Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • coopérative
  • distribution
  • grande distribution
  • importation
  • marge
  • producteur

La réunion

Source

La séance est ouverte à dix-heures cinquante.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous sommes heureux d'accueillir Raymond Girardi et Lucie Lafforgue, tous deux vice-présidents du Mouvement de défense des exploitants familiaux (MODEF).

Madame, monsieur, avant de vous céder la parole, je vous demanderai, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, de prêter serment.

M. Girardi et Mme Lafforgue prêtent successivement serment.

Permalien
Raymond Girardi, vice-président du MODEF

Je vous remercie d'avoir invité le MODEF à s'exprimer dans le cadre de cette commission d'enquête. Notre mouvement considère que le comportement adopté par la grande distribution depuis sa création en fait non pas un partenaire pour les agriculteurs, mais plutôt un ennemi.

La grande distribution est née il y a une soixantaine d'années d'une idée simple et géniale, le libre-service. C'est en France que ce modèle a vu le jour. Depuis, il a acquis une telle puissance qu'il a supplanté tous les autres. En quelques années, ce nouvel acteur s'est emparé du pouvoir de la distribution. Il représente aujourd'hui quelque 92 % du marché. Cette puissance a été utilisée à l'encontre des fournisseurs, notamment des paysans.

Initialement, chaque magasin de grande distribution s'approvisionnait auprès de fournisseurs. La situation a profondément évolué dans les années 1980, sous l'effet conjugué de deux phénomènes.

Tout d'abord, les enseignes ont constitué des centrales d'achat gérant l'approvisionnement de multiples points de vente. Leur puissance s'est trouvée renforcée par les volumes importants qu'elles commandaient, accentuant le handicap dont souffraient les agriculteurs, les coopératives et les organisations de producteurs (OP).

Ensuite, l'Espagne, le Portugal et la Grèce sont entrés dans le Marché commun. Profitant de la libre circulation des biens, l'Espagne, en particulier, est devenue un concurrent redoutable pour les producteurs de fruits et légumes français. Plus encore, l'ordonnance de 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence a supprimé le coefficient multiplicateur qui s'exerçait jusqu'alors. Après-guerre, en effet, il s'était avéré que les épiciers doublaient voire triplaient les prix auxquels eux-mêmes se fournissaient.

Le législateur avait donc eu l'intelligence d'introduire un coefficient multiplicateur, qui permettait de contrôler les marges des distributeurs. Pour les fruits et légumes, ce coefficient était de 1,7. Un kilo de tomates acquis 1 franc ne pouvait ainsi être revendu plus de 1,7 franc. Ce dispositif avait pour effet de tirer les prix à la production vers le haut, et les prix à la consommation vers le bas. Sa suppression, et plus largement l'abolition de l'encadrement des prix, ont entraîné l'entrée pleine et entière dans l'économie de marché. Les marges pratiquées par la grande distribution ont alors explosé.

Ces différents facteurs ont conduit à la situation actuelle, dans laquelle la grande distribution ne considère pas ses fournisseurs de produits agricoles comme des partenaires, mais comme des pourvoyeurs de matière première peu coûteuse.

Depuis, les gouvernements successifs se sont inquiétés de la disparition massive et de la rémunération insuffisante des agriculteurs. Dernière en date, la loi de 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable, dite loi EGAlim, visait à résoudre ces questions. Pour autant, nous avons vécu jusqu'à présent un recul considérable du nombre de paysans, une sous-rémunération du travail agricole et une immense détresse des producteurs. Un agriculteur se suicide chaque jour dans notre pays ! Cette situation s'est doublée d'un recul de l'indépendance alimentaire de la France. Alors que notre pays était autosuffisant – voire exportateur – en fruits et légumes il y a trente ans, il ne couvre plus aujourd'hui que 60 % de la demande en la matière. L'impossibilité pour les paysans de gagner leur vie soulève des enjeux sociaux, certes, mais aussi de couverture des besoins alimentaires de la France.

Du fait de la libéralisation du marché et de l'élargissement de l'Union européenne, la grande distribution recourt massivement aux importations, tel un levier assassin pour les paysans français – et je pèse mes mots. Elle trouvera toujours, au sein de l'Organisation mondiale du commerce, des pays capables de lui fournir fruits, légumes et viande au moindre coût. Certains d'entre eux pratiquent des conditions salariales sans commune mesure avec les nôtres. Au Maroc, les saisonniers sont ainsi payés 3 dollars par jour pour la cueillette des fraises. Fort heureusement, les agriculteurs français sont tenus de proposer à leurs employés un salaire minimum, dont le MODEF estime même qu'il est insuffisant. D'autres pays, comme l'Australie, la Nouvelle-Zélande ou l'Argentine, jouissent de conditions de production radicalement différentes de celles de la France. En Argentine, les frontières des exploitations d'élevage sont délimitées par les fleuves et les montagnes ! Si la réglementation internationale nous soumet à une concurrence libre et non faussée, nous aurons quelque peine à subsister et à couvrir les besoins alimentaires de la France.

