Mission d'information sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 14h35

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • ASE
  • MNA
  • enfance
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La réunion

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Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Jeudi 16 mai 2019

La séance est ouverte à quatorze heures trente-cinq

Présidence de M. Alain Ramadier, président de la mission d'information de la Conférence des présidents

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Cette audition est consacrée au thème des mineurs non accompagnés (MNA). Cette question, dont l'importance ne nous a pas échappé, a été soulevée lors de précédentes auditions. Nous avons été alertés sur l'explosion de ce phénomène, qui se pose avec une acuité particulière dans certains départements où il peut remettre en cause l'adaptation des structures d'accueil et des moyens. Il pose la question des compétences des acteurs respectifs, État ou département, de la répartition de ces mineurs et de la détermination même de leur qualité de mineur.

Nous entendrons le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, M. Stéphane Troussel et Mme Flora Flamarion, adjointe au directeur général adjoint du pôle solidarité ; nous recevons, pour la fondation Apprentis d'Auteuil, M. Baptiste Cohen, directeur projet pôle protection de l'enfance et Mme Anne Werey, directrice régionale adjointe Grand-Est, ainsi que Mme Claire Sabah, chargée de projet au département accueil des droits des étrangers du Secours catholique Caritas France.

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Baptiste Cohen, directeur projet pôle protection de l'enfance de la fondation Apprentis d'Auteuil

Je vous remercie de nous avoir invités à échanger dans le cadre de cette mission. Nous n'avons pas été prévenus que cette audition porterait sur le thème des MNA, mais sur l'aide sociale à l'enfance en général. Nous vous ferons part de nos observations sur les pratiques de l'aide sociale, la qualité de prise en charge, le fonctionnement des institutions.

La fondation Apprentis d'Auteuil a 150 ans ; elle a pour objet l'action socio-éducative auprès des jeunes et des familles en difficulté. Elle s'est longtemps appelée Orphelins Apprentis d'Auteuil mais le mot « orphelins » a disparu de l'appellation, d'une part parce que le public n'est plus le même, d'autre part parce que notre action éducative auprès des enfants et des jeunes en difficulté passe, à chaque fois que c'est possible, par un travail avec et au bénéfice des familles – y compris dans le champ de la protection de l'enfance : protéger les enfants, c'est d'abord aider les familles.

Nous menons des actions en protection de l'enfance, avec à peu près 5 500 places et 7 500 mesures en 2018. Nous avons aussi une activité de formation, en lien avec des établissements scolaires et des internats. Au fil du temps, des activités de formation continue, d'aide à la parentalité, de petite enfance, se sont développées, toujours centrées sur l'accompagnement des enfants, des jeunes et des familles.

Pour s'insérer, entrer dans la vie, devenir autonomes, responsables et solidaires, ces personnes ont besoin d'un accompagnement. Cet accompagnement peut être décidé par les services sociaux ; il peut aussi être souhaité par les familles, et par les jeunes eux-mêmes – c'est le cas des dispositifs d'aide à l'insertion et de remobilisation en vue d'une formation professionnelle pour les jeunes décrocheurs.

Entre 25 000 et 30 000 jeunes sont accompagnés par 5 500 professionnels, sur 200 établissements, dont 65 en protection de l'enfance, dans 41 départements. Ces chiffres ne doivent pas nous faire tourner la tête, mais nous imposer une certaine humilité : plus on est grand, et fort en apparence, mieux on connaît ses fragilités et les difficultés avec lesquelles les équipes travaillent. La culture d'Apprentis d'Auteuil est une culture de service, souvent dans la proximité, avec beaucoup de petites unités d'actions. Nous essayons de produire ensemble une expérience partagée.

Nous souhaiterions aborder deux points : l'amélioration de la qualité des prises en charge et la nécessaire lisibilité qu'il convient de donner à l'action publique en matière de protection de l'enfance. Les acteurs ont besoin d'une telle coordination, d'un tel niveau d'entente que la défiance peut se répercuter sur l'activité éducative elle-même. Nous détaillerons quelques propositions pour revoir le rôle des uns et des autres. Ces sujets sont structurels. Il ne s'agit pas d'améliorer un dispositif, mais d'interroger le fonctionnement général de l'aide sociale à l'enfance, notamment la place du judiciaire par rapport à l'administratif.

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Anne Werey, directrice régionale adjointe Grand-Est de la fondation Apprentis d'Auteuil

Notre expérience et nos observations depuis plusieurs années nous font penser qu'il est prioritaire d'améliorer la connaissance des publics accueillis et de mieux comprendre les besoins des enfants. À cet égard, la question de l'accueil des MNA se pose. Les profils des jeunes accueillis sont extrêmement variables : nous recevons des jeunes présentant des troubles du comportement, des jeunes à la frontière du social et médico-social, des jeunes aux grandes carences éducatives, des jeunes qui souffrent de troubles psycho-affectifs. Le fait de mieux comprendre, de mieux qualifier et de mieux pouvoir en parler nous permettra d'améliorer les services attendus.

Il convient aussi de souligner le rôle que peut jouer l'aide sociale à l'enfance dans l'aide aux familles. Hormis certaines situations – MNA, enfants placés après une mise en danger –, il faut réaffirmer la place et le rôle des familles : en les associant aux décisions et aux actions menées auprès de leur enfant, on avance de façon plus efficace et plus rapide. Et la position de chacun s'en trouve structurellement changée.

Les postures doivent évoluer, qu'il s'agisse de l'ASE ou du secteur associatif habilité. Les services de l'ASE sont les partenaires des institutions, et les établissements mériteraient d'être accompagnés dans l'amélioration continue de la qualité des démarches. Ils le sont pour ce qui est du contrôle de gestion, mais il n'y a pas de discussion entre les services de l'ASE et le secteur associatif habilité sur la qualité du service à apporter aux enfants.

Il conviendrait de simplifier les modalités de validation de la contribution des opérateurs privés – associations, fondations – à l'aide sociale à l'enfance, qui sont aujourd'hui très complexes. L'ASE est guidée par un schéma départemental révisé tous les cinq ans, les établissements eux-mêmes réfléchissent à leur projet d'établissement : ce sont de grandes temporalités qui ne se croisent pas toujours. Il est, du coup, difficile de mettre tout le monde en ordre de marche, dans une même temporalité, avec des objectifs communs. Il faudrait coordonner, plutôt que juxtaposer, les habilitations, revues tous les quinze ans, les évaluations externes et les évaluations internes.

Pour finir, il convient de se poser la question de la formation des travailleurs sociaux. Tout ce qu'ils ont à apporter dans le quotidien des enfants est à repenser. En vingt-cinq ans, les publics ont beaucoup changé : les réflexes des travailleurs sociaux d'antan, qui perdurent, doivent être revus. Il faut se permettre de rénover ces formations.

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Je souhaite la bienvenue à M. Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis. La mission d'information a souhaité vous entendre, monsieur le président, sur le dossier des MNA. Le département de la Seine-Saint-Denis est un département très jeune et atypique ; nous lui réserverons l'un de nos premiers déplacements, courant juin.

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Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

Je vous remercie pour votre invitation. Vous le savez, la protection de l'enfance est une compétence du département depuis plus de trente ans, au coeur des solidarités. Nous avons tous été marqués par les reportages diffusés ces derniers mois, ce chiffre désormais répété en boucle – un quart des SDF entre 18 et 25 ans seraient d'anciens enfants de l'ASE –, le rapport du Conseil économique, social et environnemental évoquant un énorme gâchis pour la République.

La protection de l'enfance, dans de nombreux départements, est pourtant loin d'être un angle mort des politiques publiques ; au contraire, beaucoup de moyens humains et financiers, de la volonté et de la détermination y sont consacrés.

Avant d'aborder la question des MNA, autorisez-moi quelques mots sur la Seine-Saint-Denis. Il s'agit d'un département très jeune et très populaire, qui subit de plein fouet le transfert, fort mal compensé, des trois grandes allocations individuelles de solidarité – l'APA, la PCH et le RSA –, en raison, notamment, du grand nombre d'allocataires du RSA résidant dans le département. En dépit de nos difficultés budgétaires, la protection de l'enfance fait partie de nos priorités et demeure très largement soutenue.

Nous accompagnons près de 8 700 jeunes, et le budget consacré est en constante augmentation – 20 millions d'euros supplémentaires cette année à l'issue de notre décision budgétaire modificative. En tout, 293 millions d'euros vont à l'aide sociale à l'enfance : il s'agit, dans ce domaine, de la dépense par habitant la plus importante en France.

