Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • chaleur
  • gaz
  • hydrogène
  • renouvelable
  • réseau
  • réseaux
  • stockage
  • électricité
  • électrique

La réunion

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L'audition débute à onze heures.

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Bonjour à toutes et tous ! Merci d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information relative aux freins à la transition énergétique. Je rappelle que, créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale en juillet 2018, cette mission a commencé ses travaux en septembre 2018 et a, depuis, réalisé une vingtaine d'auditions et organisé une série de déplacements. Il était très important que nous puissions orienter notre réflexion sur les réseaux d'énergie, qui sont indispensables à notre système électrique, au développement des énergies renouvelables et à l'équilibre de notre mix énergétique.

Pour ce faire nous accueillons : M. Jean-François Carenco, président de la commission de régulation de l'énergie (CRE), accompagné de Mme Domitille Bonnefoi et de Mme Olivia Fritzinger ; M. Philippe Monloubou, président du directoire d'Enedis, accompagné de M. Pierre Guelman ; M. François Brottes, président du directoire de Réseau de transport d'électricité (RTE), accompagné de M. Philippe Pillevesse, de M. Arthur Henriot et de Mme Lola Beauvillain de Montreuil ; M. Edouard Sauvage, directeur général de GRDF, accompagné de M. Bertrand de Singly ; M. Pierre Duvieusart, directeur général adjoint de GRT Gaz, et Mme Agnès Boulard ; M. Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE), et Mme Marie Descat, secrétaire générale du Syndicat national du chauffage urbain et de la climatisation urbaine (SNCU) ; M. Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), accompagné de M. Jean Facon et de M. Charles-Antoine Gautier.

Je vous indique que nous avons lancé, le 6 mars, pour une durée de six semaines, une consultation publique permettant à chacun de s'exprimer sur ce qu'il considère comme les freins à la transition énergétique et les solutions à apporter pour l'accélérer. Un lien vers cette consultation se trouve sur le site de l'Assemblée nationale. Depuis quinze jours, 4 000 contributions ont été déposées.

La question des réseaux est évidemment au coeur du système, et les opérateurs innovent pour accompagner la transition énergétique, à l'interface entre la production et la consommation.

Avant que vous vous exprimiez, M. le rapporteur va rappeler les contours de cette mission.

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Madame, messieurs, je préciserai brièvement le cadre de notre mission. Elle fonctionne depuis juin 2018, pour un an, afin de traiter de sept thèmes : la vision et notre incapacité, peut-être, à nous projeter d'ici dix, vingt ou trente ans dans le nouveau paysage énergétique ; le développement des filières d'énergie renouvelable ; les mobilités ; les économies d'énergie ; la capacité des grands groupes de l'énergie à se transformer ; l'appropriation par les territoires d'un nouveau paysage énergétique plus décentralisé ; la fiscalité et les financements.

En tant qu'intéressés par les réseaux, vous êtes concernés par un grand nombre de sujets, dont la transformation des grands groupes et le développement des nouvelles énergies.

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Comme nous avons une très large table ronde, je propose que votre intervention liminaire n'excède pas la durée de sept minutes. Nous sommes conscients que le temps imparti est très court. Vous pourrez toutefois compléter votre intervention lors de la séquence de questions et réponses qui suivra.

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Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, merci de nous avoir invités. Je suis notamment accompagné par Domitille Bonnefoi, directrice des réseaux. Vous le savez, la CRE est toujours à la disposition des parlementaires.

Je vous invite, tout d'abord, à noter que le régulateur et les régulés forment une sorte d'équipe. Même si nous ne sommes pas d'accord sur tout, la qualité de l'ambiance entre nous est un des éléments du paysage et un bien commun.

En matière de réseaux électriques, mais cela vaut aussi pour les lieux de production de gaz en France, nous passons d'un système hérité de Charles VII, Charles De Gaulle et Marcel Paul, avec une centaine de lieux de production, à un système comportant des centaines de milliers, voire des millions de lieux de production, ce qui change radicalement la perception des réseaux. Philippe Monloubou pourra vous dire qu'il gère 1,3 million de kilomètres de réseaux…

Ne serait-ce que pour cette raison, les réseaux ont un rôle majeur à jouer dans la transition énergétique. Ma mission et celle de mes collaborateurs sont de les réguler, afin de les aider à jouer pleinement un rôle de facilitateurs. L'enjeu est non seulement d'atteindre les objectifs fixés en matière de transition énergétique, mais surtout de le faire à un coût maîtrisé. Le tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (TURPE) représente aujourd'hui un gros tiers de la facture du consommateur final. Cet élément pèse lourd sur les chiffres d'affaires des uns et des autres.

La régulation des réseaux a été au coeur de la construction du marché intérieur et de l'ouverture des marchés à la concurrence par la non-discrimination. Cette concurrence agit certes aujourd'hui sur les prix, mais son véritable enjeu, c'est l'innovation. Sans la concurrence, la liberté et la non-discrimination, on n'aura pas l'innovation et pas de transition énergétique. La CRE doit y veiller. Elle a pour cela publié récemment son onzième rapport sur le respect par les gestionnaires de réseaux des codes de bonne conduite et d'indépendance, au bénéfice du développement de l'innovation.

Les réseaux et les interconnexions ont été la pierre angulaire de la construction du marché intérieur de l'énergie. Je me félicite que, tous ensemble, avec les fonctionnaires du ministère de l'Europe et des affaires étrangères, avec la représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne à Bruxelles, nous ayons été très actifs dans la mise en oeuvre de règles optimisées à l'échelle européenne pour l'utilisation des interconnexions, sujet compliqué. Nous avons des sujets de préoccupation avec la Suisse et ceux liés au Brexit sont gigantesques : doit-on ou non couper et dans quelles conditions ?

Les gestionnaires se sont impliqués dans le couplage des marchés. L'équilibre entre achats et ventes sur les réseaux s'effectuant toutes les minutes ou toutes les trente secondes sur les réseaux,…

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François Brottes, président du directoire du Réseau de transport d'électricité (RTE)

Toutes les secondes !

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Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)

…l'interconnexion européenne change complètement la donne. L'intégration des réseaux est fondamentale.

Concernant les enjeux européens, il convient de poursuivre le développement des interconnexions en veillant à ne le faire que pour celles utiles à la collectivité. Il s'agit d'éviter de faire porter au consommateur final français des coûts inutiles, de limiter les risques de coûts échoués et d'éviter des violences environnementales inutiles. Je rappelle que nous devons exporter 15 % de l'électricité française en chiffres bruts et 11 % en chiffres nets. Nous jouons donc aussi avec les réseaux un rôle économique considérable.

Au titre des succès, je citerai le projet d'interconnexion Golfe de Gascogne, réalisé, et le projet Celtic, sur le point de l'être. En revanche, nous sommes radicalement hostiles au projet STEP (South Transit East Pyrenees), qui n'apporterait pas d'avantage au consommateur final français et serait coûteux en termes de violences environnementales et de TURPE.

Face à un secteur énergétique en forte évolution, certains acquis doivent être préservés, mais il faut aller plus loin : les gestionnaires des réseaux doivent devenir des facilitateurs de la transition énergétique.

Les compteurs intelligents coûtent un peu cher, mais ils vont tellement rapporter qu'ils représentent un bon investissement. Économiquement, c'est déjà pas mal, mais Philippe Monloubou vous dira peut-être qu'Enedis a exporté récemment la technologie française en Inde.

Il convient d'anticiper les évolutions des usages sur les réseaux, induites par l'autoconsommation, les véhicules électriques et le stockage.

Je me permettrai de revenir sur l'autoconsommation. Je n'ai pas compris le sens de la rédaction de l'article 43 bis du projet de loi relatif à la croissance et à la transformation des entreprises (PACTE). J'ai la réputation d'être contre l'autoconsommation. À mon sens, le cadre proposé pour les expérimentations d'autoconsommation n'est pas une bonne affaire pour les réseaux. Où est l'équilibre financier ? Où est la recherche des méthodes d'équilibre des réseaux ? Où est le financement ? Je ne crois pas à l'isolationnisme énergétique, pour ne pas employer des mots plus lourds.

L'innovation, ce sont les réseaux. Il n'y a pas d'innovation sans un rôle parfait des réseaux.

Quant au rôle de la CRE, nous avons mis en place un comité de prospective dont un groupe « réseaux » participe toujours aux travaux, pour essayer d'anticiper. Il nous faut travailler sur des tests. Autant j'ai été surpris par les dispositions adoptées en matière d'autoconsommation, autant je me réjouis de la possibilité de mettre en oeuvre un « bac à sable réglementaire » afin de réaliser des tests de manière intelligente. Je me félicite surtout qu'on y ait inclus le gaz. Ce qui va se passer en matière de gaz vert doit être testé et financé dans le cadre d'une expérimentation.