Nous pourrions enfin parler des pratiques discutables de la grande distribution : référencement payant, marges arrière, promotions, têtes de gondole, contestations abusives de produits, marges démesurées, ristournes… Rappelons que la grande distribution a perçu 552 millions d'euros au titre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), alors même qu'elle a supprimé 10 000 postes. Cette somme aurait sans doute pu être employée à de meilleures fins.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Nous vous sentons assez réservé à l'égard des travaux des États généraux de l'alimentation (EGA) et du texte de loi qui en est ressorti. Vous allez jusqu'à mettre au défi d'obliger la grande distribution à s'approvisionner presque exclusivement de produits français. Pourtant, il ne vous échappe pas que la question alimentaire est européenne et mondiale. Ces positions ne sont-elles pas contradictoires ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez fait référence à des pratiques abusives voire déloyales de la part de la grande distribution. Pourriez-vous les détailler ?

Permalien
Raymond Girardi, vice-président du MODEF

La grande distribution prélève de l'argent aux fournisseurs d'une façon que je qualifierais au moins d'illégitime, voire de racket. Je pense ici aux marges arrière, qui étaient autrefois illégales mais qu'une loi a, d'une certaine façon, validées. Dans une économie de marché, lorsqu'un produit est vendu, la transaction est normalement close. Il n'en est pas ainsi avec la grande distribution, qui exige a posteriori un pourcentage de marge arrière. J'estime que celles-ci doivent disparaître totalement. Elles vont en effet à l'encontre des principes économiques, dans un système d'offre et de demande.

Passons au référencement. Lorsque je propose mes tomates à une centrale d'achat, celle-ci me demande de lui verser 20 000 euros pour me référencer, sans me donner la moindre garantie d'achat. Ce n'est autre que du racket. Comment accepter de devoir verser de l'argent pour écouler nos produits ?

J'en viens aux « Promotions ». Quand le marché frôle le surencombrement, en raison des importations, notamment, la grande distribution annonce qu'elle nous achète cinq palettes de melon… dont deux gratuites. Elle propose ensuite à ses clients trois melons pour le prix de deux. Est-il normal que l'agriculteur assume le coût des promotions en magasin ?

En outre, pour que nos produits soient placés en tête de gondole, nous devons soit payer l'enseigne, soit lui accorder un avantage sur le prix de vente.

La pratique de la contestation des produits est encore plus problématique. Lorsque nous livrons un camion de pommes à un acheteur, surtout à une distance éloignée, il peut décider de décompter trois palettes de son règlement, pour des motifs fallacieux : quelques fruits étaient de trop petit calibre ou étaient abîmés. L'éloignement nous empêche d'aller vérifier les faits sur place. Les années où la majorité des pommes sont de belle taille, les centrales d'achat demandent systématiquement le calibre inférieur – et inversement, les années où les fruits sont plus petits. Cette pratique est courante pour de nombreux produits.

En plus de tout ceci, certaines enseignes vont jusqu'à réclamer des ristournes. Leclerc a été condamné à ce titre.

J'en arrive au levier des importations. Dans le Sud-Ouest, les premiers melons parviendront à maturité début juin. Une dizaine de jours avant l'arrivée sur le marché de la production française, une vague de melons importés du Maroc déferlera sur les étals de la grande distribution et fixera les prix au niveau le plus bas. Les enseignes nous diront ensuite qu'elles privilégient la production française, mais au prix du Maroc. Là encore, cette pratique est systématique. Aucun produit n'y échappe, que les importations proviennent de l'Union européenne ou du reste du monde. Entre autres exemple, nous sommes soumis à la concurrence massive des pays d'Europe centrale pour les pêches, les nectarines, les fraises, les tomates mais aussi la viande.

Ainsi que je l'ai déjà souligné, les écarts de prix entre nos produits et ceux qui sont importés tiennent en partie à des disparités sociales. La mondialisation est de mise, nous explique-t-on, et chaque pays est libre de définir ses normes. La France peut être fière de ses règles sociales et de son code du travail. Peut-elle accepter que les salariés de certains pays producteurs de fruits et légumes soient maintenus dans la misère ? Est-il normal qu'elle importe massivement leurs produits ? À cela s'ajoute une concurrence déloyale sanitaire : ces pays utilisent, pour traiter leurs produits, des molécules interdites en France depuis trente ans. Un agriculteur français qui en ferait de même encourrait la prison !

