Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 11h45

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ASE
  • enfance
Répartition par groupes du travail de cette réunion de commission

  France Insoumise    En Marche    MoDem    Les Républicains  

La réunion

Source

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 18 avril 2019

La séance est ouverte à douze heures cinq.

Présidence de Mme Nathalie Élimas, vice-présidente de la mission d'information de la Conférence des présidents

————

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Mes chers collègues, nous achevons notre matinée d'auditions avec M. Antoine Dulin, rapporteur de l'avis « Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance », du Conseil économique social et environnemental (CESE).

Monsieur, vous avez choisi de faire une présentation de ce document et des préconisations formulées par le CESE, avec un support visuel. Nous engagerons ensuite une discussion, sur la base de cette présentation.

Permalien
Antoine Dulin, rapporteur de l'avis Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, du Conseil économique social et environnemental

Madame la présidente, madame la rapporteure, mesdames et messieurs les députés, le Premier ministre a demandé au CESE de formuler des préconisations sur deux publics de l'aide sociale à l'enfance, (ASE) : d'une part, les jeunes en difficultés multiples, et, d'autre part, les jeunes majeurs sortant de l'aide sociale à l'enfance. L'avis du CESE a été rendu le 13 juin.

J'aimerais, tout d'abord, revenir sur le film d'animation diffusé hier sur France 4, « Ma vie de Courgette », que je vous invite à regarder, si vous ne l'avez pas vu. Quand Simon, un enfant de l'orphelinat, accueille Courgette, ses mots sont les suivants : « Nous sommes tous pareils ici, nous n'avons plus personne pour nous aimer ».

La question du lien affectif a été, en effet, très présente, non seulement dans les témoignages recueillis auprès des jeunes pris en charge par l'aide sociale à l'enfance, mais également tout au long du travail que nous avons mené au CESE.

C'est la première fois que le CESE est saisi de la question de l'aide sociale à l'enfance, et nous avons commencé à travailler sur ces deux sujets alors même qu'ils n'étaient pas encore à l'agenda politique et médiatique du Gouvernement. La proposition de loi de Brigitte Bourguignon a permis d'effectuer un état de lieu, même si un travail avait été réalisé pour la loi de 2016, par Laurence Rossignol.

Voici quelques chiffres : 333 461 enfants sont pris en charge par la protection de l'enfance ; des mesures de placement ont été prononcées pour 169 114 d'entre eux et des mesures éducatives pour 164 347 – action éducative en milieu ouvert (AEMO), aide éducative à domicile (AED) ; 7 945 enfants sont placés en famille d'accueil, les autres enfants étant en établissement.

Par ailleurs, 299 600 enfants sont des mineurs et 20 900 des jeunes majeurs – entre dix-huit et vingt et un ans – bénéficiant d'un contrat jeune majeur. Enfin, 57 % sont des garçons, 43 % des filles, et 53 % des enfants pris en charge ont entre onze et dix-huit ans – 12 % ont plus de dix-huit ans.

La protection de l'enfance est une politique décentralisée qui souffre d'inégalités entre les territoires, les réalités socio-économiques étant très différentes d'un département à l'autre. Les territoires d'outre-mer connaissent des difficultés particulières. En Guyane, par exemple, les familles d'accueil prennent en charge quatre enfants, et Mayotte doit faire face à un afflux important de mineurs non accompagnés (MNA).

La question du coût est souvent abordée, alors même qu'il s'agit d'une politique d'investissement social. Les dépenses de l'ASE sont importantes, puisqu'elles représentent quelque 7,6 milliards d'euros nets – 10 milliards d'euros avec les dépenses de personnel des départements. Le coût d'une journée en famille d'accueil est d'environ 100 euros, et de 180 à 200 euros en établissement.

