Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Réunion du mardi 12 mars 2019 à 16h15

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Présidence

La commission entend M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, sur le rapport d'enquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique relative aux lois de finances, sur l'externalisation du soutien aux forces en opérations extérieures.

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Nous recevons cet après-midi M. Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes, pour la présentation de la cinquième des enquêtes de la Cour réalisées à la suite de la demande que je lui ai adressée le 11 décembre 2017 au nom de notre commission, en application du 2° de l'article 58 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF).

Parmi les sujets retenus, je vous rappelle que la communication sur le bilan de la privatisation des aéroports a été présentée le 13 novembre, celle sur le soutien public au mécénat des entreprises le 28 novembre, celle sur les droits d'inscription dans l'enseignement supérieur public le 5 décembre. Quant à celle sur l'approche des coûts de la justice, le président Andréani nous l'a présentée lui-même le 29 janvier dernier.

Nous en venons aujourd'hui à la communication relative à l'externalisation du soutien aux forces en opérations extérieures. Le rapport a été adressé à l'ensemble de nos commissaires le 21 février et la Cour, conformément aux récentes décisions du bureau de la commission, a été autorisée à le publier sur son site. Il ne reste donc plus que la communication sur l'efficacité des programmes d'investissement d'avenir et l'évolution de leur gouvernance, qui est attendue pour décembre prochain.

En outre, ont été demandées le 19 juillet dernier, afin de pouvoir en disposer avant le prochain printemps de l'évaluation, cinq autres enquêtes. La première, relative aux dépenses fiscales en matière de logement, nous sera prochainement remise en vue d'une présentation le mardi 26 mars à 17 heures.

Je rappelle que les autres demandes portent sur le bilan du transfert aux régions de la responsabilité de la gestion des fonds de cohésion, sur les investissements informatiques à la direction générale des finances publiques et à la direction générale des douanes et droits indirects, sur la réserve opérationnelle de la gendarmerie et de la police et sur les sociétés d'économie mixte. L'ensemble de ces rapports devraient nous être remis d'ici au début du mois de mai, les commissions d'évaluation des politiques publiques se réunissant à cette date.

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Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes

C'est un plaisir de revenir devant votre commission pour présenter ce rapport qui, comme vous l'avez indiqué, vous a été remis fin janvier, conformément au périmètre dont nous étions convenus à la suite d'un dialogue approfondi avec le rapporteur spécial des crédits du ministère des armées, à l'origine de cette demande.

Nous avons centré nos investigations sur quatre sujets : les modalités de passation des contrats d'externalisation pour les opérations extérieures (OPEX), les procédures d'exécution et de suivi de ces contrats, les contrôles internes qui permettent de s'assurer de leur régularité et de leur bonne exécution, et autant que possible, j'y insiste, l'évaluation des conséquences opérationnelles des éventuelles carences constatées.

Je dirai quelques mots de la procédure, de la façon dont nous avons travaillé et du champ exact de l'enquête, dans la mesure où cette enquête interfère avec d'autres contrôles et des enquêtes antérieures de la Cour. Il convient que votre commission en soit préalablement informée précisément.

Nous avons conduit nos investigations auprès des principaux services du ministère des armées. Nous avons étudié un grand nombre de pièces de dépenses et de contrats d'externalisation. Nous nous sommes également appuyés sur de précédents travaux et recommandations de la Cour portant soit les externalisations, soit sur les opérations extérieures.

Sur les externalisations, nous avions réalisé en 2010 une enquête d'ensemble. Nous en avons tiré trois recommandations que je me permets de mentionner très brièvement parce que nous les retrouvons dans ce rapport.

Premièrement, nous avions recommandé que le ministère de la défense développe une comptabilité analytique permettant de comparer le coût de la solution externalisée et le coût de la solution interne.

Deuxièmement, au-delà de la connaissance des coûts, nous avions recommandé d'apporter des précisions à la doctrine d'externalisation en vigueur au ministère de la défense, à l'époque peu développée, notamment de préciser le périmètre des opérations externalisables par rapport à celles qui, pour des raisons de souveraineté ou simplement de droit international, ne peuvent pas être externalisées.

Troisièmement, nous avons recommandé d'améliorer la chaîne d'exécution des opérations d'externalisation.

Dans un rapport de 2016 sur les opérations extérieures de la France, nous avons étudié attentivement certaines dépenses d'externalisation, notamment le transport aérien stratégique. Au-delà d'une recommandation de portée générale sur l'amélioration de la chaîne logistique des opérations extérieures, nos constats sur le transport aérien stratégique nous ont contraints de saisir le parquet de faits susceptibles de constituer des infractions pénales. À la suite de ce renvoi, depuis 2017, le parquet national financier mène l'enquête sur ces affaires. Le Parlement a lui-même procédé à la rédaction d'un rapport d'information sur le sujet. Peu après, le ministère des armées a diligenté une mission du Contrôle général des armées (CGA) sur les externalisations d'affrètement aérien. Je le mentionne parce que c'est un élément de contexte de notre enquête.

Pour revenir à la présente enquête, nous avons procédé à un grand nombre de contrôles sur pièces. Nous ne nous sommes pas rendus sur place, mais nous avons procédé à un échantillonnage qui nous assure d'un examen documenté et assez large des prestations externalisées dans le cadre des opérations extérieures.

Nous avons dû exclure les contrats qui faisaient l'objet d'une investigation par le parquet national financier. Nous n'avions pas le choix, et votre commission en a convenu.

Pour ce qui est des opérations aériennes, nous nous sommes donc concentrés sur les opérations de transport réalisées sur le théâtre et non sur les opérations de transport stratégique. Par ailleurs, nous avons examiné de façon détaillée les contrats passés par les armées avec l'Économat des armées, qui représentent à peu près 26 % des dépenses d'externalisation.

Nous avons également étudié la part terrestre et maritime du transport stratégique, hors affrètements aériens.

Tout cela nous permet de dire que nous avons contrôlé attentivement près de 36 % des prestations concernées. Les conclusions que nous vous livrons aujourd'hui s'appuient sur des enquêtes qui nous permettent de les présenter avec un certain degré de confiance.

J'en viens précisément à ces conclusions.

Premier constat : le volume croissant des dépenses concernées montre que l'externalisation, à bien des égards, n'est pas vraiment un choix, en tout cas ne l'est pas dans de nombreuses circonstances. Les dépenses d'externalisation du soutien aux OPEX ont augmenté au cours des quatre années étudiées, de 2014 à 2017, pour atteindre 236 millions d'euros en 2017, soit une progression d'environ 7 % par an. Au total, pour les quatre années étudiées, les dépenses s'élèvent à 862 millions d'euros.

