Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ferroviaire
  • kilomètre
  • marchandises
  • routier
  • véhicule
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La réunion

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L'audition débute à onze heures.

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Je remercie d'emblée l'ensemble de nos interlocuteurs de leur présence devant cette mission d'information de la Conférence des présidents, dont les travaux portent sur sept thèmes : la vision – ou le manque de vision – de ce que sera demain le paysage énergétique en termes de production et de consommation, le développement des filières d'énergies renouvelables, la mobilité – c'est à ce titre que vous êtes auditionnés aujourd'hui –, les économies d'énergie dans l'habitat et l'industrie, le rôle des territoires – l'énergie de demain étant destinée à être produite et consommée localement –, les perspectives qu'envisagent les grands groupes énergétiques dans le nouveau paysage qui apparaîtra au cours des prochaines décennies, et enfin le financement et la fiscalité.

La table ronde publique que nous ouvrons portera sur le transport de marchandises. Vous pourrez éventuellement compléter vos interventions par des contributions écrites sur la plateforme de concertation publique qui est ouverte sur le site de l'Assemblée nationale jusqu'au 17 avril.

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Sylvie Charles, directrice générale du pôle Transport ferroviaire de marchandises et multimodal de la SNCF, administratrice de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP)

Je commencerai par un constat : toutes les prévisions montrent qu'au niveau européen, les besoins de transport liés au développement économique augmenteront de 30 % d'ici à 2030, ce qui signifie, à part modale inchangée – une gageure ! – l'augmentation des émissions de dioxyde de carbone d'environ 80 millions de tonnes par an, l'augmentation du nombre de décès prématurés d'environ 8 000 et l'augmentation du temps perdu dans les transports du fait de la congestion. Aujourd'hui, un citoyen européen perd en moyenne 120 heures par an dans les embouteillages routiers.

Les externalités négatives liées aux différents modes de transport montrent que le ferroviaire a un rôle à jouer pour éviter un tel scénario catastrophe qui, à l'évidence, finirait par affecter la croissance économique elle-même. Pourtant, l'expérience montre que la part du transport ferroviaire de marchandises stagne aux alentours de 18 % en Europe et 10 % en France, où ce mode de transport représentait environ 50 milliards de kilomètres en 2000, puis 41 milliards en 2006 avant toute ouverture à la concurrence – ce qui prouve que les problèmes préexistaient – pour descendre à 29 milliards entre 2008 et 2010 en raison de la crise économique et stagne depuis lors à 32 ou 34 milliards selon les années.

Que peut-on faire ? La corrélation entre l'évolution des secteurs industriels et celle du transport de marchandises est manifeste. Elle explique que l'Allemagne, où nous sommes également présents, soit une terre beaucoup plus favorable au transport ferroviaire car la densité industrielle est forte et ce pays a su conserver son industrie, contrairement à la France.

Vous nous avez invités à nous projeter vers l'avenir, monsieur le président : toutes les études dont nous disposons établissent que la décroissance des industries lourdes a atteint un plancher et que dans les dix à quinze années à venir, ce secteur devrait se stabiliser voire connaître une légère croissance. Je pense naturellement à la sidérurgie et à la chimie lourde, sans oublier le secteur agro-alimentaire. Dans le même temps, le secteur du transport combiné – de conteneurs, de caisses mobiles ou de semi-remorques – connaîtra une croissance beaucoup plus forte, ce qui témoigne de l'importance de deux éléments sous-jacents de l'économie : d'une part, la généralisation du juste-à-temps, qui va dans le sens d'une plus grande fréquence de transport et de la réduction du volume des lots – deux tendances qui ne favorisent pas le transport massifié que sont le fer et le fluvial ou le cabotage – et, d'autre part, l'inscription complète de l'Europe dans la mondialisation avec la croissance des échanges intercontinentaux.

Dans ce contexte, l'enjeu pour que le ferroviaire réponde en partie à la demande de transport consiste tout d'abord à savoir répondre aux besoins de lots plus petits et à ne pas se contenter que du massif, et ensuite à agir main dans la main avec le transport routier car le transport ferroviaire n'a pas vocation à livrer les marchandises du commerce en ligne chez les particuliers, pas plus qu'il n'a vocation à parcourir les derniers kilomètres.

Nous, acteurs du ferroviaire, n'y parviendrons ensemble qu'en parvenant à activer trois leviers. Il faut d'abord mobiliser les entreprises ferroviaires, qui ont encore beaucoup de travail à faire. Grâce à la concurrence, elles ont déjà beaucoup évolué, sont devenues plus agiles et se sont adaptées à un monde où l'économie connaît des fluctuations croissantes. Elles ont encore à faire, néanmoins, en termes d'offre de produit, car le triptyque train massif–train du combiné–wagon isolé perdure, mais aussi et surtout parce que le transport ferroviaire de marchandises suppose encore de nombreuses tâches manuelles et pénibles. Nous sommes convaincus que le numérique peut enfin déboucher sur des modèles économiques permettant l'automatisation de nombreuses tâches afin d'offrir au client – comme ce devrait déjà être le cas – un suivi en temps réel de ses marchandises.

Cela étant, les efforts, quels qu'ils soient, qui sont déployés par les entreprises ferroviaires – et je peux témoigner du fait qu'ils sont nombreux, notamment chez les opérateurs historiques – ne suffiront pas. Pour transporter des marchandises, nous avons besoin de rails et de sillons de bonne qualité. De ce point de vue, nous nous heurtons à plusieurs difficultés, particulièrement en France où la maintenance des installations a pris beaucoup de retard. Très souvent, le transport ferroviaire de marchandises utilise des lignes communes avec le transport de voyageurs mais le chargement et la livraison se font généralement dans des endroits moins fréquentés – c'est la problématique des lignes capillaires.

D'autre part, le transport de marchandises suppose des changements de conducteurs, car les trains de marchandises n'ont pas la vitesse des trains à grande vitesse (TGV) ni même des intercités. Or les voies de service n'ont pas du tout été entretenues. À Somain, Gevrey-Dijon, Miramas ou Hourcade, pour ne citer que les sites les plus connus, moins de 50 % des voies de service sont utilisables. Nous devons parfois refuser des commandes de clients et renoncer à certains trains faute de pouvoir utiliser ces voies.

Ensuite, nous avons besoin de sillons de qualité. Le potentiel de transport de marchandises étant de plus en plus souvent transfrontalier, nous nous heurtons à une difficulté : le transport ferroviaire de marchandises a été libéralisé mais, dans le même temps, les gestionnaires d'infrastructures sont restés très nationaux et dépendants des priorités de chaque État ; de ce fait, ils coordonnent très mal leurs travaux entre eux, ce qui constitue un obstacle direct au développement du transport ferré passe-frontières.