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Philippe Monloubou, président du directoire d'Enedis

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, merci de nous fournir l'occasion de nous exprimer sur un sujet clé. Vous l'avez intitulé « Freins à la transition énergétique », or, sans avoir atteint les objectifs affichés dans le projet de PPE, nous avons déjà fait beaucoup, en sorte que nous pourrions d'ores et déjà parler de leviers.

Quelque 17 gigawatts (GW) d'énergies renouvelables (ENR) sont d'ores et déjà raccordés aux réseaux. En dix ans, 24 000 bornes de recharge ont été installées, certes pas toutes publiques. On compte 17 millions de compteurs communicants et près de 400 000 producteurs. Ils ne sont pas tous du niveau des producteurs historiques, mais ce sont tout de même des producteurs, avec des contrats de production, c'est-à-dire avec l'ingénierie nécessaire et les impacts sur le réseau. Autrement dit, nous avons acquis une expérience ENR, parfois au prix d'adaptations réalisées au pas de course, aujourd'hui installée dans le processus industriel.

Madame la présidente, vous avez évoqué à juste titre la transformation fondamentale des entreprises. Il nous revient de le faire, et cela ne doit pas être un frein. J'ai coutume de dire, d'une façon un peu simplificatrice, qu'après avoir été des industries du temps long et de la linéarité, nous devenons des industries du temps réel et de la dimension systémique. Il ne s'agit plus de délivrer un kilowattheure top-down mais d'équilibrer à toutes les mailles l'intégration massive d'énergie renouvelable et de gérer des véhicules ou du stockage. Cette dimension doit être rendue industriellement soutenable, ce qu'il nous appartient de faire.

J'en reviens aux leviers. La transition énergétique s'effectue de plus en plus à l'initiative des territoires eux-mêmes, dans une logique de valorisation de leurs ressources. Leur capacité à développer les principes fondamentaux de la transition énergétique s'exerce à plusieurs niveaux. François Brottes le dira peut-être différemment, mais, pour intégrer massivement et raccorder ces énergies renouvelables, il convient d'en anticiper au maximum l'impact sur les réseaux dans la programmation, la vision, la mise en oeuvre de la production des énergies renouvelables comme de la mobilité électrique. Nous avons eu ces débats à l'occasion de certaines évolutions législatives. C'est un point clé.

On peut parler de schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), de plan climat air-énergie territorial (PCAET), de schémas directeurs à différents niveaux, des schémas que les syndicats d'électrification ont pu développer par eux-mêmes ou de la vision propre des collectivités, un des vecteurs de l'efficacité est la capacité de coordination. Nous avons une part de responsabilité, mais elle ne saurait être exclusive, elle devra être soutenue à tous les niveaux en vue d'une optimisation globale. C'est une question d'efficience, de rapport coûtefficacité, d'optimisation des investissements réseaux. Je rejoins ce que disait Jean-François Carenco : en fonction des modalités d'implantation et de la vision d'ensemble, l'impact sur le réseau et l'atteinte des ambitions de la transition énergétique seront différents. Compte tenu du fait que les constantes de temps ne sont plus les mêmes que celles que nous avons connues historiquement, il est indispensable que cette vision d'ensemble soit meilleure que celle que nous avons connue jusqu'à présent.

S'agissant des raccordements, nous sommes régulièrement sollicités, pour ne pas dire challengés, voire critiqués, parfois à juste titre. Par définition, les 100 % de qualité des processus industriels ne sont pas de ce monde. En outre, et le sujet avait été souligné par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), certaines procédures de simplification tardent à venir. Certaines procédures administratives datent d'une époque où le numérique n'existait pas, où l'urbanisation et l'environnement des villes ou des collectivités n'obéissaient pas aux mêmes logiques de coordination. Si l'on veut éviter d'être confronté à des difficultés pour tenir les objectifs fixés localement et nationalement, il convient d'accélérer la simplification, non seulement au sein des entreprises, et cela relève de notre responsabilité, mais aussi dans le champ administratif.

En résumé, la clarification des liens entre les différents espaces de planification, la mise en cohérence des ambitions et la simplification en matière de raccordement seraient sans nul doute un facteur de réussite ou, à tout le moins, d'accélération de la réussite des ambitions de la transition énergétique.

Par ailleurs, il convient de donner au consommateur les moyens d'agir. La programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) contient de nombreux éléments liés au mix énergétique et d'autres liés à l'efficacité énergétique. Ce sujet concerne l'ensemble des parties prenantes, c'est-à-dire les collectivités mais aussi le citoyen consommateur dans une logique d'équité d'accès à la maîtrise de l'empreinte énergétique et de la consommation.

Jean-François Carenco a évoqué le compteur communicant Linky, outil en cours de déploiement. Aujourd'hui, le compteur communicant n'est plus une option. Cela vaut pour l'Inde comme pour n'importe quel autre pays. Comme l'a dit Jean-François Carenco, il n'y aura pas de transition énergétique sans compteur communicant, pour la simple raison que pour développer l'efficacité énergétique, comprendre la facture à l'échelle d'un bâtiment ou d'une collectivité, et tout simplement pour déployer massivement des ENR à l'échelle des territoires, il faut des données. Nous y travaillons. Plus de la moitié des foyers français sont équipés d'un compteur Linky. Il ne vous échappe pas qu'il subsiste encore quelques résistances, relevant parfois d'archaïsmes ou de visions exacerbées. Je souhaite là aussi l'envoi d'un message fort afin que l'opposition à certains dogmes ou visions hérités d'une autre époque soit soutenue l'ensemble des acteurs. Je ne vise pas le régulateur qui, sur ce point, nous apporte un soutien indéfectible.

J'évoquerai enfin la dimension tarifaire pour laquelle nous travaillons activement avec la CRE. L'évolution de l'autoconsommation justifie une révision de la structure même des tarifs afin d'envoyer des signaux économiques bons et justes. De plus, des niveaux d'investissement élevés seront nécessaires. Pour sécuriser durablement la capacité d'investissement sur les réseaux avec les bons actionnaires, il faut faire en sorte que le tarif rémunère durablement les investissements au bon niveau. Par conséquent, la PPE doit être juste et soutenable du côté actionnarial et du client final. Cet équilibre auquel travaillons avec la CRE sera un autre élément déterminant de la transition énergétique.

En conclusion, la solidarité et la péréquation deviennent plus que jamais des facteurs clés. La transition énergétique ne se fera pas sans une exigence accrue en matière de résilience et de qualité des réseaux. Parce que les métiers changent profondément, qu'il s'agisse du transport du gaz ou de la production d'énergie, il est besoin de niveaux d'opérateurs industriels d'une tout autre dimension que ceux que nous avons connus. Il nous faut aussi la durée, parce que les engagements et les durées d'investissement portent sur du temps long. C'est pourquoi nous gérons actuellement de nouveaux équilibres contractuels entre concédants et concessionnaires.

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François Brottes, président du directoire du Réseau de transport d'électricité (RTE)

Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je ne pourrai pas, en cinq minutes, faire beaucoup plus que lire mon sommaire, avant de répondre à vos questions, bien que j'aie préparé une intervention pour vous être utiles. Merci de cette mission sur les freins à la transition énergétique. Je sais que, dans cette maison, on sait parfois lever les freins, et ce travail est destiné à vous éclairer sur des possibilités de déblocage…

Je rappelle que RTE est au coeur de la transition énergétique électrique aussi bien que gazière, secteur avec lequel nous entretenons des liens de plus en plus étroits, le gaz étant un élément de la réussite de la transition. Sans raccordement à un réseau, il n'y a pas de production. Or les producteurs autonomes potentiels ne souhaitent pas forcément se couper complètement du réseau, faute de quoi ils n'auraient plus d'assurance. Je remercie le président de la CRE d'y être attentif. Qu'on n'utilise pas le réseau ou qu'on veuille l'utiliser à n'importe quel moment, le prix est identique, puisqu'il est essentiellement constitué de charges fixes.

L'entreprise RTE travaille en France continentale et en Europe. Agir sur un réseau européen est une chance pour nous tous, car cela permet d'organiser nombre de solidarités. Nous regrettons toutefois que les parcs de production de nos différents pays ne soient pas coordonnés. Les pays prennent des initiatives, les parlements des pays prennent des initiatives, des PPE s'organisent ici ou là, mais chacun fait son mix dans son coin sans parler avec le voisin. Or les réseaux étant interconnectés, ils doivent parfois gérer les éléments de vulnérabilité qui se compilent faute de coordination.

Mon « sommaire » est ainsi composé : chapitre 1er, les contraintes liées aux lois de la physique, lesquelles ne font pas de politique ; chapitre 2, les contraintes liées aux règles du marché ; chapitre 3, les contraintes liées à des problèmes politico-sociétaux d'acceptabilité des ENR. Je pourrais développer longuement chacun de ces chapitres, mais je crains de ne pas en avoir le temps.