J'en viens à la répartition par opération : une bonne moitié concerne l'opération Barkhane engagée depuis l'été 2014, au Mali et autour du Mali, les opérations de soutien aérien au Levant – opération Chammal – et l'opération Sangaris en République centrafricaine, chacune représentant un peu plus de 10 % du total.

S'agissant de la consistance de ces dépenses, près de la moitié est précisément destinée à des transports intercontinentaux dits stratégiques, dont la plus grande partie, à hauteur de 216 millions d'euros, s'effectue par air.

Pour un quart, ces dépenses correspondent à des prestations destinées à la vie courante, au soutien quotidien, au bien-être des troupes. Elles sont fournies par l'intermédiaire de l'Économat des armées, établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) qui est en même temps une centrale d'achats opérant en quasi-régie pour le ministère des armées.

Pour le reste, soit environ 16 %, il s'agit de transports internes aux théâtres d'opérations dont la nécessité a sensiblement crû en raison de la taille du théâtre Barkhane.

Le deuxième constat concerne la qualité du suivi des externalisations et de l'exécution des contrats. Une première interrogation porte sur la qualité du suivi budgétaire. Tout cela est un peu compliqué parce que, en vertu de la LOLF, les opérations sont suivies, en particulier dans leurs modalités de dépense, par destinations. Nous avons réussi à reconstituer les chiffres que je viens de vous livrer avec l'aide du ministère des armées. Ils ne ressortent pas spontanément des documents budgétaires. À cet égard, on peut regretter que ce ne soit pas plus aisé, d'autant que la comparaison est une condition même du bien-fondé de l'externalisation de la doctrine de l'état-major des armées.

Troisième constat, en réponse aux interrogations qui ont fait suite au contrôle de 2010, le ministère des armées s'est doté d'une doctrine d'externalisation que l'on peut qualifier de rigoureuse.

Je souhaiterais vous présenter deux éléments de cette doctrine.

Tout d'abord la doctrine d'emploi. Quelles sont les conditions de fond qui permettent de recourir à l'externalisation ?

Outre quatre principes généraux qui préexistaient lors du contrôle de 2008, le ministère a précisé sa doctrine, notamment en identifiant neuf secteurs externalisables par nature et en excluant de façon précise tout ce qui ressemble à une opération de combat ou au contact d'un opposant armé.

Les grands principes de 2008 ont été complétés par des principes que l'on peut qualifier de bienvenus. J'en citerais trois. Premièrement, autant que possible, les armées souhaitent éviter de se mettre entre les mains d'un fournisseur unique pour une prestation externalisée. Deuxièmement, l'opération doit obéir à un principe de réversibilité et donc à la possibilité de revenir sur l'externalité. Le troisième principe est la transférabilité, c'est-à-dire la possibilité de transférer la prestation externalisée à un autre prestataire que celui que celui qui l'assume.

Le deuxième élément de cette doctrine porte sur le cadre juridique. Le code des marchés publics est le cadre juridique normal qui s'applique aux prestations externalisées. En revanche, celles qui s'exécutent sur les théâtres qui ne s'inscrivent pas dans ce cadre. Je m'empresse de préciser que tout ce qui va aux OPEX et dont nous avons reconstitué le montant ne correspond pas à cette partie des dépenses : une grande partie est négociée et exécutée depuis la France, mais, pour le reste, les dépenses obéissent à un circuit de paiement particulier, qui est celui du Trésor et des trésoriers, et échappent au circuit comptable normal du ministère des armées et au code des marchés publics. En lieu et place de ce code, des directives de l'état-major des armées sont la principale source réglementaire pour l'exécution des dépenses externalisées qui sont ordonnancées et exécutées sur les théâtres d'opérations en s'appuyant sur le réseau des trésoriers des armées.

Ces directives, auxquelles nous avons porté une grande attention, sont, nous semble-t-il, de bonne qualité. Elles nécessitent néanmoins quelques mises à jour. Des recommandations techniques sont présentées à cet effet dans le corps du rapport – nous pourrons y revenir.

Nous avons observé que ces prescriptions de nature « réglementaire interne », si je puis dire, ont été complétées par des dispositions déontologiques à l'attention des acheteurs. Nous proposons de simplifier celles-ci, ou en tout cas de les unifier. En effet, les codes de déontologie coexistent et varient selon le service concerné, ce qui ne nous paraît pas de bonne politique.

Enfin, l'exécution des prescriptions ainsi prises par l'état-major des armées en lieu et place du code des marchés est soumise à un contrôle et à un dispositif de maîtrise des risques qui a appelé notre attention et dont nous avons étudié le contenu. Il a été amélioré, mais il demande à être complété. Notamment, il nous semble que les risques comptables, budgétaires et réglementaires sont correctement identifiés dans ces schémas de contrôle de maîtrise des risques, mais que certains éléments opérationnels propres aux OPEX devraient davantage y figurer.

Voilà ce que je puis dire sur le plan de la doctrine – au sens de doctrine d'emploi, de doctrine de recours – et sur celui de l'encadrement réglementaire du recours aux externalisations dans le cadre des OPEX.

Le quatrième point porte sur la mise en oeuvre des marchés d'affrètement aérien, qui avait retenu l'attention de votre commission et sur lequel nous nous sommes concentrés en accord avec votre rapporteur spécial du budget des armées.

Ainsi que je l'ai mentionné, nous nous sommes concentrés sur l'affrètement intra-théâtre, faute de pouvoir examiner à nouveau l'affrètement stratégique que nous avions étudié dans le cadre du rapport de 2016.

De l'examen des quatre principaux marchés d'affrètement aérien intra-théâtre auquel la Cour a procédé, nous retenons les conclusions suivantes.

Sur un plan général, reconnaissons un progrès. Nous avons examiné ces marchés sur une période de quatre ans. Les derniers ont été conclus dans des conditions plus satisfaisantes que les premiers. Il faut y voir le résultat des diverses interventions, que ce soit celle du Parlement ou celle du contrôle général des armées.

Les procédures sont de meilleure qualité. Pour autant, le rapport fait état d'un certain nombre d'anomalies, en raison à la fois des contraintes de la commande publique dans le contexte exigeant d'une opération extérieure, mais aussi en raison de certaines défaillances du ministère. J'insisterai dans un instant sur la principale. Ces anomalies touchent ou sont susceptibles de toucher au principe d'égalité d'accès et de transparence. Certains marchés sont très précipités, conclus rapidement et tendent, de manière générale, à favoriser plutôt le prestataire en place.

