Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 9h20

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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  • âge
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 16 mai 2019

La séance est ouverte à neuf heures vingt.

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Madame, messieurs, merci de votre présence.

Mes chers collègues, nous allons entendre ce matin, pour commencer cette journée d'auditions, plusieurs associations oeuvrant dans le secteur de la protection de l'enfance.

Nous accueillons dans le cadre de cette table ronde, M. François Vacherat, directeur général, et M. Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance qui gère de nombreux villages d'enfants et de foyers, privilégiant un mode d'accueil de type familial.

Monsieur Hervé Laud, vous êtes directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'enfants, association qui gère des villages d'enfants et propose des accueils d'urgence. La préservation des fratries est l'une de vos priorités.

Mme Isabelle Bouyer et Mme Céline Truong sont respectivement membre de la délégation nationale et référente au secrétariat Famille petite enfance ATD Quart Monde, dont la priorité est la lutte contre la pauvreté. Votre participation, mesdames, nous permettra d'aborder la question des liens entre difficultés sociales, pauvreté, placements dans le cadre de l'ASE.

Mesdames, messieurs, je vais vous laisser la parole à tour de rôle pour une intervention liminaire de quelques minutes, puis Mme la rapporteure et nos collègues engageront la discussion avec vous.

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François Vacherat, directeur général de la Fondation Action enfance

Merci de votre invitation. Nous sommes très heureux d'être ici ce matin. Nous vous présenterons la fondation, la singularité de notre mode d'accueil dans le champ de la protection de l'enfance et notre stratégie à cinq ans ainsi que différents sujets sur lesquels nous souhaitons appeler votre attention.

La Fondation Action enfance existe depuis soixante ans. Elle a été longtemps connue sous le nom de « Mouvement pour les villages d'enfants ». Nous gérons aujourd'hui quinze établissements de protection de l'enfance qui sont implantés dans huit départements, bientôt neuf avec la Gironde. Nous accueillons des enfants de trente départements français, soit dans leur département d'origine, soit dans les départements riverains.

Nous accueillons actuellement en protection de l'enfance 780 enfants ou jeunes, de zéro à dix-huit ans. Nous avons également un service « Action Plus » qui prend en charge les jeunes qui sortent de la protection de l'enfance sans appui familial. Actuellement, 70 jeunes relèvent de ce dispositif.

Le budget de la fondation est de l'ordre de 60 millions d'euros. Il provient à près 85 % de financements des départements versés au moment de l'accueil des jeunes sous la forme de prix de journée et, pour quelque 15 %, de moyens versés par des donateurs, particuliers ou entreprises, qui soutiennent notre action. Nous collectons annuellement environ 11 millions d'euros, qui sont utilisés pour venir en appui des dispositifs publics existants et améliorer la prise en charge des jeunes que nous accueillons.

Le positionnement de la Fondation Action enfance n'est pas d'être un prestataire de services des départements, mais plutôt un partenaire. C'est ainsi que nous essayons de coproduire de la réflexion et de l'action, puisque tel est notre métier de base, mais nous sommes intéressés à financer des dispositifs hors financements publics et, ce serait encore mieux, à cofinancer des dispositifs qui permettent une prise en charge de meilleure qualité des enfants qui nous sont confiés.

Nous comptons quinze établissements ; onze d'entre eux sont des villages d'enfants, chacun accueillant entre 48 et 54 enfants dans des maisons qui accueillent elles-mêmes six enfants. Ces jeunes vivent au quotidien dans des maisons avec leurs éducateurs. À l'instar de SOS Villages d'enfants, nous accueillons, à 80 %, des fratries : frères et soeurs, demi-frères, demi-soeurs. Nous avons adopté une organisation de travail qui est dérogatoire à la réglementation des 35 heures, qui nous permet d'assurer la continuité de l'accueil de ces enfants.

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Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance

L'accueil est de type familial. La proposition de la fondation se structure autour de trois éléments centraux : premièrement, six enfants dans une maison ordinaire ; deuxièmement, des éducateurs familiaux qui se relaient, soit quatre éducateurs pour six enfants, les mêmes éducateurs avec les mêmes enfants, qui se relaient à un rythme de travail dérogatoire aux 35 heures, sur quatre ou cinq jours consécutifs ; troisièmement, une architecture particulière, en maison.

Un village d'enfants est formé de petites zones pavillonnaires de huit à neuf maisons, accueillant chacune six enfants, d'une maison commune, dite « la grande maison », où sont installés le directeur, le chef de service et les psychologues.

Cette structure s'inspire d'éléments issus de la famille d'accueil, permettant un accueil de type familial. Le statut des personnels est unique : celui d'éducateur familial. Ils peuvent avoir reçu des formations d'éducateur spécialisé, de moniteur-éducateur ou être sans diplôme dans ce domaine . Ils partagent la même fonction, intègrent les trois fonctions parentales – la sécurité, le soin et l'éducation – et vivent avec les enfants. Ils partagent leur quotidien.

Ce partage du quotidien est un élément central dans la mesure où le fonctionnement de la maison ne présente aucune dimension collective. Les éducateurs font les courses, la cuisine pour leur maison, vivent avec les enfants et les emmènent à l'école ou à leurs activités sportives. Le partage du quotidien et un accueil de type familial se situent au coeur du mode d'accueil que nous avons modélisé pour les éducateurs qui sortent de formation.

Le lien et la relation sont essentiels. Notre intention éducative se résume en une phrase : les enfants doivent pouvoir compter pour quelqu'un et sur quelqu'un. Pour les éducateurs qui sortent de formation, ce mode d'accueil est parfois différent de ce qu'ils ont pu vivre au cours de leurs stages ou entendre dans les lieux de formation. Pour nous, ce qui compte, ce n'est pas la distance éducative, mais la bonne proximité éducative. Tous les mots revêtent leur importance : nous parlons d'éducateurs familiaux, d'accueil de type familial. Nous sommes dans une forme de tension positive entre un accueil de qualité, avec des personnes qui sont formées et qui comprennent la situation des enfants, et quelque chose qui renvoie au familial. Dans la langue française, tout ce qui dit l'intensité de la relation renvoie au champ familial, par exemple « c'est comme un père pour moi ». Dès qu'il est besoin d'exprimer l'intensité de la relation, on renvoie à la sphère sémantique du familial.

Notre objectif est d'offrir une relation à ces enfants qui repose sur le rythme de travail, l'organisation en maison et l'accueil en fratries. Nous accueillons des enfants dans une logique de placement qui s'inscrit dans la durée. La durée moyenne de présence dans nos établissements n'est pas tout à fait celle du placement habituellement, car, généralement, ces enfants ont été placés entre l'âge de quatre et cinq ans dans les villages, et une spécificité est que, dans nos villages, entre 60 % et 80 % des enfants accueillis ne bénéficient pas de droit d'hébergement chez leurs parents ; ils ne vont jamais dormir chez leurs parents. Cela dit quelque chose d'une difficulté importante dans la sphère familiale et des enjeux d'accueil dans la durée et d'accompagnement du retour en famille. Il s'agit d'une population particulière.

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François Vacherat, directeur général de la Fondation Action enfance

Nous fonctionnons comme toutes les fondations, associations ou entreprises sur la base de plans à cinq ans. Pour la période 2019 à 2023, nous nous attachons plus particulièrement à développer trois axes.

Premièrement, il s'agira de consolider ce mode d'accueil que nous trouvons intéressant dans sa singularité, mais qui reste perfectible.

Nous souhaiterions que les formations des éducateurs. soient ouvertes sur l'extérieur, soit avec des collègues de la protection de l'enfant, soit même avec des fonctionnaires territoriaux des départements, dans la mesure où nous partageons des problématiques similaires et que nous avons besoin parfois de comprendre les intérêts de chacun.

Eduquer ces enfants nécessite de prendre des risques éducatifs . Il convient donc de définir entre les départements et les acteurs de la protection de l'enfance le cadre dans lequel on prend un risque partagé.

Notre prise en charge éducative est la plus globale possible. Nous nous intéressons aux questions culturelles – en particulier, autour de la lecture –, au sport et, à partir de cette année, aux enjeux écologiques puisque nos villages sont des lieux éducatifs. Dans le cadre du cycle alimentaire, nous devons apprendre aux enfants à se nourrir avec des produits de qualité, à trier, à faire attention aux déchets, etc. Parallèlement, nos villages eux-mêmes doivent être plus vertueux au plan écologique. C'est ainsi que le prochain village que nous livrerons en 2021 à Sablons, en Gironde, sera un écovillage d'enfants à énergie positive. Nous devons absolument progresser sur ces questions et être force de proposition.

Le deuxième axe vise à mieux accompagner les parcours des enfants.

Actuellement, lorsque les jeunes rencontrent des difficultés, on les change d'établissement. Nous voudrions renverser cette logique et adapter le système aux enfants pour éviter de les déplacer et favoriser la stabilité des enfants dans les établissements. Généralement, ces enfants connaissent deux parcours : les premiers auront la chance de retourner en famille, les seconds resteront dans nos établissements pendant des durées relativement longues. À ce titre, deux objectifs sont majeurs : stabiliser les enfants dans leur environnement et traiter la sortie de placement, qui est un sujet d'actualité.

Nous avons mis en place un service qui s'appelle « Action plus », financé par les donateurs et les entreprises qui nous accompagnent. Il permet de poursuivre de façon inconditionnelle l'accompagnement individualisé de ces jeunes, un accompagnement qui les responsabilise, qui les accompagne vers le droit commun, sans condition d'âge, mais à la condition qu'à leur sortie de placement, ou quelques mois, voire quelques années après la sortie de placement, ils aient envie d'entrer dans un système contractuel avec nous. Il s'agit d'un système de réciprocité : nous nous engageons à leur apporter des choses et eux s'engagent à respecter un ensemble de choses. Un tel dispositif est intéressant, tant pour des jeunes qui veulent poursuivre des études longues que pour des jeunes fragiles, qui sortent du placement sans avoir un capital social de très bon niveau. Dès cette année, nous allons renforcer ce dispositif en recrutant sept personnes supplémentaires pour accompagner les 70 à 80 jeunes que nous suivons à la sortie de placement.

Troisième axe stratégique : si nous voulons accompagner ces jeunes dans la durée, tout au long du parcours, il nous faut aussi étoffer nos modes d'accueil. C'est ainsi que nous développons des modes d'accueil un peu nouveaux pour la fondation, utiles pour maintenir ces jeunes en placement.

À cet égard, je citerai un dispositif expérimental que nous avons élaboré avec le département de l'Essonne, et qui va ouvrir ces prochains jours. Il s'agit d'un dispositif d'accueil de jour médico-social, qui fonctionne en partenariat avec une pédopsychiatre et qui est destiné à des enfants qui rencontrent des troubles divers face auxquels les équipes éducatives des villages sont quelque peu démunies. Il s'agit d'un accueil de jour, d'une observation, d'une préconisation de soins, d'un lien avec les structures extérieures.

Le deuxième mode d'accueil nouveau pour nous s'adresse à des jeunes qui traversent des crises, connaissent des situations extrêmement complexes et rencontrent parfois des difficultés pour suivre une scolarité. Nous mettons en place avec le département d'Indre-et-Loire des dispositifs d'accueil spécifique pour ces jeunes. Ils peuvent être temporaires et s'adressent à des jeunes qui viennent des villages ou d'autres établissements de la fondation.

Le troisième nouveau mode d'accueil qui nous intéresse beaucoup passe par le placement à domicile, pensé comme un retour en famille. Lorsque se présentera une perspective de retour en famille, nous voulons travailler avec l'équipe éducative sur la possibilité du retour en famille et la possibilité du repli si cela ne se passe pas très bien. Toujours avec le département d'Indre-et-Loire, nous élaborons plusieurs modules d'accueil, dits de placement éducatif à domicile (PEAD), mais il s'agit de placement à domicile.

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Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance

Quatre sujets nous paraissent aujourd'hui structurants dans les réflexions qui sont menées, que ce soit au sein de cette commission, de la commission sur l'adoption ou au Sénat – et nous sommes contents que la représentation nationale se penche sur ces questions de protection de l'enfance.

Il semble utile, dans le climat médiatique actuel, de réaffirmer que si le dispositif de placement en France doit être amélioré, il fonctionne. On oublie trop souvent que le principe même du dispositif de protection de l'enfance nous est envié par bien des pays. La Fondation travaille sur des expérimentations, en particulier au Liban. Nous suivons cela de près. Je puis vous assurer que nous ne jouons pas tout à fait dans la même cour. Notre enjeu vise donc l'amélioration. Il importe de ne pas renvoyer systématiquement aux enfants placés actuellement le message que, de toute façon, ils finiront finir à la rue puisque 24 % des sans-domicile-fixe (SDF) sont d'anciens enfants de l'ASE. Pour la Fondation, le placement est une chance tant pour les enfants que pour les familles, et nous sommes dans la logique d'aider des enfants à grandir.

À cet égard, je citerai donc quatre points.

