Commission d'enquête sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de ses groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs

Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 17h00

Résumé de la réunion

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La réunion

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La séance est ouverte à dix-sept heures dix.

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Mes chers collègues, nous accueillons M. Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF), accompagné de Mme Diane Aubert, sa directrice de cabinet.

Madame, monsieur, avant de vous donner la parole, je dois vous demander, conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de prêter serment.

M. Dominique Amirault et Mme Diane Aubert prêtent successivement serment.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, je vous remercie d'avoir invité la FEEF qui représente les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) des territoires, les fournisseurs alimentaires et non-alimentaires de la distribution. Les PME représentent 98 % des fournisseurs de la distribution en marques PME mais aussi en marques de distributeur (MDD). Il faut savoir qu'un produit sur deux présent dans les linéaires, que ce soit un produit de marque PME ou de MDD, provient d'une PME. Depuis cinq ans, 80 % de la croissance des hypermarchés et supermarchés s'explique par les marques des PME. Leur rôle est donc particulièrement intéressant. Je vais essayer de vous expliquer pourquoi.

La FEEF est un mouvement d'entrepreneurs indépendants – le terme est important –, c'est-à-dire non abrité par des groupes, donc en prise de risques personnels, ce qui explique notre culture qui est traditionnellement « pro clients », car seules des relations constructives avec nos clients assurent notre avenir et permettent de lutter contre les risques. Nous ne sommes pas dans la critique négative systématique, ce n'est pas du tout notre style – je vous dis les choses objectivement pour qu'on essaie d'avancer tous ensemble.

Certes, j'ai bien compris que cette commission d'enquête n'est pas destinée à évaluer la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et une alimentation saine et durable (EGAlim), mais elle s'inscrit dans son prolongement. Si cette loi est sans doute adaptée aux grands groupes, ce n'est pas du tout le cas pour les PME, comme vous le verrez.

Cette loi n'a pas changé grand-chose dans les pratiques de la grande distribution vis-à-vis des fournisseurs : beaucoup de discours, de déclarations d'intention, mais peu de réalisations concrètes par rapport aux engagements que nous avions pris. Je vais essayer de faire un point objectif de la situation, sans polémique, notamment des pratiques déviantes de la distribution à l'égard de ses fournisseurs, dans le but de corriger certaines dispositions et dérives par rapport aux objectifs que nous nous étions fixés et sur lesquels nous nous étions engagés.

J'insisterai sur trois points qui affaiblissent les acteurs des filières et nous paraissent dommageables : premièrement, tout ce qui tourne autour du tarif ; deuxièmement, les pratiques en contradiction avec le jeu normal de la concurrence ; troisièmement, le fait que l'on traite trop souvent naïvement les PME, comme si c'était le même type d'entreprise, en plus petit, que les multinationales. Effectivement, on considère qu'une entreprise, quelle que soit sa taille, c'est la même chose. Mais ce n'est pas du tout le cas.

En premier lieu, la pratique de la grande distribution française est de refuser de passer nos tarifs. C'est une pratique très caractéristique. La règle est la déflation quasi systématique des prix lors des négociations. Lors des États généraux de l'alimentation (EGA), nous nous étions engagés à inverser le mécanisme de formation des prix en commençant par l'amont agricole. Mais cela n'est véritablement possible que si les fournisseurs PME peuvent « passer leurs tarifs », c'est-à-dire facturer ce que coûtent les produits aux distributeurs pour ruisseler vers les agriculteurs. Or, en 2019 la filière a constaté à nouveau une déflation de 0,4 %, alors que les coûts ont augmenté en moyenne de 2 % à 3 %, selon les secteurs. De telles pratiques sont bien sûr malsaines et non durables parce qu'elles épuisent la source de nos créations de valeur. Cette situation met sous pression les fournisseurs par rapport à la distribution et détruit de la valeur, bien évidemment aux dépens de ce qu'on pourrait faire en matière de création d'emplois, d'investissement et d'innovation. C'est une vraie politique à court terme. Il est regrettable d'être dans un pays développé et de poursuivre de telles pratiques, à terme suicidaires. Je pense qu'il existe des solutions qui peuvent se faire dans la concertation.

Soyons clairs, qu'est-ce qu'un tarif ? Si je pose cette question, c'est parce que je me suis aperçu, au fil du temps, qu'on ne se comprend pas toujours. Concrètement, un tarif correspond au coût de production, au coût de transformation, au coût de commercialisation, aux variations de cours des matières premières et aux investissements en matière d'innovation, de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), etc. Le tarif permet également de tenir compte du positionnement stratégique d'une marque par rapport à sa concurrence. Toutes les marques ne se valent pas. Par exemple, ce n'est pas la même chose d'acheter une bouteille de Veuve Clicquot ou une bouteille d'un « petit » champagne. Toutes les marques ne se valent pas. Un positionnement différent permet de répondre aux différentes attentes du consommateur qui actuellement évoluent très rapidement, parce que les marchés se fragmentent. Aussi faut-il s'adapter. C'est bien sûr par les tarifs qu'on peut le faire, ce qui permet une digne et juste rémunération des acteurs des filières. Si on s'est engagé à améliorer les rémunérations, mais qu'on ne peut pas facturer nos coûts, cela va à l'encontre des engagements pris. Prendre des engagements sans application pratique n'a pas de sens. C'est pour cela, je crois, que nous sommes réunis aujourd'hui.