Avant d'en venir aux points de faiblesse auxquels j'ai fait allusion, je relève que les contrôles externes sur la passation des marchés se sont renforcés. Les commissaires responsables de la passation des marchés sur les théâtres recourent davantage au centre de soutien des opérations et des acheminements (CSOA) et au service spécialisé de la logistique et du transport, auxquels ils soumettent leurs projets de contrat. Tout cela progresse donc.

Le principal point de faiblesse réside dans le professionnalisme et l'extrême intensité de la rotation des acheteurs dans les théâtres. Il s'agit là de compétences rares. Les acheteurs sont affectés dans un théâtre sans être relevés de leur poste en France, ce qui provoque des faiblesses dans l'exécution des marchés. Selon nous, c'est le point auquel il convient de remédier de la façon la plus urgente.

Les dernières catégories de marché auxquelles j'ai fait allusion sont les marchés de soutien en fournitures, logement, facilités diverses aux forces. Ces externalisations sont essentiellement entre les mains de l'Économat des armées.

Nous avons étudié les deux principaux marchés qui, pour un montant de près de 225 millions d'euros, assurent le soutien des forces en opérations extérieures. Ce sont les marchés Exter et Ilopex – Internet Loisir en opérations extérieures –, pour un montant d'environ 2 millions d'euros. S'il n'est pas élevé, le montant n'en reste pas moins significatif en permettant à nos soldats de communiquer par internet et par voie téléphonique avec leur famille en métropole. Il s'agit donc d'un élément très important de la situation des personnels en opération.

Nous n'avons pas relevé d'anomalies particulières dans l'exécution de ces marchés mais nous pensons que l'état-major des armées qui agit en recourant à l'Économat des armées considère trop l'établissement comme un prestataire final alors qu'il n'est qu'un intermédiaire. Nous recommandons d'alléger les procédures de passation des contrats entre l'établissement public et son donneur d'ordre, l'état-major des armées, afin de se concentrer sur la qualité de la fourniture et sur la prestation fournie à nos forces dans le théâtre extérieur.

Le dernier point est le plus sensible et le plus sujet à caution. Il s'agit de l'appréciation, dans la mesure où la Cour pouvait le faire, de l'impact des externalisations sur le plan opérationnel et de l'effectivité, de l'efficacité et de l'efficience des dépenses en opération. À cet égard, je formulerai deux observations.

Les transports aériens, qui représentent quasiment la moitié des dépenses externalisées, restent sensibles pour deux raisons. Outre les anomalies et les infractions présumées que nous avions détectées, se pose un double problème de sécurité et de disponibilité de la ressource à l'avenir. Nous indiquons un ou deux éléments relatifs à la sécurité. Parmi les anomalies que nous avons constatées, citons l'absence, dans certains contrats, des documents aéronautiques certifiant la qualification des appareils et des équipages, un ou deux accidents qui se sont produits et que nous pointons, sans insister davantage – telle n'est pas la fonction de ce rapport. Se pose donc une question liée à la sécurité.

S'agissant de l'examen des conditions réglementaires et des documents aéronautiques, là encore, notre investigation montre que des progrès ont été réalisés à la suite des divers contrôles qui ont eu lieu depuis 2016.

En revanche, le sujet de la disponibilité reste problématique. La ressource, en particulier en avions, qui sont tous d'ex-avions soviétiques de transport à long rayon d'action, est susceptible de se tarir. Il existait deux fournisseurs finaux, un russe et un ukrainien. Il n'en reste désormais plus qu'un seul, d'où un risque de disponibilité de la ressource qui nous conduit à formuler une recommandation de portée générale afin d'anticiper cette situation. Pour ce faire, des options méritent d'être explorées pour sortir du dilemme. Entre l'externalisation et l'achat de matériel neuf, il y a la location ou l'achat de matériels d'occasion. Faute d'être en mesure de nous prononcer de façon ferme, nous recommandons au ministère des armées d'étudier ces options intermédiaires et de sortir de ce dilemme entre l'achat neuf et l'externalisation car nous craignons que cette dernière ne rencontre un jour ses limites en matière de transport aérien.

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Considérez-vous que des crédits sont disponibles dans la loi de programmation militaire pour assurer la réversibilité des processus d'externalisation ou la réversibilité est-elle impossible en raison de la sous-capacité, que l'on se limite à constater ? Le ministère a-t-il prévu de limiter l'emploi ponctuel par des contrats de la nature que vous évoquiez ?

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Je voudrais remercier notre collègue François Cornut-Gentille, qui est à l'origine de ce rapport d'enquête réalisé par la Cour, en application du 2° de l'article 58 de la LOLF, sur l'externalisation du soutien des forces en OPEX.

C'est un sujet très intéressant, et pas seulement sur le plan budgétaire, ainsi que vous l'avez souligné, monsieur le président, dans votre exposé.

Je salue également le travail de grande qualité qui a été effectué par la Cour. L'analyse des enjeux est détaillée et les recommandations très précises. C'est vraiment ce que nous recherchons ici pour améliorer une situation dégradée.

J'en viens à quelques questions rapides.

Vous présentez les quatre conditions retenues par le ministère des armées en 2008 pour qu'une externalisation soit engagée afin d'être « assuré dans la durée de gains économiques et budgétaires significatifs évalués par une méthode rigoureuse ». Toutefois, il semble que le choix des externalisations, tel que vous le présentez, ait été dicté davantage par la nécessité de pallier un certain nombre de carences en équipement que par des considérations budgétaires.

Dans quelle mesure cette condition économique et budgétaire a-t-elle été mise en oeuvre pour la période couverte par cette enquête ?

Une autre des quatre conditions d'externalisation consiste à « être assuré que le marché offre une réponse aux besoins avec un niveau concurrentiel suffisant, en veillant à la place réservée aux PME ». Or, votre enquête révèle que l'externalisation du transport intra-théâtre, aérien ou terrestre, doit composer avec une offre commerciale insuffisante, parfois inexistante, et une disponibilité limitée, voire fragile, des aéronefs commerciaux. La condition de l'offre concurrentielle n'est pas respectée. Est-ce à dire que cette condition d'un niveau concurrentiel suffisant n'est jamais respectée ?