Le premier tourne autour du diagnostic, que ce soit le diagnostic de la situation des enfants comme celui de la situation des départements : sommes-nous capables de produire des outils pour comprendre plus finement la situation des enfants, mais aussi pour gérer la question du flux au niveau des départements ?

J'illustrerai mon propos de deux chiffres. Nous disposons de très peu d'éléments nationaux qui permettent de fonder une réflexion stratégique. C'est encore moins le cas au niveau des départements. Selon une étude des Hauts-de-Seine, portant sur 14 000 placements sur vingt ans, 30 % des enfants sont placés pour une durée de moins d'un an, 25 % pour une durée de plus de cinq ans. Nous identifions donc deux populations placées : la première dont la destinée est le retour en famille, la seconde dont ce n'est pas la destinée, ce qui n'exclut pas le lien mais pose de multiples autres questions. Les départements sont embolisés par plusieurs questions : ressources humaines, turnover, absentéisme. Comment l'État français aide-t-il les départements à penser et à réfléchir les dispositifs de protection de l'enfance ? Nous répondons à de nombreux appels à projets lancés par les départements. Pour le dire gentiment, cela mériterait un peu plus de travail sur les données avant de s'engager pour des années sans avoir réellement analysé les besoins.

Le deuxième sujet porte sur le besoin des enfants. Il est temps d'avoir des grilles d'évaluation partagées au niveau national sur la situation des familles et les besoins des enfants, qui forment deux dimensions distinctes. Il est nécessaire qu'une politique soit mise en place à l'échelle nationale.

S'agissant du diagnostic, qu'il soit individuel ou d'un niveau supérieur, c'est-à-dire résultant d'un travail sur des données, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), et l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) sont compétentes. Nous travaillons avec eux et nous savons qu'ils butent en raison de logiciels qui varient selon les départements, sur le dispositif Olympe, car le décret de structuration des données n'a pas pu entrer en application dans les départements. Il est vraiment nécessaire de les aider.

Autre sujet : qui fait quoi ? Entre l'aide sociale à l'enfance, les juges, les associations, qui est responsable de quoi en protection de l'enfance ? J'illustrerai mon propos d'un exemple très concret que me racontait hier la directrice. Notre établissement avait une astreinte de week-end, qui a fait l'objet d'une visite médiatisée. L'éducateur a emmené l'enfant chez ses parents. Tout le monde attendait l'arrivée de la technicienne de l'intervention sociale et familiale (TISF) envoyée par le département pour accompagner la visite de l'enfant chez son père ouet sa mère. La TISF n'arrivait pas. Il a donc fallu appeler la personne d'astreinte du département. Ce monsieur – une seule personne pour tout le département –, qui ne connaît en rien la situation, doit prendre la décision. Il a donc demandé à notre directrice si elle connaissait la situation. Celle-ci en étant informée, il lui a demandé son avis sur la suite à donner. Valeur ajoutée du coup de téléphone ? Zéro, puisque dans les faits, il suit la recommandation de la directrice.

Ces petits éléments de clarification sont essentiels. Je ne reviens pas sur les invitations aux anniversaires et aux soirées pyjama, sur le décideur ou sur la façon dont cela se décide. Quand on entend les anciens de l'ASE, ils vous disent : « Quand j'étais invité à un anniversaire, je préférais dire tout de suite à mon copain que je ne pouvais pas venir, car entre les demandes de cartes identité, d'extraits de casier judiciaire, cela n'en finissait pas. »

« Qui fait quoi, qui est responsable de quoi » est un élément très important qui doit être défini à l'échelon national, parce que cela débouche sur une réflexion globale sur le dispositif de protection de l'enfance. Si le département est chef de file, on doit toutefois garantir un socle de protection de l'enfance pour l'ensemble des enfants et des jeunes de France, quel que soit le département dans lequel ils habitent et quelles que soient les intentions de stratégie ou de politique de protection de l'enfance du département.

La définition de ce socle suppose une réflexion sur l'organisation des départements, les maisons départementales des solidarités (MDS) et les unités territoriales d'action sociale (UTAS). La logique matricielle repose sur un service départemental d'aide sociale à l'enfance, fondée sur une répartition territoriale MDS-UTAS. Qui fait quoi, qui est responsable de quoi, qui pilote ? À l'heure actuelle, sur huit départements, le fonctionnement diffère totalement d'un département à l'autre et tous sont en réorganisation permanente. Ne pourrions-nous pas réfléchir à des modélisations d'organisation de la protection de l'enfance au niveau national, avec des modèles dont pourraient s'inspirer les départements pour leur éviter d'avoir à réinventer la roue chacun de leur côté ? Pareillement pour les groupes transversaux de réflexion des directeurs enfance-famille afin qu'ils puissent échanger, partager, et pas seulement de manière informelle parce que l'un a l'intention d'organiser un appel à projets pour restructurer la protection de l'enfance ou parce que tel autre en a organisé un il y a deux ans et qu'il veut en connaître les écueils. Il faut des espaces formels, institutionnels, nationaux, qui permettent d'échanger au fond et non attendre de créer des opportunités d'échanges parce que le président de tel département est de la même majorité que tel autre.

Aujourd'hui, lors d'appels à projets, il arrive que se produisent des accidents industriels. Or ceux-ci sont évitables si l'on travaille sur des données plus globales, si l'on est accompagné dans sa réflexion par des intervenants extérieurs, et pas seulement parce qu'il faut faire des économies et qu'il faut réorganiser.

Le quatrième point a trait au partenariat que nous devons établir. Nous ne sommes pas des prestataires de services ou des opérateurs. On ne nous choisit pas comme on choisit l'entreprise de nettoyage. Nous sommes des partenaires. Nous avons une pratique et une expertise. Nous nous occupons des enfants au quotidien. Il est intéressant que nous puissions avoir des espaces de coproduction des schémas départementaux et de réflexion sur une politique départementale.

Mais il convient d'élargir cette notion de partenariat. Tel était, lundi dernier, le propos au Sénat. La question de la protection de l'enfance et des enfants placés, en particulier de ceux qui n'ont pas ou peu de perspectives de retour en famille, est une question de société. Nous sommes tous responsables de ces enfants. Ce sont nos enfants, à tous, entreprises, associations...

La professionnalisation de la protection de l'enfance, qui a des avantages, présente également des limites. La Fondation a lancé une recherche-action sur le capital social. L'une des causes d'accès au statut de sans domicile fixe tient essentiellement au fait que le capital social est à zéro : pas de relations, pas de contacts, personne sur qui compter et personne pour qui compter. Et cela commence dès trois ou cinq ans.

Les dispositifs d'accueil des enfants, je pense aux villages d'enfants, sont performants, si ce n'est qu'ils produisent de l'institutionnalisation. J'illustrerai mon propos d'un exemple très concret : Yassine, vingt-cinq ans, ingénieure chez Thales, a passé quinze ans dans un village d'enfants. À l'âge de quinze ans, elle a été placée en famille d'accueil. Elle nous a confié : « La première fois que j'ai vu deux adultes s'embrasser, c'est dans ma famille d'accueil. Cela m'a vachement choquée. »

Parce que nous sommes des lieux de travail, des lieux professionnels, nous produisons naturellement des modèles d'après lesquels les enfants construisent du capital social avec les copains, les copines, l'intergénérationnel. Des écarts se créent. Nous détenons certaines solutions. Pour autant, le champ de la protection de l'enfance et les opérateurs doivent s'ouvrir à la question du bénévolat.

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Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'enfants

Merci de nous avoir conviés à vos travaux. Nous sommes ravis que la question de la protection de l'enfance fasse l'objet d'une réflexion.

Nous savons que la mission d'information porte sur l'aide sociale en France, mais nous nous sentons partenaires et partie prenante de ce que fait l'aide sociale à l'enfance. Marc Chabant l'a souligné à l'instant, le secteur associatif et, donc, SOS Villages d'enfants se sentent les obligés des enfants. C'est une bonne chose que nous soyons tous réunis.

SOS Villages d'enfants, association « loi de 1901 », a été fondée voici plus de soixante ans. C'est une ONG assez importante, qui fait partie d'une fédération internationale présente dans 135 pays. Cela nous donne parfois l'occasion de faire un petit pas de côté pour aller voir ce que font nos voisins espagnols, belges, grecs et, parfois, des voisins plus lointains, à l'autre bout du monde. Nous portons souvent notre plaidoyer au niveau international, en défendant le fait que la protection de l'enfance et l'équivalent d'un défenseur des droits de l'enfant doivent exister partout, ce qui n'est pas le cas dans tous les pays. Il est important de le rappeler.

Le fondement de SOS Villages d'enfants repose sur l'accueil des enfants dans une modalité de type familial, en « cousinage » avec les lieux de vie, les placements familiaux, un hybride entre la maison d'enfants et le placement familial.

La maison familiale reçoit quatre à six enfants. Sauf exception, la fratrie est réunie dans une même maison. Il arrive qu'ils soient séparés au sein du village mais, la plupart du temps, ils logent dans la même maison. Nous nous sommes battus longtemps pour qu'il en soit ainsi. Nous avons assisté à un début de retournement dans les années 1990. Mais longtemps a perduré l'idée que le maintien conjoint de la fratrie revenait au maintien d'un trauma. Cette idée était très ancrée psycho-sociologiquement et, donc, structurellement, dans les capacités d'accueil. Nous avons été nombreux à défendre l'idée que la fratrie était une ressource dès lors qu'elle était mise en perspective avec le temps long. Avoir un frère ou une soeur peut être très pénible, mais ce sont aussi les adultes de demain ; ils auront cinquante ans ensemble, s'occuperont de leurs parents et seront moins seuls.

À cette dimension de ressource sur le long terme, s'ajoute l'idée que si parfois c'est très difficile, notamment quand la fratrie a été soumise à des moments traumatiques, il faut des professionnels formés pour accompagner ces tensions. C'est ainsi qu'il peut être préconisé de ne pas maintenir une fratrie. On part du principe qu'à 80 % le maintien de la fratrie est une ressource. En village d'enfants SOS, les enfants accueillis sont toujours des fratries. Parfois, un enfant seul vient rejoindre une fratrie. La maison est celle des enfants et quand bien même les professionnels changent, les enfants restent dans leur maison.

SOS Villages d'enfants applique un régime dérogatoire à la législation sur les 35 heures pour assurer une permanence avec une figure, la « mère SOS ». Désormais, des hommes tiennent également cette fonction d'éducateurs familiaux. SOS signifie societas socialis, société solidaire ; il ne s'agit pas du SOS de secours. La fratrie, c'est vivre ensemble. C'est quelque chose qui dépasse les liens du sang. On le voit très bien : des fratries de coeur ou de fait se constituent quand, dans deux maisons, il y a deux fratries et que cette forme de paternité ou de maternité, de suppléance familiale, sociale, est inscrite dans le projet. Les principaux piliers reposent sur l'idée du besoin d'attachement, de la capacité à produire et à vivre de l'attachement pour se développer.

Le mode de prise en charge de type familial nécessite un panel de solutions. Les villages d'enfants en sont une. La durée est importante. Plus de 80 % des enfants des villages font l'objet d'une décision de justice. Or, à l'heure actuelle, la durée moyenne de placement représente est de l'ordre de sept ans. Nous proposons un accueil en village d'enfants quand on fait l'hypothèse que la suppléance sera longue.

À cet égard, peut-être des choses devraient-elles évoluer. Car jusqu'à présent, y compris dans l'hypothèse que la suppléance sera longue, la loi reste la même. Les jugements sont revus au mieux tous les deux ans, parfois tous les six mois. On se rejoue le match collectivement – la famille, l'enfant et les professionnels qui s'en occupent ; on rejoue une remise en tension du retour, ou non. Cela m'évoque un texte de Serge Paugam qui traite du processus de disqualification des parents quand les enfants sont confiés à l'aide sociale en France. Il serait plus simple, lorsque l'accompagnement est durable, de réfléchir en fonction de l'âge du placement. Avant six-sept ans, il est nécessaire, quel que soit le choix – maintien en famille, établissement ou village d'enfants – de s'inscrire dans la durée, le temps d'une certaine structuration. Psychiquement et médicalement, connaître des liaisons-déliaisons vers trois ans est très destructeur. La situation est moins destructrice à d'autres moments de l'évolution de l'enfant. Les outils sont mûrs sur le plan psychologique, clinique et sur le plan de la capacité d'accompagnement, mais des ajustements en fonction de l'âge sont nécessaires sur le plan du droit.

En France, l'autorité parentale est vue de façon patrimoniale. Évoquant la famille, nous rappelons qu'il y a au minimum l'autorité parentale, le lien de filiation, la qualité du lien et la rencontre. Tout cela va ensemble, certes pas toujours très bien. On ne peut réfléchir en termes de famille ou pas famille. Il faut analyser la nature des liens, la façon de respecter l'autorité parentale, considérer la façon dont la rencontre peut mettre à mal la qualité du lien. Il ne faut surtout pas avoir de réponse a priori. Et il faut se poser collectivement ces questions à chaque fois.