Compte tenu de la définition que je viens de vous donner, on comprend aisément que le tarif ne peut pas être négociable puisque c'est la base, le rocher sur lequel on s'accroche, sinon on tarit la source même de la création de valeur. Aussi faut-il sortir de la confusion actuelle, issue de la loi de modernisation de l'économie (LME) de 2008, qui donne de la négociabilité tarifaire – que certains défendent –, détruit de la valeur et alimente la guerre des prix qui se poursuit au détriment de la création de valeur.

Dès lors que le tarif est adressé au client, il doit être d'application obligatoire et immédiate. Le ruissellement doit être traduit concrètement, sinon ce ne sont que des mots, des discours. Par conséquent, il s'agit de reconquérir la maîtrise de nos tarifs et de leur date d'application, de la même manière que nos clients distributeurs ont la maîtrise de leurs propres prix, et libres de la fixer leurs prix de vente au consommateur. C'est évidemment la condition même de la liberté d'entreprendre que de pouvoir fixer son positionnement, une fois que l'on a décidé sa politique. Si on ne peut pas fixer ses prix, on tue la liberté d'entreprendre. Comme nous sommes des entrepreneurs indépendants, nous nous posons des questions.

Bien sûr, le client distributeur a la liberté de nous référencer ou non. Il a le droit de dire qu'il ne veut pas trois références de champagne, mais il ne peut pas aligner tous les champagnes sur le même prix. Dès lors que la marque est référencée, les parties doivent négocier les conditions de vente pour pouvoir développer le courant d'affaires entre elles et le courant de la marque en question par rapport aux autres. Bien entendu, ces conditions de vente, de développement du courant d'affaires entre le fournisseur et le distributeur sont négociables.

En deuxième lieu, dans le commerce toutes les conditions de vente sont négociables, à condition bien sûr de ne pas abuser du rapport de force dominant du distributeur vis-à-vis des acteurs de l'amont, notamment les paysans et les PME. À titre d'exemple, on subit à l'heure actuelle une inflation des pénalités logistiques sans corrélation entre les préjudices subis par la grande distribution et le montant des pénalités payées par les fournisseurs, à tel point qu'on peut se demander si ce n'est pas devenu le moyen pour le distributeur de se constituer un revenu supplémentaire sur le dos des fournisseurs. Il faut que ces pratiques malsaines, je dirai presque gamines, cessent. J'ai l'impression de vivre dans un autre temps.

Face à cette situation, que peut-on faire ? La FEEF estime que la loi ne peut pas tout, et vous le savez mieux que nous, mesdames, messieurs les députés. C'est surtout une question d'évolution des comportements. Aussi faut-il se mettre en situation pour que ces comportements évoluent. Certes, le législateur doit fixer les règles du jeu, des règles communes, qui doivent être simples, facilement compréhensibles et surtout respectées, car les PME sont sous-structurées et, contrairement aux grandes entreprises, elles ne sont pas armées pour gérer la complexité. Pour le reste, nous préconisons de faire confiance aux acteurs de terrain, c'est-à-dire ceux qui font et qui savent. C'est parce qu'on fait qu'on sait – c'est l'origine du savoir-faire –, et ceux qui savent sont ceux qui font.

Nous recommandons également les solutions contractuelles et d'encourager les relations collaboratives par le dialogue pour trouver ensemble, avec nos clients, des solutions, des compromis. C'est ce que nous faisons puisque, depuis 2012, la FEEF a signé vingt accords avec les enseignes. D'abord pour adapter les relations des PME enseigne par enseigne, et répondre aux différentes attentes des consommateurs. Comme je l'ai dit, la demande est de plus en plus fragmentée et il faut pouvoir y répondre. Je précise qu'on ne se substitue pas au rôle des PME, mais on fixe les règles du jeu, un cadre qui permet de le faire. Ensuite pour élaborer des solutions à des problèmes pendants. Par exemple, un accord a été obtenu cette année sur les questions logistiques pour les 5 000 PME qui travaillent avec Carrefour, allant même jusqu'à la suppression de toute pénalité logistique pour les très petites entreprises (TPE). Nous avons également signé des accords, avec d'autres enseignes comme Auchan ou Leclerc, sur des réductions de délais de paiement par rapport à la LME. C'est un élément important quand on est une PME car on n'a pas toujours l'appui des banques. Enfin, on a négocié des accords pluriannuels parce que le commerce ne peut vraiment se réaliser que dans la durée.

Je veux insister maintenant sur une autre série de pratiques, elles aussi préjudiciables. Les relations commerciales entre l'aval, très concentré comme vous le savez, et l'amont, atomisé, sont très déséquilibrées, ce qui nuit au libre jeu de la concurrence et donc remet en cause le fonctionnement normal de l'économie de marché. Il n'est pas sain de laisser dériver la concurrence en laissant se constituer des alliances et ententes entre distributeurs ainsi que des « remariages » qui en définitive font que toutes les conditions circulent. Or, comme la confidentialité des affaires est un élément important, si toutes les conditions circulent, le business, la confiance ne sont plus possibles, et cela accroît les déséquilibres actuels entre l'amont et l'aval. Cette situation est totalement anormale, malsaine. Il faut donc rétablir le jeu normal et loyal de la concurrence. À ce titre, on devrait interdire les ententes et alliances conclues entre les entreprises qui conduisent à des regroupements dont la part de marché dépasse par exemple 10 % à 20 % – cela dépend des secteurs. Il y a des seuils à ne pas dépasser, sinon le jeu du marché ne fonctionne plus, il n'a plus ce rôle de régulateur, sauf à ne plus parler d'économie de marché. Si tel n'est pas le cas, le prix devient alors l'expression de la domination du marché et remet en cause évidemment le libre jeu de la concurrence. Néanmoins, on peut se demander si cette concentration de la grande distribution n'est pas la réaction à la concentration des grandes marques multinationales.