Au-delà de ces considérations financières, la politique que nous menons repose sur la recherche d'un accueil particulièrement digne, la volonté de faire réussir ces jeunes, la quête permanente de l'innovation.

L'ensemble des compétences qui nous ont été transférées sont pleinement mobilisées. Je pense notamment aux contrats jeune majeur, qui ont occupé les débats de l'Assemblée nationale ces derniers jours. En Seine-Saint-Denis, deux tiers des jeunes qui ont eu 18 ans dans l'année se voient proposer un contrat jeune majeur, soit 1 000 jeunes. Nous y consacrons chaque année 20 millions d'euros.

Cette politique ne s'arrête pas là : pour éviter les placements, nous menons des interventions intempestives auprès des familles ainsi que des actions de prévention, via des services d'accueil de jour, des relais parentaux ou adolescents, des centres mère-enfant. Nous comptons aussi sur un réseau de 117 centres de protection maternelle et infantile (PMI) – les dépenses pour la PMI en Seine-Saint-Denis représentant 20 % de la totalité des dépenses pour la PMI en France.

C'est dire l'ampleur de cette politique, mais aussi les difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

Ces dernières années, l'ensemble du dispositif de la protection de l'enfance a été bouleversé par l'augmentation très importante du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) accueillis dans notre département. Aujourd'hui, nous accompagnons 1 612 MNA. Leur nombre a triplé depuis 2015 et les MNA représentent plus de 26 % du public de l'aide sociale à l'enfance.

Les départements, et singulièrement le nôtre, sont en première ligne, à la fois pour évaluer la minorité des MNA et pour les accueillir. La majorité des évaluations qui sont faites en Île-de-France sont assurées par deux départements : Paris et la Seine-Saint-Denis.

Personne ne pouvait anticiper que ce public triplerait en quelques années, ce qui a de fortes conséquences sur le fonctionnement de l'aide sociale à l'enfance. Nous avons créé une cellule spécifique d'accompagnement, la CAMNA, afin de sortir l'accompagnement au long cours de ces mineurs de nos circonscriptions territorialisées, qui ont dû elles aussi monter en puissance ces derniers mois pour accompagner l'ensemble de ces jeunes. Nous avons lancé un appel à projets pour créer 800 places d'hébergement supplémentaires, consacrées à l'accueil des MNA. La dépense en faveur des MNA est passée de 36 millions en 2017 à un peu plus 41 millions aujourd'hui.

J'ai tendance à penser que la question migratoire n'est pas derrière, mais devant nous, compte tenu des perspectives, notamment en Afrique subsaharienne. Il n'est pas soutenable pour les départements de continuer à accompagner les MNA sur le plan budgétaire et organisationnel si des évolutions ne se produisent pas dans les mois qui viennent.

Les MNA, parce qu'ils sont des enfants et des jeunes, doivent être accompagnés au titre de la protection de l'enfance : ils doivent être protégés, comme n'importe quel enfant. Je préfère le dire, car cela fait débat : ils n'ont pas vocation à être fichés pour être potentiellement expulsés par les services de police, ainsi que l'organise le décret 2019-57 du 30 janvier 2019. Je considère que les services du département ne doivent pas se faire, passez-moi le mot, les supplétifs du ministère de l'intérieur. S'il s'agit d'une question migratoire, alors elle doit relever du ministère de l'intérieur. Nous continuerons, avec d'autres départements, à défendre les droits de l'enfant en n'appliquant pas ce décret.

Les MNA rencontrent d'importantes difficultés pour construire leur avenir en France, qu'il s'agisse de l'accès au droit, de l'accès à la santé, de l'accès à la formation, de l'accès à un hébergement ou à un logement. Ces questions ne relèvent pas de la compétence du département, mais bien de l'État. Elles nécessitent un renforcement de l'articulation entre l'État et les services du département. Ce serait d'ailleurs un gâchis particulièrement absurde si ces jeunes, arrivés à l'âge de 18 ans, se voyaient refuser un titre de séjour après que les départements, via l'ASE, ont investi des sommes considérables !

À cet égard, notons que la proposition de loi de la présidente Brigitte Bourguignon, qui ouvre le contrat d'accès à l'autonomie aux seuls jeunes ayant été pris en charge pendant au moins dix-huit mois cumulés entre 16 et 18 ans, exclut de fait les 44 % d'enfants placés tardivement, dont la grande majorité – 70 % – sont des MNA.

Depuis plusieurs années, la question des MNA fait l'objet de discussions sur les relations financières entre l'État et les départements. La loi de finances pour 2019 consacre 175 millions d'euros à l'accompagnement financier des départements pour les MNA, ce qui représente en moyenne 17,5 % de la dépense assumée par les départements – 1 milliard d'euros environ. Cette part tombe à 10 % pour la Seine-Saint-Denis – département plus jeune, plus populaire, aux finances contraintes – car un certain nombre de mécanismes font que nous n'arrivons pas à obtenir une compensation plus élevée. Nous avons perçu en 2018 3,8 millions d'euros, un engagement financier très faible au regard de la charge que représente l'accompagnement des MNA dans le budget du département.

Pour accomplir correctement cette mission d'intérêt général, nous avons besoin d'un cadre renouvelé avec l'État. Je formulerai plusieurs propositions. Le triplement du nombre des MNA en trois ans en Seine-Saint-Denis impacte très directement l'ensemble du dispositif de l'aide sociale à l'enfance, son organisation et son financement. En dépit de notre volontarisme, nous ne pourrons faire face seuls à l'augmentation continue du nombre de MNA. Nos ressources financières, en tension, ne sont pas extensibles. Il est temps que l'État prenne la mesure de cette situation et assure une juste compensation des dépenses que nous engageons.

De ce point de vue, deux dispositifs doivent être retravaillés. Le système de répartition des MNA entre les départements est organisé par un décret de 2016 et basé sur des critères très complexes, notamment la proportion de jeunes de moins de 19 ans dans le département. Avec quelques-uns de mes collègues à la tête de départements jeunes, nous pensions que ce critère nous conduirait à accompagner moins de MNA ; or c'est tout l'inverse qui s'est produit, puisque l'on a considéré que nous avions l'habitude de ces publics et que nous disposions d'un dispositif particulièrement développé et adapté ! Il est essentiel de revoir cette clé de répartition, d'autant que certains territoires sont dépeuplés, et que la démographie y a des conséquences sur le fonctionnement des services publics et l'économie de certains secteurs d'activité.

L'évaluation de la minorité doit relever d'une compétence nationale. J'ai proposé à maintes reprises que la phase d'évaluation et de mise à l'abri relève de l'État et que la phase d'accompagnement des mineurs avérés relève de la protection de l'enfance, donc des départements. Je constate que cette proposition n'est pas mise en oeuvre. Il faut, en attendant, qu'à l'échelle de l'Île-de-France, une plateforme régionale d'évaluation soit mise en place, financée par l'État. Ainsi, la solidarité nationale fonctionnerait et le rôle de chacun serait clarifié : à l'État, l'évaluation ; aux départements, la protection de l'enfance et l'accompagnement des MNA. Sans cela, nous ne pourrons pas faire face aux évolutions actuelles.

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Nous avons reçu des représentants de l'Assemblée des départements de France (ADF), qui ont la même position sur l'évaluation de la minorité. Pouvez-vous en dire davantage sur la CAMNA, et nous fournir un premier bilan de l'insertion et de la régularisation des MNA ? J'ai bien entendu que vous refusiez de participer au fichier national MNA, mais comment, selon vous, lutter contre les réseaux en bande organisée, qui organisent le déplacement des mineurs ou majeurs en fin de droits d'un département à l'autre, où ils peuvent espérer s'inscrire ? Enfin, quelles sont vos pistes de réflexion pour améliorer la prise en charge des MNA ?

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Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

Je connais les débats qui peuvent exister entre les différents départements sur l'évaluation de la minorité. Le taux de jeunes évalués mineurs en Seine-Saint-Denis est à peu près le même que le taux national, ils représentent 30 % des personnes évaluées. C'est l'augmentation constante depuis trois ans du nombre de personnes évaluées qui fait croître le nombre de MNA.

En dépit des difficultés que nous rencontrons auprès des services de la préfecture, compte tenu de notre appréciation du fameux décret, le taux de régularisation des MNA est d'environ 70 %.

Nous avons lancé un appel à projets pour un hébergement spécifique et des places dédiées, car les besoins de ces jeunes ne sont pas de même nature que ceux des enfants et des jeunes accueillis au titre de l'aide sociale à l'enfance ; la question de l'autonomie et du lien avec la famille se posent autrement, par exemple. Il nous a donc semblé que leur hébergement pouvait être un peu différent.

