles qui ont bouleversé l'agenda et même l'organisation de l'UPM : la crise qui a frappé les États du sud de l'Europe, puis le printemps arabe de 2011. Néanmoins, comme Claude Goasguen, je pense que c'est avant tout la différence d'approche entre la France et l'Allemagne qui a ralenti le processus. Ce désaccord sur la place de la Méditerranée dans l'Union européenne persiste.

Un sommet va être organisé sur le modèle du Dialogue « 5+5 » et il est envisagé de créer une instance nouvelle, le G10 Méditerranée. Ces perspectives accréditent l'idée que le format global de l'UPM – 43 pays dont les 28 pays de l'Union européenne – n'est sans doute pas le bon. Ce constat va au-delà de la question du financement de l'organisation. Il faut vraiment déterminer une approche géopolitique. Cette initiative de sommet à dix pays ne revient-elle pas à constater une forme d'échec de l'UPM dans sa configuration à quarante-trois pays dont l'ensemble des pays de l'Union européenne ?

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Au nom du groupe Socialistes et apparentés, je dirai tout d'abord que les intentions de l'UPM sont louables : développement, stabilité, coopération régionale. Certains des projets concrets que l'UPM promeut ou facilite ont récemment avancé, comme cela a été le cas pour l'université de Fès ou pour l'usine de dessalement d'eau de mer de Gaza. Dans cette instance, tous les membres ont le même poids et la même capacité d'expression, ce qui constitue une garantie et un lien.

Dix ans après sa création, plusieurs interrogations ont néanmoins pu naître. Le conflit israélo-palestinien n'a toujours pas trouvé d'issue. L'instabilité au Proche-Orient ainsi que le réchauffement climatique et les responsabilités de l'Union européenne et de ses États membres dans la crise migratoire ont contribué à une crise humanitaire effroyable – on parle de plus de 17 000 morts ou disparus en Méditerranée depuis le début de cette crise.

L'UPM n'est évidemment pas responsable de ces maux. Vous ne l'êtes pas non plus, monsieur le secrétaire général. En revanche, nous sommes en droit de questionner la méthodologie de cette organisation et sa capacité à trouver des solutions collectives. En effet, miser sur de grands projets sans principe d'action claire, notamment en matière de financement et de suivi, conduit parfois à être inefficace. Cette inefficacité peut engendrer des conséquences néfastes sur les relations entre États. Sur ce point, l'UPM peut parfois être critiquée.

Le Sommet des Deux Rives va se tenir à Marseille et réunir, dans le format resserré dit « 5+5 », la France, l'Italie, l'Espagne, Malte, le Portugal, la Tunisie, l'Algérie, le Maroc, la Libye et la Mauritanie. Dans cette initiative, peut-on voir l'échec, voire la fin de l'UPM, ou au contraire un souffle complémentaire ?

Emmanuel Macron souhaite que, dans le cadre de cette coopération, les acteurs s'appuient davantage sur le privé et la société civile. Que pensez-vous de cette orientation proposée par le président de la République française ?

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Monsieur le secrétaire général, monsieur l'ambassadeur, nous vous recevons aujourd'hui avec un intérêt ardent. Je partage l'analyse de quelques-uns d'entre nous : l'UPM est une bonne nouvelle car tous les cadres de dialogue sont les bienvenus, surtout dans une région comme celle-là, mais la vérité est que le dispositif baptisé pompeusement processus de Barcelone est une réplique de l'Allemagne à la construction que nous appelons « 5+5 » et qui était à l'époque « 5+4 ».

Il est clair qu'en prenant tout le bassin méditerranéen, le moindre projet bute aussitôt sur le fait que la guerre y est présente depuis bientôt deux mille cinq cents ans. On ne vous en voudra pas, monsieur l'ambassadeur, si elle n'a pas cessé depuis que vous êtes là. Nous avons Chypre, Israël, la Turquie, la Grèce, la Syrie, la Libye et, en plus, un partenaire que personne n'a invité – en tout cas pas moi – mais qui est là, armé jusqu'aux dents, alors qu'il n'a aucun rivage commun avec la Méditerranée : les États-Unis d'Amérique, avec leur sixième flotte qui n'obéit qu'au commandement américain, composée de 21 000 hommes, 40 navires, 175 avions.

Dans ces conditions, tout est difficile, et je veux saluer votre mérite, monsieur le secrétaire général. Comme Français, je suis plus attentif au format « 5+5 », que je crois être le cadre du petit bassin méditerranéen le plus adapté et le plus conforme à nos intérêts. Je comprends bien que cela puisse ne pas plaire à telle ou telle puissance en Europe, en particulier à l'Allemagne qui a eu moins de scrupules pour organiser ce qu'elle considère comme son arrière-cour. Pour ce qui concerne les règlements en mer, nous sommes beaucoup plus avancés en Baltique qu'en Méditerranée sur tous les sujets, en particulier les pollutions liées aux croisières et les forages. Je vais aborder immédiatement ces sujets pour concentrer mon propos sur les questions urgentes qui sont en suspens.