Dernier levier à mobiliser, et non des moindres : les politiques de transport en général. Il convient de prendre en compte les externalités négatives et d'assurer leur bonne couverture par chacun : à l'heure actuelle, le principe du pollueur-payeur n'est pas appliqué de la même manière selon les modes. Tant que ce ne sera pas le cas – il faudra du temps pour y parvenir – et que l'équité des règles du jeu n'aura pas été rétablie, la question du subventionnement des modes qui dégagent moins d'externalités négatives se posera. À cet égard, les politiques sont extrêmement différentes d'un pays à l'autre et celles de la France sont plutôt en retrait, même si l'on ne peut que se réjouir des récentes avancées relatives à la stabilisation du péage.

Je conclurai en évoquant deux enjeux qui s'annoncent. Le premier concerne le bruit, le second le système européen de gestion du trafic ferroviaire (ERTMS). Au-delà, la France fait face à une difficulté particulière qui tient à la prise en compte de l'importance de la logistique pour continuer de servir l'économie, qu'elle soit industrielle ou agricole. Travaillant dans toute l'Europe et même jusqu'en Chine, je ne peux que constater l'écart de prise de conscience entre des pays tels que l'Allemagne ou la Chine d'un côté et, de l'autre, la France qui ne se rend pas compte de l'intérêt que présente la logistique ni de la nécessité de concilier le transport de marchandises avec le transport de voyageurs.

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Didier Léandri, président du Comité des armateurs fluviaux

Je partage en tous points l'analyse économique de Mme Charles, s'agissant notamment de l'évolution du tissu industriel français et européen depuis les années 1960 et ses effets sur l'évolution des modes de transport massifiés, qu'il s'agisse du transport ferroviaire ou du transport fluvial. Les deux cartes juxtaposées qui ornent la salle dans laquelle nous nous trouvons, la première du réseau routier de la France et la seconde de son réseau ferré et fluvial, montrent, au-delà du symbole, à quel point le ferroviaire et le fluvial obéissent à des logiques comparables.

La France est un pays maritime, comme chacun sait, mais c'est aussi un pays fluvial, ce que l'on sait moins. Elle possède 8 500 kilomètres de voies navigables, soit le réseau le plus étendu d'Europe. À ce record s'en ajoute un autre : la part de marché du transport fluvial en France est la plus faible d'Europe – environ 2 % des marchandises transportées en France, selon le critère de la tonne-kilomètre, le sont par les voies navigables.

Cette situation est le fruit de plusieurs facteurs : le développement du transport fluvial français – comme celui du ferroviaire – s'est fondé sur le développement de l'industrie lourde, c'est-à-dire du charbon et de la sidérurgie. Nos marchés se sont étiolés au fil du déclin de ces activités. La situation actuelle résulte également du choix conscient qu'ont fait les pouvoirs publics de ne pas investir dans ce mode de transport jugé passéiste et inadapté aux nécessités de son temps. Le dernier investissement structurant dans le domaine des voies navigables date des années 1950 : il s'agit du canal du Nord. Selon moi, il est impossible de fonder une stratégie de développement d'un mode de transport sans l'appuyer sur une politique d'investissement dans les infrastructures. Or c'est ce qui s'est produit d'où, ipso facto, l'absence de développement du transport fluvial en France. Parallèlement, le transport routier est devenu extrêmement performant, son évolution ayant tout simplement correspondu à la demande des clients. Cette performance est non seulement économique mais tient aussi à une constante amélioration sur le plan environnemental.

Tout cela explique la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons. A priori, pourtant, le transport fluvial constitue un choix économique et écologique rationnel. Qu'il s'agisse du bruit, de la congestion routière, de l'accidentologie ou encore des émissions de dioxyde de carbone, la performance du transport fluvial est très bonne dans tous ces domaines.

Pour se projeter en 2050, à l'horizon des engagements internationaux que la France a pris en matière de neutralité carbone, il faut envisager comment faire plus de fluvial et comment faire « mieux de fluvial ». Pour en faire plus, il faut remédier au déséquilibre du réseau : c'est comme si nous disposions d'autoroutes à quatre voies qui s'arrêtent au bout de trois cents kilomètres pour devenir des chemins vicinaux. On ne saurait bâtir un plan de transport à partir d'un réseau d'infrastructures qui présente autant de discontinuités sans se heurter à un plafond – d'où le projet que nous souhaitons et qui est déjà très avancé, même s'il subira peut-être quelque retard, d'une liaison à grand gabarit Seine-Nord.

Autre problème : l'absence de priorité accordée dans les ports maritimes français aux modes massifiés. De ce point de vue, le ferroviaire et le fluvial sont logés à la même enseigne : la France a bâti et modernisé – encore récemment – des ports en partant du principe que le pré-acheminement et le post-acheminement maritime ne pouvaient passer que par le transport routier. Cette situation provoque la thrombose inexorable des ports et impose un plafond de verre à leur développement, qu'il s'agisse de Marseille-Fos ou du Havre. Il est donc impératif de réorganiser ces ports afin d'orienter les flux en direction des modes massifiés.

Troisième difficulté, que nous partageons avec le secteur ferroviaire : le vieillissement du réseau des voies navigables. Hormis la Seine – encore que ! – et le Rhône, le reste du réseau, soit 7 500 kilomètres, est dans un état pitoyable et nécessite une remise à niveau – je renvoie aux discussions qui se tiennent actuellement dans le cadre de la préparation du projet de loi d'orientation des mobilités et de son volet programmatique. Il faut inverser la tendance et doter l'établissement principal gestionnaire des infrastructures, Voies navigables de France (VNF), de moyens supplémentaires et significatifs.

Pour faire plus de fluvial, il faut également orienter notre politique foncière et d'aménagement du territoire. Comme – encore une fois – pour le transport ferroviaire, les clients ne sauraient recourir au transport fluvial en l'absence de terrain en bord à voie d'eau. Par nature, le transport fluvial est combiné ; les bateaux ne se rendent pas jusqu'au pas-de-porte des clients. Il faut donc faire intervenir un mode de transport terrestre, camion ou train. Or la multiplication des ruptures de charge tue la solution fluviale. À Paris ou à Lyon, on ne cesse d'aliéner des terrains en bord à voie d'eau, condamnant du même coup définitivement l'utilisation de la voie d'eau en question. Il est donc urgent de sanctuariser, de planifier et de structurer la politique foncière sur le domaine public au service du fluvial – mais Mme Charles dirait sans doute la même chose du ferroviaire.