Leur situation, dans le parcours, n'est pas la même non plus : ils ont souvent accompli des milliers de kilomètres pour arriver en France, et en tirent une autonomie, une énergie, une détermination et une forte capacité à poursuivre un parcours d'intégration sociale et professionnelle. Je laisse Flora Flamarion vous répondre sur ce point et fournir des chiffres plus précis.

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Flora Flamarion, adjointe au directeur général adjoint du pôle solidarité du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

La spécificité des MNA est qu'ils formulent des demandes à l'endroit de l'aide sociale à l'enfance, ce qui est plus rarement le cas des autres publics, et que leur famille qui pourrait constituer un tiers auquel les services de protection de l'enfance pourraient s'adresser , est absente.

Leurs demandes portent essentiellement sur la scolarisation, l'accès à la formation et l'accès à la régularisation. Cela modifie la manière dont on prévoit la référence ASE et les places en établissement. Nous avons commencé par les accueillir dans des places classiques de l'aide sociale à l'enfance, avec un étayage éducatif qui ne correspondait pas forcément à leur demande et à leurs besoins.

Aujourd'hui, nous courons derrière le flux d'arrivées : nous créons des places adaptées aux besoins de ces jeunes, mais pas assez rapidement pour répondre au nombre grandissant de demandes. La Seine-Saint-Denis, qui présentait déjà la spécificité de placer ses enfants en dehors de son territoire, est confrontée à un problème d'infrastructures. L'ensemble du dispositif, en Île-de-France, est saturé. Il ne s'agit pas uniquement de construire un toit au-dessus de la tête de ces jeunes, mais de leur proposer un étayage éducatif, un accompagnement à l'insertion.

Il est clair que le dispositif n'est pas adapté. C'est une chose sur laquelle l'ensemble des départements doivent avancer ensemble. Nous sommes quelques départements, notamment en Île-de-France, à avoir créé des volumes de places importants, mais il est nécessaire d'apporter davantage de fluidité.

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Vous avez dit qu'il faudrait revoir la clef de répartition, notamment pour les territoires qui se dépeuplent. Or je pense que cette clef est bien faite : la Nièvre, qui est un territoire que je connais bien, compte 201 000 habitants pour 527 arrivées l'année dernière. En termes de proportions, c'est équivalent à vos 1 612 MNA.

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Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

Ce chiffre ne concerne pas ceux qui sont arrivés, mais ceux que nous accompagnons.

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Disons alors 527 MNA – 24 dans la Nièvre : prenons ceux déclarés mineurs l'année dernière. Cela représente 0,25 % de la population. Ne pensez pas que les territoires ruraux n'assurent pas de prise en charge – on en est loin.

J'entends bien les problèmes de coût que vous avez évoqués, mais j'aimerais comprendre pourquoi vous êtes si opposé au fichier qui permettrait d'éviter qu'un mineur demande à 4 départements de l'évaluer, ce qui implique des coûts à chaque fois. Il me semble que tout le monde serait gagnant sur le plan financier grâce à ce fichier.

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Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

Je ne suis pas tout à fait le seul à être opposé à ce décret. D'autres départements le sont également, ainsi que le Défenseur des droits, la Défenseure des enfants et un certain nombre d'associations et d'organisations non gouvernementales.

Il faut distinguer deux éléments. S'il s'agit de mineurs, ils devront être pris en charge par un département, à un moment, et je ne vois aucune difficulté à ce que l'on partage un fichier des jeunes mineurs dans le cadre de la protection de l'enfance. Seulement, ce n'est pas la question : il s'agit de créer un fichier relatif à l'évaluation. Une fois que la situation aura été établie – ces jeunes sont-ils mineurs ou non ? – les départements devront transmettre les informations aux services de la préfecture. Quel est l'objectif ? On ne va pas tergiverser : l'idée est de créer un fichier des jeunes adultes que les services préfectoraux pourront ensuite expulser. Or le département n'a pas de compétence en matière de gestion des flux migratoires. Si c'est la question, que l'État reprenne en charge la phase de l'évaluation et qu'il décide lui-même de quelle manière dont on traite la situation de ces jeunes si l'évaluation conclut qu'ils sont majeurs, étant entendu que les départements assumeront leur responsabilité au titre de la protection de l'enfance si ce sont des mineurs.

Je me demande pourquoi l'État ne veut absolument pas reprendre en charge la phase de l'évaluation. J'ai envie de vous retourner la question, madame la députée : pourquoi l'État ne veut-il pas le faire ? Je me le demande d'autant plus que dans un certain nombre de départements d'Île-de-France – Paris, la Seine-Saint-Denis, mais aussi le Val-de-Marne –, la phase de l'évaluation a été déléguée à des associations, compte tenu de son importance. L'État pourrait tout simplement reprendre à son compte la délégation de service public que nous avons donnée à un certain nombre d'associations spécialisées.

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Si je comprends bien, la cellule d'accompagnement des MNA s'occupe de la prise en charge une fois que les jeunes ont été reconnus mineurs, l'évaluation étant confiée à la Croix-Rouge. Y a-t-il une différence en ce qui concerne la formation et l'engagement des travailleurs sociaux, notamment pour les régularisations ? On sait que les démarches sont un peu compliquées et que tout cela ne se fait pas forcément d'une manière automatique si l'on n'est pas dans un cycle d'apprentissage, par exemple.

En ce qui concerne la clef de répartition, que proposez-vous à la place ? Je suis rassurée, finalement, que des jeunes soient évalués chez vous. Vous le faites bien : continuez donc à le faire. (Sourires). S'il fallait transférer la compétence au plan national, à quel ministère devrait-on la confier ?

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Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

En ce qui concerne l'évaluation, l'accueil est assuré à Bobigny, avec la Croix-Rouge, au sein de ce que l'on appelait autrefois le pôle d'évaluation des mineurs isolés étrangers (PEMIE). Une fois évalués mineurs, les jeunes étaient pris en charge dans les circonscriptions territorialisées de l'ASE. Or, comme l'a souligné Flora Flamarion, les besoins ne sont pas de même nature que ceux des jeunes que nous suivons au titre de l'ASE. Il nous a semblé que cela exerçait une pression sur nos professionnels, nos travailleurs sociaux et nos circonscriptions territorialisées, notamment compte tenu de l'afflux toujours croissant que l'on constate. Cela nous a conduits à créer une cellule d'accompagnement où l'on réalise un travail au long cours qui est davantage centré sur l'accès à l'autonomie, les demandes de formation et d'étude, l'aide à l'accès au droit, pour la régularisation, les compléments en matière d'apprentissage du français, parfois, et l'accès à l'emploi. Dans une circonscription de l'ASE, on s'occupe de besoins différents qui concernent notamment des publics plus jeunes.

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Flora Flamarion, adjointe au directeur général adjoint du pôle solidarité du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

Ce sont des travailleurs sociaux dont une grande partie était déjà en poste au sein de l'ASE de Seine-Saint-Denis. Ils n'avaient pas de spécialisation particulière, mais pouvaient avoir une appétence pour exercer leurs missions d'une manière un peu différente. La formation continue permet de travailler sur le droit de la régularisation et les spécificités d'un certain nombre d'ambassades, notamment en ce qui concerne l'accès aux papiers. Par ailleurs, nous réfléchissons à la possibilité de recruter des éducateurs parlant certaines langues pratiquées par les jeunes que l'on accueille – ils viennent de régions qui peuvent être diverses, mais qui sont quand même concentrées dans quelques zones. On réfléchit également à des réseaux spécialisés qui permettraient d'appréhender collectivement certains sujets, notamment en matière d'insertion et d'accès à la formation et aux papiers, en restant dans un accompagnement individuel, jeune par jeune, mais avec, et c'est un enjeu très fort pour nous, des rendez-vous collectifs en préfecture et un traitement un peu plus global des situations, qui sont quand même très comparables.

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Nous allons prendre encore une question, brève, avant de vous libérer, monsieur Troussel – étant entendu que nous allons venir vous voir en Seine-Saint-Denis.

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En ce qui concerne l'enseignement de la langue française, je voudrais savoir si vous êtes satisfaits de votre lien avec l'éducation nationale, notamment les unités pédagogiques pour élèves allophones arrivants (UPE2A). Ne sont-elles pas surchargées ?