En mer Méditerranée commencent des forages en eau profonde. C'est un fait nouveau. Ils vont être importants à Chypre et en face de la façade orientale, vers la Jordanie et Israël. De quels moyens dispose-t-on pour assurer la sécurité de ces forages ? Je ne parle pas seulement des moyens militaires, je parle aussi des moyens techniques qui permettraient, le cas échéant, de faire face à un problème. À ma connaissance, il n'existe aucun moyen, aucun appareil permettant une intervention humaine en Méditerranée, une mer infiniment fragile. La Méditerranée ne pourrait pas supporter le choc qu'a encaissé le golfe du Mexique lorsque les installations pétrolières ont explosé. L'eau de la mer Méditerranée met cent ans à se renouveler puisque tout passe par l'étroit détroit de Gibraltar qui fait treize kilomètres de large. Quels sont les moyens ? Comment tous ceux qui ont à en connaître et qui ont des responsabilités politiques font-ils face à cette question ?

Qu'allons-nous faire, à très bref délai, sur la question des pollutions liées aux croisières ? Le Marseillais que je suis – et je ne suis pas le seul dans cette salle – peut-être très inquiet.

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Ça s'entend que vous n'êtes pas marseillais !

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Ça ne s'entend pas ! Si vous n'aviez pas échoué… Enfin bref, nous réglerons nos problèmes après la réunion.

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Je n'ai échoué nulle part. C'est vous, peut-être, qui avez échoué !

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Peut-être. Vous avez raison. Je salue votre caractère bravache. Vous n'avez jamais échoué. Pour ma part, je suis arrivé en 1962 à la gare de Marseille Saint-Charles.

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Ça vous fait du bien, de temps à autre, de vous rafraîchir les idées.

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C'est cela. C'est avec ce genre de provocation que l'on crée des désastres, notamment en Méditerranée où la paix aurait été possible continuellement si les peuples avaient été moins poussés à s'affronter par des irresponsables.

Les pollutions liées aux croisières ont été en partie réglées en mer Baltique, notamment par la réglementation sur la teneur en soufre des carburants. Le problème n'a pas été réglé en mer Méditerranée.

Vous avez évoqué les questions du changement climatique. Quels sont les instruments dont nous disposons pour en mesurer les effets sur le pourtour de la Méditerranée ? Quel règlement peut-on envisager pour le partage des eaux qui devient déjà un sujet de conflit dans quelques-uns des pays limitrophes et qui deviendra peut-être un sujet de guerre ?

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J'ai la chance d'avoir été présent dans cette commission en 2008, au moment où nous discutions de l'UPM. Je n'ai pas partagé beaucoup d'idées de Nicolas Sarkozy mais je trouvais que celle-là avait du sens. Je m'y suis intéressé.

Cela fait dix ans et je m'interroge sur l'évolution des partenariats qui favorisent l'UPM, notamment ceux noués par mon pays. Au début du printemps arabe tunisien, avant l'arrivée d'Ennahdha, quand Ben Ali est tombé – et Michèle Alliot-Marie en même temps grâce à cette commission –, nous aurions pu créer en lien nouveau entre la Tunisie et la France. Nous aurions pu créer ce lien pour aider la Tunisie à être forte de sa révolution. Que nenni ! Il n'y a rien eu ou très peu de chose.

La France aurait pu aider le peuple marocain à sortir du problème du Sahara occidental en oeuvrant à l'application des résolutions des Nations unies pendant cette période pour favoriser l'UPM. Il n'y a rien eu, en tout cas pas dans le bon sens.

La France aurait pu s'abstenir d'une intervention militaire aventureuse en Libye, qui a d'ailleurs plombé un peu le printemps arabe en Tunisie et en Égypte. La Libye était un pays riche et, d'après ce que m'ont dit les Tunisiens, ils y trouvaient une ressource notamment dans le domaine médical. Cette ressource a disparu du jour au lendemain.

Je fais abstraction de l'Algérie où la situation est particulière mais qu'a-t-on attendu pour nouer des partenariats très particuliers avec ce pays ? On a l'impression que la France n'a pas du tout voulu créer de partenariat avec l'Algérie.

L'UPM se retrouve un peu handicapée peut-être par l'attitude de l'une des grandes puissances de la Méditerranée. C'est mon analyse. Je me dis que votre travail doit être bien compliqué pour aboutir à quelque chose de faisable. Ce format 5+5 m'inquiète. Pour ma part, je suis partisan d'un multilatéralisme juste et équitable avec toutes les puissances. Je ne suis pas du tout favorable à ce que certaines s'arrogent le droit de penser pour les autres. À mon avis, c'est un aveu d'échec de mettre en place ce dispositif. Peut-être que tout a été fait pour que ce seul dispositif soit mis en place. Quelle est votre perception des choses ? N'hésitez pas à contredire tous mes propos pour nous éclairer. Je reste inquiet pour l'avenir parce que l'on n'a pas cherché à mettre les deux rives de la Méditerranée en situation de d'égalité pour pouvoir travailler.

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J'ai entendu des propos qui ne reflètent pas exactement ce qu'a été le débat à l'origine du processus de Barcelone. Il se trouve que j'étais conseiller à la représentation permanente de la France à Bruxelles, responsable du dossier euroméditerranéen entre 1993 et 1995 et que j'ai suivi ce dossier pour le compte de la présidence française. Il s'agit en fait d'un objet politique franco-espagnol, initié par Felipe González et François Mitterrand, dont l'objet était de contrebalancer la focalisation des financements européens à l'Est, lors de l'élargissement. Il avait aussi pour but de redynamiser l'aspect régional – sans grand succès toutefois à Barcelone – et l'aspect bilatéral, entre l'Europe et chacun de ces pays, à travers des accords d'association. Ces derniers ont produit leurs effets en matière commerciale et financière. Le bilan n'est donc pas aussi négatif que l'on peut le croire, même si l'aspect régional demeure la portion congrue.