En troisième lieu, je souhaite mettre en évidence une pratique qui est à l'origine d'inégalités majeures entre les grandes marques et les PME. Vous en conviendrez, les grandes marques sont dominantes sur leur propre marché et dans une situation plutôt équilibrée avec la distribution. Aussi obtiennent-elles facilement des contreparties. À l'inverse, les PME sont dans une situation déséquilibrée, dont des marques peu connues, donc substituables. Aussi obtiennent-elles peu de contreparties dans la négociation. Cela montre bien qu'on ne peut pas les traiter de la même manière, sinon on tend évidemment à niveler l'ensemble vers le bas et on crée des inégalités réelles entre fournisseurs, entre petits et grands acteurs. Or notre grande richesse, c'est la diversité. En traitant tout le monde de la même manière, on tue les germes, les jeunes pousses qui feront l'économie de demain et qui sont potentiellement créatrices de valeur. Aussi préconisons-nous de traiter les fournisseurs avec discernement, par ce qu'on appelle la différenciation PME. C'est le moyen de passer de l'égalité formelle – de 1789 – à l'égalité réelle entre fournisseurs. La différenciation permet de tenir compte du relief du terrain, elle n'a rien à voir avec la discrimination, confusion que l'on fait souvent volontairement pour ne pas modifier les choses. La différenciation ne consiste pas à opposer les acteurs, mais à tenir compte de leur diversité et de leur complémentarité au service de l'intérêt commun. Si nous sommes le grand pays du vin dans le monde, c'est parce que les grandes marques ont su travailler ensemble, en meute, avec les petits domaines et les châteaux. Voilà ce qu'est la différenciation. Il faut faire la même chose dans nos rapports avec la distribution.

C'est pourquoi la différenciation PME devrait être reconnue par la loi, ce qui n'est pas le cas parce que l'on confond différenciation et discrimination, d'ailleurs pas uniquement sur le plan des relations commerciales. Par exemple, pourquoi les PME paient-elles davantage d'impôts sur les sociétés que les multinationales, alors qu'elles sont enracinées dans leur territoire, qu'elles ne délocalisent pas, qu'elles n'optimisent pas leur fiscalité au niveau mondial, qu'elles assurent la vitalité des régions et de leurs parties prenantes avec lesquelles elles sont structurellement solidaires ?

En conclusion, il convient de souligner que mon propos s'applique autant aux marques PME qu'aux marques de distributeur. Rappelons que les marques de distributeur sont fabriquées à 80 % par des PME et qu'elles sont une source de valorisation et de différenciation pour les enseignes, leur permettant de répondre aux différentes attentes des consommateurs.

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Je vous remercie pour vos propos et explications axés sur les PME.

On a beaucoup entendu, tout au long de nos auditions, qu'au final la grande distribution n'était pas spécialement clémente avec les très grands groupes qui représentent, selon les typologies de produits, 50 % à 80 % du volume, et qu'elle l'est plutôt avec les PME. Dans les box de négociations, les PME souffrent-elles autant que les grandes entreprises ? Je vois que vous faites des speed dating avec la grande distribution, que vous signez des chartes. Bref, j'ai l'impression qu'il y a une plutôt bonne entente. Ressentez-vous que la grande distribution écoute davantage les PME que les gros industriels ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

C'est vrai, le problème n'est pas nouveau. Ce qu'on n'a pas obtenu par la loi, on essaie de le conquérir par la voie contractuelle en discutant. En effet, notre position collaborative est fondée sur le dialogue, l'écoute de l'autre : on essaie de se mettre autour d'une table pour trouver des solutions ensemble. Nous sommes parvenus à faire reconnaître par les distributeurs, sur le plan contractuel, la différenciation PME, ce qui fait que l'on progresse. Je le répète, entreprendre, c'est tester. Voilà ce qu'il faudrait pouvoir normaliser.

On n'est pas dans une bagarre perpétuelle, on ne considère pas le client comme un bouc émissaire avec lequel on est en conflit. On est beaucoup plus dans une culture de compromis. Dans cet esprit, on a réussi à aménager le cadre de nos relations. On n'a pas un cadre privilégié, mais on tient compte de nos différences, de nos complémentarités, de nos spécificités, ce qui fait que l'on a des relations normalisées.

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Vous avez dit que la concentration de l'aval, notamment du secteur de la distribution, était peut-être une réaction au gigantisme de certaines multinationales. Que proposez-vous ou que peut-on proposer pour favoriser ce que vous avez appelé le jeu de la concurrence ? Vous nous dites que s'il y a concentration, il n'y a plus de concurrence. Ce n'est pas ce que nous ont dit certaines personnes que nous avons auditionnées. Elles nous ont expliqué qu'en Europe ou dans le monde, il y avait parfois moins de concurrents aval et pas obligatoirement une politique agressive du prix bas comme celle que nous connaissons en France.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Comme je travaille dans le secteur viticole, j'ai plutôt une culture internationale, notamment anglo-saxonne, où il y a beaucoup plus d'écoute, de négociations équilibrées. Écouter, c'est un échange, c'est écouter l'autre, répondre à ses questions. C'est de cette manière que l'on parvient à construire des solutions communes. C'est vrai, en France notre culture est plutôt conflictuelle, et elle s'accroît en cas de déséquilibre entre l'amont et l'aval, ce qui est notre cas. Si on laisse se concentrer la partie la plus forte, effectivement on accroît le mal dont on souffre. C'est pourquoi j'ai dit tout à l'heure qu'il fallait dire « Stop ! » à un moment donné. Si l'on croit à l'économie de marché et que la concurrence sert d'émulation pour progresser, il faut que la concurrence joue pleinement. Si on laisse faire des conglomérats, elle ne joue plus son rôle de régulateur du marché.