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Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

D'un point de vue très général, je considère que nous n'en faisons pas assez, collectivement, pour l'apprentissage du français. C'est vrai pour ce qui relève des responsabilités du département mais aussi de celles des services de l'État pour toutes les personnes étrangères. Je pense que l'on pourrait faire beaucoup plus et beaucoup mieux sur ce sujet, collectivement. C'est absolument indispensable. En réalité, c'est lié aux financements disponibles pour l'apprentissage de la langue française. Je le redis : selon moi, ce qui existe est nettement insuffisant.

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Flora Flamarion, adjointe au directeur général adjoint du pôle solidarité du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

C'est un public qui n'accède pas moins que d'autres publics étrangers à l'offre d'enseignement du français langue étrangère (FLE) et à l'éducation nationale. C'est plutôt un public qui est demandeur, qui adhère aux propositions éducatives en général et qui intègre bien les dispositifs qu'on lui propose. Globalement, cela reste insuffisant, mais on ne constate pas un moindre accès des mineurs non accompagnés parmi les différents publics que l'on peut avoir à connaître.

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Je vous remercie beaucoup de votre présence. Nous allons maintenant vous libérer. Je crois que nous avons respecté vos contraintes horaires. (M. Troussel et Mme Flamarion quittent la salle de réunion.)

Je vais redonner la parole à M. Cohen afin de poursuivre les échanges qui ont été interrompus tout à l'heure.

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Baptiste Cohen, directeur projet pôle protection de l'enfance de la fondation Apprentis d'Auteuil

Le paysage de l'aide sociale à l'enfance compte de nombreux sujets qui sont d'une réelle complexité. Nous avons vécu un moment d'une grande importance et vous devez entendre un certain nombre d'acteurs, qui sont connus du fait de la mobilisation politique, institutionnelle et associative, pour travailler sur la question des MNA. Mais on pourrait aussi s'intéresser aux jeunes ayant fait l'objet d'atteintes sexuelles graves, à ceux qui souffrent de troubles du comportement et dont les familles n'arrivent pas à assurer l'éducation ou aux enfants dont les familles pâtissent d'une grande précarité et qui, du fait des difficultés, n'arrivent plus à faire face – dans ce cas, les raisons du placement ne sont pas directement liées à de la maltraitance, mais à quelque chose que l'on finit par qualifier de carence éducative et qui a des causes complexes. Celles-ci ont des conséquences sur les enfants et elles peuvent être aggravées par les situations sociales, médicales ou de santé que connaissent les familles, qui n'ont pas de rapport avec la mise en danger, mais relèvent de la fragilité.

On dénombre 330 000 mesures d'aide sociale à l'enfance – mais ce chiffre a dû augmenter depuis le dernier rapport publié par l'Observatoire national de la protection de l'enfance (ONPE) à partir des données de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES). Le nombre augmente : je crois que près de 10 000 mesures supplémentaires sont prononcées chaque année. Le nombre de placements et de mesures décidées par des magistrats s'accroît. On n'arrive pas à enclencher un mécanisme d'aide sociale qui soit désirable du point de vue des familles. Il faut mesurer la gravité que représente, pour elles, une décision prise par un juge, alors même qu'elles n'ont pas été jugées : à aucun moment, il n'a été admis qu'elles étaient coupables de quelque chose, mais c'est quand même un juge qui va décider une mesure que l'on va qualifier d'assistance éducative mais que les familles vont souvent percevoir comme une sorte de punition. L'aide sociale à l'enfance est compliquée pour cette raison.

Plusieurs choses s'expriment en même temps : la vision de la société de ce que doit être la bonne éducation et la vision d'une famille qui a du mal, parfois, à dire ce que cela devrait être, car elle n'arrive pas à l'assurer. Quels sont nos objectifs ? Si j'insiste sur ce point, c'est parce qu'il y a un vrai enjeu de lisibilité de l'action publique dans le domaine de l'aide sociale à l'enfance. Nous avons un peu pris le parti d'essayer de regarder ce qui a structurellement besoin de changer. Le lien que nous faisons entre l'éducatif, dont Anne Werey a très bien parlé tout à l'heure, et la vision institutionnelle est qu'il faudrait arriver à dire que derrière l'expression « protection de l'enfance » il y a d'autres missions qui, pour les familles, ne se trouvent pas dans cette appellation. Tout le monde est d'accord sur le fait que les enfants ont besoin du Bien, et pas du Mal mais il faut aussi être conscient que le mot « protection » renvoie à une mise en danger et à quelque chose qui est parfois perçu comme une discrimination, une sorte de mise en accusation.

Par ailleurs, le débat institutionnel ne facilite pas la compréhension du rôle des uns et des autres. Quel est, en France, le rôle de l'État, des départements, des magistrats et, maintenant, des agences régionales de santé (ARS), compte tenu du très grand problème de santé mentale qui existe dans ce domaine ? Si on examine les textes, on s'aperçoit que tous ces acteurs ont des rôles différents et qu'il n'est prévu nulle part qu'il y ait un rôle commun. L'État s'appuie sur sa légitimité parlementaire, et vous êtes bien placés pour le savoir – merci, une fois de plus, pour votre attention ; les départements s'appuient sur les lois de décentralisation, qui leur ont confié un certain nombre de rôles, au nom de la proximité et de leur capacité à défendre l'intérêt des familles et l'égalité, y compris l'égalité des chances. Tout est compris dans tout : au nom des mêmes principes, les juges décident à leur manière, sans jamais rendre compte de la pertinence éducative des mesures qu'ils prennent. Où sont les évaluations éducatives des décisions judiciaires ? On n'est pas organisé pour qu'il y en ait. On ne sait donc pas si les mesures prises sont bonnes ou mauvaises. Elles sont « au nom de la loi », et donc justes. Mais qu'en est-il du point de vue de l'action éducative ? On ne le sait pas. Au bout du compte, il y a pourtant les familles, les équipes et les jeunes – les 330 000 d'aujourd'hui, ce qui est beaucoup, et ceux de demain.

À ce propos, je ne suis pas sûr que l'on connaisse le nombre de personnes qui ont fait l'objet de mesures d'aide sociale à l'enfance au cours des dix dernières années. On donne un chiffre annuel, mais on est incapable de dire quel est le nombre de familles qui ont vraiment fait l'objet de mesures d'aide sociale à l'enfance, et pendant combien de temps – en tout cas, nous ne le savons pas et je ne pense pas que vous soyez davantage informés – ou combien de jeunes de 16-18 ans sortent du dispositif chaque année. On se préoccupe d'eux au nom de la préparation à l'autonomie, mais on ne connaît même pas leur nombre.

Cela rejoint ce que disait Anne Werey, qui a commencé par ce sujet : il faut que l'on puisse connaître les besoins des jeunes. Il y a les MNA, mais il y en a également d'autres, je l'ai dit.

Je voudrais revenir sur les questions « institutionnelles ». Nous militons – car notre action est militante dans ce domaine – pour qu'il y ait des rapports de fin de prise en charge des mineurs confiés à l'aide sociale à l'enfance. On ne peut pas dépenser 60 000 euros entre 1 et 15 ans sans qu'il y ait un vrai rapport de fin de prise en charge. On doit formaliser, y compris avec les magistrats, si les dernières mesures prises ont fait l'objet d'une procédure judiciaire, ce qu'a un jeune quand il sort, compte tenu de son parcours et de sa capacité d'autonomie. Arrêtons de dire qu'il a seulement besoin que l'on s'entretienne avec lui à 16 ou 17 ans. Il faut vraiment produire quelque chose. Cela représente de l'ingénierie, c'est lourd, mais cela irait avec les coûts déjà engagés.

Il nous paraît également essentiel de rendre plus cohérente et plus lisible la répartition des responsabilités entre l'État, les départements, l'ordre judiciaire et les ARS. Dans une même région, selon les départements et leurs relations avec les ARS, il peut exister des protocoles ou non et il y a des approches des besoins qui sont complètement différentes d'une ville à l'autre, selon le département ou l'ARS à laquelle la ville est rattachée. La situation est très grave. Des enfants font l'objet de mesures d'aide sociale uniquement parce qu'on n'a pas aidé les familles à faire face aux difficultés de leurs enfants et des relations intrafamiliales – il n'y a pas que l'enfant ou le parent : parfois, c'est l'ensemble qui dysfonctionne ou qui a besoin d'aide.