Vous citez l'approche de l'externalisation du soutien aux forces telle qu'elle existe aux États-Unis. Vous indiquez que « la spécificité de la politique d'externalisation américaine tient à son étendue. Cette étendue se double d'une diversification des outils de contractualisation et d'une organisation administrative très sophistiquée, avec une solution informatique qui permet un suivi centralisé des entreprises, des personnels et des contrats en cours. »

Au regard de cet exemple étranger intéressant, quelles sont les mesures qui semblent prioritaires pour améliorer le pilotage et le suivi de l'externalisation du soutien aux forces par le ministère français des armées ?

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Je remercie également François Cornut-Gentille d'avoir, en sa qualité de rapporteur spécial, fait diligenter un rapport sur ce sujet, même si, monsieur le président Andréani, vous avez rappelé qu'il avait déjà été évoqué à plusieurs reprises dans des circonstances différentes.

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Je veux, moi aussi, remercier la Cour des comptes pour cette enquête qui, en effet, complète d'autres travaux qui nous avaient mis l'eau à la bouche ! Nous poursuivons sur ce sujet qui, je crois, le mérite. Il est complexe et je mesure bien le travail de fourmi qu'il a nécessité pour arriver à ces conclusions.

Je formulerai quelques remarques qui sont moins des questions que des éléments susceptibles d'être versés au débat.

Premièrement, nous ne pouvons qu'adhérer entièrement aux axes de progrès qu'indique la Cour. Je les rappelle.

Une meilleure supervision par l'état-major – qui peut s'y opposer ?

Le renforcement de la qualité des procédures d'achat – c'est une nécessité absolue et nous en sommes d'accord.

Une meilleure appréciation des projets d'externalisation afin de déterminer si l'externalisation présente un intérêt et s'il n'y a pas d'autres solutions. Là aussi, nous sommes d'accord, mais on s'aperçoit que cela reste de l'ordre du discours. Dans la mesure où nous ne connaissons pas le coût réel des opérations, il est impossible de procéder à ce travail.

Sur les axes que vous indiquez, et qui sont absolument nécessaires, je suis persuadé que l'on peut et que l'on doit progresser. Ma question porte sur les moyens : la capacité à progresser existe-elle ? Je dirais même : y a-t-il une volonté de progresser ?

Vous avez présenté, et peut-être est-ce normal, le verre à moitié plein en indiquant que l'on constatait des progrès. Sans déformer votre rapport et en se limitant à ce que vous avez dit et à rien d'autre, on peut avoir une lecture un petit peu moins optimiste. À cet égard, trois éléments me paraissent mériter réflexion.

Le premier est votre difficulté à obtenir les informations. Vous êtes la Cour des comptes, vous devez y avoir accès. Ce sont les procédures normales du fonctionnement des institutions. Or, vous mentionnez benoîtement, si je puis dire la transmission hors délai du rapport du contrôle général des armées. Si j'ai bien compris, on vous a fourni les informations une fois votre travail achevé. Agissant ainsi, joue-t-on le jeu du contrôle ? Pardon d'être un peu brutal, mais cela n'en reste pas moins la réalité.

Vous signalez une dispersion des archives des marchés passés au Sahel, des informations financières non fiables et non exhaustives. Ce point ne me paraît pas négligeable.

Le deuxième va dans le même sens et m'inquiète quant aux capacités à progresser : comme vous le soulignez vous-même, vous dressez des constats que vous avez déjà émis à plusieurs reprises. Bref, vous réitérez, tandis que l'Assemblée nationale et le parquet national financier continuent d'étudier la question. D'accord, on s'agite un peu, deux ou trois contrats sont mieux réglés. Mais, depuis dix ans que l'on répète les mêmes choses, si l'on note de légers progrès, je ne relève pas d'avancées décisives et je n'en perçois pas à un horizon très proche.

Le troisième fait est du même ordre : s'agissant de l'affrètement aérien, vous avez cité une phrase des plus accablantes, tirée de la page 63 du rapport. Vous indiquez qu'il n'y a pas de mise en concurrence, vous parlez à plusieurs reprises d'anomalies. Par sa répétition même, ce terme prend un sens lourd, d'autant plus lourd que, si l'on a quelque culture en la matière, on relève que ce sont ces mêmes anomalies que vous avez dû signaler au titre de l'article 40 du code de procédure pénale dans le rapport précédent.

Vous nous dites que tout progresse mais que vous avez connu des difficultés pour accéder aux documents. Vous dressez les mêmes constats depuis plusieurs années et les anomalies sont toujours aussi pesantes, d'où mes interrogations que je veux partager avec vous, monsieur le président, mes chers collègues.

Vous avez relevé des enjeux financiers et de sécurité des vols. Peut-être avez-vous oublié les enjeux de confidentialité. Il conviendrait d'étudier de près qui transporte nos militaires. Tout cela me paraît très lourd et pas totalement pris en compte, ou alors seulement sous la pression.

Dernier point, faut-il se contenter de renforcer les contrôles ? Ne conviendrait-il pas d'imaginer un type d'organisation un peu différent ? On comprend que l'état-major a besoin de toute la souplesse possible pour réussir les opérations et, à cet égard, nous saluons le travail réalisé. Mais souplesse signifie-t-elle obligatoirement boîte noire ? Je ne pense pas que l'on ait totalement résolu ces questions. Tout se résume, si je puis dire, à l'Économat des armées qui me paraît être une boîte noire absolue. Quelle est sa mission ? Le Commissariat ne pourrait-il pas l'assumer ? S'agit-il d'un EPIC, d'une régie ? On ne sait pas très bien ! Le Parlement n'a aucune visibilité dans les documents budgétaires sur l'Économat des armées. On a là le résumé de toute la problématique que nous venons d'évoquer.

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Peut-être sera-ce le prochain sujet à explorer !

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À l'instar du rapporteur spécial, je tiens tout d'abord à remercier la Cour pour ce rapport très instructif, qui soulève aussi quelques questionnements.

Le coût de l'externalisation de nos forces armées représente une part significative des dépenses de défense. Au vu de l'intensification des engagements opérationnels de la France, il convient de se pencher sur la bonne gestion de ses dépenses, principalement celles liées au transport.

Comme vous le rappelez dans votre rapport, les moyens financiers consacrés aux externalisations du soutien des forces en OPEX ont atteint un total de près de 862 millions d'euros sur la période 2014-2017. Elles ont encore augmenté la dernière année et l'on voit bien que le recours à l'externalisation croît d'année en année.

J'aimerais connaître l'effet de ce recours accru à l'externalisation sur les prestataires français de la défense. Comment leur permettre de s'organiser et de se positionner par rapport à ce type de contrat ?