Le modèle de SOS Villages d'enfants se présente sous la forme d'une dizaine de maisons, soit regroupées, soit diffuses. Par exemple, un lotissement est constitué de vingt ou trente maisons, dont dix relèvent du village d'enfants, la maison d'à côté sera celle d'un voisin ordinaire. À cela, s'ajoute la maison commune constituée d'une équipe d'éducateurs spécialisés, de psychologues, de chefs de service, d'animateurs, d'éducateurs scolaires, puisque nous mettons en oeuvre un programme fort d'éducation et de soutien à la scolarité.

L'idée est que les enfants vivent dans cette maison, au village. Nous essayons de faire en sorte qu'ils aient des figures d'attachement qui ne soient pas uniques, et que le village constitue pour eux une constellation d'attachements possibles. Ils y trouveront leur étoile polaire, qui sera la maison commune, leur fratrie, la mère SOS, un éducateur de la maison commune – cela leur appartient. De notre côté, nous nous assurons que les enfants puissent créer et vivre des liens qui leur permettent de fonder, progressivement, leur propre capacité d'empathie et d'attachement, primordiale à leur grandissement.

Il existe dix-sept villages en France, auxquels se sont adossés progressivement des dispositifs complémentaires. Vous parliez d'accueil d'urgence ; nous l'appelons « service d'accueil familial immédiat ». Il y a là une petite nuance parce que nous apparaissons en second rideau même si, dans certains villages, nous accueillons des enfants pour une mission de diagnostic. Au moment cathartique de la crise familiale, il est une bonne chose de pouvoir accueillir la fratrie, ensemble : le petit à trois ans, la soeur dix et le frère quatorze. Il faut agir rapidement, dans les deux ou trois jours. En général, les enfants sont séparés. À SOS Villages, la fratrie est accueillie ensemble.

Le rythme de travail est légèrement différent. Nous ne nous plaçons pas dans la même logique d'engagement d'un attachement de la part des professionnels. Pour autant, ils se relaient, chacun travaillant quinze jours. L'équipe comprend des psychologues. À « J + 3 » ou « J + 30 », des bilans sont réalisés afin de rencontrer rapidement la famille, comprendre la situation, trouver un tiers digne de confiance, un relais dans la famille élargie qui peut être une alternative. Si une alternative durable à la famille se présente, nous déterminons la nature des liens et voyons si nous pouvons préconiser le maintien conjoint de la fratrie. Enfin, nous avançons une préconisation que nous souhaitons voir acceptée par le département.

Quatre villages aujourd'hui bénéficient de ce dispositif et un nouveau village ouvre actuellement sur la base de ce dispositif.

L'objectif des maisons des familles vise à bien accueillir les familles qui ont des droits d'hébergement – il y en a quelques-unes. Bien les accueillir ne consiste pas à faire rencontrer les parents et les enfants dans un bureau. Dans la vie, on ne se retrouve jamais dans un bureau à discuter face à face avec ses enfants : on fait quelque chose, on s'éloigne un peu des autres et c'est ainsi que l'on arrive à se parler, à vivre quelque chose, par exemple en cuisinant. Les maisons servent au minimum à cela. Mais le plus important est d'avoir un personnel dédié, une personne qui accompagne la relation. On parle de visites en présence d'un tiers, qui peut être divers. Ce peut être le psychologue. Dans les maisons des familles, un temps d'éducateur ou de psychologue est dédié à la visite.

On promeut l'idée qu'il faut préserver ce qui fonctionne encore dans la famille, y compris en cas de confinements longs. Des jeunes restent cinq à six ans en village d'enfants. On n'est pas obligé de parler de retour dès que la situation s'améliore. En revanche, on essaie de stabiliser ce sur quoi le père ou la mère peut être mis en compétence. Comme je le disais précédemment, en France, on a une appréhension patrimoniale de l'enfant. Dès que quelque chose va un peu mieux, la machine s'emballe, on parle de levée de placement, pour se rendre compte ensuite qu'il est difficile pour les parents et les enfants de revivre ensemble.

Pour les adolescents, il existe des espaces de transition et des programmes de renforcement des familles. Il s'agit de mesures de milieu ouvert, de mesures préventives qui interviennent très en amont d'une mesure ASE, qui vont du soutien et de l'accompagnement à la parentalité jusqu'à des mesures de type actions éducatives en milieu ouvert renforcé.

L'axe singulier de SOS Villages d'enfants consiste à accompagner ce type de mesures par un très fort taux d'encadrement : un éducateur pour six mesures maximum. Sur la question de l'intensité, nous avons essayé de ne pas créer de consultations de nos éducateurs. Ils n'ont pas de bureaux, ils sont principalement en famille. Si nous parlons avec une famille d'une difficulté d'endormissement de l'enfant, il arrive que nous nous rendions chez la famille à 21 heures à deux, trois ou quatre reprises. Peut-être que l'enfant, sa famille et nous-mêmes arriveront « à bricoler » quelque chose qui sera une solution pérenne. J'ai dit « ensemble », c'est aussi « pour et avec ». Nous travaillons pour l'enfant, avec l'enfant, posant la question de sa participation. Il faut aussi parfois travailler avec sa famille. Ce « pour et avec » est très important : il faut que nous travaillions aussi pour et avec l'ASE, pour nos professionnels et avec eux.

Les quatre programmes éducatifs sont : Pygmalion ; puis un programme autour de la réussite scolaire ; le programme d'épanouissement par le sport ; enfin, l'espace national de consultation des jeunes, qui nous tient particulièrement à coeur et dont la présidente est notre directrice générale.

Des jeunes représentent chaque village dans des conseils de vie et un espace meta fonctionne au niveau national. Un jeune de chaque village travaille pendant des mandatures de deux ans et participe du fonctionnement de l'association. Ces jeunes ont produit, parmi d'autres, une « enquête progrès » à destination des parents ainsi qu'un guide et, l'année dernière, un film sur les questions du respect de l'intimité.

Les documents qu'ils produisent deviennent des outils qui s'imposent à tous : directeurs, chefs d'établissement, etc. Ils sont construits avec des jeunes, tant il est vrai qu'il faut sortir du témoignage. Dans ces espaces, il faut se donner des moyens. C'est ainsi que nous travaillons avec une troupe de théâtre et utilisons différents autres supports qui font monter en compétence les jeunes dans leur capacité à participer – sans quoi on les assigne toujours aux témoignages et à l'unique témoignage. Si un jeune homme participait à notre rencontre d'aujourd'hui, il faudrait, comme nous, qu'il ait préparé son propos et qu'il ait compris les enjeux, sans quoi on réassigne tant les parents que les enfants à la place qu'on veut bien leur laisser.

S'agissant des enjeux globaux, cela fait des années – et la dimension internationale de la fédération nous y aide beaucoup – que nous recherchons les moyens pour que l'arborescence des protections de l'enfance, ici ou ailleurs, soit la Convention internationale des droits de l'enfant. On peut continuer à vouloir des textes, mais il en existe en France. Les lois de 2002, 2007 et 2016 forment un ensemble législatif plutôt positif. Il en va de même pour distinguer les actes usuels et non usuels. Nous disposons de références. Il conviendrait plutôt de travailler sur les leviers et les freins pour déterminer ce que nous avons pu ou non dépasser.

Selon nous, la référence est la Convention internationale des droits de l'enfant, dans ses quatre grands principes : non-discrimination, vie et survie développement, intérêt supérieur de l'enfant et participation. Lorsque l'on monte un nouveau projet, il convient de s'interroger sur les éléments discriminants. S'agissant d'un nouveau projet SOS Villages d'enfants, il faut se demander, en fonction de l'âge moyen des enfants, si on discrimine. Il faut anticiper le fait que ce projet participera d'un meilleur développement, relever la possibilité d'être en capacité de prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant, en anglais the best interests of the child, autrement dit les meilleurs intérêts de l'enfant. Les termes « intérêts supérieurs » ont d'ailleurs posé un vrai problème. Nous nous sommes dit que certains étaient donc supérieurs à d'autres. Face aux droits humains, hommes, femmes, enfants, personne n'est supérieur à l'autre. Il convient donc de prendre en compte les meilleurs intérêts de l'enfant au moment où la situation intervient et se poser la question de la participation.

Il est essentiel de faire participer l'enfant, de l'entendre dans toutes les décisions et lui permettre d'élaborer son avis. Nous nous imposons cette démarche. À l'échelle d'une organisation, c'est difficile, cela prend des années. Marc Chabant parlait de formation. Nous avons organisé une formation avec le Conseil de l'Europe, la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE), le centre national de la fonction publique territoriale (CFNPT). Nous avons construit un module intitulé « Approche par les droits en protection de l'enfance », qui réunit des groupes d'une quinzaine de personnes : un magistrat, un éducateur, une mère SOS, un éducateur d'une autre association, etc. Tous sont légitimes et, pendant deux jours et demi, ils réinterrogent leurs pratiques au regard des quatre grands principes. Le dernier jour, un module d'une demi-journée est organisé, qui a été co-construit avec des jeunes. À une époque, nous avions proposé à des jeunes anciennement accompagnés de participer à l'élaboration de cette formation. Les jeunes Français ont décidé de construire eux-mêmes un modèle qui est devenu la pépite de cette formation. Il permet à chacun de réinterroger sa place et fonctionne comme un grand parapluie sous lequel se logent les différentes orientations, psychanalytiques entre autres.

Nous pensons nécessaire de renforcer la prévention, de prendre en compte l'enfant dans sa globalité et ses différents droits. Bien évidemment, nous défendons le modèle des villages d'enfant. C'est extraordinaire. Mais il est avant tout nécessaire que chaque département soit en mesure d'offrir un panel de solutions. Un prescripteur, un juge pour enfants, doit comprendre, grâce à l'éducateur ASE et à la famille, qu'un outil spécifique est nécessaire pour cet enfant. Comment mettre en place les quatre droits et les lignes directrices, c'est-à-dire le principe de nécessité et le principe d'adéquation, si le département n'est pas doté d'un panel de solutions ? On voit bien, de fait, que c'est discriminant.

Une offre diversifiée est tout aussi nécessaire, qui pose la question de la formation des travailleurs sociaux.

Un focus étroit doit être réalisé sur l'accompagnement à la sortie. Lors d'une levée de placement d'un enfant de huit ans, comment accompagner ces enfants qui ont vécu plusieurs années dans une maison ? Le déchirement d'avec la famille peut être dur, mais il faut aussi penser au déchirement d'avec le lieu de type familial. Des transitions s'opèrent, et surtout la transition à l'âge adulte que l'on sait de moins en moins accompagner en raison de la sortie à l'âge de 18 ans. Néanmoins, la majorité doit être maintenue à 18 ans. En France et en Europe, l'âge moyen de décohabitation d'un jeune se situe à 24 ans, 24 ans marquant la fin de la jeunesse. Nous sommes dans l'impensé s'agissant des 18-21 ans, sur lesquels il faut vraiment travailler. On plaide et on avance avec nos équipes pour conserver le fil, éviter les sorties sèches et être présents en cas de coup dur.

La sortie doit être repoussée.

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Isabelle Bouyer, déléguée nationale d'ATD Quart Monde

Nous vous remercions de nous avoir conviés à cette audition.

Nous allons vous exposer ce qui, selon nous, devrait être une vraie concertation dans la durée pour un travail en profondeur et en partenariat direct avec les parents concernés par l'aide sociale à l'enfance. Car il faut nous intéresser aux parents. Il est nécessaire pour l'intérêt supérieur de l'enfant que leurs parents puissent assumer leurs responsabilités, que nous portons au nom du mouvement ATD Quart Monde. Notre analyse ne peut être que très partielle au vu du temps qui nous est imparti, et donc très insatisfaisante quant aux résultats qui seraient de provoquer une véritable prise de conscience des enjeux pour la société tout entière.

Il est urgent d'allouer à la protection de l'enfance des moyens qui ne soient pas seulement financiers, mais également humains dans le cadre des formations des professionnels afin de soutenir véritablement les parents dans leur rôle de premiers éducateurs de leurs enfants, et les travailleurs sociaux dans leur travail pour que les mesures éducatives soient mises en oeuvre dans des conditions telles qu'elles se traduisent par un véritable soutien aux parents dans la construction d'un projet à partir de l'enfant.

Sur cette question de l'aide sociale à l'enfance, les années de travaux menés par notre mouvement avec les parents en situation de grande pauvreté et les nombreux partenaires professionnels avec lesquels nous sommes en lien dans notre réseau Enfance-Famille, que Céline Truong coordonne, ont été menés avec le monde du travail social et le monde de la justice. Ces travaux nous apprennent des choses essentielles. Quand de véritables relations de confiance ont pu être nouées entre les parents et les professionnels, un véritable partenariat est créé entre les différents acteurs, la vie de famille peut être préservée et, quand celle-ci n'est pas possible, les relations entre les parents et les enfants peuvent l'être.

Après ce petit préambule, je voudrais vous présenter le mouvement « Agir tous pour la dignité Quart Monde ».