La question se pose aussi à l'échelle des instances de gouvernance publique. Nous nous sentons concernés, comme tout le monde, et nous essayons de faire notre travail. Nous sommes plutôt participatifs, à Apprentis d'Auteuil, quand il s'agit de l'action publique. Nous y sommes très attachés. Si je peux utiliser cette image, c'est presque une religion pour nous. S'inscrire dans une dimension d'utilité publique est aussi important pour nous que notre racine ecclésiale. Nous avons ces deux dimensions, au nom de l'action sociale et de la solidarité. Mais il faut aussi s'interroger sur l'action publique. Il y a aujourd'hui le Conseil national de la protection de l'enfance (CNPE), le groupement d'intérêt public Enfance en danger (GIPED), l'ONPE et la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) : je crois que personne n'est capable de dire clairement qui fait quoi, ni quelle est la régulation entre l'État, les territoires et la justice. Je l'ai dit lundi dernier lors d'une réunion au Sénat où il n'y avait pas de magistrats – 80 % de la dépense sont ordonnés par eux, mais ils n'étaient pas présents. Je ne sais pas s'ils n'ont pas voulu venir ou s'ils n'ont pas été invités, mais ce n'est pas le sujet. Ils n'étaient pas là alors qu'il y a en la matière un enjeu absolument majeur pour l'équilibre de l'action publique.

Il y a aussi la question de la prospective. Nous sommes tentés de penser, probablement parce que nous avons un petit bagage, que nous avons une histoire, celle de ceux qui ont fondé notre institution mais aussi celle de ceux avec qui elle a été fondée – nous essayons de ne pas fonctionner en circuit fermé – qu'il faut engager des travaux d'analyse d'une manière un peu prospective. Il faut qu'il y ait un moment où l'on se dégage des contingences immédiates pour se demander vers quoi on veut aller. La question de l'aide aux familles en difficulté est-elle un grand projet de société ou non ? Si c'est le cas, il faut le dire, et l'aide sociale est alors bien placée pour agir.

Il faut aussi regarder les aspects formels et concrets. Toutes les structures – nous ne sommes pas les seuls dans ce cas – ont été construites pour accueillir des jeunes en internat. Aujourd'hui, on diversifie : d'accord, mais on a financé des établissements avec de l'argent public et avec celui des donateurs. Il faut en parler. Que fait-on du personnel ? Comment fait-on évoluer les équipes vers des pratiques du travail social qui doivent devenir territoriales et collectives, et non plus uniquement individuelles ? Il y a mille questions qu'il faut poser car elles structurent profondément le champ de l'aide sociale à l'enfance. Il ne faut pas seulement se demander ce que l'on peut améliorer à l'intérieur du champ existant.

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Claire Sabah, chargée de projets au département accueil et droits des étrangers du Secours catholique Caritas France

Merci beaucoup pour votre invitation.

Je vais commencer par une rapide présentation. Le Secours catholique est une association généraliste qui accueille toutes les personnes. Nous avons à peu près 68 000 bénévoles répartis dans l'ensemble de la France et environ 1 000 salariés. Nous avons accompagné 1,3 million de personnes l'année dernière, dont presque la moitié d'enfants.

Je suis spécifiquement chargée des projets d'accueil et d'accompagnement des personnes étrangères en France, dont les MNA font partie. Je m'occupe de cette question au siège national, avec des collègues qui sont en chargés de l'accompagnement des familles d'une manière plus générale.

Nous avons également été impactés par les arrivées de MNA en France depuis à peu près deux ou trois ans – M. Troussel en a parlé tout à l'heure. Beaucoup de nos équipes, dans au moins une trentaine de départements, sont concernées par leur accueil. Nos actions vont de l'hébergement à l'accompagnement juridique – par exemple pour saisir le juge des enfants – en passant par l'accompagnement en vue d'une scolarisation ou d'une formation et tout ce qui tourne autour de l'accès à la culture et aux loisirs.

Les MNA sont vraiment un sujet majeur pour nous, dans un contexte où l'on voit bien que la tendance est de placer cette question dans le giron des politiques migratoires plutôt que dans celui des politiques de l'enfance. Un de nos principes fondamentaux dont nous voulons faire part ici – et je ne vais pas aller dans le même sens que M. Troussel sur ce point – est que l'accueil et l'accompagnement des MNA, quel que soit le stade de leur parcours en France, doivent rester dans le cadre du droit commun de la protection de l'enfance. Nous ne sommes pas favorables à ce que l'évaluation et l'accueil soient repris par l'État. Si vous voulez que je développe les raisons, je pourrai le faire.

Pour nous, la présomption de minorité doit être inscrite dans la loi pour que l'enfant soit d'abord protégé, avant toute évaluation, et que le doute bénéficie toujours au jeune. On voit qu'il y a plutôt une présomption de majorité aujourd'hui : on se dit que ces jeunes sont a priori des majeurs fraudeurs. Nous voudrions que l'on renverse les choses afin qu'il y ait plutôt une présomption de minorité.

Nous pensons que la phase de l'accueil provisoire et de la mise à l'abri doit être effective et immédiate, grâce à des solutions adaptées. Il faut sortir les jeunes des hôtels, quand il y en a, et surtout de la rue. Trop de départements ne mettent plus les jeunes à l'abri, ou alors quelques-uns seulement. C'est le cas en Isère, à Paris, dans le Maine-et-Loire, dans l'Indre et dans beaucoup d'autres départements. Il faut une mise à l'abri effective et immédiate dès qu'un jeune se présente comme étant non accompagné. On doit réaffirmer et surtout appliquer ce principe : c'est ce que prévoit le droit.

En ce qui concerne les évaluations, il nous semble essentiel qu'un représentant légal soit désigné dès que le jeune se présente. Aujourd'hui, l'enfant est seul face au département qui est, par ailleurs, « juge et partie » – je mets des guillemets car ce n'est pas tout à fait cela. Comme l'a dit M. Troussel, le département évalue des enfants qu'il va devoir prendre en charge. Il est vrai que certains sont répartis dans un cadre national, mais le département va évaluer des jeunes qu'il prendra en charge. Du fait de l'augmentation des arrivées, la tentation est forte de les considérer a priori comme majeurs. La désignation d'un représentant légal est donc importante.

Il faut que les évaluations soient conduites d'une manière objective, loyale et harmonisée. Si vous le souhaitez, je pourrai revenir en détail sur la façon dont elles se déroulent aujourd'hui dans beaucoup de départements. Je vous remettrai un document que nous avons rédigé il y a un an sur notre positionnement en la matière.

Un autre point qui nous semble important est la présomption d'authenticité des documents d'état civil et d'identité. Elle est prévue par l'article 47 du code civil, mais elle est aujourd'hui très peu appliquée. On voit sur le terrain que des documents tels que des passeports biométriques et des cartes d'identité sont laissés de côté pour mettre en avant une évaluation sociale qui est réalisée très rapidement, d'une façon générale, et qui repose très souvent sur des critères plus que subjectifs, comme l'apparence physique ou le comportement.

Un autre positionnement que nous avons depuis très longtemps au sujet des évaluations et que nous partageons avec d'autres associations est qu'il faut proscrire définitivement les tests osseux pour évaluer l'âge de ces jeunes.

En ce qui concerne la phase de la prise en charge, je ne vais pas revenir sur tout ce qui a été dit par les Apprentis d'Auteuil mais nous sommes bien sûr pour qu'il y ait un accompagnement global sur tous les plans – en matière éducative, sociale, juridique et de santé physique et mentale – et pour que l'hébergement se fasse dans des conditions dignes et adaptées. On doit faire attention à la question du degré d'autonomie qui a été évoquée tout à l'heure : on a parfois tendance à mettre ces jeunes dans des hôtels ou dans des déserts ruraux. Oui, ces jeunes qui se sont exilés et ont traversé les mers ont une certaine forme d'autonomie mais ils ont aussi d'autres formes de besoins, qui sont de nature différente. Ils ne doivent pas être laissés à l'abandon, comme cela peut arriver dans certains territoires.

Il y a ensuite la question de l'accès à la scolarité et à la formation professionnelle. Quand je parle d'accès à la scolarité, je pense à l'obligation scolaire entre 6 et 16 ans – peut-être à partir de 3 ans, bientôt, mais cela ne concernera pas ces jeunes – et au droit à l'instruction après 16 ans. Beaucoup de jeunes se voient refuser une inscription à l'école après 16 ans alors qu'il y a un droit à l'instruction au-delà de l'obligation scolaire.

Quant à celles et ceux qui relèveraient du droit d'asile, il faudrait que leur demande puisse être introduite sans attendre leur majorité. On voit que les départements attendent très souvent que le jeune ait 18 ans : on ne l'accompagne pas dans ses démarches.