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Doit-on aller jusqu'à dissiper, disloquer, fragmenter cette concentration ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Les ententes ne sont pas bonnes, et je pense que ce n'est pas sain. Aujourd'hui, il y a quatre alliances qui représentent 95 % du marché. Si on estime que c'est bien, il faut laisser faire, mais si on pense que cela va à l'encontre du stimulateur qu'est l'économie de marché et la concurrence, il faut dire que certains taux ne doivent pas être dépassés. Je pense qu'il va falloir en arriver là. Il faut savoir quel système on défend. Si on défend le système de marché, il faut en respecter les règles.

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Avez-vous des remontées de certains de vos adhérents concernant des pratiques déloyales, des menaces de déréférencement global ou partiel lors des box de négociations ? On a entendu parler ce matin que lorsqu'on ne veut pas négocier les prix, on s'aperçoit que des problèmes informatiques entraînent un arrêt des commandes pendant deux mois, sans qu'on sache pourquoi.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Oui, nous avons des remontées. En général, on a prévu dans nos accords-cadres avec chaque distributeur des moyens pour débloquer la situation. Des « Messieurs PME » sont devenus des médiateurs. Lorsque des problèmes de ce genre interviennent, on se met autour de la table, et on se demande si c'est normal, si c'est sain et dans l'intérêt de l'un et de l'autre, et on trouve des solutions. Quelquefois, Il peut s'agir d'un acheteur qui a un comportement un peu marginal et parfois il y a aussi par nous des gens qui font des excès. Mais ce n'est pas en essayant de polémiquer qu'on trouve des solutions. Oui, on est constamment en train de régler des problèmes de gens qui sont un peu déviants.

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Je souhaiterais savoir qui vous représentez, combien d'adhérents sont en relation avec la grande distribution, et quelle est la répartition entre le secteur alimentaire et le secteur non alimentaire. Combien de PME ou d'adhérents sont dans ces accords-cadres ?

Tous les observateurs nous disent que la part des PME augmente dans la grande distribution. Vos adhérents sont-ils davantage présents dans la grande distribution sous leur marque ou sous les MDD, ou bien l'une est-elle conditionnée à l'autre ?

Beaucoup nous disent que ce qui bloque, c'est la confiance dans les acteurs. On nous dit aussi que les pratiques illicites tendent à disparaître et qu'elles ont été remplacées par des pratiques conformes à la loi mais qui n'avantagent personne. Par exemple, vous avez parlé des pénalités logistiques. Quel regard portez-vous sur la façon dont la grande distribution fonctionne vis-à-vis des PME sur ce qu'on appelle le triple net ? Comment cette situation est-elle vécue par vos adhérents ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

La LEEF représente les fournisseurs PME et ETI d'un hypermarché, 75 % dans l'alimentaire et 25 % dans le non alimentaire. Il est très important d'avoir les deux, car cela permet de comprendre pourquoi, par exemple, le textile a disparu de France. Si vous voulez fabriquer des produits textiles made in France, vous vous heurterez à un problème de savoir-faire parce qu'on a mis tout le monde au chômage. Or lorsque les gens ne sont plus actifs, ils perdent leur savoir-faire. C'est donc le capital qu'on a détruit. C'est ce qui pourrait arriver au secteur alimentaire si on n'y prend pas garde.

Nous représentons 20 000 entreprises, soit un chiffre d'affaires de 100 milliards et 250 000 emplois répartis sur l'ensemble du territoire. Nous sommes présents également en restauration hors foyer (RHF), et à l'export, notamment en ce qui concerne le vin.

La FEEF est un peu « l'aile marchante », c'est elle qui organise les choses. C'est un facilitateur, un accélérateur d'affaires. Mais elle ne se substitue pas aux acteurs, aux entrepreneurs qui prennent leurs responsabilités. Elle essaie d'aménager le cadre, un peu comme vous le faites avec la loi. La FEEF est l'expert des relations entre l'industrie et le commerce des PME. Elle fait tout cela d'abord par le dialogue. On parle de collaboratif, comme on le fait dans la Silicon Valley que je connais par ailleurs pour d'autres raisons. Plus on pratique le collaboratif entre nous, plus on sert d'exemple dans les relations qu'on veut avoir avec nos clients. Nous organisons des événements, des rencontres pour que les gens dégustent leurs produits, parlent, se connaissent, échangent leur carte de visite, etc.

Comme je le dis parfois, nous sommes le Meetic de la relation commerciale. C'est parce qu'il y a des rencontres que des histoires d'amour peuvent se construire. Comme je l'ai indiqué, la FEEF compte 1 000 adhérents, tous très actifs. Les gens s'engagent, ce sont des militants dans le sens où ils participent à ces événements, dans les groupes de travail avec les différentes enseignes pour essayer d'avancer concrètement et éviter d'être dans le « Y'a qu'à, faut qu'on », dans l'idéologie, la guerre continuelle. On parle très peu de ces affaires-là avec la presse. On essaie de régler nos problèmes entre nous, avec nos partenaires.