Le format « 5+5 » paraît assez pertinent, car les conflits interétatiques sont moindres. Pour autant, il existe des risques de déstabilisation interne forts, dus à la radicalisation. De ce point de vue, quelle peut être la contribution de l'UPM sur les enjeux migratoires, dans lesquels les pays du « 5+5 » sont très impliqués ?

Après les printemps arabes, dont on observe encore la queue de la comète, et alors que s'imposent les réseaux sociaux et les nouvelles formes de communication, que peut apporter l'UPM pour que ces enjeux démocratiques, qui impliquent la jeunesse, soient des facteurs de mobilisation et de débat positif au sein du « 5+5 » – en dépit du fait qu'il est très difficile, dans une démarche intergouvernementale, d'aborder de telles situations ?

Enfin, j'ai l'impression que l'on manque plus de projets que de financements. On constate ainsi que la Banque européenne pour la reconstruction et le développement trouve difficilement des projets finançables. Avez-vous cette même perception ?

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Pouvez-vous apporter un éclairage sur la façon dont s'articule l'action de l'UPM avec celle menée par l'Union européenne dans le cadre de la politique de voisinage ?

Pouvez-vous préciser quels sont les instruments financiers mobilisés pour le financement des projets labellisés par l'UPM ? Dans quelle mesure ces outils sont-ils assez flexibles pour s'adapter à l'évolution des situations politiques dans les pays membres ?

Enfin, j'aurais souhaité recueillir votre point de vue sur le niveau de coopération des États membres de l'UPM sur les questions migratoires et de sécurité. Quelles sont, selon vous, les voies d'amélioration qui pourraient être apportées ?

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Tout le monde s'accorde à reconnaître que l'Union pour la Méditerranée était, en 2008, une belle idée, qui faisait consensus. Onze ans après, chacun constate, en le regrettant, qu'il y a peu de résultats concrets. Il semble que la finalité géopolitique, à la base du projet, a été perdue de vue au profit de la vision institutionnelle et des incantations – les circonstances, les lacunes, les difficultés, les crises, l'ont emporté. Il apparaît aussi que les moyens ont manqué.

Pouvez-vous nous donner des raisons de croire que le paradigme va changer et que la réunion des « 5+5 » débouchera sur des résultats et sera identifiée à des projets lisibles, mis en oeuvre pour l'ensemble des citoyens de la Méditerranée ? Avez-vous l'assurance que les projets qui seront lancés lors de la réunion des « 5+5 » seront financés et ne resteront pas à l'état d'incantation ?

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Merci de nous avoir fait l'honneur de venir vous exprimer sur les enjeux auxquels l'UPM fait face. Lors de la dernière session plénière de l'assemblée parlementaire de la Méditerranée (APM), les 23 et 24 février, une part importante des débats a été consacrée à la question des migrations. Les échanges ont fait émerger la nécessité de mettre en place un mécanisme efficace de concertation, de partage des responsabilités et de coopération régionale, notamment avec la région des Balkans occidentaux. Quelle approche opérationnelle et concrète soutenez-vous, monsieur le secrétaire général, pour une gestion durable et humaine de la crise migratoire, d'ici le sommet des deux rives en juin 2019 ?

Figurant parmi les sept domaines stratégiques prioritaires de l'UPM, la dépollution de Mare Nostrum fait l'objet de mesures concrètes, parmi lesquelles le programme « Chasseurs de plastique », une campagne de prévention lancée il y a quelques mois. Pour pallier le manque d'informations, l'UPM soutient par ailleurs un effort de synthétisation des connaissances scientifiques existantes. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la coopération menée avec l'Union européenne ? Selon vous, quel rôle l'APM doit-elle jouer dans ce contexte ?

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À l'unisson de la quasi-majorité de mes collègues, je ne peux que me féliciter du travail accompli par l'UPM depuis des années. Je considère que ces instances, nationales ou internationales, qui visent à renforcer le dialogue, font toujours avancer les choses.

En janvier 2017, j'ai remis avec notre ancien collègue Jean Glavany un rapport sur le grand Maghreb – Algérie, Tunisie, Maroc, Libye, Mauritanie. Nous avions pour mission d'identifier les principales mutations à l'oeuvre dans les pays du Maghreb, d'évaluer leurs effets sur le partenariat euromaghrébin et de mesurer le chemin parcouru. Le défi le plus important s'est avéré être la sécurité. Si la crise libyenne a sans doute contribué à déstabiliser le Grand Maghreb, le risque de terrorisme, les migrations, la montée en puissance des trafics ainsi que les séquelles de l'esclavage, qui, on ne le dit pas assez, perdurent, notamment en Mauritanie, sont aussi des facteurs de déséquilibre.

Les pays maghrébins sont des partenaires indispensables pour stabiliser les frontières au nord et au sud de ces pays, notamment avec la bande sahélo-saharienne. Les seuls progrès que l'on puisse constater tiennent à la stabilité de la Mauritanie, que la France a été quasiment la seule à aider, et à la mise en place du G5 Sahel qui, s'il ne manque pas d'hommes et de forces de commandement, a cruellement besoin de moyens.

