Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 10h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix heures quarante-cinq.

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Nous recevons Mme Stéphanie Pageot, secrétaire nationale « relations avec les acteurs économiques » de la Fédération nationale d'agriculture biologique (FNAB), et M. Jean-François Vincent, secrétaire national « élevage » de la FNAB. Madame, monsieur, je vous remercie de vous être rendus disponibles pour venir devant nous ce matin.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter serment de dire la vérité, toute la vérité et rien que la vérité.

Mme Stéphanie Pageot et M. Jean-François Vincent prêtent successivement serment.

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

Je vous remercie de nous auditionner sur cette thématique. La Fédération nationale de l'agriculture biologique regroupe aujourd'hui 10 000 productrices et producteurs bio répartis partout sur tout le territoire. Nous oeuvrons au développement de l'agriculture biologique en accompagnant les productrices et producteurs qui souhaitent passer en bio, et en travaillant à la construction des filières, en particulier des filières locales et équitables.

Sur la thématique particulière des relations commerciales, je tiens à préciser qu'en tant que Fédération nationale nous ne sommes pas en lien direct avec les acteurs économiques sur les aspects commerciaux. Mais nous contribuons, par l'intermédiaire de nos membres, à participer à la construction de filière et donc à pousser à des partenariats cohérents et équitables.

Je voudrais également rappeler que le marché de l'agriculture biologique est en pleine croissance : il s'établit aujourd'hui à plus de 8 milliards d'euros, et il est détenu à 50 % par la grande distribution. Cette part progresse, elle était d'à peu près 45 % avant 2017.

La grande distribution souhaite doubler, voire tripler, son chiffre d'affaires d'ici trois ans dans l'agriculture biologique. C'est donc un secteur extrêmement stratégique pour les années à venir.

La grande distribution se sert de l'agriculture bio pour assurer son développement, probablement pour redorer son image. Mais l'enjeu pour elle est d'assurer ce développement tout en préservant les promesses de l'agriculture biologique auprès du consommateur et des citoyens, qui demandent des produits de qualité respectueux de leur santé et de l'environnement, et en préservant les productrices et les producteurs bio dans le cadre des relations commerciales.

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

En tant que fédération nationale, nous ne sommes pas directement vendeurs de produits, mais nous représentons des productrices et des producteurs bio concernés par la négociation commerciale, directement ou à travers leur organisation de producteurs.

Avec le développement du bio, la massification du marché peut entraîner des effets destructeurs pour les filières et donc, in fine, pour la rémunération des producteurs. Au-delà de la seule négociation, nous travaillons pour accompagner le développement de nouvelles formes de relations commerciales. Nous refusons de condamner a priori la grande distribution quant à ses intentions et à ses pratiques commerciales, même si nous privilégions toujours les circuits les plus courts possibles. Le développement de l'agriculture bio requiert de la mettre à disposition de l'ensemble de la population. La bio partout et pour tous, c'est le slogan d'une structure commerciale, mais que nous reprenons volontiers à notre compte. Il faut rappeler qu'historiquement, la filière viande biologique a démarré grâce à un partenariat entre Auchan et la FNAB lancé fin 1995, une charte avait été élaborée à l'époque. Le développement de la filière bio en lait a été accéléré par le partenariat entre Biolait et Système U signé il y a une dizaine d'années. Et Système U a aussi joué un rôle important dans la consolidation de la filière porcine biologique en 2012, à une époque où il y avait de grosses difficultés de marché et des risques de déconversions importants dans la filière bio. Il y a quelques années, la filière bio était un peu méprisée, tandis qu'aujourd'hui on imagine qu'il suffit d'être en bio pour gagner sa vie quand on est agriculteur, ce n'est pas forcément le cas. Ainsi, en 2012, le porc bio traversait une crise. J'ai été l'un des initiateurs de cette filière, avec Système U, ce qui nous a permis de nous en sortir sans trop de mal.

La loi ÉGAlim remet à juste titre, à la base de la construction du prix, la rémunération des productrices et des producteurs et les coûts de production agricole, de manière à ce que la paysanne ou le paysan ne soit pas la variable d'ajustement des évolutions du marché. C'est sur cette base que nous avons toujours travaillé et que nous jugeons les relations avec les distributeurs, petits ou grands, spécialisés ou généralistes.