Ce mouvement, qui a soixante ans aujourd'hui, agit avec tous les citoyens, en priorité avec ceux qui sont en situation de grande pauvreté et qui s'engagent à nos côtés afin d'éradiquer la misère pour permettre l'accès aux droits à tous, la participation et l'égale dignité.

ATD Quart Monde est un mouvement international des droits de l'homme qui est implanté significativement en France et dans une trentaine de pays dans le monde. Notre mouvement est un espace politique, commun aux personnes en situation de pauvreté et aux personnes qui ne vivent pas ces situations, mais qui font alliance avec elles dans ce combat pour l'éradication de la misère.

Nous affirmons un triple refus : le refus de la fatalité de la misère, le refus de la culpabilité qui pèse sur ceux qui la subissent, et le refus du gâchis humain que constitue la misère.

De nombreuses familles sont rencontrées à l'occasion d'actions culturelles collectives. Nous comptons une cinquantaine de bibliothèques de rue en France et une dizaine d'universités populaires Quart Monde où de nombreux sujets, dont l'aide sociale à l'enfance, sont étudiés. Nous organisons des groupes d'accès aux droits fondamentaux et menons des accompagnements de familles de façon individuelle. Ces relations avec les familles s'inscrivent dans la durée, dans une proximité qui permet la relation de confiance réciproque. Nous faisons donc mouvement ensemble.

Avant d'aborder la question qui nous occupe aujourd'hui relative à l'aide sociale à l'enfance, je vous présenterai les différentes actions que nous menons, qui couvrent tous les aspects de la vie des personnes.

À travers différents projets pilotes, nous démontrons qu'une autre société est possible. Certains projets concernent la promotion familiale. Nous avons ouvert un centre de promotion familiale à Noisy-le-Grand et, pendant dix ans, nous avons mené dans le quartier Fives à Lille le projet « École-Famille-Quartier », en lien avec l'Éducation nationale. Les partenaires du quartier continuent de travailler aujourd'hui avec les parents et les familles. Nous menons également des projets autour de l'emploi et de la formation avec une entreprise solidaire, Travailler et apprendre ensemble, à Noisy-le-Grand. Cette expérience a ensuite été déclinée sur les Territoires zéro chômeur de longue durée. Nous avons pu démontrer que personne n'est inemployable.

Dans le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais, nous avons lancé un projet qui tourne autour du développement du tout-petit enfant et des parents.

La dernière expérimentation est un projet de l'Éducation nationale, qui débutera en septembre avec une dizaine de collèges volontaires en France, afin que plus aucune décision d'orientation ne soit prise pour cause de pauvreté. Après trois ans de recherche, cette expérimentation sera menée avec des chercheurs et des professionnels de l'Éducation nationale.

Parler de l'ASE nécessite avant tout de mettre en avant l'impact négatif que représente pour l'enfant, dès sa naissance, le cumul des handicaps qui pèsent sur lui, en raison de la pauvreté de ses parents. Penser la protection de l'enfant dissociée des conditions de vie de sa famille revient à construire des projets sur des fondations instables.

Vouloir protéger un enfant, c'est d'abord permettre que ses droits et ceux de ses parents soient respectés en référence à la Convention internationale des droits de l'enfant, avec en premier lieu l'exigence de vivre des conditions de vie et de santé décentes.

Mme Céline Truong va approfondir le propos en évoquant les travaux que nous avons menés autour de l'aide sociale à l'enfance.

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Céline Truong, référente au secrétariat Famille-Petite enfance d'ATD Quart Monde

Nous voudrions mettre en avant :

En premier lieu, l'idée du tricotage nécessaire et permanent entre l'approche de la compétence des parents, quels qu'ils soient, car, sauf exception pathologique, on peut toujours s'appuyer sur ce qui fait un père, une mère, un vrai père, une vraie mère. Les situations sont ressenties différemment par chacun, les conditions ne sont pas les mêmes, la distance avec son enfant non plus, mais cette approche reste possible.

En second lieu, les conditions réelles d'exercice de la parentalité de ces familles.

En troisième lieu, la protection de l'enfant en termes de combat pour le respect de ses droits.

Bien des choses peuvent être faites dès lors que l'on envisage la protection de l'enfance en prenant en considération ces trois axes, en adéquation à la fois avec la mission de ceux dont le rôle est de protéger les enfants et avec l'ambition naturelle d'une famille d'être une entité. Si l'on pense la protection de l'enfant et le soutien des parents à exercer le métier de parent de la façon qui leur est possible, il n'y a absolument aucun antagonisme. Formulé ainsi, peut-être n'y a-t-il pas de quoi tomber de sa chaise, si ce n'est que, dans la réalité, quand on est proche des familles, que l'on vit étroitement avec elles, on se rend compte qu'elles traversent très régulièrement des situations d'inadéquation. Actuellement, le travailleur social agit avec l'enfant ou avec le parent, alors que les situations permettraient de prendre les deux en considération, l'enfant et le parent.

Foin des théories, entrons dans la vraie vie !

Des parents visitent leur enfant qui est placé dans le même département. La loi est respectée. Lorsqu'ils arrivent, l'enfant dort ; ils attendent qu'il se réveille sachant qu'ils disposent de deux heures tous les quinze jours pour le voir. Parfois, l'enfant se réveille une heure et demie après leur arrivée, il reste aux parents une demi-heure à passer avec lui. À aucun moment dans cette interaction, il n'a été question de la possibilité ou de la justification de l'impossibilité de décaler l'heure de départ des parents pour qu'ils puissent voir leur enfant deux heures afin de construire une relation de confiance ou, a minima, de coopération et de collaboration de bonne qualité avec les personnes qui s'occupent de l'enfant au quotidien. Il est compliqué de construire sur du sable.

L'enfant voit ses parents une demi-heure alors qu'il attendait plus et alors même qu'on lui avait dit qu'il ferait différentes activités avec eux, ce qui devient impossible en une demi-heure. Que se passe-t-il dans le coeur de ce gamin ?

De telles situations ne nécessitent pas une nouvelle loi. Certes, nous sommes d'accord avec nos collègues, entre la loi de 2007 et la loi 2016, nombre de mesures ont été prises qui garantissent une meilleure mise en oeuvre. Mais ce sur quoi nous voulons travailler aujourd'hui doit vous amener à réfléchir en vous faisant partager ce que nous voyons et entendons au quotidien : si de nouvelles règles ne sont pas toujours nécessaires, il convient toutefois de travailler encore à leur bonne mise en application.

Autre exemple concret : les enfants sont placés transitoirement, le temps de faire une enquête parce que l'on suspecte une situation difficile dans la famille. La mère de six enfants avoue aux services sociaux qu'elle est fatiguée. On décide alors de lui octroyer des heures d'aide ménagère alors que c'est extrêmement mortifiant pour cette femme, pour qui bien faire le ménage, faire en sorte que ses enfants grandissent dans une maison propre, est une valeur. Elle considère que c'est son rôle. Elle se demande pourquoi il lui faudrait être aidée dans ses tâches. C'est ainsi qu'au lieu de se reposer et de laisser la technicienne d'intervention sociale (TISF) assumer une partie du ménage, elle est tellement blessée et mortifiée que la maison brille comme un sou neuf quand la TISF arrive chez elle. Résultat : elles prennent le café pendant deux heures ! Que produisent de telles mesures dans l'esprit des parents en termes de confiance envers les travailleurs sociaux qui décident, sans eux, des solutions qui finissent par être inadaptées ? Pendant les trois mois de l'enquête, les enfants, avant de revenir chez eux, ont été placés loin de leurs parents. Ce dont avait vraiment besoin cette mère, c'était d'être aidée à leur rendre visite. Elle était dépendante du frère, du beau-frère, du voisin qui étaient motorisés.

Encore un exemple en vue de comprendre que cela ne tient pas à grand-chose – parfois seulement au regard que l'on porte sur les parents : les enfants de cette femme vont tous être placés. Je relève au passage une petite aberration comme il s'en produit parfois : l'aînée aura 18 ans dans deux mois. Personne ne se demande où elle sera placée, et le temps de trouver un lieu d'accueil, elle aura atteint l'âge de sa majorité.

Les deux adolescents seront placés ensemble dans un internat. Quant aux deux derniers, soit ils seront placés dans des familles d'accueil différentes, faute de pouvoir faire autrement dans la mesure où aucune famille d'accueil habitant à proximité du domicile n'est susceptible d'accueillir les deux enfants ensemble., soit ils seront placés ensemble en institution. La mère a le choix, ce qui n'est pas toujours le cas. Il n'en demeure pas moins qu'on lui demande de choisir entre des solutions très difficiles alors qu'elle souhaite que ses enfants soient placés dans ce qui ressemblerait à une famille. C'est le plus important pour elle. Mais s'ils sont en famille, ils seront séparés. Elle choisit donc le foyer. Lorsqu'ils arrivent au foyer, qui fonctionne par groupes d'âge, on dit au premier enfant : « Toi, petit bonhomme, tu vas avec le monsieur, là-bas, par cet escalier ; puis toi, petit bonhomme, tu vas avec madame, par cet autre escalier. » Les deux frères ne seront donc pas ensemble ; ils se verront à la récréation mais ne vivront pas ensemble.

Le problème est que la mère s'était fait une idée de leur placement, et en avait parlé à ses enfants. Cette femme n'a pas été prévenue que ses enfants seraient séparés, même si elle choisissait le foyer. Ce n'est pas là une question d'argent. En revanche, le fait qu'aucune famille d'accueil à proximité ne soit en mesure de les recevoir en est une. Autant la pauvreté des familles est un facteur aggravant de toutes les difficultés qu'elles traversent, autant on place parfois les travailleurs sociaux dans des conditions d'exercice de leur mission telles qu'on les pousse à prendre des mesures qu'eux-mêmes ne cautionnent pas. Pour finir, ce sont les parents et les enfants qui en paient le prix.

On pourrait penser que si les enfants sont placés, c'est que les parents ne valaient pas lourd. Certains sont traversés par cette petite logique. Nous voulons insister sur le fait que disqualifier un parent revient à faire du mal à l'enfant. Le rôle de la mission de la protection de l'enfance ne peut se fonder sur un tel principe. Les services de l'ASE se disqualifient lorsque les parents se retrouvent dans des situations ubuesques, kafkaïennes, comme celle que je viens de décrire. C'est ainsi que le travail de coopération avec les parents est mis à mal, quand l'aide proposée est inadaptée aux besoins, quand les parents ont l'impression d'une trahison ou quand les conditions concrètes de mise en oeuvre d'une mesure la vident complètement de son sens. On explique aux parents que leur enfant est en danger chez eux ; or il ne sera placé que six mois plus tard et, pendant ce temps, il vit à la maison. Quelle confiance peuvent-ils avoir dans les jugements que l'on porte sur eux ?

Ces malentendus qui peuvent avoir un impact sur la relation commencent par les mots que l'on utilise. L'expression « placement à domicile » ne veut rien dire pour les familles. ATD a instauré une démarche qui permet de travailler sur ces malentendus pour accéder, en tant que travailleur social, à la logique des familles avec lesquelles nous travaillons, et vice-versa, afin de mieux se comprendre, mieux travailler ensemble, et encore une fois, afin que les choses se passent de la façon la plus harmonieuse autour de l'enfant. Cela s'appelle la co-formation. Elle peut être réussie grâce à un travail croisé, quand les travailleurs sociaux, les professionnels de la justice, les enseignants et des familles qui ont des relations compliquées avec les institutions arrivent à se parler en confiance et en vérité. C'est inhérent à l'exercice et suppose de réunir toutes les conditions pour réussir à se parler en vérité. Quand chacun a fait un pas vers l'autre, cela ne signifie pas que l'on soit d'accord, mais que l'on a compris la logique de l'autre.

Sortant de co-formation, un travailleur social a expliqué qu'il savait que quelque chose dysfonctionnait dans son lien avec les parents, mais qu'il avait « pris une enclume sur la tête ». Une autre personne, à Lille, m'a dit que cette co-formation avait été une « machine à laver ». Elle en est sortie la tête à l'envers. Qu'est-ce qui est juste, qu'est ce qui ne l'est pas, qu'est-ce que je fais bien, qu'est-ce que je ne fais pas bien ? On est en chemin et les parents, en face, ont parcouru le même chemin. Les parents ne sont pas en co-formation pour expliquer aux travailleurs sociaux ce qu'ils doivent faire – et inversement. Non, nous sommes là dans une égalité de dignité et de légitimité de parole. Un jour, un parent nous a dit que le travail qu'il avait fait avec les travailleurs sociaux dans le cadre de ce croisement lui avait permis de se rendre compte que les travailleurs sociaux n'étaient pas que des arracheurs d'enfants et qu'au-delà, il y avait un être humain. C'est une façon de poser des fondations sur lesquelles il est possible de construire.

Nous voulions vous raconter des histoires, parce que c'est de cela qu'il s'agit. Ici, on est un peu loin de tout, je ne sais trop comment cela se passe quand on vote une loi, mais les gens dont nous parlons sont loin du parlement et nous avions très envie de les faire entrer ici. C'est pourquoi nous voulons maintenant vous parler de la peur.