Concernant les lois de la physique, un réseau de transport doit être maintenu à une fréquence de 50 hertz, ce qui se joue à la seconde près. Quand la fréquence s'écroule, le réseau s'écroule, et c'est le « black-out », avec lequel on ne peut faire ni renouvelable ni non renouvelable. On peut battre des records d'exportation, comme cela a été le cas de la France le 22 février 2019, avec 17 415 mégawatts (MW), soit 23 % de la production, et avoir de temps en temps – quatre jours cette année, une quinzaine de jours l'année dernière – des moments de fragilité liés à des éléments de météo, qui ne fait pas non plus de politique. Un degré en moins, c'est un besoin de 2 400 MW supplémentaires. Je rappelle que nous sommes les plus thermosensibles d'Europe, avec beaucoup de chauffage électrique, et nous portons à nous seuls 50 % de cette thermosensibilité.

Le réglage de la tension est un autre sujet. Si la tension n'est pas maintenue, le réseau s'écroule. La question se pose plutôt par plaques régionales. Alors que l'équilibre entre demandes est au rendez-vous, on est obligé de recourir à des outils pour mettre la tension au niveau. Philippe Monloubou recourt de plus en plus au réseau de transport. Comme il y a de plus en plus de production locale, qu'il n'est pas chargé de l'équilibre entre demandes mais que cela relève de notre compétence, les équipes de Philippe Monloubou, quand elles en ont trop, en envoient chez le voisin. En décembre 2016 et décembre 2017, les deux mêmes mois, c'était plus 180 %, ce qui n'est pas rien. En moyenne, c'est plus 50 %. C'est bon signe, cela signifie qu'il y a de plus en plus de production décentralisée, mais cela nous oblige à changer nos modes de gestion, de langage, d'équilibre, donc d'exercer un nouveau métier, avec des milliers d'acteurs en plus.

Les énergies renouvelables sont très sensibles à la météo. Quand il n'y a pas de vent, c'est difficile pour l'éolien et quand il n'y a pas de soleil, c'est difficile pour le photovoltaïque. Cela se prévoit de plus en plus facilement mais c'est une prévision qu'on subit. Il y a tout de même lieu de se réjouir d'avoir battu, il y a peu, le record de production éolienne, avec l'équivalent de 82 % de la puissance installée. Là aussi, il y a un « faux ami » : ce n'est pas parce qu'on installe tant de GW en éolien que l'on obtient autant de GW en production. C'est beaucoup moins le cas pour le nucléaire, qui reste tout de même le principal élément du parc de production français, mais au cours du mois de décembre 2018, la production éolienne a varié entre 1 % et 82 % de la puissance installée. C'est un sport où il faut être assez flexible.

Concernant la contrainte des règles du marché, je ne reviendrai pas sur la multiplication des acteurs. Les règles de marché ne sont pas compatibles avec la physique. Ceux qui les conceptualisent considèrent que les blocs d'énergies vendus au pas horaire sont bâtis de la même façon et démarrent en même temps de la même façon. Or l'écroulement de fréquence auquel nous avons été confrontés le 10 janvier, à 21 h 02, était dû au fait qu'à l'heure ronde de 21 heures, un certain nombre de productions s'arrêtent et d'autres productions arrivent sur le marché. Le délai de prévision se raccourcit puisque les prévisions se font désormais plutôt en infrajournalier et non plus la veille, comme auparavant,. Le temps de démarrage d'une production éolienne n'a rien à voir avec celui d'une production thermique, nucléaire ou autre. On appelle cela du ramping. Cela ne fonctionne pas comme on veut et il y a du « retard à l'allumage ». Il est difficile de faire coïncider exactement la courbe de consommation avec la courbe de production. Il faut donc améliorer les règles du marché pour ne pas subir une nouvelle catastrophe, comme celle subie le 10 janvier.

J'ajouterai que 42 % du volume de l'électricité sont aujourd'hui échangés dans la journée sur les marchés, contre 2 % à 3 % auparavant. Cela signifie que les marchés fonctionnent, qu'il y a de plus en plus d'acteurs, mais aussi que la logistique doit suivre avec des moyens nouveaux. Heureusement que les régulateurs sont là !

De plus, il y a encore de l'idéologie. L'Europe nous dit que 15 % du volume de notre production potentielle devra être mis en interconnexions. Pour quoi faire ? Combien cela coûte-t-il ? Est-ce sérieux ? L'Europe nous dit : les interconnexions, c'est bien, mais nous en avons 50 avec les autres pays et 420 en Europe. Dès lors, 70 % des tuyaux doivent être laissés au marché, le reste pouvant être à la main des gestionnaires de réseau de transport. Ces 70 % sont-ils applicables sur l'année ou par seconde ? On peut se retrouver dans l'embarras en appliquant une règle débile pour la sûreté électrique du réseau.

Je vous alerte sur ces sujets, parce que les énergies renouvelables ont la chance d'avoir un réseau interconnecté. Comme il y a toujours du vent quelque part, elles trouvent une place pour s'exprimer sur les réseaux.

Nous travaillons sur la mutualisation, mais, pour moi, les contraintes sont politico-sociétales. Le droit au recours fait partie de la démocratie, comme le droit de manifester. Mais nous avons affaire à des opposants qui usent en permanence d'arguments dilatoires et pour qui il ne s'agit pas d'aménager un projet mais de l'empêcher. Depuis 2012, aucun projet de parc offshore n'a épuisé l'ensemble de ses recours. Des ouvrages indispensables à la sûreté électrique du pays sont arrêtés parce que les tribunaux prennent leur temps pour répondre. Il faut absolument que vous leur forciez la main en raccourcissant les délais. Il est inutile de fixer des objectifs à atteindre pour le climat ou pour la PPE si l'on est incapable de les mettre en oeuvre. Or, aujourd'hui, dans beaucoup d'endroits, on en est incapable.

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édouard Sauvage, directeur général de GRDF

Je rebondirai sur les sept thèmes évoqués par le rapporteur. À GRDF, nous avons la conviction que deux de ces thèmes doivent être développés ensemble : la vision et les territoires. Nous sommes convaincus que la transition énergétique ne peut procéder de décisions de l'État seul mais qu'elle relève de choix sociétaux. Compte tenu de la complexité du challenge visant à aller vers un monde décarboné, la vision ne peut être acceptée par la société que si elle part des territoires. Cela doit être une préoccupation permanente du législateur et de tous les acteurs. Sommes-nous bien, dans les décisions qui sont prises, dans l'anticipation des attentes réelles des territoires ?

Philippe Monloubou parlait des PCAET, des SRADDET, de toutes les initiatives prises par des entreprises, des individus ou des collectivités locales pour participer à la transition énergétique. Le projet de PPE mentionne sur deux pages l'existence de ces schémas mais ne l'analyse pas. On ne peut réussir la transition énergétique si elle ne part pas des territoires. À l'évidence, les gestionnaires de réseau des territoires sont un opérateur essentiel. Le président Carenco rappelait que la distribution est un bien commun ; j'ajouterai qu'elle est un bien qui appartient aux collectivités locales, donc un bien public. Le challenge est bien pour GRDF de trouver le juste équilibre entre l'efficacité que permet un opérateur national et l'attente des collectivités locales. C'est bien parce que les attentes sociétales seront reflétées dans les différentes politiques mises en place que nous pourrons réussir la transition énergétique. Il convient en priorité de définir l'ambition des collectivités locales et les attentes de la société.

J'ai eu l'occasion de dire que nous avions été surpris de constater dans les annonces relatives à la PPE que les arbitrages budgétaires allaient à l'encontre du développement des énergies renouvelables plébiscitées lors du débat public. Je pense à la méthanisation et à la géothermie, alors que plus grand budget est prévu pour l'énergie renouvelable, qui avait recueilli le moins d'enthousiasme et qui correspondait le moins à une attente sociétale ou à une attente des territoires. Là aussi, la transition énergétique réussira si elle correspond aux attentes de la société, sauf à démontrer que des choix différents font sens économiquement.

Il faut être capable de justifier de plus en plus la pertinence économique. D'où l'intérêt d'avoir un régulateur qui monte en compétence et qui anime les débats pour définir le choix économique et indiquer les euros de dépense publique évités par tonne de CO2. J'ai vainement cherché dans la PPE une explication politique par politique, tout comme j'y ai cherché vainement la dépense publique attachée à certaines politiques. Il y a bien une annonce de milliards prévue pour les énergies renouvelables, mais le bilan en euros par tonne de CO2 évitée par ces différentes politiques n'est pas indiqué.