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

Nous avons des axes de travail sur ces différentes thématiques, notamment la formation des productrices et producteurs aux enjeux économiques et la réappropriation de leur stratégie commerciale et économique. Nous les accompagnons pour le calcul de leurs prix de revient. Celui-ci doit prendre en compte la rémunération, mais aussi l'autonomie des fermes, qui impose de disposer de la trésorerie pour couvrir les coûts du cycle d'exploitation sans avoir recours aux emprunts à court terme, la capacité d'investir, renouveler ou développer son outil de production, et la prise en compte de la gestion du risque. Dans un contexte de changement climatique croissant, il est important que ce ne soit pas les productrices et producteurs qui subissent ces aléas. Il est donc important que le calcul du prix de revient intègre le risque d'une année blanche, par exemple.

Donc, la prise en compte du seul coût de production dans les relations commerciales ne suffit pas, il faut aller au-delà, en calculant un prix de revient qui couvre la rémunération des producteurs, la capacité de recherche et développement, les besoins en fonds de roulement et la prise en compte du risque. Nous demandons donc que des formations économiques et commerciales soient proposées aux productrices et producteurs bio sur ces calculs de prix de revient, et qu'elles soient prioritaires dans la prise en charge du fonds de formation spécifique des productrices et producteurs, de manière à les accompagner dans ce travail et dans la construction future de partenariats avec les acteurs économiques.

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

En particulier, nous sommes partisans de la plus grande transparence possible sur la construction du prix. La loi ÉGAlim mandate en priorité les interprofessions pour publier des indicateurs pertinents de coûts de production et de prix de marché pour les différentes filières. La loi étant passée, les filières en sont maintenant au stade de la réflexion sur les modalités juridiques de sa mise en oeuvre, de plus ou moins bonne foi selon les acteurs. Tout n'est pas encore clairement consolidé. Nous commençons à nous apercevoir des avancées de cette loi, et au-delà des critiques que nous avions, il y aura certainement une sécurisation des filières équitables dont a parlé Mme Pageot, qui permettra d'assurer une rémunération du producteur sur la durée.

C'est pour nous une bonne première étape, à condition qu'elle soit réellement mise en place. Les discussions semblent très compliquées dans la plupart des interprofessions, les acteurs ayant visiblement du mal à se mettre d'accord. De plus, le travail est essentiellement mené en agriculture conventionnelle et très peu en bio. Par exemple, pour la viande, nous n'avons toujours pas réussi à obtenir de la commission « bio » d'INTERBEV et d'INAPORC des indicateurs de coûts de production en bio, et rien n'est prévu sur les indicateurs de marché, certains opérateurs en refusant même le principe. On peut d'ailleurs noter que ce blocage ne vient pas de la fédération du commerce et de la distribution.

En fruits et légumes, les interprofessions ont publié des indicateurs de coûts de production et de prix de marché non spécifiques à la bio. Si un certain nombre d'indicateurs sont équivalents en bio et en conventionnel, comme le coût de la main-d'oeuvre, d'autres indicateurs sont spécifiques à l'agriculture bio, notamment sur le cours des semences et des plantes qui sont différents en bio ou en conventionnel. L'enjeu contractuel est bien d'avoir une juste répartition de la marge entre les différents partenaires. La vision que nous avons des filières n'est pas simplement de défendre notre revenu de producteurs : dans une filière qui marche, chacun doit gagner sa vie. On ne peut pas créer une filière si l'un des maillons ne s'y retrouve pas.

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Je vous invite à conclure, pour que nous puissions vous interroger directement.

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

Ce qui nous semble important, et que nous sommes en train de travailler, c'est la sécurisation. Si l'on prend l'exemple de ce que nous avons construit avec Système U en lait et en porc, il y a une relation directe entre producteurs et distributeurs qui seule permet de garantir la tenue du contrat dans la durée.