Vous m'avez posé une autre question concernant la part des MDD. Les panels du type Nielsen montrent qu'environ la moitié de l'activité est réalisée par les grandes marques peu nombreuses mais extrêmement puissantes. Le reste se répartit entre les marques de distributeur – environ 30 % – et les marques des PME – quelque 20 %. Les PME fabriquant environ 80 % des MDD, elles représentent donc, de manière directe ou indirecte, près de la moitié du chiffre d'affaires des magasins. Dans un linéaire, près d'un produit sur deux provient donc d'une PME et il est commercialisé en son nom propre ou sous une MDD.

Pourquoi fabriquons-nous sous MDD ? De nos jours, les attentes des consommateurs sont de plus en plus fragmentées. Le consommateur veut de la transparence, il veut savoir si les produits sont bons pour sa santé et pour l'environnement. Quand le distributeur s'engage à satisfaire ces demandes, il le fait avec nous, des partenaires avec lesquels il discute et qui n'ont pas toujours les moyens de répondre seuls aux attentes des consommateurs. Mais nous avons nos propres marques. Nous testons ce que nous savons faire seuls ou avec les distributeurs. Nous avons besoin des deux activités pour nous développer. Souvenez-vous que nous vivons dans les territoires, que des familles travaillent chez nous, que nous créons des emplois. La fabrication sous MDD peut aussi être un moyen de répondre aux attentes des consommateurs et des citoyens.

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Monsieur le président, je vais plutôt interpeller l'entrepreneur que vous êtes car, à travers vos activités, vous avez la particularité d'intégrer deux des trois échelons qui nous intéressent : vous êtes producteur et transformateur. Il vous appartient ensuite de développer la dimension commerciale selon deux axes : la vente directe et la vente à travers les réseaux de distribution, notamment de grande distribution. En tant que président d'une fédération de PME, quelle est votre philosophie en matière de formation de la valeur à chacun des échelons ? Pour recentrer le débat et revenir à la quête de cette commission, j'aimerais que vous nous disiez comment, selon vous, la répartition de la valeur pourrait se faire davantage au profit de l'amont.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Il faut faire une distinction entre la répercussion des coûts de l'amont et la création de valeur. Dans un pays développé comme le nôtre, si nous voulons que les paysans aient une rémunération décente, nous devons répercuter ce coût supplémentaire. Quant à la création de valeur, elle se fait par la transformation de la matière première pour l'adapter aux attentes des clients. Pourquoi 80 % de la croissance de la grande distribution est-elle imputable aux PME depuis cinq ans ? Les PME ne sont pas de grosses structures mais elles sont agiles, elles innovent et s'adaptent aux demandes des clients sans vouloir imposer leurs marques. En nous adaptant aux évolutions considérables des attentes des consommateurs au cours des dernières années, nous avons été au coeur du réacteur de la croissance. Il y a eu là une création de valeur qui est à distinguer d'une répercussion de coût. Pour créer de la valeur, il faut savoir transformer la matière première pour l'adapter aux clients. Si j'y parviens dans mon entreprise, je ne vois pourquoi je distribuerais cette valeur en amont. En revanche, je trouve normal de tenir compte des coûts et de la rémunération décente des fournisseurs.

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C'est antinomique avec vos propos précédents. Vous avez défini la dimension tarifaire à partir d'un prix de revient. Quelle est la différence entre le coût et le prix de revient ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Prenons un exemple dans les champagnes. Pourquoi le champagne Veuve Clicquot se vend-il plus cher que d'autres comme Mercier ou Martel ? C'est le choix fait par l'entrepreneur, en fonction de la qualité du produit, de la communication qui l'entoure et de diverses choses. C'est l'entrepreneur qui a créé de la valeur et non pas le producteur de raisins. Quant à ce dernier, qui a su sélectionner les raisins, il doit obtenir un prix qui tient compte de ses coûts et qui doit lui permettre de vivre décemment.

Le tarif est formé à partir des coûts de production et de commercialisation mais il dépend aussi du positionnement stratégique par rapport à la concurrence. La création de valeur n'est pas la même pour un champagne Veuve Clicquot que pour une « petite » marque de champagne. La création de valeur dépend d'un coup de main et d'un savoir-faire qu'ont souvent les PME, du fait de leur agilité, de leurs capacités d'innovation, de leur aptitude à répondre plus vite que les grands groupes aux attentes des consommateurs. C'est ce qui s'est passé au cours des cinq ou six dernières années et c'est ce qui explique que 80 % de la croissance provient des PME qui ne représentent que 20 % de parts de marché.

Il ne faut pas opposer les coûts et la création de valeur mais distinguer les deux pour avoir un débat constructif.

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Certains industriels auditionnés nous ont indiqué que les négociations commerciales donnaient lieu à des pressions, à des déréférencements ouverts ou sournois, c'est-à-dire à toutes sortes de méthodes et de pratiques qui visent à contraindre la négociation. Les adhérents de votre fédération vous ont-ils rapporté le même genre de pratiques qui peuvent aller jusqu'à du boycott temporaire ou permanent ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Dans nos accords-cadres, nous avons prévu des processus pour répondre à ces situations anormales, qui sortent de ce qui a été convenu.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Nous avons un médiateur.

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Certaines entreprises ont subi ce genre de pratiques ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Oui, dans certains cas. Vous savez, le monde n'est pas parfait. Il y a des écarts qui peuvent être dus à des comportements individuels, à une concurrence malsaine. Dans des accords, c'est prévu. Nous avons prévu qu'il est normal d'en parler plutôt que d'aller nous épancher dans la presse.