Monsieur l'ambassadeur, vous avez dressé un large inventaire du possible. Il me semble que ce qui est indispensable à ces pays, c'est une politique keynésianiste, avec de grands travaux comme il en a été lancé en Tunisie, dans les domaines de l'énergie, des grandes infrastructures, des réseaux de communication, mais aussi de la santé et de l'éducation. Où en est-on aujourd'hui ?

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La transition écologique est un sujet majeur, souvent évoqué dans nos discussions. La Méditerranée est une région particulièrement touchée par les conséquences du réchauffement climatique, qu'elles soient physiques ou géostratégiques. Je suis de ceux qui veulent voir la nécessaire transition de nos modèles de développement comme un défi et une opportunité. L'augmentation de 62 % de la demande énergétique dans les pays du sud de la Méditerranée d'ici à 2040 montre bien l'enjeu qui est devant nous. L'UPM a fait de la lutte contre les changements climatiques une priorité. Pourriez-vous indiquer les objectifs poursuivis et les leviers qui pourraient être activés pour plus d'efficacité, notamment lors du forum du développement durable ?

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En tant que chercheur, j'ai été un utilisateur de votre organisme et je dois avouer que j'ai eu beaucoup de mal à y porter des dossiers. Comme vous l'avez rappelé, Monsieur l'ambassadeur, le format original était le « 5+5 ». Il a été transformé sous l'influence de l'Allemagne, qui voulait freiner le processus de l'union pour la Méditerranée. Lorsque l'UPM a été créée, on a senti que Mme Merkel ne souhaitait pas que certains États membres se tournent vers le Sud. Est-ce que le retour au format « 5+5 » ne signe pas l'échec de l'UPM et n'ouvre pas voie à une nouvelle collaboration vers le Sud, dont on a tant besoin ? Enfin, je me félicite qu'une école des métiers de la mer puisse voir le jour, et sur la Méditerranée.

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Monsieur le secrétaire général, je ne partage pas votre sentiment sur l'état de déliquescence des institutions de la Syrie et de la Libye. Il ne me semble pas que ces deux pays soient comparables et je ne comprends toujours pas cette espèce de delta de mensonges qui s'est installé depuis une dizaine d'années à propos de notre relation – ou de notre non-relation – avec la Syrie.

Lors de la dernière question au Gouvernement qu'il m'a été donné de poser, il y a un an, j'ai pu dire l'inquiétude que m'inspirait le destin de notre petite soeur de tragédie, l'Algérie. Je voyais arriver la fin de M. Bouteflika, que l'on avait déjà sorti, à l'époque, de la naphtaline pour conjurer la victoire électorale des frères musulmans. Je prévenais que nous irions au-devant de graves difficultés si nous ne prenions pas d'initiative. Nous n'en avons pris aucune. Or l'armée joue un rôle très important, et ce n'est plus l'armée de libération de Ben Bella ou de Boumediene : chacun sait ici qu'elle est largement traversée par des courants salafistes très puissants, qui font planer un grand danger sur le pays. Êtes-vous en mesure de nous dire si la grande soeur suit l'évolution de cette affaire qui, si elle n'était pas traitée, pourrait faire jouer à Marseille un rôle dont elle se passerait bien ?

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Après des années à douter et à se chercher, l'UPM s'est enfin dotée d'une feuille de route en 2017. Je m'en félicite et salue votre engagement et votre optimisme. Toutefois, la cohérence des actions de l'UPM n'est pas évidente à percevoir. Vous avez dégagé sept priorités stratégiques – dépollution de la Méditerranée, développement des autoroutes de la mer, protection civile, plan solaire Méditerranée, enseignement supérieur, recherche, développement des entreprises – auxquelles vous ajoutez les questions liées aux genres et à la jeunesse. S'en dégage une impression de foisonnement de projets très variés plutôt qu'une vision stratégique.

Étant donné les difficultés que les Européens eux-mêmes éprouvent à définir leur propre projet, les conflits et les antagonismes qui existent entre les pays, je suis assez inquiet sur la capacité des membres de l'UPM à porter un projet clair, ambitieux et partagé. Pour mettre en place une politique participative et inclusive, le bon niveau n'est-il pas plutôt celui des grandes métropoles innovantes, comme Marseille, Barcelone, La Valette, Tanger ou Oran ? Les États seraient simplement chargés de veiller à la pertinence de ces projets.

Jean-Luc Mélenchon, au sujet de la pollution, a évoqué la mer Baltique. La France a proposé le classement de la mer Méditerranée en zone d'émission contrôlée de soufre – Sulfur Emission Control Area (SECA) –, les deux seules zones de ce type en Europe concernant la mer du Nord et la mer Baltique. Une étude du ministère de la transition énergétique révèle qu'il faut imposer aux bateaux d'utiliser du fioul à 0,1 % de soufre, alors que le taux au plan mondial se situe entre 0,5 % et 1,2 %. J'espère sincèrement que l'UPM soutiendra cette demande auprès des autres États, afin que nous parvenions, ensemble, à imposer la norme de 0,1 % de soufre.

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Je me souviens que le premier sommet de l'UPM avait été organisé en 2008 à Marseille. Le choix de Marseille était lourd de sens, car il s'agit de l'une des plus anciennes villes de la Méditerranée, fondée il y a deux mille six cents ans, et qui occupe une place à part en France et en Méditerranée. Pour les vrais Marseillais que nous sommes (Sourires), c'est la capitale d'une région résolument tournée vers la mer, une ville cosmopolite où les horizons se croisent et échangent, un port où les destins sont forcément communs. Vivre des deux côtés de la Méditerranée rend la région Sud dépositaire d'un héritage riche de plusieurs millénaires, où les villes sont unies par des liens culturels géographiques, historiques et économiques.

Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, qui avait eu cette très belle idée de l'UPM, nous avions dit que la rive Nord avait tout à gagner à ce que le bassin méditerranéen soit un lieu de paix, de prospérité et de stabilité. Cette idée aurait pu permettre de limiter les flux migratoires, l'importation du terrorisme, les catastrophes écologiques et humaines. Mais s'il est vrai que la rive Sud est très aidée, avec différents projets, il n'y a pas de dynamique.

Les printemps arabes, qui se sont révélés être des hivers, ont contribué à l'affaiblissement, voire à la disparition du paysage diplomatique de l'UPM. Mais au-delà de ces événements, je pense que vos difficultés sont aussi liées aux divergences au sein de l'Union européenne. Nos collègues ont évoqué le jeu de l'Allemagne, qui a empêché l'UPM de jouer pleinement son rôle et qui ne s'est pas gênée pour discuter directement avec la Turquie ou même avoir son union pour la Baltique sans passer par ses amis et partenaires. C'est cela qu'il faut changer. Mais en voyant le Président de la République s'adresser directement aux Européens en passant par-dessus la tête des chefs d'État, je me dis que cette diplomatie du mépris ne va pas nous aider à régler les problèmes auxquels nous faisons face.

Or ils sont énormes. Je pense bien sûr aux flux migratoires et à la tombe qu'est devenue la Méditerranée. Tout à l'heure, Guy Teissier – un Marseillais – évoquait les grands projets. Nous devrions aussi travailler à la régulation de la démographie sur la rive Sud, promouvoir la liberté et le respect des femmes.

La phrase de Jean Monnet, « nous ne coalisons pas des États, nous unissons des hommes », devrait s'appliquer à l'UPM. Celle-ci doit affirmer son rôle, celui d'une union de projets d'intérêt commun, destinés à préserver la richesse fragile, écologique, humaine, culturelle ou politique, de Mare Nostrum.

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Merci pour l'éclairage que vous nous apportez. Le Président de la République a annoncé l'organisation, en juin 2019, à Marseille, du Sommet des Deux Rives, qui regroupera cinq pays européens et cinq pays africains, autour des thèmes de l'éducation, de la culture, de l'économie, de la société civile et du climat. Ce geste fort de notre politique méditerranéenne manifeste notre volonté d'une coordination efficace sur ces problématiques clés.

Dans ce cadre, l'Algérie est chargée d'animer la réflexion autour de la transition énergétique en Méditerranée. La société algérienne s'investit sur cette question majeure, notamment en raison de son potentiel énergétique photovoltaïque qui représenterait 107 fois la consommation mondiale d'électricité, selon l'université des sciences et technologies d'Alger. Elle est un acteur géostratégique moteur, qui, depuis 1972 et le premier sommet de la Terre, s'affirme comme un partenaire majeur de la diplomatie écologique mondiale. Comment voyez-vous l'avenir d'une diplomatie écologique en Méditerranée, mais aussi les liens France-Algérie en la matière, dans ce contexte particulièrement mouvementé ?

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Madame Boyer, monsieur Teissier, je vous invite à définir clairement ce qu'est un vrai Marseillais. Revisiter ces 2 600 ans d'histoire devrait vous occuper… Perturbé, j'ai omis un point dans mon intervention, madame la présidente, et je vous remercie de me redonner la parole.

J'ai fait observer à Marseille une minute de silence en mémoire des personnes noyées en mer Méditerranée. Quel rôle l'UPM compte-t-elle jouer ? Quels sont les moyens dont vous disposez pour évaluer ce qui est une tragédie et pour la faire cesser ? Comment offrir à ces personnes une issue digne et humaine, et ne plus leur infliger la situation actuelle ?

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M. Teissier a demandé à son tour la parole. Je la lui donne volontiers, en rappelant que, nés ou pas à Marseille, nous aimons tous cette ville. En quelque sorte, nous sommes tous marseillais !

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Ce dont je suis sûr, Monsieur Mélenchon, c'est que je suis un ancien parachutiste et que vous, vous êtes un parachuté ! (Sourires.)

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Depuis qu'un parachutiste grec a épousé une Gauloise pour fonder Marseille, on s'aperçoit que c'est une bonne chose que de s'y rendre !

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Monsieur le secrétaire général, ne prenez pas au sérieux les Marseillais ! Je vous recommande plutôt d'aller à Toulon, c'est beaucoup mieux !

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Je suis aussi un homme du Sud, mais je n'oublie pas les 35 843 autres communes de France, présentes ici.

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Voyez, monsieur le secrétaire général : nous aimons nos territoires et nos villes. Vous avez la parole.

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Nasser Kamel, secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée

Moi aussi, je les aime, comme toutes les villes et les territoires méditerranéens, et je me sens aussi marseillais que chacun ici.

La condition féminine est l'un des agendas sur lesquels les 43 pays sont d'accord. Chacun se donne un droit de regard sur les autres pour améliorer la situation, promouvoir l'autonomisation des femmes, leur rôle comme cheffes d'entreprise, l'égalité femmes hommes dans le travail. Sur cette question, il existe un consensus et les États membres ont tendance à laisser leurs différends à la porte lorsqu'elle est abordée. Je ne mentirai pas en prétendant que la situation des femmes sur le pourtour sud de la Méditerranée est excellente – les défis sont immenses. Mais, comme l'a dit Pierre Duquesne, nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres et certains seront surpris de constater qu'en matière de cadre normatif, les choses sont parfois plus avancées sur la rive Sud que sur la rive Nord. Mais je suis très honnête et très ouvert sur la question, et il est vrai que, dans la pratique, les réalités sont différentes.