Comment faire mieux en matière de transport fluvial ? C'est à la fois très simple en théorie et très compliqué en pratique. Il faut tout d'abord un cadre réglementaire adapté. Aujourd'hui, tous les bateaux fluviaux sans exception utilisent du gazole, et pour cause : la réglementation ne les autorisait jusqu'à très récemment pas à utiliser d'autres types de carburant – c'est aussi simple que cela. Il faut également un cadre de planification des installations d'avitaillement : pour utiliser d'autres types d'énergie comme l'hydrogène, le gaz comprimé, le gaz de ville ou bien d'autres encore, il faut créer un circuit de distribution cohérent et maillé sur le réseau d'infrastructures. Hélas, nous ne disposons pas encore d'un outil de planification de ces installations, qui pourraient d'ailleurs fournir plusieurs types d'énergie à plusieurs modes de transport. Encore une fois, cependant, si elles ne sont pas placées en bord à voie d'eau, les bateaux ne pourront pas en profiter. En fin d'année, le port de Gennevilliers inaugurera une station de gaz naturel comprimé. Or elle est placée de telle manière que les bateaux n'y auront pas accès ! Autrement dit, elle est entièrement consacrée au transport routier. À Paris, au pont de l'Alma se trouve une station à hydrogène : elle est à plusieurs dizaines de mètres du fleuve ! En clair, il est indispensable de structurer et de planifier ces installations qui coûtent extrêmement cher et qui peuvent être financées par le secteur privé, pourvu que ce soit dans un cadre cohérent qui porte naturellement un regard sur le transport routier mais aussi sur le transport ferroviaire.

Au-delà du cadre de planification, la fiscalité doit être incitative. Le gazole est actuellement détaxé pour le transport de marchandises ; toutes les énergies alternatives, y compris les énergies totalement vertes, sont taxées. Cherchez l'erreur !

Plus globalement, il faut qu'une stratégie de développement des modes massifiés soit défendue au plus haut niveau ; aujourd'hui, cette stratégie, si elle existe, n'est ni incarnée ni défendue. Nous touchons selon moi aux limites du modal ; il faut donc prendre un certain nombre de mesures.

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Benoît Daly, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

Les freins que nous identifions en tant que profession du transport routier de marchandises sont de plusieurs natures.

Le premier est l'atomisation de notre secteur. Le transport routier de marchandises français est dominé par des petites et moyennes entreprises (PME) et des très petites entreprises (TPE) : 36 000 entreprises pour 400 000 emplois directs. Il est soumis à la concurrence extrêmement forte des pavillons low cost, notamment d'Europe centrale ou d'Europe du sud : en vingt ans, la France est passée de la troisième à la quinzième place en Europe. Cela explique que sa marge moyenne soit de 1,5 %. Les postes de charges concernés par la transition énergétique – la possession du véhicule et le carburant – représentent globalement 46 % des coûts de revient d'un véhicule lourd pour une entreprise de transport. Changer de technologie pour un transporteur, particulièrement s'il s'agit d'une TPE ou d'une PME, constitue une prise de risques majeure qui n'est pas à portée de toutes les entreprises dans ce secteur fragilisé.

Nous avons par ailleurs à prendre en compte le contexte réel dans lequel évoluent nos entreprises. Dans l'environnement des chefs d'entreprise du transport routier de marchandises, peu d'acteurs sont animés d'une forte exigence en matière énergétique. Or la transition écologique se joue au niveau de l'écosystème local de nos entreprises qui sont profondément ancrées dans les territoires : avec le concessionnaire local, représentant du constructeur ; avec leurs clients directs ; avec les pouvoirs publics locaux. Cette transition passe par une pédagogie préalable ainsi que par une appropriation par l'entreprise des contraintes nouvelles induites par les véhicules utilisant une énergie alternative. Dans notre secteur, le temps de l'entreprise est un temps court : c'est celui des opérations quotidiennes et non d'une projection sur dix ou vingt ans. Si les entreprises se sont efficacement approprié la trajectoire des normes Euro des véhicules, c'est que celle-ci correspond à un rythme compatible avec la durée de possession des véhicules, de l'ordre de cinq à huit ans, et avec la fréquence de renouvellement du parc de poids lourds, donc à la valeur de revente des véhicules qui entre dans le calcul de la valeur de l'entreprise elle-même. Ainsi 80 % du parc de poids lourds de nos adhérents sont aux normes Euro 5 ou Euro 6, les normes Euro les plus favorables.

La marge moyenne de 1,5 % dans notre secteur d'activité équivaut à une moyenne de 7 kilomètres par jour Autant vous dire qu'un transporteur est hors marché si ses véhicules doivent effectuer un détour supérieur à 7 kilomètres pour aller s'approvisionner en carburant alternatif dans une station d'avitaillement.

Les transporteurs sont soumis à une communication tous azimuts de constructeurs sur les solutions alternatives – véhicules à l'hydrogène ou à l'électricité – qui ne trouveront d'application industrielle réaliste s'approchant des conditions actuelles d'utilisation des véhicules au diesel que dans plusieurs décennies. Le modèle économique pour ces solutions alternatives est totalement inexistant. Les véhicules sont trois à cinq fois plus chers que les modèles en fonction. Les réseaux d'avitaillement sont inexistants alors que le transport routier de marchandises a de gros besoins en carburant. Les retours d'expérience sur la fiabilité de ces véhicules sont absents. Et comme il n'y a pas de marché revente, leur valorisation dans les comptes des entreprises est de zéro. En outre, il n'y a pas de formation des concessionnaires, ce qui n'est pas le moindre des obstacles. Enfin, leur autonomie est largement insuffisante : celle d'un véhicule électrique de 4 tonnes en test actuellement chez l'un de nos adhérents est de 120 kilomètres contre 700 à 800 kilomètres pour les véhicules en usage.

Il n'y a qu'une seule technologie qui fait aujourd'hui exception, c'est le gaz naturel pour véhicules, le GNV. Il a su convaincre certaines entreprises de notre secteur, de toutes tailles, ce qui un élément extrêmement positif. Cette transition a pu s'effectuer grâce à plusieurs facteurs : une offre de véhicules fiables, dont l'autonomie était consistante, prérequis indispensable pour nos entreprises ; la mise en place d'un réseau d'avitaillement atteignant aujourd'hui 140 stations, à la suite d'actions menées par les pouvoirs publics à partir de 2015, notamment l'appel à projets GNV ; un coût opérationnel sensiblement comparable aux véhicules actuels grâce à une fiscalité favorable, notamment le suramortissement qui permet de lisser le surcoût d'achat et de possession des véhicules ; la loi de finances pour 2018 qui a donné une trajectoire intéressante pour la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) applicable au GNV jusqu'à 2022.