C'est toute la difficulté que nous rencontrons avec les marques nationales. Sans entrer dans le débat entre marques nationales et marques de distributeurs : si les marques nationales subissent une pression et ne peuvent pas tenir les prix qui permettent de rémunérer les producteurs à l'origine, nous n'y aurons rien gagné.

Nous sommes partisans de construire des filières sur la contractualisation directe entre le producteur et les distributeurs. Et, jusqu'à présent, ce n'est pas du tout sécurisé du point de vue des règles de concurrence. Nous voyons que les opérateurs intermédiaires, au lieu de négocier chaque semaine le prix d'achat de leurs matières premières, travaillent sur des prix qui ont été négociés à l'avance entre le producteur et le distributeur. Sachant à l'avance quel est coût de production, il sait qu'il va devoir acheter à tel prix, et ce qu'il négocie au sein de la filière, c'est sa marge normale pour la plus-value qu'il a apportée.

Il serait intéressant que vous puissiez rassurer les opérateurs économiques sur la conformité au droit de la concurrence de ces contrats, appelés tripartites, mais qui sont en fait multipartites. Une circulaire ministérielle, associée à un avis de l'Autorité de la concurrence, pourrait identifier les clauses « noires » qui ne peuvent figurer dans ces contrats.

C'est beaucoup plus facile à mettre en oeuvre avec des marques de distributeurs, car le distributeur est alors le donneur d'ordres, qu'avec des marques nationales. Il est important d'avancer sur les marques de distributeurs, quelques-unes, que j'ai citées, sont exemplaires. Il faut élargir ce mode de relation entre producteurs et distributeurs.

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

Nous poussons beaucoup les partenariats sur la base du commerce équitable. Une loi de 2014 définit clairement le commerce équitable en fonction de quatre critères spécifiques. Nous voulons que le développement de l'agriculture biologique se fasse sur les bases du commerce équitable, pour toutes les filières et toutes les productions. C'est une manière de changer les relations commerciales, et nous devons profiter du passage à l'agriculture biologique pour avancer sur ce point.

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Je vous remercie pour tout ce que vous nous avez dit, c'est extrêmement intéressant. Une commission est aujourd'hui au travail sur le suivi de la loi ÉGAlim et l'objet de cette commission d'enquête est vraiment la relation entre les producteurs bio, qui constituent un enjeu majeur sur le marché de l'alimentation en France, et la grande distribution. C'est sur ce point que nous nous concentrons. Nous allons donc peut-être nous éloigner un peu des problématiques de cette loi pour nous attacher à ces questions précises.

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Certains de vos adhérents ont-ils fait part de pratiques déloyales, de retards de paiement, d'annulations tardives de commandes, de refus de signer un contrat, de menaces de déréférencement en période de négociation ou autres ? Pouvez-vous entrer dans le détail des relations entre la grande distribution et ses fournisseurs ?

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Je suis député de Loire-Atlantique, paysan retraité, ancien producteur de lait et de porc bio. Je crois qu'il faut effectivement que cette commission d'enquête se focalise sur les relations et les pratiques de la grande distribution, et que vous nous aidiez à analyser en quoi le rôle de la grande distribution permet d'atteindre les objectifs fixés par les états généraux de l'alimentation et la loi ÉGALIM, c'est-à-dire rééquilibrer le partage de la valeur ajoutée dans les filières et assurer un juste revenu aux paysans.

Ma question est très simple : en quoi la grande distribution, par son comportement, permet de répondre aux questions que vous soulevez dans votre présentation ?

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Depuis un passé extrêmement récent, la grande distribution s'intéresse à la commercialisation des produits bio, et a atteint en très peu d'années presque 50 % du marché, ce qui est considérable. Face à elle, des réseaux sont organisés depuis plusieurs dizaines d'années, dont un certain nombre est d'ailleurs repris par de grandes enseignes. Ces grandes enseignes lancent leurs slogans : le bio pas cher, le bio pour tous ; et le tout débouche sur la guerre des prix. N'avez-vous pas le sentiment, en tant que producteurs, acteurs de l'amont, d'être dessaisis d'une affaire qui marche ? L'agrobiologie a le vent en poupe et est appelée à se développer. N'êtes-vous pas dépossédés, notamment sur l'approvisionnement local et la saisonnalité ? L'amont se retrouve spectateur, alors que le sujet aurait dû rester dans ses mains.