Un nombre important d'acteurs intervient dans le domaine de la protection de l'enfance : la petite enfance, l'éducation nationale, les acteurs de la santé, du handicap, de la justice, des affaires sociales, ainsi que des associations habilitées. De sorte que, avant même de formuler nos recommandations, nous avons mis l'accent sur le besoin d'un pilotage national et donc d'une recentralisation de cette politique. Jamais les moyens d'un pilotage national n'ont été donnés pour accompagner le déploiement d'une politique décentralisée.

Les lois de 2007, 2012 et, bien entendu, de 2016, ne sont pas mises en place dans les départements. Et quand nous les interrogeons par le canal des administrations centrales, pour en connaître les raisons, nous avons très peu de réponses.

Certes, il existe un portage politique, d'abord avec Agnès Buzyn et, aujourd'hui, avec un secrétariat d'État dédié à cette question, mais le portage administratif n'est pas assez important : le bureau de la protection de l'enfance au sein de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) – une direction peu massive, contrairement à d'autres directions centrales –, est un petit bureau, et les acteurs du Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE) et du groupe d'intérêt public de public (GIP) Enfance en danger – dont le numéro vert pour l'enfance maltraitée est menacé de coupes budgétaires importantes – sont peu nombreux.

Lors de nos réflexions, certains d'entre nous se sont interrogés sur l'utilité de la création d'une Agence nationale de la protection de l'enfance, qui permettrait ce pilotage national. Nous proposons en tout cas de commencer par réaliser une évaluation indépendante de ce pilotage, en vue d'agir plus efficacement, d'appliquer la loi et de coordonner les actions territoriales.

Nous proposons également de renforcer les moyens du GIP Enfance en danger, si la baisse budgétaire est confirmée, et des observatoires départementaux de la protection de l'enfance (ODPE), qui survivent parfois avec 0,2 équivalent temps plein (ETP), voire zéro ETP. Ce manque de moyens entraîne un déficit de statistiques en matière de protection de l'enfance, et notamment une méconnaissance de certains publics. Je ne sais pas si vous allez auditionner l'association Agir tous pour la dignité (ATD) Quart Monde, mais l'une des problématiques est liée aux critères de placement : les critères économiques et sociaux sont parfois prioritaires aux critères éducatifs et de maltraitance.

Dans certains territoires, des décisions abusives ont été prises sur des critères de pauvreté et de précarité ; or je défie quiconque de parvenir à élever quatre ou cinq enfants dans une chambre d'hôtel Formule 1 sans « péter les plombs ». Ces maltraitances ne peuvent-elles pas être évitées par une véritable lutte contre la pauvreté, plutôt que par des placements ou des mesures éducatives ? Il nous manque en tout cas des données statistiques pour connaître les motifs de ces placements.

Nous aurions également besoin de données sur les jeunes majeurs.

S'agissant des jeunes en difficultés multiples – ou à besoins multiples –, nous avons travaillé sur le parcours en protection de l'enfance, afin d'identifier les ruptures. Ces jeunes sont parfois caractérisés, de façon maladroite, d'« incassables », alors que les institutions sont incapables de les accompagner et de leur trouver une place. La violence institutionnelle qu'ils subissent – sans parler des difficultés de développement, physique, psychique, mental… – est énorme.

Nous avons recueilli, sur ce sujet, le témoignage de Yannick, qui a vécu un parcours entre instabilité et complexité. À deux ans, il a été signalé à l'ASE pour maltraitance et a fait l'objet d'un premier placement en AEMO. Ses parents ont ensuite été incarcérés et il a été placé en maison d'enfants à caractère social (MECS). Il a été déscolarisé à huit ans, à nouveau scolarisé en CM1 et placé en famille d'accueil, puis déscolarisé une fois encore, et suivi en hôpital psychiatrique. Il a enfin été orienté en institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), où il séjournait la semaine, et en famille d'accueil le week-end.