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Vous avez dit que vous faisiez appel au médiateur.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Absolument.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Moi, je vais au charbon pour mes adhérents. De leur côté, les distributeurs ont désigné des gens qui essaient de comprendre le problème puis qui nous aiguillent vers les personnes qui peuvent le résoudre. Nos solutions ne sont pas parfaites mais le processus est sain. Quoi qu'il en soit, il faut le reconnaître et ne pas se cacher derrière son petit doigt : de telles pratiques existent.

Au passage, j'aimerais signaler un vice dans notre loi. Nous sommes le seul pays au monde – et j'en parle en connaissance de cause car je travaille surtout sur le plan international – qui ait décrété que les négociations avaient lieu du 1er septembre ou 1er octobre jusqu'au 28 février. Comme ça. Dans tous les autres pays, on négocie quand il faut négocier, de façon constante : si la matière première change, s'il y a une concurrence subite, s'il y a une promotion pour relancer le marché. Avec ces négociations annuelles, l'acheteur se sent psychologiquement dans une sorte de contrat à durée déterminée. Le fournisseur est déréférencé dès le début de la négociation, ce qui le déstabilise.

Pour notre part, nous développons de plus en plus des contrats pluriannuels parce que la confiance se construit dans la durée. C'est un point très important. C'est une erreur d'avoir inscrit dans la loi qu'il fallait négocier de telle date à telle date, d'une façon complètement déconnectée de la réalité des marchés et du terrain. Cela n'existe qu'en France et nulle part ailleurs dans le monde, ce qui devrait nous inciter à nous poser des questions.

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Je rebondis sur vos contrats pluriannuels. Pour les produits bruts de l'agriculteur – une tomate reste une tomate et une viande reste une viande même s'il en existe de différentes qualités –, on peut négocier sur trois ans. Mais si vous fabriquez une bouteille d'un nouveau produit, il s'agit d'une nouvelle référence. Comme nous le savons, ces nouvelles références sont conçues pour vivre six mois ou un an ou un an et demi au maximum. Pour un industriel qui vend 500 références de produits, cela doit être un peu compliqué de conclure des contrats pluriannuels.

Vous être la première personne auditionnée à nous expliquer qu'il faudrait faire sauter la date du 1er mars pour les négociations. Jusqu'à présent, les industriels nous ont plutôt alertés sur le fait que toute nouvelle référence arrivant en cours d'année provoquait la réouverture de la boîte à claques, si vous me permettez l'expression : cette ouverture de négociation permet, légalement, de revenir sur l'intégralité des contrats et des prix négociés. Si on rouvre la boîte, il est possible de tout renégocier. Quand vous avez dix références, ça va. Quand vous en avez 1 000, c'est peut-être un peu compliqué.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Une PME ayant rarement 1 000 références, je pense que ces arguments viennent plutôt de grands groupes. Vous savez, il faut arrêter l'hypocrisie. Les négociations doivent s'arrêter mais on sait comment ça se passe : une fois que c'est terminé, ça continue. C'est tout un état d'esprit qu'il faut changer. C'est culturel. Nous devons chercher le compromis plutôt que le conflit qui est destructeur de valeur. Pour que les comportements évoluent, il faut montrer l'exemple et faire confiance en disant aux gens de terrain : démerdez-vous, c'est votre problème ; nous essayons de fixer les règles du jeu et le cadre mais c'est à vous de faire le business. On peut fixer quelques règles pour éviter les écarts mais c'est à chacun d'évoluer et de comprendre que les solutions passent par le compromis.

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Qu'entendez-vous par « ça continue » ? Le 1er mars, c'est fini. Les négociateurs n'y reviennent pas. Je ne comprends pas le « ça continue ».

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Évidemment que ça continue. Il y a toujours un moyen, par exemple en cas de référence nouvelle. Le distributeur peut la refuser s'il n'obtient pas telle ou telle dégradation. Dans l'idéal, le tarif est la base qui tient compte des coûts véritables et de notre positionnement relatif par rapport à la concurrence, de notre création de valeur. Cette base doit être respectée. Nous laissons les distributeurs fixer leurs prix de vente au consommateur, qu'ils nous laissent fixer les nôtres ! Comment voulez-vous que nous puissions mieux payer nos fournisseurs si les distributeurs refusent que nous leur facturions ces coûts ? J'ai un peu dévié de votre question.

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Oui, j'aimerais que vous reveniez sur le fait que les négociations ne s'arrêtent jamais.

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Elles dépassent les dates légales pour devenir des négociations quasi permanentes ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Pour ma part, je trouve que la négociation est une très bonne chose parce qu'elle est un processus d'adaptation permanente aux attentes de nos clients. Il est tout à fait normal qu'elle continue même après la date légale. C'est pourquoi je dis que cette date est une pure hypocrisie. Tout le monde veut discuter à partir de cette hypocrisie qui n'existe qu'en France ! Ce n'est pas ça le business, le commerce. C'est pour ça que nous prenons du retard.

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Comment se passent concrètement les accords que vous nouez avec la grande distribution pour améliorer la situation des PME face à des problèmes comme les retards de livraison ? Les rapports que nous décrivent les grandes marques nous semblent beaucoup plus tendus que ceux que vous nous évoquez.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Les gens sont allés jusqu'à se battre pour avoir du Nutella en promotion. Les grands groupes ont les moyens de s'imposer face aux distributeurs en raison de la notoriété de leurs marques et aussi des promotions qu'elles sont capables de faire. Comme nous ne pouvons pas entrer dans ce rapport de domination, nous sommes plus modestes et collaboratifs. C'est ce qui nous reste et, en plus, nous croyons au collaboratif.