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Je viens des Herbiers, où l'on trouve l'entreprise La Boulangère. Cette dernière a été victime de la crise du beurre l'an dernier. Aujourd'hui, elle rencontre de grandes difficultés à trouver quelqu'un qui accepte de transformer du lait en beurre, de manière à payer directement les producteurs.

Il existe visiblement un ostracisme des transformateurs, de manière à ce qu'on ne puisse pas traiter directement avec les producteurs de lait. Pourriez-vous expliquer cela ?

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Vous avez que dans certaines interprofessions, il existait des blocages sur les indicateurs, et que ce n'était pas forcément la grande distribution qui en était responsable. J'aimerais savoir qui bloque ? Je vous rappelle que vous avez prêté serment, et il est important pour nous d'aller vraiment au fond des choses.

Vous avez parlé des marques de distributeurs et de votre relation directe avec elles. Comment arrivez-vous à défendre les producteurs et leurs coûts de revient ? Car l'objectif d'une marque de distributeur est de créer des produits d'appel, donc des produits moins chers que des marques bio. D'autres représentants de filières bio nous ont expliqué se battre contre les marques de distributeur bio. Vous semblez plutôt ouverts sur cette question, j'aimerais savoir comment vous arrivez à résister à la pression sur le prix face aux distributeurs avec lesquels vous négociez directement ?

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

À ce jour, nous n'avons pas connaissance de cas de déréférencement de nos adhérents. Le marché de l'agriculture biologique est en croissance, nous manquons de produits bio en France aujourd'hui. Le marché est extrêmement favorable, nous n'avons pas de difficulté à vendre nos produits, c'est l'inverse. Nous sommes dans un moment propice pour changer les relations commerciales et instaurer un autre rapport. Le rapport de force ne nous est pas défavorable pour le moment, il faut en profiter pour construire quelque chose de différent.

Je souligne qu'une partie des producteurs en agriculture biologique pratique la vente directe. Un certain nombre de ces producteurs ont également des relations commerciales directes avec la grande distribution, c'est notamment mon cas. Depuis dix ans, notre ferme commercialise directement avec des acteurs de la grande distribution et nous n'avons jamais eu aucun souci de relation commerciale dans les rapports directs. Les difficultés surviennent avec les intermédiaires, lorsque l'on passe par des centrales d'achat.

S'agissant des pratiques de la grande distribution, le fait d'annoncer des prix bas peut évidemment annoncer que ces prix bas se répercutent sur le producteur. Aujourd'hui, nous n'avons pas ce sentiment. Je ne dis pas que ce ne sera pas le cas dans le futur, mais aujourd'hui, les prix bas annoncés par la grande distribution sont obtenus en sacrifiant leurs marges, mais pas en réduisant les prix payés aux productrices et aux producteurs bio.

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

Je ne fais pas de vente directe, mais beaucoup de vente collective, et nous essayons de créer des filières de vente collective avec la grande et moyenne distribution. Lorsque nous avons rencontré des problèmes de chute des prix, ce qui arrive, c'est parce que nous n'avions pas suffisamment maîtrisé le rapport entre production et distribution. Soit la consommation était atone, soit le développement de la production n'a pas été accompagné d'un développement commercial suffisant, c'est le problème que nous avons connu en 2012. Mais pour les filières viande, les baisses de prix n'ont jamais été à l'initiative des distributeurs.

Actuellement, sur le marché du porc avec Système U, il y a des promotions, mais jamais nous n'avons dû baisser le prix au producteur. Le contrat avec la marque de distributeur « Porc Bio U » se fait uniquement avec des producteurs français, et nous avons retenu un prix de production, qui a été indexé sur les prix des aliments en filière porc et nous discutons tous les trimestres avec Système U. Mais le prix de base contenait les coûts de production, investissements compris, les coûts de la conversion et la rémunération des producteurs et des salariés.