Plutôt que de ne voir le carbone que sous forme de taxe, ce qui provoque un rejet, une saine politique publique consiste pour nous à définir la valeur tutélaire du carbone, et quel est le bilan en euro par tonne de CO2 évitée des différentes politiques et les différents investissements proposés. Le frein majeur à un développement économique réussi et partagé, c'est l'absence de tels chiffrages et l'absence de débat contradictoire. Certes, l'analyse du bilan carbone d'un cycle de vie complet d'un véhicule électrique est complexe et peut donner lieu à des débats d'experts, mais il est incontournable et d'ailleurs souvent bien réalisé par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME). Les données existent, mais elles ne sont pas suffisamment débattues et mises sur la place publique. Seuls des débats comme on peut en avoir dans les groupes prospectifs de la CRE permettront de faire comprendre certains choix qui ne répondent pas à l'envie spontanée des habitants.

Des freins techniques évidents ont été mentionnés par mes collègues, notamment les délais. Pourquoi, dans notre pays, certains projets nécessitent trois à quatre fois plus de temps pour être réalisés que d'autres ? Ainsi, le Parlement, et je m'en réjouis, a voté le droit à l'injection pour les projets de méthanisation. Mais six mois après la promulgation de la loi, le décret définissant qui paie quoi n'est toujours pas publié. Ce sont six mois de perdus pour la transition énergétique et le développement de la méthanisation.

Un autre élément évident d'une transition énergétique réussie est la stabilité. Des règles changeant en permanence ne peuvent influer positivement sur les acteurs. C'est le cas du crédit d'impôt transition énergétique. Il donne lieu chaque année à des débats sans fin pour savoir s'il faut ajouter ceci ou supprimer cela, ce qui crée de l'incertitude. Lorsqu'il y a de l'incertitude, les seuls projets qui se réalisent et qui bénéficient de la subvention publique sont ceux qui se seraient réalisés de toute manière, en sorte qu'une dépense publique reste inefficace. Si nous sommes en retard en matière d'efficacité énergétique, c'est non seulement parce que ce n'est pas une priorité, mais aussi et surtout parce que les subventions et les certificats d'énergie changent tout le temps.

Enfin, comme nous sommes, à GRDF, intimement convaincus de la nécessité de l'efficacité énergétique, nous avons beaucoup plaidé pour l'instauration d'une prime à la casse des vieilles chaudières. Nous nous réjouissons que le décret soit enfin paru. Je rappelle que le potentiel est de 50 térawattheures (TWH) économisés, pour un parc de chaudières équivalent à celui des Pays-Bas. Il ne s'agit pas de rêver à des innovations technologiques qui arriveront dans dix ans. Il s'agit simplement de subventionner ce qui est le plus efficace. Remplacer sa vieille chaudière à gaz par une chaudière à condensation représente une économie immédiate de 30 %. Il n'y a pas à réfléchir sur des bouquets de travaux compliqués que personne ne fera. Il faut du pragmatisme, écouter la société, adopter une approche claire de l'avantage des différentes solutions. Or nous sommes convaincus, et Pierre Duvieusart y reviendra certainement, que le gaz est indispensable, notamment pour les usages chaleur, parce qu'il permet un stockage saisonnier. Le parc électrique français a appris à moduler sa production pour suivre le chauffage. Il doit le faire aussi en suivant la météo. S'il y a moins de soleil ou moins de vent, il ne pourra pas réaliser les deux modulations en même temps. Certains plaident pour une relance du chauffage électrique. Nous pensons que ce serait irresponsable du point de vue économique et environnemental.

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Pierre Duvieusart, directeur général adjoint de GRT Gaz

Je souhaiterais vous faire partager deux convictions fortes de GRT Gaz à l'aune de la stratégie nationale bas-carbone.

La première, c'est qu'il y a plusieurs manières d'aboutir à la neutralité carbone à l'horizon 2050. Par définition, il y a beaucoup d'incertitudes sur le chemin : incertitudes technologiques, incertitudes sur l'évolution du développement de certaines filières, incertitudes comportementales d'acceptation. Il est important de rester collectivement ouverts aux différentes solutions possibles et de ne pas se fermer de portes trop vite. Autrement dit, il ne faut pas mettre trop tôt tous ses oeufs dans le même panier.

La seconde conviction, c'est que, quelle que soit la cible en 2050, il y aura un vecteur gazier décarboné significatif. Pour gérer l'intersaisonnalité – je fais écho à ce qu'on dit certains de mes prédécesseurs – le fluide gazier a des atouts naturels. Aisément stockable, il se prête à des usages nécessitant de la puissance embarquée, c'est-à-dire des usages de mobilité. La complémentarité des systèmes énergétiques a déjà été évoquée et semble assez partagée au niveau européen tant par les gaziers que par les électriciens. Nous avons l'espoir que le quatrième « paquet énergie » européen qui va entrer en discussion en fera la démonstration. Un mix qui ne laisserait pas de place au gaz serait un mix désoptimisé pour la collectivité, pour les consommateurs comme pour les producteurs.

Forts de ces convictions, regardons, plus près de nous, les orientations à prendre à l'horizon 2030. La filière gazière soutient plusieurs vecteurs, notamment la production de biométhane en tant que source de gaz en développement et le nouvel usage du gaz en mobilité. Nous sommes convaincus que ces deux orientations seront sans regret pour la collectivité, parce qu'elle s'inscrit dans la cible et parce qu'elles présentent des externalités complémentaires positives.

On parle souvent – j'ai entendu le président Carenco l'évoquer – des quatre politiques soutenues par le biométhane : énergie et climat, aménagement du territoire, agriculture et agroécologie, déchets et économie circulaire. On peut d'ailleurs noter qu'aujourd'hui, seule la politique « énergie et climat » soutient le développement du biométhane et que la volonté de verdir le gaz ne bénéficie que d'une très faible partie de la contribution de l'énergie gazière aux équilibres budgétaires du pays.

Ces deux orientations sont très fortement soutenues par les territoires et se retrouvent dans les SRADDET.

J'évoquerai maintenant quelques freins concrets et immédiats.

Concernant les orientations, nous considérons que les cibles aujourd'hui affichées ne sont pas suffisamment ambitieuses - je pense principalement au biométhane – et sont même revues à la baisse, ce qui n'est pas un bon signal donné pour développer ces filières, qui plus est avec des conditions de rachat qui se durcissent. À notre connaissance, cela n'avait jamais été envisagé pour aucune autre filière ENR.

Dans certains cas, les textes sont publiés en décalage temporel par rapport aux votes du législateur. Un texte a été évoqué. Nous pensons également à un arrêté tarifaire sur la réfaction, pour lequel il s'est écoulé une bonne année entre le vote de la loi et l'opérationnalité, donc à l'utilisation par les porteurs de projets.

Un troisième frein est représenté par le stop-and-go, qui envoie un signal très négatif sur le biométhane. Annoncer une baisse des prix assez forte induit une efficience économique et une efficience de la dépense publique évidentes, mais annoncer rapidement des baisses de soutien fortes conduit à une accumulation de projets en un temps resserré. Les porteurs de projets disent que cela conduit mécaniquement à un renchérissement des coûts immédiat, avec un risque de réduction brutale. Nous militons pour réduire ces stop-and-go.

On peut d'ailleurs prendre exemple sur ce qui a été fait en matière de mobilité, où l'aide est plus permanente. Le développement du gaz dans les mobilités poids lourds et pour les véhicules utilitaires est positif. Nous espérons que ce soutien perdurera, nous en espérons même davantage sur certaines filières.

Il faut être vigilant sur l'action au niveau européen. Je rejoins ce qu'a dit Édouard Sauvage sur l'importance de l'analyse des cycles de vie. Elle n'est pas réalisée au niveau européen. On s'en tient aux émissions des pots d'échappement, ce qui ne va pas dans le bon sens pour prendre les bonnes décisions collectives.

À un horizon plus lointain, concernant les « nouveaux gaz », c'est-à-dire les filières power to gas, ou pyrogazéification, il importe de passer dès à présent de la phase expérimentale à la phase industrielle et de mettre en place des mécanismes de soutien plus pérennes.

En conclusion, le réseau de gaz, qui est aujourd'hui construit et en bonne partie amorti, et dont le coût marginal est donc assez faible, constitue un actif collectif plus que précieux. Il dispose d'une puissance d'appel considérable, aujourd'hui 50 % supérieure à celle du réseau électrique, et est très rapidement mobilisable. D'une longueur de plus de 200 000 kilomètres en France, le réseau gazier est discret, opérationnel vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept, quelles que soient les conditions climatiques. Il présente une grande qualité pour les paysages et la biodiversité. C'est donc un atout à cultiver pour notre transition énergétique.

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Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

Merci, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, d'avoir invité les représentants des territoires que nous sommes. Les collectivités locales et les territoires sont des acteurs incontournables de la réussite de la transition énergétique. Nos territoires sont présents sur tous les maillons de la chaîne énergétique, de la production aux usages en passant par les réseaux. Au regard du format de cette audition, j'évoquerai plus particulièrement les réseaux.