Lors d'un croisement, le sujet de la peur a été abordé par un groupe de travailleurs sociaux. Il a réfléchi de son côté pendant qu'un groupe de parents dont la trajectoire de vie a croisé celle du travail social s'est penché sur la même question. Évidemment, ils ne se connaissaient pas : aucun lien de pouvoir ou de dépendance ne doit prévaloir, sans quoi cela ne fonctionne pas.

Les travailleurs sociaux ont parlé de la peur comme d'une émotion, d'un sentiment qui vous traverse et puis s'en va, qui est en lien avec une situation donnée. Les parents ont dit : « La peur, c'est une part de la vie ; en fait, c'est quelque chose qui est inscrit dans notre histoire. C'est dans ce sens-là que l'on perçoit qu'il ne s'agit pas d'un sentiment. Vivre dans la misère, c'est vivre dans la peur. » Le mot peur n'a pas le même sens selon que l'on est ou non dans la misère.

J'ai récemment animé un échange sur l'accueil du tout petit enfant, réunissant des travailleurs sociaux, des professionnels de crèches et des parents. Le thème de la peur a été évoqué. La difficulté de confier son enfant est récurrente parce que les parents ont peur. Le placement reste en permanence un nuage noir suspendu au-dessus de leur tête.

Les professionnels ont expliqué aux parents qu'ils avaient compris que c'était difficile pour eux, mais qu'ils n'allaient pas croquer leur enfant et qu'ils devaient les aider à ne pas avoir peur. Un militant de ATD Quart Monde a répondu : « Nous aider à ne pas avoir peur ? Tu veux quoi là ? Que je rembobine ma vie ? Faire comme si je n'avais pas vécu ? Ma peur n'est pas un choix, je ne choisis pas d'avoir peur de vous, c'est le résultat de ce que j'ai vécu. Donc, si tu veux m'aider vraiment, tu me prends avec ma peur, tu fais avec ça et, avec ça, on essaye de travailler ensemble. N'essaye pas de faire que cela change en moi, cela ne changera pas, parce que c'est impossible. »

Voilà un exemple concret sur lequel nous travaillons en co-formation et qui pose les bases d'une vraie relation. Ces travailleurs sociaux font leur travail. Nous ne voulons pas changer leur mission. Mais peut-être qu'en sortant de cet échange, ce parent a-t-il mieux compris les contraintes que peuvent vivre les professionnels, et les professionnels en face ont mieux compris la logique qui animait les parents. Parfois, les comportements, les attitudes sont indécodables ou illisibles, ou plutôt on les décode, mais de travers.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci à toutes et tous pour vos témoignages.

Vous avez très justement dit que nous avions la chance d'avoir un système de protection de l'enfance en France. Il faut le redire. Même si des points restent à améliorer et même si nous sommes là pour comprendre ce qu'il convient d'améliorer, il ne faut pas oublier le travail important que réalise la protection de l'enfance.

Selon vous, que faudrait-il améliorer dans les relations entre les partenaires que vous représentez et les départements et dans les relations entre les familles et les travailleurs sociaux pour avoir des clés et trouver des codes ?

Les fratries doivent être préservées, mais comment parvenir à toujours les préserver ? Ainsi que vous l'avez très justement relevé, dans les foyers, les enfants sont par groupes d'âge, et les fratries ne sont pas réunies, d'autant que les temps de récréation n'interviennent pas au même moment. Quand il n'y a plus de liens ou des liens compliqués avec la famille, la fratrie est tout ce qui reste du noyau familial. Aussi je considère nécessaire d'étudier la façon de préserver le lien qui unit la fratrie.

Avez-vous toutes et tous la même vision de la pauvreté en tant que facteur aggravant des placements ? Avez-vous l'impression que la majorité des enfants placés vient de milieux où la pauvreté est un facteur aggravant ?

Par ailleurs, vos propos sur les jeunes de plus de dix-huit ans étaient très intéressants. Que faut-il faire pour eux ?

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François Vacherat, directeur général de la Fondation Action enfance

S'agissant des relations avec les départements, nous avons du mal à construire des relations de partenariat. Nous, associations, en sommes parfois responsables. Il faut que nous nous sentions responsables de la politique départementale, même si, effectivement, les élus en ont la responsabilité. Il ne faut pas la leur enlever, il leur appartient de prendre des décisions. Dans le cadre de cette politique partenariale, nous souhaiterions éclairer ces décisions en exposant notre point de vue préalablement, avant les appels à projets ou avant des décisions majeures. Mais nous sommes satisfaits que ce soient les départements qui assument cette responsabilité, car les territoires sont vastes en même temps que prévaut une suffisante proximité pour assumer la charge de la protection de l'enfance.

En tant que partenaires, nous devons nous sentir responsables des financements publics au même titre que les départements tant il est vrai que ces financements proviennent pour partie des impôts payés par nos salariés. À cet égard, les intentions des départements sont louables, nous devons y contribuer en utilisant au mieux les financements publics. Nous souhaitons seulement être associés aux décisions structurantes prises par les départements et contribuer, à notre place, à une meilleure connaissance des besoins dans les départements. Comme le disait notre collègue de SOS Villages, en tant qu'associations, nous ne sommes pas en mesure de tout faire, mais il serait intéressant pour les départements de tisser des relations d'une nature différente, fondées sur la complémentarité.

S'agissant des jeunes de plus de 18 ans, il est essentiel que les jeunes qui sortent de la protection de l'enfance soient responsables de l'engagement que nous avons mis en place dans le cadre du dispositif Action Enfance ; en d'autres termes, que nous soyons d'accord avec eux sur les intentions. Nous voulons les amener vers le droit commun. De ce point de vue, on peut s'interroger : pourquoi le droit commun des moins de 25 ans diffère-t-il de celui des plus de 25 ans ? La question dépasse largement le cadre de la protection de l'enfance mais c'est, pour nous, une vraie question.

Par ailleurs, s'agissant des dispositifs qui s'adressent aux jeunes de plus de dix-huit ans, il nous semble qu'il ne faut pas les conditionner à un âge maximum. Dans le cadre de notre dispositif « Action Plus », nous accompagnons des jeunes jusqu'à 19 ou 20 ans maximum. Il nous arrive d'en accompagner parfois jusqu'à vingt-cinq ans, notamment ceux qui font des études longues et n'ont pas la chance d'avoir des parents ou des adultes à leurs côtés.

Enfin, il est important pour nous de rester en lien avec un enfant ou un jeune qui a été placé, afin de voir comment nous pouvons, grâce à leur expérience et leurs compétences, améliorer les dispositifs d'accueil de la fondation. Nous leur proposons ainsi d'être acteurs.

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Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance

S'agissant de l'amélioration du fonctionnement, il convient de parler des juges, qui jouent un rôle central dans les questions de protection de l'enfance.

La protection de l'enfance cumule pratiquement toutes les difficultés possibles et imaginables dans l'organisation institutionnelle française. Les compétences et les échelons sont multiples et variés. Autour de l'enfant, on trouve l'Éducation nationale, les professions de soins, les juges, les départements, les associations. Finalement, bien des acteurs gravitent autour de ces enfants, mais on constate une forte incapacité à assumer jusqu'au bout la responsabilité. Concrètement, quand on fait des synthèses sur la situation d'un enfant dans l'Essonne, vingt et une personnes sont autour de la table. Pour autant, au moment de prendre une décision, il n'y a plus personne. Les espaces où trois ou quatre des principaux acteurs de la protection de l'enfance se retrouveraient pour échanger – les juges, les départements, ceux qui s'occupent des enfants et leurs parents – font défaut. Pour notre part, nous avons institué des réunions de pilotage qui rassemblent tous ceux qui se trouvent isolés.

Dernièrement, le juge nous a expliqué qu'un enfant avait fait l'objet de quinze ans de placement et de dix-sept mesures successives d'un an ou de six mois, et que le père qui avait tué la mère devant les enfants allait purger une peine de vingt ans de prison. Les enfants sont âgés de trois et cinq ans. C'est l'histoire de deux enfants placés dans l'un de nos villages. Nous avions établi l'absence d'un tiers digne de confiance et savions que le placement allait durer le temps que le père purge sa peine de quinze ans de prison. La loi – alinéa 4 de l'article 375 – permet au juge de prononcer un placement de plus de deux ans. Dès lors, pourquoi le juge ne prononce-t-il pas une mesure de placement de trois ou quatre ans ? Parce que, explique le juge, il veut revoir les enfants et rester au fait de la situation, car il craint que l'ASE ne lui représente plus jamais les enfants. Dans le cas d'espèce, je lui ai répondu que sa décision produisait une incapacité projective dans la tête des éducateurs et des enfants placés. C'est ainsi que les 750 enfants que compte la fondation ne savent pas à ce jour où ils seront au mois de septembre, même si nous savons qu'ils resteront au village d'enfants. Nous sommes confrontés à la solitude du juge.

Le Danemark pratique d'une manière assez intéressante, un peu sur le modèle des conseils de famille sur l'adoption, qui répond, selon moi, à l'esprit de la loi de mars 2016. Pour un certain nombre de situations, il conviendrait de se mettre autour de la table : ASE, juge, opérateurs, associations, ceux qui s'occupent des enfants. Au quatrième renouvellement de l'ordonnance de placement, nous pourrions évoquer l'idée de délivrer une ordonnance de plus long terme qui permettrait à tous de se projeter.

Où sont les espaces collectifs ? Dans tous les groupes de travail, se pose une vraie question autour de la justice : comment associer les inaccessibles du système ? Si l'on peut réfléchir avec l'ASE au sein du département, discuter et réfléchir avec des juges est compliqué non parce que ce sont des méchants, mais parce qu'ils sont débordés. Le département d'Indre-et-Loire compte deux juges des enfants pour 1 100 enfants placés. Le troisième est un poste vacant. Dès lors, comment faire ?

S'agissant de la préservation des fratries, il faudrait des villages d'enfants, que ce soit SOS ou Action enfance, accessibles à tous les départements français. Or des départements n'ont pas la capacité financière nécessaire qui les autoriserait à augmenter le nombre de places. En revanche, deux ou trois départements, ensemble, le pourraient, sachant toutefois qu'il est difficile de faire travailler des départements limitrophes sur cette question. Les territoires sont animés d'un instinct qui peut se traduire par : « Ce sont mes places, c'est mon département. »

Rendre ces villages d'enfants accessibles aux fratries me semble intéressant, car c'est la seule structure qui couvre des autorisations pour des enfants de zéro à dix-huit ans et dont l'organisation ne fonctionne pas par tranches d'âge, garantissant ainsi que les fratries peuvent vivre et construire une histoire ensemble. On n'est pas frère et soeur parce que c'est écrit sur le livret de famille, on est frère et soeur parce qu'on a partagé des souvenirs. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, au sein des villages d'enfants, on parlait à une époque de « fraternage » lorsque deux fratries sans lien de sang vivaient ensemble pendant cinq ou dix ans. Les anciens enfants placés nous disaient que les enfants qui avaient vécu avec eux étaient leurs frères ou leurs soeurs, non pas parce que c'était écrit sur le livret de famille, mais parce qu'ils avaient tant de souvenirs en commun !

Il ne faut pas se raconter d'histoires. Il existe trente villages d'enfants sur 2 000 structures d'accueil de protection de l'enfance. Sur les 150 000 enfants placés, moins de 2 000 le sont dans un village d'enfants. Or notre expertise porte sur l'accueil de fratries. Nous nous dirigeons vers la disparition des familles d'accueil, en raison du vieillissement et des difficultés de recrutement, sans compter que les familles d'accueil ne sont pas extrêmement adaptées à l'accueil des fratries. Il faudrait d'ailleurs s'entendre sur ce que l'on entend par fratries. Nous accueillons des fratries composées de demi-frères, de demi-soeurs, de quasi-frères, de quasi-soeurs. Nous n'accueillons pas toute la fratrie, mais des frères et soeurs ensemble.

La pauvreté, facteur aggravant ? Pourquoi constate-t-on une sur-représentation des catégories socioprofessionnelles « moins » dans les mesures de placement ? Tout simplement parce que les travailleurs sociaux se rendent dans ces familles, pas seulement pour des questions de placement ou des carences éducatives.

Rappelons que, dans la manière de penser le dispositif, il existe une très grande différence puisque, réintroduite dans la loi de 2016, à la question de la maltraitance physique, psychique, sexuelle vient s'ajouter la question de la négligence et de la carence éducatives. Les mots ont un sens. On tombe rapidement dans des représentations éducatives. Nous nous accordons avec ATD Quart Monde pour demander ce que signifie « bien élever un enfant ». Si on peut avoir des représentations sociales différentes sur le sujet, un élément est incontournable : il faut nommer les choses.