À la lecture de votre rapport, j'ai également été interpellée et préoccupée par l'état de l'offre commerciale, insuffisante, inexistante, voire inappropriée sur certains théâtres extérieurs. Cet état de fait problématique fragilise la bonne tenue des opérations car nous savons très bien que, dans un contexte de guerre, nous ne pouvons pas nous permettre de compromettre la sécurité de nos troupes en raison des défaillances de l'offre commerciale extérieure.

En ce sens, quelle marge de manoeuvre est envisageable pour travailler sur la solidité des contrats passés et à la conservation sur le long terme de partenaires fiables en termes de sécurité ?

Par ailleurs, est-il pertinent d'évaluer les conséquences budgétaires et sécuritaires de l'augmentation du recours à nos ressources propres dans le cadre des transports, notamment infra-théâtre ? Selon vous, ce recours est-il envisageable et intéressant ?

S'il s'avère que l'externalisation est nécessaire, quels seraient les avantages et les inconvénients de la mutualisation des coûts de l'externalisation avec les forces alliées sur les théâtres d'opération ?

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Je voudrais également saluer le travail et les recommandations présentés, dont les enjeux budgétaires, bien sûr, sont importants mais pas seulement, puisqu'il a été rappelé que la sécurité des troupes était en jeu.

Vous reconnaissez que l'externalisation du soutien aux forces est désormais nécessaire aux OPEX, puisqu'il est question du déploiement de 6 000 hommes à la fin de décembre 2017 et de l'élargissement des théâtres d'opération. Les dépenses des prestations externalisées se sont d'ailleurs fortement diversifiées, pour un coût de 861 millions d'euros entre 2014 et 2017. Aux prestations traditionnelles de restauration, d'entretien des camps, etc., se sont agrégées de nouvelles prestations, notamment les services informatiques ou la protection de l'environnement.

Vous notez que les prestataires se diversifient et que les forces contractualisent avec des prestataires nationaux et étrangers. En raison de ces évolutions, vous estimez nécessaire de renforcer la une supervision de l'état-major des armées sur les critères de choix et les modalités d'exécution. Vous préconisez également l'amélioration de la qualité juridique des procédures dans le domaine des affrètements aériens achetés par les acteurs locaux et vous préconisez que les informations budgétaires et les indicateurs de performance des marchés se mettent en place.

Vous avez souligné la mise en place d'une doctrine qui définit les conditions de fond de recours à l'externalisation. À cet égard, vous avez évoqué neuf secteurs externalisables, un principe de réversibilité, une possibilité de transfert des prestations, un cadre juridique modifié avec l'exécution de directives. J'aurais voulu avoir des précisions sur ce point. Quel regard portez-vous sur ces directives ?

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À mon tour de saluer le travail effectué par la Cour des comptes, qui nous éclaire sur un certain nombre de dysfonctionnements dans la gestion des OPEX. Vous en citez un certain nombre : le suivi budgétaire est rendu difficile par l'utilisation des logiciels Cristal et Chorus ; l'absence de correspondance entre les numéros de facture et les pièces de marché soulève un problème de traçabilité ; la compétence des acheteurs publics sur les théâtres d'opération comme le problème de la conservation de l'archivage des pièces de documents d'achat et celui du respect des chartes déontologiques de l'achat public se posent.

Ces dysfonctionnements portent atteinte à trois principes fondamentaux : libre accès à la commande publique, égalité de traitement entre les candidats, transparence des procédures.

Il se trouve que j'ai beaucoup enseigné dans les écoles de gestion. Je crois savoir que nous disposons, en France, d'excellentes ressources humaines issues des très grandes écoles. Elles pourraient fournir utilement des contrôleurs de gestion efficaces susceptibles de se pencher sur cette boîte noire évoquée par notre collègue Cornut-Gentille.

Nous disposons, par ailleurs, de ressources matérielles, tels que l'outil numérique et l'intelligence artificielle qui pourraient nous être utiles afin d'éclaircir la situation.

Dans cinq ans, lorsqu'un nouveau rapport de la Cour des comptes nous sera présenté, qu'est-ce qui nous garantit que l'on ne dressera pas le même constat, à savoir que les recommandations de 2019 n'ont pas été tout à fait mises en oeuvre alors que, me semble-t-il – mais peut-être suis-je naïf –, il semblerait qu'une bonne équipe de contrôleurs de gestion pourrait assez utilement revoir certaines procédures et émettre des recommandations pour un suivi précis en matière de contrôle de gestion afin d'y voir plus clair dans le domaine budgétaire des OPEX ?

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Merci, messieurs, pour votre rapport. Je m'associe aux propos de mon collègue Daniel Labaronne. C'est à se demander pourquoi on parle d'externalisation de certains marchés pour des opérations extérieures. Pourquoi ne pas externaliser directement les contrats en matière de gestion ? Alors même que de bons principes de gestion sont appliqués par certains ministères, nous avons le sentiment, malheureusement, qu'ils ne sont pas forcément appliqués par tous. La gestion est lunaire.

Par ailleurs, comment les entreprises peuvent-elles avoir, dans la transparence, une bonne connaissance des marchés que les armées lancent pour éviter d'avoir toujours recours aux mêmes prestataires ? Il en va ainsi notamment des prestations technologiques. Ce sont très souvent les mêmes prestataires qui sont retenus, alors que l'on pourrait très bien, par l'innovation, en employer de nouveaux.

Je m'interroge sur les recrutements en ressources humaines de sociétés privées qui interviennent en complément dans le cadre d'opérations. Je m'interroge aussi sur la sécurité de nos hommes sur le terrain quand des services de transport sont effectués par des pays n'appartenant pas à l'Union européenne. Comment enclencher le changement de pratiques ?

N'hésitez pas à être directs avec nous. Nous sommes parlementaires, nous sommes là pour entendre vos suggestions et les porter selon nos convictions politiques. En l'occurrence, vous levez le même lièvre de façon récurrente. Cette problématique pourrait choquer les Français car il s'agit de l'armée française, aidée à la marge par l'Union européenne.

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Je souhaiterais évoquer Chorus. Dans votre rapport, vous rappelez que le budget des OPEX constitue « un poste de dépenses dont la lisibilité budgétaire doit être améliorée » et vous soulignez notamment le fait que le périmètre de dépenses demeure mal connu.

