Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation

Réunion du jeudi 7 mars 2019 à 8h35

Résumé de la réunion

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La réunion

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La réunion débute à 8 heures 35

Présidence de Mme Anne Blanc, vice-présidente

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Je vous prie de bien vouloir excuser notre président, M. Jean-René Cazeneuve, en déplacement à l'étranger, qui regrette vivement de ne pas être présent. Madame la ministre, nous vous accueillons pour une audition sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé. Ce projet de loi intéresse particulièrement notre délégation, vous vous en doutez, car sa dimension territoriale est importante et l'accès aux soins dans les territoires est un sujet de préoccupation majeure pour nos concitoyens, et pour les élus locaux.

Nous sommes impatients de vous entendre exposer les différents aspects du projet de loi, notamment la lutte contre la désertification médicale, sujet de préoccupation de la délégation. Ma collègue Véronique Louwagie et moi-même avons pu constater les limites de certains dispositifs d'accompagnement dans le cadre de notre mission flash sur l'efficacité du dispositif des zones de revitalisation rurale (ZRR) à l'aune de la politique européenne.

Autre sujet d'importance : la réforme de la carte hospitalière et les enjeux de labellisation des cinq à six cents hôpitaux de proximité à l'horizon 2022.

Un autre sujet nous préoccupe : la définition et le développement du télésoin, complémentaire de la télémédecine. Ce terme désigne des soins à distance, mettant en rapport un patient avec des pharmaciens ou des auxiliaires médicaux.

Avant de vous donner la parole, je rappelle aux membres de la délégation que cette audition est ouverte à la presse et qu'elle est retransmise en direct sur notre site internet.

Madame la ministre, je vous laisse la parole pour un exposé liminaire. Un débat s'engagera ensuite avec les membres de la délégation.

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis heureuse d'être parmi vous ce matin pour vous présenter, et, surtout échanger avec vous, sur le projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé. Je mesure les attentes de vos territoires et, parallèlement, l'exigence particulière de la délégation aux collectivités territoriales d'associer au mieux les élus aux transformations à venir.

Vous le savez, ce projet s'inscrit dans le cadre d'une réforme ambitieuse visant à restructurer notre système de santé afin d'en garantir la viabilité et d'améliorer partout l'accès aux soins – à des soins de qualité.

S'il demeure par bien des aspects synonyme d'excellence, notre système de santé est confronté, à l'instar de celui d'autres pays développés, à des défis structurels qui nécessitent une évolution profonde de ses organisations, des prises en charge qu'il propose et des modes d'exercice des professionnels. Ces tendances lourdes sont bien connues : le vieillissement de la population – conséquence mécanique de l'augmentation de l'espérance de vie ; l'augmentation de la prévalence des maladies chroniques, qui pèseront de plus en plus sur le système de soins ; la persistance des inégalités territoriales en santé. Au cours du grand débat national, nos concitoyens ont confirmé ce diagnostic.

Face à un système jugé trop cloisonné – entre ville, hôpital et médico-social ; entre public et privé ; entre professionnels eux-mêmes – et mettant insuffisamment en valeur la fluidité des parcours et la coordination entre professionnels, notre stratégie « Ma santé 2022 » propose un changement de paradigme.

Sa philosophie s'articule autour de trois axes : la qualité des prises en charge, plaçant l'usager au centre du dispositif ; une offre mieux structurée, renforçant l'accès aux soins par un maillage territorial de proximité ; des métiers, des modes d'exercice et des pratiques professionnelles repensés.

Notre stratégie ne se réduit pas au projet de loi, mais entend activer l'ensemble des leviers et jouer sur toutes les composantes du système de santé pour proposer une nouvelle donne aux usagers et aux professionnels.

Parallèlement, une réforme profonde du mode de financement va être proposée, s'appuyant sur le rapport que M. Jean-Marc Aubert, directeur de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) du ministère, vient de me remettre.

Des premières avancées ont d'ores et déjà été adoptées dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 : mise en place de financements forfaitaires pour la prise en charge hospitalière du diabète et de l'insuffisance rénale chronique ; développement de la dotation valorisant la qualité dans les établissements de santé. Les travaux se poursuivent et de nouvelles dispositions seront proposées dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2020.

Tout l'enjeu est de passer d'un système favorisant la course à l'activité et la multiplication des actes, à un système incitant à la prévention, qui soutienne la coopération entre professionnels et qui mette au premier plan la qualité et la pertinence des prises en charge.

D'autres leviers, réglementaires, conventionnels – avec l'assurance maladie –, financiers, mais aussi d'animation territoriale et d'appui aux acteurs, viendront prolonger la loi. C'est notamment le cas de plusieurs mesures emblématiques : le déploiement de quatre cents postes de médecins généralistes dans les territoires les plus en difficulté du point de vue de la démographie médicale ; la définition et le déploiement des fonctions d'assistant médical qui, rapidement, devront permettre de libérer du temps de médecin, soigner un plus grand nombre de patients et mieux les accompagner ou encore le soutien au développement des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) qui amèneront une meilleure coordination des professionnels de santé et amélioreront l'accès aux soins de la population dans les territoires.

Ce projet de loi est volontairement resserré autour d'un nombre limité de dispositions, pour enclencher des dynamiques. Il a été produit et concerté avec les principales parties prenantes dans de brefs délais, qui se justifient par nos engagements concernant la réforme des études en santé. La suppression du numerus clausus et de la première année commune d'études en santé (PACES), ainsi que la réforme des épreuves classantes nationales, impliquaient que la loi puisse être soumise au Parlement dès début 2019, pour préparer et informer les acteurs – notamment les doyens des facultés de médecine –, les étudiants et les universités en temps utile des nouvelles modalités de sélection.

Du fait de ce calendrier, un certain nombre de modifications législatives prennent la forme d'habilitations à légiférer par voie d'ordonnances, qui ont été groupées et limitées à six articles. Elles associeront étroitement les parlementaires, je m'y suis engagée.

S'agissant du projet de loi proprement dit, j'en résumerai les principales dispositions. Conformément aux engagements pris, la PACES et le numerus clausus, qui existe depuis 1971, seront supprimés dès septembre 2020. La PACES cédera la place à un système qui demeurera sélectif et exigeant, mais fera une meilleure place aux compétences, au projet professionnel, à la qualité de vie des étudiants, et diminuera le coût social associé à ce couperet.

En développant les passerelles entrantes et une entrée via Parcoursup, la diversité des profils des étudiants sera également privilégiée. Le deuxième cycle des études médicales sera entièrement rénové, avec la suppression des épreuves classantes nationales. Il s'agira de créer une procédure d'orientation prenant en compte les connaissances, mais aussi les compétences cliniques et relationnelles, qui sera respectueuse des projets professionnels des futurs médecins.

Nous étendons également le dispositif de médecin adjoint – la possibilité pour un interne en médecine en fin de formation de venir soutenir un médecin installé. Ce dispositif est actuellement réservé aux zones touristiques. Nous l'étendrons aux zones sous-denses ou en cas de carence ponctuelle, constatée par le conseil départemental de l'ordre des médecins.

Le titre II du projet de loi vise à la structuration d'un collectif de soins dans les territoires. Pour cela, au-delà du soutien évoqué au développement des CPTS, la création de projets territoriaux de santé doit aider à mettre en cohérence les initiatives de tous les acteurs du territoire, quel que soit leur statut – libéral, en exercice regroupé ou coordonné, hospitalier, du secteur social ou médico-social, public ou privé –, en associant les élus et les usagers du territoire. Ces projets territoriaux formalisent le décloisonnement qui caractérise « Ma santé 2022 ».

En outre, le statut des hôpitaux de proximité sera revisité. Par ordonnance, leurs missions socles seront définies, ainsi que leur gouvernance et les modalités de leur financement, pour en faire des structures adaptées aux soins du quotidien, ouvertes sur la ville et le médico-social, et dont le financement garantira la continuité de services.