Le dénominateur commun des trois réseaux de distribution d'énergie – électricité, gaz et chaleur – est leur appartenance aux collectivités locales en leur qualité d'autorités concédantes de la distribution d'énergie de réseaux et, parfois, de maîtres d'ouvrage de travaux.

Nous représentons les collectivités décentralisées et nous pensons que la décentralisation ajoute à l'efficacité de la transition. Pour autant, comme l'évoquait le président Carenco, nous sommes attachés à la préservation de la cohésion territoriale et de ce qui l'incarne, c'est-à-dire la péréquation, notamment s'agissant de l'électricité. Le sujet est pour nous de bien positionner nos collectivités sur une synthèse entre l'efficacité territoriale locale et la participation à une vision nationale incontournable.

Je me livrerai à un « zoom » rapide sur les trois réseaux d'énergie.

Les collectivités que nous représentons, c'est-à-dire, pour l'essentiel, de grands syndicats d'énergie et des métropoles, sont les autorités organisatrices de la distribution d'électricité, qu'elles concèdent aux gestionnaires de réseau que sont Enedis et les entreprises locales de distribution non nationalisées. Je signale au passage que ces concessions comprennent également un volet fourniture, puisqu'elles conduisent la collectivité à concéder de l'activité de fourniture au tarif réglementé de vente à l'opérateur de fourniture, par exemple, à EDF pour la majeure partie du territoire. Dans le cadre de ces concessions, les collectivités ont d'abord un rôle d'impulsion qui s'incarne dans les contrats de concession.

Rappelons ici que nous avons opéré en partenariat avec France Urbaine et Enedis, à la fin de l'année 2017, une rénovation des contrats de concession en diffusant un nouveau modèle qui avait pour ambition d'inclure très largement les enjeux de la transition énergique. Nous avons évoqué à plusieurs reprises la nécessité d'avoir une vision. C'est un point important de ces nouveaux modèles, puisque nous y avons intégré de nouveaux outils : des schémas directeurs, des programmes pluriannuels d'investissement qui ont précisément pour vocation de clarifier la façon dont la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables vont s'opérer dans les territoires. Il y a donc des leviers intéressants.

Il y a également des freins. Je me limiterai à signaler l'insuffisante agilité de l'outil pourtant remarquable qu'est le compte d'affectation spéciale (CAS) « financement des aides aux collectivités pour l'électrification rurale » (FACE). Ce fonds, ancien, qui a joué un rôle fondamental dans l'équipement du territoire en réseaux d'électricité, doit aujourd'hui s'adapter à la transition énergétique. D'ailleurs, la Cour des comptes, après l'avoir contrôlé, l'a signalé dans son rapport public de l'année dernière. Il ne s'agit pas de renoncer au caractère rural du FACE. La ruralité est un partenaire essentiel de la transition énergétique, car c'est bien dans la ruralité que l'on peut déployer des capacités d'énergie tout simplement parce que c'est là que le foncier se trouve. Toutefois, cet outil n'a pas été suffisamment adapté aux nouveaux objectifs de la transition énergétique. S'il est bien adapté au financement des extensions et des renouvellements de réseaux, à la sécurisation physique des réseaux, en revanche, toute une série d'objets nouveaux évoqués par la Cour des comptes - économies d'énergie, rationalisation des réseaux, rénovation énergétique, stockage – mériteraient d'être inclus dans ce dispositif. Nous en avons fait la demande à plusieurs reprises.

Nous trouvons que l'État tarde un peu à prendre les mesures réglementaires capables de mettre en place les sous-programmes correspondants. En particulier le FACE pourrait traiter le déploiement des bornes de recharge des véhicules électriques. Les autorités concédantes que nous représentons ont assuré le déploiement d'environ les deux tiers des infrastructures de recharge actuellement présentes sur le domaine public. Pour autant, l'équipement du territoire n'est pas terminé et doit être parachevé. Pour ce faire, nous avons besoin de financements complémentaires. Il nous semble que, compte tenu de l'articulation entre les bornes de recharge, la mobilité électrique et le stockage, il y aurait un intérêt à l'inclure dans le périmètre du FACE.

J'évoquerai également les questions gazières qui viennent d'être abordées. Nous adhérons à l'idée que le gaz concourt positivement au mix énergétique local et qu'il peut être un point d'appui de la transition énergétique, notamment par le développement du biométhane. Toutefois, je partage les points de vue avancés notamment par Edouard Sauvage. Nous trouvons que les signaux qu'on s'apprête à donner dans la PPE manquent d'ambition au regard du développement du biométhane.

Nous rencontrons aussi un problème de réglementation. Si le législateur, dans la loi du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite « loi EGALIM », a bien intégré les collectivités que nous représentons dans les boucles de procédure du déploiement du biométhane sur le territoire, en revanche, nous ne sommes pas associés à la préparation des textes réglementaires d'application. Les quelques informations fragmentaires que nous avons captées nous laissent craindre que, dans la rédaction de ces projets de décrets, les collectivités locales soient purement et simplement oubliées, à la fois comme parties prenantes de la planification énergétique locale et comme cofinanceurs du développement des réseaux qui raccorderont les méthaniseurs au réseau de distribution. Ce serait créer une fragilité juridique et une insuffisance en termes de bouclage financier. Nous pensons qu'il faut rapidement remettre les choses en place sur ce plan.

La CRE est un acteur important. Il faut travailler à une meilleure coordination entre le régulateur national qu'est la CRE et les régulateurs locaux que sont les autorités concédantes. Nous intervenons parfois sur des sujets communs, tels que des indicateurs de performance ou une vision prospective du développement des réseaux, mais nous trouvons que cette coordination est insuffisamment assurée.

Les collectivités organisent également les réseaux de distribution de chaleur et de froid. La chaleur renouvelable étant un bon vecteur de la décarbonation des systèmes énergétiques. Nous soutenons son développement, mais nous regrettons que la PPE mette insuffisamment l'accent sur le froid renouvelable. On ne lui a pas fixé d'objectifs spécifiques, alors que l'évolution du climat va rendre la problématique des îlots de chaleur et de la climatisation de plus en plus prégnante.

Pour conclure, vous l'avez compris, nous pensons que les territoires sont des points d'appui incontournables de la transition énergétique et surtout des lieux de synthèse entre l'efficacité environnementale, l'efficacité économique et la préservation de la cohésion sociale et territoriale, à condition que l'on sache situer les compétences au bon niveau, c'està-dire un niveau de collectivités organisatrices de taille suffisante, ce qui est le modèle que nous défendons.

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Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE)

Je tiens à vous remercier tout particulièrement de nous avoir conviés à ce débat puisque, au regard de notre taille de représentants des réseaux de chaleur, avec 5 000 kilomètres de réseau, nous sommes des nains. Nous sommes d'ailleurs souvent traités comme tels dans le débat public comme dans le débat politique, voire dans les comités de prospective ou les conseils nationaux. Toutefois, paradoxalement, en matière de transition énergétique, notamment en matière de décarbonation de l'énergie, donc de développement d'énergie renouvelable, nous sommes un des principaux vecteurs de soutien au développement de la distribution et de la promotion de la chaleur renouvelable.

Nous sommes un nain particulièrement efficace si l'on considère notre parcours sur les dernières années, depuis la création du fonds chaleur. Les réseaux qui véhiculaient 8 TWH de chaleur renouvelable en 2009 en véhiculaient 17 TWH en 2017, soit une progression tout à fait notable de notre contribution. Ces térawatt-heures pèsent très lourd dans le bilan national en matière d'émission de carbone. En pratique, nous avons divisé par deux, les émissions de CO2 par kilowattheure (KWh) produit et distribué par les réseaux de chaleur.

Nous sommes également efficaces en matière économique. M. Carenco le rappelait tout à l'heure, on a souvent oublié ce qu'on appelle aujourd'hui la maîtrise des coûts collectifs, que la PPE désigne comme un objectif majeur. De ce point de vue, avec la chaleur renouvelable et les réseaux qui les véhiculent, d'après le rapport de la Cour des comptes et le rapport de la direction du Trésor, nous sommes de très loin la solution la plus efficiente en termes d'euros de soutien public par tonne de CO2 économisée.

Dernier point sur lequel nous ne sommes pas des « nains » : nos projets, et les projets de chaleur renouvelable de façon générale, sont des projets de croissance verte. Si la loi du 17 août 2015 est intitulée « loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte », c'est parce que la chaleur renouvelable véhiculée par les réseaux se substitue à des importations d'énergie fossile, puisque la production de chaleur reste majoritairement d'origine fossile. Il s'agit de solutions locales, qui passent par des investissements, des emplois locaux, l'exploitation de ressources locales comme la biomasse et la géothermie. Ces projets sont des leviers de la croissance économique, parce qu'à travers les investissements, on génère, en substitution des importations des emplois locaux.

Tout cela fait que les réseaux de chaleur sont reconnus comme étant un vecteur important de cette transition.