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

À propos de la guerre des prix, aujourd'hui, nous avons plus à craindre de l'arrivée de nouveaux acteurs intermédiaires qui veulent aller sur le marché de l'agriculture bio parce que c'est un marché porteur. Ces acteurs intermédiaires commercialisent aussi en agriculture conventionnelle, et ont besoin de vendre les volumes de produits d'agriculture conventionnelle. Ils vont donc se servir de la bio pour capter des marchés et vendre leurs produits conventionnels. Pour décrocher ces marchés, ils vont baisser les prix de l'agriculture bio. C'est ce que nous craignons aujourd'hui, beaucoup plus que la guerre des prix de la grande distribution.

Nous voyons arriver des acteurs intermédiaires qui ne se préoccupent pas de la philosophie de l'agriculture biologique, de ce que nous défendons par nos modes de production, et qui sont prêts à sacrifier l'agriculture biologique pour obtenir les marchés.

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Pouvez-vous nous donner des détails ? Donnez-nous des noms d'entreprises.

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

Dans la région nantaise, d'énormes maraîchers arrivent sur la production bio, et nous ne savons pas quelles seront leurs pratiques commerciales. Ils seront en concurrence directe avec les producteurs locaux, et ce qui suscité beaucoup d'inquiétudes.

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

À défaut de vente directe, je me suis beaucoup occupé de la création de filières de vente collective avec la GMS. Lorsque nous avons rencontré des problèmes de chute des prix, c'était parce que nous n'avions pas suffisamment maîtrisé le rapport entre production et distribution, la consommation pouvant être atone ou le développement de la production n'ayant pas été accompagné d'un développement commercial suffisant ; ce qui s'est produit en 2012 pour le secteur du porc.

En tout état de cause, pour les filières de la viande, la grande distribution n'a jamais été à l'origine de ces problèmes. Ainsi dans nos relations avec Système U, les promotions sur le prix de la viande de porc n'ont jamais été au détriment des producteurs.

Le contrat « MDD porc bio » passé avec Système U est basé sur des producteurs français uniquement, ainsi que sur un coût de production que nous avons déterminé à nos débuts en 2012, indexé sur le suivi du coût de l'aliment fondé sur la moyenne trimestrielle des prix constatés sur le marché français. Nous discutons tous les trimestres avec Système U, nous sommes parfois un peu en dessus ou un peu en dessous du prix, mais la base de nos prix demeure cette indexation, qui comprend le coût de nos investissements, ceux de la conversion ainsi que celui des rémunérations des producteurs et des salariés.

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

S'agissant de la guerre des prix, je considère que nous avons plus à craindre aujourd'hui de l'arrivée de nouveaux acteurs intermédiaires, qui veulent agir sur le marché bio parce qu'il est porteur. Ces acteurs intermédiaires sont par ailleurs aussi présents dans le secteur de l'agriculture conventionnelle, et ils ont besoin que les volumes qu'ils traitent passent dans cette catégorie. Ils vont ainsi se servir du bio afin de capter des marchés et de vendre leurs produits conventionnels ; à cette fin, ils n'auront d'autre ressource que de baisser le prix des produits bio.

C'est ce que nous redoutons, beaucoup plus que la guerre des prix de la grande distribution. Nous voyons ainsi arriver dans le secteur du bio des acteurs intermédiaires qui ne se préoccupent nullement de la philosophie de ce secteur ni de ce que nous défendons avec ce mode de production. Ceux-là sont prêts à sacrifier l'agriculture biologique pour obtenir le marché.

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Pourriez-vous nous donner plus de précisions : de quelles entreprises s'agit-il ? Nous avons besoin de le savoir !

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

Dans la région nantaise, qui est mon secteur, d'énormes maraîchers régionaux interviennent dans la production bio, sans que nous sachions quelles seront leurs pratiques commerciales. Ils seront en concurrence directe avec les producteurs locaux, ce qui inquiète grandement les productrices et producteurs du secteur.

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Nous vous parlons lait, vous répondez maraîchers… Des industriels sont en train de faire du mal à des coopératives bio, c'est du moins notre impression ; c'est pourquoi nous souhaiterions que vous soyez plus précise sur la question du lait.