Le projet de loi et la stratégie dans son ensemble visent par ailleurs à soutenir une offre hospitalière de proximité, pilier de l'offre de soins de premier recours dans les territoires. Les hôpitaux de proximité doivent faire l'objet d'un accompagnement particulier et disposer d'une gouvernance et de modalités de financement adaptées à leurs activités. En cohérence avec ces enjeux, nous poursuivrons la réforme des autorisations d'activité, afin d'accompagner les établissements dans la gradation des soins et dans la recherche de qualité, de sécurité et de pertinence des prises en charge.

Un chapitre sera consacré à l'acte II des groupements hospitaliers de territoire (GHT). Le projet médical doit désormais être au centre de gravité des groupements. La gestion des ressources humaines médicales sera mutualisée, et la gouvernance médicale adaptée et renforcée en conséquence dans les établissements de santé.

Dernier pivot du projet de loi, l'innovation et le numérique : les usages numériques doivent permettre au patient d'être un acteur à part entière de sa santé et de son parcours. C'est l'ambition de l'espace numérique de santé, ouvert pour chaque usager à l'horizon 2022. Conçu comme un nouveau service public numérique, sa première brique sera le dossier médical partagé. Il aura vocation à regrouper l'ensemble des données de santé du patient et à donner facilement accès à un bouquet de services et d'applications. Il sera donc voué à s'enrichir de façon évolutive. Bien entendu, l'usager sera seul gestionnaire de ses données et de l'octroi de leur accès.

La dématérialisation des pratiques passera quant à elle par le renforcement de la télésanté. Le télésoin sera créé, pendant de la télémédecine pour les paramédicaux et les pharmaciens, permettant la réalisation de certains actes – en orthophonie par exemple – à distance par voie dématérialisée.

Enfin, et il s'agit d'un objectif transverse à toutes les politiques publiques, des mesures diverses de simplification, d'harmonisation et de sécurisation juridiques sont regroupées dans les titres IV et V du projet de loi.

Mesdames et messieurs les députés, nous avons collectivement la responsabilité de garantir à nos concitoyens les conditions d'un meilleur accès aux soins sur le territoire. À ce titre, je serai très sensible à vos propositions pour enrichir notre stratégie de transformation du système de santé. J'ai entendu vos critiques sur la place faite aux élus en amont des décisions en matière de santé : il nous faut avancer sur cette question. Je suis à votre écoute pour trouver ensemble des voies d'amélioration.

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Madame la ministre, je vous remercie pour cette présentation liminaire. Je vous poserai deux questions, sur les deux extrémités de la chaîne de soin. Ma première concerne les agences régionales de santé (ARS) : quelles évolutions envisagez-vous ? Ces structures ont un fonctionnement particulier, très autonome et parfois pas toujours en adéquation avec les réalités de nos territoires. Les acteurs locaux plaident pour une plus grande capacité des ARS à communiquer avec l'ensemble des acteurs du territoire et à s'adapter aux spécificités de chacun.

Ma deuxième question concerne les aides à domicile L'enjeu est majeur ; cette profession n'est pas suffisamment reconnue, tant en termes de rémunération que de formation, alors qu'elle constitue un maillon indispensable dans la prise en charge des patients, dans un contexte de vieillissement de notre population.

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Madame la ministre, je vous remercie pour cette présentation, Je souhaiterais des précisions sur trois sujets. Tout d'abord, concernant la réforme du cursus d'études de médecine, à ma connaissance, l'annonce de la suppression du numerus clausus et de la PACES n'a été accompagnée ni de précisions sur le dispositif de sélection qui remplacera la PACES, ni d'explications sur les modalités de suppression du numerus clausus. Pourriez-vous nous apporter ces précisions ? À quel moment du parcours d'études la sélection se fera-t-elle ? Est-il envisagé d'assortir la suppression du numerus clausus d'une meilleure prise en compte de la situation des zones sous-denses, en obligeant, ou en incitant, les jeunes diplômés à s'installer dans ces zones pour une durée limitée ?

Ma deuxième question porte sur le maillage territorial et le dispositif des maisons de santé. Comme Mme Blanc, je suis élu d'un département qui a beaucoup développé ces maisons de santé, adossées à des réseaux territoriaux de santé. Même si ces dispositifs ne portent pas encore les noms que le projet de loi promeut, l'ARS Occitanie les soutient déjà sur le territoire. Pour autant, pour répondre à certains besoins émergents, nous souhaiterions développer des maisons de santé « par étapes », en commençant avec quelques professionnels désireux de se rassembler, puis en prévoyant – tant au niveau immobilier que dans le projet de santé – des étapes de développement progressives. À ma connaissance, en l'état actuel du droit, ce n'est pas possible. Peut-on imaginer que cela le devienne ?

Ma troisième question porte sur les hôpitaux de proximité. Je suis élu d'un territoire – le sud Aveyron – que vous connaissez bien, où l'hôpital de proximité doit d'urgence se transformer. Nous attendons avec impatience les ouvertures permises par le projet de loi. Dans ce cadre, pourrons-nous envisager de restructurer, rénover et rassembler les sites existants pour créer un hôpital médian ?

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J'ai beaucoup de questions mais je pense que nous aurons l'occasion de nous revoir. Je commencerai par les GHT et la gestion mutualisée des ressources humaines. Pourriez-vous préciser ce que cela signifiera ? S'agira-t-il de mettre en place des directions communes à plusieurs hôpitaux, de mieux manager les médecins ou d'éviter les surcoûts extrêmement importants liés aux recrutements d'intérimaires, qui grèvent les budgets des hôpitaux ? Bien sûr, nous le savons en Corrèze, l'ARS a été très efficace pour combler les déficits. Mais que peut-on faire pour les budgets des hôpitaux ?

Concernant la gouvernance des hôpitaux, pensez-vous revoir le fonctionnement des conseils de surveillance. Surveillent-ils vraiment ? Il faut développer et restructurer ces organes, au sein desquels siègent des élus et divers corps de métiers ou corps intermédiaires, car ils ne sont plus à la hauteur des enjeux financiers et humains que représentent désormais les hôpitaux.

S'agissant des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), j'évoquerai mon expérience : la commune dont j'étais maire en a créé une, hors ARS, en partenariat avec des médecins. Ces derniers et la commune l'ont financée à parts égales et le projet était opérationnel en six mois ! Ce n'est qu'ensuite que nous nous sommes engagés dans la signature d'un contrat avec l'ARS. Nous avons ainsi gagné beaucoup de temps. Ne serait-ce pas un outil complémentaire à développer ?

Concernant les infirmiers diplômés d'État (IDE) en pratique avancée (IPA), combien y aura-t-il de places ? Comment vont-ils être formés ? Les centres hospitaliers universitaires (CHU) vont-ils rapidement s'engager ?

Enfin, l'outil numérique sera-t-il assez compétitif dans les territoires ruraux ? Pensez-vous que les patients accepteront de ne pas voir de médecin et se contenteront d'une présence numérique ?

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Madame la ministre, je vous remercie pour cette présentation. Mes questions seront le relais des préoccupations de nos concitoyens, les questions de santé soulevant toujours beaucoup d'inquiétudes.

Notre collègue Anne Blanc l'a souligné, nous avons pu constater que tous les dispositifs mis en place pour soutenir l'installation des médecins ne donnent pas satisfaction, des territoires souffrant toujours de grandes difficultés. C'est le cas dans mon département, l'Orne, où de très nombreux médecins vont partir en retraite dans quelques années. J'ai bien compris que le Gouvernement ne souhaitait pas s'engager dans un dispositif coercitif. Mais nos concitoyens font régulièrement des propositions en ce sens : ne pourrait-on flécher l'installation des médecins généralistes jeunes diplômés, pendant une période limitée de deux à cinq ans ? Êtes-vous prête à franchir ce pas ? Il s'agirait d'une réponse concrète pour nos zones en difficulté.

Ma deuxième question portera sur le projet de maison de santé universitaire qui va ouvrir dans quelques mois dans l'Orne et accueillir des médecins généralistes salariés et des assistants – professionnels de santé et secrétariat administratif adapté. Seriez-vous d'accord pour soutenir plus fortement encore ce dispositif que nous avons pu mettre en oeuvre grâce à une modification apportée au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 ?