Or, dans la pratique, nous ne sommes pas traités comme tels. Les résultats sont en retard. Nous sommes à environ la moitié du rythme de développement annuel attendu dans la précédente programmation pluriannuelle et répété dans la suivante, tout simplement parce que, bien que nous soyons économiquement le plus efficients, l'allocation de moyens financiers n'est pas suffisante. Nous réclamons non pas une enveloppe globale d'un fonds chaleur mais un peu plus d'aides par projet, d'autant plus indispensables que la trajectoire de la valorisation carbone à travers la contribution climat-énergie est actuellement suspendue. Nous pensons avoir une capacité de réaction importante pour atteindre ces objectifs. Nous estimons que la chaleur transportée par les réseaux de chaleur pourrait être multipliée par cinq. Nous l'avons vérifié auprès des territoires en matière de ressources et de capacité à le faire. C'est un objectif facilement atteignable pour autant qu'on le mette en tête de gondole et qu'on lui en donne les moyens.

À court terme, nos demandes et préconisations sont donc de réévaluer les dispositifs d'aide en fonction des projets. En outre, une partie de la compétitivité des réseaux de chaleur a été obtenue au travers de cogénérations de gaz, outils particulièrement efficients en matière de performance énergétique. Dans les prochaines années, ces installations vont sortir des dispositifs d'aide à travers des tarifs d'achat. Nous souhaiterions la mise en place d'un dispositif de soutien destiné à tout le moins à amortir au moins les installations existantes, de sorte qu'elles puissent continuer à contribuer, comme par le passé, à la compétitivité de la chaleur distribuée par réseau.

Enfin, les réseaux de chaleur doivent faire l'objet d'approches systémiques, ce qui est le cas d'à peu près tous. Un point d'équilibre doit être trouvé dans les plans d'aménagement urbain et les projets territoriaux entre la nécessité de garder une consommation suffisante et le besoin d'extension des réseaux. Nous souhaitons que ce sujet soit mieux pris en compte dans les SRADDET, les PCAET et les dispositifs de cette nature.

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Nous en arrivons au jeu des questions et réponses.

Au fil de toutes ces auditions, nous avons mis en évidence le fait que le rôle des gestionnaires de réseau est amené à évoluer. Chacun d'entre vous l'a dit, l'adaptation et la transformation des entreprises sont nécessaires. Votre rôle premier de transporteur va passer à celui de facilitateur d'énergie produite. Quels freins identifiez-vous à cette évolution ?

Nous avons aussi mis en évidence la complémentarité entre les réseaux de gaz et d'électricité, mais il en est moins souvent question avec les réseaux de chaleur. Une telle complémentarité doit-elle être, comme je le pense, renforcée ?

Quel rôle peut jouer l'hydrogène ?

Monsieur Monloubou, vous avez parlé de la révision de la structure tarifaire. Quelles pistes pouvez-vous nous indiquer en ce sens ?

L'autoconsommation a été évoquée à plusieurs reprises. Il convient de veiller à l'équilibre entre la production centralisée et la production décentralisée avec, en arrière-plan, la pérennité ou le danger que pourrait présenter la péréquation tarifaire. C'est aussi un sujet de débat régulier. Quel est votre regard sur ce sujet ?

Le développement du biogaz peine. La projection de la PPE à 2030 est-elle atteignable avec les moyens qui y sont alloués ?

Un élargissement de périmètre du FACE à enveloppe constante risquerait de provoquer une dilution des aides. Quels apports complémentaires voyez-vous pour cette enveloppe ?

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Je n'arrive pas encore à visualiser où l'on va stocker l'électricité fatale. Sera-ce localement ou centralement ? Avez-vous eu connaissance d'une expérience de power to gas, où l'électricité devient hydrogène réinjecté dans le méthane pour chauffer des logements ? Ce paysage est encore flou. Les collectivités locales imaginent pouvoir récupérer cette électricité fatale pour la mettre dans leurs réseaux. Où en est-on sur ce sujet ?

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Merci pour vos explications et vos présentations respectives. Je vous interrogerai sur un sujet que plusieurs d'entre vous ont mis en évidence, à savoir la place des territoires dans la réussite de la transition énergétique. Vos propos ont également mis en évidence deux échelles aux antipodes l'une de l'autre : d'un côté, l'échelle européenne avec des contraintes liées aux interconnexions, et, de l'autre côté, l'échelle des territoires, avec des productions décentralisées injectées dans vos réseaux respectifs. Entre ces deux échelles, où vous situez-vous ?

Vous avez décrit des objectifs communs : l'envie de réussir la transition énergétique, sa nécessaire efficience nécessaire et la stabilité réglementaire. Vos propos ont également mis en évidence des éléments de différenciation. Ils concernent la composition du mix énergétique, les innovations variables selon qu'on considère les énergies ou les objets utilisateurs de ces énergies, et les simplifications administratives qui peuvent varier selon le mix et selon qu'on considère la mobilité ou le chauffage dans les bâtiments. Compte tenu de ces différences, comment voyez-vous la coordination au niveau des territoires, que vous appelez de vos voeux ? De surcroît, cette coordination vient se heurter au millefeuille de dispositifs qui complexifie la mise en place de la transition énergétique par les uns et les autres, animés chacun d'une volonté politique pour leurs territoires – je pense au SRADDET, au PCAET, aux différents schémas qui, pourtant, devraient dialoguer entre eux. Comment voyez-vous cette coordination indispensable à l'acceptabilité sociétale du développement des énergies renouvelables, donc à l'atteinte des objectifs de la transition énergétique ?

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Ma question porte sur l'hydrogène, qui peut être un élément de rencontre des différents réseaux que vous gérez.

S'agissant de la production, nous sommes aujourd'hui dans une logique de soutien de l'hydrogène vert considéré comme un outil de stockage de l'électricité. Mais on peine à admettre que l'hydrogène « gris » et l'hydrogène fatal, issus de process industriel, puissent aussi être valorisés. Ils ne sont pourtant pas moins verts que d'autres hydrogènes issus d'une électrolyse anticipée dans le cadre de la gestion d'une pointe d'électricité. Je pense à une entreprise de ma circonscription qui produit de l'hydrogène fatal par électrolyse de l'eau, parce que le process industriel comprend une électrolyse. On n'arrive pas à mettre en place les règles relatives à la valorisation de ce produit, alors qu'il est techniquement et environnementalement tout à fait comparable à celui réalisé dans une usine spécialisée dans l'électrolyse. Alors que la transition énergétique devrait nous inciter à être ouverts à l'expérimentation, alors que vous dites qu'il faut se garder des certitudes et que nous sommes plutôt dans une phase de questionnement, n'est-on pas en train de répéter une attitude qui a conduit souvent la France à l'échec en matière d'innovation ?

Après la production se pose la question du stockage de l'hydrogène. L'acceptabilité de stockage d'hydrogène peut-elle être mise sur la place publique ? Est-on prêt à porter ce genre de débat ? J'ai conscience de l'incongruité de la question, puisque c'est un politique qui la pose à des techniciens alors que cela devrait être l'inverse, mais votre réponse m'intéresse.

Comment voyez-vous se construire le marché de la mobilité hydrogène ? On a beaucoup parlé de la mobilité électrique. J'ai retenu que l'essentiel serait la pluralité des modes énergétiques pour la mobilité mais, pour l'hydrogène, j'ai l'impression qu'on prend du retard.

Enfin, est-ce qu'on n'est pas en train, par dogmatisme, parce que l'on considère que le gaz n'est pas suffisamment vert, de se priver d'unités de production d'électricité au gaz, alors qu'on peut verdir le gaz et qu'on pourrait ainsi anticiper des cycles plus vertueux dans la production d'électricité ou d'autres sources de chaleur à base de gaz, qui auraient été verdies ?

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Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)

Aujourd'hui les engagements de la nation pris pour les trente ans qui viennent varient, suivant que l'on estime le prix du marché à 42 euros ou à 60 euros le MWh, entre 100 et 130 milliards d'euros. On ne peut pas échapper à cette donnée.

Tout est intéressant, mais les réseaux doivent obéir à un minimum de rationalité économique pour les réseaux, c'est-à-dire dépenser moins et produire moins d'agressions environnementales. Cela s'appelle la flexibilité, mot qui n'a pas été employé ce matin. La flexibilité par le stockage, les interconnexions, le stockage interne sur les réseaux est une donnée essentielle qu'on ne prend pas encore suffisamment en compte. Tous les moyens de productions sont bons, mais certains ne trouvent pas leur modèle économique. J'ai le souvenir d'un haut responsable d'un groupe de production par éoliennes, qui m'avait dit : nous serons entre 100 et 150 euros le MWh d'ici dix ans. Je l'avais invité à ne rien faire. Les réseaux doivent donner de la flexibilité mais ils ne peuvent permettre tout.