Vous avez soulevé la question des moyens. Il est vrai qu'il s'agit d'une petite structure, avec des moyens très limités et j'approuverai tous ceux qui souhaiteront améliorer notre capacité d'action, et nous aider à passer d'un rôle de facilitateur à une agence apte à intervenir de façon concrète et forte sur différents chantiers, pourquoi pas à travers un fonds fiduciaire, ainsi que Pierre Duquesne l'avait proposé lors d'une réunion – la France nous soutient beaucoup en ce sens.

Nous avons une particularité unique, celle d'inspirer la confiance aux grandes agences européennes de développement. Nous travaillons ainsi avec les Allemands – la GIZ -, avec les Suédois – la SIDA –, avec les Norvégiens – la NORAD. Nous sommes en négociation avec l'Agence française du développement (AFD) et avec l'agence de développement espagnole – l'AECID. Toutes nous font confiance en matière de priorités et de management budgétaire, ce qui permet une certaine flexibilité dans nos interventions. Pour autant, nous sommes loin d'avoir atteint une pleine puissance financière.

Certains commentaires font du format « 5+5 » et du sommet proposé par le Président de la République une alternative à l'UPM. Mais personne, en France, dans le bassin méditerranéen ou au sein de l'Union européenne, ne le croit. De fait, l'Europe a deux voisinages, l'Est et le Sud. Ce dernier ne se limite pas à cinq pays, pas plus que la Méditerranée ne peut être réduite à cinq pays. Les problèmes de la Méditerranée – l'Égypte avec 100 millions d'habitants, la Syrie, ou encore le Liban – ne trouveront pas leur solution à travers ces cinq pays. Toutefois, le « 5+5 » demeure un cadre de coopération qui a prouvé son efficacité et qui va de l'avant. Appuyé par l'UPM et d'autres partenaires, il peut donner l'exemple. On peut aussi encourager les synergies avec le processus d'Agadir – qui vise l'intégration économique au sein de la Méditerranée Sud –, par exemple, ou avec les initiatives dans le domaine gazier – je reviendrai sur les problèmes liés aux forages.

Concernant les migrations, quel est le rôle de l'UPM ? Je serai très honnête, elle ne saurait gérer directement la crise ; elle est plutôt là pour travailler sur les racines de ce problème. Quelles sont-elles ? Vous les connaissez tous : elles sont à la fois socio-économiques, liées aux changements climatiques, aux évolutions géopolitiques du Printemps arabe, mais aussi aux crises de l'Afrique subsaharienne, voire asiatiques – beaucoup d'Iraniens et d'Afghans traversent la Méditerranée. Les pays du pourtour sud, considérés en Europe comme foyer d'immigration, sont en réalité des pays de transit : le nombre de réfugiés résidant dans ces pays est cinq ou six fois plus important que ceux qui ont pu traverser la Méditerranée pour venir en Europe ! En Europe, le problème est vu comme purement européen. Or il est dix fois plus important au sud qu'au nord de la Méditerranée : douze à quinze millions de réfugiés y habiteraient ; au Liban, 30 % de la population sont des réfugiés – soit un habitant sur trois ; en Jordanie, le ratio est très proche ; cinq millions de réfugiés vivent sur le territoire égyptien ; la situation est identique au Maroc. Nous devons imaginer une approche de moyen et long termes pour ces pays de transit, comme le préconise le président de la République dans son initiative, mais aussi la Commission européenne avec l'Africa Investment Platform (AIP) ou les processus de Rabat et de Khartoum.

Grâce au leadership européen, mais aussi à l'investissement des pays du sud, maintenant que la pression médiatique est retombée – les flots d'immigration ne sont pas au même niveau qu'il y a deux ou trois ans –, nous commençons à réfléchir sur le moyen et le long termes et les racines de ces migrations.

Vous estimez que l'UPM ne peut se targuer de résultats concrets : mais au regard de nos moyens et du contexte géopolitique, nous avons déjà fait beaucoup. Je ne suis là que depuis cinq mois, il ne s'agit donc pas de défendre mon mandat – je le ferai dans quatre ou cinq ans. Vous évoquez 2008 : vous avez raison, légalement parlant, mais en réalité, l'UpM a commencé à fonctionner en 2011, le secrétariat ayant été établi en 2010. En sept ans, nous avons tout de même défini des plans et une vision commune dans une douzaine de secteurs majeurs – environnement, changement climatique, femmes, coopération industrielle, etc.

Quelle relation entretient l'UPM avec la politique de voisinage ? C'est une question très pertinente. Nous représentons la dimension régionale de cette politique et sommes dotés d'une gouvernance équilibrée et équitable entre le nord du sud, contrairement à la politique de voisinage, certes très positive et disposant d'un programme ambitieux d'aide aux pays du pourtour sud de la Méditerranée, mais qui reste une politique européenne vis-à-vis de des pays du sud. À l'inverse, notre politique n'est pas bilatérale, elle est régionale. Elle est également la dimension régionale et méditerranéenne des dix-sept objectifs de développement durable (ODD) qui couvrent à la fois l'environnement, les changements climatiques, l'emploi ou l'éducation.