De nombreux jeunes vivent ce type de parcours. Nous avons dressé plusieurs constats. D'abord, une insuffisance de prise en charge médicale et psychologique, alors que 36 % des jeunes sont en mauvais, voire très mauvais état de santé – un chiffre deux fois supérieur à la moyenne –, que les jeunes filles placées de dix-sept ans ont treize fois plus de risques de se retrouver enceintes que la moyenne, et que certaines sont victimes de réseaux de prostitution ; 20 % de ces jeunes ont un handicap physique ou mental – une statistique du Défenseurs des droits qui n'a pas été actualisée.

Par ailleurs, les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) ont du mal à reconnaître le handicap chez ces enfants, estimant que, étant pris en charge par l'ASE, ils ne sont pas prioritaires. Malheureusement, en ASE, l'accompagnement médical, psychologique, ou mental n'est pas assuré.

Nous avons formulé un certain nombre de préconisations sur cette question, dont certaines sont reprises par le Gouvernement dans le cadre de sa réflexion relative à la protection de l'enfance.

D'abord, renforcer la prévention, dès la petite enfance, non seulement dans les familles, mais également à l'école et dans les lieux tiers, comme les mouvements de jeunesse et d'éducation populaire. Le ministère a été incapable de nous renseigner sur le nombre de protocoles départementaux qui ont été élaborés sur cette question.

Ensuite, instaurer un fonds national de péréquation des dépenses de la protection de l'enfance. Un certain nombre de mesures ne sont que plus ou moins appliquées par les départements et nous avons besoin d'outils communs ; je pense notamment au référentiel de signalements, appliqué par vingt-quatre départements, dont le secrétaire d'État a annoncé qu'il allait le rendre obligatoire dans l'ensemble des départements.

De même, il serait utile de définir des normes pour les AEMO, les MECS, etc. Car si les critères pour les crèches sont très stricts – nombre d'animateurs, de puéricultrices… –, ce n'est pas le cas pour les MECS, où le choix est parfois rapidement fait entre éducateurs, moniteurs-éducateurs et travailleurs sociaux, voire vigiles ! D'aucuns vont même jusqu'à installer une caméra dans les foyers ! Or nous savons tous que ni le vigile, ni la caméra ne remplacera l'éducation qui doit être donnée dans les foyers.

L'accompagnement éducatif est indispensable. C'est la raison pour laquelle, nous pensons qu'un tel fonds pourrait faire pression sur les départements pour qu'ils s'engagent à être vertueux, dans une logique de contractualisation.

Par ailleurs, le bilan de santé doit être effectué au début du parcours et tous les enfants doivent pouvoir accéder aux soins – physique, psychologique, mental… D'autant que les enfants de l'ASE ont du mal à être pris en charge par les MDPH, les agences régionales de santé (ARS) ou par la protection maternelle et infantile (PMI), dont les circuits de financement sont différents.

Dans quelques départements, des commissions de cas complexes ont été installées afin de mieux gérer les besoins des enfants à difficultés multiples. Malheureusement, ces commissions ne sont pas instituées et les instances, telles que l'ARS, n'ont aucune obligation d'y participer.

Autre préconisation : comment développer des accueils spécifiques pour les jeunes à besoins multiples ? Des lieux tels que l'internat socio-éducatif médicalisé pour adolescents (ISEMA), dans le département de l'Eure-et-Loir, qui accueille douze jeunes.

Comment recruter davantage d'assistants familiaux thérapeutiques – familles d'accueil – pour accueillir les jeunes qui connaissent des problèmes psychiques ou mentaux, et développer des lieux de vie, tels que le Colibri, dans les Yvelines, qui permettent à ces jeunes d'y faire un séjour de quelques semaines, et ainsi de rompre avec leur quotidien.

L'une de nos préconisations est relative à l'accompagnement et à la formation des professionnels – les qualifications, en termes de formation initiale ont été revues. Un travail doit être conduit sur le contenu pédagogique et une réflexion menée sur la nécessité d'instaurer des co-formations, qui mixeraient les enfants, les éducateurs, les assistants sociaux et les familles, afin d'aboutir à un changement des pratiques professionnelles.