Quant à l'hydrogène, il n'a pas de modèle économique, sauf l'hydrogène fatal, dans des conditions particulières. La Société anonyme de la raffinerie des Antilles (SARA), en Martinique, qui dispose d'hydrogène fatal dans une raffinerie a annoncé son intention de s'en servir pour produire de l'électricité. On n'a pas besoin de produire plus d'électricité en Martinique, puisqu'il y a surcapacité dans tous les outre-mer, mais on en fait quand même, pour l'innovation. J'ai dit au dirigeant de la SARA : donnez-la nous puisqu'elle ne vaut rien. Il m'a répondu : non, je vais la vendre. Le sujet est le même pour les ordures ménagères et le gaz. On doit maintenant s'attacher à la valorisation de ce qui était auparavant res nullius, comme l'hydrogène fatal ou les ordures ménagères.

Monsieur Bolo, j'ai la réputation d'être hostile à l'autoconsommation et d'être un vieux jacobin. Mais, en matière de production d'énergie, je considère que nous devons nous entraider pour créer de la richesse dans les territoires à leur profit, au-delà des problèmes juridico-juridictionnels ou judiciaires. La présidente du conseil régional d'Occitanie, Carole Delga, « met le paquet » sur tel ou tel schéma d'énergie en vue de créer de la richesse.

Par ailleurs, comment aider, à des échelles plus petites, l'échange et l'innovation ? Il y a des innovations intéressantes comme les smart grids, dont Philippe Monloubou est un spécialiste. Concernant la production du gaz vert, une planification est nécessaire pour la création des réseaux et ne pas installer n'importe quoi n'importe où. Mais il faut veiller à ne pas couper la France en vingt-huit territoires…

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François Brottes, président du directoire du Réseau de transport d'électricité (RTE)

Dans le prolongement de ce que vient de dire Jean-François Carenco, n'oubliez pas, dans cette enceinte qui se préoccupe d'aménagement du territoire, la péréquation. Les réseaux n'y sont pas pour rien. Les décalages entre les territoires, et ce que nous vivons dans notre pays aujourd'hui, le montrent aussi : il est inacceptable de ne pas garantir la même qualité et le même service partout sur le territoire. Le gaz est sur un marché, mais l'électricité est fournie en égale qualité et en même temps partout, et beaucoup y sont attachés.

Madame la présidente, vous parliez de facilitation. Comme il est de plus en plus difficile de réaliser des infrastructures, il est indispensable de « booster » les infrastructures existantes. Nous marchons maintenant sur deux jambes : une jambe électrique et une jambe numérique. Nous gérons 300 000 données à la seconde et, demain, ce sera 3 millions ! On met partout des capteurs et de l'intelligence déportée, on installe des outils de flexibilité que sont les batteries pour réduire les investissements d'infrastructure et faciliter l'entrée des renouvelables. Nous n'avons pas le choix car s'il fallait attendre quinze ans pour accueillir confortablement les renouvelables, vos calendriers prévisionnels prendraient beaucoup de retard. C'est une course contre la montre.

De même, nous mutualisons. Nous sommes un monopole, que justifie la mission éthique que nous ont confiée la loi et la Constitution. Cela nous permet d'optimiser les coûts, de limiter les délais et de réduire l'impact environnemental. Si chacun se raccorde au poste qu'il veut à l'heure qu'il veut, on ne s'en sortira pas, et cela coûtera beaucoup plus cher pour tout le monde.

Concernant l'acceptabilité, dont j'ai dit tout à l'heure qu'elle était le frein majeur, on ne fera rien sans l'appétence des territoires, sans la contribution des élus locaux, sans la compréhension des populations, même si c'est long et parfois coûteux. Sur 4,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires, nous versons presque 600 millions d'euros d'impôts locaux, mais je ne souhaite qu'on en verse moins parce que la fiscalité est un dialogue.

Philippe Monloubou évoquait le FACE, qui permet aux territoires d'être à l'écoute et en compréhension. Si une contrainte est imposée, il est normal qu'elle donne lieu à contrepartie. Nous plaidons, et c'est à la main du législateur, pour marier le temps des SRADDET et celui des ENR. Il faut maintenir les SRADDET, qui sont la parole politique d'un territoire régional, et qui participent de l'acceptation. Mais si le technicien que nous sommes, en lien avec les distributeurs, est capable d'indiquer aux élus politiques les éléments techniques capables d'accélérer le développement à tel endroit, cela rationalise le débat et évite de découvrir qu'une zone déterminée ne sera pas raccordable avant dix ans. Vous pourriez imposer la concomitance des deux, afin de rationaliser le débat. Il ne s'agit pas d'éliminer l'un, les deux sont utiles, voire indispensables.

Nous faisons d'ailleurs en sorte de booster les schémas de raccordement. Quasiment arrivés au taquet pour les possibilités de raccordement aux ENR, sous la vigilance du régulateur, nous dénouons des parties du réseau pour faciliter un accueil beaucoup plus important dans le même schéma. Mais le jour où nous serons arrivés à saturation, il faudra faire le schéma d'après. C'est ainsi que nous devenons facilitateurs.

Concernant le stockage de l'énergie fatale, nous avons considéré que nous, transporteur d'électricité, ne pouvions pas ne pas nous intéresser au stockage de l'hydrogène et de l'aspect power to gas, sachant que, même si ce n'est pas tendance, le gas to power a encore de beaux jours devant lui. On ne peut pas tout éliminer. Quand nous avons besoin de démarrer rapidement une production sur le réseau, le thermique, et celui-ci en particulier, est utile, car visiblement moins polluant. On me reproche de défendre le gaz alors que je transporte de l'électricité, mais je suis lucide. Je ne suis pas un intégriste des sujets. Nous travaillons avec GRT Gaz, via le projet Jupiter 1000 dont ils sont porteurs, dans lequel nous explorons les pistes, les coûts, la faisabilité de plusieurs technologies de stockage de l'hydrogène pour la remettre dans les réseaux de gaz ou dans les transports. Mon collègue Thierry Trouvé, absent ce matin, sera d'accord pour organiser une visite de parlementaires sur le site de Jupiter 1000. Situé à Fos-sur-Mer, il est quasiment fini, et il est desservi par le train. Vous verrez ainsi par vous-mêmes où nous en sommes. Ce n'est pas gagné, on n'est pas sûr que ça ne coûte pas cher. Le président de la CRE a raison de pointer le coût, mais ce n'est pas une raison pour ne pas s'intéresser à l'expérimentation.

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Jean-François Carenco, président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)

Surtout qu'on vous a autorisés à le faire !

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François Brottes, président du directoire du Réseau de transport d'électricité (RTE)

Absolument ! Merci, monsieur le président. Nous avons le devoir collectif d'essayer de mieux comprendre, et quoi de mieux qu'un prototype pour ce faire ?

Grâce au régulateur, nous avons l'autorisation d'utiliser les batteries pour le réseau. La directive européenne n'interdit pas de le faire. Demain, les voitures électriques constitueront un volume de stockage extrêmement important. Mais le problème de cette énergie fatale stockée, c'est de savoir comment la délivrer, quel volume, quelle puissance délivrer. Le sujet n'est pas tant de stocker que de déstocker. On a toujours un peu de perte en ligne, mais après il faut restituer. Je suis de ceux qui pensent que le vehicle to grid, donc l'injection via le stockage massif, facilitera la gestion du système électrique. C'est un grand enjeu pour l'avenir, qui court-circuite un peu l'intérêt économique de l'hydrogène, mais il faut travailler sur les deux.

S'agissant du dialogue avec les territoires, j'ai dit le fond de ma pensée.

Je rappelle enfin que pour faire de l'hydrogène, il faut de l'électricité. Nous raccordons des producteurs d'hydrogène, comme H2V Industry, à Dunkerque et en Normandie, qui réalisent actuellement des usines. Nous essayons d'être facilitateurs afin qu'eux-mêmes deviennent des exploitants à titre expérimental, mais si on ne part jamais on est sûr de n'arriver jamais.

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Pierre Duvieusart, directeur général adjoint de GRT Gaz

Madame et messieurs les députés, j'ai le plaisir de vous inviter à une visite des installations de Fos-sur-Mer, à une date à convenir avec mon directeur général.

Concernant l'hydrogène, sachez également que le ministre de Rugy nous a demandé, à nous, opérateurs de réseau, d'examiner dans quelle mesure les réseaux de gaz pourraient répondre directement non pas à une filière hydrogène qui n'est pas encore un modèle économique complet mais à l'utilisation de l'hydrogène fatal. Nous vous communiquerons les résultats de l'étude en juin. Toute la filière gazière a travaillé de conserve pour évaluer dans les différents maillons – transport, distribution, stockage, utilisateur – le taux d'hydrogène qui pourrait facilement et rapidement, être accepté dans nos réseaux.