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

La situation du secteur du lait est quelque peu paradoxale ; il y a deux ans le lait bio manquait, la conversion massive actuelle des producteurs se traduit par une production excédentaire, mais le délai de conversion à l'agriculture biologique étant de deux ans, nous manquerons probablement de lait dans deux ans.

Nous assistons à des variations de marché très importantes, or il n'y a pas vraiment de gestion collective des volumes dans ce secteur. Aujourd'hui la variable d'ajustement de la croissance des volumes est l'opérateur Biolait, qui regroupe pratiquement 50 % de la production de lait bio en France. Elle annonce pour le printemps des baisses du prix du lait, saison à laquelle elle connaît un excédent ; nous devons absolument trouver une manière différente de valoriser ces paliers de croissance afin de ne pas impacter les producteurs.

Par ailleurs, jusqu'à présent nous manquions de beurre, je ne suis donc pas surprise que la boulangère qui en cherchait pour ses brioches, évoquée par Mme Leguille-Balloy, n'en ait pas trouvé sur le marché.

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

Pour répondre à votre question, monsieur le rapporteur, je dirai que ce sont les transformateurs et les abatteurs qui refusent de jouer le jeu ; nous devrons faire sauter cette opposition parce que c'est ce que prévoit la loi.

Lors de la constitution de la première filière « Viande nationale » avec le groupe Auchan, il n'y avait en France qu'une cinquantaine de boucheries bio. Moi-même et d'autres étions passés au bio, et nous ne trouvions pas de marché à un prix correct pour nos animaux.

Cela a durablement marqué nos relations avec la grande distribution ; nous étions demandeurs, mais jamais à n'importe quel prix. Aussi, dès 1995 nos prix étaient fixés en fonction des coûts de production des bovins autant que des ovins puisque c'est la filière « Viande rouge » que nous avions montée. En 1999, le groupe Carrefour a créé la filière « Porc » sur la même base de coûts de production.

C'est peut-être pourquoi nos relations avec la grande distribution sont différentes, parce que nous avons toujours refusé de dire « Nous produisons, vous achetez ». Car, lorsque le prix constitue la seule marge de négociation, cela ne peut que déboucher sur ces catastrophes. Nous avons toujours revendiqué de faire de la qualité ; cette qualité a un prix, et c'est à ce prix nous la vendons.

L'époque était autre, et le groupe Auchan pouvait ainsi se singulariser par rapport à Carrefour, qui a été pris de vitesse et subit l'épisode de la vache folle, etc. Le bio est ensuite devenu stratégique en termes d'image avant de devenir aujourd'hui stratégique en termes de volume. Toutes les enseignes de grande distribution sont en difficulté, car leur modèle est en train d'exploser ; de ce fait, toutes voient dans le bio une solution pour se maintenir.

Elles sont donc prêtes à faire des efforts pour maintenir des filières de qualité sur des bases durables. En effet, la conversion au bio nécessite deux ou trois années, si on casse le producteur et qu'il cesse son activité, on ne retrouve pas tout de suite du volume de production. Les crises de production survenues au cours des dernières années ont fait prendre conscience à la grande distribution qu'il ne suffisait pas de faire du bio sans sécuriser les filières jusqu'aux producteurs.

Dans la mesure où les consommateurs français aspirent toujours plus aux circuits courts, au plus proche de leur village ou, à tout le moins en France, la relocalisation sur une production française est devenue incontournable pour les GMS.

De notre côté, nous pouvons déplorer la signature du CETA – acronyme de l'anglais Comprehensive Economic and Trade Agreement –, car monter en gamme en France sans se mettre à l'abri d'une production internationale vendue à bas prix ne serait pas une bonne chose. Il faut donc que les politiques soient cohérents… Pour notre part, nous agissons dans le marché, et souhaitons vendre une production de qualité qui a un prix, ce qui est de l'intérêt de tous les échelons des filières, et les producteurs bio sérieux s'en rendent d'ailleurs compte.

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Vous avez insisté à deux reprises, monsieur Vincent, sur le fait que la qualité a un prix. Je vous poserai donc à chacun la question : à combien valorisez-vous, madame Pageot, la tonne de lait dans votre exploitation ? Quel est, monsieur Vincent, le prix de vente au kilo du porc sortant de votre exploitation, quelle est la différence avec la production conventionnelle ?