Par ailleurs, nous demandons qu'un titre de séjour soit accessible de plein droit quel que soit l'âge de la prise en charge. Ce n'est pas ce qui figure aujourd'hui dans le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Je ne vais pas revenir sur tout ce qu'a dit M. Troussel au sujet de la proposition de loi déposée par Mme Bourguignon mais nous pensons qu'il faut accompagner le jeune dans son projet avant et après 18 ans, afin qu'il n'y ait pas de rupture dans son parcours. Nous sommes assez inquiets de l'amendement qui a été adopté dans le cadre de cette proposition de loi. Comme M. Troussel l'a dit très justement, les MNA sont exclus, de fait, du nouveau dispositif, c'est-à-dire des contrats d'accès à l'autonomie. En effet, la plupart de ces jeunes arrivent après 16 ans.

Pour terminer, je voudrais évoquer trois autres points qui sont majeurs pour nous.

Je vais d'abord reparler du fichier d'aide à l'évaluation de la minorité (AEM). Le Secours catholique s'est lancé, avec beaucoup d'autres organisations, dans une bataille contentieuse contre ce fichier. Nous avons engagé une procédure de référé-suspension devant le Conseil d'État, que nous avons malheureusement perdue, mais la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) que nous avons posée au sujet de l'article correspondant de la loi « immigration et asile » a été jugée suffisamment sérieuse par le Conseil d'État pour être renvoyée devant le Conseil constitutionnel. Nous espérons avoir gain de cause par ce biais. Je ne vais pas revenir sur tout ce qu'a dit M. Troussel, encore une fois, mais nous estimons aussi qu'il s'agit clairement d'un fichier constitué de majeurs qui servira aux préfectures pour expulser des jeunes. Ce qui est problématique est que l'on pourra très bien être expulsé sans jamais avoir vu un juge des enfants. C'est vraiment impossible pour nous. Il nous paraît très compliqué qu'un jeune soit renvoyé sur la base d'une décision administrative prise par un conseil départemental qui n'est, finalement, qu'une évaluation. Celle-ci, je l'ai dit, peut être très rapide et très subjective.

S'agissant des réévaluations, il a été question tout à l'heure du « nomadisme de la protection » – je ne sais pas si c'est le bon terme – de jeunes qui vont d'un département à un autre quand ils n'ont pas été reconnus mineurs : ils tentent leur chance ailleurs. Mais il y a aussi des réévaluations qui sont menées alors qu'un enfant a été reconnu mineur et que la répartition nationale l'a renvoyé vers un autre département qui, au lieu de le prendre en charge, le réévalue et lui fait subir à nouveau toute l'histoire de l'accueil provisoire, de l'hébergement et de l'évaluation. Souvent, l'évaluation conclut à la majorité pour les raisons évoquées tout à l'heure : le conseil départemental n'a tellement pas les moyens d'assurer une prise en charge qu'il engage ces réévaluations qui sont complètement contraires à l'intérêt de l'enfant – il est soumis à un ballottage administratif invraisemblable et il retourne souvent à la rue, en l'absence de place disponible – et qui vident de son sens et de son utilité la répartition nationale.

Mon dernier point concerne la mise à l'abri et la prise en charge pendant la phase de la saisine du juge des enfants. Un jeune reconnu majeur par un département est mis à la rue le jour même de la notification de la décision. S'il appelle le 115 et se déclare mineur au téléphone, on lui dit dans la plupart des cas qu'il s'agit d'un service pour majeurs et qu'il ne peut donc pas y avoir de prise en charge. Le jeune se retrouve donc à la rue, en squat ou, s'il a de la chance, dans des réseaux citoyens comme les nôtres. Si le jeune est à la rue ou en squat, il est tout à fait vulnérable aux réseaux de traite et d'exploitation. Il y a un vide juridique qu'il faudrait combler : c'est le seul public à être dans cette situation. Aucun autre public d'étrangers, de sans-papiers ou autres ne connaît une remise à la rue sèche, du jour au lendemain. Ce sont pourtant des jeunes mineurs, jusqu'à preuve du contraire. Une affaire est en cours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a demandé de prendre une mesure provisoire. La question sous-jacente est le recours effectif contre la décision du département.

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Nous sommes preneurs de vos contributions. Si vous avez des documents à nous faire suivre, n'hésitez pas.

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Je vous remercie pour ces exposés liminaires. Sur l'ASE « classique », vous indiquez que l'organisation devrait être plus lisible. Quelle organisation optimale devrait être mise en place ?

Concernant les mineurs non accompagnés (MNA), j'ai auditionné des assistants familiaux et des éducateurs qui les accompagnent une fois qu'ils ont été diagnostiqués mineurs. Beaucoup indiquent que l'on déclare mineurs des majeurs – ils les élèvent au quotidien et peuvent facilement le constater. Vous nous avez indiqué que vous n'étiez pas favorable à ce que l'État réalise cette évaluation, tout en soulignant que les départements sont juges et parties. Qui doit le faire dans ce cas ?

Même si ce n'est pas forcément ce que je pense, je me dois de vous poser la question car nous l'avons entendu lors des auditions. Ne pensez pas qu'il s'agit de nos conclusions ! Lors de son audition, M. Troussel a estimé que les MNA n'ont pas les mêmes besoins en termes de prise en charge que les mineurs de l'aide sociale à l'enfance. Doit-on continuer à les gérer simultanément ou construire un système adapté aux MNA, décorrélé de l'aide sociale à l'enfance et plus adapté à leurs spécificités ?

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Baptiste Cohen, directeur projet pôle protection de l'enfance de la fondation Apprentis d'Auteuil

Ce diagnostic sur le dysfonctionnement et le manque de lisibilité est-il partagé ? Si c'est le cas, qu'on le dise, qu'on l'écrive et qu'on analyse les propositions. Mais on ne peut pas continuer de dire que c'est un faux problème et qu'on verra plus tard.

Pour les MNA, comme pour d'autres sujets, on constate des tensions interinstitutionnelles, y compris dans la mise en oeuvre de la protection de l'enfance. Dans les départements, la crainte, voire quelquefois la frilosité, n'est pas complètement illégitime du point de vue des individus : devant les problématiques de mise en danger, arrive un moment où les départements se sentent aussi mis en danger ou pourraient se sentir mis en danger par des situations dont ils n'auraient pas mesuré l'importance. Aller devant le juge dédouane tout le monde. La justice prend une décision – bonne ou mauvaise –, même si elle n'est pas toujours mise en oeuvre… Faut-il vraiment mettre les moyens afin que ces décisions soient mises en oeuvre ? Le nombre de mesures judiciaires est-il considéré comme pertinent ? L'État, qui veut réguler la protection de l'enfance, doit indiquer s'il considère qu'il s'agit d'un problème ou si sa temporalité est différente – un jour, ce sera mis en oeuvre.

J'ai quitté la métropole il y a six ans pour travailler dans les départements français de l'océan Indien et sur des territoires de coopération. À l'époque, mille mesures de placement n'étaient pas appliquées en France. Aujourd'hui, les chiffres sont sans commune mesure ! Les données mises en avant par les magistrats sur les différents territoires semblent sérieuses et le nombre de mesures non mises en oeuvre est donc un vrai problème. Il faut indiquer si l'on considère que ces dysfonctionnements sont sérieux, car ils ont des conséquences à l'échelle individuelle.

On ne sait pas le faire en France mais d'autres pays développent l'expérimentation sociale. Ainsi, on pourrait imaginer qu'une région – pour pas rester au niveau départemental, pour des raisons politiques – se dise : en trois ou cinq ans, nous allons drastiquement faire baisser le nombre de mesures prises par les juges et nous fixer un véritable objectif de politique sociale, dans le cadre d'une réflexion collective – avec les familles et les jeunes. Il faut faire quelque chose de sérieux, à la mesure de la gravité sociale et éducative du sujet. Il faut tester autre chose, mais ce n'est pas dans l'air du temps. Pour changer les choses, on attend d'avoir une idée miraculeuse, consensuelle et financée ! On risque d'attendre longtemps…

Enfin, il faut être prospectif. Si on constate un vrai problème, avec de vraies conséquences et qu'on ne sait pas comment faire, il faut se projeter à long terme . Certes, au quotidien, nous contribuons à l'effort de la nation et cette préoccupation est légitime, mais nous devons aussi nous interroger : quels sont les problèmes que la société va devoir prendre en compte dans les cinq à dix prochaines années ? Malheureusement, nous ne savons même pas combien d'enfants ont été financièrement pris en charge au cours des cinq dernières années. Dans ce contexte, comment se projeter? Nous devons nous doter de moyens d'études sérieux. Faute de quoi, année après année, problème après problème, les tensions vont persister entre les acteurs – État, départements, juges.