S'il apparaît que les états-majors des armées n'assurent pas le suivi budgétaire nécessaire de ces dépenses d'externalisation, ces défauts de comptabilisation s'expliquent notamment par les limites du système d'information comptable de l'État qu'est Chorus. On le sait, Chorus se présente comme un outil de modernisation de l'exécution et de la liquidation des dépenses publiques en automatisant certaines dépenses sans ordonnancements préalables et en s'inscrivant dans le contexte de la réforme relative au décret de gestion budgétaire et comptable publique.

Avez-vous pris attache avec les responsables du système Chorus, ainsi qu'avec la direction des grands projets du système d'information de l'État afin de mieux articuler le fonctionnement de ce logiciel avec les enjeux relatifs aux opérations extérieures ?

Votre recommandation suggère de revoir le budget opérationnel de programme des OPEX pour en imputer des dépenses externalisées par finalité. Ne serait-il pas pertinent de revoir l'architecture du logiciel Chorus pour intégrer les dépenses externalisées dans ses rubriques afin de mieux respecter le principe d'unité et de facilité l'intelligibilité des lois de finances ?

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Le rapport qui vient de nous être présenté est extrêmement intéressant. Je m'associe aux commentaires des précédents intervenants.

Vous faites état d'un suivi budgétaire difficile, ce qui nous surprend. Je dois dire que j'ai du mal à comprendre que la représentation nationale ne puisse disposer d'une information fine et précise ni d'une analyse permettant de mettre en exergue les coûts et les avantages du recours à l'externalisation.

Vous indiquez, par ailleurs, que l'exécution des prescriptions soumises à un contrôle de maîtrise des risques a appelé l'attention de la Cour des comptes. Le contrôle doit être amélioré, notamment par l'intégration de certains éléments opérationnels. Quelles sont, selon vous, les pistes à explorer pour ce faire ?

Enfin, parmi les questions que l'on peut se poser, la mutualisation européenne, voire internationale, des moyens, notamment de projection aérienne, pourrait-elle être la solution au problème d'insuffisance que rencontre notre capacité de projection ? La Cour a-t-elle procédé à une analyse coûtsavantages des externalisations, notamment dans le transport aérien ? L'a-t-elle mise en perspective avec la perte d'autonomie de nos armées, et jusqu'à quel degré de perte d'autonomie pour nos armées peut-on estimer que le bilan coûtsavantages des externalisations deviendrait nul ?

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Gilles Andréani, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes

Je remercie la commission de l'intérêt qu'elle témoigne au rapport que j'ai eu l'honneur de présenter devant elle.

Monsieur le président, je n'ai pas en mémoire tous les engagements de la loi de programmation militaire qui peuvent se rapporter à notre sujet, mais la Cour est en train de contrôler un programme qui se déroule raisonnablement bien et qui, au moins pour le transport stratégique de nos militaires, il peut alléger la contrainte. Il s'agit de l'Airbus 330 MRTT. À double usage, il sert à la fois au ravitaillement en vol et au transport de passagers, le cas échéant au transport de fret, ce qui est de nature à alléger la contrainte.

Je ne peux pas dire que l'Airbus A400M soit un avion de transport stratégique : il a une vocation un peu intermédiaire mais c'est un moyen propre qui peut également alléger certaines des contraintes aériennes que j'ai évoquées.

Je n'ai pas une mémoire assez précise des programmes d'hélicoptères de transport intra-théâtre, qui souffrent d'une lacune capacitaire importante ; c'est un sujet qui réclame de l'attention dans le contexte d'un théâtre élargi comme celui de Barkhane. Voilà ce que je peux dire en réponse à votre question : dans certains domaines, des allégements de contraintes se profilent, contrairement à d'autres.

Monsieur le rapporteur général, la doctrine relative aux externalisations ne vise pas en priorité les externalisations opérationnelles destinées à faciliter l'exécution des missions par nos troupes. Lorsque nous avons étudié le sujet dans son ensemble en 2010, on comptait 1,9 milliard d'euros d'externalisations opérationnelles. La doctrine vise la restauration, le logement, un certain nombre de services offerts à nos forces, autrefois gérés en régie et aujourd'hui externalisés. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre le principe consistant à « être assuré dans la durée de gains économiques et budgétaires significatifs évalués par une méthode rigoureuse ».

Pour certaines des prestations de théâtre auxquelles nous venons de nous intéresser, le calcul n'est simplement pas possible ou alors de façon peu fine. Par exemple, l'armée a à disposition, sur une base aérienne rudimentaire, quelque part dans le Sahel, le MI-8, un hélicoptère lourd de transport dont la France n'a pas vraiment l'équivalent, et un équipage prêt à effectuer sa mission 24 heures sur 24. Le prestataire est moins cher qu'un moyen propre avec tout ce que cela suppose en termes de rotations, de maintien en condition opérationnelle, de présence des équipages, etc. Pour ce type de prestations, le calcul fin, la comptabilité analytique seraient utiles mais, en l'occurrence, les comparaisons économiques sont très rudimentaires. En revanche, pour la grande majorité des prestations pour lesquelles ce principe doit trouver à s'appliquer sans exception, nous recommandons, partout où c'est possible, que cette comparaison économique ait lieu – et d'ailleurs elle a lieu.

L'Économat des armées met en concurrence des fournisseurs d'accès pour la téléphonie et pour l'accès internet de nos forces. Les recommandations générales incitent à se livrer à ce calcul, mais pour certaines prestations nous ne sommes pas tout à fait en mesure de le recommander, en tout cas pas au même degré que pour le reste.

Madame Cattelot, vous demandez si le niveau de concurrence est suffisant. Là encore, pour un théâtre difficile comme l'est celui de Barkhane, les fournisseurs locaux sont en très faible nombre. Les besoins de la force supposent la mise à disposition d'aéronefs de conception militaire qui se chargent par l'arrière. Très peu de prestataires sont en mesure d'offrir ce type de service.

Les solutions européennes ou internationales mutualisées constituent-elles une alternative ? Nous pouvons penser à deux solutions. La première est l'existence d'une agence de l'OTAN qui rend des services d'affrètement. Ils sont théoriquement mutualisés. Il s'agit d'un prestataire de services d'affrètement, auquel nous avons d'ailleurs recours dans le cadre de l'externalisation du transport stratégique. Cela fonctionne.

Une seconde ressource possible repose sur les accords intra-européens qui prévoient, entre pays européens, l'exécution de certaines missions au profit d'autres pays. Il arrive même que les pays qui fournissent ces missions ne participent pas aux opérations. C'est un moyen de mutualisation qui existe d'ores et déjà mais qui échappe au champ du contrôle. Ce sont des échanges de services, il ne s'agit pas de l'achat ou de la fourniture d'un service rémunéré.