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Pouvez-vous me dire quelle est la part du bio dans la production globale alimentaire agricole en France par rapport à la production conventionnelle ?

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La loi EGAlim a autorisé un seuil de revente à perte des productions ; avez-vous constaté des répercussions sur les prix d'achat pratiqués par la grande distribution ?

Par ailleurs, nous n'avons pas évoqué les produits biologiques importés, qui constituent un enjeu, car les normes peuvent différer ; la grande distribution tente-t-elle de jouer sur ce phénomène dans le but de négocier des prix avec vos adhérents ?

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

La concurrence des importations nous a effectivement touchés il y a quelques années, mais le contexte actuel l'interdit clairement, car la demande de produits bio est trop importante par rapport au volume de la production française. Pendant des années nous avons manqué de produits bio français, toutes les GMS sont allées à l'étranger, en Italie ou au Danemark notamment, afin de compenser le manque de productions françaises.

Notre perspective est désormais le doublement de la production française de porc bio en moins de trois ans ; l'enjeu consistera à remplacer tous ces produits d'importation par des productions françaises, sur la même base de prix. L'essentiel de ces importations venait du Danemark et était susceptible d'être bradé, car, le jambon étant peu consommé dans ce pays, il est massivement exporté en France. Serons-nous capables de résister ?

De fait, l'intérêt des marques de distributeur sera de passer des contrats s'inscrivant dans la durée, car l'installation d'un nouveau producteur de porc bio nécessite un investissement considérable pouvant atteindre 200 000 à 500 000 euros. C'est pourquoi aujourd'hui, certains GMS passent des contrats d'une durée de huit ou dix ans avec les intéressés.

C'est vers cela qu'il faut aller, nous avons toujours traité avec les GMS prêts à avancer afin de pouvoir dire aux autres : « Vos concurrents le font ; pourquoi ne le faites-vous pas ? ». Telle a toujours été notre approche.

Enfin, l'agriculture biologique occupe 6 % de la surface agricole utile (SAU) ; ce qui représente 10 % de l'emploi agricole, soit plus de deux à l'hectare. En termes de valeur, nous savons que les produits bio se vendent plus cher, mais, à ma connaissance l'Agence bio n'a pas divulgué de chiffres ; toutefois nous savons que le marché représente 8 à 9 milliards d'euros. En tout état de cause, en dehors du pourcentage de SAU occupé par le bio, il est malaisé d'attribuer une valeur à ce type d'agriculture.

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Vous indiquez une proportion de 6 % des terres agricoles utilisées par l'agriculture biologique, alors que son rendement est inférieur à celui de l'agriculture conventionnelle.

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

C'est variable en fonction des productions.

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Nous parlons d'un marché de niche où les choses se passent bien, car la production est faible alors que la demande est extrêmement forte. Vous évoquiez les maraîchers qui gagent des parts de marché parce qu'ils vendent leurs produits sur la base des tarifs conventionnels ; d'après vous, dans la mesure où le volume de la production bio est appelé à croître, les relations avec la grande distribution vont-elles se tendre ?

Pour le moment nous sommes au beau fixe parce qu'il y a peu d'offre pour beaucoup de demande ; vous évoquez des contrats d'une durée de huit à dix ans, mais qu'adviendra-t-il lorsque la production bio représentera 50 % du total ?

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

La demande continuera de croître, tout le monde fait ce pari. Nous, producteurs de bios, comme la GMS qui connaît des problèmes existentiels et financiers, misons sur le développement de cette agriculture. Nous n'avons pas de raison d'y voir des limites, vous-mêmes dans cette enceinte évoquez les pesticides, les cancers, les perturbateurs endocriniens, etc. Tous ces problèmes qui sont à l'origine de l'agriculture biologique ne vont pas disparaître brutalement.

Avec nos partenaires des filières, il nous appartient de gérer les variations du marché, qui peuvent dépendre de décisions politiques ou de l'évolution de la demande. Mais cela pas simplement du commerce, l'organisation de filières que nous tâchons de mettre concrètement en oeuvre est aussi impliquée.