Notre collègue Christophe Jerretie a raison, le coût des médecins intérimaires est devenu exorbitant – certains week-ends peuvent dépasser les 5 000 euros dans les centres hospitaliers. En outre, ces médecins de passage ne participent pas à la cohésion du centre hospitalier. À L'Aigle, ville dont je suis la députée, le centre hospitalier fonctionnait très bien quand les médecins de ville exerçaient également à l'hôpital. Ils faisaient des quarts ou des mi-temps, ce qui renforçait le lien entre médecine de ville et médecine hospitalière. Quand ce dispositif a pris fin sous la pression de précédentes politiques publiques, le lien entre l'hôpital et la médecine de ville s'est délité. Ne conviendrait-il pas de revenir sur ce dispositif ?

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Madame la présidente, vous m'avez interrogée sur les possibles évolutions de la structure des ARS. Les ARS ont une dizaine d'années – l'histoire permet de comprendre d'où l'on vient, si l'on veut ensuite avancer différemment. Ces structures sont issues de la fusion des directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS) et des caisses d'assurance maladie. Leurs agents ont donc un profil assez normé ; ils se sont adaptés à des missions nouvelles et renforcées, d'organisation des soins. La carte hospitalière n'était plus décidée depuis Paris, mais devenait de la responsabilité des ARS.

Mais c'est le choc de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) qui a beaucoup plus éloigné les ARS des élus. Quand les ARS étaient nombreuses et indépendantes sur le territoire, elles étaient assez proches des départements dont elles avaient la charge. Aujourd'hui, les treize ARS gèrent des territoires immenses et seules les délégations territoriales restent proches du terrain. Mais leurs personnels sont peu nombreux – des équipes d'une dizaine de personnes au maximum, souvent dirigées par un ingénieur – et ont des compétences techniques – le contrôle de l'eau par exemple. Elles n'ont donc pas le même rôle politique que celui que pouvait jouer par le passé un directeur général d'ARS.

Aujourd'hui, la centralisation aidant, les directeurs généraux d'ARS sont très éloignés de leur territoire et les élus très en demande… Certains directeurs passent dix heures par jour sur les routes pour aller à l'autre bout de leur région et visiter un hôpital. La situation est complexe pour eux, ce qui explique que les liens se soient distendus. Vous n'aviez pas le même ressenti avant le vote de la loi NOTRe – il était en tout cas moins flagrant.

Nous devons donc réarmer les délégations territoriales, avec des profils plus « politiques », capables de dialoguer avec les élus. C'est à mon sens principalement un problème managérial, car la volonté est là. Je rencontre les directeurs généraux d'ARS tous les mois, je leur dis à quel point ils doivent être ouverts sur leurs territoires et coopérer avec les élus locaux. Ils le savent. J'ai régulièrement un état des lieux des réunions tenues avec les élus. L'an passé, ils ont tenu plus de mille réunions et rencontré plus de cinq mille élus !

Cette restructuration a eu lieu il n'y a que deux ans et a constitué un immense bouleversement pour les agences. Je m'attache désormais à redéployer des forces vives, plus politiques et plus responsables – les délégations territoriales n'ont actuellement aucune responsabilité, ni aucun pouvoir décisionnel. En conséquence, les postes ne sont pas attractifs. Cet enjeu managérial est désormais pris en compte dans l'organisation et le recrutement des ARS.

Parallèlement, un outil doit être mis au service de cette réforme : les projets territoriaux de santé, qui permettront d'organiser l'interface avec les élus et les usagers du système de santé. Ces projets reprendront tous les contrats existants – contrats locaux de santé, contrats territoriaux de santé mentale, etc. – et les agrégeront en un projet cohérent et structuré.

Bien sûr, nous sommes favorables à une plus grande souplesse des ARS concernant les adaptations territoriales : chaque territoire a ses spécificités, que les professionnels de santé, comme les élus ou les usagers, connaissent bien et peuvent porter à la connaissance des ARS. Je demande toujours à ces dernières d'être très attentives à l'application non aveugle des normes. Nous sommes particulièrement soucieux de les adapter en permanence, sachant pertinemment que certains territoires ne pourront pas atteindre la norme fixée par la Haute Autorité de santé (HAS) ou un autre dispositif.

Les aides à domicile ne figurent pas dans le projet de loi que je vais présenter. Ce sujet est inclus dans la consultation que mène M. Dominique Libault en amont du projet de loi « Grand âge et autonomie », qui devrait être finalisé fin 2019.

Monsieur Viala, vous m'avez interrogée au sujet de la réforme des études médicales. Effectivement, le fait de supprimer la PACES a pour conséquence de faire entrer les études de médecine dans le droit commun. Nous travaillons actuellement sur ce point avec les doyens, les présidents d'université et les syndicats étudiants, avec pour objectif de diversifier le plus possible les modes d'entrée. L'une des pistes consiste à mettre en place une année commune aux professions de santé, mais il est également envisagé que les meilleurs étudiants d'autres filières puissent rejoindre les études de médecine après la licence, pour quatre années communes. Ainsi, nous pourrions avoir de futurs médecins aux compétences et aux profils différents, car ils n'auraient pas été sélectionnés uniquement sur des cours appris par coeur et des examens par questionnaires à choix multiples (QCM). Le mode de sélection actuel aboutit à des profils trop peu diversifiés, pour ne pas dire à un profil unique, et à des étudiants malheureux, ce qui explique qu'il y ait beaucoup d'abandons au cours des études de médecine : en effet, de nombreux étudiants sélectionnés au terme d'un processus très compétitif ne se retrouvent pas du tout dans la vie hospitalière et le contact avec les malades. En plus du brassage des profils, la mise en place de passerelles va également permettre aux étudiants qui le souhaitent de sortir des études de médecine pour se diriger vers d'autres professions de santé. Le travail de concertation que j'ai évoqué se fera durant toute l'année 2019 et, du fait qu'une entrée par Parcoursup sera possible, il faut impérativement que la loi soit votée avant septembre, afin d'adapter le dispositif en vue de la rentrée 2020.

Vous m'avez également demandé si la suppression du numerus clausus allait s'accompagner d'une prise en compte spécifique des zones sous-denses. Effectivement, nous souhaitons que les capacités de formation des universités se trouvent renforcées dans les territoires sous-denses, de façon à ce que l'on puisse former plus de médecins venant de ces territoires, qui sont souvent les plus ruraux, et que l'on ne concentre donc pas l'offre de formation sur les grandes métropoles. Cela doit également permettre aux médecins de retourner s'installer plus facilement dans les territoires où ils ont été formés – je reviendrai tout à l'heure sur la contrainte et la coercition.

Pour ce qui est du maillage des maisons de santé pluriprofessionnelles, des besoins émergents et de l'idée consistant à développer les MSP par étapes, comme vous le savez, le Président de la République a promis de doubler le nombre de MSP à l'horizon de la fin du quinquennat ; cet objectif devrait être atteint, puisque le développement, que nous suivons de très près, se fait de manière régulière. Dans le cadre du plan pour l'égal accès aux soins que j'avais mis en place dès ma prise de fonctions afin de faciliter l'installation des MSP, nous avons fait appel à trois délégués territoriaux, à savoir la sénatrice Élisabeth Doineau, le député Thomas Mesnier et un médecin généraliste, Sophie Augros, qui vont se déplacer sur les territoires afin de nous faire remonter tous les besoins nouveaux, ce qui va nous permettre d'adapter les dispositifs. Pour l'instant, ils n'ont pas fait état d'un souhait de voir les maisons de santé s'installer de manière progressive, mais je les interrogerai spécifiquement sur ce point. J'ai tendance à penser que si nous créons des MSP en commençant par la mise en place d'une équipe réduite, voire d'un seul médecin, cela risque de ne pas marcher – mais nous allons nous pencher sur la question.

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Il serait intéressant que je rencontre ces délégués !

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Je peux leur demander de prendre contact avec vous. Le comité de suivi qui se tient tous les six mois nous permet de mettre en place les adaptations qui peuvent se révéler nécessaires pour faciliter le développement de tel ou tel dispositif.