En termes de trajectoire, l'un des éléments à prendre en compte, c'est la réglementation européenne. Pour les camions, l'Union européenne s'intéressait principalement aux émissions d'oxyde d'azote, les NOx, mais le Parlement européen vient de fixer deux objectifs assortis de pénalités pour les constructeurs en matière d'émissions de gaz à effet de serre : une réduction de 15 % en 2025 et de 30 % en 2030 par rapport à 2019, ce qui constitue une baisse spectaculaire, compte tenu du fait que les véhicules sont déjà considérés comme étant très performants.

La transition énergétique n'est pas une fin en soi. L'objectif que nous avons collectivement, c'est la baisse concomitante des émissions de gaz à effet de serre et des polluants.

On a tendance à sous-estimer les efforts actuellement déployés par les transporteurs français pour faire baisser les émissions. Je voudrais rappeler que, depuis 2008, nous avons mis en oeuvre avec le soutien de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) et du ministère des transports un dispositif d'engagement volontaire unique en Europe, « Objectif CO2 » qui a permis de réduire de plus de 2 millions de tonnes de CO2 les émissions du secteur. Notons que ce dispositif est d'autant plus pertinent qu'il est accessible aux PME et TPE. Il fait la jonction entre les gains environnementaux attendus collectivement et les gains économiques nécessaires à chaque entreprise.

Grâce au transport routier de marchandises, la France présente la plus grosse progression en Europe en matière de véhicules lourds au GNV. Ceux qui ont initié cette démarche en 2015 rachètent aujourd'hui des véhicules car c'est un modèle qui correspond à leurs attentes, notamment en termes économiques et opérationnels.

Il existe un parallèle entre le report modal mis en avant par Mme Charles et M. Léandri et la transition énergétique du transport routier de marchandises. Pour se concrétiser, les solutions alternatives doivent proposer en premier lieu un modèle économique sensiblement similaire à la solution existante majoritaire. Elles doivent garantir une fiabilité technologique éprouvée car il est impossible pour les TPE et PME d'essuyer les plâtres d'une nouvelle technologique. Elles doivent assurer une souplesse conforme à l'agilité attendue par le consommateur final en matière de mobilité. Elles doivent proposer une pérennité sur le long terme, qu'il s'agisse de la fiscalité, du réseau d'avitaillement ou de l'offre des constructeurs. Elles doivent dessiner une trajectoire positive d'améliorations pour le secteur, par exemple la possibilité de développer du GNV bio, renouvelable et produit en France. Enfin, elles doivent s'accompagner d'une parfaite objectivité grâce à la comptabilisation des émissions réelles de chaque mode, du puits à la roue.

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Raymond Lang, membre des directoires Transports et mobilités durables et Énergie de France Nature Environnement

Je partage l'analyse qu'a faite M. Léandri du transport fluvial, qui est assez proche, par certains côtés, du transport ferroviaire. Il s'agit de deux modes alternatifs au transport routier qu'il faut essayer de développer pour parvenir à une transition énergétique satisfaisante pour l'amélioration de la qualité de l'air. Nous savons que celle-ci est affectée par les transports de deux manières : par les polluants que sont les oxydes d'azote et par les particules fines et ultrafines qui proviennent de la motorisation diesel, présente dans tous les modes de transport mais dans une moindre mesure dans le secteur ferroviaire. C'est ce qui fait, je crois, l'intérêt majeur du rail : il peut se passer en grande partie du gazole. À cela s'ajoutent les émissions de gaz à effet de serre : le dioxyde de carbone mais aussi le méthane qui a un effet plus marqué sur le court terme qu'il faudra davantage prendre en compte avec l'aggravation du réchauffement climatique. Le transport routier, mode de transport des marchandises dominant, est à l'origine d'émissions de CO2 élevées que nous devrons essayer de réduire.

Pour parvenir à une bonne transition énergétique, il faut voir comment les modes les plus respectueux de l'environnement peuvent cesser de perdre des parts de marché.

L'humanité commence à prendre conscience des enjeux environnementaux. On le voit à travers les manifestations récentes qui ont mobilisé les jeunes générations. En contestant les positions prises par les générations antérieures, elles nous montrent sans doute le chemin qu'il faut suivre.

Il faut bien sûr trouver des modes alternatifs. Le transport routier aura toujours une pertinence mais il doit évoluer et les propos que vient de tenir Benoît Daly me rassurent car ils montrent que des motorisations plus adaptées que le diesel commencent à émerger. Le moteur diesel a été un excellent moteur sur le plan du rendement mais quand on en fait l'analyse écologique, il s'avère qu'il pollue énormément et que jusqu'à présent, il n'y a eu que de fausses solutions pour l'améliorer. Il faut savoir renoncer à cette motorisation et au carburant d'origine fossile qui y est associé, le gazole. Cela prendra du temps mais il y a des ouvertures qui se profilent.

Sur le long terme, le transport ferroviaire a perdu depuis la seconde guerre mondiale beaucoup de parts de marché. Lors de la première crise pétrolière, on aurait pu penser qu'il reprendrait de l'essor mais cela n'a pas été le cas : il a hélas perdu 10 % de son trafic et n'a par la suite jamais repris sa place. Sa part de marché s'est stabilisée depuis 2011 pour se fixer à 10 % avec, en 2016 et 2017, une légère diminution car les récoltes de céréales n'ont pas été excellentes. Le transport ferroviaire n'a pas connu un environnement favorable pour pouvoir se maintenir.

Il faut redonner de l'élan au fret ferroviaire comme au fret fluvial afin de créer les conditions d'un vrai report modal, comme la Commission européenne en a exprimé le souhait en 2001 dans son Livre blanc consacré aux transports. Cette reconquête ne s'est pas produite et la Commission en porte une part de responsabilité car elle n'a pas suffisamment intégré le fait que la concurrence entre mode ferroviaire et mode routier est souvent déloyale. Il appartient aux pouvoirs publics de fixer un cadre pour qu'elle se déroule de façon plus honnête.

Le mode ferroviaire a des atouts à faire valoir. Du fait des caractéristiques du contact rail-roue, il a une très faible résistance à l'avancement. Il permet de faire des économies d'énergie : par tonne utile transportée, les dépenses d'énergie sont six fois moindres. Toutefois se pose le problème de l'extension des réseaux. Il faudrait que le mode ferroviaire soit en mesure de renoncer au diesel même pour la desserte terminale mais nous savons que l'électrification des derniers kilomètres coûte encore trop cher. Or je ne vois pas poindre de solutions matures comme dans le transport routier avec le gaz naturel.