Dans le cadre de réunions éducatives, je rencontre à peu près 50 équipes d'éducateurs. Les réunions durent deux heures, au cours desquelles la situation d'enfants est évoquée ainsi que le motif du placement : négligence, carences éducatives. Personnellement, je ne sais pas ce que cela signifie. Je suis un père très négligent sur nombre de sujets. C'est ma femme qui s'occupe des enfants. Pour autant m'a-t-on enlevé mes enfants ? Que signifie dès lors « négligence éducative » ?

Au terme d'une demi-heure de réunion, on entend presque toujours : « Oui, et puis il y a l'oncle qui faisait ceci, le père qui faisait cela ». Une très belle étude de Nadège Séverac est parue en 2013 sur la situation de la maltraitance en France. Elle parle d'euphémisation des situations. Elle a étudié à la loupe cent informations préoccupantes. Euphémisation signifie que l'on ne pose pas les mots. La question, ce ne sont pas les parents, c'est l'enfant. Nous sommes dans une obsession française de stigmatisation des parents, mais la question est celle des enfants maltraités, des enfants mal traités. Ce sont eux notre sujet, il ne s'agit pas de savoir qui est responsable de quoi.

Objectivement, lorsque l'on étudie la catégorie socioprofessionnelle des parents, on constate des problèmes financiers. Le placement d'un enfant à Action Enfance représente 5 000 euros par mois. Si le placement est le fait d'un logement trop petit, on peut penser que quelque chose dysfonctionne, car 5 000 euros par mois permettent de faire beaucoup en termes de logement. Placer un enfant parce que cinq enfants sont logés dans 18 mètres carrés démontre un dysfonctionnement. Dans les villages, nous sommes très rarement confrontés à cette question.

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Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'enfants

Les motifs de placement sont variables dans les villages et dépassent largement la question du logement.

Avoir des modèles tels que SOS Villages d'enfants ou Action Enfance est important. Aucune magie ne préside à leur fonctionnement. L'intention n'est pas le seul moteur, se pose aussi la question de la vacance possible. Si quatre enfants s'en vont, légitimement, tout favorable que je sois aux familles d'accueil, je vais reprendre un enfant puis un autre, qui ne sont pas forcément frères et soeurs. Dans les maisons d'enfants qui travaillent sur la fratrie, cette question de la vacance se pose. Disposer de quatre ou six places libres autorise l'accueil. C'est un élément clé qui permet de faire ce que nous avons à faire.

Élément complémentaire : dans des situations à la marge, à la limite de nos projets, nous sommes confrontés à des échecs, mais nous connaissons aussi souvent des réussites. Tout le monde est alors ravi. Dans notre jargon, on dit que l'on a « bricolé un truc génial » pour ce gamin. La solution est trouvée, en explosant les budgets, en faisant des exceptions à la règle ; la solution est trouvée en étant dans ce bricolage.

Au moment où nous négocions les tarifications de 50 places, pourquoi ne pas décider de ce que l'on fait des quarante-six premières et de réserver quatre places supplémentaires qui nous donneraient la possibilité d'agir ? Au cours d'une année, avec 50 gamins, nous serons confrontés immanquablement à quatre situations exceptionnelles qui nécessiteront de renforcer l'équipe, de proposer un maillage avec une association collègue, de créer un lien très singulier et d'accueillir à titre exceptionnel, et tout cela dans un cadre préétabli.

L'arsenal juridique de la protection de l'enfance se présente de façon diffuse dans différents textes : le code pénal, le code de l'action sociale et des familles, etc. En France, on a eu du mal, collectivement, à légiférer sur la protection de l'enfance. Un juge des enfants n'est souvent affecté dans ses fonctions que pour trois ou quatre ans, pas davantage, en raison du système de mobilité. À quel code se référer pour fonder ses positions ? Je pense qu'il serait utile de se pencher sur ces questions juridiques.

Sur les modes de financement, la loi de 2007 a incité à innover et à hybrider. Concrètement, on peut prévoir un service d'accueil familial immédiat, trois places en espace de transition dans telle maison l'accueil, des expérimentations restant possibles. Tout le monde est d'accord sur le projet. Mais quand il s'agit de passer au financement, on reste encore très bloqués. Hybrider des ressources est complexe. Il est difficile d'être porteur d'une garantie jeune alors même que cette politique est celle de la protection de l'enfance. À la maison Claire Monrandat à Valenciennes, qui accueille des enfants de 16 à 21 ans, la conseillère en économie sociale et familiale est une championne de la question du relogement. Elle travaille avec plusieurs bailleurs. Son poste pourrait être construit au niveau du département, pourquoi pas à partir de financements du Fonds solidarité logement (FSL) ? L'accompagnement « vers et dans » le logement peut être pensé au sein de la protection de l'enfance. La conseillère accueille, sous l'angle de la protection de l'enfance, la demande du jeune qui, au-delà d'être un jeune, a suivi un parcours singulier.

Sur la question de la pauvreté et des carences, précisons que les crimes et les violences sexuelles sont un phénomène très partagé. Les enfants n'en sont pas du tout à l'abri, quel que soit le revenu socio-économique de leurs parents. C'est une vraie question. L'an dernier, nous étions partenaires avec Bayard et d'autres dans la production d'un livret relatif à la lutte contre les maltraitances et violences sexuelles faites aux enfants. Sur ce sujet crucial, il convient de progresser ; il dépasse la question de la pauvreté, même si la pauvreté est sans doute un facteur aggravant – et pas uniquement sur cette question.

J'en viens aux jeunes de plus de 18 ans. L'entrée à l'ASE aux termes de l'article 375 devrait pouvoir se faire encore après 18 ans. J'ai travaillé pendant des années dans le cadre de dispositifs 16-21 ans.

Un jeune qui se fait mettre à la rue le jour où il annonce son homosexualité le lendemain de ses 18 ans, une grossesse précoce, des violences, un beau-père passant à l'acte transgressif sur sa belle-fille de 17 ans et demi : ces cas représentent au moins 30 % des enfants de cette catégorie d'âge. Nous pourrions solliciter la protection de l'enfance pour promouvoir une plus grande inconditionnalité et ne pas poser d'âge couperet. Ce sont les objectifs qui doivent être les couperets : créer un réseau social, réaliser un parcours d'études et de formation. À 19 ans, certains jeunes sont prêts à être autonomes, d'autres ne le sont pas encore totalement à 24 ans. Ce sont ces facteurs qui doivent être l'arbitre plutôt que l'âge.

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Isabelle Bouyer, déléguée nationale d'ATD Quart Monde

La pauvreté est-elle un facteur aggravant ou pas ? Les enfants sont les premières victimes de la pauvreté de leurs parents. Nous touchons là à des questions relatives aux droits de l'homme et à l'indivisibilité des droits. Lorsque des parents ne bénéficient pas des conditions de vie nécessaires, comment pourraient-ils assumer leurs responsabilités de parents ? Quand le logement est inadapté, la santé défaillante, lorsque l'accès aux droits fondamentaux n'est pas acquis, comment faire pour élever sereinement ses enfants ? Dans une de nos zones « Université populaire Quart Monde » en Champagne-Ardenne, une mère a confié qu'elle ne dormait pas et passait ses nuits à compter parce que le RSA, en tout cas aujourd'hui en France, ne permet pas de subvenir correctement aux besoins et d'assumer ses responsabilités.

Le manque de prévisibilité et vivre au jour le jour empêchent de créer les conditions nécessaires pour assumer ses responsabilités correctement, ce qui n'enlève en rien l'amour porté par les parents aux enfants, et inversement. Le rêve des parents est de pouvoir assumer leurs responsabilités.

S'agissant des plus de 18 ans, je rejoins le propos de M. Laud. Comment imaginer un âge couperet posé au soutien de ces enfants, en tout cas à ceux qui sont confiés à l'aide sociale à l'enfance ? Les contrats « jeune majeur » courent jusqu'à 21 ans, mais on voit bien les débats qui se tiennent actuellement. Nous avons été atterrés de constater que la proposition de loi déposée par Mme Bourguignon avait été amendée. Comment couper la possibilité d'un accompagnement renforcé des jeunes jusqu'à la fin de leurs études ? Il faut supprimer cet âge couperet et instaurer une forme d'inconditionnalité pour que la société assume l'accompagnement de ces jeunes.

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Céline Truong, référente au secrétariat Famille-Petite enfance d'ATD Quart Monde

Sur l'impact de la pauvreté, il est invraisemblable que l'on soit encore en train de se poser la question et de chercher des arguments. Ceux qui sont au contact des enfants et de leur famille ne peuvent que constater qu'il s'agit d'un phénomène massif, qui crève les yeux. Mais nous-mêmes, à ATD, cherchons encore des chiffres pour étayer ce que nous constatons au quotidien, pour être crédibles et apporter les éléments qui nous permettront d'engager un travail.

Dans le cadre du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), nous avons interpellé les représentants de l'INSEE. Nous leur avons demandé s'ils disposaient d'éléments prouvant la corrélation entre le placement des enfants et les catégories socioprofessionnelles des familles biologiques. Ils nous ont répondu tout savoir sur les familles d'accueil, mais ne disposer d'aucun chiffre. Lorsqu'un enfant est placé, les données ne sont pas corrélées, elles ne figurent pas dans un même tiroir, un même bureau, une même instance. À ce jour, nous ne sommes pas en mesure de vous fournir des chiffres. Il y a là quelque chose à faire !

Concernant l'euphémisation des situations, j'ignorais ce concept qui s'inscrit à l'encontre de ce que nous disions précédemment sur la nécessité de lever les malentendus entre les familles et l'ASE afin de travailler efficacement ensemble. Dire aux parents que leurs enfants sont placés pour telle ou telle mauvaise raison revient à faire fausse route. C'est, encore une fois, au détriment de tout le monde, à commencer par l'enfant. ATD ne cautionne absolument pas ce genre de choses.

Vous avez parlé de créer les conditions de la créativité. Bien sûr, il y a des catégories. Quand on est travailleur social et que l'on rédige des synthèses plusieurs fois par semaine, des situations se répètent, mais une famille reste une famille. Quand je parviens à avoir un lien de proximité et de confiance avec les familles, je me félicite du filet de sécurité ainsi tissé. C'est extraordinaire. Malheureusement, parfois, cela ressemble davantage à une toile d'araignée dans laquelle elles sont engluées. L'image est à peu près la même, mais la posture de la famille au milieu de tout cela est très différente.

Vous demandez ce qu'il faudrait améliorer dans la relation entre les familles et les travailleurs sociaux. La formation est la clé, mais pas une formation qui passe par les livres. Les généralités ont, certes, une valeur et permettent de réfléchir, mais quand on rencontre une famille, on ne peut se dire qu'elle correspond à ce que l'on a appris au chapitre 3 et, si on le fait, on sort de la réalité et de la finesse nécessaire. On en revient à l'idée de créativité.

L'institut régional de travail social (IRTS) de Perpignan est moteur, qui a inventé une façon innovante de former les travailleurs sociaux en lien avec les familles. Par ailleurs, à Lille, dans l'une des écoles sociales, les parents sont parfois conviés sous la forme de témoignages, ce qui ne nous convient pas entièrement parce que le concept d'égale dignité n'est pas respecté. Mais quand les parents qui ont croisé le chemin de l'ASE participent à l'élaboration du programme de formation, on retrouve une équité en termes de partenaires de réflexion, de reconnaissance du savoir. Il existe des initiatives intéressantes. Allez voir !

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Merci, mesdames, messieurs.

Ma première question s'adresse à la Fondation Action enfance et comporte deux points.

Premier point, vous avez évoqué le fait qu'il serait vertueux d'ouvrir davantage ce dispositif au bénévolat. J'aurais souhaité que vous creusiez cette idée. Le service national universel (SNU) s'annonce et sera effectué par des jeunes de 16 ans qui, dans le cadre du programme du SNU, donneront quinze jours de leur temps à une association. Pourquoi ne pas faire rencontrer des jeunes et d'autres jeunes ? Peut-être est-ce stigmatisant ou maladroit de le présenter ainsi, en tout cas l'idée m'a traversé l'esprit.

Mon second point est relatif à l'équilibre économique de votre fondation. Vous nous avez dit que 15 % des ressources proviennent de dons de particuliers et d'entreprises. À l'avenir, il faudra trouver des modèles hybrides entre les administrations, les entreprises privées et les donateurs pour porter des projets de société. Pouvez-vous faire un focus sur ce point ?

J'adresse maintenant une question particulière à ATD Quart Monde. Sur la notion de parentalité, vous avez dit, madame Truong, que la famille c'était un père et une mère, et que c'était fondamental pour marcher « sur trois pieds ». Je pense qu'il faut que l'enfant soit en sécurité, qu'il ait des repères et de l'amour. On peut appeler cela la parentalité. Menez-vous des actions particulières pour accompagner les familles, quelle que soit leur composition, pour aider les adultes dans cette parentalité ?

Enfin, ma dernière question s'adresse à vous tous. Vos organisations ont à peu près le même âge. Il n'y a pas de hasard à cela. J'aurais souhaité que vous partagiez avec nous un de vos plus beaux succès, un moment phare qui a permis à vos organisations de mieux aider les enfants que vous accueillez et formuliez un voeu que vous auriez pour le futur proche.