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Pourriez-vous nous fournir un exemple concret de référencement payant ?

Vous impose-t-on parfois de mettre vos produits en tête de gondole ? Lorsque des pénalités vous sont appliquées pour la livraison de produits abîmés, des preuves visuelles vous en sont-elles fournies ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Je vous remercie, monsieur Girardi, pour votre présentation qui nous plonge dans la réalité la plus concrète et soulève des questions politiques, au sens noble du terme. Dans ce contexte, quelle analyse faites-vous de la loi EGAlim ? Permet-elle de répondre aux problèmes que vous décrivez ? Peut-elle contribuer à redonner des revenus aux paysans, grâce à un meilleur partage de la valeur ajoutée ?

La grande distribution est le maillon d'un environnement plus global où agissent d'autres opérateurs. Elle est dépendante des consommateurs en aval, certes, mais aussi des filières en amont, jusqu'aux producteurs voire aux fournisseurs de ces derniers. Quelles relations entretiennent ces différents opérateurs ? Comment les politiques publiques peuvent-elles aider à trouver un juste équilibre entre les rémunérations de chacun ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez évoqué des pratiques déloyales ou injustes et des pressions. À quel stade interviennent-elles ? Se situent-elles plutôt entre les coopératives et les industriels, ou entre les éleveurs et les coopératives ?

Permalien
Raymond Girardi, vice-président du MODEF

Les pratiques que je dénonce sont subtiles. Elles s'immiscent, non sans tabou, dans la négociation entre les producteurs ou les OP et les distributeurs.

À titre d'exemple, un distributeur peut expliquer à un fournisseur – producteur ou OP – que ses ventes doubleront ou tripleront si ses produits sont placés en « tête de gondole ». Aussi ce producteur doit-il diminuer ses prix. Indirectement, le fournisseur paie l'équivalent de 5 000 euros pour une mise en valeur d'un mois en tête de gondole. Cette somme est décomptée de ses factures.

Le droit à référencement, en revanche, prend la forme d'un paiement direct de la part du producteur ou de l'OP. Il y a trente ou quarante ans, le marché comptait une multitude d'intermédiaires. Face aux centrales d'achat, seuls restent aujourd'hui les agriculteurs, les OP, les coopératives ou les expéditeurs privés auxquels s'en remettent les agriculteurs. La négociation portant sur le référencement se déroule soit avec le producteur s'il traite en direct, soit avec l'OP, soit avec l'expéditeur privé. Elle n'est pas assortie d'une garantie d'achat. Une fois référencés, les producteurs sont mis en concurrence les uns avec les autres. Certains vendent davantage parce qu'ils ont abaissé leurs prix. Dans tous les cas, il me paraît parfaitement anormal de devoir payer pour être inscrit sur une liste.

La grande distribution recourt à la contestation de produits essentiellement lorsque nous livrons loin de la région de production. Elle sait que sinon, nous nous rendrons sur place pour rétablir la vérité. Nous apprenons par email que le semi-remorque qui vient d'arriver en Alsace comporte trois palettes défectueuses, et que nous avons jusqu'au lendemain pour venir en faire le constat. Depuis mon exploitation du Sud-Ouest, cela demande dix heures de voiture ! Il m'arrive, exceptionnellement, de faire le déplacement. Encore faut-il que les produits ne soient pas rapidement périssables. Nous ignorons ce qu'il advient des denrées soi-disant non conformes. La grande distribution affirme qu'elle les jette, mais il y a fort à parier qu'elle les revende. Pour nous, c'est incontrôlable. Pourtant, les conséquences financières en sont considérables.

Le MODEF est favorable à ce qu'une loi tente de peser sur la grande distribution pour restituer une part de la valeur aux producteurs. Pour autant, nous n'avons jamais pensé que des enseignes accepteraient de vendre les produits plus chers et de réduire leurs marges afin de rémunérer davantage les paysans.

Michel-Édouard Leclerc lui-même n'y a pas cru et l'a dit haut et fort. Il savait qu'il n'amoindrirait pas ses marges. Le résultat est sans équivoque : les prix ont crû de 4 %, mais les revenus des paysans ont baissé de 0,4 %. Seules des contraintes fortes et réelles sur la grande distribution peuvent faire évoluer la situation. L'efficacité d'une telle loi reste donc à prouver.