Concernant les jeunes sortant de l'ASE, le système leur demande d'être autonomes à dix-huit ans, alors qu'un jeune qui n'a pas suivi de parcours à l'ASE trouve son premier emploi stable à vingt-sept ou vingt-huit ans. Demander à un jeune sortant de l'ASE d'avoir un projet à dix-huit ans ne correspond plus à rien. Cette injonction à l'autonomie crée, non seulement un gâchis économique – 30 % des jeunes sans-abri sont d'anciens enfants placés –, mais également social et éducatif. Il vaudrait presque mieux de ne pas investir sur un enfant d'un an que de le mettre à la rue à dix-huit ans.

Par ailleurs, cette injonction à l'autonomie pousse ces jeunes à choisir des filières courtes. Et si je suis de ceux qui pensent que l'apprentissage est une dynamique de formation très intéressante et une voie d'excellence pour tous, elle ne doit pas être une voie de garage pour certains.

Sur cette question, le CESE a proposé deux scénarios. Je rappelle d'abord que notre système actuel d'accompagnement des jeunes vers l'autonomie repose sur la solidarité familiale – allocations familiales et quotient familial –, à laquelle s'ajoute l'obligation pour les parents d'accompagner financièrement leurs enfants jusqu'à l'âge du premier emploi, soit jusqu'à vingt-sept, vingt-huit ans.

Le premier scénario vise à modifier le droit commun en garantissant à tous les jeunes de dix-huit ans sortant de l'ASE un revenu minimum social. Le Président de la République a lancé une réflexion, le 13 septembre dernier, concernant un revenu universel d'activité ouvert, qui fusionnerait les minima sociaux. Ce revenu pourrait aussi être une évolution de la garantie jeune actuelle, qui ne serait pas centrée uniquement sur l'emploi, limité dans le temps – les jeunes sont forcés de sortir du foyer fiscal, ils ne peuvent donc pas percevoir d'allocations familiales ou bénéficier d'un quotient familial.

Le second scénario, proposé par Brigitte Bourguignon, est celui de la création d'un droit spécifique pour les jeunes sortant de l'ASE. Toutefois, sa rédaction actuelle risque d'établir un nouveau couperet à vingt et un ans – un âge qui ne correspond plus à rien dans notre société, puisque l'âge du départ de chez les parents est de vingt-trois, vingt-quatre ans, et celui du premier emploi stable, je l'ai dit, de vingt-sept, vingt-huit ans. Je vous encourage donc à aller plus loin dans vos amendements s'agissant de cet âge couperet de vingt et un ans.

Il convient également de simplifier le parcours de ces jeunes, et je rejoins là les propositions formulées par Brigitte Bourguignon qui préconisent l'ouverture d'un coffre-fort numérique leur permettant d'accéder à leur dossier ASE à dix-huit ans. Une rénovation des associations départementales d'entraide des personnes accueillies en protection de l'enfance (ADEPAPE) est par ailleurs souhaitable, les jeunes sortant de l'ASE devant faire partie de leur gouvernance.

Nous avons afin formulé des préconisations relatives aux MNA, visant à remplacer le régime d'autorisation de travail par un régime de déclaration, pour qu'ils puissent suivre des formations professionnelles. Aujourd'hui, les ruptures sont très fortes en raison de la non-anticipation des départements.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour cette présentation brillante, rapide et concise et pour le document que vous nous avez apporté.

Comment pouvons-nous faire évoluer la relation parents-enfants-éducateurs ?

S'agissant des enfants que les institutions ne parviennent pas à placer, il existait, voilà quelques années, des lieux de vie qui sont tombés en désuétude. Qu'en pensez-vous ?