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Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance

Je vous répondrai sur le bénévolat. Il faut tout un village pour éduquer un enfant. On ne peut pas grandir dans des mondes professionnels, on ne peut pas être en permanence dans des relations tarifées : les enfants ont leurs instituteurs, leurs éducateurs. J'ai eu l'opportunité d'accueillir une petite fille de sept ans pendant les vacances à titre bénévole. Sa première question a été : « Est-ce que t'es payé pour t'occuper de moi ? » La question de la gratuité en éducation n'est pas un petit sujet.

Sur les besoins, je citerai un exemple très concret. Comment mes enfants ont-ils trouvé leur stage de troisième ? Ils m'ont dit vouloir faire un stage chez un avocat, on a fait appel aux réseaux. Comment cela se passe-t-il pour un enfant placé ?

Nous allons ouvrir avec le département de l'Aisne un fonds de dotation territoriale « sortie de placement » sur la base d'une collecte pour disposer d'un certain nombre de moyens avec les entreprises et les donateurs du département. Plus important, des chefs d'entreprise, des associations, des bénévoles demandent ce qu'ils peuvent faire. Je travaille à la fondation depuis dix ans. Dans les dîners chez des amis, on me questionne sur mon travail. Après avoir raconté trois histoires, tous me demandent comment ils peuvent faire pour nous aider.

Au Sénat, nous avons abordé la question du bénévolat. Pourquoi ne pourrait-on pas imaginer des familles d'accueil qui recevraient des enfants le week-end ? Pourquoi ne renforcerions-nous pas le parrainage ? Pourquoi des entreprises ne nous proposeraient-elles pas de prendre les enfants placés en apprentissage ou en stage ? Il suffit de mobiliser cette ressource et de l'organiser. La question des bénévoles tient en cela. Il ne s'agit surtout pas de remplacer des salariés par les bénévoles, mais d'apporter un plus.

Nous disposons aujourd'hui de dix équipes de 18-21 ans. Cinq viennent des Scouts et Guides de France. Dix équipes passeront une semaine dans chaque village d'enfants pour organiser des animations pour les enfants qui sont coincés pendant toutes les vacances dans le village. Il y aura des feux de camp, des jeux, etc., pour un coût nul. L'intérêt réside dans le caractère intergénérationnel entre enfants et jeunes étudiants.

Pour la deuxième année consécutive, nous mettons en place « Action Enfance fait son cinéma ». Des étudiants d'écoles de cinéma vont tourner de petits films. Ils écrivent des scénarios et font jouer les enfants avec du matériel professionnel. C'est un projet extrêmement positif et intéressant. La remise des prix au Grand Rex aura lieu lundi prochain. Cette action produit un lien d'une grande puissance entre les gosses et ces étudiants en raison de la gratuité qui préside aux relations.

Vous vous souvenez tous de professeurs, d'instituteurs ou d'accompagnateurs sportifs. Ceux qui vous ont le plus marqué sont ceux qui vous ont consacré gratuitement du temps dans le cadre des classes vertes, des sorties, des échanges.

La question de la gratuité en éducation n'est pas neutre. Certes, on tâtonne, c'est compliqué mais on avance avec les professionnels et les bénévoles.

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François Vacherat, directeur général de la Fondation Action enfance

Je viens apporter un petit complément sur la question de l'équilibre économique. Bien entendu, nous avons un intérêt à financer ou à cofinancer des dispositifs de la protection de l'enfance. Nous avons quelques moyens de le faire comme d'autres associations d'ailleurs.

Les modes de relation avec le département avec lequel nous allons co-construire les dispositifs sont essentiels pour nous, mais la protection de l'enfant souffre d'une difficulté : les relations avec les départements se fondent sur du très court terme. Certes, nous avons des habilitations de quinze ans, mais il suffit que les départements ne nous envoient plus d'enfants dans un village pour que nous puissions plus exploiter correctement notre outil de travail. Cela suppose des dispositifs contractuels avec les départements fondés sur le moyen et long terme. À cette condition, nous serons en mesure de cofinancer des dispositifs, par exemple, de sortie de protection de l'enfance. Nous les finançons intégralement aujourd'hui ; nous serions intéressés par un cofinancement qui aurait également pour vertu d'associer concrètement le grand public, les donateurs et les entreprises au financement d'objets, qu'ils financent aujourd'hui parce que l'enfance reste une des grandes causes nationales, sinon la plus grande.

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Céline Truong, référente au secrétariat Famille-Petite enfance d'ATD Quart Monde

ADT Quart Monde a été interpellé sur la question de la parentalité. Un père et une mère, cela fait une famille, un enfant a un père et une mère. Les familles auprès desquelles nous passons beaucoup de temps sont très souvent des mères seules et parfois des pères seuls. Nous ne nous posons pas la question en termes de normes ou de dogme. Nous vérifions si l'enfant a tout ce qu'il lui faut pour pousser droit et grandir comme il faut.

Vous avez interrogé, madame la députée, sur les dispositifs dont nous nous sommes dotés pour soutenir la parentalité. On dit à des personnes qu'on va les aider dans leur parentalité. On ne m'a l'a jamais proposé parce que personne n'a jamais mis en doute ma compétence de mère, même si je ne suis pas toujours très fière de ce qui se passe à la maison, mais personne n'est là pour le voir.

Nous mettons en place des projets qui consistent à lever les freins et les obstacles qui s'opposent au plein exercice des droits. Par exemple, en lien avec l'école, le projet « École-famille-quartier, ensemble pour la réussite de tous les enfants » est né à Fives-Lille dans le cadre d'un projet pilote, qui a duré dix ans et qui aujourd'hui se déploie dans toute l'académie. L'idée consiste à associer à égalité de responsabilité et de compétences, chacun dans son champ, des enseignants, des parents et des acteurs de quartier, c'est-à-dire des éducateurs qui s'occupent des enfants au cours de la semaine. Le regard que l'animateur du club de rollers porte sur l'enfant peut venir en complémentarité, être une vraie valeur ajoutée par rapport à celle apportée par l'instituteur.

Autre exemple qui vous montrera qu'il s'agit de détours. Proposer à quelqu'un quelque chose qui est directement en lien avec une carence ne lui permet pas de mobiliser toutes ses autres potentialités.

Avec l'association lilloise 2D-4B, nous avons organisé quatre journées au cours desquelles des femmes pouvaient s'adresser à d'autres femmes. Elles étaient ensemble, loin de leurs enfants, de la maison, de leur mari, le temps de penser à elles et de se reconsidérer en tant que femmes, elles qui surinvestissent la fonction de mère et auxquelles on renvoie en permanence qu'elles sont au RSA, au chômage, et que c'est qu'à ce titre qu'on s'adresse à elles.

Se recentrer sur cette identité de femmes peut avoir comme effet secondaire d'investir la parentalité différemment. Peut-être est-on d'autant mieux mère que l'on n'est pas uniquement mère, que l'on ne s'enferme pas dans sa parentalité et que l'on accepte les actions qui renforcent la parentalité. Voilà pour l'idée de détours.

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Un point saillant de votre discours portait sur les partenariats à construire. Des instances existent, notamment le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), où vous pouvez vous exprimer. Souhaitez-vous un dispositif plus fin, plus adapté et individualisé sur le modèle de réponses accompagnées pour tous ? J'aurais souhaité des précisions.

Vous parlez tous de formations communes. Je ne comprends pas. Il existe un diplôme reconnu, fondé sur des socles communs. Comment aller plus loin ? Je pense à l'évaluation des référentiels pour les mineurs non accompagnés (MNA). Je ne comprends pas ce que vous voulez dire à ce sujet.

Je reviens à la Fondation Action enfance et à votre expérimentation d'accueil médico-social de jour dans l'Essonne. Pourriez-vous creuser la question ? S'agit-il d'un besoin, d'un appel à projets, d'une demande des parents ? Comment vous est venue cette idée ?

J'ai lu, par ailleurs, que vous vouliez développer l'ethnopsychiatrie pour les MNA. Hormis en Île-de-France, je ne sais pas comment les enfants pourraient y avoir accès.

Les maltraitances institutionnelles sont nombreuses, notamment dans les maisons d'enfants. Je suppose qu'elles existent également dans les villages d'enfants comme doivent exister les agressions entre enfants. J'ai à l'esprit quelques exemples. C'est pourquoi je vous en parle. Quels sont les moyens que vous vous donnez pour détecter les signaux et comment traitez-vous le problème ?

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François Vacherat, directeur général de la Fondation Action enfance

Sur la question des partenariats, nous évoquions plutôt des partenariats locaux, car au niveau national il existe des instances où nous pouvons être entendus et participer. Nous pensions donc davantage à des partenariats locaux ou à des outils locaux qui nous permettraient d'agir ensemble par un cofinancement avec les départements. Au niveau départemental, très peu d'instances existent où nous pouvons nous retrouver entre acteurs de la protection de l'enfance, sous l'autorité que peut être le département pour parler de politique générale. Nous nous retrouvons, certes, à intervalle régulier, lors du débat du schéma départemental, mais c'est fait avec plus ou moins de méthode. Parfois, nous sommes assez peu entendus ; d'autres fois, au contraire, les départements sont très impliqués. Mais il n'existe pas d'instances départementales où évoquer les besoins quantitatifs ou qualitatifs.

Par ailleurs, d'un point de vue opérationnel, comment financer les sorties de placement ? Par des financements publics ? Dans les débats actuels, je suis horripilé quand j'entends qu'il faut toujours plus d'argent public pour faire tout un tas de choses. Certes, les projets revêtent un coût, mais peut-être pourrait-on explorer des pistes pour optimiser les financements existants. Par ailleurs, l'idée d'associer les donateurs serait intéressante.

S'agissant de la formation, deux points nous posent difficulté. La plupart de nos éducateurs sont diplômés, notamment les éducateurs spécialisés. Dans le cadre des formations d'éducateurs spécialisés ou d'autres d'ailleurs, la spécificité de l'accueil en village enfants est peu prise en compte. C'est un point de vue que nous partageons avec SOS Villages d'enfants.

Nous avons édité un livret intitulé Repères dans l'accueil de type familial. Il s'agit d'un référentiel qui explique comment est conçu l'accueil des enfants dans les maisons en village d'enfants. Nous accueillons de nombreux jeunes diplômés, beaucoup de jeunes éducateurs ou éducatrices. Ils ont parfois une vision un peu théorique des choses et mettent du temps à intégrer la façon dont nous accueillons les enfants. Par exemple, un éducateur doit faire la cuisine avec les enfants dans la maison. Or, pour des jeunes de 22, 23, 24 ans, le problème est de faire la cuisine et des repas équilibrés. Or, les jeunes diplômés, selon qu'il s'agit de filles ou de garçons, se nourrissent différemment. Il convient de les former à cet aspect qui n'est pas abordé dans les écoles de travail social.

J'observe que nous avons parfois du mal à nous entendre avec nos correspondants dans les départements dans la mesure où ils ne connaissent pas toujours très bien la singularité de la prise en charge des enfants car on ne peut généraliser. La singularité de la protection de l'enfance tient à la diversité et à la complémentarité des modes d'accueil. Cela nécessite que les dispositifs départementaux aient une vision assez fine sur la manière d'accueillir les enfants et les divers modes d'accueil.

S'agissant de l'expérimentation médicosociale qui doit se dérouler en Île-de-France, dans l'Essonne, on pourrait penser qu'il n'existe pas de problèmes d'accès aux soins. Or, il en existe, parce que les centres médicopsychologiques notamment sont surchargés. Dans le cadre des discussions que nous avons engagées avec le département et avec une pédopsychiatre, nous avons pensé qu'il serait intéressant de mettre en place un dispositif expérimental, financé intégralement par le département de l'Essonne alors que cela pourrait relever de l'agence régionale de santé (ARS). Le département nous a dit avoir besoin d'un porteur de projet. Dans la mesure où nous sommes intéressés, nous portons le projet qui emporte le projet immobilier. Nous portons surtout le projet des professionnels puisqu'il s'agit d'une équipe pluridisciplinaire qui réunit des éducateurs, des infirmières et des enseignants. Dans le cadre de l'accueil de jour, cette équipe procédera à des observations. Si cela vous intéresse, nous vous inviterons avec plaisir, mais laissez-nous travailler quelques mois pour en mesurer les effets car c'est une première !

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Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance

S'agissant du partenariat, il serait bon de structurer la relation entre, par exemple, la Fondation Action Enfance et le département. Nous avons investi six millions d'euros pour construire un village d'enfants ; or, nous n'avons aucune garantie que le département nous envoie des enfants dans le champ de la protection de l'enfance. Quand on en parle avec les représentants du secteur privé, ils ouvrent les yeux comme des soucoupes !

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François Vacherat, directeur général de la Fondation Action enfance

Je ferai un petit parallèle. Les concessions des gestionnaires d'autoroutes portent sur des durées extrêmement longues. Il nous semble que nous exerçons un métier important ; or, nous n'avons aucune visibilité à moyen ou long terme, ce qui pose problème. Si nous devions formuler un voeu, ce serait une contractualisation à moyen et long terme.