Les relations peuvent être difficiles dans les box de négociation, mais nous arrivons à trouver des solutions sans aller constamment nous plaindre dans la presse. Il y a des progrès à faire mais nous devons aussi faire évoluer la culture en incitant les gens à se comporter en grands garçons. Le message doit être : « Si vous voulez être des entrepreneurs indépendants, ne vous comportez pas comme des enfants ou des assistés et débrouillez-vous ! » En revanche, si les règles du jeu qui ont été fixées ne sont pas respectées, il faut sanctionner. On a le droit de tout faire à condition de ne pas dépasser la ligne jaune.

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Vous parlez de confiance mais nous savons que les distributeurs font pression pour réduire les prix en permanence. Pourquoi noueraient-ils avec les PME des accords moins intéressants pour eux que ceux qu'ils passent avec les grands groupes ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Prenons une rue commerçante où il y a Casino d'un côté et Carrefour de l'autre. Si les deux magasins vendent du Coca-Cola, ils ne se différencient pas. Chacun va chercher une marque de PME qui va le distinguer de son concurrent et qui va conduire le chaland à aller d'un côté ou de l'autre. Avec nous, ils trouvent un moyen de se différencier de leur concurrent et nous jouons le jeu. Nous n'avons pas les marques magnifiques, les forces de vente, les budgets et la taille pour pouvoir nous imposer, nous ne cherchons donc pas à le faire.

Entre les grands groupes industriels et les distributeurs, c'est un peu un combat de coqs. Nos relations avec les distributeurs sont sans doute moins dures parce que nous essayons de débattre, de faire valoir que nous leur apportons une diversité dont ils ont besoin pour se démarquer des autres enseignes et pour répondre aux attentes des consommateurs. Nous parvenons ainsi à co-construire des solutions. C'est un travail de longue haleine qui n'est pas simple. Ce n'est pas gagné d'avance mais nous ne venons pas pleurer pour vous le dire. Nous essayons de le faire par la voie contractuelle.

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Vos propos m'étonnent, monsieur le président. Vous nous parlez d'un « médiateur maison », celui de la FEEF, alors qu'il existe un médiateur des prix et la DGCCRF. Le médiateur des prix nous explique qu'il n'est absolument pas saisi par les PME, et j'ai l'impression que c'est parce qu'il existe un circuit parallèle. La question n'est pas tant d'aller s'épancher dans la presse que de faire valoir ses droits auprès de celui qui est censé les protéger, l'État. Quand on fait valoir ses droits auprès de la bonne personne, on n'est pas un pleurnichard ou un assisté. Dans votre circuit parallèle, certaines choses sont peut-être acceptées alors qu'elles ne devraient pas forcément l'être.

Vos propos m'incitent à vous poser deux questions précises. Quelle a été l'évolution des prix de vos adhérents au cours des cinq dernières années et en 2019, sachant que la déflation atteint actuellement 0,4 % et même 1,5 % si on exclut le lait ? Comment les PME ont-elles accueilli les nouvelles dispositions sur les promotions, et comment ces promotions pesaient-elles sur leur chiffre d'affaires et sur les relations avec la grande distribution ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

En général, ce sont les grandes marques qui font de grandes promotions. Les consommateurs considèrent qu'avoir deux bouteilles de Coca-Cola pour le prix d'une, c'est faire une bonne affaire. Seuls les grands groupes ont les moyens de faire des choses comme ça. En général, les produits des PME ne sont pas vendus au milieu de l'allée, en promotion à prix cassé. Nos produits, qui sont souvent en fond de rayon et vendus plus cher, représentent malgré tout 80 % de la croissance des distributeurs parce qu'ils correspondent à une demande. Comme je vous l'ai dit, nous avons essayé d'être agiles, innovateurs, capables de nous adapter. La demande évolue vite en ce moment. Le consommateur se pose de bonnes questions et il va en fond de rayon même si le prix du produit n'est pas cassé. Ce qui prouve que la demande est saine.

S'agissant de l'idée de limiter les promotions pour limiter la guerre des prix, je trouve que c'était bien de le faire en valeur. Il a été assez catastrophique de vouloir le faire en volume. La règle du jeu a changé, elle n'était pas très claire, on ne la connaissait pas très bien. En plus, certains produits ne se vendent qu'en promotion. C'est le cas du foie gras, par exemple. Le chiffre d'affaires de certaines entreprises a baissé de 30 % par rapport à celui de l'an dernier. En voulant tout réglementer, notamment en termes de volume, on peut toucher à ce qui fait la caractéristique d'un courant d'affaires.

En ce qui concerne l'évolution des prix, nous nous situons dans la moyenne, c'est-à-dire à une baisse de 0,4 %.

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Ce n'est pas très cohérent avec vos propos précédents.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Si car, comme je vous l'ai dit, la première difficulté que nous rencontrons est celle de faire passer nos tarifs. La négociabilité tarifaire est une erreur introduite dans la loi de modernisation de l'économie, il y a dix ans. Nous négocions le tarif alors que c'est notre positionnement qui nous permet de créer de la valeur. Cette mesure a permis aux distributeurs de casser les marques et de récupérer de l'argent pour se bagarrer entre eux, faire leur guerre des prix et de parts de marché.