Monsieur Daniel, les intermédiaires d'hier – grossistes, demi-grossistes… – ont disparu. La négociation s'effectue directement entre le producteur ou son représentant et la centrale d'achat. Il est donc facile de suivre l'évolution du prix jusqu'à la grande distribution.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

L'objectif de partager équitablement la valeur ajoutée implique de prendre en compte les marges de l'ensemble des opérateurs des filières : collecteurs, transformateurs, industriels… Quelle analyse faites-vous de cette chaîne ?

Permalien
Raymond Girardi, vice-président du MODEF

Il convient de distinguer les produits frais d'une part, vendus directement aux centrales d'achat, et les produits transformés d'autre part, issus de l'industrie agroalimentaire. Nous n'avons guère de maîtrise sur cette dernière, au-delà des ventes que nous faisons aux transformateurs. Bien que je n'aie pas de vision sur les marges que se réserve l'industrie agroalimentaire, je crois pouvoir dire qu'elle gagne plutôt bien sa vie.

Il est beaucoup plus difficile de savoir ce qu'il en est des produits frais. Prenons un exemple : un kilo de tomates est vendu 0,60 euro par le producteur. La coopérative y ajoute 0,15 euro pour calibrer et conditionner les denrées. Quand la centrale d'achat acquiert ce même kilo de tomates à 0,80 ou 0,85 euro, et qu'il est revendu 2 ou 2,5 euros en magasin, il est facile de mesurer la marge. La centrale d'achat elle-même en perçoit-elle une partie ? Des structures financières intermédiaires en font-elles autant ? Peut-être revient-il à l'Autorité de la concurrence ou au ministère de l'économie et des finances d'enquêter sur le sujet.

L'industrie agroalimentaire a demandé au gouvernement l'établissement d'un rapport en vue d'interdire la revente à perte. Elle subissait en effet une pression considérable de la part de la grande distribution. Les paysans, en revanche, ont le droit de vendre leurs produits à perte !

Pour répondre à votre question, madame Gipson, la pression s'exerce sur la structure qui est en contact avec la grande distribution. Il peut s'agir d'un éleveur, s'il vend en direct. L'enseigne lui fera valoir qu'elle accède à de la viande argentine pour la moitié du prix qu'il propose, et lui demandera de s'aligner. Rares sont toutefois les producteurs qui traitent directement avec les centrales d'achat. Le plus souvent, cette mission incombe aux coopératives ou aux expéditeurs privés.

Pour les fruits et légumes, les prix varient presque au jour le jour, au mieux une fois par semaine. Désormais, la centrale d'achat nous informe par email qu'elle a besoin, par exemple, de 15 tonnes de tomates à 0,60 euro le kilo. Soit nous l'acceptons, soit elle se tourne vers des produits importés. Étonnamment, lorsque les importations se tarissent – notamment pour des raisons climatiques – la grande distribution laisse les producteurs fixer leurs prix…

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

La loi précise que des négociations doivent se tenir avec la grande distribution, et être tracées par écrit. Ces négociations annuelles ou pluriannuelles ont-elles bel et bien lieu ?

Par ailleurs, je m'étonne que les producteurs ou leurs organisations ne saisissent pas la justice lorsqu'ils sont victimes de pratiques qui dérogent à la loi. Pourquoi les coopératives ne les défendent-elles pas mieux ?

Enfin, nous savons qu'aujourd'hui, la grande distribution se trouve elle-même en difficulté. Elle se tourne à nouveau vers des formules d'achat différenciées. Comment percevez-vous cette évolution, et comment voyez-vous votre avenir ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Lorsque vos produits fragiles, fraises ou cerises, traversent les océans, est-il prévu des clauses particulières relatives à la contestation de leur qualité ?

Il existe encore des grossistes en France ultramarine. Comment se déroulent les négociations lorsque ceux-ci interviennent, et quelles en sont les conséquences sur les prix ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

À l'instar de Martine Leguille-Balloy, j'aimerais rappeler que des outils législatifs peuvent venir en aide aux producteurs. Les contrôles effectués par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) peuvent en outre contribuer à un meilleur respect de la loi par les acteurs qui prennent part aux négociations.

Je souhaiterais également recueillir votre point de vue, monsieur Girardi, sur la contractualisation et son caractère pluriannuel. Ce dispositif est en effet censé protéger les prix négociés par les agriculteurs du levier de l'importation massive actionné par la grande distribution.

Enfin, monsieur le vice-président, vous avez décrit les mécanismes employés par certains acteurs pour contourner les lois. Que préconisez-vous, au sein des organisations professionnelles, pour contrer ces pratiques ?