S'agissant des convergences entre les opérateurs, des éléments ont été communiqués par M. Brottes. Nous réalisons de nombreux travaux en commun. Nous croyons aussi au gas to power, même si nous croyons d'abord au power to gas. Ces convergences se sont plutôt développées récemment. Nous avons toujours coopéré historiquement avec GRDF, mais à la suite du développement du biométhane, nous préparons ensemble des schémas directeurs pour définir la meilleure manière d'implanter les raccordements d'hydrogène sur nos réseaux. Avec RTE, nous réalisons des exercices de simulation communs et de publications de données communes. Nous travaillons ensemble sur ces sujets.

Enfin, madame la présidente, vous avez évoqué le biométhane dans la PPE. Nous estimons que le projet de décret n'est pas à la hauteur des ambitions nourries par beaucoup de porteurs de projet, par les territoires et par nous-mêmes. S'il y avait trois éléments à retenir, ce serait, d'abord, de rehausser la cible d'ambition, ou de plutôt confirmer la cible de la précédente PPE avec 8 TWH en 2023 et un « vrai » 10 % de biométhane injecté en 2013 ; ensuite, de permettre une visibilité des coûts pour les porteurs de projet et une plus grande progressivité dans la baisse ; enfin de s'adapter à la taille des projets. Il y a des projets de petite taille et des projets de taille plus importante. Les projets de petite taille ont besoin de visibilité, avec un guichet unique, tandis que les appels d'offres doivent être réservés aux plus grands projets, soit au-delà de 40 GWH par an.

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Philippe Monloubou, président du directoire d'Enedis

Nous avons vu au travers des échanges qu'il existe une dimension nationale industrielle, qui est l'apanage de grands opérateurs dont nous avons la chance de disposer dans notre pays, et une dimension hyperlocale qui est celle des territoires. Cela mérite d'être mis en regard du savoir-faire de la France, au moment où tous les pays s'interrogent sur leur capacité à conduire la transition énergétique. Il est intéressant, comme levier de la transition énergétique, de capitaliser sur notre capacité à gérer deux dimensions en apparence opposées, la gestion du temps, voire du long terme, et la gestion du temps réel, contrairement à d'autres pays qui peinent à investir durablement dans les réseaux ou à en maîtriser la planification et la « smartisation ». Jean-François Carenco ne me démentira pas, ce n'est pas seulement une question de dogme ou de principe républicain, c'est une question de solidarité des territoires et de capacité d'action dans une logique maîtrisée de coûts, de ressources et de faisabilité, au regard des enjeux.

Il est évident qu'entre la part fixe et la part consommation, une évolution est nécessaire. Je n'indiquerai pas de pourcentage. Nous y travaillons avec la CRE. C'est une évidence, François Brottes l'a souligné. On pourrait parler de « part assurantielle du réseau ». Des coûts de réseau seront nécessaires, quel que soit le développement de l'autoconsommation collective et des communautés énergétiques locales. Ils pourront même se renforcer, car la transition énergétique nécessite des investissements importants.

Je soulignerai aussi la transformation : transformation des entreprises, des compétences, des organisations, de la capacité à fonctionner de manière horizontale. Vous y avez insisté d'emblée et vous l'avez repris à juste titre dans votre formulation. C'est une autre innovation, non exclusive des grands groupes que nous sommes. Elle est de plus en plus horizontale, transverse, on parle d'« open innovation ». Je peux vous le dire par mon engagement dans l'association pour les réseaux électriques intelligents, nous avons un vrai savoir-faire. Il convient de le renforcer, car c'est la condition pour être dans le time to market, le temps d'accès au marché, et permettre la réactivité de nos entreprises.

L'énergie fatale peut être associée à la logique de flexibilité, à la logique de stockage, à la logique de développement des smart grids. La transition énergétique pose de plus en plus de questions, mais jamais, sans doute, autant de réponses ne nous avaient été apportées par les évolutions des technologies numériques et digitales, qui sont aussi des outils nouveaux mis à notre disposition. L'énergie fatale, nous en voyons une expérimentation à la frontière avec le Luxembourg, qui permet la recharge directe de véhicules électriques. Il faudra en vérifier les conditions économiques, mais il y a un espace potentiel pour ces nouveaux outils.

Quant aux territoires, il nous faut, là encore, capitaliser sur ce que nous savons faire pour développer demain la valeur industrielle et la réactivité nécessaires pour s'adapter à des enjeux de plus en plus locaux. On a parlé de schémas directeurs, d'engagements sur la durée, donc de compréhension mutuelle beaucoup plus fine. Nous savons le faire en France.

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François Brottes, président du directoire du Réseau de transport d'électricité (RTE)

J'ai parlé d'intelligence des réseaux. Nous avons absolument besoin du compteur Linky, qui permet de communiquer du début à la fin, du transport au consommateur final. C'est un outil majeur dont nous en avons un besoin impérieux pour améliorer la flexibilité du réseau. Je le dis au risque de prendre des coups sur le terrain alors que nous ne sommes pas concernés.

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Philippe Monloubou, président du directoire d'Enedis

Merci !

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Pascal Sokoloff, directeur général de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

Je répondrai à la question sur le FACE et sur le risque de dilution des aides. Nous avons connu trois temps dans l'histoire. Nous avons commencé par assurer la desserte électrique de la France. Après les tempêtes de 1999, le FACE a eu une mission importante de sécurisation des réseaux, qui va à son terme. La transition énergétique est une nouvelle phase dans laquelle nous entrons.

Nous avons la conviction qu'à enveloppe constante, il est possible d'opérer un redéploiement des moyens du FACE sur des actions considérées par les territoires comme légitimes, pertinentes, voire urgentes. La rénovation énergétique n'est pas déconnectée des problématiques de réseaux, parce qu'elle réduit la consommation de pointe et permet de repousser les besoins de renforcement des réseaux. Il faut procéder à plusieurs rénovations, par exemple en matière d'éclairage public.

Concernant la mobilité propre, je ne peux qu'acquiescer à ce qui a déjà été dit. Une capacité de stockage améliorée qui confortera les équilibrages des réseaux. Il serait dommage de priver les territoires de cette opportunité. Mais il faut financer les bornes de recharge. Si les collectivités ont une capacité de maîtrise d'ouvrage, en revanche, il y a un besoin de financement que le FACE peut satisfaire. Nous vous incitons à veiller, dans le cadre des lois de finances, à assurer à cet outil les moyens qui lui sont nécessaires.

Quant à l'hydrogène, il fait l'objet de nombreuses expérimentations par des syndicats d'énergie. C'est le cas dans le Morbihan, pour le ferroviaire ou la recharge de bateaux. Dans les DOM, on peut voir à La Réunion, sur le site de La Nouvelle, alimenté jusqu'à présent par des panneaux photovoltaïques, l'expérimentation d'une solution de stockage d'électricité via l'hydrogène. L'énergie fatale excédentaire alimente un électrolyseur. L'hydrogène est stocké et utilisé par une pile à combustible quand le soleil fait défaut. Cela préfigure peut-être ce que nous pourrions faire demain avec cette technologie.

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Pascal Roger, président de la Fédération des services énergie environnement (FEDENE)

Je rebondirai sur deux mots : « innovation » et « flexibilité », deux maîtres mots des problématiques énergétiques que nous rencontrons. Les solutions sont encore en cours de déploiement. À cet égard, les réseaux de chaleur sont un outil extrêmement flexible en termes d'évolution d'une énergie par rapport à l'autre. Nous avons montré comment passer très rapidement d'une énergie plutôt carbonée à des réseaux devenus majoritairement ENR. Demain matin, une nouvelle technologie innovante et à coût collectif maîtrisé pourrait parfaitement être véhiculée par les réseaux de chaleur.

Les réseaux de chaleur étant généralement multi-énergies, nous pouvons jouer un rôle de buffer pour la régulation de la demande. C'est une façon de massifier des actions d'effacement ou d'appel d'énergie en période creuse pour trouver un optimum économique et contribuer à l'équilibre global de la démarche réseaux. Les réseaux doivent être vus en termes d'aménagement, en termes d'outils et en termes de systèmes intégrés. De ce point de vue, nous avons encore pas mal de travail à faire, y compris entre nous.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Il me revient de vous remercier tous pour vos interventions et pour les contributions que vous nous avez fournies en tant que gestionnaires de réseaux, à l'interface de la production et la consommation. Nous avons bien compris qu'il n'y aura pas de transition énergétique sans réseaux. Nous allons alimenter les recommandations de notre mission avec l'ensemble de vos contributions.

L'audition s'achève à douze heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 21 mars 2019 à 11 heures

Présents. - Mme Marie-Noëlle Battistel, M. Philippe Bolo, M. Bruno Duvergé

Excusés. - Mme Nathalie Bassire, M. Christophe Bouillon, M. Jean-Luc Fugit

Assistait également à la réunion. - M. Raphaël Schellenberger