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Stéphanie Pageot, secrétaire nationale relations avec les acteurs économiques de la FNAB

C'est pour cela que nous portons les valeurs du commerce équitable et que nous les valorisons, car elles impliquent des contrats de long terme. Nous encourageons aussi la relocalisation de l'économie ; l'enjeu pour l'agriculture biologique est celui du changement d'échelle, la massification de l'offre, sans pour autant retomber dans les pratiques commerciales propres au marché conventionnel.

Tout cela reste à construire, nous sommes d'un naturel optimiste ; nous avons envie de croire que les acteurs économiques dans leur ensemble ont envie de changer vers le bien, c'est-à-dire de mener une guerre des prix les plus justes, et non une guerre des prix les plus bas.

De fait, dans la tête du consommateur, et les grandes surfaces en sont parfaitement conscientes, l'achat de bio a un sens très précis, ils sont prêts à acheter plus cher parce qu'ils y trouvent des valeurs. Et ce n'est sûrement pas le moment de rompre ces promesses ; c'est maintenant qu'il faut proposer des choses différentes.

S'agissant du prix de vente de nos produits, dans notre ferme, en filière longue, lorsque nous vendons dans le cadre de notre organisation de producteurs le prix du lait est de 440 euros les 1 000 litres. Lorsque nous vendons une moitié de notre production en vente directe et une partie en transformation fromagère réalisée à la ferme, le prix est de 1,20 euro le litre.

Transformer le lait à la ferme et le vendre directement apporte beaucoup de valeur ajoutée, ce qui nous a permis de créer des emplois. C'est aussi pourquoi nous poussons fortement les productrices et producteurs à repenser leur mode de commercialisation, et d'en diversifier les circuits pour ne pas passer par un seul acheteur. Ne s'adresser qu'à un seul client fait partie des spécificités de l'agriculture, or il faut trouver des moyens de diversification. C'est ce qui fait la force de notre ferme ainsi que celle d'un grand nombre de nos collègues pratiquant l'agriculture biologique.

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

S'agissant du porc, en TMP 58, le prix est de 3,75 euros le kilo…

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Pourriez-vous parler avec des mots, s'il vous plaît ? (Sourires.)

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Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

Excusez-moi !

Le rapport pris en compte distingue la viande du gras, ce qui donne lieu à un classement ; 54 correspond à du gras, et l'on va ainsi jusqu'à 56, 58, etc. La base du « cadran », écran présent dans la salle des ventes, est le TMP 56 ; toutefois, je parle pour ma part du TMP 58 qui constitue actuellement la base commerciale à laquelle nous nous engageons, et sur laquelle nous avons passé contrat avec Système U. Je consulte ainsi mes factures en me fondant sur le TMP 58 ; et le prix de la viande que je vends est de 3,75 euros le kilo.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Quelle comparaison peut être faite avec la filière conventionnelle ?

Permalien
Jean-François Vincent, secrétaire national élevage de la FNAB

Le problème est que c'est le marché chinois qui fait la filière conventionnelle, et actuellement le prix au cadran, avec un TMP 60 doit être de 1,40 euro le kilo ; mais le producteur est payé un peu au-dessus.

Nous peinons toutefois à valoriser le bio dans la filière ovine, dont la viande est payée moins cher que celle issue de l'agriculture conventionnelle. Mais ces viandes bénéficient déjà du Label rouge, de l'indication géographique protégée (IGP), de l'appellation d'origine contrôlée (AOC), etc., car c'est dans ce secteur que les signes d'identification de qualité et d'origine (SIQO) ont été le plus développés pour la viande.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Merci pour vos réponses et ces informations ; en cas de besoin le rapporteur vous adressera par écrit des demandes de précision.

La séance est levée à onze heures trente.

Membres présents ou excusés

Réunion du jeudi 9 mai 2019 à 10 h 45

Présents. - M. Grégory Besson-Moreau, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, M. Yannick Kerlogot, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Cendra Motin, M. Hervé Pellois, M. André Villiers

Excusé. - M. Thierry Benoit