Permalien
Antoine Dulin, rapporteur de l'avis Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, du Conseil économique social et environnemental

La question de la relation parents-enfants-éducateurs étant sensible, voire, parfois, intime, je parlerai de mon expérience et non au nom du CESE,

Je vous ai cité, en début d'audition, la phrase de Simon, dans Ma vie de Courgette : « Nous n'avons plus personne pour nous aimer. » Aborder la question de l'affection, que ce soit dans les lieux de placement, les AEMO, les familles, est extrêmement sensible, voire tabou. Pourtant, un enfant a besoin d'être aimé, c'est la première chose qu'il demande. J'ai eu la chance d'avoir des parents aimants, or c'est cela qui structure l'enfant et son éducation.

Toutefois, le débat avance, les éducateurs s'autorisant maintenant à dire qu'ils ont une relation affective avec un enfant, ce qui ne veut pas dire qu'ils doivent l'accueillir le soir ou le week-end chez eux ; il s'agit simplement d'un lien particulier qui a été établi avec un enfant placé en MECS ou en famille d'accueil. En tout cas, imaginer que ce lien ne puisse pas exister, comme nous l'entendons parfois, est contre-productif.

Ce lien doit donc être réaffirmé et, la question doit peut-être même être abordée dans le cadre des formations initiales – le droit d'aimer les enfants accompagnés. Ce sujet est tabou, car d'aucuns craignent que cette relation affective puisse se transformer en autre chose – amour, harcèlement, etc.

J'ai longtemps dirigé un mouvement d'éducation populaire et de jeunesse, un mouvement de scoutisme, où la question se pose aussi. Or nous n'empêchons pas, heureusement, les animateurs d'entretenir une relation affective avec les enfants, qui ne dépasse évidemment pas le cadre de la loi. Je suis persuadé que ce lien permet d'aider et de faire grandir les enfants.

S'agissant des relations parents-enfants, nous n'arrivons toujours pas à débattre sereinement de la question de l'autorité parentale. L'autorité parentale est souvent maintenue pour préserver le lien parental et permettre à l'enfant de retourner dans sa famille, si un jour la situation le permet.

Mais Adrien Taquet disait justement ce matin, que le lien familial et l'autorité parentale pouvaient être rompus si les conditions l'exigeaient et que, en conséquence, l'adoption devenait possible ; c'est une avancée.

Nous devons, cependant, faire évoluer l'autorité parentale qui est nécessaire pour un certain nombre d'actes et de mesures et qui empêche, par exemple, l'enfant de partir en classe verte, en colonie de vacances… Nous pourrions envisager que le juge puisse décider de maintenir le lien familial sans pour cela accorder aux parents l'autorité familiale, qui pourrait être déléguée, soit au référent ASE, soit aux associations et aux familles habilitées à accueillir ces jeunes.

Concernant les enfants à besoins multiples, il serait en effet bon de rouvrir des lieux de vie, tel que le Colibri dans les Yvelines. Un lieu qui accueille huit jeunes durant huit à douze semaines, pour travailler sur leur projet. Ils participent par ailleurs aux activités diverses du centre de formation – restauration, patrimoine, jardinage, menuiserie, etc. Bien évidemment, un tel lieu de vie nécessite un budget, les éducateurs étant plus nombreux que dans une MECS.

Je vous ai également cité l'exemple de l'ISEMA en Eure-et-Loir, une structure socio-éducative et médicale, qui est d'ailleurs menacée de fermeture, pour manque de moyens. Enfin, les ARS développent dans certains territoires des équipes mobiles de psychologues, de psychiatres, qui vont à la rencontre des enfants de l'ASE. Il serait enfin intéressant de restaurer le statut d'assistant familial thérapeutique.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Les personnes ayant eu un parcours en ASE ou en protection de l'enfance que nous avons auditionnées ont appelé notre attention sur deux points : l'affection et la stabilité.

S'agissant de l'autorité parentale, il nous a été raconté le parcours d'une jeune femme qui, alors qu'elle avait été placée dans une famille d'accueil, avait dû déménager à l'autre bout de la France, sa mère ayant voulu partir. La retirer de sa famille d'accueil et la placer dans un foyer, loin de cette famille, a totalement perturbé son parcours dans la protection de l'enfance.