Je conclurai par l'optimisme, avec lequel j'ai commencé : malgré les difficultés et une situation géopolitique complexe, ce que nous avons pu accomplir dans une période difficile me donne de l'espoir d'aller de l'avant dans les années à venir.

Nous ne sommes pas « un luxe » car l'Europe ne peut pas se permettre de ne pas forger d'étroites relations avec ses voisins et partenaires du sud, tout comme le sud ne peut se permettre d'exister sans une relation structurée, structurante et organique avec l'Union européenne.

La volonté politique est là, je le vois dans les réunions de hauts fonctionnaires ou de ministres. Les années qui viennent, le Dialogue « 5+5 » le Sommet des Deux Rives à Marseille ne feront que renforcer cette tendance.

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Pierre Duquesne, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée

Je n'entrerai pas dans le débat marseillo-marseillais, mais soulignerai simplement que j'ai poussé le scrupule jusqu'à me casser le poignet il y a quelques mois sur les quais de la gare Saint Charles et de me faire opérer sur place, à l'hôpital européen !

Plus sérieusement, en tant que délégué interministériel à la Méditerranée, j'ai pris l'initiative de réunir tous les trois mois les fonctionnaires des administrations centrales parisiennes qui s'occupent de sujets en lien avec la Méditerranée, dont une fois en septembre à Marseille. Nous allons le refaire au mois de mai. J'ose à peine le dire, mais, pour certains, c'était la première fois qu'ils voyaient le vieux port…

Vous avez dit que l'UPM était une bonne idée. Cela demeure une bonne idée du fait de son pouvoir fédérateur : c'est le seul lieu où des gens qui, ailleurs, ne se parlent pas, entrent en relation et dialoguent. Si elle n'existait pas, il faudrait l'inventer !

En octobre, nous avons adopté une réforme du mécanisme de labellisation des projets, similaire à celui du Conseil des États de la mer Baltique. La réforme n'est pas celle que nous, Français, aurions souhaitée – nous voulions mieux lier labellisation et financement des projets – mais elle va dans le bon sens.

Vous évoquez l'histoire : je pense sincèrement que les torts sont partagés. En 2007-2008, la France a agi un peu « à la française » – d'aucuns diraient « à la hussarde »... À l'époque, rappelez-vous, nous voulions créer une Union méditerranéenne, dont certains espéraient qu'elle se substituerait à l'Union européenne. Ce n'était donc pas forcément la meilleure manière d'avancer ; nous sommes donc partiellement responsables de la situation…

Contrairement à ce que certains se plaisent à répéter, je ne pense pas que la République fédérale d'Allemagne (RFA) veuille bloquer ou saboter l'UPM. Je citerai mon homologue allemand : « la RFA est de plus en plus européenne, l'Europe est de plus en plus méditerranéenne, donc la RFA est de plus en plus méditerranéenne ». Ce n'est pas une posture, d'autant que les pays d'Europe centrale et du nord sont présents à diverses réunions. Ce n'était pas intuitif ; pourtant, nous avançons. Ce ne sont pas les conflits géopolitiques qui nous empêchent de progresser, mais les réticences de certains, y compris à Bruxelles, sur les conditions de création de l'Union et son fonctionnement.

Concernant le Sommet des Deux Rives, le secrétaire général l'a dit, je le répète : le format « 5+5 » ne signe pas l'échec du format à quarante-trois. Il est simplement bien antérieur à celui-ci ! Nous ne l'avons pas inventé parce que nous aurions constaté que le format plus large ne fonctionnait pas. Ce format restreint recouvre la Méditerranée occidentale, il fonctionne bien – même s'il a ses propres problèmes – et il n'est pas contesté. C'est donc simplement un groupe « leader ».

Vous nous avez interrogés sur les financements. Certaines des idées que j'ai évoquées – comme celle de réduire la pollution des bateaux – ne requièrent aucun financement car nous ne faisons qu'adopter des positions communes dans les diverses organisations internationales.

Lorsque des financements sont nécessaires, je vous rappelle que la Banque mondiale, la BEI, la BERD et l'Union européenne sont observateurs de l'UPM. Nous disposons ainsi d'un ensemble de solutions de financements, sans tirer uniquement sur les financements européens.

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Pierre Duquesne, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée

Oui, bien sûr. Je n'ai pas les montants en tête, mais je peux vous transmettre cette information.

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Pierre Duquesne, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée

Je représente la France au sein de l'UPM. L'Union pour la Méditerranée n'a pas de moyens financiers. La France plaide pour qu'elle en ait un peu.

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Nasser Kamel, secrétaire général de l'Union pour la Méditerranée

Comme M. Duquesne et vous tous, je suis d'accord pour dire que l'organisme aurait plus de poids s'il avait plus de moyens financiers. Mais n'oublions pas notre extraordinaire capacité à fédérer et mobiliser des fonds. Quand nous labellisons un projet, cela signifie que les 43 pays membres ont politiquement décidé que ce projet pouvait prétendre au soutien des bailleurs de fonds internationaux.