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

De nombreuses inquiétudes se sont exprimées au sujet de l'hôpital de proximité. Récemment, j'en ai visité un qui me semble être l'exemple même de ce que doit être un établissement de ce type, à savoir l'hôpital de Pont-Audemer, dans l'Eure. Situé en zone très rurale, cet hôpital qui faisait tout au début des années 2000 – la chirurgie, la maternité, les urgences – avait beaucoup de mal à recruter des médecins et, lorsque son gynécologue-obstétricien est décédé dans un accident de la circulation en 2002, l'établissement a été obligé du jour au lendemain de fermer sa maternité pour la transformer en centre de périnatalité.

Ayant du mal à attirer des médecins, l'hôpital devait faire appel à des intérimaires, ce qui n'était pas satisfaisant, c'est pourquoi ses responsables ont décidé de le transformer en hôpital de proximité. Pour cela, ils ont supprimé la chirurgie et mis en place une offre de médecine polyvalente comprenant un service de gériatrie et, me semble-t-il, une offre d'équipes mobiles et de soins palliatifs. Ils ont conservé un service d'urgences locales, avec un service mobile d'urgence et de réanimation (SMUR), et disposent d'un petit plateau technique permettant de faire de la biologie de base, ainsi que d'un scanner et d'une imagerie par résonance magnétique (IRM), partagés avec des radiologues de ville à mi-temps dans le cadre d'une contractualisation.

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Effectivement, le maire et les élus sont extrêmement satisfaits, de même que la population, car la présence de cet hôpital permet de maintenir une offre de proximité de qualité. Grâce aux investissements réalisés, l'établissement est flambant neuf, il est beau, il fonctionne bien et il est attractif pour les professionnels, ce qui fait que des médecins libéraux viennent y exercer. Par ailleurs, il a contractualisé avec l'hôpital tête de pont du GHT, à savoir le CHU du Havre, afin que toutes les spécialités soient représentées à Pont-Audemer. Des spécialistes de qualité – chirurgiens, ophtalmologistes, dermatologues, cardiologues – viennent donc du Havre une fois par semaine ou tous les quinze jours afin de donner des consultations avancées – je rappelle qu'il y a au Havre des professeurs des universités praticiens hospitaliers (PU-PH), ce qui donne aux patients l'assurance de la qualité en proximité. Les plateaux techniques, eux, sont évidemment au Havre, où sont envoyés les patients devant subir une opération ou tout autre acte technique lourd ; ils reviennent cependant à Pont-Audemer pour le suivi.

Pour moi, c'est l'organisation idéale, qui permet de mettre à disposition une porte d'entrée de proximité, mais aussi de qualité, offrant aux patients du territoire toutes les spécialités projetées. Il ne s'agit pas de proposer des spécialités en proximité mais au rabais, comme c'est parfois le cas lorsqu'elles sont exercées par des intérimaires dont il est difficile d'évaluer les pratiques. Cela permet de maintenir l'attractivité du territoire, grâce à un hôpital qui fonctionne bien et dispose de financements ad hoc, puisqu'il n'a pas vocation à attirer des patients au-delà de son bassin de population.

Certains élus s'inquiètent, mais il me semble qu'on se voile la face en pensant qu'au XXIe siècle on peut maintenir partout une médecine de qualité et de proximité. En effet, la médecine devient de plus en plus spécialisée et de plus en plus technique, et plus on essaie de maintenir cette spécialisation et cette technicité en proximité dans le contexte d'une faible activité, moins on est certain de la compétence des professionnels qui exercent, car ils exercent peu.

Par conséquent, j'estime qu'il vaut mieux assumer une gradation des soins, c'est-à-dire, d'une part, une offre de soins de proximité qui rende vraiment service à la population en lui proposant de la médecine polyvalente, de la gériatrie, des soins de suite et de réadaptation, des équipes mobiles, de la biologie de la radiologie et, d'autre part, des spécialités exercées sur des plateaux techniques présentant un niveau élevé d'activité, mais aussi de qualité, grâce à des professionnels très bien formés et très compétents. De nombreux pays fonctionnent sur ce modèle, basé sur le principe d'une porte d'entrée proche des citoyens et leur permettant à la fois d'être pris en charge rapidement pour la médecine du quotidien et d'être orientés vers des plateaux techniques pour les soins plus spécialisés et plus techniques. La France est l'un des rares pays à ne pas avoir assumé le principe de la gradation des soins et à continuer à laisser croire qu'on peut faire bien partout, en proximité, ce qui, à mon sens, commence à présenter des risques pour certaines pratiques hyper-techniques.

Quand des pratiques chirurgicales innovantes ou de nouveaux dispositifs médicaux sont susceptibles d'être proposés au public, la Haute Autorité de santé les autorise et permet leur financement par l'assurance maladie à une seule condition, c'est que le plateau technique qui propose ce dispositif assure plus de 100 ou 200 actes par an. Il est évident qu'en proximité, personne ne peut atteindre ce seuil, et que les médecins qui souhaitent mettre en oeuvre ces dispositifs innovants – je pense par exemple à l'implantation d'une valve aortique par voie percutanée, en anglais transcatheter aortic valve implantation (TAVI) – ne peuvent pas être compétents, faute d'une activité suffisamment régulière. En cancérologie, c'est un principe qu'on assume depuis longtemps, et on se réfère à des seuils d'activité internationaux : plus personne ne peut être suivi pour un cancer dans un hôpital de proximité si cet établissement n'atteint pas, par exemple, un seuil de 50 cancers du sein traités par an – ce seuil représentant un gage de qualité.

Ce projet de loi a donc pour objet d'assurer à la fois une proximité et une gradation des soins en vertu de laquelle les gens sont sûrs d'être envoyés au bon endroit. Je précise cependant que la conversion d'un établissement en hôpital de proximité se fera sur la base du volontariat, à l'issue d'une discussion entre les élus et les usagers d'un territoire. Pour moi, la capacité d'un hôpital tête de pont d'un GHT à envoyer des médecins au sein des hôpitaux de proximité, en consultation projetée, est fondamentale pour que le système fonctionne bien. C'est ainsi que le service de cancérologie du CHU de Besançon assure la cancérologie de tous les hôpitaux de la région, les praticiens hospitaliers de cet établissement se rendant une fois par semaine dans les hôpitaux de proximité pour y mettre en oeuvre les chimiothérapies des malades : pour moi, c'est un modèle de proximité de qualité.

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Je ne connais pas l'hôpital auquel vous faites référence, madame la ministre, mais je pense que cet exemple n'est pas forcément transposable à tous les territoires, chacun d'eux ayant ses spécificités, notamment en termes de superficie et de distances entre les villes, ce qui fait que chaque hôpital de proximité a des besoins qui lui sont propres. J'espère donc que le projet de loi n'imposera pas un modèle unique, mais permettra une certaine souplesse.

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Vous avez raison, il faut qu'il soit tenu compte des spécificités territoriales. Nous n'avons pas encore eu le temps d'organiser une concertation avec les fédérations hospitalières, les élus, les usagers et les professionnels, mais je souhaite que l'on inscrive le plus rapidement possible les missions socles – c'est-à-dire le minimum à assurer par chaque hôpital de proximité – dans le projet de loi en dur, afin de pouvoir rassurer tout le monde. Je ne suis pas sûr que nous parvenions à maintenir la chirurgie au sein des missions socles, mais on peut imaginer que certains hôpitaux de proximité conservent telle ou telle activité – à condition, bien sûr, que cela ne se fasse pas qu'avec des intérimaires – car la démographie médicale entraîne des difficultés d'attractivité majeures, et le problème va se poser pendant encore dix ans.

Monsieur Jerretie, vous m'avez parlé des ressources humaines mutualisées, un principe qu'il faut selon moi mettre en application partout où il est possible de le faire, c'est-à-dire pour chaque hôpital qui ne s'est pas constitué en structure assiégée jalouse de ses ressources, mais qui est au contraire disposé à les partager. J'ai vu, près d'Orléans, ce que pouvait donner la mutualisation des urgentistes entre trois hôpitaux d'un même GHT : cela a permis que les urgences restent ouvertes partout, même dans un hôpital où il y avait très peu d'activité et où les urgences n'étaient donc pas attractives pour les professionnels, car il suffit que les urgentistes viennent y passer une semaine par mois ou quelques jours par semaine pour que les urgences fonctionnent régulièrement, assurant un service de proximité mais de qualité, car dispensé par des professionnels bien formés et pratiquant beaucoup.