La négociabilité tarifaire est destructrice de valeur en ce sens que l'on voudrait tout vendre de la même manière. Actuellement, on voudrait vendre le bio au prix du conventionnel. Je suis bien placé pour savoir que la production bio ou en biodynamie coûte plus cher. La création de valeur correspond à une attente des consommateurs. Pourquoi la braderions-nous ? Si nous la bradons, nous faisons de la destruction de valeur.

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Quel effet cela vous fait-il de voir un grand distributeur afficher du bio moins cher que moins cher ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Cela me choque. Le bio coûte plus cher à produire pour diverses raisons que vous connaissez, et il correspond à une attente réelle des consommateurs pour des raisons liées à la santé et à l'environnement. Il n'est donc pas normal de vendre du bio au prix du conventionnel.

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Vos propos m'étonnent aussi car, au fil des auditions, nous avions cru comprendre que, dans les box, les négociations étaient plutôt ardues et que les uns n'avaient pas forcément la capacité de résister aux pressions des autres pour aboutir à des résultats plus justes et équilibrés.

Quant à vous, vous nous expliquez que les négociations se déroulent sur la longueur et non pas pendant une durée déterminée. Au fil des négociations, dites-vous, vous parvenez à nouer des relations commerciales équilibrées et à installer un rapport de force suffisant pour pouvoir référencer des produits à forte valeur ajoutée. Que sacrifiez-vous dans ce parcours ? Vous semblez dire que vous arrivez à une situation où des produits de qualité sont référencés au juste prix, sans sacrifier la rémunération du producteur.

Vous évoquez aussi vos règles du jeu qui, si elles ne sont pas respectées, entraîneraient la rupture de la négociation. Quelles sont ces règles du jeu ?

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Tout d'abord, je tiens à dire que le temps passé dans un box de négociation n'est pas toujours très agréable. Cela ne se passe pas toujours très bien. Pour trouver des solutions, nous avons prévu des instruments de régulation.

Être entrepreneur, c'est tester, essayer pour apprendre. Il y a des échecs et des ratés. Quoi qu'il en soit, aucune affaire ne peut se développer sans relations de confiance. Il faut croire en l'autre. C'est l'histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. Nous sommes positifs, nous faisons confiance à nos partenaires, nous arrivons à évoluer ensemble pour trouver des solutions. Ce n'est pas parfait. Il y a des ratés et des moments où ça se passe mal dans les box.

Quand ça se passe mal, nous essayons de régler le problème nous-mêmes par la médiation plutôt que d'aller voir le gendarme ou le juge. Nous n'allons pas voir la DGCCRF qui est plutôt un gendarme. Avant d'engager une procédure contentieuse, nous essayons de trouver une solution.

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La DGCCRF est peut-être un gendarme, mais le médiateur des prix effectue un travail pacifique dans une discrétion totale. Ces outils sont à la disposition des négociateurs qui éprouvent des difficultés.

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

Le médiateur des prix existe depuis longtemps mais il n'était pas très actif jusqu'à présent car son rôle n'était pas très bien défini. Cette démarche va dans le bon sens et il faut la développer.

En réponse à la deuxième partie de la question de Mme Bareigts, je peux dire qu'il n'y a pas de sacrifice. Nous ne nous sacrifions pas. La vie des affaires est compliquée, dure, brutale. Il ne faut pas croire que les distributeurs sont capables d'accepter n'importe quoi. Ils ont leurs contraintes et, en ce moment, ils sont fragiles. Nous sommes inquiets. Il y a quinze ou vingt ans, des distributeurs sont tombés en faillite, entraînant certains de leurs fournisseurs. Souvenez-vous du Consortium des épiciers du Centre – CODEC – et du dispositif de cartes d'Intermarché qui était très fragile.

Ce n'est pas par la brutalité des rapports dans les box que nous allons régler les problèmes. Il faut responsabiliser les gens. La France a trop longtemps été un pays d'assistés et c'est la cause de comportements non-responsables. Avec les distributeurs, nous avons développé un projet dont nous disons qu'il revient à faire de la RSE dans le box. La RSE ne consiste pas à respecter une norme complètement froide, elle consiste à avoir un comportement compréhensif et collaboratif avec l'autre pour essayer de co-construire et de trouver des solutions. Nous avons développé cet esprit et il commence à produire ses effets. Ce n'est pas du sacrifice. Nous devons amorcer ce tournant culturel à tous les niveaux. Cette transition vers un nouveau monde, dont on parle tant, je pense qu'elle passe par là.

C'est vrai que les relations ne sont pas toujours faciles mais nous ne sommes pas là pour pleurer. Il n'y a aucun endroit où les relations soient faciles. À l'Assemblée nationale, il doit aussi y avoir des moments difficiles. (Sourires.)

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Non, nous nous entendons très bien, le président et moi !

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Dominique Amirault, président de la Fédération des entreprises et entrepreneurs de France (FEEF)

C'est merveilleux !

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Ce seront les derniers mots du rapporteur.

Monsieur le président, nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions. Le rapporteur sera peut-être amené à vous demander un complément d'informations par écrit et vous devrez alors lui répondre pour contribuer à la qualité de son rapport.

La séance est levée à dix-huit heures quinze.

Membres présents ou excusés

Réunion du mercredi 29 mai 2019 à 17 heures

Présents. - Mme Ericka Bareigts, M. Thierry Benoit, M. Grégory Besson-Moreau, Mme Michèle Crouzet, M. Yves Daniel, M. Daniel Fasquelle, M. Guillaume Garot, M. Yannick Kerlogot, Mme Martine Leguille-Balloy, Mme Cendra Motin, M. Jean-Pierre Vigier

Excusé. - Mme Dominique David