Je voulais donc vous interroger, mais vous l'avez évoqué, sur le maintien à tout prix, presque idéologique, de l'autorité parentale.

Permalien
Antoine Dulin, rapporteur de l'avis Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, du Conseil économique social et environnemental

Je reviens sur le film d'animation « Ma vie de Courgette », qui traite de cette question. La soeur de la maman décédée réclame au juge la garde du petit garçon qui ne souhaite pas vivre chez sa tante, à l'air tyrannique.

L'intérêt supérieur de l'enfant doit nous obliger à penser d'abord à la question de la stabilité de l'enfant et non à celle de l'autorité parentale. Il aurait été souhaitable, dans le cas d'espèce, de maintenir le lien parental structuré, une ou deux fois par an, en accord avec la famille d'accueil et les ASE des deux départements, afin, par exemple, de prendre en charge les frais de déplacements ; et de laisser la jeune fille dans sa famille d'accueil.

J'en reviens donc à la nécessité d'un pilotage national et d'une coordination des acteurs de l'aide sociale à l'enfance dans les différents départements. Les services des départements travaillent en silos, il est donc bien compliqué de se coordonner, en plus, avec le service de l'ASE.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Le pilotage national est certainement nécessaire, mais il serait dangereux de croire qu'il réglerait tous les problèmes. L'État doit reprendre la main, mais vous l'avez dit, ce sera compliqué, les départements travaillant en silos et chaque acteur détenant la vérité – que ce soit les éducateurs d'internat, de l'ASE, d'AEMO, etc.

Avez-vous pu travailler cette question pour définir comment mettre en oeuvre, de manière opérationnelle, cette coordination et ce changement de pratiques indispensables pour une meilleure prise en charge ?

Permalien
Antoine Dulin, rapporteur de l'avis Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, du Conseil économique social et environnemental

Le pilotage national n'est pas, en effet, la solution parfaite, mais nous sommes dans un agenda politique et médiatique intéressant pour que des moyens soient alloués à l'instauration de ce pilotage et pour que l'État puisse se ressaisir de la question de la protection de l'enfance.

J'aimerais beaucoup que l'ASE devienne le sujet des prochaines élections départementales ; il s'agit de l'un des budgets les plus importants des départements, mais il ne fait jamais l'objet d'un débat électoral. Cette question est souvent confiée à une vice-présidente ou à une conseillère départementale chargée de la protection de l'enfance, qui ne l'a pas vraiment demandé. Et l'exécutif du conseil départemental n'en fait jamais une priorité. Bien au contraire, il se demande comment ne pas faire de vagues et éviter les dépassements budgétaires, notamment en ce qui concerne le contrat jeune majeur. Un certain nombre de départements en réduisent le nombre et la durée afin de décourager les jeunes d'en faire une demande.

Les départements qui ont réussi à coordonner les services ont pu le faire, justement, parce que la question de la protection de l'enfance est portée par un vice-président proche de l'exécutif départemental. Bien entendu, cela n'est pas vrai partout, puisqu'en Gironde, alors même que la vice-présidente est très engagée sur la question, tout n'est pas rose, le foyer géré par le département connaît bien des difficultés.

Mais une bonne coordination entre les acteurs ne peut relever que de la volonté de l'exécutif du conseil départemental et du directeur en charge de l'action sociale. Les commissions de cas complexes ont d'ailleurs été installées grâce à leur volonté.

Le changement de pratiques professionnelles passe aussi par la formation et par la nécessité de faire sortir la protection de l'enfance du domaine de la protection de l'enfance. Lorsque je dirigeais un mouvement de scoutisme et que nous souhaitions traiter de la protection de l'enfance avec les acteurs concernés, ces derniers ne comprenaient pas pourquoi nous voulions nous saisir du sujet.