Le gaz naturel est une énergie fossile mais il a la possibilité de se transformer en énergie renouvelable et écologique. C'est peut-être la seule énergie qui soit dotée de cette caractéristique. La même molécule, le méthane, CH4, peut être soit d'origine fossile soit d'origine renouvelable. On va désormais laisser le carbone enfoui dans la croûte terrestre depuis des millions d'années pour utiliser le cycle court du carbone, ce qui permettra de réduire les émissions de CO2 de l'ordre de 80 %.

Le déclin du rail tient aussi à d'autres raisons. Accéder au réseau ferroviaire est plus complexe que d'accéder au réseau routier, car cela nécessite des embranchements particuliers dont l'amortissement nécessite un trafic régulier. Sur le plan international, des contraintes techniques comme l'écartement des voies pèsent aussi.

Le trafic marchandises ne paie pas réellement le coût des infrastructures, qui est payé essentiellement par le véhicule léger, dont l'impact sur l'infrastructure est 10 000 fois moindre qu'un véhicule lourd. Sur le réseau concédé, la tarification est trois fois supérieure. Elle est donc très éloignée du rapport d'usure.

Ce sont autant de raisons pour revoir le cadre de fonctionnement du mode de transport routier et des modes de transports alternatifs.

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Brigitte Delanchy, directrice générale du groupe Delanchy

La transition énergétique doit se faire rapidement, avec une vision claire et à long terme. En tant que représentante d'une entreprise de transport, je crois pouvoir dire qu'il n'y a pas de freins humains au sein du transport de marchandises routier. Les consciences sont éveillées. Il va nous falloir réussir ensemble mais avant tout changer ensemble. Si par le passé le transport fluvial, le transport ferroviaire et le transport routier se sont opposés, ne serait-ce pas le moment d'envisager une nouvelle manière de concevoir les choses ?

Il ne s'agit pas pour autant de stigmatiser le bon vieux moteur diesel qui n'est pas le diable qu'on se plaît à présenter. La mixité des carburants est nécessaire aujourd'hui.

Nous avons besoin que les pouvoirs publics impriment une volonté. Les initiatives privées existent, ce qui est une note positive. Elles sont soutenues par nos différents collaborateurs et elles pourront l'être par toute sorte d'acteurs si on ne procède pas de manière hégémonique et qu'on laisse plus de temps à certaines entreprises. Il manque simplement des déclencheurs.

Les gouvernements doivent pouvoir s'opposer à la gouvernance de l'Europe. Y a-t-il besoin d'autant de normes ? Faut-il vraiment aller vers des normes Euro 7, Euro 7+, voire Euro 8 qui imposeraient aux constructeurs de délais très courts pour s'y conformer ? Les budgets de développement ne devraient-ils pas plutôt être consacrés à l'émergence de nouvelles énergies ? Nous sommes lestés par la lourdeur administrative des réglementations alors qu'on nous parle d'un monde agile et souple.

Il faudrait parvenir à fédérer les initiatives privées au niveau national. La France a des atouts incroyables. Elle est très en avance en matière de gaz. Des circuits courts permettraient de favoriser le biogaz. Il importe d'apprendre à vivre ensemble dans une économie qui soit davantage circulaire. Nous ne devons pas transporter l'énergie que nous consommons. Et si nous produisons de l'énergie, il faut pouvoir la remettre dans les réseaux pour qu'elle profite à d'autres utilisateurs. Je suis persuadée que nous avons la capacité de réussir ensemble aujourd'hui.

Je considère qu'il faut faciliter les passerelles entre la recherche et les applications industrielles. Je suis une fervente partisane de l'hydrogène mais je déplore que les merveilleuses recherches menées à Grenoble par le Laboratoire d'innovation pour les technologies des énergies nouvelles et les nanomatériaux (LITEN) du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) restent dans un caisson étanche. Comment les ouvrir aux constructeurs ? Comment faire en sorte que nous testions ces nouvelles technologies pour en faire ensuite profiter le plus grand nombre ? Nous avons besoin de vous pour décloisonner. C'est grâce aux porteurs de projets que nous pourrons atteindre demain l'ensemble de la profession. Au sein du transport routier de marchandises, il n'y a plus personne à convaincre. Nous savons tous que nous n'avons qu'une seule planète. Nous ne souhaitons pas être pointés du doigt comme étant les plus gros pollueurs au monde. Nous avons la capacité à rebondir rapidement : il est dans notre ADN de savoir être agiles puisque les flux hyper-rapides sont notre quotidien. Préparez-nous un terrain fertile pour nous permettre de nous adapter.

Aujourd'hui, les consommateurs sont en train de changer leurs habitudes. Et certains commerçants ne savent pas quel sera le commerce de demain. Ne rendons pas complètement imperméables les centres-villes. Certaines municipalités interdisent leur accès aux poids lourds et aux véhicules diesel, de sorte que vous voyez s'y multiplier de petites camionnettes qui ne sont pas soumises aux normes. Ceux qui les conduisent ne sont astreints à aucune exigence professionnelle et peuvent se rendre coupables d'incivilités ou d'infractions au code de la route alors que les professionnels de la route que sont nos chers collaborateurs sont relégués aux portes des villes. Est-ce souhaitable ? Quelles solutions trouver ensemble ? Ne pourrait-on envisager une harmonisation des décisions municipales afin d'éviter toute anarchie et toute application brutale ?

Bref, nous avons besoin de vous pour travailler ensemble.

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Ma circonscription du Pas-de-Calais verra passer le canal Seine-Nord Europe, initiative que je soutiens ainsi que le développement des infrastructures devant l'entourer.

Vous avez affirmé que le transport routier est très performant, et qu'il a su s'imposer. On a aussi pu assister au développement de la logistique qui accompagne ce mode de transport, et qui constituait le pendant de la désindustrialisation ; il faut ainsi songer aux plateformes multimodales qui équiperont le canal Seine-Nord et savoir si elles pourront prendre en charge l'acheminement des mêmes marchandises que le transport routier.

À côté de la plateforme multimodale de Marquion se trouve une base aérienne, qui je l'espère, sera transformée en l'une des plus grandes bases de commerce en ligne d'Europe. Mais l'entrepreneur l'a située à cet endroit pour la proximité du réseau routier, pas pour celle du canal ; il n'est donc pas prévu que les marchandises puissent circuler par train ou sur le canal.

Je suis parfaitement d'accord avec l'utilisation du bio-GNV dans le transport poids-lourd, qu'il faut développer ; les constructeurs de camions s'y intéressent. En revanche, la problématique du dernier kilomètre demeure ; à cet égard, beaucoup reste à faire dans le domaine de l'organisation logistique des centres-villes, et le transport utilisant l'électricité ou l'hydrogène pourrait être la solution.