Si la mutualisation est pour moi la clé du succès, je ne fais pas une obsession de la direction commune et la loi comportera d'ailleurs un droit d'option : ceux qui souhaiteront une direction commune la prendront, mais elle ne sera pas imposée à ceux qui n'en veulent pas. En revanche, je suis très attachée à la mutualisation des moyens médicaux, avec des filières de prise en charge et une réflexion sur l'offre de soins territoriale entre les différents hôpitaux du GHT.

Pour ce qui est des intérimaires, comme vous le savez, j'ai publié en 2017 un décret ayant pour objet une limitation de leur coût, grâce à une diminution progressive du seuil maximum de revenus quotidiens d'un intérimaire. Bien sûr, cela ne peut marcher que si tout le monde joue le jeu, et il suffit qu'un hôpital contourne le décret et accepte de payer plus cher pour que tout l'édifice se casse la figure. Je n'arrête pas de dire aux ARS qu'elles doivent vérifier que les hôpitaux jouent le jeu, mais tant qu'il n'y a pas de contrôle de la chambre régionale des comptes, il est difficile de s'assurer que c'est bien le cas, car je ne peux pas être derrière chaque directeur d'hôpital. Je le répète, ce mécanisme ne peut fonctionner que si 100 % des hôpitaux décident de ne plus employer d'intérimaires à 3 000 euros par jour.

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Effectivement.

Pour ce qui est de la gouvernance des conseils de surveillance des établissements hospitaliers publics, elle n'est pas remise en cause, et je ne vois d'ailleurs pas bien ce qu'on pourrait y changer. En l'état actuel des choses, c'est le maire qui préside le conseil de surveillance, et il est permis de penser que, soucieux de préserver les intérêts de sa commune, il est moins enclin qu'un autre au partage de ressources humaines, ce qui est un problème.

On pourrait décider que les conseils de surveillance ne seront plus présidés par les maires, mais il faut alors déterminer par qui ils le seront, ce qui n'a rien d'évident – pour le moment, je n'ai pas de solution consensuelle à vous proposer.

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

En tout cas, ce sujet n'a pas encore été abordé dans le cadre du futur projet de loi. Pour ma part, je pense qu'au-delà de la gouvernance, l'obligation de mutualisation des ressources humaines est vraiment la clé.

Vous m'avez également demandé, monsieur Jerretie, si l'on pouvait envisager des outils complémentaires afin de faciliter la contractualisation des MSP. Dans ce domaine comme dans d'autres, je suis tout à fait disposée à écouter vos propositions, comme je l'ai dit à M. Viala.

Les infirmiers et infirmières en pratique avancée (IPA) sont un dispositif ayant vocation à se développer, et notre objectif est d'atteindre un effectif de 2 000 personnels en deux ans. Notre capacité actuelle de formation est de 1 000 personnels par an et, comme vous le savez, j'ai ouvert l'accès des IPA à la psychiatrie à partir de 2019, car je pense que nous en avons besoin étant donné la difficulté actuelle à recruter des médecins psychiatres pour des raisons démographiques : cela devrait beaucoup améliorer la situation dans les hôpitaux psychiatriques.

En ce qui concerne la télémédecine, vous m'avez demandé si l'outil numérique serait assez compétitif au sein des territoires ruraux. Sur ce point, je rappelle sans cesse aux ARS et aux élus la nécessité de bien identifier les zones prioritaires pour l'aménagement du territoire : la couverture des hôpitaux doit être prioritaire, mais il ne faut pas négliger non plus celle des MSP, où l'on pratique beaucoup la télémédecine et la télé-expertise.

Vous avez évoqué la coercition, madame Louwagie : pour ma part, je suis contre, car je pense que cela nous ferait perdre des médecins. On a récemment permis à certains étudiants d'accéder aux études médicales après trois années de licence dans une autre filière mais, à l'heure actuelle, les études de médecine durent au minimum six à sept ans, auxquels il faut ajouter trois années d'internat – cinq ans pour certaines spécialités –, ce qui fait quinze ans en tout, et même dix-sept pour ceux qui choisissent de faire un clinicat.

J'ai bien noté que votre suggestion concernait les médecins généralistes. Cela dit, les jeunes médecins terminent leurs études lorsqu'ils ont entre trente et trente-cinq ans, et 70 % d'entre eux sont des femmes. Comment leur imposer une obligation d'installation pendant trois ans en zone rurale ? En l'état actuel des choses, la plupart des femmes médecins mettent leur activité entre parenthèses lorsqu'elles ont des enfants, et une bonne partie d'entre elles préfèrent exercer leur activité dans un cadre salarié, car c'est beaucoup plus simple. Il y a actuellement des milliers de postes de médecins salariés vacants dans des centres de santé, dans des laboratoires pharmaceutiques, en médecine du travail ou en médecine scolaire.

Franchement, obliger des gens ayant entre trente et trente-cinq ans et venant de fonder une famille – ou s'apprêtant à le faire – à aller s'installer en zone rurale, je pense que c'est une mauvaise idée, qui risque de nous faire perdre encore plus de médecins. Selon les statistiques, il y aurait déjà près de 20 % de jeunes médecins fraîchement diplômés qui abandonnent l'exercice de la médecine, ce qui est énorme : on ne peut pas prendre le risque de voir ce chiffre devenir encore plus important, avec des médecins qui décideront de ne pas s'installer ou qui choisiront une spécialité, la médecine de laboratoire ou autre chose, plutôt que l'activité de médecine générale.

Pour moi, la seule vraie solution, c'est l'incitation : il faut rendre le métier plus attractif. Face à une profession déjà globalement sous-dotée en nombre, la coercition ne peut avoir pour effet que d'augmenter le taux de fuite, ce qu'il faut éviter à tout prix. Ce n'est pas le cas des professions sur-dotées, comme celle d'infirmière, où le maillage territorial ne pose pas de difficultés, parce que les gens doivent bien assurer leur subsistance. Il faut être pragmatique : vous n'obligerez pas une jeune femme qui, venant de terminer ses études, se marie et a ses enfants à trente-trois ans, à aller s'installer ailleurs que là où elle veut faire sa vie.

Nous soutenons les maisons de santé universitaires, qui constituent des lieux de stage. À chaque fois que je visite l'un de ces établissements, les maîtres de stage m'expliquent que les jeunes internes de médecine générale qui viennent s'y former prennent goût au travail en équipe et qu'il n'est pas rare qu'ils décident ensuite de s'installer dans une maison de santé, car ce cadre est attractif.

Comme je l'ai déjà dit, le recours aux intérimaires est non seulement coûteux, mais aussi dangereux, parce que les intérimaires ne s'intègrent pas dans les équipes et ne s'investissent pas dans les bonnes pratiques : ce n'est donc pas un bon mode de fonctionnement. Nous souhaitons que les médecins de ville puissent exercer au sein des hôpitaux de proximité, comme c'est déjà le cas dans beaucoup de pays par le monde, et pour cela, nous voulons mettre en place deux mesures. D'une part, la possibilité pour les médecins de ville de suivre leurs malades dans l'hôpital de proximité, ce qui rendra l'hôpital de proximité plus attractif. D'autre part, une modification du statut des praticiens hospitaliers (PH) – cela fera l'objet d'une ordonnance, à l'issue de la nécessaire concertation avec les syndicats – pour que le contrat de ces PH prévoie un ou deux jours de médecine libérale, ce qui le rendra également plus attractif, car on sait qu'aujourd'hui le temps plein hospitalier n'est plus attractif dans certaines disciplines telles que l'anesthésie ou la radiologie, où les gens gagnent beaucoup mieux leur vie ailleurs – pour cette raison, il est impossible de recruter des radiologues ou des anesthésistes dans certains hôpitaux, d'où le recours coûteux à des intérimaires. Le fait de favoriser une pratique mixte, comme c'était le cas avant, devrait faciliter le recrutement au sein des hôpitaux.