Or le domaine de la protection de l'enfance doit être décloisonné. Car au niveau départemental, la protection de l'enfance est gérée par des associations qui ont reçu leur habilitation il y a déjà un certain nombre d'années. Des habilitations qui ne sont jamais remises en cause, le nombre d'enfants à placer étant toujours plus grand. Il me semble que les normes d'habilitation devraient être revues, et que ce travail devrait être mené par les acteurs de la protection de l'enfance en collaboration avec d'autres acteurs, tels que, pour la question des jeunes majeurs, les acteurs de l'insertion sur le territoire, des missions locales, des entreprises…

De même pour la question médicale : ouvrir la protection de l'enfance à d'autres acteurs. Enfin, si nous voulons réellement faire bouger le système, il conviendrait de mobiliser les jeunes de l'ASE, eux-mêmes. D'ailleurs, la Gironde vient de lancer une expérimentation : un conseil d'enfants placés.

Rappelez-vous, l'instauration de comités d'usagers sur la question de la santé a fait évoluer les choses en matière de santé.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je souhaiterais, pour ma part, évoquer la question des contrôles des maltraitances institutionnelles. Les jeunes sortant de l'ASE que nous avons entendus, et qui ont subi des violences institutionnelles, ont insisté sur cette absence de contrôle.

Le Défenseur des droits a publié un rapport accablant, la semaine dernière, qui faisait notamment état d'un jeune qui, en janvier 2017, s'est défenestré. Il pointe dans son rapport les défaillances de l'accompagnement éducatif du fait du nombre insuffisant d'adultes encadrants, de l'insécurité en centre d'accueil en raison de la cohabitation avec des adultes, des défaillances dans la prise en charge sanitaire, dans l'accès à l'éducation, aux loisirs et à la culture, dans le protocole d'évaluation de la minorité avec des délais excessifs, dans la préparation au passage à l'autonomie à leur majorité…

Il nous a souvent préconisé d'établir un fichier national sur les agréments. Qu'avez-vous à dire sur les contrôles et les sanctions ?

Dans votre huitième préconisation, vous évoquez le taux d'encadrement dans les MECS, un sujet qui n'a pas encore été abordé au sein de la commission. Je souhaiterais vous entendre sur ce sujet.

Permalien
Antoine Dulin, rapporteur de l'avis Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, du Conseil économique social et environnemental

Les contrôles des violences institutionnelles et les sanctions n'ont pas été abordés dans les travaux du CESE. Mais nous avons bien entendu constaté que leurs nombres insuffisants. Le fichier national est un bon outil. Il en existe d'ailleurs un pour les mouvements de jeunesse et d'éducation populaire, qui permet de vérifier si les animateurs n'ont pas un casier judiciaire et s'ils n'ont pas été poursuivis, par exemple, pour violences à caractère sexuel ou pour pédophilie. Un fichier partagé, bien entendu.

Il ne me semble donc pas compliqué d'en élaborer un pour les familles d'accueil et les éducateurs, animateurs et assistants sociaux travaillant dans les établissements.

Concernant l'absence de normes, et notamment du taux d'encadrement, c'est effectivement une aberration. Certains départements ont leur propre norme de taux d'encadrement, mais il est effectivement bizarre que ce taux existe pour les crèches, les colonies de vacances, les animations périscolaires, mais pas pour les MECS.

Certes, toutes les MECS ne disposent pas que de vigiles, mais même entre éducateurs et moniteurs-éducateurs, l'enjeu de la qualification est important. Nous avons besoin d'une norme très claire pour le taux d'encadrement de ces structures.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Dulin, je vous remercie pour votre intervention. Je suis entièrement d'accord avec votre proposition de décloisonner la protection de l'enfance. Nous avons entendu Gilles, la semaine dernière, qui nous a indiqué que son club de foot avait joué, pour lui, un rôle fondamental. Il y avait rencontré l'amitié, appris le dépassement de soi, et pu exorciser sa colère.