Au titre des avions de grosse capacité à long rayon d'action, nous disposons de l'Antonov 124 et de plus ou moins un fournisseur, puisque les Russes se sont retirés du marché. Il s'agit d'un fournisseur final, celui qui est en mesure de fournir l'avion, non d'un affréteur.

Quant aux États-Unis, ils ont mis en place une organisation extrêmement centralisée et sophistiquée des systèmes de soutien. Je ne sais pas si nous avons eu raison de le mentionner dans le rapport dans la mesure où le volume des externalisations américaines en Irak et en Afghanistan, pour la période 2006-2004, représente 297 milliards de dollars. Nous pouvons essayer de répliquer certaines des caractéristiques de l'organisation. En France, il me paraît étonnant que les pièces de marché ne soient pas saisies informatiquement sur le théâtre. La nécessité de les ressaisir manuellement justifierait la mise en place de procédures de remontée à la fois comptables et administratives centralisées, offrant une vision plus globale de nos opérations sur le théâtre.

Monsieur le rapporteur spécial, je veux d'emblée dissiper un malentendu, à savoir l'idée que l'on ne nous aurait pas facilité la mission. Nous avons obtenu le rapport du CGA dès que nous le lui avons demandé. Nous avons été un peu freinés, parce que nous avons eu quelques difficultés à obtenir les pièces de dépenses sur lesquelles il se fondait, en raison, je pense, d'une sorte de passage de relais bureaucratique mal géré. Après avoir établi leur rapport, les agents du CGA ont eu des difficultés à les retrouver, mais je ne crois pas que cela relevait d'une quelconque mauvaise volonté de leur part. Le rapport était classifié et nous avons dû reconstituer nous-mêmes les informations qui y figuraient pour en faire état devant votre commission. C'est la règle du jeu, cela nous a demandé un peu de temps.

Pourquoi le rapport n'a-t-il pas été déclassifié, alors même que les informations qu'il contenait ne revêtaient pas un caractère très confidentiel ? Je vous laisse poser la question au ministère des armées. Je n'ai pas la réponse ; je pense plutôt à un excès de zèle bureaucratique plutôt qu'à une mauvaise volonté. D'une façon générale, les armées nous ont aidés, par exemple, à reconstituer les niveaux de dépenses externalisées dans le cadre des OPEX.

Le système Chorus n'est pas fait pour restituer une catégorie de dépenses comme celle d'une opération externalisée en OPEX. Le système Chorus, « lolfien » dans son essence, identifie les dépenses par destination. Ces dépenses externalisées sont rattachées à des marchés qui peuvent être à usage principal national avant de servir à un usage externalisé. Je laisserai Olivier Chatelain expliquer ce point de façon plus compétente que moi.

Des constats ont déjà été dressés ; dès lors, vous vous interrogez sur les progrès. Nous avons détecté en 2016 des faits qui nous paraissaient présomptifs d'une infraction pénale. Par « anomalies », nous entendons des écarts par rapport à la réglementation « volontaire », les marchés infra-théâtre n'étant pas soumis au code des marchés mis en place par le ministère. C'est la raison pour laquelle nous n'avons pas usé du terme « irrégularités ». Nous réfléchissons par référence à un texte dont la valeur normative est incertaine, à des circonstances, en plus d'urgences que l'on apprécie mal à distance.

Je relèverai une anomalie qui est typique : sur les six ou sept documents fondamentaux attestant de la qualification des appareils et des équipages, il en manquait deux. Pour la Cour des comptes, un mot est un mot. Si nous écrivons « irrégularités », c'est qu'il y a une présomption d'irrégularité ; le terme d' « anomalie » répond à une norme plus molle. La situation n'est pas la même que celle que nous avions relevée en 2016. Nous observons, dans le détail, une qualité de suivi et d'exécution des marchés qui s'est améliorée sur le théâtre. Certaines dispositions ont été prises à cet effet, le contrôle interne a été renforcé. Il nous paraît que la stabilité et la compétence des acheteurs sur le théâtre restent un sujet auquel il faut s'intéresser.

Le dernier point, non des moindres, est celui de la sécurité de l'information et de la confidentialité, que j'ai omis de mentionner dans ma présentation. Aux quatre critères de 2008 de l'état-major des armées, nous proposons d'ajouter la sécurité de l'information et sa confidentialité. Il est anormal que, pour des forces en opérations, le manifeste soit nominatif. Cette façon de faire peut compromettre la sécurité des personnels. À cet égard, nous vous suivons totalement. Le respect des données et des informations est essentiel dans un contexte d'opérations actives et dangereuses.

Madame Goulet, monsieur le rapporteur spécial, vos questions ont convergé sur l'idée du recours à l'externalisation au regard de notre autonomie stratégique. Quelles sont les sources commerciales ? Pouvons-nous vraiment leur faire confiance ? Comment procède-t-on pour vérifier que nous avons des alternatives ? En réalité, l'absence d'autonomie, c'est de ne pas avoir le choix – telle est la définition même de l'absence d'autonomie. Si je laisse de côté la question du transport aérien, je crois, toutefois, que, pour le reste, il y a mise en concurrence et que la gamme de fournisseurs n'est pas négligeable. L'Économat des armées est un cadre de mise en concurrence, il n'est pas un fournisseur unique. Je laisserai Lucie Roesch préciser.

Vous avez identifié un problème de longue date dont votre commission est informée, à savoir le problème du transport aérien, qu'il soit stratégique ou intra-théâtre. À cet égard, nous suggérons d'ouvrir les options que, je n'ose pas dire par principe, les armées ont choisi de ne pas étudier jusqu'à présent. J'en ai mentionné deux : l'achat d'appareils d'occasion ou la location. À la différence de l'affrètement, les armées louent un aéronef d'État avec toutes les capacités d'approche des combats, d'utilisation en mode plus actif.

Monsieur Bricout, oui, nous jugeons que la doctrine de l'état-major est de bonne qualité. Il n'en reste pas moins que, sur la réversibilité ou la dépendance par rapport à un seul fournisseur, elle présente des limites. La doctrine se heurte aux faits. Encore une fois, pour certains types très particuliers de prestations pour lesquels il n'y a pas de moyens propres et peut-être deux fournisseurs – et encore ! –, nous sommes confrontés à une forme d'impossibilité d'appliquer la doctrine. Si la doctrine est bonne, les faits ne permettent pas de l'appliquer dans l'état actuel des moyens propres. C'est ce qui nous conduit à écrire dans le rapport que, parmi les anomalies relevées, on note une tendance naturelle a reconduire le titulaire du marché pour une raison qui tient aussi à la difficulté des alternatives.