On peut aussi imaginer le recours au ferroviaire en centre-ville : pourquoi pas le RER fret ou le métro fret pour entrer en ville ? Au dernier Mondial de l'automobile, des constructeurs ont présenté des véhicules autonomes de fret destinés à desservir toute la e-logistique des centres-villes. Quelle vision avez-vous de ce sujet ?

Au mois d'avril 2018, notre collègue Damien Pichereau a remis à la ministre chargée des transports un rapport sur l'utilisation des véhicules utilitaires légers, notamment pour couvrir les grandes distances. En effet, ces véhicules ne sont pas astreints aux mêmes normes que vous, transporteurs, et on voit désormais ces camionnettes bâchées circuler sur les autoroutes. Or ce rapport montre que le bilan CO2 de cet usage des véhicules légers est pire ; mieux vaut un gros camion que dix petits véhicules !

En ce qui concerne la SNCF, la ministre des transports met l'accent sur la rénovation du réseau plutôt que sur la création de nouvelles infrastructures, ce que nous approuvons, mais cela concerne-t-il les voies de service ? Ne faudra-t-il pas que le projet de loi d'orientation des mobilités (LOM) le prévoie ?

À cet égard, vous pourriez peut-être m'aider à rédiger un amendement tendant à prévoir que les stations fournissant aux transports de l'électricité, de l'hydrogène, etc. soient implantées aux bons endroits afin que chacun puisse en profiter… (Sourires.)

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Benoît Daly, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

S'agissant du dernier kilomètre, il faut avoir conscience qu'il s'agit d'une logistique dont les coûts sont élevés et les recettes faibles. C'est un secteur dans lequel la possession de véhicules excède rarement deux ans, ce qui d'ailleurs est aussi la durée de vie moyenne des entreprises concernées. Nous sommes donc en présence d'une concurrence franco-française extrêmement sauvage, dans le cadre de laquelle agissent des acteurs souvent non déclarés, très faiblement formés et utilisant des véhicules généralement en fin de vie.

Pire encore, l'un des facteurs qui jouent contre toute amélioration est l'attente des consommateurs. Vous avez évoqué la plateforme de commerce électronique qui se crée dans votre circonscription ; le pendant de cette forme de consommation, c'est que le client veut tout, tout de suite, sans payer les conséquences économiques et environnementales résultant de cette rapidité. Pour vous en convaincre, il vous suffit de vous connecter à une plateforme américaine bien connue et de commander un colis aujourd'hui : vous serez livré ce soir par un véhicule qui ne peut pas être plein, qui ne peut pas être optimisé. Cette évolution est poussée par le consommateur à qui on propose toujours plus, ce qui est le cas de cette plateforme notamment, du transport gratuit, car il est offert. Dans la mesure où vous ne payez pas la conséquence de vos actes, vous n'en êtes absolument pas conscient.

C'est un des éléments à prendre en compte dans la logistique du dernier kilomètre, domaine dans lequel il y a fort à faire, et dans lequel l'utilisation de véhicules performants sur le plan écologique pourrait avoir des effets bénéfiques pour une grande partie de la population française. Mais c'est aussi le secteur où il sera sans doute le plus difficile d'imprimer cette trajectoire.

Pour répondre à la question sur la possibilité de favoriser le report modal en faisant transporter des colis de la messagerie par des trains ou sur des voies navigables, je dirai que, malheureusement, l'attente du consommateur porte aussi sur une certitude de qualité et de rapidité. Sans connotation péjorative, je rappelle qu'il s'agit de modes de massification, ce qui fait leur efficacité, mais ce qui les soumet aussi à des contraintes liées à la nature même des infrastructures utilisées, voire à la concurrence existant entre le transport ferroviaire de passagers et celui de marchandises, qui joue toujours en faveur du premier.

Nous avons une expérience dans ce domaine puisque, jusqu'au milieu des années 1990, une partie des colis était acheminée en transport combiné. Pendant cinq ans, j'ai participé au développement du transport combiné par le tunnel sous la Manche. J'ai ensuite été amené à diriger une des entreprises françaises de transport combiné, qui malheureusement a subi les hausses tarifaires de la SNCF.

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Benoît Daly, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

Le transport combiné consiste à mettre des conteneurs, des caisses mobiles, sur des wagons, dans des terminaux et à les expédier à 400 ou 600 kilomètres de distance. Ce mode de transport fonctionnait très bien, mais rencontrait des problèmes, car lorsque survient une grève ferroviaire de trois mois, cela entraine forcément des conséquences sur la qualité de la prestation. Ce mode est toutefois efficace, il est d'ailleurs abondamment utilisé aux États-Unis, y compris par les opérateurs de messagerie, car il est massifié et économique sur la longue distance.

Les Allemands l'utilisent beaucoup, car les lieux de production et de consommation sont assez harmonieusement répartis sur l'ensemble du territoire. Pour sa part, la France présente la particularité qu'une bonne partie de l'activité se situe à l'est d'une ligne passant entre Le Havre et Marseille, et ne bénéficie pas de cet effet d'harmonisation qui prévaut en Allemagne, alors que son opérateur ferroviaire historique a fait des choix parfois contestables.

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Sylvie Charles, directrice générale du pôle Transport ferroviaire de marchandises et multimodal de la SNCF, administratrice de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP)

Je rappelle que le secteur est ouvert depuis plus de dix ans, et que l'on a le choix entre une trentaine d'entreprises ferroviaires, ce qui n'exclut pas quelques difficultés.

Des opérateurs agissent dans le transport combiné ; ils proviennent aussi bien des grands groupes que des entreprises familiales, et leur rôle est de lancer une ligne, soit à partir d'un port, soit de manière continentale. La difficulté qu'ils rencontrent est celle du remplissage suffisant de cette ligne ; ils sous-traitent le plus souvent la traction sur rails à une entreprise ferroviaire, car celle-ci est rarement intégrée, par ailleurs, ils investissent dans de la caisse mobile.

La difficulté du transport combiné est double : il faut trouver des zones de remplissage suffisant, et les ports sont des points naturels de massification, c'est pourquoi beaucoup de lignes partent de Fos-Marseille, du Havre, d'Anvers ou de la région bordelaise ; vos clients sont alors des transporteurs routiers pour tout ce qui concerne le transport continental ou des armateurs et des transitaires pour tout ce qui vient de la mer.