Jamais, au cours de ma vie d'enseignante, je n'ai entendu parler de l'ASE. Nous savions à peine faire un signalement, cela nous paraissait insurmontable.

Permalien
Antoine Dulin, rapporteur de l'avis Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, du Conseil économique social et environnemental

Un certain nombre de mes amis sont enseignants, ils ont été formés il y a cinq ou six ans, et la question du signalement reste difficile à aborder, y compris avec la famille.

Pourtant, toutes les personnes qui sont en contact avec les enfants devraient être formées ; la parole de l'enfant doit être écoutée, même si parfois l'enfant ment. Il vaut mieux entendre un mensonge une fois que de douter de tous les propos de l'enfant.

Nous devons absolument travailler la question de la prévention en amont pour arriver à aborder assez simplement la question des violences intrafamiliales. Elles doivent sortir du tabou et de l'intime. Car si beaucoup de violences sexuelles et d'actes de pédophilie sont commis dans les religions, et notamment au sein de l'église, beaucoup ont aussi lieu au sein de la famille et dans les mouvements de jeunesse et d'éducation populaire. La parole doit être libérée pour mettre fin à ces violences, poursuivre et condamner les responsables.

S'agissant des jeunes vivant en foyer ou en famille d'accueil, certains ne veulent pas être étiquetés ASE, afin que leurs copains ne soient pas au courant de leur situation. Je suis partagé sur cette question, car je comprends ce que ressent l'enfant. Mais il me semble préférable que le personnel d'éducation et les enseignants soient au courant de la situation de l'enfant, justement pour pouvoir l'accompagner, en lien avec la famille ou le foyer.

Lors de nos auditions d'enfants et de jeunes de l'ASE, j'ai été marqué par le fait que, contrairement à n'importe quel jeune, de milieu populaire ou favorisé, les enfants placés en MECS ne fêtent jamais leur anniversaire avec leurs copains.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Certaines MECS organisent les anniversaires avec les copains d'école.

Permalien
Antoine Dulin, rapporteur de l'avis Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, du Conseil économique social et environnemental

Oui, vous avez raison de le mentionner, mais cela est rare. Ne serait-ce que parce que l'enfant lui-même ne souhaite pas que ses copains d'école sachent qu'il vit en foyer.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

D'où la nécessité de former les enseignants.

Permalien
Antoine Dulin, rapporteur de l'avis Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l'enfance, du Conseil économique social et environnemental

La formation évolue. En tout cas, des modules ont été élaborés sur la question des maltraitances à l'école supérieure du professorat et de l'éducation (ESPE) – cela est plus compliqué pour les certificats d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré (CAPES), les formations étant différentes.

Mon souhait serait que ce soit les enfants qui viennent témoigner devant les enseignants pour raconter leur parcours, leur vécu – ce qui serait beaucoup plus efficace. Les éducateurs pourraient également venir parler de leur métier.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Une formation continue des enseignants, au sein des établissements scolaires, effectuée par des éducateurs et des enfants de l'ASE, notamment, permettrait une ouverture et une rencontre, sur un territoire donné, des acteurs de la protection de l'enfance, qui apprendraient se connaître. Ainsi, ils seraient moins méfiants et pourraient signaler plus facilement les actes de violence, de maltraitance.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Monsieur Dulin, je vous remercie, ainsi que Mme Héron, qui vous accompagnait.

La réunion s'achève à treize heures vingt.

————

Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 18 avril 2019 à 12 heures 05

Présents. – M. Guillaume Chiche, M. Olivier Damaisin, Mme Françoise Dumas, Mme Nathalie Élimas, Mme Perrine Goulet, Mme Monique Limon, Mme Mathilde Panot, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.

Excusés. – Mme Delphine Bagarry, Mme Gisèle Biémouret, M. Paul Christophe, Mme Jeanine Dubié, Mme Bérengère Poletti.