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Quand vous dites, madame la ministre, qu'on ne peut pas obliger les jeunes médecins à s'installer à certains endroits, c'est pourtant déjà le cas pour les fonctionnaires, notamment les enseignants ou les policiers, par le biais des mutations – on peut d'ailleurs penser que si ce n'était pas le cas, il y aurait des régions où aucun enseignant n'irait s'installer…

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Ce n'est pas la même durée d'études !

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Quand un enseignant est titulaire d'un master, cela représente déjà quelques années d'études, même si je reconnais que ce n'est pas tout à fait la même chose.

Je suis ravie de vous voir aujourd'hui, madame la ministre, puisque je n'avais pas pu vous rencontrer précédemment, et je souhaite aujourd'hui me faire l'écho de la parole d'usagers et de personnels soignants qui peinent à se faire entendre. Je souhaite en particulier appeler votre attention sur la situation d'un centre hospitalier de l'Ariège. Ce département très rural, comportant des zones de montagne, mais aussi des friches industrielles, est confronté à de nombreuses difficultés. L'une de ses particularités est sa population âgée, modeste, et connaissant des problèmes de mobilité, alors que certaines personnes résident parfois à plus d'une heure de trajet de l'hôpital le plus proche. Actuellement, le maillage territorial ne répond donc pas à l'engagement du précédent gouvernement, qui consistait à permettre d'accéder à un hôpital en moins de trente minutes.

On m'a également rapporté que la fusion qui s'est faite le 1er janvier 2018 entre un hôpital de proximité et le centre hospitalier intercommunal des vallées de l'Ariège (CHIVA) n'a pas été réalisée dans les règles, puisque les élections au conseil d'administration se sont tenues sans qu'ait été précédemment constituée une commission médicale d'établissement, la direction n'ayant pas respecté les prescriptions de l'article R. 6141-13 du code de la santé publique dont vous êtes la garante, madame la ministre – je suis bien consciente que vous aurez peut-être besoin d'un peu de temps pour m'apporter une réponse précise à cette question très technique.

Le démantèlement de l'hôpital de proximité a commencé en 2017 avec un premier capacitaire, qui a supprimé des lits et fusionné des services ; il s'est poursuivi en 2018, sans passage devant les instances représentatives du personnel ni échange avec la communauté médicale, ce qui a conduit à la fermeture de plusieurs services, notamment la neurologie, la diabétologie, l'ophtalmologie et l'infectiologie – ce qui aggrave la désertification médicale et constitue un réel problème pour la population du département.

Les personnels de l'établissement déplorent qu'il n'y ait pas de dialogue social et que les décisions soient prises de façon unilatérale, ce qui n'est pas sans conséquences, puisqu'il a été relevé, dans le cadre d'une expertise de 2018 relative aux risques psychosociaux, que dans trente-deux situations personnelles on retrouvait des idées suicidaires en lien avec le travail.

Un deuxième capacitaire se profile pour 2019, avec un projet de mobilité obligatoire pour les personnels soignants et une nouvelle réduction de 54 lits. Alors que la réforme que vous engagez ne peut se faire sans concertation avec les personnels, l'impression qu'ont sur le territoire les acteurs concernés, c'est que s'il y a effectivement une réalité budgétaire dont il faut tenir compte, les décisions prises ne répondent pas aux besoins de la population en termes de santé, mais visent essentiellement à assurer l'équilibre financier, au moyen d'une gestion comptable qui démantèle le service public hospitalier, mettant ainsi en danger à la fois les usagers et les personnels, qui vivent mal ces situations – car le principal objectif des personnels soignants est de soulager la souffrance des patients.

À l'heure actuelle, 25 % des personnels de l'établissement sont contractuels. Nous souhaitons qu'il y ait davantage de concertation et que l'on favorise le développement des spécialités médicales qui permettent aux personnes de naître, vivre, travailler et se soigner dans les territoires ruraux car, à défaut, l'attractivité restera concentrée sur les grandes villes – Toulouse pour ce qui est de notre territoire.

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Je vous remercie d'avoir organisé cette audition, madame la présidente, et vous, madame la ministre, pour cette présentation succincte de la loi santé que j'avoue ne pas avoir encore lue en totalité.

Je connais bien la loi NOTRe, ayant pris part à ses débats, et je ne pense pas qu'on y trouve la moindre mention concernant l'organisation des services de l'État en territoires ; ce texte ne dit rien non plus sur les ARS ni sur les inspections d'académie. Vous n'êtes pas en cause, madame la ministre, mais le Gouvernement a bel et bien fait le choix de calquer l'organisation des services de l'État sur cette loi. Je le dis parce que je m'élève aujourd'hui contre la loi NOTRe et je fais partie de ceux qui assument l'erreur stratégique consistant à avoir voté cette loi et l'organisation des régions en résultant… Pour ce qui est des membres du Gouvernement ayant porté ce texte, on ne les a jamais entendus reconnaître qu'ils ont commis une erreur – car il s'agit bien d'une erreur et elle aurait pu être corrigée depuis deux ans, ce qui n'a malheureusement pas été le cas.

Si je parle de la loi NOTRe, c'est parce que l'organisation des ARS pose problème, et pas seulement sur le plan des ressources humaines, mais aussi sur le plan décisionnel : ce qui prenait auparavant une semaine peut désormais prendre plusieurs mois, et l'information circule très mal – ainsi n'ai-je appris que fortuitement que l'ARS venait dans ma circonscription, alors que je suis de très près les questions de santé !

Pour ce qui est des hôpitaux de proximité, j'ai bien entendu que vous vouliez inscrire dans la loi – sans doute par voie d'amendement – la notion de mission socle, ce qui devrait rassurer de nombreuses personnes. Vous nous avez également indiqué que le fonctionnement de proximité se déciderait pour chaque hôpital sur la base du volontariat, et j'imagine que les élus seront associés au processus de labellisation, car ce qui valable pour un territoire ne l'est pas forcément pour un autre. Ainsi, sur mon territoire, je ne suis pas certaine de l'intérêt de labelliser l'hôpital de Riom, qui se trouve à douze kilomètres et a déjà conclu avec le CHU des conventions dans le cadre desquelles des praticiens hospitaliers viennent à Riom.

Par ailleurs, madame la ministre, si je suis plutôt favorable à la création prochaine d'une Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), j'aimerais avoir votre avis sur cette future Agence et sur son articulation avec les ARS – étant précisé que je considère, moi aussi, que la mutualisation, notamment celle des praticiens, est la clé.

Enfin, en ce qui concerne la télémédecine, je voudrais appeler votre attention sur ce paradoxe : alors que la télémédecine est surtout utile, pour ne pas dire nécessaire, dans les zones de désertification médicale, c'est malheureusement aussi dans ces zones-là que le très haut débit est le plus en retard. C'est très bien de nous envoyer inaugurer une belle machine de télémédecine, mais quel sens cela a-t-il quand cette machine n'est pas connectée au haut débit ?

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Madame la ministre, je vous remercie pour votre présentation, et je souhaite à la fois vous poser une question et vous faire part d'une réflexion.

Ma question, un peu redondante, se rapporte aux agences régionales de santé, avec lesquelles nous avons un problème. Selon un constat largement partagé sur le terrain – et avec lequel vous êtes vous-même d'accord, me semble-t-il –, l'ARS est un acteur difficilement mobilisable sur notre territoire, notamment par les élus. Cette entité apparaît souvent éloignée, voire déconnectée des réalités territoriales, et semble agir selon une logique plus comptable que médicale : d'une manière générale, l'ARS a de vraies difficultés à travailler en concertation avec les territoires. Tout à l'heure, vous avez mis en avant des problèmes managériaux – qui peuvent jouer un rôle – et de positionnement politique – qui, eux, sont très certainement déterminants.