Attirer les entreprises de transport routier nécessite une grande fiabilité. À cet égard, les grèves de 2016 et 2018, pendant laquelle nous ne pouvions pas circuler en France, ou très mal puisque les postes de circulation du gestionnaire de l'infrastructure n'étaient pas tenus, ont été désastreuses. Cela pose le problème de la continuité d'un service qui s'apparente à un monopole naturel, qui vous paralyse, s'il n'est pas assuré.

Dans le même temps, le transporteur routier doit réaliser un investissement spécifique dans des caisses mobiles ou des semi-remorques préhensibles. L'effort que nous avons fourni, auquel nous avons été incités par notre actionnaire l'État français, a consisté à adopter un système complètement adapté au transport routier ; c'est donc le transport ferroviaire qui a dû s'adapter. Ce fut le choix de ce que l'on a appelé les autoroutes ferroviaires, appuyé sur une technologie de wagons surbaissés sur lesquels sont chargées horizontalement des semi-remorques développées par le groupe alsacien Lohr.

À travers notre filiale VIIA, nous visons tout le trafic de la France ; c'est pourquoi nous sommes parfaitement complémentaires avec les transporteurs routiers qui sont nos clients, et qui hélas, battent désormais très rarement pavillon français. Nous prévoyons de transporter en 2019 environ 135 000 semi-remorques, ce qui est certes faible, mais n'en constitue pas moins un élément tangible de transfert de la route au rail, qui économisera près de 100 millions de tonnes de CO2 à travers toute la France.

Vous avez demandé, monsieur le président, à quel type de marchandises pouvait s'adresser le transport massifié. Nous devons continuer à servir, et à bien servir, ce qu'il reste de nos grandes industries – sidérurgie, chimie, agroalimentaire – qui ont le mieux passé la crise, ainsi que ce qu'il reste des exportations de céréales françaises. À cette fin, nous devons continuer à améliorer le rapport tonne tirée par une seule locomotive : ainsi, à partir de Dunkerque, nous tirons des trains de 4 600 tonnes. Ce qui est une manière pour l'industrie sidérurgique de trouver un intérêt à développer ses usines en France.

Toutefois, si nous voulons augmenter à nouveau la part du ferroviaire et du transport combiné dans le transport pour consommer moins d'énergie, nous devons parvenir à nous adapter enfin à cette économie du XXIe siècle, qui est une économie de petits lots. À cette fin nous devons disposer de solutions plus flexibles ; être capables de prendre des coupons de wagon, mais aussi de jouer complètement la multimodalité, que ce soit avec des caisses mobiles, des semi-remorques et des conteneurs.

La question est de savoir comment intégrer dans une chaîne une rupture de charge tout en offrant, in fine, le même coût qu'un long parcours effectué par un camion. Le faire pour de courtes distances ne sert à rien, sauf pour un trafic très intensif. Pour le reste, en revanche, cela signifierait travailler main dans la main avec des routiers ; c'est ce que nous faisons, en créant même des joint-ventures avec eux afin d'offrir des solutions à l'industrie automobile.

Cela appelle encore un environnement réglementaire qui, pour l'avenir, n'obère et n'empêche pas, ces solutions. M. Léandri l'a fort bien souligné ; dès lors que nous n'avons plus de bord à bord possible, nous ne pouvons plus travailler de cette façon avec des transporteurs routiers. En Allemagne, par exemple, toute zone logistique nouvelle dispose obligatoirement d'un embranchement ferroviaire et d'un accès fluvial, c'est pourquoi il est plus facile de construire des solutions multimodales avec les routiers.

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Raymond Lang, membre des directoires Transports et mobilités durables et Énergie de France Nature Environnement

Dans le numéro du mois de mars dernier de la Revue générale des chemins de fer, j'ai lu un article sur la solution retenue par les chemins de fer suisses autour de Genève. J'ai été relativement stupéfait de voir à quel point on peut arriver à faire de la distribution extrêmement pointue en couplant le ferroviaire et le routier.

Cela exige un important travail initial de préparation, mais la grande entreprise de distribution Coop a fait le pari d'alimenter de l'agglomération de Genève à la fois par le ferroviaire et le routier. Des trains partent ainsi régulièrement d'une zone de distribution située à environ 67 kilomètres de Genève, au-dessus de Lausanne, et transportent des conteneurs parfaitement adaptés au trafic qui rejoignent des camions dans la zone de la Praille afin de desservir la quarantaine de supermarchés du groupe par route, ce qui évite l'encombrement de l'autoroute entre Genève et Lausanne.

Ce dispositif paraît rentable et le groupe envisage de le développer au-delà. De façon générale, contrairement à la plupart des autres, les chemins de fer suisses n'ont jamais abandonné la messagerie, ce qui montre bien que des solutions existent aujourd'hui. Nous pourrions envisager d'aller voir comment nos voisins suisses procèdent, car ce modèle pertinent et constant dans la durée peut être développé au-delà de l'agglomération genevoise.

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Didier Léandri, président du Comité des armateurs fluviaux

Si le transport fluvial et le transport ferroviaire restent cantonnés dans leurs marchés historiques, ils n'auront aucune perspective de contribution supplémentaire à la transition énergétique, au règlement de la question de la saturation de certaines parties du réseau routier ou à la réduction des nuisances.

Notre secteur est tout entier tourné vers la diversification de ses marchés, dont le transport de conteneurs. Par construction, le conteneur héberge plusieurs lots appartenant à différents clients, et c'est le marché de la grande consommation et du petit lot qu'il doit viser. Nous avons la chance que des volumes considérables transitent dans les ports maritimes ; la situation est d'ailleurs paradoxale, car il n'y a jamais eu autant de flux entrants dans les ports maritimes français qu'aujourd'hui.

Les nouvelles alliances maritimes conduisent à une très grande concentration de l'activité sur trois jours de la semaine, ce qui nécessite ensuite de passer le goulot d'étranglement du port pour distribuer à l'autre bout de la France la brosse à dents que le client a commandée sur Amazon. Dans ce contexte, les extrêmes se combinent, et je ne crois pas que le transport fluvial ou ferroviaire puisse constituer une solution universelle.

En revanche, une contribution de quelques points supplémentaires de ces modes de transport dans le volume global serait de nature à diminuer un certain nombre de phénomènes importants de nuisances. Nous ne prétendons toutefois pas porter la part du transport fluvial à 20 % et celles du transport ferroviaire à 50 %, c'est totalement impossible.

Par ailleurs, je rappelle que nous faisons déjà la livraison de petits colis ; depuis quatre ans, des barges porte-conteneurs accostent au port de la Bourdonnais, aux pieds de la tour Eiffel, pour livrer les magasins Monoprix de Paris. Un modèle économique autour de cette activité ne peut cependant pas exister si ni l'effet d'intégration et d'image, ni les externalités, qui ne le sont pas aujourd'hui, n'y sont intégrés.