Monsieur Labaronne, de façon très juste, vous avez insisté sur des éléments du rapport : la traçabilité ; la qualité de l'archivage ; le besoin de recourir, de préférence de façon dématérialisée, aux marchés et aux pièces de marché ; la qualité du contrôle interne. Là encore, il faut se placer dans un contexte où le contrôle interne des forces armées est d'introduction récente au ministère des armées. Bien sûr, je n'excuse pas les limites que nous avons relevées mais je maintiens qu'il y a quand même eu, en particulier s'agissant des OPEX, de légers progrès et même des progrès assez déterminants.

Je laisse mes collègues répondre sur l'aspect comptable des limites de Chorus, la façon de l'utiliser ainsi que sur le contrôle de gestion. M. Chatelain sera mieux à même de vous répondre et Mme Roesch vous dira un mot de l'Économat des armées, dans la mesure où elle a contrôlé les prestations.

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Olivier Chatelain, conseiller maître à la Cour des comptes

Sur 862 millions d'euros d'achats sur le théâtre, la moitié concerne des liaisons intercontinentales qui relèvent du droit des marchés publics. Un quart passe par l'intermédiaire de l'Économat des armées, qui relève du droit public national. Un peu plus de 10 % des marchés internes au théâtre concernent les achats d'affrètement aérien. Ce sont eux qui posent le plus de difficultés, et ce pour trois raisons. La première tient à la nouveauté de l'affrètement dans le cadre de l'opération Barkhane et l'étendue de son théâtre après 2013. La deuxième tient à la nouveauté des spécificités du marché aérien et à la réglementation des opérateurs spécialisés du commerce international – les commissaires n'y étaient pas toujours familiarisés. C'est ainsi qu'il faut progresser dans la connaissance. Relevons que c'est dans ce domaine que nous avons identifié des progrès. Nous les signalons dans le rapport.

La troisième raison réside dans le rythme soutenu de renouvellement des personnels. Un directeur du Commissariat en opérations extérieures est normalement affecté pour six mois et préparé avant son départ. En raison de tensions sur le plan des ressources humaines, et dans la mesure où les directeurs sont détachés pour participer aux OPEX en restant titulaires de leur poste en métropole, l'état-major est parfois amené à procéder à des arbitrages et à décaler le moment du ralliement et la date de départ, ce qui perturbe la prise de connaissance.

Cela étant, faut-il faire appel à des ressources extérieures ? C'est une possibilité, mais les personnels, quand on leur laisse le temps de se former et le temps d'exercer leurs fonctions, sont tout à fait compétents. C'est ce que nous avons pu voir au CSOA pour les marchés nationaux, qui ont progressé plus vite que les autres parce que les personnes concernées font ce travail à temps plein. De ce point de vue, oui, des progrès sont possibles. Il faut savoir également que pour les opérations extérieures, on est souvent limité en envoi de militaires. Dans ces cas-là, l'état-major privilégie souvent les forces combattantes par rapport aux forces de soutien. Ce peut être un frein. En tout cas, notre rapport a bien identifié que la ressource humaine, la formation et la régularité des relèves sont des éléments importants. Nous avons signalé que l'état-major pourrait y accorder une importance un peu plus grande qu'aujourd'hui.

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Lucie Roesch, auditrice à la Cour des comptes

Je reviens sur les sujets comptables et budgétaires et compléterai d'un mot les propos sur l'Économat.

Monsieur le député, vous avez posé la question de Chorus. À vrai dire, notre investigation n'a pas porté sur l'outil Chorus dans sa globalité. En l'état actuel – c'est le cas pour le ministère des armées comme pour tout autre ministère qui ferait appel à l'externalisation –, l'outil ne permet pas de restituer la relation qui lie le ministère qui contracte avec un prestataire. La fonctionnalité est limitée. Nous n'avons pas du tout exploré la possibilité de transformer l'outil. Nous avons simplement relevé que le ministère n'avait pas pallié cette difficulté en mettant en place ses propres outils de suivi qui n'ont pas forcément vocation à être totalement exhaustifs, mais pour le moins à éclairer les grandes masses pour procéder à des analyses en opportunité ou simplement pour aiguiller le contrôle interne et mettre en évidence des situations de dépendance.

Sur les sujets budgétaires, la nomenclature issue de la LOLF ne permet pas de faire apparaître ce qui relèverait de l'externalisation. Je ne pense pas qu'il s'agisse d'une volonté de cacher cette information ; simplement la nomenclature ne permet pas de le faire apparaître. Le ministère pourrait trouver un moyen de l'isoler et de livrer cette information.

À l'occasion de notre passage, les armées ont produit un travail considérable pour nous fournir des informations. Elles nous ont confié que c'étaient là des indicateurs qu'elles suivaient dorénavant, ce que nous n'avons pas vérifié. Nous pouvons nous féliciter de cet état de fait.

Par ailleurs, nous n'avons pas contrôlé l'Économat des armées en tant que tel ; nous nous sommes limités aux accords-cadres, ce qui ne nous permet pas de porter une appréciation sur cet organisme. En revanche, nous avons produit une recommandation sur la simplification possible des relations contractuelles et sur un certain nombre de dossiers. Les montants, en l'occurrence, ne sont pas très élevés. Peut-être l'état-major aurait-il pu être un peu plus proactif dans la définition de ses besoins et dans le suivi de ses relations contractuelles.

Membres présents ou excusés

Réunion du mardi 12 mars 2019 à 16 heures 15

Présents. - M. Éric Alauzet, M. Jean-Louis Bourlanges, M. Jean-Louis Bricout, Mme Anne-Laure Cattelot, M. Philippe Chassaing, M. François Cornut-Gentille, Mme Marie-Christine Dalloz, Mme Dominique David, Mme Sarah El Haïry, M. Joël Giraud, Mme Perrine Goulet, M. Romain Grau, M. Alexandre Holroyd, M. Daniel Labaronne, M. Michel Lauzzana, Mme Patricia Lemoine, Mme Véronique Louwagie, M. Jean-Paul Mattei, M. Xavier Paluszkiewicz, M. Hervé Pellois, M. Éric Woerth

Excusés. - M. François André, M. M'jid El Guerrab, M. Christophe Jerretie, M. Marc Le Fur, Mme Christine Pires Beaune, Mme Valérie Rabault, M. Olivier Serva, M. Philippe Vigier

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