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Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance

J'en viens à la question de la maltraitance. Cette question motive la présence de quatre éducateurs dans les maisons qui travaillent sous le regard de l'autre. Sur une équipe de deux éducateurs, le premier assure le travail de nuit plusieurs jours consécutifs, un autre vient sur les temps forts de la journée.

Nous avons eu à connaître des situations dramatiques dans des villages d'enfants, une en particulier qui a fait énormément évoluer notre regard sur l'évolution des enfants, les difficultés de placement et sur ce que l'on demandait aux éducateurs sur des durées très longues de travail. C'est encore le cas de villages d'enfants où on travaille huit jours consécutifs, la situation produisant des maltraitances. L'une de nos réponses a donc consisté à employer deux éducateurs sur des temps importants de la journée, de 16 heures à 22 heures. Par ailleurs, nous avons sensibilisé les équipes, notamment des cadres, sur les sujets de la maltraitance et de la parole des enfants.

Nous observons une augmentation importante des agressions à caractère sexuel entre enfants – et entre enfants jeunes – de huit ou dix ans, renvoyant à la question de la vie affective et sexuelle. Deux sujets ne sont pas abordés aujourd'hui alors qu'ils sont structurants parce qu'ils touchent, d'une part, à la vie affective et sexuelle ; d'autre part, à la vie spirituelle, à la religion et à la vie intérieure. Ces deux champs ne sont pas traités ni même abordés par les éducateurs. Nous renvoyons de nouveau à la formation. Actuellement, les éducateurs font preuve d'une distance et d'un respect mal adaptés. Un exemple : une jeune fille de 13 ans a eu des relations sexuelles au collège. Le collège a appelé. J'ai dialogué alors avec les éducateurs qui m'ont dit avoir appelé le médecin, les services du Planning familial, etc. J'ai alors demandé à l'éducatrice si elle avait dit personnellement à la jeune fille ce qu'elle pensait du fait d'avoir des relations sexuelles à 13 ans. C'est là que l'on touche à la question de la formation. On ne peut pas grandir avec des professionnels, on ne grandit qu'avec des personnes.

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Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'enfants

Il existe des formations, dont certaines sont intéressantes. Nous prônons l'idée d'un socle de formations fondé sur une approche par les droits, co-construit avec les usagers. Ce socle ajouté à la question de la participation serait un modèle intéressant.

Sur la question de la fratrie, je me rends une fois par an à l'École nationale de la magistrature (ENM) pour rencontrer les futurs juges et évoquer la singularité des enjeux liés à la fratrie. Lorsqu'ils doivent fonder leur intime conviction, les magistrats ne disposent pas toujours des grilles de lecture adéquates, alors même qu'ils sont bien formés. Avoir un diplôme n'empêche pas de faire évoluer les contenus.

J'en viens à la maltraitance. J'excuse Isabelle Moret, notre directrice générale, qui devait être avec nous, mais elle est en séminaire pendant trois jours à Lyon avec l'ensemble des chefs de service, des directeurs, etc., précisément pour traiter de la question de la protection des enfants à SOS Villages d'enfants. La maltraitance est l'affaire de tous. Nous essayons de passer des procédures à des politiques. La fédération répond à la certification Keeping children safe. J'ai travaillé selon différents modèles dont aucun n'excluait la possibilité de la maltraitance. La question est de savoir comment la traiter.

Nous avons instauré des cellules par village, composées de cadres et de non-cadres. Les enfants sont informés de leurs droits et nous coconstruisons cette politique avec eux. Nous sommes en chemin. Nous voulons briser les tabous.

Parce qu'il soigne et est aimant, SOS Villages d'enfants est un lieu qui peut créer de la violence et du danger. Dès que nous accueillons nos professionnels, nous mettons en partage ce sujet, non pas comme quelque chose d'impensé et d'impensable, mais comme quelque chose d'intolérable, donc à penser ensemble, afin d'avancer et de se construire collectivement. C'est ainsi que sont abordés le lien avec la maison, les ressources données aux pères et aux mères SOS, etc.

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Depuis de nombreuses années, je suis élue départementale et j'ai pendant quinze ans siégé au conseil de famille. Vous avez pointé du doigt la gouvernance dans les départements et la difficulté des départements à fonctionner avec la justice. Tout dépend du juge. Parfois, cela se passe très bien. Ainsi que vous l'avez noté, 80 % des enfants sont placés par la justice. Mais il arrive aussi que cela se passe très mal, ainsi que cela s'est produit au cours de ma dernière expérience parce que le représentant de la justice était très « jugeant » par rapport au travail social du département. Le conflit était permanent, ce qui n'était pas une bonne chose pour le bien des enfants. Cette personne estimait que les travailleurs sociaux étaient beaucoup trop laxistes ou trop gentils, et de là de mauvaises relations se sont instituées. Les personnes étant ce qu'elles sont, auriez-vous une idée de solution afin d'éviter ce genre de conflit et fonctionner mieux ?

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Un tabou pèse sur la relation affective, que l'on retrouve aussi dans l'Éducation nationale. Je vous apporterai mon témoignage. Mon petit garçon a été abîmé, petit. Nous avons travaillé avec la police judiciaire des mineurs, qui a été remarquable. Aujourd'hui, il va bien, il va même très bien. J'en ai fait un combat dans les écoles.

Le livret Okapi que vous avez édité avec Bayard est remarquable. Il est sans tabous, plein de délicatesse, je l'ai donné à des enseignants, j'ai transmis les dossiers, j'en ai parlé au directeur et aux infirmières. Il y a là quelque chose qu'il faut casser, j'en ai d'ailleurs parlé à Adrien Taquet. Malaise. Je pense qu'il faut constituer un collectif. Nous savons que la prévention est un élément porteur.

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Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'enfants

S'agissant des formations, nous travaillons avec Martine Nisse, du centre des Buttes-Chaumont. La première formation interinstitutionnelle a eu lieu hier, un peu sur le modèle de la participation autour de la lutte contre les violences faites aux enfants. Il convient avant tout d'intégrer le fait que le tabou de l'inceste est structurellement fondateur. C'est ainsi que l'on ne transgresse pas.

Quand il y a transgression, il y a déni. Comment faire pour entendre l'enfant, avancer, disposer des structures adéquates pour l'entendre ? Nous sommes concernés à double titre. Les violences sexuelles peuvent être le motif de placement de nombreux enfants – ce n'est pas le seul – et les violences entre enfants peuvent être un risque pour les professionnels. Il conviendrait de renforcer, par ce type d'entrée, les formations d'éducateurs spécialisés à partir du socle actuel.

Je voudrais dire maintenant un mot sur les financements. Nous sommes deux associations qui avons la capacité de collecter. Ce n'est pas, toutefois, le cas de la majorité des associations travaillant dans le secteur de la protection de l'enfance. L'engagement des pouvoirs publics est absolument nécessaire pour nos collègues d'autres associations, et donc pour les jeunes qu'ils accompagnent. Il convient de militer en associant l'opinion publique plutôt que de mettre en avant le désengagement des pouvoirs publics. Dans d'autres pays, on milite pour que les pouvoirs publics participent ; en France, on milite pour qu'ils se maintiennent dans la mesure où la sécurité et l'égalité de traitement sont alors plus grandes.

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François Vacherat, directeur général de la Fondation Action enfance

Au-delà de la question des juges, les lieux permettant de mieux se connaître les uns les autres font défaut. Quand les juges visitent un village d'enfants et mesurent le travail réalisé, cela améliore la qualité des décisions futures. Nous rencontrons également des difficultés relationnelles avec l'Éducation nationale en raison des préjugés de part et d'autre. Aussi conviendrait-il de créer une instance autour des questions relatives à la protection de l'enfance, pilotée par le département, l'institution la plus légitime pour conduire ce type d'instance. Elle permettrait aux acteurs en réseau de mieux se connaître et de savoir ce que fait chacun et aux juges de mieux orienter les décisions de justice et de prendre des décisions de placement plus ajustées aux capacités d'accueil. Ce qui fait défaut aujourd'hui relève de l'amont. Comment qualifier les décisions, comme dialoguer ensemble, comment s'expliquer sur ce que l'on fait ? Quand on s'explique sur ce que l'on fait, on dit ce que l'on sait faire et également ce que l'on ne sait pas faire, on dit ses limites ou les difficultés rencontrées. Ne pas le faire engendre les préjugés et chacun se renvoie la balle, travailleurs sociaux, acteurs de la protection de l'enfance et juges. De telles instances manquent aujourd'hui, notamment au niveau local.

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Hervé Laud, directeur de la prospective et du plaidoyer de SOS Villages d'enfants

Lorsqu'un directeur enfance-famille est en lien avec un président de tribunal pour enfants, cela engendre des effets porteurs, mais ce n'est pas fréquent.

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Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance

Les juges des enfants sont trop seuls. La juridiction est très puissante, il y a beaucoup d'affects, beaucoup de prononcés de mesures de placement, de cinq ans, par exemple, et en face des parents. C'est humainement compliqué.

Mme Teyssandier, alors premier juge pour enfants à Bobigny, parlait de la grande difficulté liée au placement. Prononcer une mesure de placement revient à une peine de prison. Premier écueil : la solitude des juges des enfants.

Deuxième écueil : excepté les très grands passionnés, le travail de juge des enfants n'est pas la voie royale. Dans le parcours et la carrière des juges, être juge des enfants n'est pas la panacée. Comment revaloriser cette fonction ? Il serait intéressant que les juges des enfants aient autorité pour prononcer des délégations d'autorité parentale, sans passer par le juge aux affaires familiales (JAF). Sans nul doute, des situations sont à rééquilibrer entre le juge des enfants et le JAF pour rendre toute sa splendeur au métier de juge des enfants. Il s'agit, selon moi, d'un des métiers les plus intéressants.

Troisièmement, il conviendrait de ne plus penser la protection de l'enfance, le placement et les mesures éducatives comme provisoires. En supprimant cette dimension provisoire des mesures éducatives et de l'esprit de la législation, on redonnerait du sens à la protection de l'enfance. Je pense que tout le monde est fait pour avoir des enfants, tout le monde les aime, mais tous ne sont pas faits pour s'en occuper et les aider à grandir. En substance, c'est une fiction que de croire que le père et la mère éduquent les enfants, c'est une fiction qui a été construite il y a un peu moins de cent ans par la psychologie – je suis de formation psychologique et psychanalytique – et par le marketing. Une famille tient dans une Scenic cinq places : papa, maman et trois enfants… C'est une fiction. Dans notre histoire, on n'a jamais élevé les enfants dans un tel système. La cellule familiale était plus collective et intergénérationnelle.

Le nombre de placements en France ne baisse pas, non parce que les gens seraient plus méchants ou moins capables, mais parce qu'ils sont de plus en plus seuls et que les solidarités de voisinage et intergénérationnelles disparaissent de nos sociétés. Il faut tout un village pour élever un enfant, un père et une mère ne suffisent pas.

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Isabelle Bouyer, déléguée nationale d'ATD Quart Monde

Représentante d'ATD Quart Monde, je siège au Haut Conseil du travail social (HCTS). Je suis donc informée du projet que certains départements ont expérimenté ces derniers mois autour de la notion de référent de parcours. Au coeur des dysfonctionnements ou mauvaises relations entre les services, les juges et les services sociaux et dans le cadre du travail autour d'une famille qui fait intervenir plusieurs intervenants sociaux, les premières victimes sont les familles, les parents et les enfants.

J'imagine que vous êtes au fait de la refonte du travail social en cours depuis les États généraux du travail social en 2011 et 2012 dans le cadre de laquelle des projets sont expérimentés. Nous avons contribué notamment à élaborer les indicateurs d'évaluation de ce programme sur les référents de parcours. Les militants d'ATD Quart monde espéraient que les parents pourraient choisir dorénavant leur référent de parcours en vue d'établir une relation de confiance. Avoir face à soi de multiples intervenants sociaux est extrêmement compliqué, sans compter que les parents choisissent des stratégies différentes en fonction des travailleurs sociaux. J'ignore ce qu'il est résulté de cette expérimentation sur le référent de parcours qui a en charge de mettre en lien l'ensemble des professionnels. Il était souhaité que la famille choisisse son référent de parcours pour un travail efficace.

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Marc Chabant, directeur du développement de la Fondation Action enfance

Au Québec, le dispositif Prisma sur les gestionnaires a été mis en place. Nous pouvons nous reporter à des dispositifs existants.

Je reviens sur l'approche systémique de la protection de l'enfance et, plus généralement, du social. Vous avez évoqué le nombre d'intervenants sociaux autour des familles. Il est aberrant, me semble-t-il.

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Merci beaucoup pour votre participation et vos apports.

La réunion s'achève à onze heures trente-cinq.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 9 h 20

Présents. – Mme Delphine Bagarry, Mme Gisèle Biémouret, Mme Nadia Essayan, Mme Perrine Goulet, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.

Excusé. - Mme Jeanine Dubié.