Ainsi, un certain nombre de solutions pouvant sembler hors cadre ne sont-elles pas encore rentables, mais il est possible de rebâtir un modèle économique autour d'elles ; nous en sommes convaincus. Au mois de juin prochain, une ligne parisienne de desserte fluviale de messagerie va être lancée à Paris, avec de la préparation de commandes à bord des bateaux. Avec un peu d'imagination, on peut développer ce type de solutions, en ayant toutefois conscience qu'elles ne seront jamais majoritaires dans le concert des modes de transport.

Vous avez évoqué, monsieur le président, le cas des stations d'avitaillement. Une initiative est effectivement à prendre dans le cadre de la LOM sur la question de la transversalité. Beaucoup d'initiatives sont prises dans le domaine de la transition énergétique, mais elles sont isolées, et demeurent cloisonnées par mode de transport ; en quelque sorte, nous ne nous parlons pas. Cela est d'autant plus regrettable que les activités de recherche-développement comme d'application nécessitent beaucoup de moyens, et c'est pourquoi j'appelle à leur mise en synergie entre les différents modes de transport.

Aujourd'hui, par exemple, la production de moteurs pour le secteur fluvial en Europe représente 150 unités par an ; il est évident que les motoristes ne vont pas investir dans la recherche-développement pour ces engins. En revanche, combien de moteurs routiers sont-ils produits chaque année en Europe, monsieur Daly ?

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Benoît Daly, secrétaire général de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR)

Chaque jour en Europe, 1 500 véhicules lourds sortent des chaînes de production des constructeurs.

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Didier Léandri, président du Comité des armateurs fluviaux

Cela montre qu'il vaut mieux travailler avec le secteur routier pour faire de la « marinisation » afin de profiter d'effets d'échelle et de synergies. Il en va de même lorsque l'on parle de stations d'avitaillement ; il faut toujours avoir ce réflexe transversal que nous n'avons pas suffisamment aujourd'hui.

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Yannig Renault, directeur technique du groupe Delanchy

Nous avons évoqué la pertinence de l'utilisation du biométhane, mais celle-ci nécessite une orientation véritable propre à rassurer les constructeurs, lesquels, pour pouvoir produire un matériel, ont besoin de visibilité sur un marché. En ce sens, je partage les propos de M. Léandri.

Certains constructeurs de poids-lourds ne se lancent pas dans la construction de véhicules utilisant cette énergie parce qu'ils n'ont pas la certitude de pouvoir amortir leurs frais de développement. Une vraie stratégie de promotion du biométhane permettant une exonération de l'émission de CO2 serait de nature à les rassurer, ils pourraient alors produire des moteurs à gaz susceptibles d'être utilisés pour divers modes de transport. Les constructeurs ont besoin d'être assurés de l'existence d'un marché pour décider de développer la gamme, faute de quoi, nous ne pouvons pas aujourd'hui acquérir certaines catégories de véhicules fonctionnant au gaz dont nous aurions besoin.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai été interpellé par un constructeur qui propose une solution mixant du GNV et 5 % de diesel ; cette initiative vous semble-t-elle pouvoir prospérer ?

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Yannig Renault, directeur technique du groupe Delanchy

Ce type de matériels présente un vrai intérêt écologique ainsi qu'une réelle pertinence ; la difficulté résidera dans leur homologation. Beaucoup de grandes agglomérations font la guerre au diesel, et si ces moteurs sont homologués diesel au titre de la part de ce carburant qu'ils utilisent, ils seront, de façon paradoxale, interdits en ville. C'est d'autant plus regrettable que le diesel ne sert qu'à produire l'étincelle, alors que le carburant réellement consommé est du gaz. Ce dual fuel représente une très belle technologie, mais les réglementations prohibant le diesel pourraient la tuer dans l'oeuf.

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Sylvie Charles, directrice générale du pôle Transport ferroviaire de marchandises et multimodal de la SNCF, administratrice de l'Union des transports publics et ferroviaires (UTP)

Permettez-moi un dernier mot sur la desserte des ports, compte tenu du volume de conteneurs qui y transite. Le port du Havre illustre parfaitement les difficultés que connaît cette transition : le développement du ferroviaire y est entravé par le fait que les sillons sont largement consacrés aux trains de voyageurs – et le seront davantage encore demain avec Éole, de Paris à Mantes et au-delà. Conscients de cette situation, les pouvoirs publics ont quelque peu anticipé la difficulté – même si nous peinons déjà beaucoup à obtenir les sillons dont nous avons besoin sur l'axe Le Havre-Paris vers l'Allemagne ou vers Lyon, c'est-à-dire tout l'hinterland du port. Il a donc été prévu de remettre à niveau la fameuse ligne Serqueux-Gisors. Or cette décision a aussitôt provoqué une levée de boucliers parmi les responsables politiques du Val-d'Oise, poussés par les habitants qui, pourtant, ont souvent acheté leur logement alors que la voie ferrée existait déjà – et leur a même permis d'acheter moins cher ! Ailleurs, la politique d'urbanisme a consisté à bâtir sur les terrains proches de la voie ferrée non pas des zones d'activité mais des immeubles de logements, alors que des trains circulaient déjà. Dans ces conditions, le gestionnaire d'infrastructures et les pouvoirs publics ont beaucoup de difficultés à faire accepter le projet Serqueux-Gisors.

Admettons néanmoins qu'il se fasse : nous, entreprise ferroviaire, ne serons pas pour autant tirés d'affaire car, pour le gestionnaire d'infrastructures, cette ligne ne relève pas des critères d'investissement correspondant à la règle d'or qui lui a été imposée. Il n'aura donc d'autre choix que de fixer des péages. Or, si Serqueux-Gisors coûte plus cher que ce que coûte actuellement la desserte du Havre, nous aurons favorisé non pas un report modal mais, au contraire, un contre-report modal. N'oublions pas, en effet, que le transport ferroviaire de marchandises suit avant tout le coût du transport routier. Si le coût des infrastructures explose sur la ligne Serqueux-Gisors, nous ne pourrons pas développer le trafic ferroviaire et ne pourrons donc pas augmenter la part du ferroviaire dans le transport des marchandises arrivant au Havre.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie pour vos interventions. Je retiens de cette table ronde que nous associons trop rarement l'ensemble des acteurs du transport de manière transversale comme aujourd'hui ; c'est une idée à creuser, car la multimodalité permet de répondre à de nombreuses questions.

L'audition s'achève à douze heures trente.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 4 avril 2019 à 11 heures

Présents. - M. Bruno Duvergé, Mme Nathalie Sarles