Dans l'amendement « jeune majeur », une durée minimale de prise en charge est prévue pour éviter les placements d'aubaine de dernière minute décidés par des magistrats. C'est peut-être une bonne idée, mais il faudrait en discuter pour savoir si la seule manière de coordonner les efforts est de réaliser des tours de force. Il faut basculer vers une politique de concertation et de dialogue. Mais, pour cela, il faut accepter de travailler en marge des préoccupations quotidiennes, douloureuses, qui sont en permanence sous nos yeux, et se donner les moyens d'une lecture probablement plus expérimentale et prospective.

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Anne Werey, directrice régionale adjointe Grand-Est de la fondation Apprentis d'Auteuil

Les MNA relèvent-ils du champ de la protection de l'enfance ? Cela revient à se poser la question de leurs besoins : quand on sera capable de les qualifier et de les décoder, on pourra trancher.

Actuellement, on débat beaucoup de la question de la sortie de l'ASE – lorsque les enfants ont plus de 18 ans : un MNA qui atteint 18 ans n'a-t-il plus besoin d'aide ? Ne relève-t-il plus du champ de la protection de l'enfance ? Quels sont les besoins de ce jeune ?

Si on décide, même avant sa majorité, qu'il relève des dispositifs liés à la précarité, il n'aura pas les bases pour se loger, avoir des papiers, être éduqué, s'insérer dans la société, etc. Nous créerons alors les sillons de la précarité et la marge de la société.

Peut-être faut-il apporter des adaptations à la marge – et non dans les grandes lignes – à la prise en charge de ces enfants. Mais c'est le cas pour tous les publics de l'aide sociale à l'enfance : les enfants qui ont des troubles médicaux, ceux qui ont des troubles du comportement, ceux qui relèvent du champ de la pédopsychiatrie, etc. Ils sont tous les mêmes – des enfants – mais ont chacun des besoins très spécifiques.

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Claire Sabah, chargée de projets au département accueil et droits des étrangers du Secours catholique Caritas France

Nous avons la même position. C'est à notre système de protection de l'enfance de s'adapter aux enfants présents en France, quels que soient leur nationalité et leurs besoins. Un enfant, quelle que soit sa nationalité, doit être pris en charge au nom de la protection de l'enfance, et non par un dispositif spécifique.

Nous savons tous ce que cette dernière option signifie – et c'est déjà un peu le cas : des dispositifs au rabais, avec des accompagnements très légers et des prix de journée en conséquence… Nous n'y sommes pas favorables.

Concernant votre deuxième question, nous n'avons pas dit qu'il ne fallait pas que ce soient les départements. J'ai simplement souligné qu'ils étaient juge et partie, ce pourquoi nous demandons un représentant légal. Les départements sont en difficulté par manque de moyens, ce qui les conduit à réaliser des évaluations expéditives et très subjectives. Il faut que l'État renfloue les conseils départementaux et que l'on désigne un représentant légal, pour éviter que l'enfant se retrouve seul face au département.

Nous ne sommes pas favorables à ce que l'évaluation et la mise à l'abri soient prises en charge par l'État : ce sera alors géré par le ministère de l'intérieur, qui se ferait certainement un plaisir de tout contrôler…

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Je ne parlerai pas des moyens, mais des conséquences que vous avez tous abordées. Le potentiel d'un enfant, qu'il soit MNA ou non, est très négativement impacté par le temps de mise en place d'une mesure. Chez un enfant, les conséquences se jouent jour par jour, mois par mois, selon une chronologie qui n'a rien à voir avec nos critères d'adultes. En outre, le MNA a un passif, qui peut entraîner une détérioration rapide. Pour autant, les enfants et les jeunes sont dotés d'une très forte résilience et d'importants atouts. Comment inverser le raisonnement qui prévaut depuis des années, consistant à les assimiler à un fardeau, pour en faire un atout majeur sur lequel on « met le paquet », au motif que la jeunesse est un investissement ?

Les réseaux de citoyens me semblent particulièrement en avance par rapport aux États en la matière : ils sont prêts à organiser des parrainages, à investir, à accueillir et le font déjà beaucoup. Comment se saisir de cette opportunité, sans tout attendre d'une organisation qui reste – on le sent bien – dans une crispation intense et négative.

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Anne Werey, directrice régionale adjointe Grand-Est de la fondation Apprentis d'Auteuil

Mes éléments de réponse seront très concrets : il s'agit de changer notre regard et nos interventions auprès de ces jeunes. Nous sommes très souvent dans des postures « descendantes » : on apporte à l'enfant, on doit lui apporter car on estime que c'est notre rôle. Or faire grandir, ce n'est pas qu'apporter à l'autre, c'est aussi lui montrer qu'il sait faire et le nourrir. Ainsi, les Apprentis d'Auteuil développent un programme intitulé « Les maisons des familles » : nous accueillons des mamans en difficulté ; elles vivent ensemble et se nourrissent de leurs différentes compétences parentales. Nous ne mettons en place aucune mesure ASE, aucune contrainte et cela fonctionne très bien. Grâce à de tels dispositifs, nous évitons des placements car nous redonnons confiance et le regard porté change, ce qui permet à l'autre de se dire « je peux, donc j'avance ». Il faut redonner à ces publics le pouvoir d'agir et croire en l'autre. Nous devons opérer une révolution dans notre façon de travailler auprès de ces jeunes.

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Baptiste Cohen, directeur projet pôle protection de l'enfance de la fondation Apprentis d'Auteuil

Nous ne sommes pas là pour justifier le choix d'une organisation comme la nôtre, mais nous avons décidé d'agir au quotidien pour chercher des bénévoles, des donateurs, de la ressource, pour entrer dans l'action publique chaque fois que c'est possible et mobiliser cette dernière pour les jeunes et les familles qui en ont besoin. En résumé, nous souhaitons être dans l'action.

Nous sommes également dans le plaidoyer, le faire-valoir. Nous sommes présents la où les choses s'organisent, se discutent, se décident – c'est à ce titre que nous participons à vos travaux.

Enfin, nous souhaitons témoigner : la société a besoin que l'on témoigne et que l'on dise que c'est possible. Nous souhaitons montrer que l'on peut remobiliser, accompagner, faire découvrir ou redécouvrir le goût des apprentissages à des jeunes en difficulté. Cette dimension sociétale est importante. Elle passe par le politique, mais pas uniquement au sens des institutions politiques.

Nous avons parlé de l'enseignement du français langue étrangère. Nous avons parfois des états d'âme mais les résolvons au fur et à mesure. « Un problème, une solution », ce pourrait être notre slogan interne ! Nous accueillons des MNA au titre de l'aide sociale à l'enfance, pour les raisons déjà évoquées. Nous partageons pleinement les propos de notre collègue du Secours catholique. L'enseignement du français langue étrangère n'est pas toujours financièrement pris en charge par les départements dans les prix de journée. Les moyens ne sont donc pas toujours suffisants. Mais nous avons trouvé des entreprises qui veulent bien soutenir cet effort car elles souhaitent mieux connaître ce public de gens motivés. Cette motivation, nous la vivons dans nos maisons d'enfants, mais elle existe aussi en entreprise : nous essayons donc de faire le passe-plat ! Cela s'appelle l'insertion et passe bien sûr par la pédagogie et la discipline. Mais nous n'avons pas vocation à prendre en charge ces publics jusqu'à la fin de leur vie, simplement à éclairer la société, ce qui est possible dans un grand nombre de cas.

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Aux Apprentis d'Auteuil, vous nous avez indiqué que la formation devait s'adapter et les pratiques évoluer. Quelle place est laissée aux jeunes accueillis dans vos structures, au-delà des conseils de vie sociale (CVS) ?

Comment voyez-vous le rapport de fin de prise en charge ? Qui, du juge ou de l'ASE, doit le rédiger ? C'est d'autant plus complexe que l'arrêt de prise en charge aura peut-être des conséquences et va sans doute alimenter les statistiques que vous appelez de vos voeux et dont nous ne disposons pas.

Lors d'une précédente audition, vous aviez évoqué la possibilité pour les MNA sans titre de séjour de participer au service civique. Cela pourrait-il faire l'objet d'une expérimentation ? Y a-t-il une véritable demande ou est-ce nous qui pensons que ce serait bien pour eux ?