Je me pose donc vraiment la question de l'avenir des ARS au regard de régions de plus en plus importantes, qui ont grandi, et à l'heure où le préfet de département redevient un acteur plus central de l'action déconcentrée de l'État et sera d'ailleurs délégué territorial de la future ANCT. Le rôle politique que vous appeliez tout à l'heure de vos voeux est peut-être celui du préfet de département, ce qui permettrait de gommer le déficit politique, ou managérial, souligné par vous. Il y a donc une véritable question autour du positionnement et de la proximité de cet acteur certainement utile, l'ARS, mais dont nous avons du mal à percevoir tous les tenants et aboutissants.

Je souhaite également vous faire part d'une réflexion partagée par un certain nombre de collègues sur le timing de présentation de cette loi. En cette période de grand débat national, nous participons les uns et les autres à des dizaines de réunions où nos concitoyens, ainsi que des élus, formulent des problématiques mais aussi des propositions, dont beaucoup dans le domaine de la santé. La question de la désertification médicale est une question centrale. Alors que les conclusions ne sont pas encore connues, et les propositions encore moins, je m'interroge sur le timing de la présentation de cette loi, qui porte certes sur un sujet essentiel et urgent mais qui mériterait sans doute que l'on écoute ce qui va remonter du terrain et qui permettrait d'améliorer le texte.

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Madame la ministre, vous avez expliqué beaucoup de choses sur l'organisation des soins et les carrières médicales. Je me concentrerai sur ce qui me semble être le sujet numéro un, à savoir les parcours professionnels, les recrutements et les carrières des différents acteurs de santé, en particulier dans les hôpitaux publics et les autres structures publiques et parapubliques, de façon à couvrir les besoins : la qualité, la sécurité, la proximité. Pour que cela fonctionne, il faut des hommes et des femmes – de plus en plus de femmes – pour rendre tous ces services.

Je pense que la recertification des compétences est indispensable pour la confiance de la patientèle ainsi que pour la sécurité des praticiens. Il serait temps que les choses se mettent concrètement en place. Quelles sont les mesures envisagées, puisque ce sera, je crois, l'objet d'une ordonnance ? Par quels moyens cette recertification peut-elle être opérante ? Comment pourrait-elle éventuellement être étendue aux professions de santé autres que les médecins, en particulier les infirmiers, qui posent cette question ?

Ma deuxième question porte sur les pratiques avancées pour les infirmiers. Vous avez mentionné les infirmiers psychiatriques. Je vous soumets la proposition d'ajouter les manipulateurs en électroradiologie. Vous avez souligné la carence de radiologues dans le système de santé. Les manipulateurs ont des parcours professionnels qui s'arrêtent à la production d'images. Ils peuvent intervenir pour des tâches de dosimétrie, en particulier en matière de radiothérapie, pour une lecture des systèmes d'intelligence artificielle pour les radiologies conventionnelles, ils peuvent également rendre des services en échographie. Vous semble-t-il possible d'étendre les pratiques avancées à cette profession ? C'est un ancien praticien hospitalier de CHU en radiologie qui vous parle.

Enfin, et c'est sans doute le plus important, s'agissant des carrières médicales, la réforme que vous présentez est très favorablement accueillie. Je suis même un peu surpris de la qualité de cet accueil, mais la réforme voit juste sur de nombreux points. Il faut rendre les carrières hospitalières attractives. Ce n'est pas uniquement une question de revenu mais aussi d'engagement pour le système sanitaire. Cela passe peut-être par une labellisation et un complément de formation dès les premières années de médecine car on n'embrasse pas la carrière hospitalière sans avoir des rudiments sur le fonctionnement de l'hôpital, or ce point est assez absent de la formation des jeunes médecins, qui, après de brillantes études, arrivent à l'hôpital en ne sachant pas comment il fonctionne. Ils prennent éventuellement leurs fonctions parce que le patron leur dit : « Tu viens demain matin », sans avoir signé le procès-verbal d'installation ; c'est arrivé, je peux vous le dire.

Il ne faut pas aborder les choses seulement sous le prisme de l'auxiliaire qui, pendant un an, rembourse un dû car il n'avait pas les moyens de financer ses études autrement, mais en vue d'un engagement bien plus important où les CHU, dans leur recrutement, joueront un rôle capital et auront la possibilité de distribuer ce personnel médical sur l'ensemble de leur territoire. Je rejoins totalement vos propos sur l'hôpital de Pont-Audemer : c'est exactement ce qu'il faut faire, avec les moyens de communication, avec la mobilité de certains personnels qui commenceraient soit en exercice libéral en zone sous-dense soit en hôpital de proximité avant d'exercer en CHU. C'est ainsi une véritable carrière que l'on aurait devant soi. Pour cela, ce n'est pas un an ou deux qui suffiront mais un engagement plus ample en faveur d'un système public.

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Madame Taurine, la comparaison avec les enseignants revient souvent, mais les enseignants n'ont pas quinze ans d'études derrière eux et, surtout, ils sont fonctionnaires, ce que les médecins ne sont pas. On peut décider de fonctionnariser la médecine, mais ce n'est pas un combat que j'ai envie de mener car j'ai un autre modèle.

Sur l'Ariège, je ne peux pas vous répondre au sujet de l'hôpital que vous mentionnez. En revanche, vous avez raison, on ne peut mener cette réforme sans un engagement de tous les professionnels, qu'ils exercent dans le secteur hospitalier ou en médecine libérale. C'est le travail de concertation que je conduis depuis un an avec tous pour essayer de soulager la souffrance, car il y a trop de souffrance aujourd'hui, même chez les médecins et les autres professionnels libéraux. Tout le monde se plaint du système, qui pousse à une activité très mal ressentie. J'ai donc mis un point d'honneur à construire cette réforme avec tous les professionnels.

Évidemment, chacun sur le territoire n'a pas le sentiment d'avoir été consulté, ce qui est normal puisque ce sont les représentants qui le sont, mais sur les statuts des professionnels, sur les évolutions de carrière, notamment des professionnels hospitaliers, une ordonnance est prévue dans la loi justement pour avoir encore le temps de concerter avec les syndicats.

Cela répond aussi à la question de M. Martin. Je souhaite que tous les engagements que prennent des professionnels au sein de l'hôpital, tout ce qui est transversal, tout ce qui est autre que la pratique, soit mieux valorisé et reçoive une reconnaissance en tant que tel. Cela fera partie des concertations car je souhaite que les professionnels puissent évoluer dans leurs carrières, puissent assurer des missions transversales à un moment, revenir à la pratique, avoir des activités d'enseignement… Il faut que chaque investissement qu'un professionnel consent dans sa carrière soit reconnu et valorisé. La concertation aura lieu dans le cadre du travail sur l'ordonnance pour la fonction publique hospitalière.

Les choix sont souvent ressentis comme des choix budgétaires. Cela a souvent été le cas, je ne veux pas le nier, mais ça n'est pas aujourd'hui l'orientation que je donne aux ARS et aux directeurs d'hôpital. Une seule chose m'importe, c'est que les choix de restructuration soient dictés par la préoccupation de la sécurité et de la qualité. Je l'ai dit aux différentes maternités qui se transforment en centres de périnatalité : quand ces choix sont faits, c'est simplement que la maternité, fonctionnant telle qu'elle fonctionne, n'est plus apte à assurer la sécurité des soins. Ce ne sont pas des choix budgétaires. Nous avons d'ailleurs réussi à obtenir un objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM) élargi et vous savez que la campagne budgétaire est pour la première fois cette année en augmentation. Il y aura plus de budget pour les hôpitaux, c'est un engagement que j'avais pris. Je ne souhaite donc pas mettre la pression budgétaire ; c'est un choix de qualité.

Enfin, je sais que l'ARS Occitanie suit de très près la réorganisation des hôpitaux de l'Ariège.