À l'UPM, je peux directement dialoguer avec un représentant de la BERD ou de la BEI ! De même, lorsque je vais voir la Banque de développement islamique et explique que je représente 43 pays membres qui soutiennent un projet bon pour la zone, elle investit. En conclusion, nous n'avons certes pas de moyens financiers, mais disposons une capacité extraordinaire à mobiliser des fonds : 400 millions d'euros pour Gaza, 90 millions pour la dépollution du lac Bizerte, 80 millions d'euros pour l'université euroméditerranéenne de Fès. Nous avons monté et structuré ces projets et les avons présentés aux bailleurs de fonds. Nous avons même introduit le nouveau modèle de financement : le mixage – blending en anglais – entre financements privés et publics, gouvernementaux et non gouvernementaux. Ne soyez donc pas trop durs !

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Pierre Duquesne, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée

Les projets qui sortiront du Sommet des Deux Rives seront financés par l'ensemble de ces institutions.

Vous m'avez interrogé sur le dialogue entre jeunes durant le Sommet : il s'agira d'une rencontre entre cent personnalités, majoritairement âgées de trente à quarante ans, issues théoriquement des dix pays – et donc de France. On n'y retrouvera pas les usual suspects… Une institution est spécialisée dans ce type de dialogue, la Fondation Anna Lindh pour dialogue des cultures.

Dans le contexte actuel de chacun des pays, nous travaillons parfaitement bien avec tous les pays du « 5+5 » – je ne sais pas si j'ai raison de le dire – qui ont le sentiment qu'il était bon que la France revienne en Méditerranée et le fasse de manière inclusive avec tous les États, mais aussi les sociétés civiles, plus importantes que jamais dans la région. Le projet dont je vous ai parlé n'est pas qu'une idée française, il a été nourri des réflexions avec ces États. Certes, et c'est un euphémisme, il y a un peu moins de volontarisme que par le passé. C'est donc compliqué, mais très bien accueilli.

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Je vous remercie. Il est clair que notre destin est commun avec tous les pays qui bordent la Méditerranée. Vous aurez constaté l'attente et l'exigence forte d'un volontarisme réaffirmé en faveur d'une réelle politique méditerranéenne de tous les membres de la commission. Cela devrait vous encourager !

L'ensemble des États concernés doit absolument en prendre conscience. La paix, la sécurité et la stabilité de la Méditerranée doivent être une priorité absolue de la politique étrangère française et de toute l'Europe.

Vous avez dit que l'Europe regarde à l'est et au sud. L'avenir de l'Europe s'écrit avec la Méditerranée et une moitié de l'Europe ne peut pas dire que ce n'est pas son problème. Ce défi doit être relevé par tous les pays de l'Union européenne.

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Monsieur Duquesne, pourquoi êtes-vous « délégué interministériel » ? Êtes-vous rattaché au Premier ministre ?

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Pierre Duquesne, ambassadeur et délégué interministériel à la Méditerranée

Je suis rattaché au ministère de l'Europe et des affaires étrangères, mais j'ai également des fonctions interministérielles visant à harmoniser, mettre en réseau, voire coordonner les divers ministères. C'est dans ce cadre que j'organise des réunions trimestrielles de fonctionnaires. J'ai donc des fonctions de coordination interne, tout en représentant notre pays dans les instances méditerranéennes, au premier rang desquelles l'Union pour la Méditerranée.

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Nous souhaitons bonne route à l'Union pour la Méditerranée et nous vous souhaitons un bon Sommet des Deux Rives !

La séance est levée à 11 heures 30.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 6 mars 2019 à 9 h 30

Présents. - M. Frédéric Barbier, M. Hervé Berville, Mme Valérie Boyer, M. Pascal Brindeau, M. Pierre Cabaré, Mme Annie Chapelier, Mme Mireille Clapot, M. Jean-Michel Clément, M. Pierre Cordier, M. Alain David, M. Frédéric Descrozaille, M. Christophe Di Pompeo, M. Pierre-Henri Dumont, M. Nicolas Dupont-Aignan, M. Michel Fanget, M. Bruno Fuchs, Mme Anne Genetet, M. Claude Goasguen, M. Meyer Habib, M. Michel Herbillon, M. Bruno Joncour, M. Hubert Julien-Laferrière, M. Jérôme Lambert, M. Jean Lassalle, M. Jean-Paul Lecoq, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Marion Lenne, Mme Nicole Le Peih, Mme Marine Le Pen, M. Jacques Maire, Mme Jacqueline Maquet, M. Jean-Luc Mélenchon, Mme Monica Michel, M. Christophe Naegelen, Mme Bérengère Poletti, M. Jean-François Portarrieu, M. Didier Quentin, Mme Isabelle Rauch, M. Bernard Reynès, Mme Laetitia Saint-Paul, Mme Marielle de Sarnez, Mme Michèle Tabarot, Mme Liliana Tanguy, M. Guy Teissier, Mme Valérie Thomas

Excusés. - M. Lénaïck Adam, Mme Ramlati Ali, M. Pieyre-Alexandre Anglade, M. Moetai Brotherson, Mme Samantha Cazebonne, M. Olivier Dassault, M. Bernard Deflesselles, Mme Laurence Dumont, M. Éric Girardin, M. Philippe Gomès, M. Christian Hutin, Mme Sonia Krimi, Mme Aina Kuric, Mme Amélia Lakrafi, M. Pascal Lavergne, M. Frédéric Petit, M. Jean-Luc Reitzer, M. Hugues Renson, Mme Sira Sylla, Mme Nicole Trisse, M. Sylvain Waserman

Assistaient également à la réunion. - M. Mounir Belhamiti, M. Jean-Michel Jacques