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Anne Werey, directrice régionale adjointe Grand-Est de la fondation Apprentis d'Auteuil

Concernant la place des enfants, en lien avec la formation des travailleurs sociaux, je ne saurais vous répondre sur les modalités de révision de la formation des travailleurs sociaux, mais je peux témoigner d'expériences intéressantes à Mulhouse avec l'école de travail social. Cette dernière nous a sollicités pour participer à la construction de formations auprès des travailleurs sociaux. Nous nous sommes permis de le faire avec des familles, car il s'agissait de travailler avec elles. Des colloques avaient eu lieu durant l'année, au cours desquels différents sujets étaient abordés, mais aucune famille n'était impliquée ou présente. Nous avons donc emmené des familles pour répondre finement aux besoins qu'elles exprimaient puis construire des compétences autour de ce constat.

En outre, la place des enfants est multiple dans les établissements et les Apprentis d'Auteuil travaillent dans une logique que nous avons nommée « penser, agir ensemble ». À tous les niveaux, nous nous donnons les moyens d'impliquer les jeunes et les familles dans nos actions – dans la fête de fin d'année, comme dans le fonctionnement de l'établissement et les règles qui le régissent, si possible en désinstitutionnalisant la démarche. Le CVS est un beau lieu, mais il est compliqué à faire fonctionner : une telle instance ne parle pas aux jeunes ; le président en est, souvent, le directeur d'établissement ; ce n'est donc pas accessible.

Il faut impulser ce changement et le faire vivre, mais sans le dire car les institutions doivent être des lieux de parole pour tout le monde. Leurs portes ne peuvent plus être fermées aux familles. Elles ont le droit d'être là. Certaines choses sont réglementées et nous les respectons, bien évidemment. En changeant la place des uns et des autres, on va faire évoluer l'action sociale et les pratiques éducatives. Il y a cinquante ans, les familles étaient à la porte des établissements. Il était hors de question qu'elles aient un mot à dire. Nous ne pouvons plus nous permettre de penser comme cela : ce ne sont plus les mêmes enfants, ni les mêmes besoins, ni les mêmes familles. Le changement est donc nécessaire et urgent.

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Vous avez évoqué le besoin d'évaluation objective, loyale et organisée pour les MNA car vous vous opposez aux tests osseux. Je l'ai entendu de la part de plusieurs associations. Quelles seraient ces évaluations ?

La semaine dernière, j'ai visité un foyer à Colombes et un autre à Clichy-la-Garenne. J'ai vu les fameuses cuisines-laboratoires. Il faut le voir pour le croire : normes affichées partout, consignes sur chaque pot de confiture – je l'ai ouvert, je l'ai fermé… Comment le vivez-vous ? S'en arrange-t-on ?

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Claire Sabah, chargée de projets au département accueil et droits des étrangers du Secours catholique Caritas France

Des évaluations objectives, ce sont des évaluations qui ne se basent pas sur des éléments subjectifs comme le comportement, le physique, le parcours – le jeune ne se souvient pas de toutes les dates. Ainsi, des documents d'état civil – quand ils existent – sont objectifs.

Une évaluation loyale prend du temps. Actuellement, les évaluations sont très souvent expéditives. En l'absence de document d'état civil ou s'il paraît douteux, il faudrait se donner le temps de reconstituer l'état civil, tout en mettant le jeune à l'abri dans un hébergement adapté. Certes, dans certains départements, l'évaluation est réalisée dans la journée ou le lendemain de l'arrivée, mais, dans d'autres, le jeune peut attendre une semaine à un mois dans la rue. Si les évaluations étaient harmonisées, cela éviterait le nomadisme. Aujourd'hui, tout le monde sait que certains départements diagnostiquent très peu de majeurs, à l'inverse d'autres. Tout le monde sait que Paris et la Seine-Saint-Denis n'appliquent pas le fichier. L'harmonisation ne devrait bien sûr pas s'opérer vers le bas. En tout état de cause, elle éviterait les deuxième et troisième mouvements de jeunes. L'arrêté encadrant le processus est, me semble-t-il, en cours de réécriture.

Les évaluations doivent être réalisées par des professionnels formés. Actuellement, seule une formation de trois jours est prévue et dispensée à des personnes venant, par exemple, du monde de l'éducation. Rien n'est prévu pour leur permettre d'identifier les victimes potentielles de traite ou d'exploitation.

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Anne Werey, directrice régionale adjointe Grand-Est de la fondation Apprentis d'Auteuil

Je répondrai à votre question sur la cuisine et les normes. Actuellement, dans l'accueil en protection de l'enfance, nous ne développons plus de projets avec des cuisines collectives car cela ne nous permettrait pas d'apprendre à l'enfant à gérer son quotidien. Or cette gestion est aussi un gage d'adaptation et d'insertion. Nous nous soucions certes de son insertion professionnelle, mais aussi de son insertion sociale et de sa capacité à savoir faire des choses. En conséquence, nous développons des unités de vie suffisamment petites – de moins de dix enfants – régies par d'autres types de normes. Cela nous permet de faire la cuisine sur place et de décloisonner les fonctions éducatives : l'enfant n'est pas uniquement accompagné par des éducateurs spécialisés, mais également par des maîtresses de maison, tout aussi concernées par son éducation, même si elles n'ont pas la même technicité. Tous ces adultes ont les mêmes objectifs : l'éducation de l'enfant, le faire grandir et le « faire avec ». Ces objectifs doivent être partagés par tous les corps professionnels – surveillants, maîtresses de maison, éducateurs spécialisés. La fongibilité n'est pas simple car les professionnels s'accrochent à leur titre et à leurs études – ce qui est normal. Ils doivent utiliser leur technicité, leur savoir-faire dans certaines situations, mais également au quotidien. C'est essentiel.

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Ma question s'adresse aux Apprentis d'Auteuil : comment articulez-vous votre travail avec celui des éducateurs référents de l'aide sociale à l'enfance ?

À quelle périodicité vos structures sont-elles contrôlées ? Que pensez-vous des contrôles ?

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Anne Werey, directrice régionale adjointe Grand-Est de la fondation Apprentis d'Auteuil

L'articulation avec les éducateurs référents est bonne, même s'il y a des différences selon les départements. Au niveau national, nous souhaitons être partenaire de l'ASE et travailler ensemble à la construction du projet de parcours de l'enfant et du rapport, qui vont être transmis au juge au moment de l'audience. La consigne nationale est donc claire : lorsqu'on arrive en audience, le dossier doit avoir été préalablement coordonné avec l'aide sociale à l'enfance et les éducateurs ou techniciens de l'ASE. Dans certains départements, l'ASE n'est plus en mesure d'assurer pleinement cette mission. Les dysfonctionnements peuvent par exemple être liés à des arrêts maladie. Nous le savons et ne le jugeons pas. Ce n'est pas notre rôle. Notre rôle est que l'audience se passe bien devant le juge pour enfants et que les conclusions soient partagées par tous et connues de tous – parents, éducateurs et enfants.

S'agissant du contrôle des établissements, nous disposons d'un service qualité interne qui nous aide au quotidien à nous assurer que les évaluations internes comme externes sont tenues. En outre, les portes de tous nos établissements sont ouvertes à l'aide sociale à l'enfance. Je le répète : notre objectif est d'être partenaire de l'ASE, et non de fermer nos portes, d'être chef de file ou donneur de leçons.

Si l'ASE travaillait plus sur la qualité, nous gagnerions en efficacité, auprès des jeunes et des familles. Il s'agit souvent de postures ou de positions symboliques, même si les moyens font clairement défaut pour les références éducatives. On pourrait aussi imaginer glisser lentement vers plus de délégation. La délégation fonctionne si on fait confiance à l'autre. Si l'ASE fait confiance aux établissements, la délégation sera possible. Les établissements rempliront cette mission s'ils sont convenablement tenus et contrôlés.

Cette délégation globale signifierait que l'établissement pourrait prendre seul des décisions quotidiennes qui vont dans le sens du projet de l'enfant, sans passer par l'ASE. En réalité, il ne le ferait jamais seul, mais en concertation avec les familles, les éducateurs, l'école, les clubs de sport et tous les acteurs qui gravitent autour du jeune. Cela permettrait de gagner en rapidité et en fluidité.

La réunion s'achève à seize heures vingt.

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Membres présents ou excusés

Mission d'information de la Conférence des présidents sur l'aide sociale à l'enfance

Réunion du jeudi 16 mai 2019 à 14 h 35

Présents. - Mme Delphine Bagarry, Mme Nathalie Elimas, Mme Nadia Essayan, Mme Elsa Faucillon, Mme Perrine Goulet, Mme Sandrine Mörch, Mme Bénédicte Pételle, Mme Florence Provendier, M. Alain Ramadier.

Excusée - Mme Jeanine Dubié.