Madame Pires Beaune, vous dites que c'est un choix de l'État d'avoir restructuré les ARS. Je n'étais pas aux affaires au moment où la loi NOTRe a été votée. De fait, on a demandé aux ARS de se regrouper et cela a représenté un effort énorme pour les personnels, avec beaucoup de risques psycho-sociaux, beaucoup de mutations. Ces nouvelles ARS régionales ont été créées le 1er janvier 2017. Vous imaginez bien qu'en arrivant aux affaires, je ne peux pas demander à ces personnels de faire machine arrière, alors qu'ils ont travaillé pendant deux ans à se restructurer, que des gens ont été mutés, que l'organisation et la gouvernance ont été modifiées. On ne revient pas comme cela sur une telle réorganisation. Ce ne sont pas moins de 10 000 fonctionnaires travaillant en ARS à qui l'on a demandé de bouger. Mon objectif est de transformer les postes de délégués territoriaux en véritables postes fonctionnels de carrière dans l'ARS, c'est-à-dire de modifier la mission même des délégués territoriaux, de leur donner du pouvoir. C'est un véritable changement, pas seulement managérial, mais de profil des personnes qui travailleront dans les délégations territoriales.

Je rappelle que les élus siègent aujourd'hui dans les conseils de surveillance des ARS. Ce ne sont pas des députés mais des conseillers régionaux, des conseillers départementaux et des représentants des maires. Les conseils de surveillance des ARS ont déjà des élus locaux.

S'agissant des hôpitaux de proximité, oui, cela se fera sur la base du volontariat, nous n'obligerons pas un hôpital à se transformer s'il ne le souhaite pas. Il y aura également des hôpitaux de taille intermédiaire, des hôpitaux locaux généraux tels que nous en connaissons, il existera une gradation.

La gouvernance de ces hôpitaux de proximité sera très différente de celle des hôpitaux locaux car nous souhaitons y mettre la médecine libérale, le lien avec la CPTS, des professionnels. Revoir cette gouvernance fait partie de la concertation en cours pour définir ce que sera la nouvelle gouvernance des hôpitaux de proximité. Si je pense que nous serons capables d'inscrire les missions socles dans la loi, je suis moins sûre que nous ayons abouti pour inscrire le mode de gouvernance, même si nous le souhaitons beaucoup plus large que ce qu'il est aujourd'hui dans les hôpitaux.

Le lien avec l'ANCT est évident. Nous y travaillons avec Jacqueline Gourault, il faudra une articulation. Je crois qu'il y a dans la loi une accroche dans la loi sur l'aspect santé de l'ANCT, même si ce ne sera pas un aspect décisionnel parce que, je le dis et le redis, la santé est un service au public et non, même si les hôpitaux sont un service public, un service public à proprement parler, car la médecine libérale, elle, n'est pas un service public : c'est un service au public par une profession libérale. Par conséquent, l'aménagement du territoire est certes un prérequis à l'organisation des soins mais ce n'est pas le seul. Contrairement à un aménagement de 3G ou à l'accès à internet, le service au public en santé nécessite aussi la qualité, et l'on ne peut donc pas le considérer uniquement comme un sujet d'aménagement du territoire. C'est pour cela que le confier à une agence en charge de l'aménagement du territoire me paraît problématique car cette agence n'aura pas la compétence pour juger de la qualité des pratiques. Je rappelle que les ARS sont en lien quotidien avec les professionnels de santé. Elles travaillent avec les unions régionales de professionnels de santé (URPS), les syndicats, les professionnels libéraux, les professionnels hospitaliers, les fédérations… Peut-être ne travaillent-elles pas suffisamment avec les élus, nous l'entendons et l'intégrerons, mais elles sont en contact permanent avec les professionnels. Cela, l'ANCT ne peut évidemment pas le faire. En revanche, un travail sera conduit sur l'articulation.

Monsieur Baudu, les ARS, je l'ai dit, comptent des élus dans leurs conseils de surveillance. Ce que je crois, c'est que n'y sont pas toujours envoyées des personnes capables d'orienter. Le projet territorial de santé sera un outil de formalisation du travail entre les élus locaux et l'ARS, car il faudra aboutir à un projet consensuel.

Les préfets départementaux sont importants et nous allons favoriser une meilleure articulation entre les préfets et les ARS. Cela existe déjà et ça se passe très bien dans la majorité des cas. Il y a quelques régions où cela se passe moins bien. Les préfets ont des compétences d'aménagement du territoire, mais n'ont pas compétence en matière de qualité des pratiques ou pour tout ce qui concerne les normes. Les ARS ont de vraies missions normatives, vous le savez, comme le contrôle de la qualité des eaux. Ce sont des agences de santé et il ne faut pas imaginer que tout le monde puisse tout faire. Je pense qu'il faut garder ces structures. Je souhaite les faire évoluer, formaliser dans leur travail les contacts avec les élus. Cela apparaîtra dans la loi, et je suis prêt à recueillir vos propositions, mais je pense qu'il ne faut pas détricoter quelque chose qui a maintenant dix ans d'âge. Les ARS existent, essayons d'améliorer leur fonctionnement, mais ne supprimons pas un outil qui est un véritable outil de compétence santé.

S'agissant du timing du projet de loi, ce que j'entends dans les grands débats, c'est que la santé est une préoccupation majeure, et ce qui remonte, c'est le constat. Nos concitoyens se plaignent de manque d'accès aux soins. En réalité, nous avons tous fait ce constat bien avant le grand débat et, quand j'ai pris mes fonctions, j'ai travaillé à un plan d'urgence d'accès aux soins, qui s'est maintenant transformé en une véritable réforme holistique du système de santé. Cela a été un an de concertation, un an de travail avec des élus, des professionnels, des fédérations, des syndicats. Tout le monde a été concerté, il y a eu des dizaines de groupes de travail. La loi arrive. Je veux évidemment bien prendre en compte tout ce qui remontera du grand débat par amendement mais ce que j'observe, dans le grand débat, ce ne sont pas tant des propositions que des constats que nous avons faits il y a deux ans. Je suis ouverte à toutes les propositions qui remonteront du grand débat pour améliorer la loi mais, très sincèrement, dans ce que j'entends, parce que j'y assiste, j'écoute et je lis les cahiers de doléances, je trouve assez peu de propositions ou en tout cas de propositions qui seraient très différentes de ce que nous proposons.

Ouverture complète, donc, à tout ce qui remonterait du terrain, et de vous, d'ailleurs, mais ne perdons pas de temps, parce que nous avons vraiment besoin de cette transformation. Si la loi n'est pas votée avant septembre, nous ne pouvons rien mettre en place dans Parcoursup pour 2020, ce qui signifie que nous ratons la fin du numerus clausus en 2020, alors que nos concitoyens l'attendent.

Monsieur Martin, je souhaite élargir les IPA à d'autres professions de santé, mais sachez que, pour aboutir au décret IPA, il nous a fallu dix ans entre le moment où l'on a pensé aux IPA et le moment où cela a été accepté par les différentes professions. Dieu sait que j'ai mis la pression. J'ai intimé l'ordre d'aboutir à un consensus pour ouvrir la formation aux IPA en 2018. C'est allé à marche forcée. Il faudra que les autres professionnels travaillent à ce que pourraient être des pratiques avancées dans d'autres professions de santé. Nous y sommes ouverts.

Je pense comme vous qu'il faut revoir complètement ce qu'est l'engagement d'un médecin ou d'un professionnel de santé dans un hôpital. Il faut donner plus de liberté, plus de perspectives. Je crois que l'on a insuffisamment traité cet engagement. Il ne s'agit pas que de personnes qui souhaitent faire des actes, ce sont aussi des personnes qui souhaitent s'engager au quotidien dans la vie de leur hôpital ; il faudra le prendre en compte et le valoriser.

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Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Avec grand plaisir.

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Madame la ministre, nous vous remercions pour la précision de vos réponses et votre disponibilité.

Nous ne désespérons pas de vous retrouver devant notre délégation pour le plan « Grand âge ».

La réunion s'est achevée à 9 heures 50.

Membres présents ou excusés

Présents. – M. Stéphane Baudu, Mme Anne Blanc, M. Christophe Jerretie, M. Jean-Claude Leclabart, Mme Véronique Louwagie, M. Didier Martin, Mme Christine Pires Beaune, Mme Bénédicte Taurine, M. Arnaud Viala.

Excusés. – Mme Anne Brugnera, M. Jean-René Cazeneuve, M. Olivier Gaillard, M. Sébastien Jumel, Mme Catherine Kamowski.