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Vous avez évoqué les pénalités que vous encourez au titre des contestations de livraison. Ces questions ne sont-elles pas régies par un contrat avec l'acheteur ? Des dispositions ne sont-elles pas prévues en amont si une part de votre livraison arrive endommagée ? En l'état, il semble que chaque petit aléa induise une forte perturbation pour votre chaîne. Des contrats-cadres pourraient y remédier.

Permalien
Raymond Girardi, vice-président du MODEF

Il faut être conscient du caractère occulte des négociations, tant sont considérables les capacités de rétorsion de la grande distribution. J'en donnerai une illustration. Mon département est un important producteur de pommes de terre primeur. Il y a quelques années, en réaction à des importations massives d'Égypte et de Tunisie, les agriculteurs, pris de colère, ont vidé quelques camions de tubercules devant les supermarchés locaux. Au moment même où se déroulait l'opération, Intermarché a informé des agriculteurs qui lui vendaient en direct qu'il refuserait leurs produits pendant quinze jours. Lorsqu'une coopérative ou un expéditeur privé défend ses intérêts, il fait l'objet de mesures de rétorsion immédiates. Il doit pourtant écouler ses produits d'une façon ou d'une autre. Quand une centrale d'achat a l'assurance d'être approvisionnée grâce aux importations, nous n'avons pas de moyen d'action à son encontre. Nous nous trouvons démunis. Personne ne peut l'empêcher, pas même une loi. Les coopératives et les expéditeurs privés font leur possible pour nous défendre, mais ont une marge de manoeuvre très limitée.

Le milieu est en outre assez occulte. Nous avons parfois des difficultés à recueillir des éléments précis auprès des acheteurs de nos propres coopératives. Les négociations sont compliquées, sous-tendues par des menaces et des pressions.

Le contrôle des produits importés demanderait des moyens humains considérables. L'exercice même est complexe. Nous savons par exemple que les cerises importées de Turquie sont traitées avec du diméthoate, molécule interdite dans France pour son effet non pas sur les humains mais sur le milieu, en particulier sur les abeilles. Lorsque nos services de répression des fraudes effectuent des prélèvements et des analyses sur ces fruits, ils ne trouvent aucune trace de cette substance… elle a en effet une durée de vie très courte. Des situations similaires se produisent pour une multitude de produits phytopharmaceutiques.

Madame Bareigts, la part de marché transitant par les grossistes ou demi-grossistes est très réduite en métropole. Peut-être sont-ils davantage présents dans les Outre-mer. Or plus il y a d'intermédiaires, plus il est compliqué de tracer la répartition de la valeur. Nous savons aussi que lorsque les grossistes interviennent, ils se réservent des marges confortables. Il est alors facile de faire peser les torts sur les distributeurs, qui sont actuellement sur la sellette. J'imagine qu'en Outre-mer, rares sont les grossistes qui déposent le bilan.

Permalien
Lucie Lafforgue, vice-présidente du MODEF

Je répondrai à vos questions pour ce qui concerne l'élevage. J'élève pour ma part des vaches laitières et des veaux sous la mère. Les prix de mes productions fluctuent au gré des importations. Quand l'Italie exporte des volumes importants, nous devons nous conformer à ses tarifs si nous souhaitons vendre. Sinon, les maquignons nous rétorquent qu'ils n'ont pas besoin de notre marchandise. J'essaie de vendre mon bétail en juin et juillet, période où les prix sont un peu plus élevés, de l'ordre de 2 ou 2,5 euros le kilo de carcasse. En hiver, ce prix s'abaisse à 1,2 euro.

Par ailleurs, je ne recours pas à la contractualisation pluriannuelle. J'ai quitté la coopérative laitière il y a six mois au profit du circuit court. Cette solution est plus avantageuse.

Permalien
Raymond Girardi, vice-président du MODEF

Concernant les produits abîmés, madame Gipson, les assurances couvrent les dommages liés aux ruptures de la chaîne du froid durant les livraisons. Ces accidents sont toutefois très rares. Je faisais référence à d'autres situations, dans lesquelles la grande distribution prend pour prétexte la présence de quelques fruits endommagés dans une palette de 800 kilos pour déclasser cette dernière en totalité.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Des contrats pourraient vous prémunir de ce risque.

Permalien
Raymond Girardi, vice-président du MODEF

Selon la loi, l'agriculteur est cependant responsable du produit jusqu'à la consommation, même en cas de contractualisation avec le distributeur.

La séance est levée à onze heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 2 mai 2019 à 10 h 50

Présents. - Mme Ericka Bareigts, M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, Mme Stéphanie Do, Mme Séverine Gipson, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Cendra Motin, M. André Villiers

Excusés. - M. Richard Ramos, M. Nicolas Turquois, M. Arnaud Viala